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Girard c. Saguenay (Ville de)

no. de référence : 150-05-003051-028

Girard c. Saguenay (Ville de)
2009 QCCS 5164

COUR SUPÉRIEURE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
CHICOUTIMI



N° :
150-05-003051-028






DATE :
16 novembre 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE YVES ALAIN, J.C.S.
(JA 0593)

______________________________________________________________________





BERTRAND GIRARD, [...], Boucherville (Québec) [...]



Demandeur

c.



VILLE DE SAGUENAY, 201, rue Racine Est, Chicoutimi (Québec) G7H 5B8



et



JEAN TREMBLAY, 201, rue Racine Est, Chicoutimi (Québec) G7H 5B8



Défendeurs



et



PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, 300, boulevard Jean-Lesage, bureau 1.03, Québec (Québec) G1K 8K6



Intervenante

______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________







1. Introduction

[1] Dès le 19 février 2002, le lendemain de la création de Ville de Saguenay (la Ville), le maire Jean Tremblay (le Maire) rencontre à son bureau le directeur général de la Ville, M. Bertrand Girard (le Directeur), pour lui demander de fournir certaines explications concernant trois événements survenus les 5, 6 et 7 février 2002. La rencontre est brève. Quinze minutes plus tard, suivi par des caméras de télévision, le Maire se rend au bureau du Directeur pour lui remettre une lettre[1] l'informant qu'il le suspend sans solde avec effet immédiat comme l'y autorise la Loi.[2]

[2] Le 20 février 2002, deux jours après la création de la nouvelle Ville, M. Daniel Gaudreault est nommé directeur général par intérim.

[3] Cinq jours plus tard, le 25 février 2002, M. Girard comparaît devant le conseil de ville siégeant en comité plénier.[3] M. Girard s'y rend accompagné de deux conseillers juridiques. Le Maire fait alors lecture d'un texte préparé pour la circonstance qui résume aux conseillers les raisons de sa décision.[4] Il refuse aux conseillers juridiques du Directeur de s'adresser aux membres du comité plénier. Ce soir-là, en séance publique, le Maire se prête au même exercice. Dès lors, la conseillère Mme Marina Larouche propose que les membres du conseil adoptent unanimement une résolution entérinant la suspension sans solde imposée par le Maire et qu'on destitue le Directeur de ses fonctions.[5]

[4] Quelques semaines plus tard, le Directeur poursuit en dommages le Maire et la Ville. Il invoque la rupture unilatérale injustifiée de son contrat de travail. Sa réclamation totalise 1 339 367,53$, en plus des intérêts et de l'indemnité additionnelle. Elle se détaille comme suit :

Salaire et avantages perdus
586 871,14$$

Perte d'investissement sur sa résidence
56 476,32$$

Frais de déménagement
16 706,34$$

Frais de recherche d'emploi
4 313,73$$

Atteinte à la santé, à la sécurité et à la dignité de sa personne
125 000,00$$



Atteinte à la réputation
250 000,00$$

Séquelles psychologiques
150 000,00$$

Dommages exemplaires et punitifs
150 000,00$$

TOTAL
1 339 367,53$$


[5] La Ville et le Maire contestent la demande du Directeur. Ils plaident la justesse et la légalité de la suspension et de la destitution vu la gravité des reproches formulés, lesquels ont eu pour effet de briser le lien de confiance. Ils ajoutent également que le montant des dommages réclamés est exagéré.

[6] Ils reprochent ensuite à M. Girard d'avoir omis de dévoiler au comité de sélection des faits le concernant lesquels auraient probablement eu comme conséquence d'écarter, dès le départ, sa candidature au poste convoité. Ils réfèrent aux conclusions d'une vérification ministérielle effectuée dix ans plus tôt au Centre hospitalier Saint-Michel dont M. Girard était directeur général ainsi qu'à une plainte pénale portée contre lui concernant une banderole électorale installée dans ledit centre hospitalier.

[7] Subsidiairement, le Maire et la Ville invoquent l'invalidité de certains articles du décret 841-2001 publié dans la Gazette officielle du Québec, le 11 juillet 2001, notamment ceux concernant la formation du comité de transition (article 102)[6] et de son pouvoir de nommer le directeur général de la nouvelle ville (article 132).[7] Voilà pourquoi il y a intervention du Procureur général du Québec et une contestation des prétentions de la Ville à ce sujet.

[8] Enfin, si nécessaire, ils demandent au Tribunal de soustraire du montant d'une condamnation éventuelle le salaire et autres avantages qu'aurait gagné M. Girard auprès des Jeux des policiers-pompiers 2005 de Québec (les Jeux). Cette organisation l'avait engagé à titre de directeur général, mais l'a congédié pour cause quelques mois plus tard. Selon les défendeurs, M. Girard n'a rien fait, par la suite, pour minimiser ses dommages.[8]



2. Chronologie

2.1 Le décret

[9] Le 27 juin 2001, le gouvernement du Québec adopte le décret 841-2001 dont l'article 1 prévoit :

[…] est constitué, à compter du 18 février 2002, une municipalité locale sous le nom de "Ville de Saguenay". [9]

[10] Ce décret fait suite au dépôt du rapport de Me Pierre Bergeron, produit le 30 janvier 2001, concernant la réorganisation municipale au Saguenay et à une demande du ministre exigeant que les villes de Chicoutimi, de Jonquière, de La Baie, de Laterrière ainsi que les municipalités de Lac Kénogami et de Shipshaw et la partie Sud de Canton Tremblay lui présentent une demande commune de regroupement au plus tard le 15 avril 2001. Le ministre avait nommé M. Bernard Angers pour agir à titre de conciliateur.

[11] N'ayant pas reçu de demande commune de regroupement dans le délai prescrit et après la remise d'un rapport de situation faite par le conciliateur, le gouvernement du Québec décide d'adopter un décret pour forcer la fusion des villes et municipalités visées et d'y inclure la partie Sud de Canton Tremblay.

[12] L'article 102 du décret prévoit la constitution d'un comité de transition et l'article 132 indique que le comité de transition doit nommer, pour une durée maximale de cinq ans, le directeur général, le greffier et le trésorier de la nouvelle ville.

2.2 Contrat de travail signé le 29 octobre 2001

[13] À la suite d'une recommandation favorable formulée par un comité de sélection, le comité de transition et M. Girard signent un contrat de travail, le 29 octobre 2001.[10] Ce contrat contient notamment les dispositions suivantes:

CONTRAT DE TRAVAIL

[…]

ARTICLE 1 OBJET

1.1 Le COMITÉ retient par le présent contrat les services de Monsieur Bertrand Girard, acceptant, pour agir à titre de DIRECTEUR GÉNÉRAL de la future Ville de Saguenay (ci-après appelée la «Ville») constituée en vertu du décret 841-2001 «concernant le regroupement des villes de Chicoutimi, de Jonquière, de La Baie, de Laterrière et des municipalités de Lac Kénogami et de Shipshaw» adopté le 11 juillet 2001.

ARTICLE 2 DURÉE

2.1 Le présent contrat a une durée déterminée de cinq (5) ans, commençant le 13 septembre 2001 et se terminant le 12 septembre 2006.

2.2 Toutefois, à partir du 13 septembre 2001 jusqu'au 17 février 2002, Monsieur Bertrand Girard est affecté auprès du comité de transition de la Ville de Saguenay.

ARTICLE 3 DESCRIPTION DES TÂCHES

3.1 Le DIRECTEUR GÉNÉRAL accomplit la tâche déterminée par la Loi sur les cités et villes, par tous (sic) autres lois ou règlements applicables, par toute description de tâches faite par le conseil ainsi que tout mandat qui lui est attribué par la VILLE.

3.2 Le DIRECTEUR GÉNÉRAL exerce ses fonctions sous l'autorité du conseil et du comité exécutif.

3.3 Avant qu'il n'exerce ses fonctions auprès de la VILLE, le DIRECTEUR GÉNÉRAL travaille sous l'autorité du comité de transition de la Ville de Saguenay ainsi que du président et accomplit les tâches qui lui sont attribuées.

ARTICLE 4 SALAIRE

4.1 Le DIRECTEUR GÉNÉRAL touche le salaire ci-après déterminé pendant la durée des présentes:

(a) 13 septembre 2001: cent quinze mille dollars (115 000$) par année;

(b) 13 septembre 2002: cent vingt mille dollars (120 000 $) par année;

(c) 13 septembre 2003: cent vint-cinq mille dollars (125 000 $) par année;

(d) Pour les deux (2) autres années, il appartiendra au conseil de ville de déterminer le salaire du DIRECTEUR GÉNÉRAL, compte tenu de la politique applicable au personnel cadre.

[…]





ARTICLE 12 CONGÉDIEMENT, SUSPENSION SANS TRAITEMENT OU RÉDUCTION DU TRAITEMENT

12.1 Le conseil peut, pour raison valable, congédier le DIRECTEUR GÉNÉRAL, le suspendre sans traitement ou réduire son traitement. Toutefois, cette décision peut être contestée conformément à la loi.

[14] La prestation de travail de M. Girard commence le 12 septembre 2001. Tel que le prévoit l'article 3.3 du contrat, il travaille sous l'autorité du comité de transition et de son président. Il doit mettre en œuvre la mission prévue à l'article 114 du décret:

Le Comité de transition a pour mission de participer, avec les administrateurs et les employés des municipalités visées par le regroupement et de leurs organismes, à l'établissement des conditions les plus aptes à faciliter pour les citoyens de la ville la transition entre les administrations existantes et la ville.

[15] Rappelons que cette mission s'effectue dans le cadre d'un regroupement forcé où les relations sont parfois difficiles puisque plusieurs des anciennes villes visées sont en désaccord avec la fusion et craignent de perdre leur identité au profit de la Ville de Chicoutimi.

2.3 Relations entre les parties avant le 5 février 2009

[16] La preuve révèle qu'il existe des tensions entre des élus et le comité de transition. Certains faits secondaires, antérieurs aux trois évènements reprochés à M. Girard, méritent d'être soulignés par le Tribunal puisqu'ils permettent de mieux comprendre le climat des relations entre, d'une part, MM. Bernard Angers et Bertrand Girard et, d'autre part, le maire Tremblay.

[17] Il ressort de l'interrogatoire après défense de M. Tremblay, tenu les 10 et 11 décembre 2002, que les relations entre le président du comité de transition et le maire Tremblay sont loin d'être cordiales. À titre d'illustration, le Tribunal reproduit certains extraits du témoignage de M. Tremblay:

R […], pour lui M. Angers c'était, je constatais que c'était un ancien haut fonctionnaire qui prenait plaisir à manipuler les élus et lui pour lui, quand je dis manipuler dans le sens que son idée était toujours la meilleure puis l'idée des élus c'était, il avait pas de respect pour les élus. C'est ce que je constatais de la part de M. Angers. Je trouvais, je le trouvais pas respectueux sur le rôle d'un élu puis je lui disais que c'est, pour moi un élu c'est important.

[…]



R (…). Puis là, il valorisait son travail comme si lui là il avait inventé le monde, puis je lui disais c'est facile quand on n'a pas de compte à rendre, on fait une fonction, on s'en va dans une autre, on s'en va dans une autre, une pension chaque place, j'étais pas tellement emballé de, de ce qu'il, de la considération qu'il avait pour les élus. [11]

[…]

Q M. Tremblay pourriez-vous nous dire quels sont les faits ou les gestes que les membres du comité de transition ont posés pour faire développer chez Bertrand Girard une attitude de méfiance puis d'antipathie à votre égard?

R Bien hier j'ai répondu là-dessus que je ne sentais pas de sympathie du côté du comité de transition à mon égard et je présume que ça s'est transmis à M. Bertrand Girard.[12]

(soulignement ajouté)

[18] Dans les mois suivants l'adoption du décret, le maire Tremblay formule certains commentaires concernant les nominations qui doivent être faites par le comité de transition:

R Dans le temps je vais essayer d'être le plus précis possible là, écoutez, il a été nommé au mois de septembre, l'élection le vingt-cinq (25) novembre, la Ville écoutez là j'ai de la difficulté à situer ça là, je vais vous avouer franchement là, tu peux te souvenir d'avoir parlé à quelqu'un mais à quel moment, tout s'est passé pendant cette période-là, c'est certain que ça s'est passé deux (2) jours avant la création de la Ville, ils étaient tous nommés, mais ça c'est certainement passé quelques mois avant la création de la Ville au moment où le comité de transition faisait des nominations et j'ai parlé avec soit le recteur, soit peut-être M. Bertrand Girard qui en faisait la commission, je leur ai dit qu'il était peut-être pas nécessaire de nommer tout le monde, de nommer seulement les personnes qu'ils vont juger vraiment essentiels là dans leurs charges mais de laisser au conseil municipal le soin de nommer certaines personnes oui, en nommer le moins possible même j'aurais souhaité que le conseil municipal soit lui-même, nomme certaines personnes parce que là, il aurait pu aller jusqu'à la fin, il aurait pu nommer jusqu'au concierge là, j'aurais, je voulais que, qu'on puisse avoir un certain mot à dire dans ça.

[…]

Q Mais comment est-ce qu'il pouvait comprendre ce que les personnes que le comité de transition pouvait nommer? Est-ce qu'il pouvait en nommer cinq (5) dans votre esprit suivant vos représentations, il pouvait en nommer cinq (5) ou dix (10) ou cinquante (50) là, où ça se situait c'était quoi les balises dont vous parliez?

R Il n'y avait pas de balises, il y avait pas de balises, sauf que c'était pendant la période de nominations puis on entendait dire qu'il y avait une nomination tous les jours pendant ce temps-là puis je me disais ils vont arrêter où eux autres d'en nommer. Alors on souhaitait que, qu'il en nomme le moins possible ou du moins qu'il consulte l'assemblée des maires avant de faire des nominations parce qu'on avait une assemblée des maires qui se réunissait avec eux à l'occasion mais on n'était jamais consulté, on était informé on n'était pas consulté.

Q Quand vous dites d'en nommer le moins possible, c'est ça que j'essaie de comprendre, vous parlez de ça là comment est-ce qu'il pouvait se situer de dire d'en nommer le moins possible, il pouvait en nommer deux (2) trois (3) ça pouvait arrêter là?

R Ben on aurait souhaité, écoutez le décret était là, on savait qu'il y avait des droits, on pensait du moins qu'il y avait des droits dans le décret et puis on disait au moins si vous pensez avoir des droits abusez-en pas, tu peux abuser d'un droit, c'est ce qu'on voulait dire, mais c'était pas à nous de fixer des barrières puis il nous le demandait pas c'est pas plus compliqué que ça, on voulait pas qu'il abuse de ce droit-là.[13]

[19] Selon les propos du Maire Tremblay, la nomination de M. Girard est mal acceptée par les élus locaux qui lui auraient, de loin, préféré M. Daniel Gaudreault, ancien directeur général de la Ville de Jonquière:

Q Bon. Vous dites que M. Gaudreault c'est le frère de Me Claude Gaudreault?

R Oui, c'est ça.

Q Qui est l'expert en droit municipal dont vous avez parlé là…..

R Oui.

Q Plus tôt, qui était directeur général à Jonquière auparavant?



R Oui, puis que tous les maires désiraient avoir comme directeur général unanimement quand on s'est rencontré au comité de transition là, surtout le maire de Jonquière et moi qui étaient les deux (2), c'était un des deux (2) qui se ferait élire c'était évident, les deux (2) désiraient avoir Maître, Daniel Gaudreault oui. C'est ce qu'on avait demandé au comité de transition.

Q Est-il exact M. Tremblay que le lendemain de l'élection le vingt-six (26) novembre vous êtes allé rencontrer M. Daniel Gaudreault à Jonquière?

R J'ai, c'était pas une visite pour rencontrer Daniel Gaudreault, je suis allé faire le tour de l'Hôtel de Ville, saluer les employés et je suis rentré dans plusieurs bureaux, dont celui de entre autres je me rappelle M. Serge Chamberland, même plusieurs employés que je sais même pas leur nom, je rentrais puis je leur parlais, je leur serrais la main dont Daniel Gaudreault.

Q Est-il exact que vous avez passé au-delà d'une heure avec Daniel Gaudreault ce vingt-six (26) novembre deux mille un (2001)?

R Une heure c'est peut-être beaucoup mais j'ai passé un bon bout de temps avec lui.

Q Et à ce moment-là, à cette date le vingt-six (26) novembre, il était déjà nommé directeur général adjoint de la nouvelle ville de Saguenay?[14]

(soulignement ajouté)

[20] Les relations interpersonnelles entre M. Girard et le maire Tremblay sont difficiles durant la période de transition. Un irritant concerne le tutoiement de la part de M. Girard:

R Je sais que lui me tutoyait d'une façon que je trouvais méprisante même parce que vous savez des fois il y a des façons de tutoyer quelqu'un…[15]

[…]

R O.K. Alors je vais répondre à la question, il y a dans le tutoiement, je sentais souvent un mépris ou je sentais un tutoiement que je n'aimais pas, ça je tiens à vous le dire puisque vous m'en parlez et je suis, ça me surprendrait que ce soit réciproque là parce que c'est pas mon genre mais dans son cas, je sentais un tutoiement que je n'aimais pas.[16]

[21] Toujours selon M. Tremblay, les deux hommes ont une façon différente d'aborder les problèmes durant la période de transition:

R […]

Mais c'a été ça d'une façon graduelle et les points de litige qu'on avait ensemble étaient principalement dus au fait que on ne pensait pas pareil puis continuellement il s'objectait à ce que je disais, c'est-à-dire à, au programme que j'avançais, à la réduction des dépenses, lui il passait son temps à me dire que la façon dont j'agissais ça allait empêcher la Ville de croître, fallait qu'une Ville dépense, ses dépenses c'était autant ses dépenses personnelles que les dépenses de la Ville. Pour lui là, le mot dépenses c'était continuellement dans son vocabulaire. Si on dépense pas on peut pas avancer. Une Ville, il faut que ça dépense pour progresser. Si tu veux te développer, il faut dépenser. Puis ça après ça arrivait son tour personnel. Lui il fallait qu'il dépense, lui il faut que j'aille au golf, quand on rencontrait des fonctionnaires, il fallait les rencontrer au restaurant. À toutes les fois qu'on parlait d'un voyage, il en avait déjà d'organisés, la Ville était pas encore créée encore puis il avait déjà des voyages d'organisés dont un en France. Il arrêtait pas d'insister aussitôt qu'on, puis ça, ça m'agaçait. Puis il fallait que les fonctionnaires soient bien organisés, il fallait faire des réparations à l'Hôtel de Ville, fallait réparer, fallait s'installer confortablement. C'était continuellement ça, puis il fallait avoir des passes pour aller au golf, il fallait que les clubs de golf nous en donnent, il était tout à fait normal que les clubs de golf donnent des passes et au directeur général et au maire et au chef de police. Et je lui ai dit une fois que le golf là je commence à être tanné d'entendre parler du golf, tu ne parles que du golf puis on est en plein mois de février, alors je lui disais on, je lui disais je, on est en plein mois de février, puis je sais pas combien ça fait de fois que tu me parles du golf. Je trouve ça agaçant toujours le golf. J'aimerais qu'on parle d'autres choses, j'aimerais qu'on parle de construction de la Ville et puis je me souviens aussi qu'une occasion, je lui avais dit on n'ira pas jouer au golf sur les heures de travail. Puis là-dessus il m'avait répondu tu liras mon contrat, mes heures ne sont pas précisées, ça voulait tout dire. Alors je, puis aussi à plusieurs occasions, t'as-tu pris connaissance de la loi, t'as-tu vu dans la loi que le directeur général a des pouvoirs. C'est pas toi mon patron, c'est le conseil municipal, ça devenait, plus le temps avançait plus je sentais qu'il, non seulement c'était pas moi son patron, ça dépend comment on l'interprète là, mais c'est pas des questions d'être patron, c'est question de s'en aller dans une ligne de pensée. Il ne pensait qu'à la dépense et justifiait la dépense avec acharnement, puis ça, ça avait le don de m'agacer, je lui disais non, si toi tu penses qu'il faut dépenser vraiment puis qu'une Ville doit dépenser pour se développer, moi je pense que plus les taxes sont basses plus une Ville se développe, il faut baisser les taxes, c'est le meilleur moyen de permettre aux citoyens de respirer et de permettre à la Ville de se développer. Puis, là-dessus là, il m'accompagnait pas mais pas du tout, du tout, il avait un petit sourire qui en disait long, je le sentais là, je sais qu'est-ce qu'il pouvait penser de moi, mais c'était, puis ça se corrigeait pas, ça s'amplifiait, il arrivait toujours avec de nouveaux arguments. Alors ça, ça m'agaçait, on va rencontrer les fonctionnaires mais au restaurant. Je disais mais pourquoi il faut nécessairement rencontrer les fonctionnaires au restaurant, pourquoi il faut pas rencontrer, on a plein de salles de conférence ici. Je suis d'accord qu'on rencontre les fonctionnaires régulièrement c'est très bien, mais pourquoi toujours au restaurant. Moi je suis pas un amateur de restaurant aux frais des contribuables, j'y vais souvent mais je paye de ma poche. Alors devant cette situation-là, les choses s'amplifiaient puis comme il voyait bien qu'on n'était pas pour s'entendre bien là j'ai vu qu'à un moment donné il y avait une résistance telle que il s'est dit je vais prendre, je vais résister d'une autre façon et c'est, vous avez dans les propos qui sont relatés dans ma lettre, je parle de D-3 parce que je l'ai devant moi, c'est P-3 excusez-moi là, P-3, alors dans cette lettre-là, vous voyez là que, il cherche par tous les moyens de ne pas en arriver à mes objectifs.[17]

[22] Au cours de l’audience, le Directeur nie avoir proposé au Maire de faire ces dépenses. Il affirme par ailleurs avoir fait des suggestions pour améliorer l’accès aux édifices publics pour les personnes handicapées et des propositions pour améliorer le climat avec les employés municipaux et la population.

[23] Au moment où se déroulent ces évènements, M. Tremblay occupe le poste de maire de Chicoutimi depuis 1997. Il a eu des affrontements majeurs par le passé avec l'ex-directeur général de cette Ville, M. Demers, c'est lui que remplace M. Girard au moment de la création de Ville de Saguenay. Certains témoins qualifient de véritable « enfer » le conflit ayant existé entre MM. Tremblay et Demers. Il est évident que M. Tremblay ne veut pas revivre ces épisodes. Cependant, les rôles respectifs et les attributions de chacun doivent être précisés entre M. Tremblay et M. Girard et là encore, il y a désaccord. Voici d'ailleurs comment s'exprime M. Tremblay à ce sujet lors de l'interrogatoire:

R Le rôle du maire il y a un article de la loi des cités et villes qui décrit le rôle du maire, le rôle du directeur général. C'est dans cet esprit que je lui en ai parlé. C'est très bien défini dans la loi le rôle d'un directeur général, le rôle d'un maire, sauf que il intervenait pour dire qu'il avait justement une hiérarchie et que je n'avais pas à parler à aucun des hauts fonctionnaires, c'est à lui que je devais parler si je voulais m'exprimer à un des hauts fonctionnaires, je lui ai dit que moi non, je sais très bien que j'ai pas d'ordres à donner directement mais je vais partout, quand il y a un chantier je vais sur le chantier je parle aux ouvriers lui puis il me dit que non ça ne se ferait pas comme ça, pis qu'il en était pas question puis que je parlerais aux employés de la Ville. Là-dessus on a eu une forte discussion puis je lui ai dit que s'il changeait pas sa façon, on aurait de la difficulté à s'entendre parce que c'était dans ma manière d'agir de parler directement, d'aller m'asseoir dans le bureau des fonctionnaires de leur demander comment va leur travail, d'aller sur les chantiers de m'arrêter pour parler avec la police, de m'arrêter pour parler avec le concierge de parler à tout le monde et je sais très bien qu'il y a une hiérarchie à suivre puis j'ai assez de jugement pour savoir ce que je dois dire à un employé puis ce que je dois pas lui dire mais le fait que lui-même se soit, ait eu des remarques parce que j'avais parlé déjà à des fonctionnaires, que je ne voulais plus que ça se répète puisque je n'aimais pas cette façon d'agir. Puis entre autres quand il avait dit à Denis Dhal par exemple, qu'il avait pas le droit de parler à un membre du comité de transition, je lui ai dit que je trouvais que n'importe qui chez-nous avait le droit de parler à n'importe qui, qu'on n'était pas en, dans un pays communiste puis que tout le monde pouvait se parler. Puis là-dessus il était pas d'accord avec moi puis il n'a jamais accepté ma façon de parler, ma façon de me comporter à ce niveau, mais j'ai insisté fortement puis je trouvais que c'était très, très dominateur et très hiérarchique la façon dont il s'exprimait, je dis oui la loi dit je veux bien comprendre que le conseil passe par le directeur, le directeur applique les résolutions, c'est une chose, mais ça veut pas dire qu'on n'a pas le droit de se parler. Parler c'est une chose, tu peux faire venir un directeur à ton bureau et puis lui dire comment ça va dans ton travail, qu'est-ce que t'en penses, comment tu trouves ce dossier-là. Si je suis obligé, si j'ai pas le droit de faire ça je vais être très malheureux puis vous aussi. [18]

[24] M. Girard indique dans son témoignage que lors d'une rencontre qui se tient le 25 janvier 2002, M. Tremblay l'avise que ses proches conseillers, M. Ghislain Harvey, Me Claude Gaudreault, le frère du directeur de la Ville qui a succédé à M. Girard et M. Yvon Bouchard, lui ont mentionné qu'ils n'étaient pas heureux de travailler avec lui et que de ce fait, il lui sera difficile de collaborer avec un directeur général qui ne peut s'entendre avec son entourage politique. M. Tremblay nie ces propos.

[25] Cependant, les deux parties confirment qu'une rencontre houleuse a lieu le 4 février 2002 au cours de laquelle M. Tremblay fait part de son insatisfaction à M. Girard. Le maire Tremblay invite ce dernier à rencontrer le comité de transition pour obtenir un dédommagement en compensation de son départ:

R Ou les jours qui ont précédé là, le jour, le jour de la suspension, je l'ai même pas vu le jour de la suspension, le jour de la suspension, oui, oui le jour de la suspension je pensais que vous parliez du jour du conseil municipal. Le jour de la suspension oui effectivement, je lui ai dit si ça continue comme ça on va avoir de la misère à s'entendre, oui.

Q C'est la première fois que vous lui disiez ça?

R Non je lui avait dit auparavant à plusieurs reprises, si, si on ne….

Q Vous rappelez-vous quand vous lui aviez dit ça?

R Non, mais ça s'amplifiait toujours là, au début je lui ai certainement pas dit ça mais avec le temps, avec le temps, toutes les fois qu'il s'objectait à chacune des mes politiques, à chacune des, à mon programme tout ça, je commençais à lui dire écoute là si vous voulez insister pour agir de cette manière c'est-à-dire à l'encontre de mon programme électoral puis toujours faire à votre tête, bien vous allez avoir de la difficulté à vous entendre avec le conseil puis à vous entendre avec moi. Je lui ai dit ça à plusieurs reprises à partir du moment où il a commencé à s'objecter, je vous parlais des dépenses ce matin, à partir du moment où il insistait pour faire des dépenses, il insistait pour faire des voyages, il insistait pour aller jouer au golf, il insistait pour tout ça. Je lui disais qu'il allait devoir changer sa mentalité s'il voulait qu'on s'entende bien là, parce que j'ai dit si vous changez pas mais je m'apercevais qu'il changeait pas c'était le contraire plus j'y en parlais pire c'était. J'y tendais des perches puis on aurait dit que la perche que j'y tendais, il s'en servait pour s'éloigner davantage à toutes les fois que j'y parlais.[19]

et plus spécifiquement concernant la rencontre du 4 février 2002, voici ce que mentionne M. Tremblay lors de l'interrogatoire après défense:

Q Bon, le quatre (4) février vous dites l'avoir rencontré?

R Oui

Q À quelle heure l'avez-vous rencontré?

R Je me rappelle pas l'heure.

Q Cette rencontre a duré combien de temps?

R Cette rencontre a duré une vingtaine (20aine) de minutes.

Q Là vous venez de lire les paragraphes de la défense, lesquels paragraphes vous venez de lire là?

R Cent trente-six (136). Parce que je veux me situer, le quatre (4) ou le dix (10) ou le, je veux me situer.

Q Bon, alors vous dites, vous ne vous rappelez pas de l'heure?

R L'heure, non.

Q Et vous dites que cette rencontre a duré une vingtaine (20aine) de minutes?

R Oui.

Q Bon. Quel a été l'échange entre vous deux (2)?» [20]

R Ç'a été, lors de cette rencontre, il a été assez, Monsieur c'est-à-dire M. Bertrand Girard il était, manifestait une attitude il voulait vraiment pas accepter mon style de gestion. ll voulait vraiment pas l'accepter il était à l'encontre des principes que je lui disais, il était arrogant, déplaisant, il est, il me manifestait qu'il était je sentais qu'il voulait vraiment faire un rapport de force avec moi. Puis il m'a dit que si j'étais pas content de son attitude ben j'avais seulement à lui faire un chèque puis ça lui ferait plaisir de s'en aller, que j'avais juste à lui faire un chèque.

Q Je reviens à ma question M. Tremblay quel a été le contenu de l'échange entre vous deux (2), toujours ce quatre (4) février deux mille deux (2002)?

R Pour me situer dans le contexte, je pourrais-tu ravoir la lettre que je lui ai écrite si vous me permettez, me permettez-vous de lire la lettre pour me situer dans les dates là, vous permettez de regarder ça voir?

PAR ME LOUIS COULOMBE,

PROCUREUR EN DÉFENSE.

Q Vous faites référence à la pièce D-3?

R Alors je voulais simplement voir par là, si c'était la réunion où j'avais eu une forte discussion effectivement c'est celle-là. Lors de cette réunion, il m'a dit que c'était lui le patron de la Ville, que le, qu'il avait des pouvoirs dans la loi, que je n'avais qu'à en prendre connaissance, qu'il n'a, que je n'avais pas d'ordre à lui donner, que, en fait je comprenais que c'était lui le boss puis ça allait marcher comme lui allait me le dire sinon j'allais avoir des problèmes. C'est que, c'est ce que j'ai conclu de sa conversation.

Q Alors il vous dit qu'il est le patron de la Ville que ces pouvoirs sont dans la loi, puis que vous aviez pas d'ordre à lui donner?

R Oui.

Q Quelle relation, alors c'est ça que vous rapportez qu'il dit vous avoir dit à ce moment-là le quatre (4) février?

R Oui. Le quatre (4) février.

Q Si vous regardez votre rapport que vous avez présenté au conseil le vingt-cinq (25) février, si j'ai bien lu ce document, il est aucunement mention d'une rencontre du quatre (4) février?

PAR ME LOUIS COULOMBE,

PROCUREUR EN DÉFENSE.

C'est quoi votre question Me Lacasse? C'est une constatation, c'est une question, je comprends pas.

Q M. Tremblay pourquoi faites-vous un lien entre la rencontre du quatre (4) février et votre rapport du vingt-cinq (25) février, alors qu'il n'est pas question du quatre (4) février dans ce rapport-là du vingt-cinq (25) février?

R Écoutez, dans la lettre du vingt-cinq (25) février, j'ai pas tout écrit les conversations qu'on a eues ensemble, toutes les rencontres qu'on a eues ensemble, j'aurais eu, c'est un livre que j'aurait (sic) écrit là, c'est pas une lettre, j'ai écrit des faits qui me semblaient importants mais ceux-là aussi c'est important la rencontre du quatre (4), mais il y en a eu d'autres aussi.[21]

[…]

R Ça tournait autour de ça là mais c'était, c'était, c'était ça. Il m'a dit aussi qu'il irait voir le comité de transition pour voir si le comité de transition avait des fonds de disponibles pour lui mais j'étais d'accord avec ça pour voir si le comité de transition, parce qu'il voyait que ça marcherait pas tellement entre nous deux (2) et puis il m'a demandé de lui faire un chèque, il m'a dit que, en fait, j'ai compris ce matin-là là qu'on aurait de la difficulté à travailler ensemble, moi le but de la rencontre, c'était de lui tendre une perche pour voir si effectivement, il y aurait moyen de s'entendre, il y aurait moyen de voir mais j'ai constaté que non, c'était, sa position était ferme, et il allait s'appuyer sur la loi et qu'il ne se plierait pas à mes désirs ou à mes exigences et puis que lui il était là, puis il avait une façon de voir les choses et qu'il ne changerait pas.

Q O.k. Est-ce qu'il y a d'autres sujets que vous vous avez amenés dans la conversation ou que vous avez abordés?

R Oui, c'est moi qui a commencé, j'ai commencé par lui dire, lors de cette rencontre-là, écoute, je pense qu'on va avoir un peu de difficulté à s'entendre si ça continue, il faudrait je pense avoir ensemble là, on s'en va, est-ce qu'on s'en va dans un mur ou s'il y a un moyen de s'entendre, ça fait plusieurs fois qu'on a des objections, on est rendu au quatre (4) février c'est important que cette Ville-là marche, on a des choses importantes à faire et il semble se dessiner un conflit puis je n'aime pas cette situation-là puis j'aimerais voir qu'est-ce que vous en pensez, qu'est-ce qu'on peut faire, c'est quoi votre réaction, vous sentez-vous heureux à la Ville, aimez-vous ce qui se passe, sentez-vous comme moi que, on est après s'éloigner l'un l'autre ou si vous trouvez ça normal qu'on ait ensemble des, des, un comportement aussi divergent et je, moi ce que j'espérais lors de cette rencontre-là, c'est qu'il dit écoute j'ai senti que ça marchait pas tellement bien puis je pense qu'il va falloir corriger nos tirs ensemble puis il va falloir essayer de se, mais pas du tout, pas du tout son, il a eu une réaction tout à fait contraire,, ça été non puis j'ai, lisez la loi, lis la loi d'abord, il me vouvoyait jamais, lis la loi, regarde la loi puis tu fera pas ce que tu veux avec moi pis c'est ben de valeur tu sais pas c'est quoi un directeur général puis je m'en laisserai pas imposer puis toutes d'affaires de même, c'a duré, au bout de vingt (20) minutes on n'avait pas avancé d'un pouce. Alors la conversation s'est terminée comme ça j'ai dit, puis quand il est parti franchement j'étais un peu déçu de la rencontre, déçu de son comportement, il était….[22]

[26] On constate donc, après cette rencontre du 4 février 2002, qu'il est clair dans l'esprit du maire Tremblay qu'il ne peut continuer à travailler avec M. Girard agissant comme directeur général de la Ville de Saguenay. Toutefois, chose étrange, aucun de ces faits ne fera l'objet des reproches formulés à l'égard de M. Girard lors de la rencontre du 19 février 2002 et de la convocation du 25 février 2002.

2.4 Les trois évènements reprochés et certains éléments soulevés postérieurement

[27] Venons-en maintenant aux trois évènements qui sont véritablement reprochés à M. Girard pour le suspendre et par la suite, le « congédier ». La défense soulève aussi des faits survenus dix ans plus tôt alors que M. Girard était directeur général du Centre hospitalier Saint-Michel.[23] On soulève enfin des points de droit concernant la légalité de certaines dispositions du décret.





2.4.1 Union des municipalités du Québec (UMQ)

[28] Le 5 février 2002, M. Serge Gareau, de l'Union des municipalités du Québec (UMQ), entre en communication avec M. Girard pour l'informer d'un problème relativement à la tenue d'une séance de formation pour les élus de la nouvelle Ville de Saguenay devant avoir lieu le samedi 9 février 2002. Le formateur n'est pas disponible à cette date.

[29] Au cours de la discussion, M. Girard informe M. Gareau de son mécontentement et, selon son témoignage, ajoute que « certains s'interrogent sur la qualité des services offerts par l'UMQ ». Il ajoute qu'il n'est pas question de reporter la formation et qu'il décide tout simplement de l'annuler. Au cours d'une seconde conversation, M. Girard laisse une porte ouverte à un report de la séance d'informations selon les disponibilités des élus concernés.

[30] M. Gareau a une version différente. Selon lui, au cours de la première conversation téléphonique, M. Girard indique « on est pas satisfait des services de l'UMQ » et précise au cours de la seconde « on ne sera pas membre cette année ». M. Gareau dénonce cette conversation à son directeur général M. Raymond L'Italien.

[31] M. Girard informe les membres de l'exécutif du report de la séance de formation lors de la réunion de l'exécutif du 7 février 2002.

[32] Le 8 février 2002, le maire Tremblay est présent à une réunion de l'UMQ qui se tient à Montréal. Lors d'une pause, M. L'Italien discute de la situation avec lui. Selon M. Tremblay, cette situation inquiète l'UMQ. Il demande alors à MM. L'ltalien et Gareau de lui faire parvenir un écrit. M. L'Italien prépare un mémorandum daté du 13 février 2002 qu'il fait parvenir au maire Tremblay, accompagné d'une transcription des propos échangés entre MM. Gareau et Girard (pièce D-1).

2.4.2 Rencontre avec les cadres le 6 février 2002

[33] Une réunion des cadres de direction se tient à l'hôtel de ville de Jonquière le 6 février 2002, en matinée. Il y a seize items à l'agenda.

[34] Au cours de la réunion, M. Girard informe les personnes présentes des rôles respectifs des élus et des cadres. Plus précisément, il attire leur attention sur le texte des dispositions législatives qui précisent le rôle du maire et des élus ainsi que de certains officiers municipaux dont le directeur général et la trésorière. M. Girard insiste sur les responsabilités de chacun et indique qu'au niveau administratif les cadres relèvent de la direction générale et non des élus.



[35] Neuf des personnes présentes sont entendues comme témoin à l'audience. Six d'entre elles blâment les propos de M. Girard indiquant qu'ils ont un effet déstabilisant dans l'immédiat et que cet effet se poursuit dans les jours suivants. Trois témoins ont une perception différente trouvant que l'intervention de M. Girard est justifiée, qu'elle rassure et qu'elle n'a aucun effet déstabilisateur sur le fonctionnement administratif par la suite.

[36] Certains reprochent à M. Girard un ton agressif, l'utilisation d'un langage accusateur, dont notamment l'usage du mot « taupe » et une forme d'invitation à la délation.

[37] Notons cependant, qu'il ressort des témoignages entendus que le mot « taupe » faisait partie du langage courant durant la période de transition et qu'un climat de méfiance existait selon la provenance municipale des individus. Certains cadres présents y ont vu une menace que les tiraillements se poursuivent comme cela existait durant la période du conflit entre le maire Tremblay et son directeur général, M. Demers.

2.4.3 L'exécutif du 7 février 2002

[38] La première réunion officielle du comité exécutif de Ville de Saguenay se tient à l'Hôtel Le Parasol, le 7 février 2002. Plusieurs points sont à l'ordre du jour. En après-midi, les participants discutent de la préparation d'un règlement de régie interne et de fonctionnement de la nouvelle Ville. M. Girard informe l'auditoire qu'un travail préparatoire a déjà été effectué par le comité de transition. Le maire Tremblay désire que le mandat soit confié à une firme d'avocats (Me Gaudreault) qui ferait des recommandations au conseil concernant la régie interne.

[39] Une discussion corsée a lieu entre le directeur général et le Maire et, à un moment donné, M. Tremblay porte des accusations à l'égard de M. Girard concernant l'utilisation de journalistes pour étaler sur la place publique les conflits existants entre le Maire et le directeur général. Il ajoute que M. Girard travaille « dans son dos ».

[40] Piqué au vif, M. Girard réagit et répète à quelques reprises « T'as menti ». Ces propos causent une certaine consternation et M. Girard indique qu'il retire ses paroles.

[41] La réunion se termine subitement quelques minutes plus tard.

2.5 La suspension et le congédiement de M. Bertrand Girard

[42] Au cours de la semaine qui suit la rencontre de l'exécutif, M. Girard est absent pour cause de maladie. Durant cette période, les cadres s'adressent au directeur général adjoint, M. Daniel Gaudreault, pour avoir leurs instructions. Ce dernier assure l'intérim.

[43] Les festivités soulignant la création de la nouvelle Ville de Saguenay ont lieu le 18 février 2002 et M. Girard y assiste. Dans son discours officiel, le maire Tremblay présente plusieurs élus et cadres de la nouvelle Ville. Il oublie de présenter le directeur général, M. Girard. D'ailleurs, dans son témoignage, M. Girard indique qu'aucune chaise ne lui avait été réservée pour la cérémonie officielle. Il ajoute que M. Tremblay l'avise à un moment donné qu'il veut le rencontrer le lendemain pour lui remettre une lettre. Le maire Tremblay ne se souvient pas avoir fait une telle remarque.

2.5.1 La rencontre avec le Maire

[44] M. le maire Tremblay convoque M. Girard à son bureau le 19 février 2002 en après-midi. La rencontre est brève. Au cours de son témoignage, il indique qu'il reproche à M. Girard certains faits survenus les 5, 6 et 7 février 2002 et qu'il lui demande de lui fournir des explications. Lors de son interrogatoire après défense, il ajoute même avoir tendu une perche à M. Girard au cours de cette rencontre. Au procès, il précise que les explications fournies par M. Girard sont peu élaborées et, qu'à l'exception du fait qu'il réitère avoir retiré ses paroles « t'as menti, t'as menti » après l'incident survenu au comité exécutif, M. Girard ne voit rien de répréhensible dans la conversation téléphonique survenue avec M. Gareau de l'UMQ ou lors de la présentation faite devant les cadres, le 6 février 2002.

[45] M. Tremblay qualifie même d'arrogante l'attitude de M. Girard et indique au Tribunal, au cours de son témoignage, s'être interrogé sur le comportement de M. Girard, se demandant s'il n'adoptait pas cette attitude pour forcer le Maire à le suspendre. D'ailleurs, selon M. Tremblay,[24] M. Girard faisait tout, depuis quelque temps, pour le provoquer.

[46] Pour sa part, M. Girard indique que lors de cette rencontre peu de choses ont été dites de part et d'autre sauf de vagues reproches faits par le maire Tremblay concernant des gestes posés par lui les 5, 6 et 7 février 2002. Il précise que ces gestes ont été posés alors qu'il relevait du comité de transition et que de toute façon, sauf l'incident survenu lors de la réunion du comité exécutif, il n'avait rien à se reprocher. M. Girard répète avoir renouvelé au Maire le fait qu'il avait retiré les paroles malheureuses prononcées à l'exécutif.

[47] Le maire Tremblay invite alors M. Girard à revenir à son bureau plus tard[25] pour qu'il lui remette une lettre. M. Girard se retire. Selon le Maire, c'est après cette rencontre qu'il rédige la lettre de suspension ajoutant même qu'il prend la peine de la soumettre ou de consulter son conseiller juridique.

[48] Quelques minutes plus tard, le bureau du Maire communique avec M. Girard pour l'aviser que M. Tremblay se rendra « porter » la lettre directement à son bureau, ce qu'il fait dans les minutes suivantes, suivi de journalistes. M. Tremblay lui remet alors une lettre de suspension[26] (pièce P-7) et l'avise que c'est avec effet immédiat.

[49] Lors de la réunion du comité exécutif du 20 février 2002, on procède à la nomination de M. Gaudreault, pour agir à titre de directeur général par intérim.

2.5.2 La convocation à comparaître devant le conseil le 25 février 2002

[50] Par lettre du 22 février 2002, signée par M. Michel Fortin et signifiée la même date, le maire Jean Tremblay convoque M. Girard à se présenter devant les membres du conseil municipal siégeant en comité plénier.

[51] Le texte se lit comme suit:

Ville de Saguenay

Cabinet du maire



Chicoutimi, le 22 février 2002



Monsieur Bertrand Girard

[...]

Chicoutimi (Québec) [...]





OBJET: AVIS DE CONVOCATION

SUSPENSION DU 19 FÉVRIER 2002

________________________________________________________________



Monsieur,



Le 19 février dernier, dans l'exercice de mes fonctions et conformément aux pouvoirs qui me sont conférés en vertu de l'article 52 de la Loi sur les cités et villes, je vous ai suspendu de vos fonctions.



Préalablement à cette suspension, je vous ai convoqué à mon bureau et je vous ai demandé des explications en regard de certains événements pour lesquels vous étiez en cause.



En conformité avec la loi, je me dois, à la prochaine séance, de faire rapport au conseil et d'exposer mes motifs par écrit.



Préalablement à cette séance, le conseil municipal siégera en comité plénier et sera amené à discuter de cette suspension. Toutefois, avant qu'une décision soit définitivement arrêtée par le conseil municipal, je vous convoque à venir rencontrer les membres du conseil pour donner votre version des faits sur les événements dont je vous ai fait part le 19 février dernier.



Vous êtes donc convié à vous présenter devant les membres du conseil qui siégeront en comité plénier le 25 février prochain, au 201, rue Racine Est, Ville de Saguenay, et ce, pour 17 h 30.



Veuillez donc vous gouverner en conséquence.





(s) Michel Fortin

pour Jean Tremblay, Maire[27]

[52] M. Girard s'y rend accompagné de deux conseillers juridiques, soit Me André Joli-Cœur et Me Alphonse Lacasse. Les versions des témoins sont contradictoires relativement aux événements qui se déroulent à leur arrivée et en cours de séance. M. Girard affirme que tout se passe calmement à l'arrivée alors que lui et ses conseillers juridiques serrent la main de chacun des membres présents. D'autres témoins réfèrent à du brouhaha et à une attitude « cavalière » de la part des conseillers juridiques de M. Girard.

[53] Quoi qu'il en soit, M. le maire Tremblay lit un document préparé par lui pour élaborer les motifs de sa décision de suspendre M.Girard.[28]

[54] Essentiellement, M. le maire Tremblay reproche ceci à M. Girard:

Les motifs qui ont guidé ma décision reposent sur trois événements précis qui se sont déroulés les 5, 6, et 7 février dernier.

5 février 2002: Union des municipalités du Québec (UMQ)

[55] À la suite de sa rencontre avec M. L'Italien et en se basant sur le document D-1, il indique:

En aucun temps, les membres du Conseil n'ont manifesté leur mécontentement à l'égard des services offerts par l'Union, pas plus d'ailleurs qu'ils ont manifesté le désir de ne pas payer leur cotisation, et, par surcroît, de se retirer de l'Union des municipalités du Québec.



6 février 2002: Rencontre des cadres de direction de la Ville

[56] Se basant sur les propos qui lui ont été rapportés par des cadres de direction présents à la rencontre du 6 février 2002, M. le maire Tremblay dit:

De par ses propos, M. Bertrand Girard m'a désavoué envers les cadres de direction en exerçant une intimidation suffisante pour mettre une pression indue sur les épaules des cadres de direction.

7 février 2002: Comité exécutif

[57] Référant à l'échange survenu entre lui et M. Girard concernant le mandat qu'il voulait confier à une firme externe pour faire des recommandations concernant le règlement de régie interne et le fonctionnement de la Ville et à ses propres propos relativement à l'utilisation de la presse écrite par M. Girard, M. Tremblay reproche à ce dernier de s'être comporté « en polisson » et d'avoir favorisé « la confrontation ».

[58] Le maire Tremblay termine sa présentation de la façon suivante:

Devant ces événements[29], j'ai mesuré l'ensemble de la situation et vu le sérieux et la gravité des gestes posés, je considère que M. Bertrand Girard a eu une attitude préjudiciable à la municipalité qui rompt le lien de confiance que l'on doit avoir avec tout fonctionnaire et surtout envers celui qui occupe la plus haute fonction administrative de la ville. Je n'avais pas d'autre choix que de procéder à sa suspension.

Voilà, Mesdames, Messieurs, les motifs qui m'ont guidé pour relever M. Bertrand Girard de ses fonctions. Vous avez maintenant le devoir d'arrêter toute décision que vous jugerez pertinente dans les circonstances.

[caractère gras ajouté]

[59] Par la suite, on invite M. Girard à prendre la parole. L'un de ses procureurs indique qu'il voudrait prendre connaissance du texte du maire, lequel n'a pas été distribué aux conseillers, avant de commenter.

[60] Le maire Tremblay invite M. Fortin, attaché à son bureau, à faire deux copies du texte. Me Joli-Cœur s'accapare d'une copie du document. Une altercation verbale s'en suit puisqu'une correction avait été apportée au texte et que le Maire voulait en prendre connaissance avant que Me Joli-Cœur reçoive sa copie.



[61] Un des procureurs de M. Girard veut alors prendre la parole et on l'en empêche.[30] Là encore, il semble qu'une discussion corsée survienne entre le Maire et l'un des conseillers juridiques de M. Girard. À ce moment, il est important de noter que M. Fortin a déjà quitté la salle pour se rendre vérifier l'état de préparation de la salle du conseil pour la séance publique.

[62] Le maire Tremblay refuse le droit aux procureurs de M. Girard de prendre la parole et de fournir des explications aux membres du Conseil. Le Maire exige que ce soit M. Girard qui s'adresse aux membres du Conseil.

[63] Confronté à cette attitude, M. Girard et ses procureurs se retirent de la salle.

[64] Plus tard, en début de soirée, M. Girard accompagné de ses deux conseillers juridiques se présentent à la séance publique et s'assoient dans la section réservée au public.

[65] À l'item 14 de l'agenda, le maire Tremblay répète, en séance publique, l'exercice effectué plutôt en comité plénier. Il relit le texte apparaissant au document D-3.

[66] À l'audience, les parties ont déposé de consentement une transcription sténographique des propos tenus lors de la séance publique du conseil municipal de Ville de Saguenay du 25 février 2002.[31]

[67] Le Tribunal reproduit intégralement l'échange survenu immédiatement après la lecture du texte du maire Tremblay:

PAR M. JEAN TREMBLAY:

[…]

Alors suite à ce que je viens de vous lire, je demande aux conseillers maintenant s'ils ont un commentaire ou s'ils ont une décision de prise.

PAR M. LAFOREST:

En comité plénier, tantôt on a discuté, vers la fin il avait été dit que, en tout cas, il y aurait probablement une possibilité pour monsieur Girard de rétorquer ou d'expliquer peut-être à chacun des faits qui lui est reproché.

Est-ce qu'on va avoir l'occasion d'avoir cette réplique ou quoi?



PAR M. JEAN TREMBLAY:

Bien, on lui a offert tout à l'heure.

PAR M. LAFOREST:

Après l'assemblée?

PAR M. JEAN TREMBLAY

Oui.[32]

Est-ce qu'il y a d'autres…

PAR M. LAFOREST

Ça lui a été offert?

PAR M. JEAN TREMBLAY

Bien oui, ça lui a été offert devant tout le monde.

PAR UN INTERVENANT:

Monsieur le Maire, il a refusé.

PAR M. JEAN TREMBLAY:

Il a refusé carrément.

Est-ce qu'il y a des décisions, est-ce que quelqu'un fait une proposition?

PAR Mme MARINA LAROUCHE:

C'est résolu, monsieur le Maire. C'est proposé et résolu unanimement, monsieur le Maire, qu'on congédie le directeur général.

PAR M. JEAN TREMBLAY:

Alors c'est proposé unanimement, pas personne en particulier, mais c'est unanime au conseil que monsieur Girard soit congédié.

Est-ce qu'il y a des commentaires?

Est-ce que quelqu'un demande le vote?

Alors sujet suivant.[33]

PAR UN INTERVENANT:

Monsieur le Maire, au niveau du directeur général par intérim, est-ce que c'est une formalité ou bien…

PAR M. JEAN TREMBLAY:

Non, je pense qu'il y aurait lieu de faire une proposition, d'abord pour le dépôt de ma lettre et pour nommer un directeur général par intérim.

PAR UN INTERVENANT:

Monsieur le Maire, si vous permettez, je vas proposer monsieur Daniel Gaudreault comme directeur général par intérim.

PAR M. LAFOREST:

Je vas l'appuyer, monsieur le Maire.

PAR M. JEAN TREMBLAY

Appuyé par monsieur Laforest.

Est-ce que quelqu'un demande le vote là-dessus? Pas d'autres suggestions?

PAR Mme MARINA LAROUCHE:

Monsieur le Maire, je propose le dépôt de la lettre.

PAR M. JEAN TREMBLAY:

Vous proposez le dépôt de la lettre, c'est appuyé par monsieur Hovington. Alors dépôt de la lettre que je viens de lire.

[caractère gras ajouté]

[68] On constate donc que le tout s'est déroulé avec une extrême rapidité après la lecture par le Maire et que M. Girard ou ses procureurs ne sont pas invités à poser des questions ou à faire des commentaires.

[69] Dans les semaines suivantes, M. Girard poursuit le maire Jean Tremblay et la Ville de Saguenay, invoquant une rupture unilatérale injustifiée de son contrat de travail à durée déterminée.

[70] La Ville et le Maire contestent cette demande et plaident la justesse et la légalité de la suspension et de la destitution vu la gravité des reproches formulés à l'endroit de M. Girard et du bris du lien de confiance.

[71] Dans leur contestation, ils ajoutent des éléments à titre subsidiaire. Il s'agit de faits survenus dix ans plus tôt alors que M. Girard était directeur général du Centre hospitalier Saint-Michel.[34]

[72] Ils soulèvent également des points de droit concernant la légalité de certaines dispositions du décret plus particulièrement les articles 102, concernant la formation et la composition du comité de transition et 132, concernant le pouvoir de nommer le directeur général de la nouvelle Ville.

[73] Enfin, si le recours de M. Girard est retenu, ils lui reprochent de ne pas avoir minimisé ses dommages et demandent au Tribunal de réduire de toute condamnation, le salaire et autres avantages qu'il aurait pu retirer d'un poste de direction auprès des Jeux.

3. QUESTIONS EN LITIGE

[74] Elles se résument ainsi:

Ø les reproches fondés sur les événements des 5, 6 et 7 février 2002;

Ø la validité des décisions des 19 et 25 février 2002;

Ø la prise en compte des événements survenus en 1992;

Ø la validité des articles 102 et 132 du décret;

Ø le quantum.

[75] Le Tribunal doit examiner les conditions donnant ouverture au recours prévu à l'article 52 de la Loi sur les cités et villes (LCV). À cet égard, il doit d'abord vérifier si les reproches formulés à l'égard de M. Girard concernant les événements des 5, 6 et 7 février 2002 donnent ouverture à la suspension survenue le 19 février 2002. Puis, il doit déterminer si les formalités prévues à la loi ont été suivies tant le 19 que le 25 février 2002.

[76] Ensuite, il doit se prononcer sur l'admissibilité en preuve des reproches formulés à l'égard de M. Girard concernant les faits survenus en 1992 et juger de la validité des articles 102 et 132 du décret.

[77] Enfin, s'il retient la responsabilité du maire Jean Tremblay et de Ville de Saguenay, le Tribunal doit déterminer le quantum des dommages et décider si la réclamation de M.Girard doit être réduite pour tenir compte du salaire et autres avantages qu'il aurait pu retirer comme directeur général des Jeux.

4. ANALYSE ET DÉCISION

[78] L'article 52 de la LCV autorise un maire, dans l'exercice de ses fonctions comme chef exécutif de l'administration municipale, à suspendre un fonctionnaire ou un employé de la municipalité. Cet article se lit comme suit:

52. Le maire exerce le droit de surveillance, d'investigation et de contrôle sur tous les départements et les fonctionnaires ou employés de la municipalité, et voit spécialement à ce que les revenus de la municipalité soient perçus et dépensés suivant la loi, et à ce que les dispositions de la loi, les règlements et les ordonnances du conseil soient fidèlement et impartialement mis à exécution. Il soumet au conseil tout projet qu'il croit nécessaire ou utile, et lui communique toutes informations et suggestions relatives à l'amélioration des finances, de la police, de la santé, de la sûreté, de la propreté, au bien-être et au progrès de la municipalité.

Dans l'exercice de ses fonctions comme chef exécutif de l'administration municipale, le maire a droit, en tout temps, de suspendre un fonctionnaire ou employé de la municipalité, mais il doit faire rapport au conseil, à la séance qui suit cette suspension, et exposer ses motifs par écrit; le fonctionnaire ou employé suspendu ne doit recevoir aucun traitement pour la période pendant laquelle il est suspendu, à moins que le conseil n'en décide autrement sur cette suspension et celle-ci n'est valide que jusqu'à cette séance.[35]

[79] La loi ne précise pas toutefois les conditions d'exercice de ce pouvoir.

[80] On peut cependant affirmer que le Maire a une obligation d'agir équitablement et doit avoir des motifs sérieux reliés à la fonction occupée par le fonctionnaire ou l'employé de la municipalité. Il ne peut agir pour régler « un conflit personnel », il doit toujours agir dans l'intérêt de la municipalité.

[81] Selon la jurisprudence,[36] la suspension sans traitement constitue une mesure disciplinaire.

[82] Le principe de la progressivité de la sanction s'applique et on doit prendre en considération le caractère raisonnable des décisions de l'employeur. La sanction doit être non discriminatoire et des circonstances atténuantes peuvent être retenues lors de l'analyse d'une suspension sans traitement.

[83] Les faits reprochés doivent avoir un degré minimal de sérieux et de gravité. Le Maire et, plus tard le conseil, doivent agir pour des motifs de bonne administration et en vue du bien commun de la population.[37]

[84] En cette matière, le juge doit examiner et vérifier si les comportements ou attitudes reprochés ont été préjudiciables à la municipalité. La décision du conseil ou du Maire ne doit pas être dictée par pur caprice, animosité personnelle, préjugés politiques ou autres motifs du genre. La sanction ne doit pas être disproportionnée eu égard aux actes reprochés. Le juge doit mesurer la sagesse de la décision du Maire et du conseil face à la décision de suspendre l'employé ou de le congédier.

[85] Dans le présent dossier, il ressort clairement des propos du maire Tremblay, prononcés à la séance publique du conseil municipal de la Ville de Saguenay le 25 février 2002, que les motifs apparents qui ont guidé sa décision de suspendre M. Girard reposent sur trois événements précis survenus les 5, 6 et 7 février 2002.

[86] Il y a cependant lieu de souligner qu'à la fin de sa présentation, M. le maire Tremblay a référé à des faits antérieurs:

Malgré les événements dont je viens de vous faire part, je tiens à vous rappeler que nous avons tous été mis en relation avec monsieur Bertrand Girard depuis son élection (sic) du 25 novembre 2001.

Depuis cette date, tout comme moi, vous avez sans doute traduit une certaine réticence de la part de monsieur Girard face à l'autorité, réticence qui fut fortement mise en évidence lors des événements du 6 février dernier.

Une des philosophies qui guident, entre autres, le conseil municipal est une de contrôle pour mieux servir le citoyen. Ce contrôle doit s'exercer à tous les niveaux par les orientations dictées par le conseil.[38]

[87] Ces derniers commentaires ont été faits de façon générale sans préciser de reproches particuliers. Ils n'ont d'ailleurs jamais été soumis au conseil lors de la décision le 25 février 2002.



[88] Il est important de se rappeler que selon l'article 2.2 du contrat P-5, M. Girard relevait du comité de transition du 13 septembre 2001 au 17 février 2002 et que ses services ont été très appréciés tel qu'en fait foi le texte de la lettre élogieuse transmise par le président M. Bernard Angers le 14 février 2002.[39] Aucun des faits reprochés à M. Girard n'aurait été commis après la création de la nouvelle Ville.

[89] Ceci dit, force nous est de constater que la preuve révèle que le sort de M. Girard était déjà scellé lors des rencontres tenues avec le Maire les 25 janvier et 4 février 2002. Le maire Tremblay nie l'affirmation de M. Girard concernant les propos qui auraient été tenus le 25 janvier 2002 mais il est clair des témoignages de M. Girard et de M. Tremblay qu'au cours de la réunion du 4 février 2002, le Maire a clairement indiqué à M. Girard qu'il lui était impossible de travailler avec lui. Bien plus, M. Girard affirme que le Maire lui aurait même déclaré que ses proches conseillers ne pourraient s'entendre avec lui. Cette affirmation n'a pas été contredite. Il y a même eu incitation, lors de cette dernière rencontre, à négocier avec la Ville ou le comité de transition, une indemnité de départ ou de séparation. On constate donc qu'avant la survenance des événements des 5, 6 et 7 février, le Maire avait indiqué au directeur général qu'il ne pourrait pas travailler avec lui.

[90] Qu'en est-il maintenant des événements survenus les 5, 6 et 7 février 2002?

[91] Avant d'analyser le détail de ce qui est survenu au cours de chacun de ces événements, il y a lieu de référer à l'article 295 du Code procédure civile et notamment à l'alinéa 2:

295. Toute personne est apte à déposer en justice, sauf si, en raison de sa condition physique ou mentale, elle n'est pas en état de rapporter des faits dont elle a eu connaissance; et toute personne apte à déposer peut être contrainte de le faire.

La relation de conjoint, la parenté, l'alliance, l'intérêt peuvent être causes de reproche contre un témoin, mais seulement quant au degré de crédibilité de son témoignage.

[caractère gras ajouté]

[92] Cette disposition législative est particulièrement importante en l’espèce vu les liens existants entre les témoins, principalement ceux de la défense compte tenu des postes qu’ils occupaient à l'époque ou présentement. Précisons cependant que cette remarque ne s'applique pas aux « témoins » : Bernard Lapointe, Me P. Michel Bouchard et Serge Reid. Elle ne s'applique pas non plus, pour des raisons différentes, aux témoins de la demande : Guy St-Gelais, Me Hélène Savard et Claude Gagnon.

[93] D’entrée de jeu, le Tribunal est d’avis que plusieurs ont témoigné sous surveillance, de façon complaisante et par crainte de subir les foudres du premier magistrat de la Ville. Ils ont récité une leçon bien apprise. Ceci dit leur crédibilité s’en trouve entachée.

[94] Quant au témoignage du Maire, il était truffé d’hésitations, de cafouillage, d'exagération, d’oublis, de contradictions et de faux prétextes. Certains des événements relatés par ce dernier relevaient de la pure science-fiction à titre d'exemple les explications quant à la présence des médias à l'hôtel de ville le jour de la suspension du Directeur.

[95] De l’avis du Tribunal la décision de congédier M. Girard a été imposée par le Maire au conseil sans laisser place à aucune contestation. Il y a eu dirigisme et l’extrait de la transcription du document P-114 qui reprend le verbatim de la séance du conseil du 25 février 2002 en est une illustration flagrante. Tout a été soigneusement élaboré avec une précision chirurgicale. Il a fallu attendre jusqu'au 18 février 2002, date de création de la nouvelle Ville, pour mettre, le lendemain, le plan ourdi à exécution.

[96] Examinons maintenant les faits à l’origine de la suspension et du congédiement.

4.1 Union des municipalités du Québec (UMQ):

[97] Le maire Jean Tremblay reproche à M. Girard d'avoir affirmé que la Ville de Saguenay avait l’intention de se retirer de l'UMQ. M. Girard nie les propos qui lui sont reprochés, mais admet qu'il a pu faire part à M. Gareau de son insatisfaction parce que la séance de formation prévue le 9 février pour les nouveaux élus de Saguenay devait être reportée à cause de l'indisponibilité du formateur.

[98] Le Maire s'appuie en partie sur une transcription de la substance des échanges qui seraient intervenus entre MM. Serge Gareau et Bertrand Girard, le 5 février 2002.

[99] La préparation de ce document est pour le moins nébuleuse. Au cours de son témoignage, M. Gareau se voit confronté à des questions lui demandant de préciser les raisons justifiant la préparation de ce document. Il n'a fourni aucune explication vraiment sérieuse; tout au plus mentionne-t-il qu'il l'a préparé car il voyait un conflit potentiel.

[100] Le 8 février 2002, M. le maire Tremblay assiste à Montréal à une réunion d'un comité de l'UMQ. Lors d'une pause, il rencontre M. L'Italien et M. Gareau. M. L'Italien sollicite la rencontre avec le Maire affirmant au Tribunal être inquiet d'un retrait éventuel de Ville de Saguenay de l'UMQ. C'est lors de cette rencontre que M. L'Italien demande à M. Gareau de lui faire parvenir un résumé de l'échange intervenu entre lui et M. Girard. Il transmet ce document au maire Tremblay en annexe à un mémorandum daté du 13 février 2002 qui sollicite un échange dans les plus brefs délais.

[101] À l'audience, le Tribunal a émis des doutes sur les explications fournies par M. L'Italien et M. Gareau concernant l'échange et la raison de la préparation de ces documents adressés au maire Tremblay.

[102] Il est important de noter que la question de la formation reportée pour les élus de Saguenay a fait l'objet d'une discussion lors de la réunion du comité exécutif du 7 février 2002. M. Girard a informé les élus du problème. En aucun temps, il ne semble avoir été évoqué par M. Girard un retrait possible ou éventuel de la Ville de Saguenay de l'UMQ.

[103] D'un autre côté, lors de la rencontre du 8 février 2002, les trois intervenants savent très bien que la décision concernant l'adhésion ou le retrait d'une municipalité de l'UMQ relève des élus et non du directeur général. Pourquoi, après la rencontre, était-il nécessaire pour le directeur général de l'UMQ de préparer des documents sollicitant un échange et relatant une conversation intervenue entre le Directeur et M. Gareau alors que tous étaient rassurés sur la suite des choses?

[104] Le Tribunal a de sérieux doutes sur le contenu du document préparé par M. Gareau plus de trois jours après les événements. Lors de son témoignage, M. Gareau a indiqué que l'échange entre lui et M. Girard n'avait pas été enregistré et qu'il n'avait pas pris de notes précises concernant le verbatim de l'échange. Pourtant à la lecture du document, on pourrait croire que le texte soumis constitue le verbatim des propos des deux hommes, incluant les hésitations.

[105] Le Tribunal ajoute qu'à une question posée à M. L'Italien, ce dernier indique qu'il a écrit le mot « Jean » en entête du mémorandum et que la signature « Raymond L' » est généralement réservée à ses proches amis. Ce sont là d’autres éléments qui permettent de douter de la crédibilité des témoignages concernant cet évènement.

[106] Le document D-1, soit le mémorandum et la transcription préparée par M. Gareau sont des documents qui ont été préparés à la demande expresse de M. Jean Tremblay avec intention de les utiliser contre M. Girard au moment opportun.

[107] Il ne fait aucun doute qu'après la rencontre du 8 février 2002, les représentants de l'UMQ n'avaient plus aucune crainte du retrait de la Ville de Saguenay de l'organisme. La sollicitation d’une rencontre formulée par M. L'Italien dans son document du 13 février 2002 ne peut être prise au sérieux.

[108] Le Tribunal retient donc de la preuve concernant l'événement du 5 février 2002 que M. Girard a pu faire part de son insatisfaction mais qu'il n'a jamais fait de menaces sérieuses de retrait de la Ville de Saguenay de l'UMQ. Ce n’est certes pas un motif de suspension ou de congédiement.



[109] Il faut se rappeler que la formation relevait du comité de transition qui en assumait les coûts.

[110] Cet événement ne constitue pas un motif de suspension ou de congédiement. En réalité ce que le directeur général a fait, c'est de défendre la date prévue de la séance de formation des élus de Saguenay.

4.2 Réunion des cadres du 6 février 2002:

[111] Une rencontre des cadres de direction de la Ville de Saguenay a lieu le 6 février 2002 à l'hôtel de ville de Jonquière. Vingt-deux personnes y assistent dont M. Girard. Il y a seize sujets à l'ordre du jour.

[112] À un moment donné, M. Girard fait une mise au point relativement au rôle respectif des élus et des cadres. Il lui apparaît important de faire la démarcation entre « le politique et l'administratif ». Il fait lecture aux personnes présentes des textes législatifs précisant les pouvoirs du maire, du directeur général, du trésorier et du greffier.

[113] Dans son esprit, une saine gestion des affaires de la Ville justifiait que chaque cadre sache qui fait quoi et comment répondre aux demandes des élus lorsqu'il s'agit de commandes politiques.

[114] Selon plusieurs des témoins entendus en défense, M. Girard serait devenu agressif et revendicateur lorsqu'il s'est adressé aux cadres, il leur aurait également demandé d’être loyaux. Il aurait fait également référence à « des taupes » ainsi qu'à l'utilisation de désinformation pour tester certaines personnes.

[115] Au moins trois des témoins entendus en défense, M. François Hains, Mme Rina Zampiéri et M. Denis Dahl disent avoir été très perturbés par les propos de M. Girard. M. Hains a été convoqué par le Maire après la réunion, Mme Zampiéri a rencontré le Maire pour lui indiquer qu'elle voulait aller travailler à l'hôtel de ville d'Arvida et M. Dahl s'est senti visé par le mot « taupe » puisque plusieurs le voyaient comme le Père Ovide du Maire.

[116] M. Dahl ajoute avoir vécu, pendant de nombreuses années, un conflit entre l'administration et le pouvoir politique. Ce conflit aurait commencé avec le maire Blackburn et serait devenu évident avec l'élection de M. Tremblay en 1997 pour se poursuivre jusqu'au départ du directeur général Demers au moment de la fusion. Pour M. Dahl, M. Girard voulait simplement la même loyauté de la part des cadres que celle qu'exigeait son prédécesseur Demers. Il craignait que le conflit ne recommence après la fusion.



[117] En fait, M. Girard a simplement mis l’emphase sur le rôle du directeur général dans une ville et s’est référé à la disposition législative pertinente de la LCV:

113 - Le directeur général est le fonctionnaire principal de la municipalité.

Il a autorité sur tous les autres fonctionnaires et employés de la municipalité, sauf sur le vérificateur général qui relève directement du conseil. À l'égard d'un fonctionnaire ou employé dont les fonctions sont prévues par la loi, l'autorité du directeur général n'est exercée que dans le cadre de son rôle de gestionnaire des ressources humaines, matérielles et financières de la municipalité et ne peut avoir pour effet d'entraver l'exercice de ces fonctions prévues par la loi.

Il peut suspendre un fonctionnaire ou employé de ses fonctions. Il doit immédiatement faire rapport de cette suspension au conseil. Le conseil décide du sort du fonctionnaire ou employé suspendu, après enquête.

[118] Selon les auteurs Hétu et Duplessis,[40] si les devoirs et pouvoirs des principaux fonctionnaires d'une municipalité, tel que le directeur général, sont essentiellement décrits dans la loi, « c'est que le législateur a voulu leur reconnaître l'indépendance nécessaire, voire une grande autonomie, dans la bonne administration de la municipalité ».[41]

[119] Le directeur général est notamment chargé d'agir à titre d'intermédiaire entre le conseil municipal, les autres fonctionnaires et la population. Son rôle est double: c'est à la fois un employé détenant plusieurs responsabilités qui relève directement du conseil municipal et le représentant de l'employeur face aux autres employés municipaux.

[120] En bref, les employés et les cadres ont un devoir de loyauté à son égard. Ce devoir n'est cependant pas sans limites puisque l'employé n'est pas obligé de se soumettre à une demande déraisonnable ou comportant un abus de pouvoir de la part de son supérieur.[42]

[121] Au cours de son témoignage, le maire Tremblay affirme qu'après cette rencontre, les gens rasaient les murs et qu'il ne pouvait plus parler à personne. Selon lui, le climat à l'hôtel de ville se serait alors détérioré considérablement.



[122] Il est vrai que des témoins de la défense ont probablement été perturbés par les propos de M. Girard, craignant revivre un conflit comme celui ayant déjà existé entre le maire Tremblay et le directeur général Demers. Cependant, les affirmations concernant la détérioration du climat doivent être écartées. M. Denis Coulombe indique au cours de son témoignage, qu'après la rencontre, il a continué à faire son travail habituel sans changement. M. Denis Simard s'est informé de la portée des propos de M. Girard et il confirme avoir continué à se comporter de la même façon qu'auparavant après une rencontre avec le directeur adjoint Gaudreault qui lui a dit de continuer à faire son travail de la même façon.

[123] M. Daniel Gaudreault indique également avoir été légèrement ébranlé par les propos de M. Girard mais ajoute que la poussière avait tombé avant le 18 février 2002, date officielle de la création de la Ville.

[124] Il faut se rappeler que M. Gaudreault a remplacé M. Girard dans les jours suivants la rencontre, et ce, jusqu'à la création officielle de la Ville puisque M. Girard était absent, en congé de maladie.

[125] Il serait difficile de généraliser et d'affirmer que les propos de M. Girard, prononcés lors de cette rencontre du 6 février 2002, ont eu un effet dévastateur sur la fonction publique municipale.

[126] Par ailleurs, trois témoins que le Tribunal qualifie de totalement indépendants, contredisent carrément les affirmations faites par les témoins de la défense concernant d'abord les propos de M. Girard et ensuite le changement de comportement au niveau de la fonction publique.

[127] M. Guy St-Gelais était directeur général adjoint de Saguenay au moment de la rencontre. Pour lui, M. Girard a simplement fait une mise au point concernant la responsabilité politique et la responsabilité administrative du maire Tremblay et du directeur général. Il considère que M. Girard s'est bien comporté lors de cette rencontre. Sa perception est que les gens présents ont bien compris le message et qu'ils devaient continuer à faire leur travail sans changer leur façon de procéder. Il est important pour un fonctionnaire municipal de bien comprendre qu'il n'a pas à répondre à des commandes politiques.

[128] Il admet avoir rencontré M. Hains qui s'est dit mal à l'aise des propos de M. Girard. Il a rédigé, le 11 février 2002, un compte-rendu de cette rencontre (pièce P-20).

[129] En contre-interrogatoire, il précise que la majorité des gens présents à la rencontre a bien compris le message de M. Girard. Il ajoute qu'avant la fusion, il y avait une mauvaise relation entre le directeur général Demers et M. le maire Tremblay qui tentait d'exercer un contrôle sur les cadres. Pour lui, M. Girard était en droit d'intervenir et se devait de le faire pour clarifier la situation et indiquer aux cadres de le rencontrer pour régler les problèmes de nature politique. C'était à lui de faire le pont avec les élus. Il mentionne également qu'il n'a pas vu de changement au quotidien dans le comportement des employés après l'intervention de M. Girard.

[130] Me Hélène Savard était directrice des affaires juridiques de Saguenay au moment de l'événement. Elle confirme que lors de la rencontre, M. Girard a simplement exposé son rôle et qu'il a expliqué aux cadres qu'il fallait dissocier les demandes de nature politique de celles de nature administrative.

[131] Me Savard dit que le discours de M. Girard l'a soulagé et rassuré. Elle considère que M. Girard prenait à cœur son rôle.

[132] Pour elle, la mise au point de M. Girard correspondait à la définition du rôle de chacun telle qu'elle apparaît à la LCV. Cette vision était en accord avec ses propres croyances de la gestion municipale et conforme à la loi. Il suffit de répéter que le directeur général est le fonctionnaire principal de la Ville et que c’est lui qui a autorité sur tous les fonctionnaires et employés de la Ville hormis les exceptions prévues à la LCV.

[133] Elle précise que M. Girard a simplement conforté et invité les gens à ne pas accepter de mandat de la part d'élus sauf lorsque ces demandes se faisaient officiellement. Pour elle, il fallait faire la différence entre une demande d'information et une commande politique d'exécution de travail. À titre d'exemple, pour les fins de son travail, elle indique qu'elle trouvait correct qu'un élu s'adresse à elle pour lui demander une information générale concernant un dossier. Il ne pouvait cependant lui faire une intervention de nature politique ou lui demander de fournir une opinion juridique à moins que cette demande ne soit formulée directement par le conseil ou par le directeur général.

[134] Me Savard insiste sur le fait que les cadres ne relèvent pas d'un élu et que leurs instructions doivent leur être données par le directeur général tel que prescrit à la loi.

[135] En contre-interrogatoire, elle indique qu'elle n'a pas vu de réactions négatives lors de la rencontre quand M. Girard a employé le mot « taupe ». Elle a terminé en indiquant qu'il est toujours plus facile de fonctionner lorsque les règles sont claires.

[136] Un troisième témoin a été entendu en contre-preuve, soit M. Claude Girard, directeur de l'arrondissement Jonquière lors de la fusion. Pour lui, l'intervention de M. Girard s'est faite de façon correcte. Il a expliqué clairement la différence entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif au sein d'une municipalité. Il indique que les propos de M. Girard n'ont apporté aucun changement dans la façon de procéder dans son cas et que la réunion s'est déroulée normalement sans créer aucune commotion.

[137] De tous les témoignages entendus concernant l'événement du 6 février 2002, le Tribunal retient que M. Girard a fait une mise au point, laquelle était appropriée dans les circonstances et que les gens ont généralement bien réagi à ses propos. À l'exception des témoins rencontrés par le Maire, les relations interpersonnelles n'ont pas été perturbées et il n'y a pas eu de commotion au cours des jours suivants au sein de la fonction publique municipale de Ville de Saguenay. Il serait difficile d'en arriver à une autre conclusion d'autant plus que M. Girard a dû s'absenter pour cause de maladie au cours des jours suivants et que c'est M. Daniel Gaudreault qui a agi durant cette période.

[138] On a fait grand état de l'utilisation du mot « taupe » par M. Girard lors de la rencontre. La preuve révèle de façon claire que ce mot faisait partie du vocabulaire courant des élus et de leur entourage durant la période de transition. Un climat de méfiance mutuelle existait vu les intérêts opposés des gens impliqués dans le dossier de la fusion.

[139] On ne peut donc pas dire que M. Girard a désavoué le Maire. Il a simplement fait une mise au point appropriée dans les circonstances pour bien situer les lignes d'autorité.

[140] Le Tribunal est d'avis que ce second événement ne pouvait pas être retenu par le maire Tremblay pour procéder à la suspension de M. Girard le 19 février 2002.

[141] Il y a plus, au cours de son témoignage, le Maire révèle que son argumentation concernant cet événement s'appuie pour majeure partie sur un rapport d'événement qui aurait été préparé par M. Daniel Gaudreault le 11 février 2002 et remis à M. Tremblay par la suite. Le Maire admet s'être inspiré de ce document pour rédiger le texte lu au conseil le 25 février 2002. Il s'agit d'un document qui revêt une certaine importance mais qui ne peut être retrouvé au moment du procès. Le Tribunal s'interroge fortement sur le contenu de ce document ou même sur son existence.

4.3 Comité exécutif, 7 février 2002:

[142] Une réunion du comité exécutif de la nouvelle Ville de Saguenay se tient à l'Hôtel Le Parasol le 7 février 2002. Sont présents : le maire Tremblay, les conseillers Mme Marina Larouche et MM. Marc-André Gagnon, Fabien Hovington et Claude Tremblay, le greffier Pierre Brassard, M. Michel Fortin attaché au bureau du Maire et M. Girard, directeur général.

[143] Plusieurs points sont à l'ordre du jour dont le report de la formation des nouveaux élus de Saguenay qui devait avoir lieu le 9 février 2002, sous la responsabilité d'un formateur envoyé par l'UMQ. M. Girard explique la situation. Selon la preuve, il n'est pas question à cette occasion de retrait potentiel de la Ville de l'UMQ ni de menaces en ce sens faites par M. Girard.

[144] Plus tard, en fin de réunion, on aborde le sujet de la préparation d'un règlement de régie interne pour le fonctionnement de la nouvelle Ville. Une discussion s'engage et M. Girard informe l'assistance qu'un travail en ce sens a déjà été effectué par le comité de transition. Il plaide en faveur d'une préparation à l'interne de ce règlement et se fait insistant. Le Maire indique alors que M. Girard n'a pas à dire aux élus ce qui doit être fait en la matière et signale qu'une telle décision revient aux élus s'ils désirent confier un mandat à l'externe.

[145] Le Directeur considère cette intervention comme un désaveu du travail déjà effectué et une marque de non-confiance à l'égard des fonctionnaires municipaux ayant travaillé sur ce projet.

[146] Pointant alors le Directeur, le maire Tremblay déplore le fait qu'il utilise une personne travaillant dans un média écrit pour faire passer certains messages et travailler dans son dos. Cette remarque déclenche une réaction émotive chez le Directeur qui accuse alors M. le maire de mentir. Les esprits s'échauffent et après quelques instants, M. Girard dit retirer ses paroles. La réunion se termine abruptement.

[147] On peut cependant, s'interroger sur les raisons pour lesquelles le Maire fait une remarque à M. Girard concernant l'utilisation de la presse écrite pour rendre public un conflit qui semble exister depuis un certain temps entre les deux hommes. Ce sujet n'avait pas sa place lors de la réunion de l'exécutif et aurait dû être réglé privément d’autant plus que cette perception du Maire n’était pas fondée sur des faits particuliers et précis. La réaction instantanée de M. Girard était déplacée. Elle constituait toutefois une réponse à une provocation et à une accusation en apparence mal fondée de la part du Maire. Les termes utilisés par M. Girard étaient spontanés et il aurait été préférable que la remarque faite au Maire s'effectue également en privé.

[148] Cependant, M. Girard a retiré ses paroles et le Tribunal est d'avis que cet incident, bien que déplacé, ne peut en soi constituer un motif menant à la suspension et au congédiement survenu par la suite. Tout au plus, il démontre un conflit entre les deux hommes.

[149] En résumé, le Tribunal est d’avis que ces trois événements pris isolément ou dans leur ensemble ne répondent pas aux critères généralement reconnus donnant ouverture à une mesure qualifiée de disciplinaire menant à une suspension tel que prévu à l'article 52 de la LCV et ultimement à un congédiement. On ne peut en conclure que les gestes reprochés à M. Girard ont été « préjudiciables à la municipalité ».

4.4 La destitution et le congédiement:

[150] La preuve révèle de façon on ne peut plus claire que les trois événements retenus par le Maire pour suspendre et congédier M. Girard constituent des prétextes fondés sur une animosité personnelle pour mettre fin au contrat du directeur général. Il ne fait aucun doute que ces événements sont survenus après que la décision finale ait été prise par le Maire et ses proches conseillers qui n'avaient pas l'intention de travailler avec M. Girard comme directeur général de la nouvelle Ville de Saguenay. Leur choix s'arrêtait sur M. Daniel Gaudreault.

[151] Selon le témoignage du maire Tremblay, c'est d'ailleurs M. Gaudreault qui, le 11 février 2002, lui remet un compte-rendu de ce qui s'est passé à la réunion du 6 février 2002 et qu'il utilisera, selon ce qu'il affirme, pour rédiger une partie du texte lu devant les élus le 25 février 2002. Or, ce document qui, dans le présent dossier avait une certaine importance, n'était plus disponible lors de l'audience.

[152] D'ailleurs, c'est à la suite de la réception de ce document que M. le maire Tremblay aurait convoqué à son bureau Mme Zampiéri et M. Hains.

[153] Quoi qu'il en soit, le 4 février 2002, la journée précédant le premier événement reproché, le maire Tremblay avait été clair avec M. Girard ; il devra quitter. Il l’a d'ailleurs invité à rencontrer M. Angers, président du comité de transition, pour qu'il lui verse une prime de séparation.

[154] Le Comité de transition n'a jamais versé quoi que ce soit à M. Girard pour mettre fin à son contrat et il était hors de question qu'il le fasse puisqu'il était satisfait du travail effectué par M. Girard.

[155] Le 18 février 2002 constitue la date officielle de la création de la nouvelle Ville de Saguenay. Une cérémonie a lieu et le maire Tremblay ne réserve aucun rôle à M. Girard. On ne retient aucune chaise pour lui et on ne le présente pas comme directeur général. Ceci renforce l'argument que la décision du Maire était déjà prise avant sa rencontre avec le Directeur.

[156] Selon M. Girard, c'est ce jour-là que le Maire l'informe qu'il veut le rencontrer le lendemain pour lui remettre une lettre. Le Maire ne corrobore pas cette version.

[157] Dès le lendemain de la création officielle de la Ville, le Maire convoque le Directeur à son bureau en début d'après-midi. Selon son témoignage, il veut avoir des explications concernant les faits survenus les 5, 6 et 7 février 2002. La rencontre est assez brève. La version du Maire se retrouve aux pages 179 et suivantes de son interrogatoire après défense. Au procès, il ajoute qu'il voulait encore tendre une perche[43] à M. Girard et qu'il croyait qu'il reculerait. Cette version est invraisemblable. Le Tribunal ne voit vraiment pas quelle perche aurait pu être tendue à M. Girard et comment il aurait pu l’utiliser puisque la décision du Maire et de ses proches était arrêtée depuis fort longtemps.

[158] M. Girard affirme que la réunion a été très brève et que le maire Tremblay a simplement invoqué les trois événements en lui demandant des commentaires. M. Girard a nié avoir menacé l'UMQ du retrait de la Ville de Saguenay. Il a donné sa version concernant les propos tenus lors de la rencontre des cadres et a expliqué avoir retiré les paroles prononcées lors de la réunion de l'exécutif. Pour lui, cet incident était clos.

[159] En aucun temps, le maire Tremblay ne lui laisse une porte ouverte pour lui indiquer qu'il devrait amender sa conduite ou qu'une mesure disciplinaire est envisagée à court terme. Tout au plus, l'invite-t-il à se retirer et à revenir dans son bureau quelques minutes plus tard.[44] Selon M. Tremblay, c'est après la sortie de M. Girard qu'il rédige la lettre de suspension. Survient ensuite un épisode contradictoire dans le témoignage du Maire qui indique à une occasion avoir montré la lettre à un conseiller juridique et, à une autre, de l'avoir simplement consulté en lui parlant au téléphone. Le Tribunal n'en croit rien, à son avis, la lettre était déjà préparée et cela bien avant la rencontre avec M. Girard. Il est probable qu'elle a été préparée et rédigée avec ses trois conseillers ou avec son conseiller juridique seul.

[160] Vient ensuite l'épisode de la remise de la lettre. Selon M. le maire, voyant une caméra à l'extérieur de son bureau, il décide d'aviser M. Girard de ne pas venir à son bureau. C'est lui qui se déplacera pour lui remettre la lettre à l'étage supérieur. Voici, comment il raconte cet épisode lors de l'interrogatoire après défense:

R Alors je vous remercie beaucoup, je vais continuer. Alors je lui ai demandé de revenir dans mon bureau, trois quarts d'heure (3/4h) plus tard. Alors j'ai rédigé une lettre de suspension pour les faits que je lui reprochais et quand je suis venu, trois quarts d'heure (3/4h) plus tard, alors que normalement il devait se présenter à mon bureau, je me suis levé la tête puis il y a une partie vitrée dans mon bureau là, il y a une partie au loin vitrée puis j'ai vu des, une caméra, alors là encore une fois j'ai dit tiens une caméra ça va être encore, non ça marche pas, je me suis dépêché de l'appeler à son bureau puis j'y ai dit écoute il y a une caméra en bas ne descends pas, je vais discrètement monter à ton bureau. Alors je suis monté à son bureau à ce moment-là je savais pas que la caméra allait me suivre puis vous savez son bureau ça se présente drôlement on peut pas se, on peut pas ouvrir la porte comme ça là, il y a comme un portique là où est sa secrétaire puis sa porte est plus loin. Alors j'ai, je me suis présenté à son bureau, la caméra m'a suivi mais je m'en suis pas rendu compte. Sans doute qu'ils sont montés après. Alors je lui ai remis la lettre, je lui ai mis la lettre sur son bureau, c'était la lettre dans laquelle on indiquait sa suspension. Il dit sur un ton encore une fois irrespectueux comme d'habitude là, t'es-tu autorisé «toé» il dit pour par le conseil pour me faire, pour faire ça. Je lui ai dit écoute, j'ai dit vous lirez cette lettre-là, c'est pour application immédiate, c'est ce que j'ai à vous dire. Je suis sorti du bureau, j'ai vu que la caméra m'avait suivi, évidemment je trouvais ça déplaisant mais j'ai dit la caméra l'a, c'est quand même pas il est dans son bureau, la caméra pouvait pas l'apercevoir parce que ça fait la porte de la manière qu'elle est place la caméra, sauf que lui le directeur, M. le directeur général m'a suivi et dans l'entre porte, j'ai vu ça à la télévision le soir avec la lettre en main, il parle à la télévision. »

(caractère gras et soulignement ajoutés)

[161] On peut s'interroger sur la raison pour laquelle une caméra se trouve près du bureau du Maire à ce moment, et pourquoi le Maire se rend au bureau de M. Girard au lieu de le laisser venir à son bureau comme entendu alors que tout se serait passé en privé.

[162] La présence d'une caméra près du bureau du Maire laisse supposer que la suspension avait été annoncée. Le geste a probablement plus d'impact si le Maire part de son bureau suivi d'une caméra pour poser son geste officiel de suspension. Une mise en scène a été préparée pour montrer aux citoyens qui prend les décisions à Saguenay et comment il les exécute.

[163] Il fallait attendre après le 18 février 2002 pour poser le geste puisque ce n'est qu'à compter de cette date que M. Girard relève directement de la nouvelle Ville de Saguenay tel que prévu au décret et au contrat (pièce P-5). C’est à ce moment seulement que la décision longuement ourdie par le Maire et ses conseillers occultes pouvait être mise en œuvre.

[164] D’ailleurs, on s'empresse de nommer par intérim M. Daniel Gaudreault à titre de directeur général de la nouvelle Ville dès l'exécutif du 20 février 2002. Rappelons qu'il était le candidat désiré par le Maire depuis longtemps et que, selon la preuve, il avait aussi l’appui des proches conseillers du Maire.

[165] Le 22 février 2002, le bureau du Maire fait parvenir à M. Girard un avis de convocation à se présenter devant les membres du conseil siégeant en comité plénier le 25 février 2002 à 17h30. [45]

[166] Le fait de lui faire parvenir un avis de convocation implique qu'on lui accorde le droit de faire valoir ses arguments lors de la rencontre.

[167] Le Tribunal réfère, à titre indicatif seulement, à un extrait de la décision Dunsmuir[46] de la Cour suprême du Canada:

[114] Les principes formulés dans l’arrêt Knight relativement à l’obligation générale d’équité à laquelle est tenu l’organisme public dont la décision touche les droits, les privilèges ou les biens d’une personne demeurent valables et importants. Toutefois, dans la mesure où les juges majoritaires n’ont pas tenu compte de l’effet déterminant d’un contrat d’emploi, l’arrêt ne devrait pas être suivi. L’employé qu’un contrat protège contre le congédiement injuste devait pouvoir exercer un recours en droit privé, et non en droit public.

[115] Il convient donc généralement de considérer le congédiement d’un employé du secteur public comme un différend ordinaire en droit du travail. Il peut quand même arriver que l’obligation d’équité procédurale s’applique. Deux situations peuvent actuellement être envisagées. La première est celle où l’employé du secteur public n’est pas protégé dans les faits par un contrat d’emploi, comme c’est le cas des ministres de la Couronne et d’autres personnes qui « remplissent au sein de l’État des rôles définis constitutionnellement » (Wells, par. 31). Il peut aussi arriver que la nomination autorise expressément le congédiement sommaire du titulaire de la charge publique ou, à tout le moins, qu’elle ne prévoit rien à ce sujet, auquel cas l’intéressé peut être réputé occuper son poste à titre amovible (voir notamment la Loi d’interprétation du Nouveau-Brunswick, art. 20 , et la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, par. 23(1)). Étant donné que l’employé est alors véritablement soumis à la volonté de l’État, l’obligation d’équité procédurale doit être imposée afin que le pouvoir public ne soit pas exercé de façon irrégulière.

[116] Dans la deuxième situation possible, l’obligation d’équité découle, par déduction nécessaire, d’un pouvoir légal régissant la relation d’emploi. Dans l’affaire Malloch, la loi applicable prévoyait qu’un enseignant ne pouvait être congédié qu’après avoir été informé trois semaines à l’avance de la tenue de la réunion où son congédiement serait proposé. La Chambre des lords a estimé que l’enseignant avait nécessairement le droit d’être entendu à cette réunion, sinon l’avis exigé par le législateur n’aurait eu aucune raison d’être (p. 1282). Naturellement, l’existence d’exigences procédurales et leur nature dépendront du libellé de la disposition en cause et varieront selon le contexte (Knight, p. 682).

[caractère gras et soulignement ajoutés]

[168] Ainsi, en adressant un avis de convocation au Directeur, le conseil avait l'obligation de respecter l'équité procédurale et les principes de justice naturelle. Il devait permettre à M. Girard ou à ses procureurs de pouvoir faire valoir leur point de vue.

[169] Il ressort de la preuve qu'en comité plénier, M. Girard n'a pas eu l'occasion d'être entendu. Il était accompagné de deux conseillers juridiques qui ont voulu s'adresser aux élus présents mais le maire Tremblay leur a refusé le droit de parole. Il a exigé que M. Girard prenne lui-même la parole, ce qui, dit avec respect, est en contravention avec l’invitation faite à M. Girard.

[170] La preuve révèle que tant M. Girard que ses conseillers juridiques ont agi courtoisement lors de leur entrée dans la salle, ils ont serré la main de toutes les personnes présentes et ont agi avec réserve. Ce n'est qu'après que M. Fortin ait préparé deux copies du texte lu par M. le maire Jean Tremblay qu'une prise de bec serait intervenue entre Me Joli-Cœur et M. Fortin ou le maire Tremblay. L'incident portait sur l'obtention d'une copie du texte par Me Joli-Cœur alors que le Maire voulait, semble-t-il, se réserver le droit de vérifier une correction manuscrite faite au texte.

[171] Après cela, le Maire a refusé à M. Girard d'être entendu par la voie de ses procureurs exigeant qu'il s'exprime lui-même. Cette façon de procéder contrevient aux droits de M. Girard reconnus par la Charte.[47]

[172] Il ressort également de la preuve, que lors de la rencontre du comité plénier, aucun des conseillers présents n'avait en main le texte préparé par le maire Tremblay. Deux copies seulement du texte ont été préparées par M. Fortin après sa lecture. Après avoir effectué ses deux copies, M. Fortin a quitté la salle pour vérifier les préparatifs de la salle utilisée pour la réunion publique du conseil.

[173] Le cas du directeur général est discuté au 14e item de la réunion publique. Le Maire fait une lecture des reproches formulés à l'égard de M. Girard et immédiatement après, il demande aux conseillers présents:

Alors suite à ce que je viens de vous lire, je demande aux conseillers maintenant s'ils ont un commentaire ou s'ils ont une décision de prise.

[174] On constate que M. Laforest s'informe de la probabilité pour M. Girard d'intervenir et que le Maire refuse cette possibilité. Il apparaît clairement du texte du document P-114 que M. Girard n'a pas eu la permission de s'exprimer devant les conseillers lors de la réunion du comité plénier, même si le Maire affirme lui avoir offert cette opportunité après l'assemblée. Cette affirmation s'avère inexacte et pour le Maire il n'est pas question de permettre à M. Girard ou ses conseillers de prendre la parole.

[175] Là encore, le Maire est pressé de faire adopter une résolution confirmant la suspension et le congédiement du directeur général.

[176] Le texte du document P-114 déjà reproduit démontre clairement qu'il n'y a pas place à contestation et que la décision est bel et bien prise. Les conseillers présents n'ont pas le choix de se plier à la décision du Maire. Ils doivent entériner la suspension faite par le Maire et congédier M. Girard. Il s'agit d'une décision imposée. Il n’existe aucune autre alternative.



[177] Le Tribunal retient qu'aucun geste posé par M. Girard les 5, 6 et 7 février 1992 n'a été préjudiciable à la nouvelle Ville de Saguenay. La suspension et le congédiement n'ont pas été effectués pour une cause juste et suffisante selon ce qu'exigent la loi et la jurisprudence. De plus, les règles de justice naturelle et d'équité procédurale n'ont pas été suivies ni par le Maire ni par le conseil.

4.5 Les motifs invoqués par la Ville après l'institution des procédures judiciaires

A) L'épisode de la banderole

[178] Au cours de l'année 1992, le Directeur général des élections du Québec porte une plainte contre M. Girard dont l'acte d'accusation amendé se lit comme suit:

St-Lambert,

Le ou vers le 12 octobre 1990, pendant la période électorale précédant les élections municipales du 4 novembre 1990, à St-Lambert, a, en sa qualité de directeur général du Centre hospitalier St-Michel, incité et amené un de ses employés, M. Jean-Pierre Tremblay, qui n'avait pas la qualité d'agent officiel à contrevenir à l'article 455 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LRQ c E-2.2) en ordonnant à ce dernier de commander et de faire payer par le Centre hospitalier St-Michel de Montréal, une dépense électorale de 104,64$ à la firme Contour-Détour de Charlemagne pour la fabrication d'une banderole visant à favoriser son élection au poste de maire de St-Lambert commettant ainsi l'infraction prévue au paragraphe 1o de l'article 622, par l'application de l'article 637 et se rendant passible de l'amende prévue à l'article 641 de ladite loi.

[179] Par jugement du 11 février 1994, M. le juge Guy Fortier acquitte M. Girard. Dans une décision de 18 pages, il résume tous les faits et conclut comme suit:

DÉCISION:

ATTENDU QUE la crédibilité du principal témoin à charge est douteuse;

ATTENDU QUE l'explication de la défense est plausible;

CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve, la Cour:

ACQUITTE l'inculpé de l'infraction étayée à la dénonciation.

[180] La Ville invoque cet événement pour attaquer la moralité de M. Girard. La preuve révèle que l'événement de la banderole a été discuté avec M. Bernard Lapointe, un des conseillers en recrutement de personnel auprès du comité de sélection formé par le comité de transition pour l'engagement du nouveau directeur général. L'incident n'a pas été retenu par le comité de sélection.

[181] Vu le jugement d'acquittement intervenu en 1994, le Tribunal est d'avis que la Ville ne peut invoquer, après coup, cet événement au préjudice de M. Girard.

B) Vérification ministérielle

[182] Les défendeurs invoquent à l'encontre de M. Girard certains faits apparaissant au rapport de vérification ministérielle du Centre hospitalier Saint-Michel révisé du 1er septembre 1992.[48] On constate à la lettre du ministre Marc-Yvan Côté du 7 avril 1993 que le Ministère désire récupérer du Centre hospitalier, un montant de 81 546,00$ couvrant le forfaitaire pour l'utilisation de la voiture personnelle, le dépassement salarial et la cotisation au Club de golf de Saint-Lambert concernant M. Girard.

[183] Tout au long du procès, les défendeurs insistent sur cet événement en utilisant constamment le mot « enquête ministérielle dont a fait l'objet M. Girard », et ce, pour attaquer la crédibilité, la probité et l'engagement social de M. Girard. Pour les défendeurs, les faits révélés par cette vérification remettent en doute l'engagement de M. Girard à titre de directeur général de la Ville de Saguenay puisqu'il s'agit de faits qui auraient dû être dénoncés au comité de sélection et que, s'ils l'avaient été, ils auraient eu comme conséquence d'écarter sa candidature.

[184] Même s'il s'agit d'un fait dont ils ont pris connaissance postérieurement à la suspension et au congédiement de M. Girard, après l'institution des procédures, les défendeurs plaident que le Tribunal doit le prendre en considération puisque s'il avait été connu soit du comité de transition ou soit de la Ville de Saguenay, il aurait pu être invoqué pour mettre un terme au contrat de M. Girard et être invoqué comme cause juste et raisonnable pour mener à son congédiement.

[185] Cette approche dénature la portée de la vérification ministérielle et de son dénouement définitif pour M. Girard. En plus, ces faits étaient connus des défendeurs dès le moment où ils ont été invoqués dans leur défense.

[186] Notons d'abord qu'il s'agit d'une vérification de routine effectuée au Centre hospitalier de Saint-Michel et qu'elle ne visait pas M. Girard. Le rapport porte sur plusieurs aspects de la gestion hospitalière et contient plusieurs recommandations générales.

[187] L'un des aspects abordés concerne le remboursement par le centre hospitalier de certains avantages consentis à M. Girard. Des discussions sont intervenues par la suite entre les parties et une entente de remboursement d'un dépassement de rémunération fixé à 56 603,00$, étalé sur cinq ans, a été acceptée par le Ministère. Le Tribunal réfère ici à un extrait d'une lettre adressée au sous-ministre André Trudeau, le 19 mai 1993, signée par le président du conseil d'administration Gérard Grégoire, et le directeur général Bertrand Girard:

Le 19 mai 1993

[…]

Tenant compte que dans les discussions avec notre directeur général ce dernier accepte la demande du Ministère dans le seul but de prioriser les intérêts du Centre hospitalier Saint-Michel;

IL EST CONVENU d'accepter la demande du Ministère de reverser un dépassement de rémunération fixé à 56 603 $ et ce par un étalement sur cinq ans tel que suggéré par le Ministère période correspondant sensiblement à celle qui a couru entre le 2 avril 1987 et le 1er novembre 1991.[49]

[188] On constate également une remarque additionnelle signée par M. Gérard Grégoire qui se lit comme suit:

Suite à cette entente, le Conseil espère que le Ministère donnera suite à ses propos de notre dernière rencontre alors qu'il affirmait que ça ne le dérangeait pas d'écrire ce qu'il avait déclaré à la radio à l'effet que depuis l'arrivée de M. Bertrand Girard au Centre hospitalier Saint-Michel "un redressement spectaculaire" s'est réalisé. Que de plus dans ce dossier, il n'y a pas eu de malversation et que le tout a été mené de bonne foi par toutes les parties concernées.

Le conseil entend aussi que le Ministre nous donne une réponse positive à notre projet d'agrandissement tel que le Ministre le dit dans sa lettre du 19 avril 1993 ayant conscience que nous avons maintenant répondu à la condition qu'il exigeait concernant ce projet.[50]

[189] Dans une lettre du 16 juin 1993, le sous-ministre André Trudeau confirme l'acceptation par le Ministère de la proposition d'étaler sur cinq ans, le remboursement de la somme de 56 603,00 $, ajoutant:

[…], convaincus, de part et d'autre, que ce dossier a été mené de bonne foi par toutes les parties concernées.[51]





[190] Enfin, le 17 juin 1993, M. Gérard Grégoire fait parvenir une lettre au sous-ministre André Trudeau à laquelle il annexe un commentaire final du conseil d'administration du Centre hospitalier Saint-Michel suite au rapport de vérification du Ministère. Aux pages 2 et 3 de ce document, on lit les commentaires suivants:

4, 5, 6 Rémunération du directeur général

17,19.

La rémunération du directeur général a été octroyée par le Conseil d'administration en considérant les règles de rémunération des cadres du réseau de la santé et des services sociaux. Sa rémunération a été maintenue au même niveau global que celui consenti par le Ministère dans un contrat toujours en vigueur lors de sa nomination comme directeur général du Centre hospitalier Saint-Michel.

C'est après que le Conseil d'administration s'en soit informé au sujet des normes à observer auprès des personnes ressources extérieures, conseillers juridiques et vérificateurs externes, que le contrat fut signé et déposé à la direction des cadres du Ministère.

Bien qu'il y ait eu entente tacite de la part de cette direction, le Conseil d'administration comprend que le Ministère peut contredire l'opinion d'une autre de ses directions.

L'excédent salarial n'est plus versé depuis novembre 1991.

Cependant, le conseil d'administration, avec l'accord de son directeur général, afin de faciliter le dénouement du dossier d'agrandissement et de maintenir des relations harmonieuses avec le Ministère de la santé et des services sociaux est d'accord pour accepter les paramètres de l'entente intervenue le 19 mai 1993, qui se lisent comme suit:

TENANT COMPTE que la rémunération du directeur général a toujours été clairement démontrée à toutes les parties qui ont une responsabilité à cet égard;

TENANT COMPTE des différentes interprétations du Ministère et du Conseil d'administration concernant la rémunération;

TENANT COMPTE que dans les discussions avec notre directeur général ce dernier accepte la demande du Ministère dans le seul but de prioriser les intérêts du Centre hospitalier Saint-Michel;







IL EST CONVENU d'accepter la demande du Ministère de reverser un dépassement de rémunération préalablement accepté par le Conseil et fixé selon l'entente à 56 603 $ et ce par un étalement sur cinq ans tel que suggéré par le Ministère, période correspondant sensiblement à celle qui a couru entre le 2 avril 1987 et le 1er novembre 1991.[52]

[soulignement ajouté]

[191] On constate donc de ces documents que le remboursement effectué par le centre hospitalier concernant la rémunération accordée à M. Girard a été acceptée dans le seul but de permettre la réalisation d'un projet cher au centre hospitalier et que ce dépassement de rémunération accordé au directeur général avait fait l'objet d’une vérification du conseil d'administration auprès de conseillers juridiques. De plus, le contrat avait été déposé à la direction des cadres du Ministère et le dépassement de rémunération payé à M. Girard apparaissait aux états financiers du centre hospitalier. Il s’agit là d’une preuve non contredite et les faits doivent être considérés comme avérés.

[192] Aucune autre somme d'argent n'a été réclamée ou remboursée par M. Girard au terme de l'entente.

[193] Il est vrai que le rapport original a fait l'objet d'une nouvelle publiée dans le journal « La Presse » qui fait référence à des éléments précis du rapport de vérification. Au moment de la publication de l'article, ces éléments avaient probablement une « saveur croustillante » pouvant justifier leur publication. Cependant, le public n'est pas toujours informé des suites de ces nouvelles.

[194] Notons cependant que dans le cas de l’affaire de la banderole, un article signé par M. Claude Masson du journal « La Presse » du 15 mars 1994, avait rectifié partiellement la situation suite à l'acquittement de M. Girard dans le dossier de la banderole.

[195] Ajoutons que le contrat de M. Girard, à titre de directeur général du Centre hospitalier Saint-Michel, a été renouvelé à deux reprises après le dépôt du rapport de vérification et son dénouement, une première fois en 1995 et une seconde, en 1999.

[196] À l'étude des documents déposés en preuve et après audition du témoignage de M. Girard, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de retenir les prétentions des défendeurs à l'égard des reproches formulés contre M. Girard concernant la banderole et le rapport de vérification ministérielle.





[197] Le témoignage de M. Bernard Lapointe indique également qu'il appartenait au candidat, M. Girard, de juger de la pertinence du dévoilement ou pas de l'information concernant la vérification ministérielle. Au moment de l'examen de la candidature de M. Girard pour le poste de directeur général de Saguenay, il y avait eu règlement accepté par les parties impliquées et les faits dataient de dix ans. Le Tribunal est donc d'avis qu'ils ne constituaient pas un squelette dans le placard comme ont tenté de le faire croire les défendeurs.

[198] La question du dépassement de la rémunération de M. Girard en prenant en considération les explications contenues aux documents produits et le témoignage de M. Girard ne peut être considérée comme un acte répréhensible qui devait être dévoilé au comité de sélection. Sa rémunération comme directeur général du Centre hospitalier Saint-Michel avait fait l'objet des vérifications d'usage à l'époque, approuvée selon des normes acceptables et déclarée par le centre hospitalier annuellement.

[199] Le Tribunal rejette ce moyen de défense soulevé par les défendeurs.

C) Validité des articles 102 et 132 du décret

[200] Le paragraphe 125 de la défense ré-amendée le 5 décembre 2008, indique que les défendeurs veulent faire déclarer invalides et inopérants les articles 102 et 132 du décret qui, d'après eux, sont ultra vires.

[201] Ces articles se lisent comme suit:

Article 102

Est constitué, à compter de la date d'entrée en vigueur du présent décret, un comité de transition composé des membres que désigne le ministre des Affaires municipales et de la Métropole. Le nombre des membres du comité de transition ne peut être inférieur à trois ni excéder sept. Le ministre des Affaires municipales et de la Métropole désigne, parmi les membres du comité, le président.

Article 132

Le comité de transition doit nommer pour une durée maximale de cinq ans le directeur général, le greffier et le trésorier de la ville.

[202] Rappelons que l'article 113 prévoit que le mandat du comité de transition se terminait à la date de la constitution de la Ville. Cet article se lit comme suit:







Article 113

À moins qu'il en soit autrement prévu par un arrêté du Ministre des affaires municipales et de la Métropole, le mandat du comité de transition se termine à la date de la constitution de la Ville. Le comité est alors dissous et ses actifs et passifs passent à la Ville.

[203] Les arguments de droit des défendeurs visent trois choses.

[204] Ils plaident d'abord l'inexistence d'un comité de transition validement constitué. Ils prétendent que l'article 102 est ultra vires des pouvoirs du gouvernement puisqu'il accorde au ministre des Affaires municipales et de la Métropole un pouvoir discrétionnaire de nommer les membres du comité alors qu'on devrait retrouver au décret le nom des gens faisant partie du comité de transition.

[205] Ils plaident ensuite que le paragraphe 13 de l'article 125.27 de la Loi sur l'organisation du territoire municipal (la LOTM) n'autorise pas le gouvernement à déléguer au comité de transition le pouvoir de nomination, d'embauche ou de conclusion d'un contrat de travail pour le directeur général ou tout autre employé. L'article 132 du décret constituerait donc une délégation illégale de pouvoir et devrait être déclaré ultra vires.

[206] Enfin, plaidant l'effet relatif des contrats, les défendeurs prétendent que le contrat P-5 ne peut lier la Ville de Saguenay puisque cette dernière n'est pas partie au contrat et que ni la loi ni le décret ne prévoient l'obligation de successeur entre Ville de Saguenay et le comité de transition pour un contrat d'emploi qui serait intervenu entre le comité de transition et un de ses employés. Sans insister sur le point, pour eux, c’est en vertu de l’article 109 du décret[53] que M. Girard aurait été engagé par le comité de transition.

[207] Les allégations de droit des défendeurs se retrouvent aux paragraphes 118 à 128 de la défense ré-amendée du 5 décembre 2008.

[208] M. Girard conteste toutes les prétentions des défendeurs.

[209] Pour sa part, le Procureur général du Québec intervient au dossier pour soutenir la validité des dispositions attaquées du décret.

[210] Les défendeurs font valoir chacun de leurs arguments en s'appuyant sur les dispositions de la Loi des cités et villes, de la Loi sur l'organisation du territoire municipal, du décret et sur les principes généraux de droit administratif.

[211] Selon eux, en analysant l'effet combiné des dispositions plus amplement détaillées à leur défense, le Tribunal doit nécessairement conclure que les articles 102 et 132 du décret sont ultra vires et il doit les déclarer invalides et inopérants. Au surplus, vu l'article 1440 du Code civil du Québec qui réfère à l'effet relatif des contrats, il doit conclure que le contrat P-5 ne peut lier la nouvelle Ville de Saguenay.

[212] Le Procureur général du Québec est en total désaccord avec les prétentions des défendeurs. S'appuyant également sur la LOTM, il plaide que le décret a été adopté en conformité avec la loi, que le comité de transition a été validement constitué et qu'il avait le pouvoir de nommer, pour une durée maximale de cinq ans, le directeur général, le greffier et le trésorier de la ville. Ainsi, les contrats conclus par le comité de transition lient la nouvelle Ville de Saguenay.

[213] Le Procureur général du Québec ajoute que le décret pris en application des articles 125.1 et suivants de la LOTM permet au gouvernement de procéder à des regroupements de municipalités selon un cadre plus souple que celui utilisé lors de l'adoption de la Loi portant sur la réforme de l'organisation territoriale et municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l'Outaouais (L.Q. 2000, ch. 56).

[214] Ainsi, ces décrets permettent d'éviter le processus législatif.

[215] Le pouvoir du gouvernement de modifier un décret par un autre décret est limité au délai de six mois suivants la date de la première élection de la municipalité visée par le décret comme le prévoit l'article 125.30 de la LOTM qui se lit comme suit:

125.30 Malgré l'article 214.3, le décret visé à l'article 125.27 n'est pas limité, quant aux règles de droit municipal qu'il crée ou quant aux dérogations à toute disposition d'une loi dont l'application relève du Ministre des affaires municipales et de la métropole, une loi spéciale régissant une municipalité ou d'un acte pris en vertu de l'une ou l'autre de ces lois qui comportent à une durée transitoire.

Le gouvernement peut, dans les six mois qui suivent une première élection générale à la nouvelle municipalité, modifier tout décret pris en vertu de l'article 125.27.

[216] C'est donc dire, comme le suggère le Procureur général du Québec, que le décret pris en application des dispositions de la LOTM ne peut être modifié que par une loi privée ou publique. Ces décrets de regroupement sont appelés « décret-loi » et ils constituent la charte de la municipalité à moins d’être modifiés dans le délai prévu. Or, il n’y a pas eu modification à Saguenay. Le décret est donc devenu loi et constitue la Charte de la Ville.

[217] Le Tribunal ajoute que le «décret-loi» existe bel et bien en droit québécois malgré que son utilisation soit peu fréquente.

[218] Pour démontrer que le législateur vise un cadre plus souple en matière de regroupement de municipalités et appuyer son argumentation, le Procureur général du Québec réfère à certains extraits de la décision rendue par la Cour supérieure dans Baie-d'Urfé (Ville de) c. Québec (Procureur général), 2001, R.J.Q. 1589 et particulièrement aux paragraphes 269 à 275:

19. LA VALIDITÉ DE LA DÉLÉGATION CONSENTIE AU GOUVERNEMENT

[269] Plusieurs contestent la validité des dispositions permettant au gouvernement de procéder par décret pour certaines modalités d'application de la Loi 170. On soutient que ces dispositions ont pour effet de déléguer illégalement certains pouvoirs au gouvernement, ce qui constituerait une abdication illégale du pouvoir de légiférer au profit du gouvernement. Partant de là, on invoque une atteinte aux principes de la souveraineté parlementaire et de la séparation des pouvoirs.

[270] Le Procureur général du Québec soutient que l’Assemblée nationale peut en tout temps, suivant une pratique généralement suivie et non contestée, déléguer ses pouvoirs législatifs au gouvernement. D'autant plus si les pouvoirs délégués ne sont pas illimités mais plutôt confinés à certaines modalités d'application de la loi pour éviter d'avoir à retourner constamment devant la Législature afin de régler des détails qui n'y apparaissent pas et qui ne modifient en rien l'esprit de la Loi.

[271] Les dispositions de la Loi 170 attaquée ne constituent pas une abdication des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

[272] D'une part, le législateur ne transfère pas sa compétence en matière d'institutions municipales au profit du gouvernement. D'autre part, la délégation demeure toujours révocable par le législateur et les décrets adoptés en vertu des dispositions de la Loi 170 peuvent toujours être révoqués ou annulés ultérieurement.

[273] Tel que exprimé (sic) par les professeurs Brun et Tremblay, les pouvoirs de décret «ne demeurent que des pouvoirs délégués; on ne peut pas voir quelles seraient les limites de la suprématie législative en matière de délégation de pouvoirs législatifs.»

[274] Par ailleurs, le pouvoir conféré par les dispositions contestées n'est pas à ce point imprécis ou vague pour «ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.» Le pouvoir du gouvernement ne laisse pas place à l'arbitraire.



[275] L'article 9 de l'annexe I et II de la Loi 170 contient au contraire deux limitations intrinsèques: 1) le décret doit être pris avant le 4 novembre 2001 et 2) «le pouvoir de suppléer à toute omission ne peut être exercé que pour assurer l'application de la loi et le pouvoir de déroger est limité à certaines lois.

[219] Concernant la validité de la constitution du comité de transition, le Procureur général du Québec réfère au texte même du paragraphe 13, de l'article 125.27 de la LOTM, ajoutant que les termes de cette disposition sont clairs et qu'il est permis au gouvernement, dans le décret, de constituer un comité de transition et d'en déterminer la composition, le fonctionnement et les pouvoirs. Les articles 102 à 141 du décret prévoient la constitution du comité de transition et déterminent ses règles de fonctionnement et ses responsabilités. Il ne faut pas confondre les termes « composition, désignation et nomination ». Il n'y a pas de sous-délégation illégale à l'article 102 du décret puisque le gouvernement a respecté les termes de la loi et y a prévu, la stricte composition du comité de transition.

[220] Le Procureur général du Québec plaide ensuite que par l'adoption des articles 125.30 et 214.3 LOTM, le législateur a permis que le décret visé par l'article 125.27 puisse déroger à toute règle de droit municipal permettant ainsi d'ajouter au chapitre des responsabilités du comité de transition, la nomination du directeur général. C'est ce qu'on retrouve à l'article 132 du décret. La nomination du directeur général, du secrétaire trésorier, du greffier fait donc partie des responsabilités attribuées au comité de transition parce que nécessaire à la nouvelle Ville pour pouvoir fonctionner le premier jour de sa constitution. D'ailleurs, les articles 125.26 de la LOTM et 168 du décret accordent clairement au comité de transition le pouvoir d'embauche des cadres auquel fait référence l'article 132 du décret. Ce pouvoir était nécessaire pour assurer la transition des administrations de manière ordonnée et mettre en place tous les éléments essentiels de la constitution de la nouvelle Ville.

[221] Le Tribunal est d'avis que la loi et le décret indiquent clairement que le contrat de travail qui intervient entre le comité de transition et le directeur général lie la nouvelle Ville de Saguenay à compter de sa constitution. Vu l’engagement contenu à l'article 2 du contrat P-5, ce n'est que provisoirement et pour une courte période que M. Girard est affecté auprès du comité de transition de Ville de Saguenay. Au moment de l'embauche, le comité de transition agit pour et au nom de la nouvelle Ville à être formée le 18 février 2002 et le contrat lie la nouvelle Ville.[54]

[222] Les arguments soulevés par les défendeurs ne tiennent pas.





[223] Cette demande des défendeurs est de la nature d'un recours en nullité prévu à l'article 33 du Code de procédure civile. La Cour supérieure peut refuser d'examiner la question si le contexte ou tout le litige pouvait être résolu sur la base des motifs de congédiement plutôt que sur l'invalidité des dispositions du décret.[55]

[224] De plus, tel que prévu à l'article 113 du décret, le mandat du comité de transition s’est terminé le 18 février 2002. Les actes du comité de transition visaient à mettre tout en œuvre en vue de la constitution de la nouvelle Ville de Saguenay dont : l'élection du conseil municipal, les nominations d’officiers municipaux, le remboursement des dépenses électorales, l'adoption du premier budget, etc. Invalider les dispositions du décret créant le comité de transition aurait des impacts négatifs sur des décisions prises et les gestes posés en 2001 et 2002. Toute l'organisation municipale de Ville de Saguenay pourrait être affectée par la déclaration de nullité.

[225] Même s’il y avait eu ici ouverture à une déclaration de nullité, le Tribunal aurait exercé son pouvoir discrétionnaire et refusé d'invalider les articles 102 et 132 du décret vu la tardiveté du recours et son impact sur l'organisation municipale de Saguenay.

[226] Le recours pour congédiement illégal de M. Girard est bien fondé et tous les moyens de défense concernant le congédiement sont rejetés.

[227] En bref, le Tribunal retient que:

Ø le Directeur a correctement accompli ses tâches durant la période où il a travaillé pour le comité de transition soit jusqu'au 18 février 2002 (pièce P-6);

Ø le contrat P-5 intervenu entre le comité de transition et M. Girard est conforme à ce que prévoit le décret et lie Ville de Saguenay;

Ø les défendeurs ne peuvent invoquer ou n'ont pas invoqué de motifs raisonnables et suffisants de suspension ou de congédiement « ayant été préjudiciables à la nouvelle Ville » ou pouvant constituer un « bris du lien de confiance »;

Ø le Maire avait décidé bien avant le 5 février 2002 et la création de la nouvelle Ville de congédier M. Girard;

Ø les trois reproches allégués par le Maire et entérinés par le conseil pour suspendre et démettre M. Girard de ses fonctions constituent des prétextes et ne peuvent être considérés comme une « cause juste et suffisante » pour invoquer les dispositions de la LCV;

Ø M. Girard n'a pas eu l'occasion de s'expliquer auprès du Maire ou du conseil concernant les faits reprochés;

Ø M. Girard a été traité de façon inéquitable de la part des défendeurs;

Ø la décision prise au conseil a été imposée par le Maire pour des motifs purement personnels à ce dernier;

Ø les évènements survenus en 1991 et 1992 ne peuvent être retenus contre M. Girard;

Ø les articles 102 et 132 du décret sont valides et « intra vires »;

Ø il n'existe aucun lien entre les motifs de suspension des Jeux et les motifs de congédiement invoqués par la Ville de Saguenay;

Ø M. Girard a droit à une indemnité pour fin prématurée de son contrat d'emploi qui liait la nouvelle Ville;

Ø la crédibilité de certains témoignages de la défense et notamment celle du défendeur Tremblay est très faible.

4.6 LES DOMMAGES

[228] La réclamation en dommages de M. Girard totalise 1 395 761,83$ dont une moitié représente les pertes de salaire et avantages prévus au contrat d'emploi, la perte d'investissement sur sa résidence, les frais de déménagement et les frais de recherche d'emploi. L'autre partie est réclamée à titre d'atteinte à la santé, sécurité et dignité de sa personne, atteinte à la réputation, en compensation des séquelles psychologiques et à titre de dommages exemplaires et punitifs. Il réclame une compensation pour le salaire et régime de retraite perdus (566 833,02$) tel que prévu au contrat P-5, une indemnité pour vacances et congés spéciaux pour l'année 2005-2006 (13 190,12$) et le paiement de primes d'assurance (8 848,00$).

[229] Il déduit ensuite du salaire perdu, un montant de 34 330,00$ versé par les Jeux pour la période de septembre 2002 à janvier 2003.

[230] Les défendeurs contestent la réclamation de M. Girard eu égard à l'indexation pour la quatrième et la cinquième année du contrat, pour le montant du régime de retraite, les vacances et congés spéciaux pour 2005-2006 et les primes d'assurances. Le montant gagné par M. Girard auprès des Jeux doit également être ajusté puisque selon l'échange de correspondance effectué avec son procureur de l'époque, Me Michel Bouliane, M. Girard aurait plutôt reçu un montant de 38 095,00$.

[231] Le Tribunal retient comme salaire celui apparaissant au contrat P-5 et détermine que pour les deux dernières années, le salaire auquel aurait eu droit M. Girard s'élève respectivement à 130 000,00$ et 135 000,00$. Ce salaire est en harmonie avec la progression apparaissant au contrat pour les trois premières années en prenant en considération, pour partie seulement, le salaire gagné par le directeur général M. Daniel Gaudreault (pièce D-32), qui pour l'année 2002 s'établissait à 135 000,00$. La perte de salaire de M. Girard totalise donc 577 083,00$ auquel, il faut ajouter 31 971,68$ pour le régime de retraite. À ce montant, le Tribunal ajoute une somme de 10 000,00$ pour compenser pour les vacances et les congés pour l'année 2005-2006 ainsi que pour les primes d'assurances. Au total de ces montants, il faut déduire la somme de 38 095,00$ gagné par M. Girard entre septembre 2002 et janvier 2003. La perte totale s'établit donc à 580 960,00$ pour les cinq années prévues au contrat.

[232] Les défendeurs plaident que les dommages réclamés doivent être réduits d'un montant plus important puisque M. Girard aurait omis de minimiser ses dommages. Ils réfèrent à l'article 1479 du Code civil du Québec qui se lit comme suit:

1479 La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[233] La réduction principale que les défendeurs invitent le Tribunal à considérer, concerne un emploi qu'aurait pu occuper M. Girard à titre de directeur général des Jeux, et ce, pour une durée supérieure à trois ans, soit du 23 septembre 2002 à décembre 2005. Pour les défendeurs, la condamnation totale devrait alors se situer entre 151 782,00$ et 215 574,00$ selon les deux scénarios suggérés en plaidoirie.

[234] M. Girard a agi comme directeur général des Jeux du 23 septembre 2002 au 22 janvier 2003, moment de son congédiement.

[235] À l'audience, les défendeurs font entendre comme témoin Me P.-Michel Bouchard, qui a agi à titre de président des Jeux à compter du mois de novembre 2002.

[236] Me Bouchard est président directeur général du Centre des congrès de Québec. Il a occupé dans le passé plusieurs fonctions importantes auprès du Festival d'été de Québec, dont celle de président. Il a également été président du conseil d'administration du Grand Théâtre de Québec pendant plusieurs années.

[237] Il est bien impliqué dans son milieu et a développé au cours des ans un réseau de contacts très important. Ce n'est pas un hasard si le maire Jean-Paul L'Allier a fait appel à ses services en novembre 2002 alors que l'organisation des Jeux laissait à désirer et que des décisions importantes devaient être prises pour « remettre l'organisme sur les rails » afin d'en assurer le succès et de conserver la bonne réputation de la Ville de Québec.

[238] M. Girard occupe le poste de directeur général au moment de l'arrivée de Me Bouchard. Il n'a pas de contrat écrit. Tout au plus, existe-t-il un projet de contrat (pièce D-25) qui prévoit un salaire annuel de 95 000,00$.

[239] Le Tribunal retient du témoignage de Me Bouchard qu'au moment de son arrivée, on en est encore à un stade embryonnaire au niveau de l'organisation. Le mandat de Me Bouchard est de reprendre l'organisation presque à zéro pour lui donner un nouveau souffle.

[240] Il existe une certaine urgence à mettre en place une structure efficace. Me Bouchard choisit alors des gens qui font partie de son réseau et qui ont déjà fait leur preuve dans des organisations à envergure locale et régionale. Il privilégie les gens qui ont travaillé avec lui au cours des ans et qui ont des racines bien établies dans la région de Québec.

[241] L'objectif le plus fondamental est de réussir à amasser très rapidement des fonds. Le budget est alors établi à 7 000 000,00$ et doit être révisé et augmenté à 14 000 000,00$. Me Bouchard doit procéder rapidement à la réorganisation de l'organisation et sa préférence est de favoriser des gens bien impliqués dans la communauté québécoise qui possèdent eux-mêmes un réseau de contacts.

[242] Rapidement, il change le cabinet de communication en place pour privilégier des gens avec qui il a déjà travaillé et qui, selon lui, seront une mesure de livrer la marchandise. Avec le temps, il effectue d'autres changements.

[243] Dès le début, Me Bouchard a des doutes concernant M. Girard. Il constate qu'il n'est pas impliqué dans le milieu de la capitale et qu'il n'y a aucune racine profonde. Me Bouchard a des réticences à l'égard de M. Girard et à sa capacité à agir comme directeur général pour les Jeux.

[244] Le plan d'effectifs soumis par M. Girard ne satisfait pas Me Bouchard. Il favorise la présence d'intervenants locaux ou bien impliqués dans le milieu alors que M. Girard semble vouloir travailler avec des gens qu'il connaît mais qui n'ont pas nécessairement de racine à Québec. C'est le cas notamment de M. Marc Boivin que M. Girard a connu dans la région du Saguenay.

[245] Me Bouchard assiste à une présentation faite par M. Boivin et il s'interroge sur le rôle de l'individu. En plus, il ne le connaît pas. Pour lui, il y a des gens compétents dans la région de Québec et il se demande pourquoi on ne fait pas appel à des ressources locales.





[246] M. Girard pousse quand même son candidat, ce qui déplaît à Me Bouchard. Un questionnement intervient alors sur le statut de M. Marc Boivin et, suite à certaines vérifications, Me Bouchard en vient à la conclusion de mettre un terme à l'engagement de M. Girard à titre de directeur général.

[247] Il se dit en désaccord avec sa façon de gérer le personnel, d'utiliser les ressources et de transmettre l'information. Il croit également avoir été induit en erreur sur le statut et la rémunération de M. Boivin. Il appert également que M. Girard a établi des contacts directs avec des intervenants politiques, ce qui n'a pas eu l'heur de lui plaire.

[248] Vu l'absence de contrat à durée déterminée, le manque d'implication régionale de M. Girard, dont l'absence d’un réseau de contacts, et son incapacité à fournir au nouveau conseil d'administration les garanties nécessaires d'être en mesure de mettre en place une structure satisfaisante pour remplir les besoins de l'organisation, le conseil d'administration décide alors de mettre un terme à son engagement.

[249] Les défendeurs demandent au Tribunal de soustraire tout salaire et avantage qu'aurait pu gagner M. Girard auprès des Jeux jusqu'en décembre 2005.

[250] Le Tribunal est d'avis, après avoir entendu le témoignage de Me Bouchard et avoir pris en considération le fait que le directeur général des Jeux devait avoir une implication au niveau régional ainsi qu’un réseau de contacts important pour pouvoir réussir au sein de cette organisation encore embryonnaire à l'arrivée de Me Bouchard, que le peu d'expérience et d'implication régionale de M. Girard aurait inévitablement conduit à une fin d'emploi quelles que soit les hypothèses envisagées. Le directeur général devait être une personne déjà bien impliquée dans la région de Québec.

[251] Il ne faut pas oublier que M. Girard n'avait aucun contrat signé avec l'organisation,[56] qu'il n'était en place que depuis quelques mois et qu'il n'avait aucune expérience particulière dans ce type d'organisation.

[252] La réclamation de M. Girard est donc reconnue pour un montant de 580 960,00$.

[253] Les défendeurs reprochent à M. Girard le peu d'efforts pour se trouver un emploi après la suspension et le congédiement de février 2002. La preuve révèle que des démarches ont été effectuées auprès des villes de Saint-Jérôme, Varennes, St-Jean-sur-Richelieu et Lorraine. M. Girard a également cherché des postes de directeur général de cégep ou d'hôpitaux, postes qui n'étaient pas disponibles à cette période. Il a également pensé poser sa candidature pour un poste de directeur général d'une université mais il a constaté qu'il n'avait pas les compétences pour un tel poste.



[254] Le Tribunal est d'avis qu'en prenant en considération l'expérience passée de M. Girard, sa formation et son âge au moment où est survenu la suspension et le congédiement, que les démarches effectuées par M. Girard étaient appropriées. Il est malheureux qu'il n'ait pas réussi à se trouver un emploi mais, il ne faut pas oublier que si son contrat de directeur général auprès de la Ville de Saguenay avait été respecté, il aurait probablement pu envisager une retraite en 2006. La façon dont il a été traité par les défendeurs au début de l'année 2002, a certainement causé de la démotivation chez M. Girard.

[255] Il réclame un montant de 4 313,73$ à titre de remboursement de frais de recherche d'emploi. La majorité de ces frais est constituée de frais de déplacement, de remboursement de repas et d'hébergement. Le Tribunal n'est pas en mesure de contrôler la justesse de ces dépenses. Dans les circonstances, il attribue de façon discrétionnaire un montant de 2 500,00$, à titre de remboursement de frais de recherche d'emploi.

[256] Pour ce qui est de la réclamation pour perte d'investissement sur la résidence et des frais de déménagement, le Tribunal est d'avis qu'il s'agit d'un dommage indirect qui ne peut être indemnisé. Il est malheureux que M. Girard ait perdu son emploi à titre de directeur général de la nouvelle Ville de Saguenay mais cela n'implique pas nécessairement qu'il devait revendre sa maison et déménager dans la région de Montréal. Il s'agit là d'un choix que n'ont pas à supporter les défendeurs.

[257] M. Girard réclame globalement 675 000,00$ pour atteinte à la santé, sécurité et dignité de sa personne, atteinte à la réputation, séquelles psychologiques et dommages exemplaires et punitifs. Tel que mentionné à l'audience, le Tribunal est d'avis qu'il ne peut accorder aucun montant pour indemniser ces dommages réclamés.

[258] La preuve faite à l'audience ne permet pas de relier les dommages réclamés aux gestes posés par les défendeurs. Il y a une grande part de subjectivité dans les demandes formulées par M. Girard.

[259] Au surplus, la réclamation pour des dommages punitifs et exemplaires ne peut être retenue, la demande ne respectant pas les conditions légales et jurisprudentielles exigées pour l'octroi de tels dommages.[57]

[260] La seule réclamation retenue concerne donc les dommages pour salaire et les avantages perdus ainsi que les frais de recherche d'emploi.

[261] M. Girard demande à l'audience que le Tribunal condamne les défendeurs à payer les intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date du versement où auraient dû être effectués le salaire et les avantages perdus. Une telle condamnation serait difficile à exécuter et les calculs en seraient complexes.

[262] Le Tribunal opte plutôt pour une formule différente, à savoir l'octroi d'intérêts et de l'indemnité additionnelle à compter de dates précises espacées de six mois pour des portions déterminées de la condamnation totale selon les modalités prévues aux conclusions du présent jugement.

[263] M. Girard demande l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel. Les conditions donnant ouverture à telle condamnation se retrouvent à l'article 547 du Code de procédure civile. Ces conditions ne se retrouvent pas dans le présent dossier et il y a lieu de rejeter la demande en ce sens.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[264] DÉCLARE illégale et nulle la suspension de Bertrand Girard décrétée par le maire Jean Tremblay le 19 février 2002, laquelle a été entérinée par le conseil municipal le 25 février 2002;

[265] DÉCLARE illégale et nulle la destitution de Bertrand Girard décrétée par le conseil municipal le 25 février 2002 et DÉCLARE sans effet la résolution VS-CM-2002-31;

[266] COMDAMNE les défendeurs à payer à Bertrand Girard, la somme totale de 583 460,00$ avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec calculés selon la formule suivante:

Ø à compter du 13 septembre 2002, sur une tranche de 70 000,00$;

Ø à compter du 13 mars 2003, sur une tranche de 21 905,00$;

Ø à compter du 13 septembre 2003, sur une tranche de 64 865,00$;

Ø à compter du 13 mars 2004, sur une tranche de 66 865,00$;

Ø à compter du 13 septembre 2004, sur une tranche de 67 365,00$;

Ø à compter du 13 mars 2005, sur une tranche de 68 865,00$;

Ø à compter du 13 septembre 2005, sur une tranche de 70 865,00$;

Ø à compter du 13 mars 2006, sur une tranche de 72 365,00$;

Ø à compter du 13 septembre 2006, sur une tranche de 80 365,00$.

[267] LE TOUT, avec dépens.

[268] ACCUEILLE avec dépens l’intervention du Procureur général du Québec et CONFIRME la validité des articles 102 et 132 du décret 841-2001.






__________________________________

YVES ALAIN, J.C.S.



Me Alphonse Lacasse

Me François Bélanger

Joli-Coeur Lacasse (Casier 6)

Procureurs du demandeur





Me Isabelle Racine

Me Louis Coulombe

Cain Lamarre Casgrain Wells

225, rue Racine Est

Case postale 5420, bureau 600

Chicoutimi (Québec) G7H 6J6

Procureurs des défendeurs





Me Isabelle Demers (Casier 134)

Direction générale des affaires juridiques et législatives

Procureurs de l'intervenante





Date d’audience :
1er au 18 décembre 2008

Nature:
Contrat de travail - Municipal - Dommages-intérêts - Administratif







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[1] Pièce P-7.

[2] Loi sur les cités et villes, L.R.Q., chapitre C-19, article 52.

[3] Pièce D-2.

[4] Pièce D-3.

[5] Résolution VS-CM-2002-31 (pièce D-31).

[6] Est constitué, à compter de la date d'entrée en vigueur du présent décret, un comité de transition composé des membres que désigne le ministre des Affaires municipales et de la Métropole. Le nombre des membres du comité de transition ne peut être inférieur à trois ni excéder sept. Le ministre des Affaires municipales et de la Métropole désigne, parmi les membres du comité, le président.

[7] Le comité de transition doit nommer pour une durée maximale de cinq ans le directeur général, le greffier et le trésorier de la ville.

[8] Article 1479 C.c.Q.

[9] Les villes de Chicoutimi, Jonquière, La Baie et Laterrière ainsi que les municipalités de Lac Kénogami et Shipshaw et la partie Sud de Canton Tremblay sont comprises dans ce regroupement forcé.

[10] Pièce P-5.

[11] Notes sténographiques pages 238 et 239.

[12] Notes sténographiques page 252.

[13] Notes sténographiques pages 19 à 21.

[14] Notes sténographiques pages 195 et 196.

[15] Notes sténographiques page 30.

[16] Notes sténographiques page 33.

[17] Notes sténographiques pages 58 à 61.

[18] Notes sténographiques pages 118 à 120.

[19] Notes sténographiques pages 112 et 113.

[20] Notes sténographiques page 126.

[21] Notes sténographiques pages 127 à 139.

[22] Notes sténographiques 130 à 132.

[23] Banderole et enquête ministérielle.

[24] Affirmations faites tant au procès qu'au cours de l'interrogatoire après défense.

[25] Le maire Tremblay indique un délai de trois quarts d'heure lors de l'interrogatoire après défense, alors qu'il parle de quinze minutes au procès.

[26] Article 52, Loi sur les cités et les villes.

[27] Pièce D-2.

[28] Pièce D-3.

[29] Il faut alors comprendre les trois seuls éléments reprochés pour les 5, 6 et 7 février.

[30] La preuve ne permet pas d'identifier s'il s'agit de Me Joli-Cœur ou de Me Lacasse.

[31] Pièce P-114.

[32] Rien dans la preuve soumise au Tribunal ne soutient cette affirmation du maire Tremblay.

[33] On peut s'interroger sur cette façon de procéder alors qu'il n'y a aucune proposition formelle pour la résolution concernant le Directeur et qu'on semble ensuite insister pour qu'il y en ait une concernant la nomination du directeur général par intérim puis le dépôt de la lettre du maire.

[34] Banderole électorale et enquête ministérielle.

[35] Loi sur les citées et villes, L.R.Q., chapitre C-19.

[36] Hrstchan c. Montréal (Ville de), 2004 R.J.Q. 1073 (CA).

[37] Loi sur les cités et villes, L..R.Q., chapitre C-19, articles 71 et 72.

[38] Pièce P-114, page 15.

[39] Pièce P-6.

[40] HÉTU Jean et DUPLESSIS Yvon, Droit municipal - Principes généraux et contentieux, Volume 1, 2e, (à jour au 23 avril 2009), Brossard, Publications CCH, page 5203.

[41] Rôles et responsabilités du directeur général: la suite…, MORENCY société d'avocats, http://www.morencyavocats.com/publication/Directeur%20general%202.doc

[42] Jean c. Ville de Val-Bélair , CMQ-54409 et CMQ-54481, 6 décembre 1999, Me Claude Gélinas et Mme Marie Auger.

[43] Le mot « perche » revient souvent dans les propos du Maire tant au cours de l'interrogatoire après défense que lors de son témoignage au procès.

[44] Il réfère à une période de trois quarts d'heure lors de l'interrogatoire après défense et à quinze minutes lors du procès.

[45] Pièce D-2.

[46] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008, CSC 9, Opinion des juges Bastarache et LeBel.

[47] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., chapitre C-12.

[48] Pièce D-8, en liasse.

[49] Extrait de la pièce D-8.

[50] Extrait de la pièce D-8.

[51] Extrait de la pièce D-8.

[52] Extrait de la pièce D-8.

[53] Article 109 - Le comité de transition peut engager les employés requis pour l'exercice de ses responsabilités et déterminer leurs conditions de travail. Il peut également requérir les services d'experts qu'il estime nécessaire.



[54] Voir article 1.1 du contrat P-5.

[55] Immeubles Port-Louis c. Village Lafontaine, [1991] 1 R.C.S 326 .

[56] Voir les articles 2091 et 2092 C.c.Q.

[57] Article 1621 C.c.Q; Charte des droits et libertés de la personne, article 49; Jean-Louis BAUDOIN, La Responsabilité civile, 6e édition, Les Éditions Yvon Blais, no 342 et suivant; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 ; Curateur public c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 ; Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 ; Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3 ; Lafferty c. Parizeau, [2003] R.J.Q. 2758 (C.A.); Société Radio-Canada c. Néron, [2004] 3 R.C.S. 95