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R. c. Boily

no. de référence : 200-01-159802-119

R. c. Boily
2016 QCCQ 1447
COUR DU QUÉBEC

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
QUÉBEC
LOCALITÉ DE
QUÉBEC
« Chambre criminelle et pénale »
N° :
200-01-159802-119

DATE :
11 mars 2016
____________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
CHRISTIAN BOULET, J.C.Q.
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La Reine
Poursuivante

c.

Catherine Boily
Défenderesse

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JUGEMENT
____________________________________________________________________


I – LE CONTEXTE
[1] Est ce que la défenderesse dont l’alcoolémie dépassait la limite légale a eu une conduite intentionnelle à l’égard de son véhicule à moteur dans des circonstances entrainant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien ou, dit autrement, la défenderesse avait-elle la garde ou le contrôle de son véhicule lorsque les policiers ont procédé à son arrestation le 9 septembre 2011 ?

[2] La défenderesse subit son procès pour conduite de son véhicule avec les capacités affaiblies par l’alcool et au moment où son alcoolémie dépasse la limite légale.

II – LES FAITS
[3] Vers 2 h 15 le 9 septembre 2011, les agents Perreault et Courtemanche reçoivent un appel pour un accident avec délit de fuite survenu près de l’autoroute 20 à Saint-Nicolas, en banlieue de Québec.

[4] À 2 h 35, il localise une remorqueuse et le véhicule de la défenderesse immobilisé en bordure de l’autoroute 20.

[5] L’agente Perreault ne se rappelle plus de la position exacte du véhicule de la défenderesse, mais elle trouve bizarre qu’il soit immobilisé sur le côté gauche de l’autoroute. Par ailleurs, du côté droit, il y a des travaux de réfection en cours et la présence de bloc de béton ne permet pas à un véhicule de s’immobiliser à cet endroit.

[6] Selon elle, ce n’est pas sécuritaire d’être immobilisé du côté gauche de l’autoroute. « Habituellement, on n’arrête jamais sur ce côté parce que les gens y circulent et c’est super dangereux », dit-elle. En affirmant cela, la policière réfère au fait que la voie de gauche est la voie de dépassement.

[7] De plus, ajoute-t-elle, lors d’une interception, le policier qui prend place du côté passager doit sortir du véhicule patrouille du côté de la voie de dépassement et cela constitue un danger additionnel pour lui. Je note que la situation est sensiblement la même pour le conducteur lorsqu’une interception a lieu du côté droit de l’autoroute.

[8] Bref, conclut-elle, le fait d’immobiliser un véhicule en bordure d’une autoroute constitue toujours un danger, y compris pour son conducteur.

[9] L’agente Perreault ignore l’heure de l’accident, depuis combien de temps le véhicule de la défenderesse est immobilisé à cet endroit, si elle a en sa possession les clés de son véhicule et si elle prend place dans la remorqueuse.

[10] Pendant que son collègue se rend rencontrer la défenderesse et vérifier les dommages à son véhicule, l’agente Perreault demeure dans le véhicule patrouille et s’affaire à préparer son rapport.

[11] Puis, son collègue vient la rejoindre accompagné de la défenderesse. Après avoir revu avec elle les circonstances précédant son accident, les policiers concluent qu’il n’y a pas eu de délit de fuite puisque que l’autre véhicule qui lui a coupé la voie n’a pas eu de contact avec le sien, bien que les deux véhicules aient heurté le garde-fou.

[12] C’est à ce moment que les agents remarquent une forte odeur d’alcool qui provient de l’haleine de la défenderesse et ses yeux vitreux.

[13] À 2 h 53, le test effectué à l’aide de l’appareil de détection approuvée indique comme résultat « Fail » et plus tard au poste, le taux d’alcoolémie est le même à 3 h 23 et à 3 h 45, soit 144 mg d’alcool par 100 ml de sang.

[14] L’agent Courtemanche témoigne qu’à leur arrivée sur les lieux, ils se stationnent en arrière du véhicule la défenderesse immobilisé derrière la remorqueuse, sur l’accotement, du côté gauche de l’autoroute.

[15] Il confirme sa collègue sur les dangers qu’il y a de s’immobiliser de ce côté de l’autoroute et que cela les force à placer leur véhicule dans cette voie pour éviter que d’autres véhicules y circulent. Je fais la même remarque que plus haut car il me semble que ce corridor de sécurité est également créé pour un véhicule immobilisé à droite de l’autoroute.

[16] La défenderesse témoigne que cette nuit-là vers 0 h 45, elle retourne à Québec après avoir passé la soirée avec sa mère dans un camping à Saint-Nicolas où elle a consommé de la bière. Elle circule dans la voie de service qui borde l’autoroute 20 lorsque, juste avant une courbe, elle perd le contrôle de sa voiture et heurte le garde-fou lorsqu’elle est dépassée par un véhicule qui lui coupe la voie et continue sa route.

[17] Immédiatement après, à 1 h 12 comme son relevé téléphonique le confirme, elle contacte l’assistance annuaire afin d’obtenir le numéro qui va lui permettre de rejoindre le service d’assistance routière de la compagnie Toyota.

[18] Puis, elle circule environ 10 minutes pour rejoindre l’autoroute afin d’être repérée plus facilement. Elle a peur et elle est stressée. À la sortie de la bretelle qui mène à l’autoroute, elle la traverse et se stationne immédiatement sur le terre-plein situé entre les deux voies. Elle s’immobilise à gauche parce que cela n’est pas possible du côté droit à cause des travaux de réfection. À 1 h 34, alors que son véhicule est immobilisé en bordure de l’autoroute, elle contacte à nouveau l’assistance annuaire pour obtenir de l’aide. Ce n’est qu’à 1 h 42 qu’elle rejoint le service de dépannage de Toyota.

[19] Lorsque le remorqueur arrive, elle lui remet les clés de son véhicule et monte dans la remorqueuse. L‘opérateur s’affaire à mettre en place la procédure de remorquage lorsque les policiers se présentent sur les lieux. Son véhicule ne peut être remis en marche et il sera d’ailleurs déclaré perte totale par son assureur à la suite de cet accident.

III – LA POSITION DES PROCUREURS
[20] Le procureur de la poursuite concède que la défenderesse ne peut pas être déclarée coupable de conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool ni avec un taux d’alcoolémie excédant la limite légale car il ne bénéficie pas des présomptions d’identité et d’exactitude puisque la conduite est plus de deux heures avant le premier échantillon d’haleine. Cependant, tout en concédant également que la présomption de garde ou contrôle prévue à l’article 258 (1) a) du Code criminel ne s’applique pas, la défenderesse devrait être déclarée coupable de cette infraction incluse parce qu’au moment où son taux d’alcoolémie excède la limite légale, elle stationne son véhicule du côté gauche de l’autoroute dans des circonstances entrainant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.

[21] Le procureur de la défenderesse argumente au contraire qu’elle a stationné son véhicule dans un endroit sécuritaire où il n’y avait pas de risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien, qu’elle s’est départie de la garde et du contrôle de son véhicule à l’arrivée du remorqueur, soit bien avant l’arrivée des policiers et qu’il était impossible de le remettre en marche.

IV – L’ANALYSE
[22] Dans l’arrêt R. c. Boudreau[1], la Cour suprême énonce les éléments essentiels de l’infraction de garde ou contrôle décrite au paragraphe 253 (1) du Code criminel, et je cite :

(1) une conduite intentionnelle à l’égard d’un véhicule à moteur ;

(2) par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale ;

(3) dans des circonstances entraînant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.

[23] Les deux premiers éléments étant prouvés, qu’en est-il de la preuve du risque réaliste de danger.

[24] Selon la Cour suprême, il faut que le risque de danger soit réaliste, non pas seulement possible en théorie. Il n’a toutefois pas non plus à être probable, ni même sérieux ou considérable (par. 34) et il n’y a pas de présomption à cet égard (par. 47).

[25] Plus loin, la Cour précise sa pensée sur cette notion. Je la cite :

[41] Un risque réaliste que le véhicule soit mis en mouvement constitue un risque réaliste de danger, cela va de soi. Ainsi, l’intention de mettre le véhicule en mouvement suffit à elle seule à créer le risque de danger que vise l’infraction de garde ou de contrôle. Par contre, l’accusé qui convainc le tribunal qu’il n’avait pas pareille intention ne sera pas forcément acquitté. En effet, la personne trouvée ivre, assise à la place du conducteur et capable de mettre le véhicule en mouvement – même sans en avoir l’intention à ce moment-là – pourrait néanmoins présenter un risque réaliste de danger.

[26] En l’espèce, non seulement la défenderesse n’a pas l’intention de mettre le véhicule en mouvement, mais l’eut-elle voulu, cela était impossible car son véhicule ne pouvait être remis en marche.

[27] Mais comme le mentionne la Cour, l’absence d’une telle intention de mettre un véhicule en mouvement n’entraine pas forcément un acquittement car le risque réaliste de danger peut encore être présent.

[28] Ainsi, dit-elle, en l’absence d’une intention concomitante de conduire, il peut survenir un risque réaliste de danger d’au moins trois façons. D’abord, une personne ivre qui, initialement, n’a pas l’intention de conduire peut, ultérieurement, alors qu’elle est encore intoxiquée, changer d’idée et prendre le volant. Ensuite, une personne ivre assise à la place du conducteur peut, involontairement, mettre le véhicule en mouvement. Enfin, par suite de négligence ou d’un manque de jugement ou autrement, un véhicule stationnaire ou qui n’est pas en état de fonctionner peut mettre des personnes ou des biens en danger (par. 42).

[29] En l’espèce, le poursuivant invoque que le risque réaliste de danger découle de la troisième situation, laquelle est discutée de la façon suivante par la Cour suprême dans l’affaire Boudreault précitée, au paragraphe 49. En effet, la Cour mentionne que l’accusé peut échapper à une déclaration de culpabilité, par exemple, en présentant des éléments de preuve selon lesquels le véhicule à moteur était hors d’état de rouler, ou positionné de telle sorte qu’il n’y avait pas de circonstances raisonnablement concevables dans lesquelles il aurait pu présenter un risque de danger.

V – CONCLUSION
[30] En l’espèce, le véhicule de la défenderesse n’est plus en état de rouler et malgré le danger possible en théorie d’immobiliser un véhicule en bordure d’une autoroute, surtout du côté gauche, la preuve indique que vu l’impossibilité pour elle de stationner son véhicule à droite en raison des travaux de réfection, la défenderesse a pris des précautions raisonnables pour l’immobiliser à gauche, complètement à l’extérieur de la voie de circulation des autres véhicules et le positionnant de telle sorte qu’il n’y avait pas de circonstances raisonnablement concevables dans lesquelles il aurait pu présenter un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.

[31] Je prononce donc en faveur de la défenderesse des verdicts d’acquittement sur les deux chefs d’accusation portés contre elle.





__________________________________
CHRISTIAN BOULET, J.C.Q.

Me Justin Tremblay
Procureur aux poursuites criminelles et pénales

Me Michel Dussault
Procureur de l’accusé

Date d’audience :
22 décembre 2015


[1] 2012 CSC 56 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 157, au par. 33.