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Louise Panneton c. Ville de Trois-Rivières

no. de référence : 2010 QCCRT 0150

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)



Dossier :
214496

Cas :
CQ-2008-1450, CQ-2008-2176, CQ-2008-3197, CQ-2008-4303



Référence :
2010 QCCRT 0150



Québec, le
24 mars 2010

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DEVANT LA COMMISSAIRE :
Line Lanseigne, juge administratif

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Louise Panneton



Plaignante

c.



Ville de Trois-Rivières



Intimée





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DÉCISION

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[1] Madame Louise Panneton dépose quatre plaintes contre son employeur pour contester sa fin d’emploi survenue le 21 avril 2008 et pour harcèlement psychologique. Elle soutient que la Ville de Trois-Rivières l’a congédiée à la suite de son refus d’annuler des constats d’infraction.

[2] Pour sa part, l’employeur plaide que les graves lacunes dans la gestion de la plaignante et ses difficultés relationnelles avec le personnel sous son autorité justifient son congédiement.

[3] Madame Panneton dépose sa première plainte (harcèlement psychologique) le 4 janvier 2008 à la suite de l’enquête administrative menée par son employeur sur ses méthodes de gestion. Elle ajoute deux autres plaintes fondées sur la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., c. C-19 et sur l’article 123 et suivants de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 lorsqu’elle est congédiée le 21 avril 2008. Elle complète par une dernière plainte contre son employeur le 30 juin 2008 dans laquelle elle invoque à nouveau avoir été victime de harcèlement psychologique.

[4] L’instruction des recours de la plaignante a nécessité 26 journées d’audience échelonnées sur plus d’une année et la production d’une centaine de pièces. Au total, 25 personnes ont témoigné devant la Commission qui retient les éléments suivants pour trancher la présente affaire.

LES FAITS
[5] Juriste de formation, madame Panneton est embauchée comme greffière à la cour municipale de Trois-Rivières, le 21 juin 2004. Elle remplace monsieur Blais parti à la retraite.

[6] Sous l’autorité de Me Gilles Poulin, greffier et directeur des services juridiques, elle dirige les tâches administratives et les formalités afférentes aux activités de ce tribunal conformément à la législation en vigueur.

[7] Le personnel de la cour municipale est composé de commis, de perceptrices et de greffières-audiencières. Toutes font partie de la catégorie des cols blancs et relèvent directement de madame Panneton qui supervise également deux employés de stationnement ainsi que l’agence de sécurité responsable d’émettre les constats d’infraction à la réglementation sur le stationnement.

[8] Auparavant, madame Panneton était greffière de la Ville de Shawinigan et directrice des services juridiques. Selon elle, mis à part certaines difficultés éprouvées avec l’un de ses employés, lequel a poursuivi la Ville de Shawinigan pour harcèlement, ses relations de travail ont été excellentes tout au long de ses 15 années de service. Son projet de retourner vivre dans sa ville natale et d’alléger ses responsabilités professionnelles a motivé son départ pour Trois-Rivières. Elle affirme catégoriquement que les problèmes de gestion qu’elle a eus avec cet employé chez son ex-employeur n’ont rien à voir avec sa décision.

L’ENTRÉE EN FONCTION DE MADAME PANNETON
[9] À l’arrivée de madame Panneton, la cour municipale de Trois-Rivières compte 7 employées provenant de trois municipalités fusionnées. On retrouve mesdames Bonneville, Marcoux et Lacroix qui viennent de l’ancienne Ville de Trois-Rivières (telle qu’elle existait avant la fusion), mesdames Tessier, Chartray et Brunelle du Cap-de-la-Madeleine et finalement madame Francoeur qui travaillait autrefois à Trois-Rivières-Ouest. Il s’agit d’employées aguerries qui possèdent plus de 25 années d’expérience chacune à la cour municipale.

[10] Comme le fonctionnement de la cour municipale est largement inspiré des pratiques antérieures de l’ancienne Ville de Trois-Rivières, l’intégration des nouvelles arrivantes lors des fusions municipales occasionne certains heurts, notamment en raison des différences dans les façons de faire. Aussi, les conditions de travail et salariales diffèrent selon la ville d’origine. Dans l’ensemble toutefois, bien que des divergences soient survenues sur la manière d’exécuter le travail, les relations entre les employées sont cordiales à l’arrivée de madame Panneton.

[11] Au cours du premier mois suivant son embauche, madame Panneton se familiarise avec l’équipe qu’elle dirige. Celle-ci comprend quatre commis (mesdames Francoeur, Marcoux, Tessier et Brunelle), une greffière-audiencière (madame Lacroix) et deux perceptrices des amendes (mesdames Bonneville et Chartray). Concernant ces deux dernières, la répartition et la nature des tâches qui leur sont dévolues font en sorte que madame Bonneville assume davantage de responsabilités que sa collègue.

[12] Madame Panneton désapprouve cet écart qu’elle entreprend d’éliminer. En outre, elle perçoit des tensions et l’existence de clans au sein de son équipe. À ce propos, la plaignante mentionne la tenue d’une réception lors de laquelle seules les employées de l’ancienne Ville de Trois-Rivières sont invitées. Il appert toutefois que cet évènement était organisé par un policier retraité peu connu des autres salariées de la cour municipale.

[13] La restructuration qu’elle amorce est loin de faire l’unanimité. Elle provoque des tensions et de la frustration. Une forme de résistance s’installe de la part des employées provenant de l’ancienne Ville de Trois-Rivières particulièrement chez madame Bonneville qui accepte mal de voir ses responsabilités diminuées au profit de sa collègue, madame Chartray. Cet évènement marque le début d’un affrontement avec sa supérieure.

Les DIFFICULTÉS avec madame Bonneville
[14] Madame Bonneville se sent exclue et marginalisée par madame Panneton. Sous le règne de monsieur Blais, elle était un rouage indispensable au bon fonctionnement de la cour municipale. Son avis éclairé et ses compétences étaient recherchés. On la consultait et sa vaste expérience de près de 27 années était mise à contribution.

[15] Toutes les employées, sauf madame Brunelle qui n’a pas témoigné, constatent d’ailleurs une détérioration du climat de travail après l’arrivée de madame Panneton. Sa gestion rigide et autoritaire bouscule les anciennes façons de faire et exclut toute possibilité de discussion. Madame Panneton impose ses nouvelles idées sans consultation.

[16] Au début de l’année 2005, les frictions entre mesdames Bonneville et Panneton donnent lieu à des altercations répétées dont les employées et parfois la clientèle sont témoins. Il y a des cris, du claquage de portes, des paroles et des gestes méprisants de part et d’autre. Bien qu’elles ne soient pas directement impliquées dans le conflit, les autres employées sont affectées par l’atmosphère tendue qui règne à la cour municipale.

[17] Selon madame Panneton, la conduite de madame Bonneville est attribuable à son mécontentement devant ses nouvelles conditions salariales. L’harmonisation des conventions collectives qui a suivi les fusions municipales a eu pour effet de re-classifier le salaire de madame Bonneville au niveau de celui de madame Chartray qui est inférieur. Elle tente d’obtenir un repositionnement salarial par la création d’un nouveau titre de perceptrice senior.

[18] Madame Panneton n’appuie pas cette revendication et soutient que l’attitude de son employée change à ce moment. Selon elle, madame Bonneville la rabroue et devient plus rude envers ses collègues de travail.

[19] Tout en reconnaissant sa déception, madame Bonneville affirme avoir commencé à réagir uniquement pour s’opposer au harcèlement et à l’autoritarisme de sa supérieure.

[20] À l’audience, ses collègues de travail corroborent sa version et disent n’avoir jamais entendu parler de ses demandes salariales. Par contre, elles rapportent que la greffière s’acharnait sur madame Bonneville et épiait ses moindres faits et gestes dans le but de la confronter. Les ordres étaient dictés sur un ton incisif. Aucune parole aimable, jamais de renforcement ni d’encouragement. Toutes mentionnent son ton insistant et ses paroles irrespectueuses à l’endroit de leur collègue.

[21] Selon madame Chartray, ce n’était pas tant la réorganisation des tâches qui heurtait madame Bonneville mais la manière dont madame Panneton la lui imposait, en la semonçant publiquement : « c’est moi la gestionnaire, tu vas faire ce que je te demande ».

[22] Employée fière et de caractère, madame Bonneville accepte mal d’être traitée aussi injustement et se rebelle. Elle accuse sa supérieure d’alourdir sciemment son travail par des demandes inutiles et de dernières minutes ainsi que de vouloir l’écarter. Elle lui refuse sans explication de représenter la cour municipale lors des funérailles d’un huissier qu’elle connaît bien et lui préfère sa collègue qui ne compte pas parmi les proches ou même les collègues du défunt. Elle lui retire ses responsabilités informatiques, surveille son travail et le critique. Également, elle lui refuse des heures supplémentaires sous prétexte qu’elle n’est pas « assez méritante ». À cela, madame Panneton répond qu’elle doit appliquer les clauses de la convention collective.

[23] De son côté, elle tient madame Bonneville responsable des tensions qui vicient le climat de travail. Contrairement aux prétentions de ses employées, elle dit s’être toujours conduite correctement et avoir utilisé un ton juste et respectueux.

[24] La plaignante fait entendre, comme seul témoin, un entrepreneur qui n’a rien constaté de particulier lorsqu’il a fait des travaux à la cour municipale. Il ajoute que ses relations avec madame Panneton étaient excellentes.

[25] Madame Panneton décrit madame Bonneville comme une employée irrespectueuse et insubordonnée qui reprend ses collègues de travail et les aborde de façon cavalière. Sa ponctualité est déficiente et elle reprend du temps de pause pour quitter son travail plus tôt. Des lettres de réprimandes et des suspensions lui ont d’ailleurs été transmises pour cause d’insubordination, de défi à l’autorité et de propos irrespectueux. Madame Panneton dit avoir tout de même gardé son sang-froid et une conduite irréprochable malgré le comportement insolent de madame Bonneville.

[26] Au total, une réprimande et deux suspensions de trois et cinq jours sont imposées à madame Bonneville durant les années 2005 et 2006. La première sanction concerne un refus d’exécuter une directive de sa patronne, le 4 avril 2005, ainsi que son impolitesse après que madame Panneton lui ait ordonné de retourner à son bureau. Lors de cette altercation, madame Marcoux est aussi sanctionnée pour avoir pris parti pour sa collègue. Quant aux suspensions, elles font suite à des actes d’insubordination de madame Bonneville.

[27] À l’audience, madame Panneton souligne que ce n’est pas elle, mais le Service des ressources humaines qui impose les mesures disciplinaires. La preuve révèle toutefois qu’elle oriente activement les enquêtes menées par les coordonnateurs de ce service en leur remettant ses notes personnelles pour tous les évènements qu’elle reproche à madame Bonneville.

Les rencontres de groupe
[28] De concert avec le Service des ressources humaines, madame Panneton tient deux rencontres de groupe, en avril et juin 2005, dans le but d’assainir le climat et d’échanger sur l’organisation du travail. Elle remet un document sur les valeurs à privilégier et sur ses attentes pour régler le conflit. Madame Bonneville témoigne s’être sentie la cible de cette rencontre.

[29] Du point de vue des autres employées, il ressort qu’elles exécutent leurs tâches avec professionnalisme et esprit de collaboration et qu’elles ne s’estiment pas responsables de la détérioration du climat de travail. Elles déplorent que madame Panneton n’applique pas elle-même les valeurs de - respect entre collègues - maintien de l’harmonie au travail - ouverture aux suggestions - mise à profit de l’expérience acquise - politesse et courtoisie.

[30] Madame Tessier, une commis, rapporte que madame Panneton a insisté auprès d’elle pour qu’elle critique madame Bonneville lors de ces rencontres et qu’elle dénonce la situation à son syndicat, ce qu’elle a refusé de faire. Selon elle, madame Panneton cherchait à former des alliances avec ses employées en les prenant à témoin lorsque madame Bonneville haussait le ton : « tu vois comment elle me parle » ou lorsqu’elle est absente : « vous ne trouvez pas qu’on est bien aujourd’hui ».

[31] Ces rencontres sont coordonnées par monsieur Bertiaux du Service des ressources humaines. À cette époque, il croit que les problèmes vécus à la cour municipale sont attribuables à des difficultés d’intégration découlant des fusions municipales et aux méthodes de gestion plus autoritaires de madame Panneton que celles de son prédécesseur. La rigidité de sa gestion est d’ailleurs abordée lors de ces rencontres.

[32] Malgré cela, madame Panneton considère que c’est la gestion de l’ancien greffier qui était trop paternaliste. Elle offre peu d’ouverture face aux recommandations de monsieur Bertiaux pour assouplir sa manière de diriger son équipe de travail.

[33] Le 2 mai 2005, une conseillère nouvellement embauchée au Service des ressources humaines, madame Marie-Noëlle Roberge, prend en charge les relations de travail du groupe des employées cols blancs en remplacement de son collègue Bertiaux qui s’occupe maintenant des cadres et des employés non syndiqués.

L’enquête informelle de harcèlement psychologique
[34] Le 20 juin 2005, madame Marcoux s’absente du travail pour cause de maladie. Elle souffre d’anxiété et d’angoisse qu’elle attribue à la vie dure que lui fait mener madame Panneton depuis l’altercation où elle a pris parti pour sa collègue Bonneville.

[35] Lorsqu’elle reprend ses fonctions au mois de septembre 2005, elle confie à madame Roberge se sentir harcelée et méprisée, mais qu’elle n’a pas la force de porter plainte contre sa patronne. Cette confidence est faite au moment même où le Syndicat des cols blancs dénonce à l’employeur que certains de ses membres se plaignent de la gestion autoritaire de madame Panneton.

[36] Cette double plainte incite madame Roberge à enquêter sur la situation qui sévit à la cour municipale. Accompagnée de madame Simard, présidente du Syndicat des cols blancs, elle rencontre individuellement chacune des employées du service, y compris madame Panneton. Elle constate que les employées de l’ancienne Ville de Trois-Rivières sont particulièrement affectées par la gestion rigide de madame Panneton et la façon dont elle s’adresse à elles.

[37] Dès lors, madame Roberge intervient auprès de madame Panneton. Elle l’incite à assouplir ses méthodes et à minimiser les changements organisationnels pour ne pas bousculer ses employées. Des conseils lui sont donnés sur la manière d’obtenir l’adhésion de son personnel face aux changements qu’elle préconise. Aussi, on la met en garde sur l’importance de ne pas dénigrer les anciennes méthodes de travail afin d’atténuer la résistance de ses employées.

[38] Madame Roberge lui remet de la littérature sur la gestion des conflits et les communications. Elle invite madame Panneton à suivre de la formation et à reconsidérer sa gestuelle et le ton qu’elle utilise comme taper sa montre devant le personnel pour signifier un retard, hausser la voix ou pointer une employée du doigt. Dans le but de consolider son équipe de travail, madame Roberge propose aussi le support professionnel d’une entreprise spécialisée.

[39] Selon la conseillère Roberge, aucun autre service de la Ville de Trois-Rivières n’a nécessité autant de soutien que celui apporté à madame Panneton et à la cour municipale.

[40] À cette époque, madame Panneton rencontre et communique avec madame Roberge pratiquement tous les jours. Elle lui rapporte chaque évènement conflictuel et insiste pour lui parler sans délai. Elle fait à répétition plusieurs appels téléphoniques jusqu’à ce qu’elle puisse lui parler. Madame Roberge rapporte qu’à une occasion elle a même reçu une dizaine d’appels de la sorte sur une période d’à peine trente minutes.

[41] Toutes ces interventions professionnelles n’aboutissent qu’à très peu de changements chez madame Panneton qui recherche plutôt une solution disciplinaire au conflit qui l’oppose à madame Bonneville, qu’elle tient à punir. C’est ainsi qu’elle demande à madame Roberge : « ça va prendre combien de suspensions avant le congédiement ». Aussi, elle refuse l’aide d’une entreprise spécialisée prétextant qu’elle n’aime pas être surveillée.

[42] À l’audience, madame Panneton minimise l’aide qu’on prétend lui avoir apportée. C’est de sa propre initiative qu’elle a participé à certaines formations. Concernant la littérature remise par madame Roberge, elle insiste pour dire qu’il s’agissait seulement d’un extrait sommaire d’un ouvrage sur la gestion des conflits. À la lecture du document, on constate qu’il contient néanmoins plusieurs conseils pertinents. Au sujet de l’aide d’une firme spécialisée, elle dit que le directeur de madame Roberge l’avait refusée étant donné qu’il s’agissait d’un conflit touchant uniquement une employée difficile. Cet argument étonne puisqu’elle soutient qu’il y avait un problème de clans dans son équipe de travail.

[43] Elle ajoute que, mis à part quelques questions concernant des changements à la cour municipale, elle n’a reçu aucun commentaire sur sa gestion. Elle réitère que le climat de travail était bon, sauf avec madame Bonneville. Quant à l’attitude de mesdames Marcoux et Lacroix, elle considère que c’est par crainte des réactions de colère de madame Bonneville qu’elles se montrent solidaires avec elles.

[44] Tous ces démêlés ont un effet nuisible sur la santé de madame Bonneville. Son anxiété et son manque de concentration font en sorte qu’elle s’absente pour cause de maladie du 25 novembre 2005 au 23 janvier 2006.

LE DÉPART DE MESDAMES MARCOUX ET LACROIX
[45] Mesdames Marcoux et Lacroix quittent leurs fonctions respectivement au mois de mars et au mois de mai 2006. Bien que madame Panneton affirme que ses relations de travail avec elles étaient bonnes, toutes deux témoignent qu’elles étaient devenues incapables de subir son style de gestion autoritaire.

[46] Dans un témoignage empreint d’émotions, elles racontent la conduite de madame Panneton à leur égard.

France Lacroix
[47] Madame Lacroix cumule 31 années de service, dont 26 années au sein de la cour municipale. Le climat de travail qui s’est installé au temps de madame Panneton l’a bouleversée. Elle voit ses collègues et amies - Bonneville et Marcoux - malmenées et a peur que sa supérieure s’en prenne aussi à elle et de « passer dans le tordeur ». Malgré une baisse importante de salaire, elle quitte ses fonctions parce qu’elle « n’est plus capable d’endurer le climat de terreur et de peur qui règne à la cour municipale ».

[48] Madame Panneton adopte une attitude hautaine et méprisante envers ses collègues et elle-même. Elle est témoin de plusieurs empoignades avec madame Bonneville et de propos dénigrants. Sa collègue Marcoux, autrefois rieuse et enjouée, s’est éteinte à petit feu et pleure fréquemment.

[49] Elle ajoute que sa supérieure vient s’asseoir dans la salle d’audience pour l’observer et qu’elle ne semble jamais satisfaite de son travail. Des reproches lui sont adressés si elle parle avec ses collègues durant les heures de travail. Elle lui signifie ses fautes d’orthographe de façon humiliante en insinuant qu’elles seraient dues au fait qu’elle n’a pas fréquenté l’école privée.

[50] Lorsque madame Lacroix quitte la cour municipale au mois de mai 2006, son estime d’elle-même est « au plus bas », elle n’a plus d’appétit et souffre d’insomnie.

Danièle Marcoux
[51] Madame Marcoux est commis à la cour municipale depuis 1984.

[52] Elle mentionne que madame Panneton critique son travail et l’humilie en criant après elle à travers le bureau. À une occasion, elle la semonce pour lui avoir transféré un appel. Une autre fois, elle l’invective devant tout le monde en disant : « prend tes petites papattes pis retourne toi en à ton bureau ». Madame Marcoux fond en larmes. Sa collègue Tessier confirme cet incident et témoigne aussi des paroles offensantes utilisées par madame Panneton.

[53] Alors que madame Marcoux rate sa pause parce qu’elle traite un appel téléphonique, elle est rabrouée par madame Panneton qui l’apostrophe à haute voix en tapant sur sa montre : « quand on passe tout droit, on s’en passe ». Elle se sent épiée et infantilisée par sa supérieure malgré ses nombreuses années d’expérience.

[54] Elle considère que madame Panneton n’éprouve aucune empathie envers elle. Accablée par son imposante charge de travail, elle suggère à madame Panneton de vérifier la répartition des tâches. Elle se fait demander brusquement « ce qu’elle a à dire contre les autres filles » et madame Panneton clôt la discussion en répondant « Si tu n’as rien à dire tais-toi! ». Aucune vérification n’est faite quant à la répartition des tâches.

[55] À une autre occasion, pendant l’absence de madame Francoeur, elle accepte de faire le travail de sa collègue en plus du sien. Devant l’ampleur du défi, elle se confie à madame Panneton et espère obtenir des heures supplémentaires pour remplir son engagement. Pour toute réponse, elle reçoit des remontrances acerbes et se fait dire d’informer elle-même sa collègue de son incapacité à accomplir la tâche. Dépitée, elle se retourne vers ses collègues Bonneville et Lacroix qui lui donnent un coup de main pour finir ce surplus de travail.

[56] Elle mentionne aussi la lettre de réprimande reçue à la suite de son intervention dans le conflit du 4 avril 2005. N’en pouvant plus d’entendre des cris et des claquages de porte, elle se porte à la défense de son amie Bonneville. Madame Panneton lui dit de se mêler de ses affaires en criant. S’ensuit, comme on le sait, une lettre de réprimande.

[57] Cette sanction bouleverse madame Marcoux qui n’a jamais été réprimandée au cours de ses nombreuses années de service. Depuis cet évènement, madame Panneton lui fait la vie dure et la harcèle. Elle a encore du mal à contenir ses émotions.

[58] Madame Panneton nie ces accusations et rappelle que la mesure disciplinaire a été imposée par la Direction des ressources humaines. Quant à la surcharge de travail alléguée par madame Marcoux, elle souligne que celle-ci ne dépend pas de sa volonté, mais plutôt des impératifs législatifs auxquels la cour municipale est soumise. En outre, elle n’a pas haussé le ton lors de l’altercation du 4 avril.

[59] Lorsqu’elle reprend le travail après son congé de maladie, madame Marcoux est convoquée par madame Panneton qui veut connaître les reproches qu’elle a dénoncés à madame Roberge des ressources humaines. Madame Panneton n’accepte aucun tort et rejette le blâme sur madame Marcoux. Elle lui ordonne d’utiliser désormais les méthodes de travail plus efficaces de madame Francoeur qui est alors son bras droit. Madame Marcoux quitte la rencontre en larmes, envahie par un sentiment d’incompétence.

[60] Au fil des mois, sa santé se détériore. Déprimée, elle n’est plus que « l’ombre d’elle-même ». Tout comme sa collègue Lacroix, elle subit une diminution de salaire lorsqu’elle quitte son emploi à la cour municipale en mars 2006. C’est avec difficulté qu’elle dit avoir pansé les blessures psychologiques subies au travail.

[61] Selon elle, la greffière a manœuvré pour mettre la chicane dans le groupe. Bien qu’il s’agisse de sa perception, les faits rapportés lui donnent raison.

[62] Par ailleurs, la preuve révèle que l’horaire des pauses instauré par madame Panneton était fait de manière à empêcher les employées de l’ancienne Ville de Trois-Rivières d’être ensemble. Madame Panneton avait confié à madame Roberge vouloir éviter que ses employées « parlent dans son dos ».

[63] À l’audience, madame Panneton se défend bien d’avoir établi l’horaire dans ce but et affirme avoir appliqué une directive de son supérieur, Gilles Poulin, afin de briser les clans et développer la solidarité au sein du groupe.

[64] Il appert toutefois que les employées n’ont jamais été informées de la motivation de leur supérieure et que madame Bonneville était jumelée à madame Francoeur qui ne prend jamais ses pauses.

LA PLAINTE DE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE De madame Bonneville
[65] Le 3 mai 2006, madame Bonneville dépose une plainte de harcèlement psychologique contre madame Panneton. Peu de temps après, elle s’absente à nouveau du travail pour cause de maladie.

[66] Madame Bonneville reproche à madame Panneton sa « conduite abusive », le fait qu’elle lui impose « des échéanciers que je ne pouvais respecter », qu’elle a fait d’elle « sa cible », qu’elle lui « fait peur », qu’elle « veut tout contrôler », qu’elle a des « soupirs », « des regards méprisants », « des sourires en coin », qu’elle fait « des sous-entendus », « des remarques désobligeantes », ou qu’elle est ignorée. Madame Panneton utilise « des manœuvres anodines », ne la « laisse pas s’exprimer », la « surveille », l’ « isole », la « réprimande », lui dit qu’elle est « le problème dans le bureau ».

[67] Selon elle, madame Panneton réussit à faire croire à la direction que « je suis une employée difficile », que « j’ai mauvais caractère » et ce, après 27 ans de service sans conflit avec son employeur et un dossier vierge. Elle a une « attitude méprisante ».

[68] Tout cela provoque chez madame Bonneville « une attitude défensive et un grand manque de confiance », la pousse « à la confusion et à la faute », à la « colère ». Elle « se sent impuissante » et « ressent (…) une grande frustration ».

[69] Monsieur Éric Bertiaux des ressources humaines mène l’enquête conjointement avec monsieur Lajoie, un psychologue externe spécialisé en diagnostic organisationnel et en gestion de conflits. Le 19 septembre 2006, la lettre suivante est transmise à madame Bonneville :

À la lumière des témoignages recueillis, qui nous apparaissent comme contradictoires ou ayant un manque de constance, nous en arrivons à la conclusion qu’il n’y a pas d’élément de preuve satisfaisant pour conclure à la présence de harcèlement psychologique.

En conséquent, nous considérons qu’il n’y a pas lieu de donner suite à votre plainte.

Par contre, nous sommes également d’avis que le conflit existant entre vous et madame Panneton fait l’objet de comportements irrespectueux de part et d’autre. Un suivi administratif du dossier sera fait avec les personnes impliquées.

(Nos soulignements)

[70] Le même jour, madame Panneton prend connaissance de la lettre à l’occasion d’une rencontre tenue avec les enquêteurs. Selon monsieur Bertiaux, madame Panneton « pique une crise » et est incapable de se contenir. En colère, elle quitte en disant : « c’est pas vrai qu’elle va gagner de même ». Le président de l’Association des cadres, Yvon Verrette, qui est aussi l’ami de cœur de madame Panneton à cette époque, la suit et tente de la calmer.

[71] Madame Panneton rejette toute part de responsabilité et estime n’avoir absolument rien à se reprocher. Elle repousse avec véhémence les recommandations du psychologue Lajoie qui l’incite à revoir son style de gestion. Elle exige de connaître exactement à quelles occasions sa conduite envers madame Bonneville a été fautive.

[72] Dans les jours qui suivent, monsieur Verrette intervient auprès du coordonnateur Éric Bertiaux et du directeur général Michel Byette pour qu’ils adoucissent les propos contenus dans la lettre du 19 septembre. Madame Panneton est invitée à un dîner le 22 septembre lors duquel le directeur général lui réitère sa confiance et lui demande de tourner la page. Pour lui, le dossier de la plainte de harcèlement psychologique est clos.

[73] Selon madame Roberge du Service des ressources humaines, la charge émotive et la rancune entretenue contre madame Bonneville ont fait perdre à madame Panneton l’objectivité et la distance nécessaire à sa fonction de gestionnaire. À une rencontre de conciliation, elle rapporte qu’elle s’est mise à crier contre madame Bonneville qui a fondu en larmes sans pouvoir donner sa version. Devant son incapacité à reprendre son sang-froid, madame Roberge a suspendu la rencontre. À la remarque de cette dernière qu’il s’agissait là d’un comportement inapproprié de la part d’une gestionnaire, madame Panneton a répondu qu’elle pouvait répliquer à madame Bonneville sur le même ton qu’elle.

[74] Ce différend irréconciliable ne laisse d’autre choix à l’employeur que de transférer madame Bonneville dans un autre service au mois d’octobre 2006. Elle occupe désormais un poste au service de l’informatique et n’a aucun problème disciplinaire depuis. Selon madame Roberge, madame Panneton lui vouait une telle « haine » qu’il eût été impensable de la maintenir dans son service.

[75] Madame Panneton ne lâche pas prise pour autant. Elle insiste pour que madame Bonneville purge sa sanction disciplinaire (différée en raison de sa maladie) et veut s’assurer de la diminution de son salaire puisqu’elle occupe désormais des fonctions de niveau inférieur.

[76] Madame Roberge lui répond que tout cela ne la concerne plus du tout puisqu’elle n’est plus la supérieure de madame Bonneville. Offensée, madame Panneton limite dorénavant ses contacts avec la conseillère Roberge.

[77] À l’audience, madame Panneton dit n’être aucunement responsable de la détérioration du climat de travail à la cour municipale et rejette donc en bloc les conclusions de l’enquête de l’employeur concernant sa conduite irrespectueuse. Conséquemment, elle n’a pas à revoir son style de gestion. Elle est catégorique; la faute est strictement imputable à l’insubordination de madame Bonneville, et ce, après avoir réfuté chacun des 31 éléments allégués dans la plainte de harcèlement psychologique.

LES ÉVÈNEMENTS SUBSÉQUENTS
[78] Les trois départs dont il a été question amènent des changements à la cour municipale. Madame Carrier-Richard remplace madame Bonneville comme perceptrice tandis que deux nouvelles techniciennes juridiques sont embauchées au poste de greffière-audiencière : Marie-Pierre Gratton et Julie Rainville. Toutes trois se joignent à l’équipe de madame Panneton qui compte toujours dans ses rangs mesdames Francoeur, Tessier, Brunelle et Chartray.

[79] Le 20 juin 2007, madame Panneton rencontre monsieur Bertiaux des ressources humaines. Huit mois après le départ de madame Bonneville, elle vit un autre problème de gestion, cette fois avec madame Francoeur qu’elle considérait comme son bras droit.

Les difficultés avec madame Francoeur
[80] Madame Panneton se plaint de l’insubordination de madame Francoeur qui travaille la porte fermée et qui fait peur à certaines employées. Elle nie avoir l’intention de la sanctionner. Elle dit avoir pris dans ses bras une employée temporaire, madame Dumont, pour apaiser ses craintes vis-à-vis de madame Francoeur et que deux autres employées, mesdames Rainville et Gratton, ressentent les mêmes craintes.

[81] À l’audience, madame Dumont confirme avoir fait cette confidence, sans toutefois que madame Panneton l’ait prise dans ses bras. Elle ajoute que sa supérieure lui a tout simplement suggéré d’en parler avec madame Francoeur. Quant à madame Rainville, elle affirme ne pas avoir peur de Madame Francoeur.

[82] Ainsi, l’allégation de madame Panneton voulant, qu’un mois plus tard, elle vienne prendre conseil auprès de monsieur Bertiaux quant à la manière d’intervenir auprès de madame Francoeur n’est pas convaincante. D’abord, elle cherche à lui retirer le bureau fermé dont elle dispose pour l’attribuer à d’autres employées. Ensuite, elle mentionne que monsieur Bertiaux lui dit qu’il « va réfléchir » à la situation et lui suggère de « colliger des faits ». Cette discordance mine sa crédibilité et laisse présumer qu’elle cherchait à sanctionner madame Francoeur. D’ailleurs, elle ne discute jamais avec cette dernière de sa conduite envers ses collègues de travail ni même du fait de lui retirer son bureau.

[83] Enfin, comme il s’agit d’une employée du groupe des cols blancs, monsieur Bertiaux renvoie le dossier à sa collègue Roberge pour qu’elle prenne le relais à son retour de vacances. Une rencontre est fixée avec madame Panneton pour le 3 août suivant.

La rencontre du 3 août 2007
[84] Selon la plaignante, elle aurait elle-même initié cet entretien avec madame Roberge afin d’obtenir des conseils à la suite d’un incident troublant survenu le même jour avec madame Francoeur.

[85] Madame Roberge soutient plutôt que la plaignante sollicite son intervention pour discipliner la salariée. Elle se plaint de l’insubordination de son employée et presse madame Roberge d’agir car elle craint d’être à nouveau l’objet d’une plainte de harcèlement psychologique, surtout que madame Francoeur lui reproche :« Tu t’acharnes sur moi, c’est du harcèlement que tu me fais ».

[86] Elle considère que madame Francoeur défie son autorité et ne respecte pas ses directives. Comme elle travaille la porte close, elle ne peut vérifier si ses ordres sont suivis « je ne sais pas ce qu’elle fait derrière sa porte ». Elle ajoute avoir surpris madame Francoeur à prendre l’appel d’un client alors qu’elle devait faire la saisie informatique des constats d’infraction conformément à son horaire de travail. Selon madame Panneton, cette conduite défie son autorité et elle repousse toutes les explications pouvant la justifier.

[87] Pour madame Roberge, il s’agit d’incidents isolés et sans gravité. Elle invite madame Panneton à faire preuve de plus de souplesse dans l’application de ses directives. Rien ne justifie, selon elle, l’imposition de mesures disciplinaires contre madame Francoeur, surtout qu’aucune diminution de son rendement n’est rapportée. Au plus, elle suggère d’instaurer une règle de travailler la porte ouverte avec sanction en cas de refus. À cela, la greffière rétorque qu’elle entend lui retirer son bureau pour le donner à quelqu’un d’autre.

[88] Les réponses de madame Roberge contrarient madame Panneton qui craint d’être à nouveau impliquée dans une plainte de harcèlement psychologique : « Andrée (Bonneville) a gagné, mais elle (Francoeur) ne gagnera pas ». Madame Roberge rappelle que madame Bonneville n’a rien gagné puisqu’elle a quitté son poste et que l’enquête a révélé qu’elle s’était aussi comportée de manière irrespectueuse.

[89] Toujours amère quant au dénouement de cette affaire, madame Panneton rejette encore une fois toute responsabilité dans cet ancien conflit. Elle tient des propos dénigrants à l’égard des enquêteurs et refuse leurs conclusions.

[90] Devant madame Roberge, elle menace de déposer elle-même une plainte de harcèlement psychologique contre madame Francoeur pour son insubordination et aussi pour que « ce soit elle qui vive l’enquête et pas moi ».

[91] Elle souhaite que madame Francoeur quitte son service et s’informe pour savoir si celle-ci postule sur d’autres postes. Elle déclare à madame Roberge : « si elle n’est pas heureuse qu’elle aille ailleurs ».

[92] Dans le cours des échanges, madame Panneton aborde également ses relations avec le reste de son équipe. Elle trouve difficile de gérer des femmes qu’elle qualifie de « gang de placoteuses ». Les absences fréquentes et l’âge avancé d’une employée l’indisposent tandis qu’elle questionne l’orientation sexuelle d’une autre. Elle accuse madame Rainville de lui avoir menti sur son état de grossesse et d’avoir attendu sa permanence pour être enceinte. Elle dit regretter de lui avoir accordé sa permanence. Également, elle mentionne à la conseillère avoir dit à madame Rainville lors de son départ en maladie : « T’es pas malade, t’es enceinte! Ce n’est pas censé t’empêcher de travailler! ».

[93] Après avoir entendu cela, madame Roberge ne doute plus que madame Panneton éprouve des problèmes récurrents de gestion et qu’il y a lieu d’intervenir. En effet, la situation actuelle avec madame Francoeur s’apparente à celle vécue antérieurement avec madame Bonneville. Les propos désobligeants et discriminatoires tenus à l’égard des employées de la cour municipale l’inquiètent. Malgré ses recommandations d’adopter une approche plus souple dans sa gestion, madame Panneton demeure fermée et persiste à voir un problème d’insubordination de la part de ses employées. Sa manière de s’adresser à ses employées soulève un sérieux questionnement sur sa capacité de faire passer son autorité : « C’est moi le patron, tu m’as désobéi ».

[94] À l’audience, madame Panneton nie toute forme d’abus d’autorité de sa part ou d’écart langagier envers ses employées. Elle accuse madame Roberge d’avoir déformé ses propos. Chaque élément ou parole rapporté par la conseillère est réfuté au moyen d’une longue explication qui, dans tous les cas, l’exonère complètement de toute faute.

[95] Toutes ses justifications encore plus que ses dénégations convainquent de son manque de crédibilité. Ainsi, elle affirme qu’elle cherchait une solution au harcèlement de madame Francoeur à son endroit et n’a jamais parlé de déposer une plainte; que madame Roberge n’a pas dit c’est « strike two Louise » en référant à la plainte de harcèlement psychologique de 2006, mais lui a fait remarqué le comportement similaire de ses employées Chartray et Bonneville quant à leur manie de se mêler de situations qui ne les regardent pas.

[96] Lors d’une séance du comité sur le développement des ressources humaines tenue le 21 août, madame Roberge informe le directeur général Byette des tensions vécues à la cour municipale. À cette époque, monsieur Byette agit également comme directeur intérimaire des ressources humaines. Madame Roberge craint le dépôt d’une nouvelle plainte de harcèlement psychologique et recommande d’intervenir sur la gestion de madame Panneton. Ils conviennent de revoir la situation au retour de vacances du directeur.



La plainte du syndicat
[97] Dans les jours qui suivent, la présidente du Syndicat des cols blancs, madame Simard, téléphone à madame Roberge. Elle demande à discuter du malaise qui sévit à la cour municipale lors de la prochaine rencontre de relations du travail. Le climat de travail est qualifié d’« enfer » par certaines syndiquées.

[98] On se souvient que la présidente, madame Simard, est impliquée lors des difficultés éprouvées par madame Panneton en 2005 et 2006 (rencontres de groupe, plainte informelle de madame Marcoux et conflit avec madame Bonneville). Elle rappelle qu’à cette époque l’intervention d’un consultant privé avait été proposée par l’employeur pour résoudre les tensions vécues à la cour municipale. L’histoire se répète à nouveau comme en témoigne le malaise ressenti par les employées depuis le printemps 2007. On reproche à madame Panneton d’être infantilisante, rigide, intimidante et déraisonnablement autoritaire. Certaines vivent un tel stress qu’elles songent à quitter le service.

[99] C’est lorsque madame Francoeur, désespérée, confie qu’on lui crie après et qu’on la traite d’incompétente que madame Simard dit avoir « pété les plombs » et qu’elle décide d’intervenir. Lors de la rencontre du 7 septembre sur les relations du travail, elle dénonce le climat malsain dans lequel travaillent les employées de la cour municipale. Elle rapporte plusieurs situations qui touchent l’abus d’autorité et de langage de madame Panneton. Ainsi, cette dernière se met en colère lorsque qu’une employée lui déclare son accident de travail. Elle laisse traîner des livres au vu de son personnel sur la gestion des employés difficiles. Elle reste debout derrière une employée occasionnelle pour surveiller son rythme de travail.

[100] Dans ces conditions, la présidente déconseille fortement l’embauche d’un stagiaire. Persuadée cette fois que le problème se situe au niveau de la gestion, elle exige une intervention énergique de l’employeur.

Le rapport de l’infirmier
[101] Après une longue convalescence, madame Tessier reprend son poste de commis à la cour municipale. Madame Roberge reçoit verbalement de l’infirmier de la Ville un rapport indiquant que celle-ci craint de retourner au travail dans un milieu « quasi militaire ». Il souligne aussi que madame Panneton insiste pour connaître l’âge de madame Tessier et pour la réaffecter dans un autre service en raison de sa baisse de productivité.

La conversation téléphonique du 11 septembre 2007
[102] Le 11 septembre suivant, madame Panneton téléphone à madame Roberge pour se plaindre de l’insubordination de madame Francoeur. À titre d’illustration, elle explique avoir rangé les boîtes de constats d’infraction disposées autour de madame Francoeur et que cette dernière les a replacées au même endroit et cela, à trois reprises. L’incident le plus répréhensible concerne toutefois le registre des absences qui a été modifié sans son autorisation. Madame Francoeur, qui tient les fiches d’absences, a changé le code d’absence de madame Tessier qui est passé de congé de maladie à celui de congé pour deuil. Pour madame Panneton, cette modification effectuée sans son autorisation constitue une faute grave.

[103] Puisqu’il est question de madame Tessier, elle enchaîne qu’elle la trouve « vieille » et incapable de suivre le rythme du travail. Elle la critique pour avoir pris un congé de maladie à la suite du décès de sa mère et déclare à madame Roberge « sa mère avait 80 ans, qu’elle en revienne, on prend pas de maladie pour ça ». Malgré que madame Panneton demande à connaître l’âge de madame Tessier, cette information est gardée confidentielle par madame Roberge.

[104] Madame Panneton confie aussi ses difficultés avec d’autres employées. Elle déclare que « son autorité ne passe plus dans son service » et reproche à madame Brunelle d’avoir fait un téléphone personnel malgré la surcharge de travail.

[105] Lors de cette conversation, madame Roberge mentionne qu’elle a parlé du problème de la cour municipale à monsieur Byette en sa qualité de directeur des ressources humaines. Lorsqu’elle entend cela, madame Panneton se met en colère et exige des explications. Elle veut savoir ce qui a été dit. Madame Roberge répond que le Syndicat des cols blancs est aussi intervenu pour les mêmes raisons. Loin de calmer son emportement, cette information suscite un nouvel interrogatoire.

[106] Concernant cette conversation téléphonique, madame Panneton affirme que ses échanges ont porté exclusivement sur la modification du code d’absence apportée par madame Francoeur et qu’il n’a pas été question des autres employées ou d’un problème quelconque à la cour municipale. Pourtant, lors d’un second témoignage, elle déclare que madame Roberge lui aurait dit que « son autorité ne passait plus dans son service » et qu’elle n’a pas réagi.

[107] Ainsi, elle recherchait uniquement des conseils et ne voulait pas imposer de sanctions à madame Francoeur. La plainte du Syndicat est également une surprise dont elle entend parler pour la première fois à l’audience. Pour appuyer ses dires, elle mentionne avoir vu madame Simard sortir de la cour municipale, au mois de juillet 2007, et s’être informée à ce moment auprès d’une représentante syndicale de l’existence d’un problème de relations de travail. Cette dernière, faut-il s’en étonner, a répondu négativement.

[108] Conséquente avec elle-même, madame Panneton déclare lire avec stupeur le courriel que lui transmet monsieur Bertiaux, le 13 septembre 2007 :

Bonjour Louise,

Malheureusement, compte tenu de la problématique en relation de travail qui a été soulevé dernièrement à la cour municipale, nous ne croyons pas approprié d’accueillir une stagiaire pour cette session-ci. Je t’invite donc à reformuler une demande au début de janvier, si le besoin s’en fait sentir.

(Reproduit tel quel)

[109] Selon madame Panneton, jusqu’à l’envoi de ce courriel « personne ne lui a laissé entrevoir de difficultés ». À l’audience, elle mentionne plusieurs fois que le climat à la cour municipale était harmonieux depuis le départ de madame Bonneville. Elle relate notamment avoir passé une agréable soirée avec ses employées lorsque madame Rainville a obtenu sa permanence.

[110] Inquiète du message reçu, elle mentionne avoir rencontré son supérieur, Me Poulin, le même jour. Comme celui-ci ignore tout de la situation, il lui recommande d’écrire à monsieur Bertiaux pour obtenir des éclaircissements. Madame Panneton craint que ce courriel soit une mesure de représailles pour avoir refusé d’annuler des constats d’infraction et en fait part à Me Poulin. Elle déclare à l’audience qu’à ce moment, elle « sent que le tapis lui glisse sous les pieds ». Bouleversée, elle s’absente du travail en après-midi.

[111] Me Poulin ne mentionne pas cette rencontre lors de son témoignage et affirme avoir été mis au courant du problème de gestion de madame Panneton le 15 octobre 2007. Il n’entreprend d’ailleurs aucune démarche et ne s’informe pas auprès des ressources humaines après cette prétendue discussion. Il est aussi pour le moins curieux, qu’après l’échange qu’elle dit avoir eu avec son supérieur, madame Panneton n’ait pas eu le réflexe de lui transmettre une copie du courriel qu’elle a fait parvenir à monsieur Bertiaux le 18 septembre 2007.

[112] C’est madame Roberge qui répond à la demande de précisions adressée à monsieur Bertiaux, le 21 septembre, en ces termes :

Bonjour Louise,

Lors de notre rencontre du 3 août dernier, nous avons longuement discuté de l’état de la problématique en relations du travail, impliquant certaines de tes employées. Comme je t’ai fait part lors de notre conversation téléphonique du 11 septembre, la partie syndicale m’a également soulevé des faits entourant la problématique actuelle au sein de ton service. Tel que déjà discuté, l’ensemble du dossier sera traité plus en détails lors du retour de M. Byette au mois d’octobre.

Considérant les informations présentement au dossier, nous avons jugé que le moment n’était pas approprié pour accueillir un stagiaire, et ce, malgré le fait que la partie syndicale donnait son accord « du bout des lèvres ».

En espérant avoir répondu à ton questionnement,

(Reproduit tel quel)

[113] Dans l’intervalle, madame Panneton contacte le service de la paie (madame Bellerose) et apprend que madame Roberge n’a encore donné aucune instruction pour corriger le code d’absence de madame Tessier. Le jour même où elle envoie à monsieur Bertiaux sa demande d’éclaircissement, elle transmet un courriel à madame Roberge, avec copie au service de la paie quant à ses attentes :

Bonjour Marie-Noëlle,

Lors de notre entretien téléphonique de mardi dernier le 11 septembre 2007, je t’ai fait part qu’une de mes employées avait apporté, le 10 septembre, une modification à la feuille de paie de la période #37 sans m’en aviser (congé maladie remplacé par un congé social). J’avais moi-même signé et transmis au Service de la paie le registre des absences/présences pour la semaine du 26 août 2007.

J’aimerais avoir des conseils de ta part quant à ce qu’il y a lieu de faire dans les circonstances par rapport au comportement de l’employée et à la modification transmise au Service de la paie.

Une réponse serait appréciée cette semaine. Merci

(Nos soulignements)

[114] À cela, madame Roberge répond dès le lendemain :

Bonjour Louise,

Tel que convenu avec toi, j’ai fait apporter les corrections sur la paie afin que l’employée soit codée en maladie au-lieu d’un congé de deuil. Comme je te l’ai expliqué, la journée de maladie était déjà prise, donc on ne peut la changer pour un congé de deuil par la suite.

Concernant la modification apportée par l’employée, je te conseille de voir avec elle ses justifications, car elle n’était peut-être pas au courant que les congés sociaux ne remplaçaient pas les congés. Tu m’as expliqué que c’était sa responsabilité de compléter la feuille de temps dans ton service, elle a peut-être tout simplement traité cette information d’un automatisme.

Tu peux l’informer que s’il y a des modifications à apporter une fois les feuilles signées, tu aimerais en être informée. Il y a peut-être une raison très simple qui explique sa modification sans t’en avoir parlé, sans pour autant avoir été faite de mauvaise foi.

Bonne fin de journée!

(Reproduit tel quel)

[115] À l’audience, madame Francoeur témoigne de la particularité de la situation de madame Tessier. Sa collègue lui laisse un message le 31 août au matin pour l’informer qu’elle doit prendre congé pour être au chevet de sa mère dont l’état de santé s’est aggravé. Celle-ci est décédée dans la nuit du 30 et 31 août mais madame Tessier n’apprend la nouvelle qu’à son arrivée à l’hôpital. Lorsqu’elle en informe madame Francoeur, le formulaire d’absence, autorisée par madame Panneton pour un congé de maladie, a déjà été transmis au service de la paie.

[116] Madame Francoeur a la responsabilité de consigner les congés sur les feuilles de présence. À son retour de vacances le 10 septembre, elle corrige le congé de maladie de madame Tessier pour un congé de deuil. Madame Francoeur témoigne avoir agi pour le mieux et que la modification apportée sur la feuille de présence de madame Tessier s’inscrit dans l’exercice de ses fonctions. Elle ne croyait pas que l’approbation de madame Panneton était nécessaire. Pour la Commission, sa probité et sa bonne foi ne font aucun doute.

[117] Ce n’est que le 25 septembre suivant, soit plus de quinze jours après l’évènement, que madame Panneton rencontre enfin madame Francoeur pour qu’elle s’explique, suivant ainsi la recommandation de madame Roberge. Selon madame Francoeur, sa supérieure est fâchée et monte le ton. Elle revient sur cet incident à plusieurs reprises dans les jours qui suivent, toujours insatisfaite de ses explications. Convaincue qu’elle cherche à lui retirer la responsabilité des feuilles de congés, madame Francoeur prend les devants et remet sa démission. Madame Panneton nie avoir eu cette conduite. Toutefois, elle questionne aussi avec insistance madame Tessier sur cet évènement.

[118] Bien que madame Panneton nie toute intention de vouloir amorcer un processus disciplinaire contre madame Francoeur, ses agissements démontrent le contraire. La croisade qu’elle mène en s’adressant directement au Service des ressources humaines apparaît sans commune mesure avec la banalité du geste reproché à madame Francoeur. Celle-ci n’est jamais informée par sa supérieure qui ne demande pas sa version. Cet élément est révélateur des véritables intentions qui animent madame Panneton. En effet, il est pour le moins curieux qu’une gestionnaire aussi expérimentée que madame Panneton ait besoin de se faire rappeler d’obtenir la version de son employée alors qu’il s’agit d’une règle élémentaire de gestion.

L’intervention de deux gestionnaires
[119] Le 3 octobre suivant, la haute direction de la Ville de Trois-Rivières tient sa rencontre annuelle avec ses cadres. À cette occasion, deux gestionnaires, amies de madame Panneton, sollicitent une conversation privée avec madame Roberge et monsieur Bertiaux des ressources humaines.

[120] Les deux gestionnaires en question, mesdames Desfossés et Ricard, sont troublées par les confidences qu’elles ont reçues de la part des employées de madame Panneton et par leurs échanges avec cette dernière. Elles rapportent que la gestion de cette dernière est rigide, voire dictatoriale et que son attitude rend le climat de travail pénible pour ses salariées. Madame Roberge témoigne que toutes deux croient qu’il pourrait s’agir potentiellement d’une situation de harcèlement psychologique au sein de ce service.

[121] Selon madame Desfossés, c’est l’état de son ancienne collègue, madame Chartray, qui a « déclenché l’alarme » et l’a poussée à dénoncer la situation. Auparavant une personne solide et dévouée, madame Chartray apparaît aujourd’hui épuisée et désespérée. Elle songe à quitter le service en raison de son milieu de travail. Même constat pour madame Tessier qui lui a aussi confié sa détresse et affirmé que ce sentiment est partagé par les autres salariées du service. C’est donc l’ampleur du malaise ressenti à la cour municipale qui amène madame Desfossés à demander qu’une intervention soit faite auprès de madame Panneton. Cette dernière, de l’avis de madame Desfossés, ne voit aucun problème dans sa gestion.

[122] Pour avoir travaillé elle-même sous son autorité aux élections municipales, madame Desfossés mentionne que madame Panneton est très exigeante et qu’elle lui rappelait sans cesse les règles à suivre en dépit de ses connaissances.

Le rapport intérimaire du 11 octobre
[123] Ces nouvelles révélations s’ajoutent à la conviction de madame Roberge qu’il est pressant d’agir. Elle en parle au directeur Byette le 4 octobre qui, préoccupé par la situation, lui demande de produire un rapport. Celui-ci est complété le 11 octobre suivant. Outre, la chronologie des évènements récents, il contient les déclarations des deux gestionnaires Desfossés et Ricard, la plainte du Syndicat et les propos de l’infirmier avec mention que tous les faits rapportés doivent être vérifiés par une enquête. Il est à noter que la plupart des situations rapportées par madame Roberge proviennent des propos qu’elle a recueillis lors de ses échanges avec madame Panneton.

[124] On peut lire que madame Panneton :

· Mentionne régulièrement aux employées des phrases comme : « C’est moi le patron, c’est moi qui décide ici! »; « tu m’as désobéie! »; « Ce n’est pas elle (en parlant d’une autre employée) qui donne les ordres ici, c’est moi! ».

· Mentionne à une employée qui lui avait dit ne pas être enceinte « tu m’as donc mentie! » après avoir appris ensuite qu’elle l’était effectivement.

· Questionne avec acharnement le travail des employées. Par exemple, elle demande de procéder à la saisie des constats en priorité et elle reproche à certaines employées d’avoir pris des téléphones. Elle leur dit; « Ce n’est pas la priorité que je t’avais demandé! » ; « Je t’ai déjà dit que ce n’est pas une tâche prioritaire »; C’est moi le patron ici »!

· Questionne indiscrètement les employées qui s’absentent pour maladie. Elle demande la raison exacte de la maladie, quel médecin elles consultent et pourquoi et porte des commentaires sur la capacité de l’employée à venir travailler.

· Demande au service des ressources humaines la date de naissance d’une employée. Elle mentionne : « Elle doit bien avoir 53-54 ans! »; « Elle a de la difficulté à suivre le rythme des autres! » Elle demande également à l’infirmier si c’est possible de relocaliser l’employée dans un autre service.

(Reproduit tel quel)

[125] Il est aussi mentionné la réaction de madame Panneton à la suite de l’accident de travail de madame Rainville ainsi que la plainte formulée par la présidente du syndicat.

[126] Le rapport souligne la similarité des reproches actuels avec ceux enquêtés lors de la plainte de madame Bonneville pour harcèlement psychologique; madame Panneton rejette toute critique concernant sa conduite. Pour madame Roberge, l’attitude de dénégation générale de madame Panneton, quant aux problèmes causés par sa gestion, engendre un risque élevé de récidive. Puisqu’il s’agit d’abus d’autorité et d’écarts de langage envers ses employées, elle estime que l’employeur doit prendre les moyens qui s’imposent pour prévenir une aggravation de la situation actuelle.

[127] Madame Roberge recommande d’enquêter sur la conduite et la capacité de gestion de madame Panneton et sur les évènements soulevés dans son rapport.

L’ENQUÊTE DE L’EMPLOYEUR
La rencontre du 15 octobre 2007
[128] Madame Panneton est convoquée au bureau du directeur général, monsieur Byette, le 15 octobre en matinée. Elle informe son supérieur immédiat, Me Poulin qui n’est au courant de rien.

[129] Elle se présente donc seule. Monsieur Byette n’est pas non plus accompagné. Ils s’installent tous deux à la table de travail. Invoquant le rapport de madame Roberge, monsieur Byette lui expose ses inquiétudes concernant sa gestion et souhaite des éclaircissements. Il mentionne à madame Panneton qu’il détient suffisamment d’éléments graves concernant ses agissements envers ses salariées pour recommander au Conseil municipal une suspension avec solde aux fins d’enquête.

[130] Selon le directeur, aucun échange avec madame Panneton n’a été possible durant cette rencontre. Celle-ci ne reconnaît aucune faille dans sa gestion et nie tout ce qui lui est reproché. Elle proteste en disant que les faits et les paroles ont été cités hors contexte. Elle exige des précisions sur les circonstances, le moment et l’identité de toutes les personnes qui se plaignent de sa gestion.

[131] Pour monsieur Byette, les reproches contre madame Panneton ne sont pas l’affaire d’un geste en particulier, mais concernent la manière dont elle dirige son équipe et son style de gestion en général, ce qu’il tente en vain d’aborder. À cette fin, il lui mentionne deux exemples de situations qu’il a lui-même vécues à propos de la rigidité de sa gestion et son absence de compromis. D’abord, son attitude fermée et rigide concernant ses demandes budgétaires lors de la rencontre annuelle de la Ville. L’autre touche à une demande qu’il lui a faite le 21 août 2007 concernant des constats d’infraction.

[132] Monsieur Byette précise qu’il faisait alors référence au ton cassant de madame Panneton et à son attitude face à sa demande. De son côté, la plaignante affirme plutôt que le directeur lui a reproché d’avoir refusé d’annuler ces constats d’infraction.

[133] À l’audience, madame Panneton rejette la prétention de l’employeur voulant qu’elle ait eu une attitude de dénégation. Elle soutient avoir expliqué chacun des éléments qui lui sont reprochés et ajoute n’avoir aucune peine à situer le contexte. Son équipe de travail étant relativement petite, il lui est facile d’identifier respectivement mesdames Rainville et Tessier lorsqu’on réfère à une employée enceinte et une autre âgée. Cette affirmation, faite par madame Panneton à l’audience, contraste singulièrement avec la lettre qu’elle écrit à monsieur Byette le 2 avril 2008 et dans laquelle elle dénonce la « nébulosité des faits qui lui sont reprochés ». Nous y reviendrons.

[134] Donc, pour expliquer les agissements qui lui sont reprochés, elle situe un contexte factuel particulier et dément certains propos qu’on l’accuse d’avoir tenus envers ses salariées. Ainsi, elle nie avoir dit à madame Rainville « T’es pas malade, t’es enceinte! Ce n’est pas censé t’empêcher de travailler! » mais l’a plutôt félicitée et encouragée à en profiter puisque la grossesse n’est pas une maladie. Concernant les livres sur « les employés difficiles », elle affirme qu’ils se trouvent sur son bureau et qu’il s’agit d’un lieu où le personnel n’a pas à se trouver. Par ailleurs, elle justifie son ton autoritaire envers ses employées par ses fonctions de gestionnaire qui l’obligent à donner des directives et qu’il ne s’agit pas là d’abus d’autorité.

[135] À l’audience, madame Panneton déclare avoir dit à monsieur Byette s’être sentie profondément trahie par les ressources humaines qui ne lui ont pas apporté les conseils de gestion demandés et qui ne l’ont pas appuyée quant au comportement harcelant de madame Francoeur. Monsieur Byette nie que de tels propos aient été tenus au cours de leur rencontre.

[136] Madame Panneton soutient que cette rencontre était inattendue puisqu’elle n’avait jamais eu de discussions préalables sur sa manière de gérer « Ça été un grand choc » et ajoute que « le ciel venait de me tomber sur la tête ». Elle se sent traitée comme une criminelle alors qu’elle n’a pas fraudé ou volé la Ville. À l’audience, elle ne comprend toujours pas ce qu’on lui reproche.

[137] Elle ajoute que le directeur Byette n’a aucune ouverture devant ses explications et qu’il s’apprête à recommander le soir même sa suspension aux fins d’enquête administrative au conseil municipal et lui rappelle au passage que plusieurs membres ne sont pas de son côté. Là encore, cette version étonne puisque la plaignante témoigne avoir peu de contacts avec les élus dans le cadre de ses fonctions.

[138] À tout évènement, la rencontre est reportée en fin de journée à 17 heures. D’ici là, monsieur Byette lui demande de réfléchir et de ne pas retourner à ses fonctions. Ceci dans le but de ne pas compliquer davantage la situation avec ses employées. Madame Panneton dit comprendre qu’il veut sa démission.

[139] Ébranlée par cette nouvelle, celle-ci contacte le président de l’Association des cadres, Yvon Verrette, qui lui recommande de consulter un médecin. La journée même, elle obtient un arrêt de travail en raison de son état émotif.

[140] Monsieur Verrette remet l’attestation médicale à l’infirmier. Il nie l’affirmation de madame Roberge voulant qu’il aurait intimidé ce dernier pour ses déclarations contre madame Panneton. Monsieur Verrette soutient plutôt que l’infirmier était choqué d’apprendre que la conseillère Roberge avait déformé ses propos dans son rapport.

[141] Monsieur Verrette s’entretient avec monsieur Byette préalablement à la rencontre fixée pour 17 heures. Cette occasion permet de préciser les intentions de l’employeur et d’aviser monsieur Verrette de la suspension de madame Panneton pendant la durée de l’enquête. La rencontre qui suit est de courte durée puisque cette dernière n’est pas en mesure de fournir sa version. On convient d’attendre son rétablissement. Entre-temps, l’employeur amorce son enquête. Une lettre formelle est transmise à madame Panneton le lendemain :

Madame,

En conformité avec nos rencontres d’hier tenues tôt en matinée ainsi qu’en fin de journée, la présente est pour aviser, par écrit, de l’ouverture d’une enquête administrative eu égard à votre comportement et votre attitude envers certaines personnes salariées travaillant dans vote service.

Tel que déjà discuté avec vous lors de nos dites rencontres, j’ai suffisamment d’éléments inquiétants qui me commandent l’ouverture de cette dite enquête en ce que les agissements qui vous sont reprochés sont répréhensibles, lesquels sont assimilables notamment à de l’abus d’autorité envers les salariés de votre service.

De plus, mes démarches préliminaires m’ont permis de constater que vous avez également tenu des propos désobligeants, en présence de représentants de l’employeur, et ce, à l’égard des salariés de votre service.

Vous comprendrez que compte tenu de la gravité des agissements qui vous sont reprochés, lesquels s’inscrivent dans l’exercice de vos fonctions de responsable de la cour municipale, en plus de s’ajouter aux rencontres passées et aux formations octroyées afin de vous aider à améliorer vos méthodes de gestion, je n’ai d’autre alternative que de procéder à une enquête administrative.

Ce faisant et compte tenu du fait que vous m’avez avisé, en fin de journée hier, avoir obtenu un billet médical, nous avons alors convenu qu’une rencontre devait se tenir afin de vous permettre de transmettre votre version des faits. Une convocation à cet effet vous sera transmise dans les prochains jours.

Soyez assurée que je suis désolé d’avoir à prendre la présente décision ainsi que du formalisme des présentes.

(Reproduit tel quel)

L’enquête auprès du personnel
[142] Madame Roberge est chargée de l’enquête et est assistée d’une avocate spécialisée en relations du travail. Ensemble, elles rencontrent plusieurs personnes individuellement afin de vérifier l’exactitude des faits reprochés à madame Panneton.

[143] Les témoignages recueillis ont été fournis par la présidente Simard et l’agente de griefs Lessard du Syndicat des cols blancs, par les gestionnaires Desfossés et Ricard ainsi que par l’infirmier Houle et cinq salariées provenant du service de madame Panneton : mesdames Tessier, Chartray, Francoeur, Rainville et Dumont. Ces dernières sont accompagnées de la présidente du Syndicat lors des rencontres.

[144] Madame Brunelle, aussi employée à la cour municipale, a fourni ses commentaires par écrit. Seule madame Carrier, engagée que depuis le mois de juillet, n’a pas participé à l’enquête.

[145] L’échange est en mode écoute et vise à recueillir le témoignage de ces personnes. Madame Roberge constate que la situation est pire qu’elle ne le croyait. Les confidences des salariées sont chargées d’émotion. Certaines fondent en larmes de sorte qu’on doit parfois suspendre la rencontre. Elles décrivent unanimement une ambiance de travail tendue occasionnée par la gestion dictatoriale de madame Panneton. Madame Roberge rapporte que le ton et la gestuelle intimidante de la greffière sont imités.

[146] Le 2 novembre, un rapport détaillé est transmis à monsieur Byette. Il comporte plusieurs exemples de gestes et paroles tenus par madame Panneton qui révèlent un style de gestion autoritaire et des valeurs organisationnelles malsaines ainsi que l’utilisation d’un ton et d’un langage inappropriés. Certaines situations décrites par les salariées sont qualifiées d’abus d’autorité par l’employeur.

Les témoignages des salariées
[147] À l’audience, cinq employées au service de madame Panneton au moment de son congédiement, mesdames Tessier, Chartray, Francoeur, Rainville et Dumont, ont témoigné du style de gestion de leur supérieure, parfois avec beaucoup d’émotion. De ces témoignages, la Commission a pu constater l’ampleur du malaise chez ces salariées et leurs effets dévastateurs sur l’ambiance de travail.

[148] Soulignons que la majorité d’entre elles compte plus d’une vingtaine d’années d’expérience au sein de la cour municipale et qu’aucune ne possède d’antécédents disciplinaires. Elles ont livré un témoignage sans hostilité envers madame Panneton tout en démontrant une grande préoccupation pour la qualité de leur travail et le milieu dans lequel elles l’exécutent.

[149] Il ressort que madame Panneton est d’un autoritarisme excessif dans la gestion du travail de ses employées. Elle est inquisitoriale et questionne avec insistance leur emploi du temps, leurs motifs d’absence. Elle est intransigeante, rigide et d’aucun compromis. Ses méthodes de gestion suscitent du stress et une atmosphère de travail tendue. Ses propos ainsi que le ton qu’elle utilise sont méprisants, réducteurs, accusateurs et tranchants à l’endroit de son personnel.

[150] Sous l’autorité de l’ancien greffier Blais, madame Tessier témoigne que les commis collaboraient entre elles et s’entraidaient en se partageant les tâches selon les besoins du service. À son arrivée, madame Panneton a mis fin à cette pratique pour instaurer un horaire de travail hebdomadaire dont elle exige le respect intégral. Aucune modification n’est permise sans son approbation, même la plus mineure. Elle reproche le moindre écart, sans égard aux besoins du service. Pour elle, il s’agit d’un défi à son autorité. Madame Tessier dit avoir tenté, en vain, de faire des suggestions à sa supérieure pour améliorer le climat de travail et réduire leur charge de travail. Peine perdue, celle-ci affiche « un malin plaisir à les démolir ».

[151] Tout cela fait en sorte que l’esprit d’entraide et de collaboration entre salariées s’est éteint. Il n’est plus permis de prendre d’initiative dans l’intérêt du service. À la place s’est installé un climat d’anxiété causé par les fréquentes interventions de madame Panneton qui exige une soumission totale à ses directives. L’employée, prise en défaut, est réprimandée sans ménagement. Bien que cela ne lui soit pas arrivé personnellement, madame Tessier est affectée par les conflits vécus par ses collègues. Le ton, le caractère et l’attitude autoritaire de madame Panneton génèrent des tensions qui amènent toutes les employées à sentir qu’elles marchent sur des œufs, ce qui brise l’ambiance de travail.

[152] Le témoignage de madame Francoeur est au même effet. Dans le but d’obtenir des ressources supplémentaires, madame Panneton demande de fournir quotidiennement des statistiques sur le nombre d’appels reçus et de visites, la durée, le but, le mode de paiement. Cet exercice de compilation, combiné à l’horaire imposé par madame Panneton, maintient un stress permanent et accroît considérablement la charge de travail. Des salariées, dont madame Francoeur, questionnent l’utilité réelle de certaines informations (mode de paiement). De son côté, madame Tessier accuse la greffière d’éterniser la collecte de ces statistiques dans le but de contrôler le rendement de ses employées.

[153] Madame Francoeur rapporte que madame Panneton s’adresse à elle en disant : « C’est moi qui décide! », « c’est moi la gestionnaire, on complète cela comme ça! ». Les directives sont imposées de manière dictatoriale, sans modulation ni ajustement. Elle hausse le ton et pointe du doigt « je t’ai dit! », insiste pour que ses demandes soient exécutées « c’est moi la gestionnaire, tu dois faire ce que je demande ». Mesdames Tessier et Chartray sont du même avis.

[154] Selon les témoignages, madame Panneton ne supporte aucune opposition. Si, par malheur, une employée la contrarie, elle devient sa « cible ». C’est le sort que disent avoir subi madame Francoeur et, dans une moindre mesure, madame Chartray après le départ de madame Bonneville. Pour elles, le même scénario semble donc vouloir se répéter. Madame Chartray souligne qu’elle a critiqué le style de gestion de sa supérieure et constate depuis son changement d’attitude à son égard.

[155] Il est utile de rappeler qu’à une certaine époque, ces deux salariées étaient dans les bonnes grâces de madame Panneton. Madame Francoeur était son bras droit et jouissait d’autonomie dans l’exécution de ses tâches. Depuis, la volte-face de sa supérieure l’a menée à un sentiment d’incompétence, à tel point qu’elle a perdu confiance en ses moyens et doute continuellement d’elle-même. Au mois de septembre 2007, elle confesse son désarroi à son Syndicat. Ce geste est imité par ses collègues Chartray et Tessier qui, de leur côté, alertent la gestionnaire, madame Desfossés.

[156] Madame Francoeur sent qu’elle devient « la nouvelle cible ». Elle mentionne que madame Panneton épie son travail et vérifie régulièrement l’exécution des tâches prévues à la grille horaire. Toute dérogation, même justifiée par les besoins du service, est réprimandée ostensiblement par une gestuelle insistante et autoritaire : « qu’est ce que t’es en train de faire! » « Qu’est-ce que tu fais! ». Sa collègue Tessier corrobore les propos infantilisants de madame Panneton à son endroit.

[157] Madame Francoeur dit être traitée injustement et subir plus de pression que les autres. Le système de rotation prévu à l’horaire fait en sorte qu’elle se retrouve plus souvent au téléphone, ce qui la retarde dans l’exécution de ses autres tâches. Malgré cela, madame Panneton refuse d’apporter des modifications. Elle est la seule à devoir compiler des statistiques relatives au courrier et s’estime lésée lors de l’octroi des heures supplémentaires.

[158] Dans son témoignage, madame Chartray déclare « avoir l’impression qu’elle était dans un film de psychose ». Elle voit que sa collègue Francoeur s’attire régulièrement les foudres de sa supérieure et pressent que son tour va venir. La santé de madame Chartray se détériore au point où elle songe à quitter le travail pour raison de maladie. Sa situation financière l’oblige toutefois à continuer.

[159] De son côté, madame Tessier « se tient tranquille pour ne pas attiser la colère de sa supérieure ». Quant à madame Rainville, elle déclare s’en méfier.

[160] Le ton avec lequel madame Panneton s’adresse à ses employées revient souvent dans les témoignages comme étant méprisant, hautain et directif. Sa gestuelle est intimidante. Elle exprime son mécontentement par des soupirs, des regards ou des réprimandes devant les collègues. Elle impose ses directives de façon autoritaire.

[161] Son style de gestion crée un climat d’insécurité, d’impuissance et de démotivation. « Plus personne ne se parle dans ce bureau ». Madame Panneton ne tolère pas que les salariées discutent entre elles durant les heures de travail. Pour bien se faire comprendre, madame Panneton s’interpose dans la conversation ou jette des regards réprobateurs. Madame Panneton rejette ces prétentions et répond que les enfants de ses employées viennent parfois au bureau.

[162] Son comportement et son attitude sont déstabilisants et génèrent un sentiment d’incompétence pour les salariées. Son humeur est changeante. Toutes témoignent que madame Panneton rend le climat de travail malsain. Elles se sentent sous pression, constamment vérifiées. Il est rapporté que madame Panneton est demeurée derrière une employée pour évaluer son rythme de travail. Ce qu’elle nie.

[163] À une autre occasion, elle désapprouve le choix d’un restaurant et décline l’invitation de ses employées. Elle boude le reste de la journée et n’adresse plus la parole à personne. Toujours mécontente dans les jours qui suivent, elle convoque madame Chartray à son bureau et lui dit: « Sais-tu comment je me suis sentie? Que cela ne se reproduise plus ».

[164] Les quelques exemples suivants sont tirés du témoignage des salariées et illustrent le style de gestion de madame Panneton, son attitude et les conséquences sur l’ambiance de travail.

[165] Au mois de juin 2007, madame Rainville se blesse au dos en soulevant des boîtes et en avise madame Panneton. Cette dernière réagit en criant (Mme Chartray dira qu’elle hurle littéralement) : « Qu’elle n’avait jamais eu de plainte et que cela lui ferait un mauvais dossier » et que « des salariées cols blancs ne peuvent avoir d’accident du travail ». Elle réprimande sévèrement madame Rainville et lui reproche d’avoir « désobéi » en soulevant les boîtes. Celle-ci quitte en pleurant. Plusieurs employées sont témoins de la scène.

[166] Lors de cet évènement, madame Panneton vérifie auprès de madame Chartray si elle a été témoin de l’accident et insinue que madame Rainville s’est peut-être blessée en moto. Prétextant que la présence de témoins est nécessaire pour conclure à la survenance d’un accident du travail, madame Chartray est invitée à déclarer qu’elle n’a pas vu madame Rainville soulever des boîtes. Madame Chartray s’indigne de la demande de sa supérieure car elle a personnellement vu sa collègue pousser un chariot rempli de boîtes.

[167] Madame Panneton nie avoir tenu de tels propos lors de cet évènement, ayant été elle-même victime d’un accident de travail dans le passé. Elle admet toutefois avoir haussé le ton mais se justifie en affirmant qu’il s’agissait d’une réaction d’inquiétude à l’égard de son employée enceinte. Il lui apparaissait inconcevable que madame Rainville soulève des boîtes sans compromettre sa santé et celle de son enfant. Elle mentionne s’être excusée auprès de madame Rainville, ce que dément cette dernière.

[168] Les préoccupations évoquées à l’audience par madame Panneton se concilient difficilement avec les propos qu’elle adresse à madame Rainville en raison de sa grossesse. Enceinte depuis peu, madame Rainville est sujette à de fréquentes nausées. Indisposée par l’odeur du café de madame Panneton qui passe à proximité, cette dernière mentionne : « Ben voyons, est pas malade est juste enceinte ». À une autre occasion, madame Panneton répond à madame Rainville qui, incommodée, doit quitter le travail : « T’es pas malade, t’es enceinte, c’est pas supposé t’empêcher de travailler ». Lorsque cette absence se prolonge, elle lui reproche d’en être informée après madame Francoeur et ne manifeste aucune empathie. Il y a lieu de souligner également qu’en présence de madame Roberge des ressources humaines, madame Panneton fait des commentaires désobligeants quant à la grossesse de sa salariée lors de la rencontre du 3 août. Également, madame Tessier témoigne de la froideur de sa supérieure lorsque madame Rainville annonce sa grossesse alors que toutes sont ravies pour elle.



[169] Madame Panneton nie tout. Elle dit avoir plutôt mentionné à madame Rainville que d’être enceinte, ce n’est pas une maladie afin qu’elle profite pleinement de sa grossesse. Pour démontrer sa compassion, elle ajoute que sa sœur a eu une grossesse difficile qui l’a obligée à quitter le travail.

[170] Un autre exemple concerne l’annulation par erreur d’une commande d’impression, le 11 septembre 2007, imputée à madame Chartray. Madame Panneton lui reproche : « Faudrait pas que tu commences ce petit jeu ». N’étant responsable de rien, madame Chartray quitte la pièce offusquée par l’accusation de sa supérieure. Celle-ci la suit sur les talons et lui ordonne de venir dans son bureau en clamant : « J’aime pas la façon dont tu me parles, c’est moi la patronne ». Ce à quoi répond madame Chartray : « Aujourd’hui je te parle comme cela demain je verrai » et se retranche dans son bureau. Madame Panneton tente ensuite de la joindre par téléphone plus d’une dizaine de fois dans la journée.

[171] Pour sa part, madame Panneton affirme qu’elle a simplement adressé une mise en garde à madame Chartray, comme à toutes ses employées, pour éviter que ce genre d’incident ne se reproduise. Selon elle, la réaction de sa salariée était démesurée.

[172] Madame Panneton est dépeinte comme une personne froide qui manque d’empathie et de compassion comme en font foi les témoignages de mesdames Chartray et Tessier, éprouvées toutes deux par le décès de leur mère.

[173] À son retour au travail, madame Chartray est peinée de n’avoir reçu aucun courriel de sympathie de la Ville malgré ses 25 années de loyaux services. Face à la réaction de madame Chartray, elle lui répond que ce n’est pas de sa responsabilité et ajoute : « C’est pas grave. C’est juste une montée de lait que tu fais, ça va passer ». Ces propos ont profondément blessé madame Chartray. Madame Panneton soutient que ce n’est pas ce qu’elle a dit.

[174] Pour sa part, madame Tessier mentionne que la plupart de ses collègues de travail sont allées au salon funéraire ou ont transmis leurs condoléances. Quant à madame Panneton, elle lui laisse un bref message de condoléances et lui rappelle qu’elle est en absence non autorisée. À son retour au travail, on exige qu’elle fournisse un certificat médical pour justifier son absence de plus de trois jours consécutifs. Madame Panneton répond avoir agi dans l’intérêt de son employée et sur la recommandation des ressources humaines. Selon elle, son message était chaleureux.

[175] Toujours concernant son manque d’empathie, il est rapporté qu’elle déclare : « elle n’a pas besoin de voir les clients à la cour, juste de les entendre! », lorsque des salariées déplorent que madame Rainville se présente au travail malgré une importante infection aux yeux. Celle-ci témoigne ne pas avoir entendu ses propos, mais ajoute qu’elle lui a fait le commentaire : « C’est ça être temporaire! ». Selon madame Panneton, il s’agissait d’une simple plaisanterie.

[176] Madame Tessier mentionne être interrogée régulièrement sur son état de santé, sa médication ainsi que sur le nom de son médecin, particulièrement depuis le retour de son congé de maladie. En outre, madame Panneton fait souvent allusion à son âge et s’informe de ses intentions face à la retraite. Elle admet avoir parlé de son état de santé, mais dit se sentir obligée de répondre aux questions insistantes de sa supérieure. Madame Chartray témoigne du même malaise que celui ressenti par sa collègue. Elle a d’ailleurs questionné la façon d’agir de sa supérieure auprès du Syndicat.

[177] Il est aussi rapporté que madame Panneton fait preuve de favoritisme à l’égard de ses employées diplômées. À l’emploi depuis seulement deux semaines, madame Panneton a désigné madame Rainville, responsable de la cour municipale en son absence. Pour sa part, madame Chartray déclare s’être fait dire sur un ton méprisant : « t’es chanceuse d’être perceptrice toi ».

[178] Alors qu’elle est toujours en arrêt de travail depuis le 15 octobre 2007, madame Panneton dépose une plainte de harcèlement psychologique contre son employeur, le 4 janvier 2008.

Rencontre du 31 mars 2008
[179] Comme le médecin autorise madame Panneton à reprendre progressivement le travail à compter du 1er avril 2008, l’employeur la convoque la veille afin d’obtenir sa version sur les éléments de l’enquête qui questionnent sa capacité de gestion. À cette fin, on lui transmet un avis contenant les éléments recueillis à l’enquête appuyés d’exemples concrets de gestes et de paroles qui lui sont reprochés. Il est essentiellement question de ses méthodes de gestion autoritaires et de son langage abusif et méprisant à l’égard de ses employées.

[180] Au jour fixé pour la rencontre, madame Panneton, alors accompagnée de monsieur Verrette, se déclare incapable de se défendre en raison de l’imprécision des faits allégués. La rencontre est reportée au 4 avril suivant et une nouvelle convocation plus détaillée lui est transmise comme convenu. Ce document l’avise du même coup qu’elle est suspendue aux fins d’enquête jusqu’à ce qu’une décision soit rendue. La Commission estime pertinent de reproduire l’intégralité du document :



OBJET : Avis de convocation amendé à une rencontre à la direction générale afin de vous permettre de transmettre votre version des faits dans le cadre de l’enquête administrative ouverte le 15 octobre 2007

Madame,

Veuillez trouver ci-joint un avis de convocation amendé, tel que vous nous l’avez demandé lors de notre rencontre du 31 mars dernier.

Cependant, veuillez noter que nous vous communiquons l’essentiel des éléments d’enquête recueillis et que la ventilation de ceux-ci n’est pas limitative. Ces éléments décrivent les observations et les allégations recueillies pour certaines dans un cadre général de travail au sein du Service du greffe et des services juridiques de la Ville de Trois-Rivières.

Nous reprenons dans l’ordre les éléments d’enquête communiqués dans notre avis du 28 mars dernier tout en y ajoutant une mise en contexte et/ou des précisions, le cas échéant.

Aux fins de notre rencontre, nous vous soumettons le sommaire des éléments d’enquête recueillis, dont le détail s’établit comme suit :

· Vous auriez un style de gestion autoritaire et abusif ainsi que des valeurs organisationnelles allant à l’encontre des valeurs de respect des autres, d’acceptation de la différence, de l’acceptation de l’erreur et de la valorisation du travail d’équipe préconisées à la Ville de Trois-Rivières.

· Vous utiliseriez un ton et un langage inappropriés à l’égard des personnes salariées de votre service.

· Sans restreindre la généralité de ce qui précède, nous vous soumettons également des exemples au soutien du sommaire des éléments ci-avant mentionnés, à savoir :

STYLE DE GESTION

Mise en contexte

Dans le cadre de la gestion des effectifs de votre service, vous prononceriez régulièrement des paroles abusives envers vos personnes salariées, et vous questionneriez celles-ci de façon excessive sur leur prestation de travail lorsque :

Vos personnes salariées vous suggèrent une organisation du travail autre que l’horaire de travail que vous auriez préétabli.

Vos personnes salariées sont dans l’incapacité de respecter votre horaire de travail en raison des besoins ponctuels et opérationnels du service.

Vous prononceriez des paroles abusives à vos personnes salariées, lesquelles paroles seraient accompagnées de votre gestuelle insistante et intimidante (vous pointeriez et talonneriez vos salariés) :

« C’est moi le patron! »;

« Ce n’est pas elle qui donne les ordres ici, c’est moi! »;

« Tu m’as désobéi! »;

« C’est moi la gestionnaire ici »;

« C’est moi qui décide! »;

« C’est à ton patron que tu parles! »;

« Toi, tu es une perceptrice et c’est moi la gestionnaire ici »;

« Qu’est-ce que tu fais? »;

« Qu’est-ce que tu es en train de faire? »;

« Ce n’est pas à toi à faire cette tâche ».

Vous questionneriez aussi de façon excessive les personnes salariées de votre service notamment, sur leur vie privée ou encore sur les raisons au soutien d’une demande de congé de quelque nature qu’il soit, le tout tel qu’il sera plus amplement discuté sous la rubrique « ton et langage ».

Vous donneriez des instructions à vos personnes salariées de façon courante et répétée vers 16 h 25 alors qu’elles terminent leur journée à 16 h 30. Vous demanderiez que ce travail soit remis dès le lendemain matin.

Vous imposeriez vos procédures personnelles afin de contrôler le rendement des salariés notamment vous demanderiez à vos personnes salariées de répertorier la durée, le but, les raisons des visites/clients ou encore des appels/clients.

Vous demanderiez aux personnes salariées de votre service de noter les erreurs dans la prestation de travail d’une personne salariée absente.

TON ET LANGAGE

Vous prononceriez des paroles irrespectueuses, abusives et méprisantes envers les personnes salariées, à savoir :

Mise en contexte

Lorsque vous avez eu de la gestion de personnel à effectuer en raison des demandes des personnes salariées de s’absenter, vous auriez prononcé des remarques eu égard aux raison invoquées par celles-ci notamment ce qui suit :

Au moment d’une demande de congé d’une personne salariée enceinte, vous lui auriez mentionné :

« T’es pas malade, t’es enceinte »;

« Ce n’est pas censé t’empêcher de travailler ».

Alors que vous auriez été informée que l’une de vos personnes salariées souffrait d’une infection aux yeux et devant la possibilité de cette dernière de prendre une « maladie », vous auriez rétorqué aux personnes salariées de votre service :

« Elle n’a pas besoin de voir les clients à la cour, elle a juste besoin de les entendre ».

Vous auriez également émis des remarques inappropriées sur vos personnes salariées à des gestionnaires de la Ville :

« Ça fait pas longtemps qu’elle est ici et elle est déjà enceinte »;

« Elle vient juste de terminer sa période de probation et elle m’annonce qu’elle est enceinte ».

Vous demanderiez de façon insistante des informations confidentielles sur les personnes salariées de votre service auprès du Service des ressources humaines détenant l’information en raison de leurs fonctions professionnelles, et ce, malgré le fait que vous auriez été avisée par vos collègues des raisons motivant leur refus de vous transmettre lesdites informations confidentielles.

Les informations que vous auriez demandées seraient notamment les suivantes :

· L’âge des personnes salariées;

· Le diagnostic des personnes salariées malades;

· Le nom de leur médecin traitant;

· Le détail du suivi médical;

· La date d’admissibilité à la retraite d’une personne salariée de votre service, sous prétexte « qu’elle ne suit pas le train » ou encore « qu’elle n’est pas jeune, pouvons-nous la mettre ailleurs? »;

· Vous convoqueriez de façon systématique les personnes salariées de votre service qui demandent un congé de maladie, lesquelles rencontres peuvent durer environ 1 h à 1 h 30 au cours desquelles vos personnes salariées feraient l’objet d’un interrogatoire sur le détail médical au soutien de leur demande de congé.

Vos méthodes de gestion apparaissent excessives, déraisonnables, contraires aux politiques de la Ville, et à l’ordre public, notamment et sans restreindre la généralité de ce qui précède :

· Vous réprimanderiez les personnes salariées de votre service (infantiliseriez une personne salariée en présence de ses collègues de travail, par exemple, vous seriez demeurée, à plusieurs reprises, derrière une personne salariée temporaire afin qu’elle accélère son rythme de travail et vous auriez exigé de cette personne un volume de travail plus élevé qu’un rendement fourni régulièrement par une personne salariée d’expérience).

· Vous refuseriez ou retarderiez arbitrairement l’approbation de congés prévus à la convention collective.

· Vous pratiqueriez le favoritisme envers les personnes de votre service via notamment l’octroi du temps supplémentaire à être effectué.

· Vous feriez des distinctions eu égard au statut des personnes salariées diplômées versus les commis en favorisant notamment les personnes salariées diplômées dans votre répartition des tâches.

· Vous auriez retiré des responsabilités à une personne salariée de plus de vingt-cinq (25) ans d’ancienneté en lui retirant les clés donnant accès au bureau, laquelle personne salariée est reconnue pour débuter sa journée de travail à 7 h 45.

· Alors qu’une personne salariée de votre service vous aurait demandé la procédure pour déclarer un accident de travail après s’être blessée au dos en soulevant une boîte, vous auriez vivement réagi en criant, et ce, malgré la présence de la clientèle. Vous auriez dit que :

« Vous n’aviez aucune « plainte » à votre dossier et qu’une personne salariée col blanc ne peut avoir d’accident de travail ».

· Toujours dans le cadre de cet évènement, vous auriez convoqué une autre salariée dans votre bureau pour lui demander d’écrire une lettre à l’effet qu’elle ne l’avait pas vue lever les boîtes et qu’elle n’était pas témoin de l’incident tout en prétextant que la personne salariée se devait d’avoir des témoins pour l’admissibilité de « sa plainte ».

· Vous ne toléreriez pas que les personnes salariées de votre service discutent entre elles et vous les aviseriez que :

« Pour fraterniser entre employés, il y a des pauses, c’est tout! ».

Lors de notre rencontre du 15 octobre dernier tenue en matinée, vous avez nié de façon catégorique les éléments inquiétants qui commandaient l’ouverture de l’enquête administrative.

À la lumière des éléments et des exemples ci-avant mentionnés, nous désirons recevoir votre version des faits sur ceux-ci et/ou vos commentaires et vous permettre d’exprimer votre point de vue, nous permettant d’apporter un éclairage différent aux éléments d’enquête que nous venons de vous soumettre.

Nous comptons sur votre collaboration dans le cadre de cette procédure d’enquête.

(Reproduit tel quel)

[181] Ce complément d’informations ne satisfait toujours pas madame Panneton qui considère qu’elle n’a pas suffisamment de précisions sur ce qu’on lui reproche. De plus, elle met en doute le processus d’enquête et écrit une lettre à cet effet, le 2 avril 2008, qu’il est aussi utile de reproduire :

Monsieur,

Votre lettre concernant la remise de la rencontre du 31 mars 2008 et l’avis de suspension avec rémunération pour fins d’enquête datée du 31 mars 2008 m’a été livrée chez-moi par le messager de la Ville à 16h28.

Au deuxième paragraphe de cette lettre, vous écrivez « vous avez informé le soussigné que vous refusiez de transmettre votre version des faits à moins de recevoir des précisions sur l’avis de convocation daté du 28 mars 2008 ».

Cet avis de convocation, bien que daté du 28 mars 2008, m’a été transmis à mon domicile par le messager de la Ville à 9h20 le 31 mars 2008. Je me suis présentée à la rencontre de 15h00 le même jour accompagnée de M. Yvon Verrette, président de l’Association des cadres de la Ville de Trois-Rivières. À cette occasion, je n’ai pas refusé de transmettre ma version des faits. Il a été spécifié que je n’étais pas en mesure de répondre aux énoncés de cette lettre étant donné le degré d’imprécisions des faits allégués.

Puis, vous écrivez également que la Ville aurait été informée le jeudi 27 mars « en fin de journée » de mon retour progressif à compter du 1er avril 2008. D’abord, cette information a été transmise à la Ville de Trois-Rivières à 14h50 le 27 mars 2008 » Puis, j’ai voulu aborder cette question du retour progressif au travail avec vous le 18 mars dernier, étant donné les probabilités réelles et élevées que mon médecin traitant, que je rencontrais le 27 mars suivant, allait m’indiquer que je serais capable de reprendre mon travail avec un retour progressif. Vous avez refusé de le faire dans des circonstances qui portent atteinte à ma dignité et qui ajoutent au harcèlement psychologique dont je suis victime de la part de la Ville de Trois-Rivières.

En effet, lors d’une rencontre à la Commission des normes du travail en marge d’une médiation que vous aviez acceptée, vous avez quitté les lieux, en l’absence de toute courtoisie. Alors que j’attendais avec mon avocat dans une salle attenante à la demande de votre avocat que vous ayez fini de discuter avec elle de cette question, vous avez quitté sans même nous avertir de votre départ. Dans ces circonstances, mon retour progressif au travail à compter du 1er avril ne peut être pour vous une bien grande surprise.

Par ailleurs, lors de la rencontre du 31 mars, vous nous avez dit que vous alliez contacter monsieur Verrette sur son cellulaire dès ce même jour, ce que vous n’avez jamais fait ni par la suite.

De plus, vous vous êtes formellement engagé à nous transmettre un « avis de communication amendé » dans le but de nous « permettre de transmettre (notre) version des faits ». Nous avons bien reçu votre lettre du 2 avril 2008. Celle-ci comporte au deuxième paragraphe une restriction importante quant à la communication complète des faits soutenant les prétendus reproches alors que votre enquête est terminée. Pourquoi la ville se garde-t-elle la possibilité d’ajouter des faits? Ou bien l’enquête est terminée, alors nous nous attendons à être mise au courant de tous les faits ou bien elle n’est pas terminée, alors la rencontre pour donner notre point de vue nous apparaît prématurée.

En ce qui concerne les précisions auxquelles nous sommes en droit d’attendre, nous constatons qu’il n’y en a pas. Les mises en contexte, sauf le titre que vous leur donnez, n’en sont pas. Vous ajoutez même à la nébulosité du départ par des paragraphes peu éclairants dont ceux concernant les prétendues insatisfactions de « mes personnes salariées » envers l’horaire.

À la lecture, tant de la lettre datée du 28 mars 2008 que celle du 2 avril 2008, nous ne connaissons pas qui aurait « subi ma gestion », quant les paroles auraient été dites, quand des gestes auraient été posés, ni dans quel contexte factuel. À titre d’exemple, il est possible qu’en tant que gestionnaire, j’ai demandé à des salariées ce qu’elles faisaient. Où est la faute?

Nous allons nous présenter à la rencontre de vendredi. Vous comprendrez cependant que dans les circonstances, nous ne sommes pas davantage renseignée sur les faits que nous l’étions lundi dernier et que nous sommes sceptique quant au degré d’écoute que la direction générale nous prêtera.

(Reproduit tel quel)

Rencontre du 4 avril 2008
[182] Monsieur Verrette accompagne madame Panneton à la rencontre du 4 avril 2008 à laquelle assistent le directeur général Byette et aussi monsieur Bertiaux des ressources humaines.

[183] Dans l’échange qui suit, madame Panneton adopte une attitude de dénégation générale systématique quant à tous les éléments qui lui sont reprochés. Elle n’admet aucune responsabilité, nie tout geste répréhensible de sa part, toute inconduite et tout manquement aux exigences de ses fonctions. Selon monsieur Byette, c’est vainement qu’il la questionne pour obtenir des explications sur les plaintes concernant ses méthodes de gestion abusives et son autoritarisme. Madame Panneton est opposante, parfois même hautaine et méprisante à son endroit.

[184] Il enchaîne en disant qu’elle demeure insensible devant les malaises exprimés par ses employées relativement à ses méthodes de gestion. Elle n’éprouve aucune compassion face à leur perception. Son absence d’autocritique fait en sorte qu’elle est incapable d’une remise en question de son attitude et de son comportement. Elle ne comprend pas en quoi elle est fautive et accuse ses employées de ne pas être assez fortes pour subir une gestion serrée.

[185] Monsieur Byette reproche à madame Panneton de toujours ramener la discussion sur des évènements ponctuels et de mettre l’emphase strictement sur la véracité d’une phrase, l’exactitude des mots qu’elle a utilisés ou la nature du geste qu’elle a posé, refusant ainsi d’aborder la question de sa gestion dans sa globalité. Par cette approche réductrice, elle justifie toutes ses interventions en prenant soin de les replacer dans leur contexte factuel particulier qu’elle décrit avec force de détails. Ainsi, à titre d’exemple, monsieur Byette mentionne pour illustrer le genre de réponse de madame Panneton : « J’ai pas dit t’es malade, mais t’es peut-être malade ».

[186] La rencontre n’ayant encore mené à aucune avancée constructive, monsieur Byette met son questionnaire de côté et invite sa vis-à-vis à lui parler en dehors de toute règle pour l’aider à comprendre la situation. Il veut une discussion franche et sans détour. Peine perdue, madame Panneton ne montre aucune ouverture et persiste à nier les faits. Monsieur Bertiaux confirme les propos de son collègue Byette.



[187] Ce dernier rapporte avoir aussi exprimé son « désarroi » relativement aux propos accusateurs que tient madame Panneton dans sa lettre du 2 avril 2008 et que celle-ci n’a exprimé aucun regret. À l’audience, elle mentionne que rien de cela n’a été abordé lors de la rencontre du 4 avril 2008.

[188] Par ailleurs, elle explique que ses difficultés à répondre aux questions de monsieur Byette sont attribuables à l’imprécision des faits qui lui sont reprochés. Selon elle, toutes les déclarations et les situations énumérées dans l’avis de monsieur Byette sont dénuées de mise en contexte. D’ailleurs, madame Panneton réitère à l’audience qu’elle ignore toujours le contexte dans lequel ces déclarations ont été dites, cela malgré les nombreux témoignages entendus autant de ses employées que de la direction de l’employeur.

[189] Toujours selon madame Panneton, elle a démenti, lors de la rencontre, avoir fait des remarques inappropriées sur la grossesse de madame Rainville ou la capacité de travail et l’âge de madame Tessier. Concernant ses prétendues déclarations malveillantes, elle nie avoir dit « Toi, tu es une perceptrice et moi la gestionnaire ici » et rectifie comme suit : « C’est toi la perceptrice, tu as tous les pouvoirs ». Pour ce qui touche l’abus d’autorité au moyen des déclarations suivantes : « C’est moi la gestionnaire ici! », « qu’est ce que tu es en train de faire? », « C’est à ton patron que tu parles ! », elle mentionne qu’il est possible qu’elle ait prononcé ces paroles, mais ignore quand et dans quel contexte.

[190] Quant au favoritisme à l’égard des employées détenant une technique juridique (greffière-audiencière) lors de la répartition des tâches, elle plaide que ces distinctions découlent de la convention collective et qu’elle n’a jamais eu de grief à ce sujet. Il en va de même à l’égard de l’attribution des heures supplémentaires.

LE CONGÉDIEMENT
[191] À la suite des trois rencontres tenues les 15 octobre 2007, 31 mars et 4 avril 2008, l’employeur conclut que madame Panneton ne possède pas les qualités professionnelles et humaines pour exercer ses fonctions de gestionnaire à la cour municipale. À cela, s’ajoute sa conduite dans le cadre du processus d’enquête. Monsieur Byette lui transmet la lettre suivante le 17 avril 2008 :

OBJET : Recommandation de destitution au Conseil municipal

Madame,

La présente fait suite à nos rencontres tenues respectivement le 15 octobre 2007, le 31 mars 2008 ainsi que le 4 avril 2008 et à la suspension avec solde qui vous a été imposée pour fin d’enquête administrative relativement à votre comportement et attitude envers certaines personnes salariées travaillant dans votre service.

Suite à nos dites rencontres afin de connaître votre version des faits, à l’enquête administrative et considérant les évènements antérieurs, nous concluons que vous n’avez pas les qualités professionnelles et humaines requises pour exercer vos fonctions de gestion à titre de greffière de la cour municipale au sein de la Direction du greffe et des services juridiques.

S’ajoute aux motifs ci-avant exprimés, votre conduite dans le cadre du processus d’enquête.

Malgré le fait que vous avez eu plusieurs occasions de vous exprimer et d’expliquer votre point de vue et malgré le fait que vous étiez placée devant un fait incontestable, à savoir que je vous ai exprimé mon désarroi à titre de directeur général relativement au contenu et au ton répréhensibles de votre lettre datée du 2 avril 2008, vous avez joué un rôle passif en continuant de nier les faits qui vous étaient reprochés. Vous avez également conservé votre attitude de défi d’autorité.

De plus, vous avez manifesté ni regret, ni remord, ni intention de faire amende honorable quant à la transmission de votre lettre.

Par vos agissements et vos attitudes que vous avez adoptées lors de nos rencontres, vous avez irrémédiablement et définitivement rompu le lien de confiance qui doit nécessairement exister entre l’employeur et vous.

(…)

(Reproduit tel quel)

[192] Madame Panneton est ainsi avisée que sa destitution sera recommandée au conseil municipal lors de sa prochaine séance prévue pour le 21 avril suivant. Si elle le désire, elle est admise à se faire entendre par écrit ou verbalement, pourvu qu’elle en informe monsieur Byette au plus tard à midi le même jour.

[193] En dépit de cette directive, madame Panneton s’adresse directement aux membres du conseil, en leur transmettant une lettre par courriel, dont l’original n’est remis à monsieur Byette que peu de temps avant le début de la séance.

[194] Lors de cette séance, monsieur Byette présente son rapport au conseil municipal et expose les motifs qui l’on conduit à recommander la destitution de madame Panneton. Il est notamment mentionné :

· son style de gestion autoritaire et abusif ainsi que des valeurs organisationnelles allant à l’encontre des valeurs de respect des autres, d’acceptation de la différence, de l’acceptation de l’erreur et de la valorisation du travail d’équipe préconisé à la Ville de Trois-Rivières :

· son attitude autoritaire et sa manie de rappeler, de façon journalière, son autorité démontrent une absence de qualité professionnelle et humaines essentielle pour exercer ses fonctions de gestionnaire dans son service;

· ses méthodes de gestion sont excessives, déraisonnables, contraires aux politiques de la Ville. Enfin, elle utilise un ton et un langage inappropriés (paroles abusives) à l’égard de ses personnes salariées.

(Reproduit tel quel)

[195] Monsieur Byette explique que le témoignage des cadres qui sont intervenus en soutien de gestion ainsi que celui des employées de la cour municipale sont concordants, crédibles et rendus sans hostilité. À l’inverse, madame Panneton a toujours maintenu une attitude de confrontation quant à la démarche de l’employeur, nié catégoriquement quelque responsabilité de sa part et refusé toute remise en question de ses méthodes et de sa conduite. Selon lui, cet « entêtement » n’augure rien de bon pour l’avenir et représente un risque élevé de récidive, surtout que des problèmes semblables de gestion sont survenus dans le passé.

[196] Dans la lettre transmise au Conseil municipal, madame Panneton nie avoir défié l’employeur et soutient avoir plutôt cherché à comprendre les faits qui lui étaient reprochés, malgré l’ambiguïté de ceux-ci. Elle s’exprime en ces termes :

(…)

Vous vous apprêtez à possiblement voter une résolution me destituant de mes fonctions. Je tiens à vous rappeler que même à ce jour, je ne connais pas vraiment les faits qui me sont reprochés. Les éléments qui ont été portés à mon attention, le 15 octobre, je les ai niés dans la mesure où ils étaient suffisamment explicites pour pouvoir le faire. Quant aux autres, j’attends toujours des éclaircissements.

En aucun temps, je n’ai refusé de collaborer à l’enquête ni refusé de donner mon point de vue. Il m’a été impossible de donner une réponse à plusieurs « reproches ». À titre d’exemple, j’aurais dit « c’est moi le patron ». Il est impossible de voir dans cette phrase une quelconque faute. Comment peut-on y répondre? Lorsque des faits qui m’étaient rapportés mais qui portaient sur des sujets où je pouvais apporter un élément de réponse, je l’ai fait et je lui ai indiqué que je n’avais pas mal agi. Cependant, je n’ai pas été capable de donner des explications complètes compte tenu de l’ambiguïté des reproches et de l’absence de réponse à nos demandes de précisions.

(…)

[197] Monsieur Verrette, alors président de l’Association des cadres, témoigne de la collaboration de madame Panneton durant l’enquête et insiste pour dire qu’elle a travaillé fort pour répondre aux questions portant sur un rapport qui, selon lui, était « vague » et « ne contenait pas grand-chose ». Il ajoute qu’elle était « dans le néant avec des petites phrases qui n’étaient pas mises en contexte ».

La version de la plaignante
[198] À l’audience, madame Panneton répète qu’elle ne sait toujours pas ce qu’on lui reproche. Mis à part une surcharge de travail, elle affirme que le climat était bon et qu’il n’est survenu aucun problème particulier à la cour municipale. D’ailleurs, le Syndicat et la Direction des ressources humaines n’ont jamais eu à intervenir relativement à sa gestion.

[199] Elle recadre systématiquement tous les comportements qui lui sont reprochés dans le véritable contexte dans lequel, selon elle, tout cela est survenu. De cette manière, elle justifie, en sa faveur, ses réactions, les déclarations prononcées, la gestuelle utilisée, le ton de sa voix, son attitude et ses méthodes de gestion. Pour ce faire, elle nuance les témoignages de ses employées et ceux des cadres, rectifie les faits, affirme que ses propos ont été déformés ou qu’on lui prête de mauvaises intentions. Elle dit que des faussetés sont colportées sur sa personne.

[200] Ainsi, c’est erronément qu’on lui reproche d’avoir haussé le ton, claqué des portes, tenu des propos méprisants ou abusé de son autorité à l’égard de ses employées. À son profit, elle évoque les commentaires positifs reçus de certaines employées temporaires. Aucune n’a témoigné.

[201] Madame Panneton se défend d’être une gestionnaire autoritaire. C’est pour taquiner madame Roberge qu’elle lui a dit « tu m’as menti » après avoir appris qu’elle était enceinte. Elle admet cependant avoir peut-être déclaré « c’est moi le patron » mais uniquement pour rappeler à madame Dumont : « Ce n’est pas Carmen qui décide, c’est moi ton patron! » et avoir rappelé lors d’une rencontre tenue avec ses employées au mois de septembre 2007 : « C’est elle qui est imputable comme gestionnaire ».

[202] Par ailleurs, c’est du bout des lèvres qu’elle admet avoir levé le ton à deux occasions : l’une avec Andrée Bonneville, l’autre lors de l’accident de travail de Julie Rainville où elle dit s’être excusée.

[203] Elle nie avoir passé des commentaires désobligeants en lien avec l’état de grossesse ou l’âge de ses employées, ni vouloir forcer leur mise à la retraite. Si elle a abordé la retraite de madame Tessier avec l’infirmier, c’est pour des raisons de gestion d’effectifs et non dans le but d’accélérer son départ. Quant à son âge, elle ne croyait pas que cette information était confidentielle.

[204] Elle se défend aussi d’imposer des règles strictes et de maintenir un stress permanent chez ses employées pour l’atteinte de standards de performance puisque ces exigences proviennent de la loi. L’imposition d’un horaire de tâches lui vient d’une suggestion faite par une employée de son service.

[205] Parfois, elle vérifie l’emploi du temps de ses employées pour leur assigner du travail mais toujours avec courtoisie et en tenant compte des besoins opérationnels de son service. Madame Panneton considère exercer une gestion de type consultative. C’est par empathie et préoccupation pour ses employées qu’elle s’informe de leur santé et de celle de leurs proches. Dans le passé, elle dit avoir accepté des demandes d’affectation ou de congé pour accommoder ses employées.

[206] À propos de madame Francoeur, elle explique que celle-ci a volontairement renoncé à s’occuper de la gestion des absences, sans aucune pression. D’autre part, sa grande expérience faisait d’elle la personne toute désignée pour compiler les statistiques sur le courrier reçu à la cour municipale (volume de correspondance, nature et motif de la demande, durée de traitement). Toutefois, madame Francoeur n’a jamais été informée de la raison pour laquelle elle seule avait été choisie pour cette tâche.

[207] Madame Panneton témoigne qu’elle était harcelée par madame Francoeur et prétend que celle-ci a toujours eu des relations interpersonnelles difficiles avec ses collègues de travail incluant celles de l’ancienne Ville de Trois-Rivières Ouest. Elle a réclamé en vain le support des ressources humaines dans la gestion de cette employée.

[208] Madame Panneton témoigne de sa réaction de surprise lors de sa rencontre avec monsieur Byette le 15 octobre 2007 : « Je n’ai jamais rien vu venir », « J’étais à terre ». Elle n’a pas compris le soudain changement d’attitude de monsieur Byette à son endroit. Les commentaires reçus de ce dernier dans le passé et ses excellentes relations avec son supérieur immédiat ne laissaient aucunement présager une suspension pour enquête sans avertissement préalable.

[209] En outre, elle trouve curieux que la plainte de harcèlement psychologique, dont elle a fait l’objet en 2006, soit invoquée comme élément aggravant dans la décision de l’employeur puisqu’elle a été complètement blanchie. Elle rappelle que lors d’un dîner qui a suivi cet évènement, le directeur Byette l’a louangée pour la qualité de sa gestion.

[210] Pour la plaignante, cette brusque volte-face où elle passe « d’un statut de gestionnaire exemplaire à celui de paria » cache un autre motif qu’elle soutient être son refus d’annuler des constats d’infraction. Ainsi donc, le désaveu de ses méthodes de gestion à la cour municipale ne serait qu’un fallacieux prétexte pour l’éliminer de sa fonction de greffière.

Les demandes d’annulation de constats d’infraction
[211] Au soutien de cette prétention, madame Panneton rapporte une série d’évènements qui ont précédé son congédiement.

[212] Les premiers concernent deux rapports d’activité d’agents de stationnement qui lui ont été transmis au début de l’année 2007. Comme déjà mentionné, madame Panneton supervise les activités des agents de stationnement de la Ville. Il y est rapporté que le maire Lévesque est intervenu le 30 janvier et le 15 février auprès d’agents, pour leur demander d’être plus conciliants avec les contribuables qui ont dépassé de peu la durée de stationnement autorisée ou ceux dont le véhicule excède légèrement l’emplacement marqué sur la chaussée. Le maire donne d’ailleurs une directive interdisant l’usage du ruban à mesurer pour déterminer s’il y a infraction. Madame Panneton dit qu’elle a fait suivre ces deux rapports à son supérieur, Me Poulin.

[213] À un autre moment, mais à une date qu’elle ne peut préciser, le maire Lévesque la contacte au sujet d’un citoyen qui entend contester la contravention qu’il a reçue pour excès de vitesse par crainte que des points d’inaptitude ne soient imputés à son dossier de conduite. Lors de cet entretien, elle explique que le citoyen s’en tire généralement avec une infraction moindre, mais que les points d’inaptitude correspondants sont quand même imputés à son dossier. Malgré ces explications, le maire lui demande de référer le tout à Me Boisvert qui est le procureur de la Ville. Selon madame Panneton, Me Boisvert aurait acquiescé à la demande du maire.

[214] Madame Panneton soulève un autre élément en relation avec les constats d’infraction qui, selon elle, est à l’origine de son congédiement. Le 1er février 2007, elle transmet à son supérieur, Me Poulin, le rapport d’activité de la cour municipale pour l’année 2006. Ce rapport, destiné au juge en chef et au ministre de la Justice du Québec, contient le détail complet des activités de la cour municipale. Entre autres renseignements, on y trouve les statistiques sur le nombre d’heures d’audience, de jugements rendus (acquittement-culpabilité) ainsi que le nombre de constats annulés.

[215] Comme certaines statistiques le laissent perplexe, Me Poulin la convoque avec Me Boisvert, le 15 mai 2007, pour discuter du rapport d’activité le 8 juin suivant.

[216] Préalablement à cette rencontre, madame Panneton affirme s’être entretenue avec son supérieur sur certains éléments du rapport, notamment sur le nombre important de verdicts d’acquittement rendus dans les dossiers de Me Boisvert et sur les confidences de ce dernier voulant qu’il envisage de démissionner de sa charge en raison de l’ingérence politique dans son travail. Me Poulin déclare toutefois ne pas avoir discuté avec sa subalterne d’une problématique concernant l’annulation des constats d’infraction avant la rencontre du 8 juin. Nous y reviendrons.

[217] Lors de cette rencontre, il est fait état de plusieurs statistiques qui mettent en cause le travail de Me Boisvert, notamment la quantité de verdicts d’acquittement qui ont été rendus, les plaintes retirées en raison de preuves insuffisantes, les requêtes en rétractation de jugement accueillies ainsi que le nombre de constats d’infraction annulés. Me Boisvert confesse qu’il reçoit des demandes d’annulation provenant de l’interne. Il remet d’ailleurs à Me Poulin une enveloppe cachetée provenant du maire dans laquelle celui-ci demande l’annulation d’une vingtaine de constats d’infraction. Me Boisvert dénonce cette ingérence politique dans son travail, laquelle va en grandissant, prétend-il. Il demande conseil à son supérieur.

[218] Me Poulin est scandalisé par ce qu’il apprend, d’autant plus qu’il s’est déjà entretenu avec le maire sur cette situation. Il rappelle à Me Boisvert que les règles applicables sont prévues au document intitulé : Le guide pour le maintien ou l’annulation des constats d’infraction. Cet outil de référence, rédigé avant l’embauche de madame Panneton, énumère les situations pouvant justifier l’annulation d’une contravention de stationnement, afin de ne pas surcharger les ressources judiciaires et offrir un meilleur service au citoyen.

[219] Chose certaine, le pouvoir de retirer une plainte appartient exclusivement au procureur de la Ville. Il est le seul à détenir cette autorité légale et peut, dans l’exercice de sa charge et selon l’analyse de la preuve, annuler un constat d’infraction. Plusieurs documents produits à l’audience sur le fonctionnement de la cour municipale en font mention expressément. C’est aussi ce que confirme Me Poulin dans son témoignage. Madame Panneton reconnaît également que l’annulation d’un constat d’infraction n’est possible que si le procureur de la Ville l’autorise.

[220] Une pratique administrative en vigueur depuis 2004 prévoit cependant que la greffière effectue préalablement l’étude des demandes d’annulation et procède à des vérifications supplémentaires. À titre d’illustration, lorsqu’un justiciable allègue l’ambiguïté de la signalisation routière, un inspecteur de la Ville se rend sur les lieux et, si les motifs de contestation s’avèrent fondés, le procureur de la Ville annule le constat. Il semble toutefois que depuis 2007, madame Panneton renvoie tout le dossier directement à Me Boisvert, sans examen préalable, et que cela a entraîné une détérioration de leur relation professionnelle.

[221] D’ailleurs, les propos qu’ils échangent lors de la rencontre donnent lieu à des prises de bec. Il est reproché au procureur le peu d’appels interjetés des décisions de la Cour. Aussi, Me Boisvert s’insurge contre madame Panneton lorsque celle-ci propose d’ajouter davantage de dossiers au rôle du tribunal étant donné que les audiences sont souvent écourtées. Dans le passé, il s’était déjà plaint que ses séances à la cour étaient trop chargées, ce que madame Panneton connaissait.

[222] Toujours pendant la rencontre, madame Panneton soutient que Me Boisvert l’a dénigrée sur ses compétences professionnelles et s’est moqué de son inexpérience en tant qu’avocate plaideuse. Par ailleurs, il ressort de la preuve qu’elle traite son collègue de vieux « bougonneux » devant ses employées lorsque celles-ci se plaignent de l’attitude de Me Boisvert. Elle leur demande de noter tous ses comportements déplaisants.

[223] Concernant l’atmosphère de cette rencontre, Me Poulin témoigne qu’il n’a gardé aucun souvenir des paroles prononcées par Me Boisvert, mais précise que ce dernier avait une attitude défensive. Il l’a trouvé plus hargneux à l’endroit de madame Panneton bien qu’il s’agissait d’un échange à trois. Lors d’une discussion qu’il a eue plus tard avec lui pour clarifier la situation, Me Poulin a compris que Me Boisvert a été insulté de devoir s’expliquer sur les statistiques de la cour et qu’il a senti que madame Panneton avait reçu instruction de surveiller son travail. Cette discussion a permis de rassurer Me Boisvert sur les rôles de chacun.

[224] Madame Panneton insiste pour dire qu’elle s’est entretenue seule avec Me Poulin à la fin de la rencontre, pour exprimer ses craintes que Me Boisvert apprenne que c’est elle qui a remis les statistiques de la cour et rapporté ses confidences concernant les demandes d’annulation de constats d’infraction. Cet entretien individuel avec madame Panneton n’est pas mentionné lors du témoignage de Me Poulin. Quoi qu'il en soit, Me Poulin conserve, à la fin de la rencontre, l’enveloppe contenant la vingtaine de demandes d’annulation remise par le maire.

[225] Me Poulin déclare que depuis 2003, le phénomène des demandes d’annulation a pris de l’ampleur et met son service dans l’embarras. Des interventions de sa part ont d’ailleurs été nécessaires pour faire cesser de telles ingérences. Au mois de janvier 2003, il adresse une longue lettre aux élus municipaux pour dénoncer cette pratique après que Me Boisvert et monsieur Blais, ancien greffier de la cour, se soient tous deux élevés contre cette ingérence. Au cours de l’année 2005, il discute personnellement avec le maire Lévesque et son conseiller Touzin pour faire cesser ces demandes politiques. Enfin, au mois de février 2007, il intervient auprès du directeur Byette pour qu’il sensibilise le maire quant aux conséquences de ses interventions auprès des agents de stationnement responsables des constats d’infraction.

[226] Ainsi, lorsque ce problème surgit à nouveau en 2007, sa conscience l’empêche de se taire. Le 11 juin, Me Poullin convient avec monsieur Byette, qui partage ses préoccupations, de régler une fois pour toute la situation avec le maire. Ils conviennent d’organiser une rencontre. Selon la preuve offerte, le maire Lévesque a refusé de rencontrer Me Poulin et s’est mis en colère lorsque la question des demandes d’annulation a été abordée.

[227] Devant cela, Me Poulin lui écrit le 3 juillet suivant pour le prévenir que l’ingérence faite dans son service peut entacher sa charge publique de maire et entraîner des répercussions néfastes sur son avenir politique. Me Poulin estime que la situation est suffisamment grave pour qu’on s’y attarde malgré la réaction négative du maire et les menaces de son conseiller Touzin.

[228] À l’audience, la Commission a pris sous réserve les objections fondées sur le secret professionnel soulevées par la Ville relativement à la lettre du 3 juillet 2007 de Me Poulin (P-18A) ainsi qu’à l’égard de deux autres correspondances faites par ce dernier relativement à l’annulation de constats d’infraction (P-18B et P-19). Ces objections sont rejetées pour les raisons exposées aux motifs de la présente décision.

[229] Dans sa lettre, Me Poulin énumère toutes les demandes d’annulation reçues depuis le 31 mai 2007 provenant du bureau du maire et des conseillers municipaux. Comme on l’a vu, ces demandes ont été adressées directement à Me Boisvert à l’exception de deux, qui ont été dirigées à la cour municipale.

[230] La première demande d’annulation provient du cabinet du maire et est adressée à la perceptrice (Mme Chartray) qui l’a fait suivre à Me Boisvert. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un conseiller de la Ville qui sollicite madame Panneton pour faire annuler le constat remis à une personne âgée lors de sa visite à l’hôpital. Il est rapporté que la greffière a poliment, mais fermement, indiqué qu’elle n’était pas habilitée à annuler un constat d’infraction.

[231] Dans sa lettre, Me Poulin condamne ces pratiques qui interfèrent dans le processus judiciaire et qu’il assimile à une entrave à la justice. Il appréhende des conséquences juridiques et politiques dramatiques et ne veut absolument pas que lui et son personnel soient associés à un éventuel scandale. Sans détour, il retourne au maire Lévesque l’enveloppe contenant la vingtaine de constats et l’exhorte à cesser définitivement ses interventions politiques.

[232] Le même jour, Me Poulin transmet aussi à Me Boisvert des ordres écrits sur la manière dont il doit dorénavant se comporter à l’égard de toute demande d’annulation de constats d’infraction. Sur un ton impératif, la lettre rappelle qu’il s’agit d’une mesure d’exception à appliquer uniquement lorsque les motifs sont sérieux, que la preuve est insuffisante et que la cause est « perdue d’avance ». Dans ce cas seulement, l’accusation peut être retirée. Me Poulin prévient qu’il ne tolérera plus aucune largesse dans l’application de ces règles et ordonne à Me Boisvert de lui remettre à l’avenir toutes les demandes d’annulation avec l’identité de la personne de qui elle provient. Le cas échéant, il se réserve l’opportunité de déposer une plainte à la Sûreté du Québec.

[233] La charge de Me Poulin bouscule Me Boisvert qui ne s’attendait pas à être semoncé aussi sévèrement même s’il semble qu’un projet de lettre lui ait été soumis au préalable. Le 16 juillet, monsieur Byette se porte à sa défense et répond à Me Poulin. Il condamne le ton de sa lettre et exige qu’elle soit remplacée par une version en accord avec les valeurs de respect d’autrui et de valorisation du travail d’équipe préconisées par la Ville. Selon lui, Me Boisvert n’a pas agi de mauvaise foi, mais plutôt dans l’esprit d’offrir un service de qualité aux justiciables et pour leur éviter les tracas d’un processus administratif parfois inutile.

[234] Monsieur Byette reproche également au greffier d’avoir fait suivre la lettre en copie conforme à des personnes qui n’ont pas à en être informées puisqu’elles occupent le même rang hiérarchique que Me Boisvert, ce qui est le cas de madame Panneton. Il appert toutefois des explications fournies à monsieur Byette par Me Poulin que ces personnes n’ont jamais reçu la copie qui leur était destinée.

[235] Dans un écrit qu’il transmet le 24 juillet pour faire amende honorable et rétablir les ponts, Me Poulin réitère sa confiance à Me Boisvert et lui explique qu’il a volontairement utilisé un style autoritaire pour fixer des balises claires en matière d’annulation de constats d’infraction tel que l’avait souhaité ce dernier. Le but visé, quoique mal compris, était de rétablir l’autorité et l’indépendance de Me Boisvert et de faire sentir à toute personne que ses fonctions de procureur de la Ville s’exercent dans un contexte légal et judicaire.

[236] Toutes ces interventions minent le moral de Me Poulin. Il est inconfortable face au désaveu du directeur général Byette et sent qu’il n’a plus son appui dans le dossier des demandes d’annulation. Une distance et un froid s’installent dans leur relation autrefois cordiale.

[237] Quant à madame Panneton, elle dit être littéralement assommée lorsqu’elle prend connaissance de la lettre de reproches adressée à Me Poulin. Elle s’inquiète des répercussions que cette situation peut entraîner à son endroit.

[238] Le 21 août 2007, elle et Me Poulin rencontrent monsieur Byette en vue d’engager du personnel additionnel à la cour municipale. Ce dernier considère que le contexte n’est pas propice et doute que les élus consentent à injecter des fonds supplémentaires. Monsieur Byette profite de l’occasion pour remettre cinq constats d’infraction et demande s’il est possible de les faire annuler. De ce nombre, deux font partie de la vingtaine de constats retournés au maire Lévesque. Monsieur Byette les conserve donc. Quant aux trois autres, on l’avise que ni Me Poulin, ni madame Panneton n’ont le pouvoir de les annuler. Toutefois, il est convenu de fournir à monsieur Byette le nom des contrevenants, ce que fait la greffière le même jour.

[239] Selon madame Panneton, c’est uniquement à elle que monsieur Byette adresse sa demande d’annulation et qu’il s’est mis en colère lorsqu’elle lui a répondu qu’elle ne possédait pas ce pouvoir. Sur un ton agressif, il lui aurait demandé qui détient ce pouvoir. Pour sa part, Me Poulin rapporte que cet entretien concernant l’annulation des constats fût bref et qu’on a simplement répondu à la demande de monsieur Byette : « On n’a pas le pouvoir d’annuler » de sorte que madame Panneton n’est pas la seule à s’être opposée. Il ne mentionne pas de colère de la part de monsieur Byette et indique que le tout en est resté là à la fin de la rencontre.

[240] Quoi qu'il en soit, madame Panneton dit que monsieur Byette commence à lui faire la vie dure à compter de ce moment comme en témoigne son attitude lors de la rencontre budgétaire tenue le 11 octobre 2007. Il s’agit de la journée au cours de laquelle les directeurs des différents services de la Ville présentent leurs demandes pour l’année qui vient. Outre monsieur Byette, le directeur adjoint, le directeur des finances ainsi que monsieur Touzin, du cabinet du maire, assistent à cette rencontre.

[241] Lors de cette journée, madame Panneton accompagne Me Poulin et madame Lamy des archives. La présentation budgétaire de ces deux derniers se déroule bien alors que l’ambiance change lorsque vient le tour de madame Panneton. Aux dires de celle-ci, sa demande d’ajouter du personnel dans son service est mal reçue et elle se sent brusquée par le directeur Byette. Ce dernier affirme qu’elle s’est plutôt retranchée dans sa position et a exigé la totalité du budget demandé sans aucune concession. En raison du cadre budgétaire restreint, il est demandé aux gestionnaires de proposer des solutions de rechange pour réduire les dépenses de leur service. Toutefois, madame Panneton a été incapable de saisir l’opportunité de proposer un compromis acceptable sachant que dans cet exercice budgétaire, la Ville doit trouver un équilibre dans l’ensemble des demandes qui lui sont présentées.

[242] Me Poulin confirme cette version. Selon lui, madame Panneton se montre très insistante et ajoute qu’elle s’est même levée pour aller chercher un document malgré que monsieur Byette juge inutile de l’avoir en main. Cette affirmation est cependant niée par madame Panneton.

[243] Madame Panneton rapporte d’autres éléments survenus au mois d’août 2007 qu’elle relie également à son congédiement. D’abord, elle raconte que le 23 août, Me Poulin lui demande de remettre à Me Boisvert le rapport de l’agent concernant un constat d’infraction de stationnement remis la veille à l’Hôtel de Ville. À l’audience, elle tente d’expliquer les circonstances qui lui ont permis d’apprendre que ce constat impliquait le véhicule de fonction du maire. Toutefois, les explications fournies sont à ce point confuses qu’elle réclame une suspension de l’audience.

[244] Elle dépose aussi deux rapports d’activité d’agents de stationnement qui font état d’interventions du maire Lévesque au sujet des constats d’infraction. La preuve révèle que ces rapports sont simplement passés entre les mains de madame Panneton qui n’a fait aucune intervention particulière.

[245] Par ailleurs, madame Panneton a fait entendre monsieur Bergeron, chef de service aux activités récréatives. Celui-ci mentionne que lors d’une discussion tenue dans son bureau avec monsieur Touzin, ce dernier a aperçu la greffière dans le stationnement et a dit : « elle, c’est la prochaine qu’on va crisser dehors ». Il ne se souvient toutefois plus quand cela s’est passé. Bien qu’elle n’était pas présente, madame Panneton avance que c’est le 27 juin 2007 que monsieur Touzin a prononcé ces paroles puisqu’il s’agit de la seule fois où elle a garé sa voiture à l’endroit où elle pouvait être aperçue du bureau de monsieur Bergeron. Or, à cette date aucun des évènements litigieux n’est encore survenu.

[246] Émotif lors de son témoignage, Me Poulin témoigne que son but premier était de mettre en garde le maire contre la pratique d’ingérence dans les affaires de la cour municipale. Bien que ses intentions de départ fussent des plus nobles, il s’est vite retrouvé isolé avec l’impression que la situation s’est retournée contre lui. On ne l’informe pas de l’étude organisationnelle concernant sa direction à l’automne 2007. Aussi, lorsqu’il apprend le congédiement de madame Panneton au mois d’avril 2008, il est bouleversé et craint d’être le prochain sur la liste.

[247] Appelé à préciser les raisons pour lesquelles il relie le congédiement de madame Panneton au conflit sur les constats d’infraction, il répond que c’est parce qu’il n’a rien vu venir et qu’on ne l’a jamais informé des problèmes de gestion vécus à la cour municipale. Il trouve étonnant que les actes reprochés à madame Panneton la conduisent directement à l’échafaud.

[248] Pourtant, le témoignage même de Me Poulin révèle que madame Panneton a joué un rôle marginal dans le conflit des constats d’infraction et que son implication indirecte et secondaire n’a eu aucune incidence significative. Ainsi, mis à part quelques échanges en privé sur des demandes politiques d’annulation, celle-ci n’a participé ni aux discussions ni aux démarches entreprises pour dénoncer la situation auprès de la direction. Me Poulin n’a aucun souvenir d’avoir discuté de ce dossier avec elle avant le mois de juin 2007. Il a été le principal acteur et la figuration de madame Panneton n’a été qu’accessoire.

[249] Dans la journée du 15 octobre 2007, après que monsieur Byette eut rencontré madame Panneton, il avise Me Poulin que les problèmes de gestion qui sévissent à la cour municipale sont suffisamment préoccupants pour ouvrir une enquête administrative. Il l’invite à assister à la rencontre prévue en fin de journée avec madame Panneton pour qu’elle apporte sa version.

[250] Me Poulin décline l’invitation car il doit préparer la séance du conseil prévue en soirée et ajoute « qu’il n’est pas le représentant syndical de madame Panneton ». Il justifie sa décision par le fait que monsieur Byette n’a pas exigé sa présence et qu’il a priorisé une tâche plus urgente. De toute manière, on l’a mis devant un fait accompli. Par la suite, il reste passif et ne prend aucune nouvelle de madame Panneton qui est congédiée le 21 avril 2008. Il ne s’informe pas davantage auprès de la direction puisqu’il sent qu’on veut le tenir à l’écart, choix qu’il respecte, dit-il. Ainsi, lors de la séance du conseil du 21 avril 2008, il n’émet aucun commentaire lorsqu’on l’informe de la résolution relative à la fin d’emploi de madame Panneton.

[251] La preuve démontre que Me Poulin est peu impliqué dans la gestion de la cour municipale. Sous le règne de l’ancien greffier Blais, il ne s’y rend pratiquement jamais et n’intervient qu’au besoin. Son rôle est celui d’un intermédiaire entre le greffier et le conseil municipal. Il n’entend pas jouer à la « belle-mère » qui surveille par-dessus l’épaule. Il ignore d’ailleurs quelles étaient les valeurs de gestion préconisées par monsieur Blais.

[252] Sa conduite ne change pas avec l’arrivée de madame Panneton. Il intervient sur demande comme ce fut le cas lorsque madame Bonneville a reçu un avis disciplinaire. Il évalue s’être rendu quatre fois à la cour municipale entre les années 2004 et 2007. De fait, madame Panneton lui transmet par téléphone les informations relatives à la gestion de la cour. Il n’a tenu aucune réunion avec le personnel sauf pour introduire madame Panneton à son arrivée. Par ailleurs, il n’a pas été associé à l’enquête de harcèlement psychologique dont celle-ci a fait l’objet. Cette dernière l’a informé du dépôt de la plainte et de son retrait, mais il n’a pas cherché à en savoir plus auprès des ressources humaines.

[253] À l’audience, il déclare qu’il ignorait les conclusions de l’enquête sur l’affaire Bonneville voulant que la conduite de madame Panneton ait été jugée irrespectueuse, tout comme il ignorait que sa gestion avait fait l’objet d’une enquête après la plainte informelle de harcèlement psychologique de madame Marcoux.

[254] Me Poulin n’a aucun reproche à formuler quant à la gestion de madame Panneton. Les informations portées à sa connaissance ne lui permettent pas de conclure autrement puisqu’on ne lui a rien signalé de particulier durant sa gouvernance. Il reconnaît n’avoir jamais évalué sa gestionnaire sauf lors de sa période probatoire d’empoi. Il dit s’être fié à un questionnaire d’autoévaluation qu’il avait demandé à madame Panneton de remplir elle-même.

[255] De ce témoignage, on retient que madame Panneton n’avise pas Me Poulin de ses difficultés de gestion avec madame Francoeur, pas plus qu’elle ne lui remet les courriels de monsieur Bertiaux et de madame Roberge concernant ses problèmes à la cour municipale.

LES PLAINTES DE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE DE MADAME PANNETON
[256] Madame Panneton se plaint d’avoir été victime de paroles et de gestes hostiles de la part de l’employeur. Elle identifie d’abord les propos vexatoires tenus contre elle par Me Boisvert lors de la rencontre du 8 juin avec Me Poulin. Elle soulève aussi la réaction de colère de monsieur Byette à la suite du refus d’annuler les constats d’infraction ainsi que son désintérêt et son manque d’écoute volontaire envers sa demande budgétaire faite le 11 octobre 2007. Elle inclut également les reproches sur sa gestion et le refus de l’employeur qu’elle reprenne ses fonctions. Tout cela l’a affectée psychologiquement et a entraîné son arrêt de travail.



[257] La plaignante ajoute que l’imprécision des lettres des 31 mars et 2 avril 2008 a aussi été source de stress et l’a empêchée de se défendre et que monsieur Byette lui a gravement manqué de respect en quittant sans l’aviser lors d’une séance de conciliation. Ce dernier soutient avoir plutôt agi sur recommandations du conciliateur en raison du manque d’ouverture de la plaignante relativement à sa plainte de harcèlement psychologique.

[258] Elle mentionne n’avoir pu récupérer elle-même ses effets personnels, qui lui ont été remis en catimini, dans le stationnement, plusieurs jours après son congédiement. En cela, elle dit avoir été traitée comme une criminelle.

[259] Selon les explications fournies à l’audience, Me Poulin a minutieusement trié les effets de madame Panneton et les a placés dans une vingtaine de boîtes qu’il a sécurisées dans la voûte des archives. La remise a eu lieu devant l’entrée des employés de l’hôtel de Ville. À cette occasion, madame Panneton a pu se rendre à la cour municipale afin d’y récupérer des articles de cuisine et vérifier dans les différents classeurs de son ancien bureau si Me Poulin n’a pas omis des documents. Messieurs Poulin et Chevalier, le nouveau directeur des ressources humaines, l’ont accompagnée tout au long et les échanges sont demeurés courtois. Madame Panneton va même jusqu’à offrir à monsieur Chevalier de la suivre en voiture pour le guider jusqu’à la cour municipale puisqu’il est peu familier avec la ville de Trois-Rivières.

[260] Toujours concernant le harcèlement, il est finalement question des paroles blessantes entendues lors des témoignages rendus autant par ses employées que par les cadres de la Ville. Elle dénonce les faussetés rapportées sur sa gestion et son langage et aussi la trahison de madame Roberge à la suite de sa rencontre du 3 août.

LA DEMANDE DE RÉINTÉGRATION
[261] À la suite de son congédiement, madame Panneton multiplie les démarches d’emploi dans les municipalités ou les organismes municipaux de la province, sans résultat. Curieusement, elle ne postule pas à un poste juridique offert à la Ville de Shawinigan où elle a pourtant travaillé plus d’une quinzaine d’années et démissionné, selon son affirmation, uniquement pour retourner vivre dans sa ville natale.

[262] Toujours sans emploi au moment de l’audience, elle demande sa réintégration comme greffière, poste qu’elle a toujours aimé. Elle s’estime capable de tourner la page et de renouer des liens durables avec ses employées, la direction générale ainsi que ses collègues-cadres. Elle n’est pas une personne rancunière et croît en son pardon. La seule réserve qu’elle émet, ses contacts avec madame Roberge et son ancienne amie Desfossés devront être limités au strict minimum, leur conduite dans le dossier l’ayant trop déçue. Elle demande aussi à la Commission d’ordonner qu’elle ne soit plus importunée avec des demandes d’annulation de constats d’infraction.

[263] Pour l’employeur, l’hypothèse d’une réintégration n’est absolument pas envisageable en raison d’une rupture irrémédiable du lien de confiance. En outre, madame Panneton ne partage pas les valeurs organisationnelles instaurées par la Ville de Trois-Rivières au sein de son corps d’emploi.

L’ANALYSE ET LES MOTIFS


L’OBJECTION FONDÉE SUR LE SECRET PROFESSIONNEL

[264] À l’audience, l’employeur s’est opposé à la production de trois lettres rédigées par Me Poulin au motif que leur contenu est protégé par le secret professionnel. Il s’agit de la correspondance qu’il adresse au maire Lévesque (1 lettre) et à Me Boisvert (2 lettres) et dans laquelle il dénonce l’ingérence dont fait l’objet la cour municipale dans le traitement des constats d’infraction.

[265] L’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, (L.R.Q., c. C-12), énonce les conditions d’ouverture à l’application du secret professionnel :

Chacun a droit au respect du secret professionnel

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel.

[266] Le secret professionnel ne vise donc que les informations reçues ou fournies dans le cadre d’une relation de service entre un professionnel et son client.

[267] Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1R.C.S.809 :

Le privilège avocat-client s’entend du lien privilégié existant entre un client et son avocat. Lorsqu’il consulte son avocat, le client doit sentir qu’il peut s’exprimer librement et en toute franchise au sujet de ce qui le préoccupe et qu’il bénéficie d’une protection à cet égard, de façon que, comme notre Cour l’a reconnu, le système de justice puisse bien fonctionner : voir Smith c. Jones [1999] 1 R.C.S. 455 , par.46

Dans Solosky c. La Reine, [1999] 1 R.C.S.821, p. 837, le juge Dickson a énoncé les critères permettant d’établir l’existence du privilège avocat-client. Il doit s’agir d’« (i) une communication entre avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridique; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle ».

(Nos soulignements)

[268] Bien qu’il soit notaire, ces principes s’appliquent à Me Poulin. Ainsi, le secret professionnel ne protège pas toutes les interventions qu’il effectue dans l’exercice de ses fonctions. Tout est une question de contexte, comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Pritchard précité:

Vu la nature du travail d’un avocat interne, dont les fonctions sont souvent à la fois juridiques et non juridiques, chaque situation doit être évaluée individuellement pour déterminer si les circonstances justifient l’application du privilège. Ce dernier s’appliquera ou non selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni […]

(Nos soulignements)

[269] En l’espèce, la lettre du 3 juillet adressée au maire Lévesque n’est pas visée par le secret professionnel. C’est en sa qualité de greffier et directeur des services juridiques que Me Poulin s’adresse à lui pour faire cesser, une fois pour toute, l’ingérence des élus dans son service. Les mêmes remarques s’appliquent quant aux lettres adressées à Me Boisvert. Cette fois, Me Poulin lui transmet ses directives en tant que gestionnaire et supérieur immédiat.

[270] Dans les deux cas, il ne s’agit d’une relation avocat-client dans laquelle Me Poulin reçoit des confidences de l’un et de l’autre. Par conséquent, ces communications ne sont pas protégées par le secret professionnel.

[271] Par ailleurs, il y a toujours lieu de protéger la confidentialité des informations relatives à des tiers contenues dans les trois lettres ci-dessus comme l’avait décidé la Commission dans la décision rendue le 19 octobre 2009 ( 2009 QCCRT 0453 ). Conséquemment, la Commission émet une nouvelle ordonnance au même effet de façon à interdire toute divulgation ou diffusion concernant les tiers non parties au litige.

LA PLAINTE EN VERTU DE LA LOI SUR LES CITÉS ET VILLES
[272] La plaignante est une employée visée par l’article 61 de la Loi sur les cours municipales (L.R.Q., c. C-72.01), ce qui rend applicable l’article 72 de la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., c. C-19). En outre, elle satisfait aux critères d’admissibilité de ce recours.

[273] En matière de destitution d’un employé municipal, la Commission s’est vu octroyer par le législateur la compétence autrefois dévolue à la Commission municipale du Québec. Il est maintenant reconnu que cette compétence s’exerce en continuité avec la jurisprudence établie par cette dernière.

[274] Essentiellement, il s’agit de déterminer si la décision de congédier madame Panneton est sage, réfléchie, sérieuse, méritoire, non arbitraire et justifiée dans le cadre d’une saine administration. Sur cet aspect, les auteurs Hétu et Duplessis dans leur ouvrage Droit municipal, principes généraux et contentieux, 2e édition, Brossard, Publications CCH ltée, 2005, par.5.39, page 5102 (édition à feuilles mobiles, à jour au 23 sept. 2009) mentionnent :

La Commission doit apprécier le sérieux et le mérite de la décision de la municipalité en se mettant à la place du conseil municipal lui-même. La Commission doit s’assurer que la décision patronale n’est pas dictée par pur caprice, animosité personnelle ou préjugé politique. Elle doit vérifier si la décision repose sur des motifs sérieux dont la preuve incombe à la municipalité. Bref, la Commission doit évaluer le mérite de la décision contestée et déterminer si elle est sage, sérieuse, non arbitraire et justifiée dans le cadre d’une saine administration. Il lui appartient de décider si le conseil, dans l’exercice de son autonomie et de son droit de gérance, a agi pour des motifs de bonne administration, avec équité et respect du principe de justice naturelle.

[275] L’affaire Charbonneau c. Ville de Blainville, 2004 QCCRT 0413 , décrit la démarche que la Commission doit adopter pour évaluer le mérite de la décision municipale :

[85] Dans Dallaire c. Paroisse de la Doré (dossier n° 556.12, du 2 août 2001), la Commission municipale du Québec souligne quel devait être son rôle en tant qu'instance spécialisée qui doit se préoccuper tant de la légalité que du bien-fondé de la décision à être rendue :

La Commission doit essentiellement considérer le mérite de la décision du conseil municipal;

La Commission a le devoir et l'obligation de s'enquérir de l'ensemble des faits de la cause et doit procéder à l'analyse de tous les éléments invoqués par les parties;

La Commission doit se substituer au conseil municipal;

La Commission doit procéder à une révision entière des faits et circonstances ayant motivé la décision du conseil municipal;

La Commission doit vérifier si, dans l'exercice de son autonomie et de son droit de gérance, la municipalité a agi pour des motifs de bonne administration.

[276] La vérification des motifs de destitution prévus à l’article 72 de la Loi sur les cités et villes vise à protéger les cadres municipaux contre l’arbitraire politique afin d’assurer la stabilité des administrations municipales (J. HÉTU, Y. DUPLESSIS, Droit municipal, principes généraux et contentieux, 2e édition, Brossard, Publications CCH ltée, 2005, par.5.40, page 5106 (édition à feuilles mobiles, à jour au 23 sept. 2009)). Il appartient à la Ville de démontrer par prépondérance de preuve le mérite de sa décision.

[277] La Ville soutient que madame Panneton a été congédiée parce qu’elle ne possède pas les qualités professionnelles et humaines requises pour exercer ses fonctions de gestionnaire.

[278] Ces motifs sont explicités par le directeur général de la Ville, monsieur Byette, dans un rapport présenté aux membres du conseil le jour de l’adoption de la résolution de destitution de la plaignante :

Mesdames,
Messieurs,

Je vous transmets, par la présente, ma recommandation concernant les conclusions issues de mon enquête relativement à la suspension administrative avec solde de Mme Louise Panneton.

La chronologie des évènements est la suivante :

· En septembre 2007, j’ai été informé, à nouveau, d’une problématique entourant le comportement et l’attitude de Mme Panneton dans le cadre de sa gestion auprès des personnes salariées travaillant dans son service;

· Le ou vers le 11 octobre 2007, un rapport intérimaire du Service des ressources humaines m’a été transmis, lequel rapport comporte suffisamment d’éléments inquiétants sur les agissements de Mme Panneton assimilables à de l’abus d’autorité envers les personnes salariées de son service pour ouvrir l’ouverture une enquête administrative;

· Le 15 octobre 2007 en avant-midi, j’ai rencontré Mme Panneton accompagnée de son représentant afin de l’informer des éléments inquiétants sur ses agissements et de l’ouverture de l’enquête;

· En après-midi du 15 octobre 2007, le représentant de Mme Panneton m’a remis un billet médical recommandant l’arrêt de travail de Mme Panneton;

· Le 16 octobre 2007, une lettre a été transmise à Mme Panneton pour lui confirmer l’ouverture de l’enquête administrative ainsi que la remise de la rencontre à son retour au travail pour lui permettre de donner sa version des faits;

· Le 2 novembre 2007, un rapport m’a été transmis suite à la vérification de la véracité des faits et des gestes posés par Mme Panneton;

· Le ou vers le 27 mars 2008, j’ai été informé du retour progressif au travail de Mme Panneton;

· Le 28 mars 2008, un avis de convocation de rencontre a été transmis à Mme Panneton pour une rencontre à être tenue le 31 mars 2008;

· Le 31 mars 2008, Mme Panneton et son représentant se sont présentés à la rencontre. Mme Panneton a mentionné ne pas être en mesure de donner sa version des faits aux motifs que l’avis transmis comportait un « degré d’imprécision des faits allégués ». J’ai alors suspendu avec solde Mme Panneton pour fin d’enquête administrative;

· Le 2 avril 2008, un avis de convocation amendé a été transmis à Mme Panneton;

· Le 2 avril 2008, j’ai reçu une lettre de Mme Panneton, laquelle comportait un ton et un contenu hautement répréhensibles;

· Le 4 avril 2008, j’ai rencontré, accompagné d’un représentant des ressources humaines, Mme Panneton, laquelle était accompagnée de son représentant afin de lui permettre de donner sa version des faits;

· Le 17 avril 2008, j’ai rencontré Mme Panneton afin de l’informer des conclusions de mon enquête administrative et de ma recommandation à être faite au Conseil, soit de la destituer.

LE CADRE GÉNÉRAL DES REPROCHES ADRESSÉS À MME PANNETON DANS L’EXERCICE DE SES FONCTIONS DE GREFFIÈRE AU SERVICE DE LA COUR MUNICIPALE À LA VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

Sans restreindre la généralité de ce qui précède, l’essentiel des faits reprochés qui sont à l’origine de ma présente recommandation de destituer Mme Louise Panneton repose sur :

· Mme Panneton a un style de gestion autoritaire et abusif ainsi que des valeurs organisationnelles allant à l’encontre des valeurs de respect des autres, d’acceptation de la différence, de l’acceptation de l’erreur et de la valorisation du travail d’équipe préconisé à la Ville de Trois-Rivières;

· L’attitude autoritaire de Mme Panneton et sa manie de rappeler, de façon journalière, son autorité démontrent une absence de qualité professionnelle et humaine essentielle pour exercer ses fonctions de gestionnaire dans son service;

· Par ailleurs, les méthodes de gestion employées sont excessives, déraisonnables, contraires aux politiques de la Ville. Enfin, elle utilise un ton et un langage inappropriés (paroles abusives) à l’égard de ses personnes salariées.

ANALYSE DE LA PREUVE

Une étude de la preuve testimoniale recueillie provenant tant des personnes salariées du service de Mme Panneton, que des personnes salariées cadres ainsi que des professionnels me permet de relever l’appréciation de cette dite preuve.

S’ajoute à cette preuve testimoniale la preuve documentaire, notamment des rapports et une lettre datée du 2 avril 2008, que Mme Panneton m’a adressée personnellement ainsi que mes observations.

Mon appréciation de la preuve testimoniale se détaille comme suit :

· Je favorise les témoignages affirmatifs recueillis des personnes salariées de son service et des personnes cadres ayant eu à intervenir en support de gestion auprès de Mme Panneton relativement à l’existence des faits reprochés à celle-ci versus la négation en bloc de Mme Panneton;

Mme Panneton nie tout ce qu’il peut y avoir de répréhensible dans l’ensemble de ce qu’on lui reproche;

Elle offre peu de collaboration et pour certains reproches, elle donne des explications susceptibles d’en minimiser la portée;

Je ne peux donner la priorité à de telles négations;

· Les versions des faits affirmés par les personnes rencontrées sont vraisemblables et cohérentes;

Je retiens donc les versions des faits recueillis plutôt que la déclaration générale de négation de Mme Panneton, laquelle est contradictoire;

· Les déclarations des personnes ayant été appelées à plusieurs occasions qui ont donné leur version sont constantes;

· Nous avons également recueilli des versions de personnes dénuées d’intérêt dans ce dossier;

· L’analyse des témoignages me permet de constater l’absence de contradictions sur des points essentiels entre plusieurs témoins qui relatent les mêmes évènements.

Cet élément à lui seul est un indice révélateur de la crédibilité des versions recueillies versus la déclaration de négation de Mme Panneton;

· Certaines personnes rencontrées ont fait état souvent de manière précise des circonstances où elles avaient été impliquées par le style de gestion de Mme Panneton;

· Les déclarations des personnes rencontrées ont été présentées de façon affirmative et sans hostilité;

Tandis que Mme Panneton a adopté une attitude de confrontation sur la démarche de l’employeur.

FACTEUR ATTÉNUANT

Il n’y a aucune circonstance atténuante qui peut jouer en faveur de Mme Panneton. En fait, il n’y a que des circonstances aggravantes.

FACTEURS AGGRAVANTS

· Conduite actuelle de Mme Panneton dans le cadre de la procédure d’enquête administrative

Alors que j’ai exprimé à Mme Panneton mon désarroi à titre de directeur général relativement au ton et au contenu répréhensibles de sa lettre, elle n’a manifesté ni regret, ni remord, ni intention de faire amende honorable.

Elle s’est plutôt contentée de remettre en cause la procédure de l’employeur.

Une telle attitude est loin d’être convaincante quand il s’agit de la réhabilitation de Mme Panneton.

De plus, malgré le fait que Mme Panneton a eu plusieurs occasions de venir s’expliquer et d’exprimer son point de vue et malgré le fait qu’elle était placée devant un fait incontestable suite à la transmission de sa lettre, Mme Panneton a joué un rôle passif en se contentant de continuer de nier les faits qui lui étaient reprochés et elle a conservé son attitude de défi d’autorité.

Cet entêtement à nier commande un risque élevé de récidive.

· La nature répétitive des reproches (dossiers antérieurs) et support accordé à Mme Panneton

2005 : enquête informelle – contexte de fusion

2006 : enquête plainte harcèlement psychologique contre Mme Panneton : responsabilité partagée de Mme Panneton avec la plaignante et volonté de la direction générale.

CONCLUSIONS

En considération de ce qui précède, il ne fait aucun doute que ma recommandation de destitution de Mme Panneton est justifiée et elle ne constitue nullement une décision abusive, déraisonnable, ou exagérée puisqu’au-delà de l’absence des qualités professionnelles et humaines requises pour exercer ses fonctions de gestion menant à cette recommandation, s’ajoute la conduite de Mme Panneton hautement répréhensible dans le cadre du processus d’enquête.

Mme Panneton a elle-même par ses faits et gestes irrémédiablement et définitivement rompu le lien de confiance qui doit nécessairement exister entre l’employeur et Mme Panneton.

Je vous recommande donc respectueusement de destituer Mme Panneton de ses fonctions de greffière de la cour municipale au sein de la Direction du greffe et des services juridiques pour les motifs ci-avant exposés.

Je vous soumets le tout à votre considération.

[279] De son côté, la plaignante invoque que ces reproches sont grossièrement exagérés par l’employeur et constituent un prétexte pour se départir de ses services. Selon elle, c’est plutôt son refus d’annuler des constats d’infraction, comme demandé par la direction générale, qui serait le véritable motif de son congédiement.

[280] Ce n’est absolument pas ce que la preuve démontre.

[281] En effet, il ressort que madame Panneton ne joue pas un rôle majeur et décisif dans le conflit des constats d’infraction. C’est principalement son supérieur Me Poulin qui dénonce l’ingérence politique des élus municipaux. Madame Panneton s’arroge une importance dans le cœur de ce conflit qui n’est aucunement supporté par la preuve et rien ne permet de conclure que l’employeur a fomenté son congédiement en raison de son implication.

[282] En revanche, une preuve abondante soutient la prétention de la Ville quant aux graves lacunes de gestion de madame Panneton. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a apprécié une imposante preuve testimoniale selon les critères reconnus par la jurisprudence, lesquels sont résumés dans l’affaire Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières D.T.E 2006T-209 (T.A.) :

Le premier critère utilisé par les tribunaux est celui de la vraisemblance d’une version. En vertu de ce critère, un tribunal appelé à choisir entre deux versions contradictoires, préférera celle qui lui apparaît la plus vraisemblable.

Un second critère est fondé sur l’intérêt d’un témoin à rendre témoignage. En vertu de ce critère, un tribunal devra étudier attentivement, avant de le retenir, le témoignage d’une personne qui a intérêt dans le sort d’un litige, surtout lorsque ce témoignage est contraire à celui rendu par une autre personne, qui elle n’a aucun intérêt.

Un troisième critère réside dans l’absence de contradictions sur des points essentiels entre plusieurs témoins qui relatent un même évènement. En fait, on peut concevoir que plusieurs personnes qui vivent un même évènement le perçoivent et le racontent différemment, mais de trop nombreuses contradictions, ou encore des contradictions difficilement explicables, sont souvent des indices révélateurs d’une version non crédible.

Un quatrième critère est celui de la corroboration. Confronté à deux versions contradictoires, dont l’une est corroborée par un fait incontestable, et l’autre ne l’est pas, un tribunal doit préférer la première, puisque la corroboration constitue une garantie d’authenticité.

Un cinquième critère souvent retenu par les tribunaux, veut que l’on préfère normalement le témoignage d’un témoin crédible qui affirme l’existence d’un fait au témoignage de celui qui se contente d’en nier l’existence.



Les difficultés de gestion

[283] Les témoignages des employées de la cour municipale sont constants et concordants quant à l’attitude et au comportement de leur ancienne patronne. Celles-ci justifient d’une longue expérience à la cour municipale et ont un dossier disciplinaire sans tache. Huit employées ont livré un témoignage sincère, empreint d’une préoccupation constante à rendre compte fidèlement de ce qu’elles avaient vécu, sans esprit de vengeance et soucieuses de la qualité de leur travail.

[284] De plus, ces témoignages sont congruents quant aux gestes et paroles reprochés à madame Panneton, lesquels ont eu lieu sur une période suffisamment longue pour conclure qu’il ne s’agit pas de simples incidents de parcours. Enfin, ils corroborent les versions fournies par les deux coordonnateurs aux ressources humaines Bertiaux et Roberge, celle de la présidente du Syndicat, madame Simard, et aussi de la gestionnaire Desfossés.

[285] Il ressort que, dans sa manière d’agir, madame Panneton offense, humilie et dénigre les employées sous son autorité. Cette conduite génère un sentiment d’incompétence chez les salariées dont plusieurs ont fait état avec émotion à l’audience. Bien que certains comportements peuvent apparaître individuellement anodins ou mêmes légitimes, l’accumulation de ces incidents, paroles et gestes envers ses employées, prise dans une perspective globale, révèle sans contredit un style de gestion inadéquat qui engendre un milieu de travail néfaste et démotivant.

[286] Ainsi, sa gestuelle, son ton insistant et autoritaire, ses haussements de voix, sa manie de rappeler qu’elle est le patron ou que c’est elle qui décide démontrent peu de respect envers ses salariées. Elle passe souvent des remarques blessantes, agaçantes ou insidieuses. La Commission a pu prendre le pouls d’un tel comportement sur le climat de travail et en mesurer les effets pernicieux sur le moral des troupes.

[287] À titre d’illustration, soulignons ses remarques concernant la grossesse de madame Rainville « t’es pas malade, t’es juste enceinte », les propos tenus à madame Chartray, endeuillée par le décès de sa mère « c’est juste une montée de lait que tu fais » ou lors de l’annulation de la commande d’impression « commence pas ce petit jeu là » ou ses commentaires sur l’état de santé de madame Tessier « t’as ben l’air fatigué ». Pris sous l’angle du rapport d’autorité exercé par une supérieure, ces propos ne sauraient être simplement qualifiés de mauvaises blagues, comme le soutient madame Panneton.

[288] La preuve établit clairement que madame Panneton éprouve des difficultés dans l’utilisation de son statut hiérarchique et dans le niveau de confiance et d’autonomie qu’elle doit faire montre envers son personnel. Son style de gestion autoritaire et intransigeant rend pénible l’exécution des tâches pour ses employées. Elle interdit que celles-ci fraternisent durant les heures de travail. Toutes se disent épiées et contrôlées, ce qui génère un climat de tension face aux réactions parfois inattendues de leur supérieure. Elle est dépeinte comme une personne rigide, insistante, autoritaire et intransigeante. La Commission n’a aucune difficulté à reconnaître ces traits de caractère à travers les nombreux incidents rapportés.

[289] Rappelons son attitude boudeuse et hostile devant le choix d’un restaurant qui lui déplaît. Aussi, sa réaction de colère lors de la déclaration d’accident du travail de madame Rainville. Cette conduite incompréhensible et inacceptable rapportée par plusieurs salariées ne laisse aucun doute sur son style de gestion autoritaire.

[290] Plus répréhensible encore est le fait qu’elle ne supporte aucune critique et tient toujours à avoir le dernier mot. Cette attitude est dénoncée de façon quasi unanime par ses subalternes qui parlent même d’un esprit vengeur. C’est aussi ce que rapportent le directeur général Byette et madame Roberge, des ressources humaines, lorsqu’on tente en vain d’échanger avec madame Panneton, qui refuse toute responsabilité et qui a réponse à tout. C’est également ce que la Commission constate à l’audience. Il est troublant de constater qu’elle ne remet jamais sa conduite en question face à la multitude de reproches qui lui sont adressés.

[291] Ses employées disent évoluer dans un climat de crainte. Plusieurs ont peur « d’être la prochaine cible ». On illustre l’atmosphère de travail en référant à un « film de psychose », ce qui n’est pas peu dire. Tout cela vicie le climat de travail à la cour municipale. Les sentiments décrits par les employées expriment de la tension, du stress, de la démotivation, du découragement, de l’insécurité et de l’impuissance.

[292] La manière dont elle gère son personnel provoque la défection de ses employées. Outre le départ de madame Bonneville, on se souviendra que mesdames Marcoux et Lacroix quittent aussi le navire malgré une importante baisse de salaire. Abandonner ainsi un travail qu’on exerce depuis plus de 20 ans, n’est pas chose facile. C’est tout dire du désarroi qui habitait ces deux employées lorsqu’elles ont pris leur décision. Encore une fois, madame Panneton a soutenu avoir d’excellentes relations avec elles et n’a admis aucun tort.

[293] La brève accalmie de près de huit mois avant qu’un nouveau conflit ne s’installe, cette fois avec madame Francoeur, révèle que les difficultés de gestion de madame Panneton sont bien réelles et non passagères ou liées à la présence d’éléments perturbateurs au sein de son équipe. D’autres employées sont aussi victimes, à leur tour, des manières autoritaires et méprisantes de madame Panneton. Certains évènements troublants dont l’accident de travail de madame Rainville, ses remarques désobligeantes, son absence d’empathie, sa froideur et sa gestion dictatoriale amènent les salariées à revoir la perception qu’elles avaient de leur supérieure.

[294] La conduite offensante de madame Panneton est parfois subtile et ses effets négatifs ont nécessité un certain temps avant de pouvoir être exprimés. La preuve ne révèle toutefois aucune action concertée en vue d’écarter madame Panneton. Il appert que plusieurs employées ont dénoncé individuellement, et parfois, spontanément leurs malaises face à la gestion de leur supérieure auprès de tiers (Syndicat, collègues). Cet élément ajoute à la grande force probante des témoignages entendus.

[295] Pour sa part, tout au long de ces évènements et encore à l’audience, madame Panneton n’a fait que se justifier ou nier ces reproches. Elle soutient toujours, haut et fort, que ses paroles ont été déformées, citées hors contexte ou tout simplement non dites. Elle rejette tout ce qu’il y a de répréhensible dans son comportement. Elle reporte la faute et la responsabilité sur les autres. Sans considération pour la perception d’autrui, elle justifie chacun de ses agissements et fournit une explication pour tout, même invraisemblable ou contradictoire, dans le but de minimiser la portée d’un geste ou d’une parole offensante.



[296] Elle appuie rigoureusement presque toutes ses prétentions de documents dont la fiabilité est parfois douteuse. À titre d’illustration, elle dépose ses notes personnelles avec des annotations qui ne semblent pas contemporaines, présente un reçu de soins thérapeutiques indiquant précisément l’heure d’un massage pour attester de la durée d’une rencontre. À l’audience, elle rapporte avec précision la date de chaque évènement, l’heure exacte d’une rencontre, d’un appel téléphonique, ainsi que leur durée, sa mémoire est infaillible. Pourtant, lors du contre-interrogatoire, elle ignore certains détails ou ne peut les situer dans le temps. Elle a surtout de la difficulté à répondre directement et sans détour aux questions qui lui sont posées. Elle ajuste minutieusement sa version selon son récit qui se raffine au fil de son témoignage. Ainsi, elle affirme d’abord n’avoir jamais crié contre ses salariées, puis admet avoir levé le ton à deux occasions et enfin déclare s’être excusée. Tous ces éléments entachent sa crédibilité et démontrent le contraire de ce qu’elle tente de faire croire, c’est-à-dire que sa gestion est irréprochable.

[297] La thèse voulant que madame Roberge l’ait trahie en déformant ses propos dans le but de constituer un dossier contre elle est aussi invraisemblable et aucunement supportée par la preuve. La Commission a été très impressionnée par la qualité des explications fournies par madame Roberge, sa franchise et l’aplomb de son interrogatoire et de son contre-interrogatoire. D’une manière très professionnelle et convaincante, elle décrit l’attitude intransigeante, rigide et méprisante de madame Panneton à l’égard de ses salariées et son absence d’autocritique face à ses agissements. Son témoignage est probant dans le contexte de la présente affaire et ne démontre aucune animosité envers la plaignante.

[298] Madame Roberge met sérieusement en doute les qualités de gestionnaire de madame Panneton. Ainsi, lorsque madame Panneton exige que des mesures disciplinaires soient prises contre madame Francoeur, il y a là répétition d’une situation similaire au sein de son service qui laisse sérieusement craindre que cette dernière porte aussi plainte pour harcèlement psychologique. L’intervention de madame Roberge s’inscrit donc dans la volonté de l’employeur de prévenir un nouveau cas de harcèlement psychologique en milieu de travail comme il en a l’obligation en vertu de la loi. S’ajoutent les propos désobligeants qu’elle tient à l’endroit de son personnel et certains faits troublants qu’elle rapporte concernant sa gestion.

[299] Il faut voir que madame Panneton a bénéficié de l’aide constante des ressources humaines pour la soutenir dans ses problèmes de gestion. On l’a invitée à revoir ses agissements et à modifier son approche. Ce soutien n’a toutefois apporté aucun changement en raison de son attitude de négation générale dont l’illustration la plus éloquente est sans contredit sa réaction explosive lorsqu’elle a pris connaissance des conclusions qui confirment son comportement irrespectueux envers madame Bonneville.

[300] Or, la preuve révèle une conduite similaire de madame Panneton à l’égard de madame Francoeur. Dans les deux cas, elle les humilie, les rabaisse et cherche malicieusement à les prendre en défaut plutôt que d’essayer de résoudre le conflit qui l’oppose à chacune d’elle.

[301] Les interventions du Syndicat de même que les dénonciations faites par des employés-cadres confirment les doutes de madame Roberge. Madame Simard, présidente du Syndicat ainsi que madame Desfossés, amie de madame Panneton, n’ont rien à gagner en rapportant les doléances des employées de la cour municipale.

[302] La théorie de madame Panneton repose sur l’existence improbable d’un complot contre elle. Compte tenu de la longue preuve administrée devant la Commission par l’employeur et de la cohérence des explications fournies, il apparaît invraisemblable que tous les témoins entendus aient inventé avec autant de détails des scénarios dans le but de nuire à la plaignante. Cette dernière n’a d’ailleurs produit aucun témoin, mis à part Me Poulin, pour corroborer sa version voulant que sa gestion soit irréprochable. Sois dit avec égard, la preuve révèle que celui-ci n’est pas au courant de ce qui se passe à la cour municipale et ne s’y rend pratiquement jamais.



Le refus d’annuler des constats d’infraction

[303] De l’avis de la Commission, la plaignante prend prétexte du conflit entourant les demandes d’annulation pour soutenir que son congédiement y est relié. Or, mis à part certains évènements concomitants, la preuve ne permet pas d’établir de lien causal.

[304] Comme il a déjà été mentionné, madame Panneton n’a joué aucun rôle important dans cette affaire. Le témoignage de Me Poulin est clair : il est l’unique responsable de toute cette polémique. C’est lui qui entreprend les démarches pour faire cesser une fois pour toutes l’ingérence des élus dans son service. Puisque le maire ne veut pas le rencontrer, il décide de lui servir un avertissement quant aux conséquences que peut entraîner cette pratique.

[305] Madame Panneton revendique le crédit de cette dénonciation. À l’appui, elle invoque les statistiques de la cour municipale remises à son supérieur ainsi que les confidences reçues de Me Boisvert sur son avenir professionnel.

[306] Ces affirmations sont peu convaincantes. Me Boisvert a lui-même dénoncé à Me Poulin les pressions politiques dont il était l’objet pour l’inciter à annuler les constats d’infraction. Ce problème était bien connu du greffier et existait avant l’arrivée de madame Panneton. D’autre part, il n’y a rien d’exceptionnel à ce que Me Poulin reçoive le rapport statistique annuel exigé par la loi dans l’exercice de ses fonctions de greffier.

[307] Par ailleurs, tout le monde s’accorde pour dire, y compris madame Panneton, que Me Boisvert est le seul à détenir le pouvoir d’annuler un constat d’infraction. La Commission comprend difficilement comment celle-ci pourrait être congédiée pour l’exercice d’un pouvoir qu’elle ne détient pas.

[308] Seulement deux demandes lui sont adressées personnellement entre le mois de janvier et octobre 2007 en plus de celle de Me Poulin qui a impliqué la voiture du maire. Il s’avère qu’à chaque occasion, madame Panneton n’oppose aucun refus et achemine les demandes à Me Boisvert comme le prévoit la politique interne et qu’elle n’est l’objet d’aucune pression, reproche ou menace.

[309] Il y a aussi la rencontre du 21 août 2007 au cours de laquelle Me Poulin et madame Panneton sollicitent des effectifs supplémentaires à la cour municipale et à qui monsieur Byette remet les cinq constats d’infraction pour les faire annuler. La version de Me Poulin veut que c’est lui et madame Panneton qui ont opposé le refus à monsieur Byette et que le tout en est resté là sans rien de particulier. Cette version est celle que retient la Commission qui croît plus probable que monsieur Byette se soit adressé à eux deux et non seulement à madame Panneton comme elle le prétend. Au sujet de la réaction de monsieur Byette à la suite du refus, elle dit, dans un premier temps « avoir senti que ça mal été perçu » pour ensuite affirmer, lors d’un témoignage subséquent, que ce dernier s’est mis en colère contre elle. Pourquoi cette gradation dans ses explications? Encore une fois, madame Panneton colore les faits et ajuste son témoignage pour convaincre que l’employeur l’a congédiée en raison de son refus d’annuler les constats d’infraction.

[310] Certes, la preuve entendue révèle l’existence d’un problème d’ingérence politique dans le traitement de certains constats d’infraction à la Ville de Trois-Rivières. Il est également vrai que madame Panneton, en raison des fonctions privilégiées qu’elle occupe à la cour municipale, est témoin de cette pratique que son supérieur, Me Poulin, combat avec acharnement. Cependant, et cela ressort clairement de la preuve administrée devant la Commission, rien de tout cela ne permet d’établir un quelconque rapprochement avec le congédiement de madame Panneton. Celle-ci déguise la réalité. Non seulement amplifie-t-elle sa participation dans le conflit des constats d’infraction, mais elle s’attribue un rôle clé qu’elle n’a jamais eu.

[311] Madame Panneton soutient être passée de gestionnaire « modèle » à celui de « paria » au moment où surgit la polémique sur les constats d’infraction. Elle affirme n’avoir reçu aucun reproche sur ses méthodes de gestion avant la rencontre du 15 octobre 2007 avec monsieur Byette au cours de laquelle « le ciel lui est tombé sur la tête ».

[312] C’est là faire fi de l’abondante preuve qui démontre le contraire. D’abord, bien que la lettre de l’employeur du 19 septembre 2006 indique clairement qu’elle s’est comportée de manière irrespectueuse à l’endroit de madame Bonneville, madame Panneton persiste à dire qu’elle n’a jamais reçu de reproche sur sa conduite. Également, peu de temps après son entrée en fonction, monsieur Bertiaux lui demande d’adopter une gestion plus conciliante avec son personnel lors d’une rencontre de groupe tenue en 2005. Même discours de la part de madame Roberge par la suite.

[313] Notons aussi qu’en plus de la soutenir dans sa gestion, cette dernière lui suggère des ouvrages et lui offre de la formation. Ce soutien est dispensé jusqu’au départ de madame Bonneville, en octobre 2006. Dans le contexte où il est principalement question des problèmes relationnels et disciplinaires de madame Panneton avec son personnel, l’affirmation voulant qu’elle n’a pas du tout abordé ses difficultés de gestion avec madame Roberge lors des entretiens des 3 août et 11 septembre 2007 est invraisemblable.

[314] Comme autres éléments, rappelons sa vive réaction lorsque madame Roberge l’avise qu’elle a prévenu monsieur Byette et que le Syndicat se plaint de sa gestion sans oublier le refus d’engager un stagiaire en raison du mauvais climat de travail dans son service. Puis, la lettre de madame Roberge qui confirme formellement ses difficultés. À tout le moins, madame Panneton ne peut ignorer que sa gestion préoccupe son employeur. Son attitude de négation devant l’évidence entache sérieusement sa crédibilité.

[315] Pour la Commission, les lacunes de gestion de madame Panneton sont loin d’être une pure fiction et constituent le véritable motif de son congédiement.



La conduite de la plaignante

[316] L’employeur a procédé à une enquête sérieuse et son comportement ne démontre aucune précipitation, ni mauvaise foi à l’endroit de madame Panneton. En outre, il suspend le processus et attend son retour de congé de maladie pendant plus de cinq mois pour lui permettre d’expliquer sa conduite.

[317] Or, la nature des reproches adressés à madame Panneton justifie l’employeur d’intervenir en vertu de son obligation d’assurer un milieu de travail sain qui respecte la dignité de ses salariées. En effet, ses méthodes de gestion dictatoriales risquaient de porter atteinte à l’intégrité des employées de la cour municipale. Celles-ci ont dénoncé l’abus d’autorité et les paroles intimidantes et vexatoires dont elles étaient victimes.

[318] Par ailleurs, investie de son droit de gérance en tant qu’employeur, la Ville de Trois-Rivières est libre d’adopter les méthodes de gestion qui s’harmonisent avec ses valeurs organisationnelles. Dans l’affaire sous étude, la Ville préconise une gestion axée sur le respect, la valorisation du capital humain et le bien-être au travail. En cela, madame Panneton ne rejoint pas ses attentes. Elle doit néanmoins lui permettre de corriger le tir.

[319] En effet, bien que le statut de cadre de madame Panneton ne se prête pas au même traitement disciplinaire qu’un simple salarié, la jurisprudence exige néanmoins qu’elle soit confrontée à ses lacunes et qu’on lui fournisse l’occasion de se corriger.

[320] À ce sujet, l’auteur Pierre Laporte mentionne dans son ouvrage Le traité du recours à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante, Montréal, Wilson et Lafleur, 1992, p.198 :

Il serait, en effet, inadmissible d’imposer à l’employeur le carcan restreignant d’une application stricte de la règle de la progression des sanctions pour des cadres qui bénéficient d’un niveau élevé d’autonomie et de responsabilité. La position qu’ils occupent à l’intérieur de la hiérarchie de l’entreprise ne se prête pas au même traitement disciplinaire que la jurisprudence accorde au « simple salarié »; ils doivent faire la preuve de leur capacité d’amender eux-mêmes leur conduite sans requérir aux mesures disciplinaires progressives.

Les exigences moins strictes imposées lors du congédiement d’un cadre ne permettent pas pour autant de justifier, dans leur cas, le congédiement sommaire. Ils ont, comme tout autre salarié, le droit d’être confrontés à leurs lacunes et l’employeur devra, sauf circonstances exceptionnelles, leur fournir l’occasion de se corriger.

(Nos soulignements)

[321] Madame Panneton est avisée de ses lacunes à plus d’une occasion et plus formellement, par écrit, lors des rencontres avec monsieur Byette le 31 mars et 4 avril 2008. À ces deux dernières occasions, on lui remet un document de six pages contenant l’essentiel des reproches sur sa gestion.

[322] À l’audience, la plaignante affirme avoir collaboré et tenté de donner sa version des faits avec le peu d’information dont elle disposait. Avec égard, la Commission n’est pas de cet avis.

[323] Le directeur général Byette et, avant lui, les responsables des ressources humaines, ont tous vainement tenté à plusieurs reprises d’établir un dialogue avec madame Panneton en vue de l’amener à revoir ses méthodes. Or, celle-ci a fait la démonstration éloquente dans le cadre de son témoignage qu’elle était incapable de se remettre en question.

[324] La Commission n’a constaté aucun repentir chez elle, aucune humilité à reconnaître qu’elle ait pu se tromper, à faire un mea culpa ou d’admettre quelque manquement que ce soit dans sa conduite. Opiniâtre, elle tente de convaincre qu’elle a raison et que ses agissements sont justifiés, sans égard aux valeurs organisationnelles de la Ville. Pourtant, le bon sens commande qu’un gestionnaire de service collabore étroitement avec son employeur lorsqu’un problème surgit dans le but de corriger la situation, redonner confiance aux employées et prévenir leur départ. Malheureusement pour madame Panneton, sa peur de perdre la face et sa manie de toujours avoir le dernier mot contrecarrent toutes les tentatives de l’employeur d’obtenir sa collaboration.

[325] La réponse qu’elle adresse à monsieur Byette en dit long sur son attitude opposante, son refus de collaborer et sa nette propension à nier les reproches qui lui sont adressés.

[326] Devant les témoignages crédibles et sincères de ses employées qui se disent écorchées par son style de gestion, madame Panneton banalise la situation ou nie tout, laissant ainsi entendre que celles-ci ont menti. D’ailleurs, à l’audience, elle qualifie leur témoignage de vexatoire et mentionne être en mesure de leur pardonner advenant sa réintégration; c’est tout dire.

[327] Lors de son contre-interrogatoire, elle vante sa capacité d’autocritique et ajoute qu’elle perfectionne constamment sa gestion. Toutefois, elle est incapable d’indiquer quoi que ce soit qu’elle puisse améliorer. Elle a la ferme conviction que sa gestion n’a jamais été mise en cause ou critiquée au cours de ses années de service. Elle n’a aucun doute sur ses qualités professionnelles et maintient que sa gestion est participative et collégiale. Concernant le conflit survenu avec madame Bonneville, il s’agit selon elle d’une employée irrespectueuse et insubordonnée tout comme l’a été madame Francoeur par la suite. À cela, elle répond qu’il est normal d’avoir un certain pourcentage d’employées difficiles au sein d’une équipe et refuse d’y voir un lien quelconque avec ses méthodes de gestion.

[328] Les ressources humaines croyaient au départ que les difficultés vécues par madame Panneton dans son service découlaient d’un problème de fusion municipale non résolu. Or, ce n’était pas le cas. Le soutien apporté en grande partie par madame Roberge n’a donné aucun résultat. Après quelques mois, l’employeur est de nouveau confronté à une plainte de harcèlement psychologique à l’égard de sa gestionnaire.

[329] Madame Panneton plaide qu’elle a été congédiée en raison des évènements précédant la plainte de madame Bonneville alors qu’elle n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire.

[330] La Commission ne peut retenir cette prétention. En effet, ce sont les dénégations outrancières qu’elle oppose devant ses difficultés récurrentes de gestion qui constituent la véritable cause de son congédiement.

[331] Certes, madame Bonneville a fait preuve d’insubordination évidente à l’égard de madame Panneton. Toutefois, celle-ci a été incapable de désamorcer le conflit qu’elle a plutôt alimenté dans une escalade d’impolitesses mutuelles indignes d’une gestionnaire. Sa faute réside, avant toute chose, dans son refus obstiné de revoir sa conduite à titre de gestionnaire. Cette attitude est malheureusement toujours présente au cours des évènements suivants et encore à l’audience.

[332] Ainsi, ce n’est pas tant ses difficultés de gestion, mais son attitude à leur égard qui est hautement répréhensible. Par sa conduite, il devenait impossible pour l’employeur de mettre en place un partenariat avec sa gestionnaire afin de rétablir la situation au sein de son service alors que la position hiérarchique qu’elle occupe lui impose un devoir de loyauté et de coopération avec la haute direction.

[333] Or, madame Panneton a plutôt cherché à imposer sa propre vision de la gestion de l’entreprise. Tout au long de l’enquête, elle s’est contentée de nier tous les gestes répréhensibles reliés à sa conduite. Au lieu de faire preuve d’ouverture, d’empathie envers ses employées ou de simple humilité face aux malaises occasionnés par sa gestion, elle a adopté une attitude tatillonne et de défi envers l’employeur. Pour la Commission, il ne fait aucun doute que par son attitude, madame Panneton a définitivement rompu le lien de confiance qu’elle doit entretenir en tout temps avec son employeur.

[334] Tous ces éléments ne font que confirmer la version constante de l’employeur voulant que la négation de madame Panneton entraîne inévitablement un haut risque de récidive. Cette absence d’autocritique chez une gestionnaire de personnel constitue une lacune suffisamment grave pour justifier son congédiement.

[335] Son refus d’admettre ses torts, jusqu’à la toute fin de l’audience, révèle qu’une seconde chance ne lui aurait pas permis d’amender sa conduite. Le malaise généralisé qui a sévi, au cours de sa brève période d’emploi de 3 ans, confirme qu’elle ne possède pas les qualités professionnelles et humaines requises pour exercer sa fonction de gestionnaire. Placé dans une voie sans issue, l’employeur a empêché que le climat de travail ne se détériore davantage. Sa décision de mettre fin à l’emploi de madame Panneton est sage, sérieuse et se justifie amplement dans le cadre d’une saine administration.

LA PLAINTE SELON L’ARTICLE 122
[336] L’article 122 de la Loi sur les normes du travail interdit à un employeur de congédier un salarié en raison de l’exercice d’un droit qui lui résulte de cette loi.

[337] Dans le présent dossier, la plaignante jouit de la présomption de sanction interdite par la Loi puisque elle a déposé une plainte de harcèlement psychologique contre son employeur dans une période concomitante à son congédiement. Il appartient donc à l’employeur de démontrer que cette fin d’emploi est fondée sur une autre cause juste et suffisante.

[338] Pour les motifs énoncés dans le cadre de la plainte selon la Loi sur les cités et villes, la Commission est d’avis que les raisons alléguées par l’employeur pour congédier la plaignante sont sérieuses et ne constituent pas un prétexte, mais bien la véritable cause du congédiement de la plaignante.

LES PLAINTES DE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
[339] Dans le cadre d’une plainte de harcèlement psychologique, c’est à la plaignante que revient le fardeau de prouver qu’elle en a été victime. Pour réussir, elle doit établir la présence de tous les éléments de la définition retenue par le législateur à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail, soit :

81.18 (…)une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

(Nos soulignements)

[340] Le caractère vexatoire de la conduite reprochée doit s’apprécier en fonction de la victime raisonnable.

[341] Comme le souligne la Commission dans l’affaire Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C., 2006 QCCRT 0419 :

[95] (…) il est périlleux de prendre, comme unique point d’analyse, la seule perception du plaignant. Ce point de vue peut être celui d’une victime ou d’une personne ayant des problèmes de victimisation ou souffrant de paranoïa. De plus, chaque personne, en raison de ses traits de personnalité, de son éducation, de sa religion et de son milieu de vie, réagit différemment à une même situation voire à une même conduite.

[342] En l’espèce, madame Panneton se plaint d’avoir été victime de gestes et de paroles hostiles et non désirés de la part de collègues de travail et de gestionnaires. Elle soulève aussi les paroles blessantes entendues à l’audience lors des dépositions des témoins.

[343] Il est notamment question des propos du directeur général Byette lors de la rencontre au sujet des constats d’infraction ainsi que de sa conduite pendant la présentation budgétaire du 11 octobre 2007. Son collègue Me Boisvert est aussi pris à partie en raison du différend survenu avec elle lors de la rencontre du mois de juin 2007.

[344] Il ne fait aucun doute que les incidents relatés ne constituent pas du harcèlement psychologique. Ils n’ont d’abord aucun lien entre eux. En outre, ils ne dépassent pas ce à quoi une gestionnaire, professionnelle de surcroît, puisse être confrontée dans l’exercice de ses fonctions.

[345] Il est bien reconnu que le harcèlement psychologique est différent d’un conflit de travail ou d’une altercation entre professionnels. Les agissements allégués de la part de Me Boisvert ne démontrent pas qu’il s’agit d’actes abusifs répétés qui blessent et humilient la plaignante, d’autant plus qu’il répondait à des insinuations sur la qualité de son travail.

[346] Même constat concernant la conduite de monsieur Byette. Certes, les échanges ont pu être expéditifs avec madame Panneton lors de la rencontre budgétaire ou celle sur les constats d’infraction, mais rien qui ne s’apparente à un comportement excessif ou hargneux de sa part ou des gestionnaires qui l’accompagnent.

[347] Madame Panneton invoque finalement avoir été harcelée par la conduite de son employeur dans le processus ayant mené à son congédiement. La jurisprudence reconnaît que les interventions de l’employeur pour améliorer, corriger ou superviser le travail de ses salariés ne sont généralement pas des actes ou des comportements harcelants, mais qu’ils s’inscrivent dans l’exercice normal du droit de direction. Seul un exercice déraisonnable du droit de gestion par un contrôle arbitraire, abusif, discriminatoire ou qui cherche à humilier, dénigrer, plutôt que de sanctionner le comportement du salarié, peut être visé par l’article 81.18 de la Loi.

[348] Dans le présent dossier, aucun reproche ne peut être formulé à l’égard de la conduite des représentants de l’employeur. Dans le cours de l’enquête sur ses problèmes de gestion, elle a été invitée à s’expliquer en personne et par écrit, tant devant son supérieur qu’à la séance du conseil et à s’adjoindre la présence d’un représentant. On lui a fourni des précisions additionnelles sur les éléments révélés à l’enquête. Le processus a été suspendu pendant sa convalescence pour ne reprendre qu’après l’avis favorable de son médecin. Tout cela après que les ressources humaines de l’employeur soient intervenues en support aux difficultés vécues par madame Panneton. La Commission rappelle que le stress, l’insatisfaction et les bouleversements importants qu’elle a subis font partie des effets négatifs inhérents à tout congédiement.

[349] Quant au harcèlement invoqué lors de la remise de ses effets, encore là, cette prétention n’est pas supportée par la preuve.

[350] Enfin, ce n’est pas parce que les témoignages rendus à l’audience contredisent ses prétentions qu’ils constituent du harcèlement psychologique.

[351] En somme, il n’y a donc aucune manifestation de harcèlement psychologique tel que défini à la Loi sur les normes du travail.



EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE les plaintes;

INTERDIT la publication, la divulgation et la diffusion des renseignements personnels relatifs à des tiers, non parties au litige, ainsi que toute information susceptible de les identifier contenue dans les documents P-18A, P-18B et P-19;

DÉCLARE que lesdits renseignements sont masqués dans ces documents au dossier de la Commission.




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Line Lanseigne



Me Gilles Grenier

PHILLION LEBLANC BEAUDRY

Représentant de la plaignante



Me Kathleen Rouillard

BÉLANGER SAUVÉ, AVOCATS

Représentante de l’intimée



Date de la dernière audience :
18 novembre 2009