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R. c. Cauchon

no. de référence : 500-17-066431-118

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
« Chambre criminelle et pénale »
N° :
505-01-075993-085

DATE :
26 février 2016
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE MONSIEUR LE JUGE PIERRE BÉLISLE, J.C.Q.
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SA MAJESTÉ LA REINE

Poursuivante

c.

LUC CAUCHON

Accusé

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JUGEMENT
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1. Introduction
[1] Monsieur Luc Cauchon (accusé) a subi son procès sous des accusations de conduite d’un véhicule à moteur avec une capacité affaiblie par l’effet de l’alcool et d’alcoolémie dépassant la limite légale.

[2] À l’ouverture de son procès, l’accusé a présenté une requête en exclusion de la preuve au motif que son droit à l’assistance de l’avocat de son choix a été enfreint. Cette requête a été rejetée le 30 juin 2009 (2009 QCCQ 6604 (CanLII)).

2. Contexte factuel
[3] Le 25 avril 2008, vers 2 heures, Monsieur Christian Lapanne circule sur le pont Champlain à bord d’un camion de livraison. Il freine pour ne pas frapper une Jeep rouge conduite par l’accusé qui ne lui a pas cédé le passage. Puis, il suit le véhicule qui louvoie de droite à gauche, zigzague et ne tient pas sa voie. À six reprises, il vient près de frapper le parapet. M. Lapanne compose le no 911 pour signaler l’incident au service de police. Il continue ensuite de suivre le véhicule sur une distance de 7 à 8 km.

[4] Vers 2 h 40, l’agent Sylvain Hotte de la Sûreté du Québec reçoit un appel concernant une conduite « erratique ». Circulant sur l’autoroute 10, près de la 30, il intercepte le véhicule de l’accusé. À 2 h 49, il lui donne l’ordre de fournir un échantillon d’haleine dans un appareil de détection approuvé. Le résultat indique « Fail ». À 2 h 52, il procède à son arrestation et lui fait lecture de ses droits. Ensuite, il le somme de le suivre au poste de police pour obtenir les prélèvements d’échantillons d’haleine requis par la loi.

[5] Les résultats de l’éthylomètre révèlent des concentrations sanguines d’alcool de 129 mg% et de 120 mg% dans l’organisme de l’accusé, à 3 h 50 et à 4 h 11.

[6] Lors de l’intervention policière, l’accusé a affirmé qu’il arrivait du bar La Boom. Il disait avoir consommé deux bières de marque Molson Ex. Il prétendait être très fatigué. L’agent Hotte a constaté que la remise de ses documents était un peu lente. Ses yeux étaient vitreux. Une odeur d’alcool se dégageait de son véhicule. Il s’est appuyé sur la portière en sortant de son véhicule. Il marchait à petits pas et zigzaguait légèrement de gauche à droite pour se rendre au poste. À cet endroit, son langage est devenu plus pâteux. Ses yeux étaient très rougis.

[7] L’accusé a témoigné au soutien de sa défense. Journaliste à la radio de profession, il s’est rendu au bar La Boom pour animer une soirée lors d’un match de hockey opposant les Canadiens aux Flyers de Philadelphie. La direction de l’établissement lui a remis sept coupons aux fins de consommation. Il a pris sept bières de marque Coors Light de 18 h 00 à 1 h 00. Il a quitté le bar vers 3 h 15-3 h 20.

[8] L’accusé s’était levé à 6 h 00. Son horaire était très chargé. Il était très fatigué[1], souligne-t-il. Il a pris des comprimés de Tylénol après le souper pour soulager les symptômes de la grippe. Il reconnaît avoir avalé le contenu d’une petite bouteille de Listerine lorsque l’agent de la paix est retourné à son véhicule de patrouille.

[9] Au cours de son témoignage, il a expliqué les manœuvres observées par le témoin civil et les indices d’ébriété constatés par l’agent de la paix.

[10] Comme l’événement s’est produit avant les amendements législatifs du 2 juillet 2008, la défense de type « Carter » est encore possible à condition que son scénario de consommation soit crédible et que la preuve contraire soumise tende à soulever un doute que son alcoolémie était inférieure à la limite légale au moment de l’infraction.

3. Analyse et discussion
[11] La question de savoir si la preuve d’expert[2] « tend à démontrer » que l’alcoolémie de l’accusé ne dépassait pas 80 mg% au moment des faits reprochés se pose uniquement si le témoignage de l’accusé à propos de sa consommation est jugé digne de foi : R. c. Gibson, 2008 CSC 16 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 397, paragr. 18.

[12] En l’espèce, la version de l’accusé ne peut-être retenue. Il n’est pas crédible et son témoignage n’est pas fiable. Voici pourquoi.

[13] Lors de son interpellation, de même qu’au poste de police où un scénario de consommation a été complété, l’accusé a déclaré avoir consommé deux bières Molson Ex. À l’audience, il mentionne être convaincu qu’on faisait référence au nombre de consommations prises depuis minuit alors que rien de cela n’apparaît sur le document rédigé par l’agent de la paix. En outre, il relate avoir consommé sept bières Coors Light. Il ne parle plus de Molson Ex. Il soutient qu’il parlait de la marque Molson. De telles affirmations ne sont pas crédibles.

[14] Molson Ex est une sorte de bière et non la marque de commerce de l’entreprise. Sa version diffère sur le nombre de consommations et la sorte de bière. De plus, je ne le crois pas lorsqu’il dit avoir avalé le contenu d’une petite bouteille de Listerine pour être poli[3] face au policier qui l’avait intercepté. La seule conclusion rationnelle que l’on puisse en tirer est qu’il voulait camoufler l’odeur d’alcool provenant de son haleine. Ses contradictions sur la quantité d’alcool consommée et la sorte de bière affectent sa crédibilité et rendent son témoignage non fiable.

[15] Monsieur Mario Soucy, technicien opérateur pour les « Justiciers masqués », a passé la soirée au club La Boom. Il agissait à titre de Disc Jockey (DJ). Il relate avoir reçu quatre à cinq coupons pour sa consommation d’alcool, mais ignore le nombre de boissons prises par l’accusé. Par conséquent, son témoignage ne lui est d’aucun secours.

[16] L’expert Vallée base son évaluation sur une consommation de sept petites bières de marque Coors light entre 18 h 00 et 1 h 00. S’ajoutent à cela, les ¾ d’une bouteille de rince-bouche de marque Listerine Cool Mint contenant 95 ml à 21.6% d’alcool par volume. Considérant une vitesse moyenne d’élimination de l’alcool de 15 mg% par heure, l’alcoolémie calculée de l’accusé serait nulle au moment de l’infraction reprochée. Si sa vitesse d’élimination est de 10 mg%, l’alcoolémie se situerait entre 25 mg% et 30 mg%. Par ailleurs, si on ajoute l’ingurgitation du rince-bouche, l’alcoolémie calculée serait de 45 mg%.

[17] Dans les circonstances, un taux d’alcoolémie à 0 mg% est invraisemblable.

[18] Comme le témoignage de l’accusé à propos de sa consommation n’est pas retenu, la preuve d’expert concernant son alcoolémie au moment de l’infraction n’a aucune force probante puisque le fondement factuel sur lequel elle repose n’est pas digne de foi : Gibson, précité, paragr. 18.

[19] Par conséquent, la preuve contraire soumise ne soulève aucun doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé quant au chef d’accusation de conduite avec une alcoolémie excessive. Elle ne tend pas à démontrer que l’alcoolémie de l’accusé était inférieure à la limite légale au moment de l’infraction.

[20] Reste à déterminer si le degré d’affaiblissement de la capacité de conduire par l’effet de l’alcool a été établi hors de tout doute raisonnable.

[21] La Cour suprême du Canada dans R. c. Stellato, 1994 CanLII 94 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 478 et la Cour d'appel du Québec dans R. c. Aubé, 1993 CanLII 4143 (QC CA), 1993 CanLII 4143 (QC C.A.), (1993), 85 C.C.C. (3d) 158 énoncent que la poursuite doit établir, hors de tout doute raisonnable, que la capacité de conduire de l'accusé était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue, et pas davantage. Cette infraction n'exige pas que l'affaiblissement de la capacité constitue un écart marqué par rapport à un comportement normal. Un affaiblissement même léger suffit pour démontrer la commission de l’infraction : R. v. Stellato, 1993 CanLII 3375 (ON CA), 78 C.C.C. (3d) 380, p. 384 (C.A. Ont.); R. v. Andrews, 1996 ABCA 23 (CanLII), 104 C.C.C. (3d) 392, p. 402 (C.A. Alta). Cependant, cela nécessite la preuve hors de tout doute raisonnable que l’alcool est la cause de l’état d’incapacité : R. c. Jobin, REJB 2002-30661, [2002] J.Q. no 575, paragr. 35 (C.A. Qué.).

[22] Cela étant, dans R. c. Poulin, 2008 QCCQ 7791 (CanLII), au paragr. 30, le juge Vauclair, aujourd’hui juge à la Cour d’appel, mentionne que « la jurisprudence reconnaît que l’alcool ou la drogue n’ont pas à être l’unique cause de l’affaiblissement des capacités de conduire. Un mélange d’alcool et de fatigue peut être suffisant pour conclure à la culpabilité, tout comme un mélange d’alcool, de médicaments et de fragilité émotive. L’important est de conclure hors de tout doute raisonnable que l’alcool ou la drogue est un facteur qui contribue à l’affaiblissement des capacités de conduire » (références omises).

[23] Dans R. c. Guillemette, 2011 QCCS 1964 (CanLII), au paragr. 17, le juge Vauclair, alors juge à la Cour supérieure du Québec, ajoute que « [l]e ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’habileté de conduire de l’accusé est affaiblie légèrement par l’alcool ou une drogue conformément à l’arrêt R. c. Stellato, précité, la question n’étant pas de savoir si l’habileté générale d’une personne est affaiblie ». Au paragr. 15, il spécifie que le juge d’instance avait raison de faire référence au véritable test applicable en la matière, à savoir :

[15] […] [L]es facultés de conduire de l’intimé étaient-elle affaiblies un tant soit peu par l’alcool ?

[Caractères gras dans le texte]

[24] M. Lapanne, chauffeur de camion, a suivi le véhicule sur le pont Champlain. Il l’a vu zigzaguer à plusieurs reprises. Il ne tenait pas sa voie. Il a manqué de frapper le parapet à six reprises. Il a failli « pogner » une clôture. Il a fait plusieurs louvoiements. Il l’a suivi sur une distance de 7 à 8 km, ajoute-t-il.

[25] L’accusé admet être un conducteur imprudent même sans avoir consommé d’alcool. « Je suis un artiste, je suis dans ma tête », précise-t-il. M. Sébastien Quirion connaît l’accusé depuis l’enfance. Il a souvent occupé la place du passager dans son véhicule. Il lui a rappelé à plusieurs reprises de ne pas regarder ses messages texte. Il confirme que l’accusé a été impliqué dans plusieurs accrochages avec son véhicule.

[26] L’accusé explique sa conduite erratique. Son téléphone portable était sur le siège du passager. Chemin faisant, il est tombé par terre. En essayant de le ramasser, il a perdu la route de vue. Il a alors effectué des manœuvres dangereuses sur l’autoroute Bonaventure. Il était extrêmement penché. Il a néanmoins été capable de s’étirer pour récupérer son téléphone. C’était très dangereux, dit-il. Il a finalement appelé sa conjointe sur le pont Champlain[4].

[27] En conduisant d’une façon dangereuse pour la sécurité du public, l’accusé a fait preuve d’un manque flagrant de jugement. La conduite erratique, décrite par M. Lapanne et observée sur plusieurs kilomètres, ne résulte pas que de ses manœuvres dangereuses, mais aussi de l’affaiblissement de son habileté de conduire par un mélange combiné d’alcool et de fatigue : R. v. Malhotra, 2001 SKCA 105 (CanLII).

[28] L’agent Hotte avait certes des soupçons raisonnables suffisants pour ordonner à l’accusé de se soumettre à un contrôle routier pour vérifier la présence d’alcool dans son organisme. D’autres symptômes révélateurs se sont cependant manifestés après l’échec au test de dépistage[5], comme marcher légèrement en « zigzag» de gauche à droite en plus de noter que son langage était plus pâteux. De plus, une fois rendu au poste de police, il se tenait la tête entre les deux tests et se disait victime d’un complot croyant à tort que les policiers l’avaient reconnu parce qu’il conduisait un véhicule lettré au nom de la station CKOI-FM. Or, il a reconnu que tel n’était pas le cas en l’espèce.

[29] L’effet cumulatif des éléments mis en preuve permet d’inférer raisonnablement que l’absorption d’alcool a été un facteur contributif à l’affaiblissement de sa capacité de conduire un véhicule à moteur, et ce, plus que légèrement.

4. Conclusion
[30] Pour toutes ces raisons, je conclus que la poursuite a également démontré hors de tout doute raisonnable que l’habileté de conduire de l’accusé était affaiblie par l’effet de l’alcool.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[31] DÉCLARE l’accusé coupable des deux chefs d’accusation libellés à la dénonciation.

[32] ORDONNE, en raison de la règle prohibant les condamnations multiples, l’arrêt conditionnel des procédures sur le 1er chef.



__________________________________
PIERRE BÉLISLE, J.C.Q.

Me Tiziana Daniele
Procureure aux poursuites criminelles et pénales
Pour la poursuivante

Me Marc-Antoine Carette
Me Steven G. Slimovitch
Pour l’accusé

Dates d’audience :
28 avril 2009, 30 juin 2009, 25 février 2014,16 juin 2015, 16 octobre 2015 et 26 février 2016