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Vigi Santé ltée c. Tribunal administratif du travail

no. de référence : 705-17-005877-145

Vigi Santé ltée c. Tribunal administratif du travail
2016 QCCS 965
JT0690

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
JOLIETTE

N° :
705-17-005877-145



DATE :
Le 9 mars 2016
____________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
CLÉMENT TRUDEL, j.c.s.
____________________________________________________________________

VIGI SANTÉ LTÉE,
demanderesse
c.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL[1],
défendeur
et
MADAME CLAUDETTE MONTHERVIL,
mise en cause

______________________________________________________________________

JUGEMENT
(pourvoi en contrôle judiciaire)
______________________________________________________________________

[1] La demanderesse (l’employeur) recherche la révision judiciaire de deux décisions de la Commission des lésions professionnelles (CLP) alléguant qu’elles comportent des erreurs déraisonnables :

1) la décision de la CLP en contestation du 7 août 2013 (CLP1);
2) la décision de la CLP en révision du 20 novembre 2014 (CLP2) rejetant sa requête en révision de la décision CLP1.
[2] Eu égard au défendeur (TAT), il a comparu, déposé un mémoire et fait des représentations à l’audience en regard de la norme de contrôle applicable au cas d’absence de motivation d‘une décision de la CLP compte tenu que la norme de contrôle est admise et n’est pas contestée.

[3] Quant à la mise en cause (la travailleuse), elle a comparu, n’a pas produit de mémoire, mais a proposé à l’audience le rejet de la requête puisque, selon elle, les décisions de la CLP ne sont entachées d’aucune erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001)

(LATMP)

Objet de la loi.

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

[…]

Équité.

351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

[…]

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

[…]

Décision sur dossier.

358.3. Après avoir donné aux parties l'occasion de présenter leurs observations, la Commission décide sur dossier; elle peut confirmer, infirmer ou modifier la décision, l'ordre ou l'ordonnance rendue initialement et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu.

[…]

358.5. La décision doit être écrite, motivée et notifiée aux parties, avec la mention de leur droit de la contester devant le Tribunal administratif du travail et du délai pour ce faire.

359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant le Tribunal dans les 45 jours de sa notification.

[…]

Pouvoir de décision.

377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

Révision.

429.49. […]

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

[…]

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

[…]

Immunité.

429.59. Sauf sur une question de compétence, aucun des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre la Commission des lésions professionnelles ou l'un de ses membres agissant en sa qualité officielle.

[…] »

LE CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL

[4] La décision CLP1, longuement motivée (90 pages, 311 paragraphes), unanime, les deux membres partageant l’avis de la commissaire, fait un long historique du dossier. Pour une bonne compréhension, il s’avère nécessaire de résumer chronologiquement le cheminement du très volumineux dossier en reproduisant de larges pans tant des décisions et du mémoire de la CLP, que du mémoire et du plan d’argumentation de l’employeur.

[5] Le 4 mars 2009, la travailleuse est infirmière depuis 1995 et travaille à temps plein dans un CHSLD, propriété de l’employeur, sur le quart de soir depuis 2001. Alors qu’elle effectue la distribution des médicaments, un résident saisit son bras droit, le serre et le tord.

[6] S’ensuit une demande d’indemnisation sous la LATMP qui donnera lieu à de nombreux rapports médicaux et de multiples décisions.

[7] Les diagnostics initialement posés en lien avec cette lésion, au niveau physique, sont ceux de tendinite à l’épaule droite et d’entorse au coude droit, de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs et de capsulite de l’épaule droite.

[8] Le 30 octobre 2009, la CSST rend une décision acceptant le nouveau diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et le 13 novembre 2009, elle accepte le diagnostic de capsulite de l’épaule droite. Ces décisions ne sont pas contestées.

[9] En novembre 2009, alors que la condition de travailleuse s’améliore, elle subit une arthrographie distensive. À la suite de cet examen, sa condition se détériore.

[10] Le 30 novembre 2009, le Dr Bernard Chartrand, médecin traitant, pose les diagnostics de troubles de l’adaptation et de trouble douloureux. Il prescrit une psychothérapie et note une forte régression de la condition.

[11] Le 22 avril 2010, le Dr Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur et consolide les lésions de déchirure de la coiffe des rotateurs et capsulite sans limitations professionnelles liées à ces diagnostics.

[12] Le 16 août 2010, Dr Desloges du Bureau d’évaluation médicale de la CSST (BEM) retient une déchirure de la coiffe des rotateurs avec bursite et capsulite possible mais aussi un syndrome de douleur régionale complexe grade 1 probable. C’est ce dernier diagnostic qui était en litige devant la CLP.

[13] Le 5 octobre 2010, l’employeur demande une expertise au Dr Yvan Comeau, chirurgien orthopédiste, qui conclut de la façon suivante :

« Tel que mentionné, l’examen objectif ne permet pas de mettre en évidence un syndrome douloureux chronique en relation avec un syndrome de douleur régionale complexe type 1. Et ses allégations de non-utilisation de son épaule et de membre supérieur droit sont dépourvues de toute crédibilité compte tenu du fait qu’on ne retrouve aucune fonte musculaire, même la plus minime que ce soit, tant à l’épaule qu’à l’ensemble du membre supérieur droit. »

[14] Suite à cette opinion, l’employeur entreprend une enquête, au cours de laquelle madame Monthervil fait l’objet d’une filature au mois d’octobre 2010 et au mois d’août 2011.

[15] Le 22 novembre 2010, le Dr Yvan Comeau, médecin désigné par l’employeur, produit un rapport complémentaire après avoir pris connaissance de la vidéo de filature de la travailleuse effectuée les 8, 9 et 29 octobre 2010. Il conclut notamment que la preuve vidéo contredit les affirmations de la travailleuse à l’effet qu’elle ne peut utiliser son bras droit.

[16] Dans son rapport d’évaluation médicale du 11 janvier 2011, Dr Chartrand, médecin traitant, évalue l’atteinte permanente incluant le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie à 40,3 % considérant les ankyloses. Il estimait que la travailleuse ne peut plus faire un travail, quel qu’il soit, sur une base régulière.

[17] Dr Hany Daoud, membre du BEM, examine la travailleuse le 1er février 2011. Il rapporte que l’examen objectif de l’épaule droite et du membre supérieur droit est très difficile en raison de la symptomatologie douloureuse de la patiente au moindre mouvement, notamment. Il s’étonne de l’absence d’atrophie alors que la travailleuse rapporte ne pas utiliser son membre supérieur droit. Dr Daoud alloue une atteinte permanente de 2 % pour atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles. Il a recommandé des limitations fonctionnelles.

[18] Le 25 mai 2011, la CSST rend une décision et déclare que le diagnostic de trouble d’adaptation est relié à la lésion professionnelle du 4 mars 2009. L’employeur demande la révision de cette décision qui est confirmée par la Direction de la révision administrative de la CSST (DRA), d’où la contestation à la CLP.

[19] Le 23 juin 2011, le Dr Serge Gauthier, psychiatre, examine la travailleuse à la demande de la CSST. La travailleuse mentionne que ses douleurs sont demeurées persistantes au niveau de tout le membre supérieur droit. Elle ne peut utiliser son bras droit. L’examen mental du Dr Gauthier est normal. Il note toutefois que l’humeur est de qualité anxieuse et triste, teintée d’irritabilité. Il retient un diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse et dépressive et consolide la lésion psychologique le 23 juin 2011. Il considère que la travailleuse conserve une atteinte permanente à son intégrité psychique de 15 % pour une névrose du groupe 2 modérée et des limitations fonctionnelles.

[20] Le 26 juillet 2011, le Dr René Laperrière, psychiatre, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il note que la travailleuse ne bouge pas le membre supérieur droit tout au long de l’examen et elle remplit le formulaire d’information avec la main gauche. Au début, elle fait de grands soupirs et parle lentement, mais au fur et à mesure que l’évaluation avance, la conversation devient limpide et la travailleuse est vive d’esprit. Dr Laperrière est d’avis que la travailleuse ne présente aucune symptomatologie anxiodépressive, phobique, obsessionnelle ou autre. Il ne peut retenir aucun diagnostic psychiatrique. En conséquence, il ne retient aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.

[21] Le même jour, Dr Laperrière produit un rapport médico-administratif après avoir visionné les vidéos de filature. Il a pu constater sur les enregistrements et lors de son évaluation que la travailleuse n’effectue pas de mimique montrant de la douleur. Elle peut faire des gestes avec son membre supérieur droit, ce qu’elle n’a pas fait lors de son évaluation. Autant elle a eu un geste vif et énergique à un moment dans son véhicule, autant elle a la répartie rapide et elle répond du tac au tac à ses questions. Dr Laperrière conclut que la travailleuse ne dit pas la vérité lorsqu’elle prétend ne pouvoir se servir de son membre supérieur droit.

[22] Le 23 août 2011, Dr Yves Bergeron, physiatre et expert pour la travailleuse, examine cette dernière et rapporte des ankyloses très importantes de l’épaule droite, soit 75 % de l’ensemble des amplitudes ainsi qu’un flexum du coude à 90 degrés qui peut être réduit à 60 degrés avec de la douleur.

[23] Les 24 et 25 août 2011, la travailleuse fait l’objet d’une nouvelle filature à l’initiative de l’employeur. La preuve vidéo révèle des images permettant de voir la travailleuse utiliser son bras droit avec des gestes fluides, souples et spontanés. Sur la bande vidéo, on aperçoit aussi la travailleuse à l’occasion marcher avec le bras droit replié sur elle. Elle manipule aussi des objets et des vêtements de ses deux mains.

[24] Le Dr Yvan Comeau, expert de l’employeur, analyse cette filature et conclut que la travailleuse adopte un comportement trompeur avec son propre expert, le Dr Bergeron, mais aussi avec les autres médecins et intervenants et il conclut à un état de normalité fonctionnelle.

[25] Le 20 octobre 2011, Dr Chartrand, médecin traitant, signe un rapport médical final dans lequel il indique que le trouble de l’adaptation et le trouble douloureux sont consolidés le même jour avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il précise que la travailleuse a besoin d’une psychothérapie de support. Le même jour, il rédige un rapport d’évaluation médicale, qu’il signe le 15 novembre 2011. Au chapitre des limitations fonctionnelles, le Dr Chartrand indique qu’il ne pense pas que la travailleuse est apte à un travail, quel qu’il soit sur une base régulière. Il évalue l’atteinte permanente à 15 %, soit pour une névrose modérée de groupe II.

[26] Le 22 décembre 2011, Dre Suzanne Benoit, psychiatre, membre du BEM, examine la travailleuse. Elle identifie un stresseur principal affectant la travailleuse, soit la douleur qui la prive de son bras droit. Cette dernière rapporte ne plus pouvoir rien faire, car elle est privée de son bras droit. Elle tient pour acquis que la travailleuse est porteuse d’une algodystrophie (syndrome douloureux régional complexe). En conclusion, Dre Benoit retient les diagnostics de trouble de l’adaptation avec symptômes anxio-dépressifs et trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et facteurs médicaux. La consolidation a été fixée au 23 juin 2011, avec une atteinte permanente évaluée à 15 % et des limitations fonctionnelles, soit une incapacité « de composer avec le stress dans des situations qui demandent une attention soutenue et une rapidité d’exécution ».

[27] Le 9 janvier 2012, la CSST rend une décision et reprend les conclusions émises par Dre Benoît, membre du BEM. Elle déclare que les diagnostics de trouble d’adaptation et de trouble douloureux sont reliés à la lésion professionnelle du 4 mars 2009 et que la lésion professionnelle psychologique est consolidée le 23 juin 2011. Elle déclare également que cette lésion entraîne une atteinte permanente à l’intégrité psychique et des limitations fonctionnelles. Finalement, la CSST déclare que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité à exercer son emploi. L’employeur demande la révision de cette décision. La DRA confirme cette décision, d’où la contestation de l’employeur à la CLP.

[28] Le 10 janvier 2012, la CSST déclare que la lésion professionnelle du 4 mars 2012 entraîne une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 15 %. À ce pourcentage s’ajoute 3 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie pour un total de 18 %. Elle déclare également que la travailleuse a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 11 590,74 $, plus les intérêts. L’employeur demande la révision de cette décision, mais elle est confirmée par la DRA le 10 février 2012. L’employeur conteste également cette décision.

[29] La travailleuse est congédiée le 20 février 2012 pour fausses déclarations et bris du lien de confiance.

[30] Le 22 mars 2012, la CSST détermine un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements qui pourrait procurer à la travailleuse un revenu annuel estimé à 25 027 $. Elle déclare également que la travailleuse est capable d’exercer cet emploi à compter du 21 mars 2012. L’employeur demande la révision de cette décision, mais elle est confirmée par la DRA le 13 juin 2012. L’employeur conteste également cette décision.

[31] Le 23 mars 2012, la CSST déclare que la travailleuse a droit de recourir à des services professionnels auprès d’un conseiller en emploi. L’employeur demande la révision de cette décision, mais elle est confirmée par la DRA le 13 juin 2012. L’employeur conteste également cette décision.

[32] Le 8 juin 2012, Dr Comeau, médecin désigné par l’employeur, produit un rapport administratif à la suite du visionnement de la vidéo de filature du 24 et 25 août 2011. Il conclut notamment que la travailleuse a menti aux différents évaluateurs et intervenants dans son dossier à l’effet qu’elle ne peut utiliser son bras droit.

[33] Le 15 juin 2012, l’employeur demande à la CSST la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse aux motifs qu’elle a donné des renseignements inexacts et simulé une incapacité fonctionnelle.

[34] Le 4 juillet 2012, la CSST refuse de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu requis par l’employeur. Celui-ci demande la révision de cette décision. La DRA la confirme, d’où la contestation de l’employeur à la CLP.

[35] Les 31 janvier 2012 et 15 février 2013, la CLP tient des audiences pour déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle psychologique et, si c’est le cas, pour déterminer les conséquences médicales soit le diagnostic, la date de consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, décider de la date de capacité à exercer son emploi prélésionnel ou un emploi convenable, du droit de recourir à des services de recherche d’emploi ainsi que de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[36] Le 7 août 2013, la CLP rend une décision (CLP1) dont les principales conclusions sont ainsi libellées dans le mémoire de l’employeur :

• les diagnostics en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009 à madame Claudette Monthervil sont une déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, une capsulite de l’épaule droite, une bursite de l’épaule droite;

• Ces lésions sont consolidées depuis le 22 avril 2010 avec suffisance de soins et traitements à cette date;

• Mme Claudette Monthervil n’a pas droit au paiement de frais de réadaptation pour certaines aides techniques, à des services de réadaptation en ergothérapie pour un transfert de dominance ni aux frais pour le grand ménage annuel et de peinture intérieure;

• Sur le plan physique, la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,2 %, mais sans limitation fonctionnelle;

• La travailleuse était capable d’exercer son emploi le 22 avril 2010;

• Le trouble de l’adaptation n’est pas en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009;

• Le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et médicaux est en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009;

• Cette lésion est consolidée depuis le 23 juin 2011 avec atteinte permanente à l’intégrité psychique de 15 % et les limitations fonctionnelles;

• La travailleuse n’est pas capable d’exercer son emploi prélésionnel et a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu;

• La travailleuse est capable d’exercer à compter du 21 mars 2012 l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements au salaire annuel estimé à 25 027 $;

• La travailleuse a droit à une ressource pour sa recherche d’emploi.

[37] CLP1 estime comme Dre Benoît, membre du BEM, que la travailleuse présente un trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et à des facteurs médicaux en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009. Elle retient que ce diagnostic indique que les douleurs de la travailleuse sont en partie liées à des facteurs psychologiques, ce qui signifie qu’en partie du moins, les douleurs de la travailleuse ont une composante non organique et sont donc subjectives. Elle est d’avis que la douleur de la travailleuse envahit son espace mental, et la place qu’elle y occupe et les perturbations qu’elle y entraîne occasionnent une amplification de la perception subjective de la douleur. Mais cela ne signifie nullement que la travailleuse ne souffre pas. La réalité de sa douleur n’est pas contestable et doit être reconnue. En se fondant sur la preuve vidéo, elle estime que bien que la travailleuse exagère ses symptômes, elle ne simule pas. Elle constate que la travailleuse protège son bras droit et le replie sur elle à l’occasion et utilise de façon préférentielle son bras gauche alors qu’elle est droitière. Elle reconnaît ainsi que la travailleuse a subi un changement de dominance et ne peut identifier aucun gain secondaire qui l’inciterait à simuler sa douleur.

[38] À l’instar des Drs Benoît et Gauthier, CLP1 retient que la lésion est consolidée depuis le 23 juin 2011. En raison du trouble douloureux et puisque la travailleuse a encore des éléments de souffrance psychologique qui perdurent, elle privilégie l’opinion de Dre Benoît quant au fait que la travailleuse conserve une atteinte permanente de 15 % pour une névrose de groupe 2. Les Drs Chartrand et Gauthier sont du même avis. CLP1 retient également l’opinion de Dre Benoît quant aux limitations fonctionnelles puisque son avis est basé sur les conséquences des symptômes douloureux, anxieux et dépressifs éprouvés par la travailleuse. En outre, CLP1 reconnaît un trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et médicaux en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009. La lésion est consolidée depuis le 23 juin 2011 avec atteinte permanente à l’intégrité psychique de 15 % et limitations fonctionnelles, soit l’incapacité de composer avec le stress dans des situations qui demandent une attention soutenue et une rapidité d’exécution. Enfin, CLP1 conclut que la travailleuse n’a pas la capacité de refaire son emploi prélésionnel, mais qu’elle est capable d’exercer un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements à compter du 21 mars 2012 et qu’elle a droit à une ressource pour sa recherche d’emploi.

[39] Le 4 septembre 2013, l’employeur dépose une requête en révision à la CLP en vertu de l’article 429.56 LATMP à l’encontre de CLP1 en ce qui concerne la reconnaissance de la lésion professionnelle psychologique, les conséquences médicales découlant de la lésion, de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi prélésionnel ou un emploi convenable, le droit à une ressource pour la recherche d’emploi ainsi que le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[40] Le 9 mai 2014, l’audition de la requête en révision a lieu. L’employeur et la travailleuse sont représentés par avocat.

[41] Le 20 novembre 2014, la juge administrative Esther Malo rend la décision CLP2 rejetant la requête en révision de l’employeur au motif que celui-ci n’a pas démontré que la décision CLP1 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, soit une erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige. Sous le titre « L’OBJET DE LA REQUÊTE », l’on peut lire ce qui suit :

« [7] L’employeur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 7 août 2013 et d’annuler le dispositif relatif au droit de la travailleuse de recourir à des services professionnels auprès d’un conseiller en emploi.

[8] De plus, l’employeur demande de déclarer que le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et médicaux n’est pas relié la lésion professionnelle du 4 mars 2009. Il demande également de déclarer sans effet les décisions rendues le 9 et le 10 janvier 2012 par la CSST à la suite de l’avis émis par le Bureau d'évaluation médicale le 2 janvier 2012.

[9] Aussi, l’employeur demande de déclarer que la travailleuse est capable d’exercer son emploi le 22 avril 2010. Par conséquent, il demande de déclarer sans effet les décisions rendues par la CSST le 22 et le 23 mars 2012. Ainsi, la décision du 22 mars 2012 détermine un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements à un salaire annuel estimé à 25 027 $ et déclare que la travailleuse est capable de l’occuper à compter du 21 mars 2012. Par ailleurs, la décision du 23 mars 2012 accorde à la travailleuse le droit à une ressource pour sa recherche d’emploi.

[10] Finalement, l’employeur demande de déclarer que l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse doit être suspendue en vertu du paragraphe 1° a) de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi). »

[42] Aux paragraphes 34 à 39, CLP2 résume ainsi la décision de CLP1 :

« [34] Le 7 août 2013, la première juge administrative rend une décision sur 11 requêtes. Elle déclare notamment que les diagnostics de la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009 sont une déchirure partielle de la coiffe des rotateurs, une capsulite et une bursite de l’épaule droite. Elle déclare également que ces lésions sont consolidées depuis le 22 avril 2010 avec suffisance de soins et traitements à cette date et que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,2 %, mais sans limitation fonctionnelle. Par conséquent, elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi depuis le 22 avril 2010.

[35] En l’espèce, la première juge administrative était aussi saisie de quatre autres litiges.

[36] En effet, la première juge administrative accueille en partie la première requête de l’employeur. Elle déclare que le trouble de l’adaptation n’est pas relié à la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009 à la travailleuse. Elle déclare également que celle-ci a droit de recourir à des services professionnels auprès d’un conseiller en emploi.

[37] La première juge administrative accueille en partie la deuxième requête de l’employeur. Elle déclare que le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et médicaux est relié la lésion professionnelle du 4 mars 2009, que cette lésion est consolidée depuis le 23 juin 2011 avec atteinte permanente à l’intégrité psychique de 15 %[9] et les limitations fonctionnelles suivantes : soit que la travailleuse est incapable de composer avec le stress dans des situations qui demandent une attention soutenue et une rapidité d’exécution. Elle déclare également que la travailleuse a droit à une indemnité pour préjudice corporel, qu’elle est incapable d’exercer son emploi prélésionnel et qu’elle a droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[38] La première juge administrative rejette la troisième requête de l’employeur. Elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer à compter du 21 mars 2012 l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements au salaire annuel estimé à 25 027 $ et qu’elle a droit à une ressource pour sa recherche d’emploi.

[39] Enfin, la première juge administrative rejette la quatrième requête de l’employeur. Elle déclare que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. »

[43] Ensuite la juge administrative formule ainsi une première prétention de l’employeur :

« [40] L’employeur soumet que la décision rendue par la première juge administrative comporte des erreurs, des contradictions graves et des vices de fond qui sont de nature à invalider toutes les conclusions relativement à la lésion psychologique. »

[44] Eu égard aux éléments essentiels des expertises pertinentes, CLP2 les reprend aux paragraphes 41 à 56.

[45] Au paragraphe 57, CLP2 énonce une seconde prétention de l’employeur en ces termes :

« [57] L’employeur prétend que la décision de la première juge administrative est déraisonnable lorsqu’elle déclare que le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et médicaux est relié la lésion professionnelle du 4 mars 2009. »

[46] De son analyse de la preuve et de CLP1, CLP2 conclut ainsi :

« [85] La Commission des lésions professionnelles considère donc que la décision de la première juge administrative retenant le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et à des facteurs médicaux s’appuie sur la preuve prépondérante qu’elle a appréciée, dont des vidéos de filature. Or, le recours en révision ne permet pas à un autre juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif.

[86] De plus, comme l’a mentionné la représentante de l’employeur, le dossier en l’espèce porte en grande partie sur une question de crédibilité de la travailleuse. L’appréciation de la crédibilité appartient justement à la première juge administrative. Par surcroît, la Commission des lésions professionnelles n’a pas relevé une erreur commise par la première juge administrative dans l’appréciation de la preuve. »

[47] En décembre 2014, l’employeur se pourvoit en révision judiciaire de CLP1 et CLP2. Concernant CLP1, sa requête ne porte que sur les conclusions à l’égard de la lésion psychologique, de ses conséquences médicales, de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi prélésionnel ou un emploi convenable, le droit à une ressource pour sa recherche d’emploi et du droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Elle allègue que CLP1 est notamment déraisonnable en ce qu’elle retient l’opinion du membre du BEM, la psychiatre Dre Suzanne Benoît, essentiellement contraire à l’ensemble de la preuve et basée sur une prémisse totalement fausse, soit le fait que la travailleuse ne peut se servir de son membre supérieur droit.

[48] Eu égard à CLP2, la requête allègue que vu le caractère déraisonnable de CLP1, la décision CLP2 doit nécessairement subir le même sort.

[49] Le 10 février 2016, la requête en révision judiciaire est instruite.

ANALYSE

1. Le droit

1.1 Norme de contrôle

[50] La première étape consiste à identifier la norme de révision applicable et ensuite à vérifier si les décisions de la CLP répondent aux exigences de la norme ainsi déterminée.

[51] Dans l'arrêt Nor-Man Regional Health Authority inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionnals inc.[2], la Cour suprême rappelle l'approche à adopter par la cour de révision :

« [30] L’arrêt Dunsmuir établit clairement qu’il « n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle » (par. 57). En effet, la cour de révision doit vérifier d’abord « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (Dunsmuir, par. 62; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 160 , par. 24). C’est seulement « lorsque cette démarche se révèle infructueuse, [que le tribunal] entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle » (Dunsmuir, ibid.). »

[52] En l'espèce, les parties ont reconnu que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision raisonnable par opposition à la décision correcte. Cela est conforme aux principes établis par la Cour suprême dans l'arrêt Dunsmuir[3].

[53] Quant au caractère raisonnable d'une décision, la Cour suprême en donne la qualification suivante dans l'arrêt Dunsmuir[4] :

« [47] […] La Cour de révision se demande dès lors si cette décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

[54] Dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Khosa[5], la Cour suprême s'est penchée de nouveau sur la norme de raisonnabilité. On y lit notamment ce qui suit :

« [59] La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. »

[55] Dans l'arrêt Nor-Man Regional Health Authority inc. précité[6], la Cour suprême a repris les propos du juge Le Bel dans Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal[7] :

« [l]e concept de raisonnabilité de la décision s'entend d'abord de la transparence et de l'intelligibilité des motifs justifiant cette décision. Mais, il exprime aussi une exigence de qualité de ces motifs et des résultats du processus décisionnel. »

[56] Dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles[8], postérieur à l'arrêt Dunsmuir, la Cour d'appel a confirmé que la norme applicable à une décision de la CLP statuant sur une décision de la CSST est celle de la décision raisonnable.

[57] Dans l'arrêt Chevalier c. Commission de la santé et de la sécurité du travail[9], postérieur à l'arrêt Dunsmuir, la Cour d'appel a jugé que la norme de raisonnabilité s'applique tant aux décisions de la CLP se penchant sur le processus décisionnel de la CSST, la procédure d'évaluation médicale et son droit de reconsidérer en révision une décision rendue par elle en première instance.

[58] Enfin, dans l'affaire Ganotec Mécanique inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail[10], postérieure à l'arrêt Dunsmuir, la Cour d'appel a appliqué la norme de la raisonnabilité aux décisions de la CLP tant en première instance qu'en révision.

[59] C’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique ici.

1.2 L’expertise de la CLP

[60] Dans l’arrêt Domtar[11], la Cour suprême a énoncé ce qui suit relativement à l’expertise de la CLP :

« […] Tout en comptant parmi les dispositions législatives sur lesquelles la CALP a le pouvoir explicite de se prononcer, l'art. 60 L.A.T.M.P. fait appel a des notions qui sont au c{oe}ur de son domaine d'expertise, soit l'incapacité, la lésion professionnelle et le régime d'indemnisation complexe instauré par le législateur québécois. L'interprétation de l'art. 60 par la CALP constitue donc une fonction qui participe directement à l'objectif poursuivi par le législateur: permettre à un tribunal administratif de disposer, en dernier ressort, des décisions des instances inférieures en interprétant sa loi constitutive de façon finale. »

[61] De la même manière, dans l’arrêt General Motors du Canada ltée c. André Bousquet[12], le juge Dalphond écrit ce qui suit au nom de la Cour d’appel :

« [28] Ensuite, je retiens de mon analyse de la LATMP que l'expertise de la CLP et de ses membres a trait à l'indemnisation des accidentés du travail, au financement du programme et à la gestion du système d'indemnisation; dans ces domaines, cette expertise dépasse largement celle de la Cour supérieure, ce qui milite aussi pour de la retenue lorsque la nature du problème soulevé en révision judiciaire s'y rattache. »

[62] Dans Ambellidis c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail)[13], le juge Dalphond énonçait ce qui suit relativement à l'objet général du régime législatif dans lequel s'inscrit la CALP :

« Quant aux objets de la LATMP dans son ensemble, soit un régime d'indemnisation des victimes d'un accident de travail, et de ses dispositions relatives à la CLP, ils font ressortir que la CLP est le seul organisme compétent en matière d'adjudication de litige relatif à l'indemnisation d'un travailleur et que le système est conçu pour procéder rapidement sans égards à la faute du travailleur. De tels objectifs ne pourraient être réalisés si la Cour supérieure ne faisait pas preuve de retenue. »

[63] Dans Gagné c. Pratt & Whitney Canada[14], le juge Doyon de la Cour d'appel ajoute :

« Si la Loi veut que tous les cas qui le méritent soient indemnisés, elle veut aussi qu'un organisme désigné à cette fin, dont la compétence en la matière est exclusive, tranche cette question à l'abri de l'intervention d'un tribunal judiciaire. »

[64] La juge Nicole Morneau de la Cour supérieure affirme également ceci dans Griffiths c. Commission des lésions professionnelles[15] :

« La CLP détient un haut niveau d'expertise compte tenu de la particularité des formations appelées à siéger en matière de prévention et d'indemnisation. Le législateur a donné à la CLP un caractère paritaire. Celle-ci comporte parmi ses membres, des personnes issues des associations patronales et syndicales nommées par le gouvernement. S'ajoute à cette formation, la présence fréquente d'un assesseur médical qui peut conseiller le commissaire sur toute question de nature médicale comme ce fût d'ailleurs le cas dans la présente affaire.

[…]

Elle est l'organisme le plus compétent pour déterminer toute question relative à la capacité du travailleur d'exercer son emploi.

(références omises) »

2. Application de la norme aux motifs invoqués

[65] Il y a lieu d’examiner d’abord la décision CLP1 en contestation du 7 août 2013 et, ensuite, celle de CLP2 en révision du 20 novembre 2014.

[66] Cela dit, la CLP a-t-elle résolu d’une manière raisonnable les questions qui lui étaient posées?

2.1 La décision initiale CLP1

[67] Dans son mémoire, l’employeur invoque deux motifs pour lesquels la décision CLP1 doit être révisée. D’abord, il y voit une contradiction évidente et déterminante entre les motifs et conclusions concernant la lésion physique et ceux concernant la lésion psychologique rendant la décision déraisonnable et ne faisant pas partie des issues possibles acceptables compte tenu des faits et du droit. Ensuite, il reproche à CLP1 d’avoir soit ignoré soit écarté sans motivation la seule preuve psychiatrique provenant d’un médecin ayant pu prendre connaissance de la preuve vidéo. L’employeur soutient que CLP1 a décidé, sans aucune preuve médicale, la seule preuve psychiatrique étant le rapport du Dr René Laperrière, médecin de l’employeur qui analyse le comportement de la travailleuse sur la vidéo de filature et qui conclut qu’aucune maladie psychiatrique ne peut expliquer une telle situation.

[68] À l’opposé, la travailleuse soutient qu’il n’y a pas matière à révision.

[69] Le Tribunal doit se demander s’il était déraisonnable pour la CLP en contestation de conclure, comme la docteure du BEM, que la travailleuse présente un trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et à des facteurs médicaux en lien avec la lésion professionnelle survenue le 4 mars 2009, de retenir que les douleurs de la travailleuse sont partiellement liées à des facteurs psychologiques, qu’elles ont en partie du moins une composante organique et sont donc injectives, que la douleur de la travailleuse envahit son espace mental et la place qu’elle y occupe et les perturbations qu’elle y entraîne occasionnant une amplification de la perception subjective de la douleur, de considérer que la réalité de la douleur n’est pas contestable et doit être reconnue.

[70] Que les questions à trancher soient au cœur de la compétence de la CLP ne soulèvent pas la controverse. Cela étant, l’employeur doit démontrer que la CLP a commis une erreur déraisonnable au regard de la preuve administrée[16]. Que ce genre de décision commande de la retenue de la part du juge de révision judiciaire est établi depuis longtemps[17].

[71] La contestation dont a été saisie la CLP a été déposée en vertu de l'article 359 LATMP et relevait de sa compétence exclusive (art. 369 LATMP).

[72] Selon l'article 377 LATMP, la CLP possède un large pouvoir décisionnel, dont celui de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence. Elle peut, en outre, confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.

[73] La contestation de l'employeur appelait la CLP à statuer sur l'existence ou non d'une relation causale entre le diagnostic du BÉM et l'événement du 4 mars 2009.

[74] Le Tribunal ne peut suivre l’employeur quand celui-ci l’invite à substituer sa propre appréciation à celle de la CLP notamment en ce qui concerne l’évaluation de certains faits et la crédibilité de la travailleuse. L’examen de la décision permet de constater que la détermination de la CLP, selon laquelle la travailleuse était crédible, n’a pas été faite dans un vide factuel. De plus, cette interprétation n’était pas déraisonnable[18]. La conclusion retenue à l’égard de la crédibilité de la travailleuse est motivée, intelligible et s’appuie sur des éléments de preuve au dossier. Elle constitue une issue possible.

[75] Quant au lien causal entre le diagnostic du BEM et l’événement du 4 mars 2009, la CLP est un tribunal spécialisé, cette question se situe au cœur de sa compétence et il lui était loisible de conclure comme elle l’a fait. À n’en pas douter, sa décision fait partie des conclusions raisonnables possibles. En l’absence de preuve d’erreur déraisonnable, il n’y a pas lieu d’intervenir.

[76] L’employeur réitère que CLP1 aurait dû donner plus de poids au témoignage du Dr Laperrière. Rien ne permet pourtant de remettre en cause la décision de la CLP de retenir l’opinion de la Dre Benoît qui s’appuie sur la preuve y compris celle par vidéo.


[77] Concernant les reproches formulés à CLP1, le Tribunal fait siens les propos suivants de CLP2 :

« [74] La travailleuse ne présentant pas d’impotence fonctionnelle, la première juge administrative conclut qu’elle est capable d’exercer son emploi à compter du 22 avril 2010.

[75] Par contre, la première juge administrative retient le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et à des facteurs médicaux. Sa décision s’appuie d’abord sur le fait que le diagnostic lui-même indique que les douleurs de la travailleuse sont en partie liées à des facteurs psychologiques. Cela signifie que les douleurs de la travailleuse ont en partie une composante non organique et sont donc subjectives.

[76] La première juge administrative explique qu’il y a une interaction réciproque entre le psychique et le physique. La douleur envahit l’espace mental. La place qu’elle y occupe et les perturbations qu’elle y entraîne occasionnent une amplification de la perception subjective de cette douleur.

[77] L’appréciation de la preuve faite par la première juge administrative l’amène à considérer que tout a basculé à la suite des arthrographies distensives subies par la travailleuse. Celle-ci constate que sa condition s’aggrave encore plus et que les traitements ne fonctionnent pas.

[78] À partir de la vidéo de filature, la première juge administrative estime que la travailleuse ne simule pas. Pour conclure ainsi, la première juge administrative retient que la travailleuse, ne sachant pas qu’elle est observée, effectue le geste de protéger son bras droit et de le replier sur elle-même, malgré le fait qu’elle utilise son membre supérieur droit pour effectuer plusieurs tâches. Elle utilise aussi de façon préférentielle son membre supérieur gauche, ce qui peut se traduire par une gêne fonctionnelle ou de la douleur, comme l’a indiqué le docteur Comeau.

[79] D’ailleurs, le docteur Comeau précise lui-même dans son rapport complémentaire du 22 novembre 2010, à la suite du visionnement de la vidéo de filature d’octobre 2010, que la travailleuse semble utiliser de façon préférentielle le membre supérieur gauche au droit pour les manipulations des charges. Elle semble se comporter comme une gauchère et utiliser de façon préférentielle son membre supérieur gauche.

[80] Tous ces indices ont été considérés par la première juge administrative lorsqu’elle retient le diagnostic de trouble douloureux. Elle précise que la réalité de la douleur de la travailleuse n'est pas contestable et doit être reconnue.

[81] Par ailleurs, la première juge administrative est d’avis que la preuve prépondérante n’établit pas que la travailleuse a sciemment menti en raison de gains secondaires. Sa condition psychologique explique plutôt ses comportements et ses réactions.

[82] Par conséquent, le tribunal estime qu’il n’y a pas d’incohérence ni contradiction entre les conclusions retenues par la première juge administrative sur la lésion physique et celles sur la lésion psychologique. De plus, une lésion physique consolidée n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion psychologique qui se manifesterait par la suite.

[83] Pour tous ces motifs amplement expliqués plus haut, la Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas la prétention de l’employeur soutenant qu’il y a une contradiction flagrante entre deux conclusions posées par la première juge administrative, soit celle que la preuve médicale et la vidéo démontrent que l’impotence fonctionnelle de la travailleuse est factice sur le plan physique, alors qu’elle retient sur le plan psychologique l’opinion de la docteure Benoît qui s’appuie sur cette même impotence fonctionnelle. La décision de la première juge administrative est motivée et elle explique les fondements de ses conclusions.

[84] Il en est de même avec la contradiction alléguée par l’employeur entre la conclusion posée par la première juge administrative mentionnant que les douleurs de la travailleuse n’ont pas de base organique mais subjective, avec sa conclusion écartant le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe de type 1. Le tribunal a amplement déjà expliqué qu’il y a une nette distinction entre le diagnostic de trouble douloureux et le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe de type 1.

[85] La Commission des lésions professionnelles considère donc que la décision de la première juge administrative retenant le diagnostic de trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques et à des facteurs médicaux s’appuie sur la preuve prépondérante qu’elle a appréciée, dont des vidéos de filature. Or, le recours en révision ne permet pas à un autre juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif. »

[78] Enfin, concernant la qualité des motifs, elle ne relève pas de l’équité procédurale mais bien du caractère raisonnable de la décision. Les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir dans la mesure où ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables[19]. En somme, le Tribunal considère que derrière le débat sur la motivation se cache davantage l’expression très facilement perceptible du désaccord sur le résultat.

[79] En conséquence, le Tribunal juge que la décision CLP1 se situe dans les limites de sa compétence et ne montre pas d’éléments pouvant justifier une intervention de sa part. La juge administrative a exposé en détail la preuve, les prétentions des parties et son analyse. Ses motifs « sont non seulement transparents et intelligibles, mais aussi cohérents »[20], « sa décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.[21] ». En conséquence, il n’y a pas matière à intervenir.

[80] Cette conclusion défavorable à l’employeur n’écarte toutefois pas la possibilité qu’une autre formation de la CLP aurait pu analyser la preuve différemment et apporter une solution différente comme en faisait état la Cour d’appel sous la plume du juge Morissette dans l’arrêt Béton Brunet[22] :

« [41] Le rôle du premier décideur n’est pas d’emporter l’adhésion enthousiaste de toutes les parties qui s’affrontent devant lui mais d’apporter une solution raisonnable à un différend qui survient en application de la loi. Or, on ne mesure pas toujours tout ce qu’implique ce principe pourtant fermement ancré en droit administratif. Il implique notamment ceci. Dès lors qu’une pluralité de critères est en jeu, que chacun d’entre eux relève en priorité de l’appréciation de ce décideur, et qu’il se dégage de part et d’autre du litige quelque chose comme une équipollence des propositions, il faut accepter qu’un « résultat faisant partie des issues possibles » puisse consister en une chose de même que son contraire. […] »

2.2 La décision en révision (CLP2)

[81] CLP2 rejette les moyens avancés par l’employeur et expose pleinement et correctement sa motivation.

[82] L'article 429.56 LATMP confère à la CLP un pouvoir de révision d'une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu, notamment « lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision ».

[83] À la lumière des enseignements précités, le Tribunal doit se demander si la décision de la CLP en révision était déraisonnable.

[84] À la lecture de cette décision, il ressort clairement que la CLP en révision est fort consciente de son champ de compétence. Elle se pose la question de savoir si la décision du Commissaire est entachée d'un vice de fond ou de procédure et conclut que l'employeur n'a pas déchargé son fardeau de prouver un tel vice de nature à l'invalider.

[85] À tout bien considérer, le Tribunal juge que la CLP en révision n'a commis aucune erreur de compétence et que sa décision possède les attributs de la raisonnabilité. En conséquence, il n'y a pas matière à intervenir.



PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[86] REJETTE la requête avec frais de justice en faveur de la mise en cause mais sans frais contre le défendeur.



__________________________________
CLÉMENT TRUDEL, j.c.s.

Me Lise-AnneDesjardins
Monette Barakett
pour la demanderesse

Me Émilie Lessard
Verge Bernier
pour le défendeur

Me Steve Marsan, Avocat
Marsan avocats inc.
pour la mise en cause

Date d’audience :
10 février 2016

AVIS AUX PARTIES

Rappel du 1er alinéa de l'article 331.9 C.p.c. :

Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites une fois l'instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.



[1] Le Tribunal administratif du Travail (TAT) est substitué à la Commission des lésions professionnelles (CLP) et la Commission des relations du travail (CRT), en acquiert les droits et en assume les obligations depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail » (R.L.R.Q,. c. T-15.1, a. 255).
[2] 2011 CSC 59 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 616.
[3] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190.
[4] Id., par. 47.
[5] 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339.
[6] Précité note 2, par. 57.
[7] 2010 CSC 14 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 427, par. 38.
[8] D.T.E. 2008T-507 (C.A.).
[9] 2008 QCCA 1111 (CanLII).
[10] 2008 QCCA 1753 (CanLII).
[11] 1993 CanLII 106 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 756, 774.
[12] 2003 CanLII 36209 (QC CA), [2003] R.J.Q. 3075 (C.A.).
[13] [2006] no AZ-50399362 (C.S.), conf. par D.T.E. 2008T-1 (C.A.).
[14] D.T.E. 93T-1279 (C.S.).
[15] D.T.E. 99T-711 (C.S.).
[16] Marcoux c. Terrassement Portugais, 2013 QCCA 482 (CanLII), par. 9.
[17] Welch c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, J.E. 98-424 (C.A.).
[18] Réseau de transport de la Capitale c. Bédard, 2010 QCCA 2160 (CanLII), par. 10.
[19] Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor),
2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 708, 716; dans Commission scolaire de la Riveraine c. Dupuis, 2012 QCCA 626 (CanLII),
par. 21.
[20] Précité note 2, par. 58.
[21] Précité note 3, par. 47.
[22] Béton Brunet ltée c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), section locale 700, 2015 QCCA 188 (CanLII); cité dans Commission scolaire des Premières-Seigneuries c. Commission des lésions professionnelles, 2016 QCCS 44 (CanLII).