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Arrêt Clinique OVO (Cour d'Appel du Québec)

no. de référence :


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-020211-090
(500-17-035634-073)

DATE :
LE 21 JUIN 2010


CORAM :
LES HONORABLES
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
ANDRÉ ROCHON, J.C.A.
FRANÇOIS DOYON, J.C.A.


CLINIQUE OVO INC.
APPELANTE - INTIMÉE INCIDENTE – Défenderesse
c.

CURALAB INC.
INTIMÉE – APPELANTE INCIDENTE – Demanderesse
et
LABORATOIRES CDL INC.
Défenderesse


ARRÊT


[1] LA COUR; -Statuant sur l'appel et l'appel incident d'un jugement rendu le 12 novembre 2009 par la Cour supérieure, district de Montréal (Mme la juge Hélène Le Bel), qui a accueilli en partie la requête de l'intimée en rejet de la défense, en dommages punitifs et en remboursement d'honoraires et débours extrajudiciaires (art. 54.1 et suivants du Code de procédure civile) et condamné l'appelante à payer 7 500 $ à l'intimée, avec les dépens;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs du juge Chamberland, auxquels souscrivent les juges Rochon et Doyon :

[4] REJETTE l'appel incident, avec dépens; et

[5] REJETTE l'appel principal, avec dépens également, mais avec les débours encourus pour la confection de l'exposé de l'intimée (exposé et documents tenant lieu de mémoire) limités à un tiers (1/3) de ceux-ci.





JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.





ANDRÉ ROCHON, J.C.A.





FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

Me Michel La Roche
LA ROCHE, ROULEAU & ASSOCIÉS
Pour l'appelante – intimée incidente

Me Réna Kermasha
HEENAN, BLAIKIE
Pour l'intimée – appelante incidente

Me Eric Azran
STIKEMAN, ELLIOT
Pour Laboratoires CDL inc.

Date d’audience :
9 avril 2010



MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND


[6] Avec la permission d'un juge de la Cour (j. Rochon, 18 décembre 2009), l'appelante interjette appel d'un jugement qui, tout en refusant de conclure au rejet de sa défense, accueille en partie la requête de l'intimée et la condamne à payer 7 500 $ « à titre de dommages punitifs et en remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires » (Mme la juge Hélène Le Bel, séance tenante, le 12 novembre 2009).

[7] Le 30 décembre 2009, l'intimée Curalab inc. formait un appel incident. Elle soutient qu'après avoir reconnu que certains des documents produits par l'appelante en réponse aux engagements pris lors d'un interrogatoire après défense étaient insatisfaisants, la juge de première instance n'avait pas d'autre choix que de conclure à un refus de se soumettre à l'interrogatoire et partant, au rejet de la défense.

[8] Le jugement dont appel s'inscrit dans le cadre d'un recours en dommages-intérêts de plus de trois millions de dollars par l'intimée contre l'appelante.

[9] La défense précisée et amendée de l'appelante date du 14 janvier 2009; elle compte 138 paragraphes. Cette défense a donné lieu à l'interrogatoire du Dr François Bissonnette, le 24 mars 2009. Les objections formulées lors de cet interrogatoire ont été tranchées le 16 juillet 2009 (Mme la juge Beaugé). Le 24 juillet 2009, l'intimée signifiait à l'appelante une requête pour qu'il lui soit ordonné de fournir les réponses aux questions en suspens et aux engagements pris; le 12 août 2009, M. le juge Payette ordonnait la fourniture des engagements qui n'avaient pas fait l'objet d'une objection au plus tard le 21 août 2009 et de ceux qui avaient fait l'objet d'une objection rejetée, au plus tard le 28 septembre 2009 (soit 45 jours de son jugement).

[10] L'appelante a donné suite à ses engagements, mais l'intimée a soutenu, dans une lettre du 13 octobre 2009, que certains des documents ou réponses fournis étaient incomplets ou ne répondaient pas aux engagements souscrits. D'où, le 6 novembre 2009, une requête en rejet de la défense (pour défaut de respecter le contrat judiciaire intervenu entre les parties et de produire plusieurs documents promis lors de l'interrogatoire après défense), en dommages punitifs et en remboursement d'honoraires et débours extrajudiciaires de 7 500 $, avec les intérêts et l'indemnité additionnelle, fondée sur les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile.

[11] La juge de première instance dit comprendre que l'intimée « soit insatisfaite de certaines des réponses ou des documents reçus » (paragr. 6), mais ne pouvoir « conclure que le comportement de [l'appelante] équivaut à un refus de fournir les engagements souscrits » (paragr. 7).

[12] Par ailleurs, elle conclut que la production des documents s'est faite tardivement et estime difficilement compréhensible ou acceptable que l'intimée ait dû présenter une requête pour forcer l'appelante à fournir les réponses ou documents promis après le jugement du 16 juillet 2009, et ce, même si elle se dit être bien consciente que l'on est alors en plein milieu de l'été.

[13] La juge ne rejette pas la défense de l'appelante, mais condamne celle-ci à verser une indemnité de 7 500 $ à l'intimée.

Le rejet de la défense (l'appel incident)

[14] Curalab inc. soutient qu'après avoir reconnu que certains des documents produits par Clinique Ovo inc. étaient insatisfaisants, la juge n'avait pas d'autre choix que de rejeter la défense.

[15] L'argument ne tient pas.

[16] Les articles 54.1 à 54.6 C.p.c. sont entrés en vigueur le 4 juin 2009[1]. Ils confèrent aux juges des pouvoirs très vastes pour sanctionner les abus de toutes sortes, à toutes les étapes de la procédure civile. Il ne fait pas de doute que ces règles s'appliquent à la façon dont une partie s'y prend pour tenir les engagements pris dans le cadre d'un interrogatoire après défense et peuvent, selon les circonstances, entraîner le rejet de la défense et le paiement de dommages.

[17] En l'espèce, contrairement à ce que plaide l'appelante incidente, la juge de première instance n'a pas conclu que l'appelante avait manqué à son obligation de tenir les engagements pris lors de l'interrogatoire au préalable de son représentant. La juge dit comprendre l'insatisfaction de l'appelante incidente face à certains des documents ou réponses reçus, mais, du même souffle, elle rappelle le principe voulant que l'on ne puisse reprocher à une partie de ne pas fournir un document qui n'existe pas, ce qui serait le cas ici selon la lettre des avocats de l'appelante du 11 novembre 2009.

[18] La juge de première instance se dit incapable de conclure que le comportement de l'appelante équivaut à un refus de fournir les engagements souscrits et partant, au refus de se soumettre à l'interrogatoire. Elle refuse donc de prononcer la sanction recherchée par l'appelante incidente, soit le rejet pur et simple de la défense.

[19] L'appelante incidente ne me convainc pas d'une erreur dans le raisonnement de la juge de première instance. Est-il bien nécessaire de rappeler que le rejet de la procédure constitue la sanction ultime et qu'elle doit être réservée aux cas clairs d'abus?

[20] Je propose donc le rejet de l'appel incident, avec dépens.

Les dommages (l'appel principal)

[21] L'appelante plaide que son comportement ne méritait pas la sanction infligée et que, de toute manière, la condamnation à payer 7 500 $ à l'intimée est survenue en l'absence de toute preuve à cet égard.

[22] La juge de première instance conclut que la réponse aux engagements pris lors de l'interrogatoire après défense est survenue tardivement par rapport au contrat judiciaire qui liait les parties depuis les 25-26 mars 2009 et au jugement du 16 juillet 2009 tranchant les objections formées à l'encontre de certains engagements. La juge dit avoir de la difficulté à comprendre ou à accepter que l'intimée ait dû présenter au tribunal, et débattre en août 2009, une requête pour forcer la production des documents et réponses découlant des engagements pris lors de l'interrogatoire après défense.

[23] L'appelante soutient que son comportement n'est pas celui d'une partie qui abuse de la procédure civile. Elle a produit sa défense, puis sa défense précisée dans les délais convenus. L'interrogatoire de son représentant s'est tenu à la date convenue. Les objections ont été tranchées le 16 juillet 2009, à la date convenue par les parties.

[24] Tout cela est vrai, mais ne répond pas au reproche fait par la juge de première instance. Dès les 25-26 mars 2009, l'appelante s'était engagée à fournir, dans les deux semaines suivant la production des notes sténographiques, les réponses et documents correspondant aux engagements pour lesquels il n'y avait pas d'objection. Or, cela n'a pas été tait. Cela n'était pas encore fait quand les parties plaidaient devant la Cour supérieure le 16 juillet 2009 puis, près d'un mois plus tard, le 12 août 2009.

[25] Les pièces au dossier montrent que les notes sténographiques de l'interrogatoire étaient disponibles vers le 6 avril 2009. Il s'est écoulé plus d'un mois lorsque, le 14 mai 2009, l'avocate de l'intimée écrit à celui de l'appelante pour obtenir réponse aux engagements à l'égard desquels il n'y a pas d'objection. Il s'écoule encore un mois et demi avant que, le 25 juin 2009, l'avocate ne demande à nouveau les réponses demandées et n'avise son collègue qu'à défaut de recevoir les documents promis au plus tard le 3 juillet 2009, une « requête pour ordonner la communication des engagements » sera faite. Le même jour, vu les vacances de l'avocat de l'appelante, l'avocate de l'intimée accepte de reporter l'échéance au 10 juillet 2009. Dans les faits, la requête ne viendra que le 24 juillet 2009 et les réponses, le 21 août 2009.

[26] Quant aux réponses et documents correspondant aux engagements pour lesquels il y avait des objections, l'entente des 25-26 mars 2009 prévoyait qu'ils seraient fournis dans un délai de deux semaines suivant la décision tranchant les objections. Or, ce délai n'a pas été respecté plus que l'autre. Quand les parties plaident à la Cour supérieure le 12 août 2009, les réponses et documents n'ont toujours pas été fournis. De fait, ils ne le seront qu'en partie le 21 août 2009 et en totalité le 29 septembre 2009, soit le lendemain de l'expiration du délai fixé par M. le juge Payette le 12 août 2009.

[27] Dans ces circonstances, je ne vois pas d'erreur dans la conclusion de la juge de première instance voulant que la production des documents et réponses se soit faite « tardivement » (paragr. 8) et qu'il y ait eu « un délai excessif » (paragr. 10), une situation qu'elle a choisi de sanctionner en ordonnant une indemnité de 7 500 $ à titre de dommages punitifs et en remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires encourus par l'appelante incidente.

[28] Il est erroné de soutenir que, par sa décision de sanctionner le comportement de l'appelante, la juge de première instance se trouve à réviser la décision de son collègue le juge Payette. Les deux juges étaient saisis de deux demandes différentes, l'une pour forcer la communication de réponses aux engagements souscrits (articles 2, 20, 46, 75.1 et 398 C.p.c.), l'autre en rejet de la défense et en sanction du comportement dilatoire de l'appelante (articles 54.1 et suivants, C.p.c.). Mme la juge Le Bel, saisie de la seconde requête, était seule appelée à évaluer le comportement global de l'appelante depuis l'interrogatoire du 24 mars 2009.

[29] La juge de première instance a conclu que ce comportement était dilatoire et qu'il y avait lieu de le sanctionner. Il s'agit là d'une conclusion que le déroulement du dossier justifiait et que les règles énoncées aux articles 54.1 C.p.c. et suivants autorisent. Les justiciables se plaignent souvent, à raison, de la durée interminable des procédures judiciaires. Les juges ont longtemps demandé les outils leur permettant de faire avancer rondement les dossiers. Les règles énoncées aux articles 54.1 C.p.c. et suivants font partie de ces outils. Il n'y a ici rien de déraisonnable dans les constats faits par la juge de première instance et dans la façon dont elle a choisi de sanctionner le comportement dilatoire de l'appelante qui constituait, en l'espèce, un bris du contrat judiciaire entre les parties.

[30] Concernant l'indemnité de 7 500 $, il est vrai que la preuve est sommaire. Il y a le serment[2] de l'avocate de l'intimée qui affirme que sa cliente a dû assumer des honoraires et débours extrajudiciaires pour contrer la conduite abusive de l'appelante, sans cependant en préciser le montant.

[31] L'indemnité accordée par la juge de première instance comprend non seulement le remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires, mais également des dommages punitifs, sans précision quant aux montants alloués à l'un et à l'autre.

[32] La juge de première instance n'avait peut-être pas devant elle la preuve précise des honoraires et débours encourus, mais elle savait que l'attitude de l'appelante avait forcé l'intimée à transmettre plusieurs lettres dans les mois qui ont suivi l'interrogatoire du 24 mars 2009, puis à préparer, signifier et débattre deux requêtes, celle pour forcer la communication des documents et réponses aux engagements (le 12 août 2009) et celle dont elle était saisie (le 12 novembre 2009). Outre le serment de l'avocate, le bon sens voulait que ces démarches aient entraîné des coûts pour l'intimée, sans qu'il soit nécessaire d'en faire une preuve plus complète vu que l'indemnité accordée comprenait également des dommages punitifs. À la lecture des procédures et vu le temps consacré pour les débattre, l'on peut aisément déduire que le montant accordé est raisonnable (art. 54.4 (2) C.p.c.).

[33] Je propose donc le rejet de l'appel principal, avec dépens, mais avec les débours encourus pour la confection de l'exposé de l'intimée limités à un tiers (1/3) puisque la plus grande partie des pièces qu'il contient concerne l'appel incident, dont j'ai déjà proposé le rejet.




JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.


[1] Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l'utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d'expression et la participation des citoyens aux débats publics, L.Q. 2009, c. 12.
[2] Loi sur le Barreau, L.R.Q., c. B-1, art. 127.
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