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Louise Panneton c. Ville de Trois-Rivières

no. de référence : 2009 QCCRT 0453

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)



Dossier :
214496

Cas :
CQ-2008-1450, CQ-2008-2176, CQ-2008-3197, CQ-2008-4303



Référence :
2009 QCCRT 0453



Québec, le
19 octobre 2009





DEVANT LA COMMISSAIRE :
Line Lanseigne, juge administratif







Louise Panneton



Plaignante

c.



Ville de Trois-Rivières



Intimée



et



Société Radio-Canada

Le Nouvelliste, une division de 3834310 Canada inc.



Requérants-Intervenants







DÉCISION INTERLOCUTOIRE









[1] La Commission est saisie de quatre plaintes déposées par madame Louise Panneton contre son employeur, la ville de Trois-Rivières, pour contester sa fin d’emploi survenue le 21 avril 2008 et pour harcèlement au travail.

[2] L’employeur s’oppose à ces plaintes et plaide qu’il a mis fin à l’emploi de la plaignante en raison d’importantes difficultés de gestion et de relations humaines. Cette dernière prétend plutôt que son congédiement serait dû au fait qu’elle aurait refusé d’obtempérer aux demandes de la direction d’annuler divers constats d’infraction.

[3] Au cours des journées d’audience tenues depuis le 9 octobre 2008, la Commission a rendu verbalement des ordonnances interdisant que soient diffusés ou autrement communiqués des renseignements contenus dans la preuve documentaire produite par les parties.

[4] Le 15 septembre 2009, la Société Radio-Canada et le journal Le Nouvelliste (les médias) interviennent dans l’instance et demandent à la Commission d’annuler certaines ordonnances. Les conclusions recherchées sont les suivantes :

ANNULER l’interdit de publication, de divulgation et de diffusion des renseignements compris dans les pièces P-3 et P-22 et lever le scellé;

ANNULER l’interdit de publication, de divulgation et de diffusion des renseignements relatifs aux pièces P-24, P-26 et P-27 et lever le scellé;

ANNULER l’interdit de publication, de divulgation et de diffusion des renseignements relatifs aux pièces P-18A, P-18B et P-19 et lever le scellé;

[5] Essentiellement, les médias veulent connaître l’identité des personnes visées par les constats d’infraction que madame Panneton prétend avoir refusé d’annuler.

[6] La Commission consent à entendre les médias d’abord sur leur droit d’intervenir dans le débat et ensuite sur l’annulation des ordonnances lors de l’audience fixée le 5 octobre 2009.

[7] En début d’audience, la Commission souligne qu’aucun scellé n’a été apposé sur les pièces P-24, P-26 et P-27 et que l’ordonnance de non publication ne vise qu’à préserver la confidentialité de certains renseignements contenus dans ces pièces. Concernant les pièces P-18A, P-18B et P19, il s’agit d’ordonnances provisoires, fondées sur des objections en matière de secret professionnel prises sous réserve et qui seront tranchées dans la décision finale. Devant cela, les médias retirent leur demande quant aux pièces P-18A, P-18B et P19.

[8] L’objet de la requête en révision porte donc que sur les pièces P-3, P-22, P-24, P-26 et P-27.

[9] En premier lieu, la Commission doit déterminer si les médias peuvent intervenir en l’instance. Le cas échéant, elle statuera sur son pouvoir de modifier les ordonnances déjà prononcées. Enfin, si elle estime avoir compétence pour agir, elle devra décider de l’opportunité d’annuler les ordonnances de confidentialité.



LA DEMANDE D’INTERVENTION

[10] Les ordonnances concernant les pièces P-3 et P-22 ont été rendues respectivement le 4 novembre 2008 et le 10 août 2009 alors que celles qui s’appliquent aux pièces P-24, P-26 et P-27 ont été révisées le 27 août 2009.

[11] Bien qu’à toutes ces occasions, des représentants des médias requérants étaient présents dans la salle d’audience, aucun d’entre eux n’a demandé de soumettre des représentations formelles pour contester ces ordonnances. La présente requête en annulation survient donc près d’un an plus tard, après plusieurs journées d’audience et alors que l’instruction du litige tire à sa fin.

[12] Par déférence pour les parties et leur procureur et par souci d’une utilisation responsable des ressources judiciaires, la Commission ne peut que déplorer la tardivité de la requête présentée par les médias. Cela dit, le fait que les requérants exercent leur recours tardivement ne saurait les priver de leur droit d’intervention (Reine c. Hubert, C.S. 25 mai 2002, 550-000717-997).

[13] Plusieurs arrêts de la Cour suprême reconnaissent aux médias l’intérêt juridique pour intervenir lorsqu’une demande d’interdiction de publication est présentée au tribunal. (Dagenais, c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 ; R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S. 707 ).

[14] La Commission accorde donc le statut d’intervenant à la Société Radio-Canada et au journal Le Nouvelliste.



LA DEMANDE D’ANNULATION DES ORDONNANCES DE CONFIDENTIALITÉ



Le pouvoir de la Commission de revoir une ordonnance déjà rendue

[15] Dans le cadre d’une affaire de nature criminelle, la Cour suprême s’est penchée sur cette question dans l’affaire précitée R. c. Adams:

En règle générale, toute ordonnance relative au déroulement d’un procès peut être modifiée ou annulée s’il y a eu changement important des circonstances qui existaient au moment où elle a été rendue. Pour que le changement soit important, il doit se rapporter à une question qui a justifié, au départ, la délivrance de l’ordonnance.

[16] Ainsi, même en l’absence de pouvoir de révision explicite, un tribunal peut modifier une ordonnance rendue pour gérer une instance lorsque les circonstances qui l’ont justifiée ont disparu.

[17] La Commission est donc compétente pour modifier les ordonnances qu’elle a rendues en vertu de ce principe sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner si l’article 127.2 du Code du travail confère aussi ce pouvoir, tel que l’ont invoqué les médias requérants.

L’OPPORTUNITÉ DE MODIFIER LES ORDONNANCES ÉMISES

Les ordonnances rendues

[18] Les médias soumettent que les interdictions de publication briment le droit du public à l’information et que puisqu’ils n’ont pas pu présenter de preuve en faveur de la divulgation des informations, cette situation en soi justifie la Commission de revoir ses ordonnances.

[19] Le fait que les médias ne soient pas intervenus pour défendre le droit fondamental du public à la publicité des débats judiciaires n’a pas empêché la Commission d’analyser cette question et d’émettre des ordonnances qui respectent les principes établis par la Cour suprême en la matière.

[20] La règle est celle de la publicité des débats, principe lié à la liberté d’expression et à la liberté de presse. Le décideur peut cependant y faire exception lorsque cela est nécessaire pour maintenir l’ordre dans le déroulement des procédures ou pour d’autres motifs liés à la bonne administration de la justice. Comme le souligne l’arrêt Mentuck (R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442 ), cette discrétion doit toutefois être exercée de manière judiciaire même lorsqu’une atteinte à la liberté d’expression ne suscite aucune contestation :

Dans certains cas, toutefois, surtout lorsqu’il n’y a aucune partie ou aucun intervenant pour défendre le droit de la presse et du public à la liberté d’expression, le juge du procès doit tenir compte de ces intérêts sans avoir eu l’avantage d’entendre des arguments à leur sujet. Il ne faut pas prendre à la légère ces intérêts que personne ne défend, surtout lorsque des droits protégés par la Charte, comme la liberté d’expression, sont en jeu. Il est tout aussi vrai en common law qu’en matière de pouvoir discrétionnaire conféré par la loi, comme le juge La Forest l’a souligné, que « [c]’est à la partie qui présente la demande qu’incombe la charge de justifier la dérogation à la règle générale de la publicité des procédures » (Nouveau-Brunswick, précité, par. 71 : Dagenais, précité, p. 875). De même, pour reprendre une fois de plus les propos du juge La Forest (aux par. 72-23) :

Le juge du procès doit disposer d’une preuve suffisante pour être en mesure d’apprécier la demande et d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire…Quand la preuve disponible est suffisante, le tribunal qui contrôle la décision est alors à même de déterminer si celle-ci est étayée par la preuve.

Toutefois, dans les cas où le droit du public à la liberté d’expression est en jeu et qu’aucune partie ne prend l’initiative de défendre ce droit, le juge doit examiner non seulement la preuve dont il est saisi, mais aussi les exigences de ce droit fondamental. Il ne faut donc pas interpréter l’absence de preuve défavorable à l’octroi d’une interdiction comme atténuant l’importance du droit à la liberté d’expression dans l’application du critère.

(Nos soulignements)

Le test applicable

[21] Pour déterminer s’il y a lieu de rendre une ordonnance qui restreint la liberté d’expression dans le cadre d’une procédure judiciaire, la Cour suprême a élaboré la règle suivante dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 , laquelle fût reformulée dans l’arrêt Mentuck précité :

Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque :

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

(Nos soulignements.)

[22] L’analyse à effectuer est exposée dans l’arrêt Dagenais en ces termes:

Pour juger de la validité de l’ordonnance rendue en l’espèce, il est nécessaire de considérer son objectif, de vérifier s’il existe d’autres mesures raisonnables qui permettent d’atteindre cet objectif et de déterminer si les effets bénéfiques de l’ordonnance de non-publication l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression.

[23] Cette analyse a ensuite été reprise dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême dont l’arrêt Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (P.G.), [1996] 3 R.C.S. 480 qui reprend la règle élaborée dans l’arrêt Dagenais de la façon suivante :

a) le juge doit envisager les solutions disponibles et se demander s’il existe d’autres mesures de rechange raisonnables et efficaces;

b) il doit se demander si l’ordonnance a une portée aussi limitée que possible; et

c) il doit comparer l’importance des objectifs de l’ordonnance et de ses effets probables avec l’importance de la publicité des procédures et l’activité d’expression qui sera restreinte, afin de veiller à ce que les effets positifs et négatifs de l’ordonnance soient proportionnels.

[24] En résumé, pour être émise, l’ordonnance de non-publication doit d’abord répondre au critère de la nécessité et être dictée par un risque « sérieux, réel et important » pour la bonne administration de la justice. Cette interdiction doit constituer le seul moyen efficace d’atteindre les objectifs qu’elle vise et doit être aussi limitée que possible. Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre les effets bénéfiques de l’ordonnance, lesquels doivent surpasser ses effets préjudiciables sur le droit du public à la publicité des procédures judiciaires.

L’objectif visé par les ordonnances et les droits et intérêts en jeu

[25] En l’espèce, les ordonnances rendues visent à protéger le droit à la vie privée et à la réputation de tiers qui ne sont aucunement concernés par le présent litige. Plus spécifiquement, il s’agit de préserver l’identité des personnes à qui les constats d’infraction ont été émis.

[26] Ces objectifs revêtent une importance capitale puisqu’ils émanent de la Charte des droits et libertés (L.R.Q., c. C-12) et sont également consacrés par le Code civil du Québec (L.Q., 1991, c. 64).

[27] La protection accordée à la vie privée est prévue à l’article 5 de la Charte, ainsi qu’à l’article 35 du Code civil :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

[28] La Cour suprême dans l’arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 647, définit cette protection comme étant « le droit du particulier de déterminer lui-même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant ».

[29] Quant au droit à la réputation, outre l’article 35 du Code civil, il est prévu à l’article 4 de la Charte qui édicte que :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

[30] La protection de la bonne réputation d’une personne est d’une importance fondamentale dans notre société démocratique puisqu’elle renvoie au concept de la dignité.

[31] La Cour suprême dans Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 , souligne l’importance vitale de la protection de la réputation, «pilier fondamental grâce auquel les gens peuvent interagir avec autrui en milieu social». Ce droit à la protection de la réputation sert également l'objectif aussi important de protéger l'image de soi et le sens de sa valeur propre.

[32] L’auteur Gérald R. Tremblay s’exprime d’ailleurs en ces termes dans l’introduction de son texte intitulé : Combien vaut votre réputation?, Développements récents sur les abus de droit (2005), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2005,

Un des biens les plus précieux que possède une personne est sans contredit sa réputation. Plus que tous ses biens matériels, plus que sa vie souvent, la personne chérit l'opinion favorable que ses concitoyens ont d'elle. Elle est en effet intimement liée à l'idée qu'elle se fait d'elle-même et sa propre dignité en dépend.



Application du test de la Cour suprême aux ordonnances rendues



La nécessité

[33] Notons que l’article 33 des Règles de preuve et de procédure de la Commission fait référence à cette notion de nécessité :

La Commission peut interdire ou restreindre la divulgation, la publication ou la diffusion de témoignages, renseignements ou documents qu’elle indique, lorsque cela lui apparaît nécessaire pour préserver l’ordre public ou si le respect de leur caractère confidentiel le requiert.

[34] La Commission rappelle qu’elle est saisie d’un litige portant sur des relations de travail et qu’elle doit statuer sur le bien-fondé ou non du congédiement de madame Panneton. Or, les tiers visés par les constats d’infractions sont impliqués bien malgré eux dans un débat judiciaire qui ne les concerne pas et qui ne vise d’aucune façon à juger de leur conduite.

[35] Il ne fait aucun doute qu’il existe un risque réel et important que les droits fondamentaux de ces tiers soient violés.

[36] Ceux-ci n’ont aucun contrôle sur le déroulement de la preuve, ni possibilité de faire valoir leurs explications, d’où l’importance encore plus marquée de protéger leurs droits.

[37] La diffusion de leur identité risque sérieusement de porter atteinte à leur vie privée et de compromettre la sauvegarde de leur réputation sans qu’ils ne puissent d’aucune façon défendre leurs intérêts.

[38] La Commission est donc d’avis qu’il existe un risque réel et important d’atteinte aux droits fondamentaux des citoyens visés par ces constats d’infraction et qu’il est nécessaire de protéger leur identité. En outre, aucune autre mesure raisonnable et efficace ne permet d’atteindre les objectifs mentionnés.

[39] Il y a lieu de préciser que les médias présents dans la salle d’audience ont eu l’opportunité de couvrir, sans restriction, l’ensemble du débat judiciaire dont il est fait mention au paragraphe 34, à l’exception des informations susceptibles d’identifier les personnes visées par les constats d’infraction.

La proportionnalité

[40] Dans la présente affaire, le droit du public à la publicité du processus judiciaire, qui comporte le droit de la presse de rapporter ces informations, s’oppose aux droits à la vie privée et à la protection de la réputation des citoyens visés dans les constats d’infraction.

[41] Lorsque deux droits fondamentaux sont en cause, la Cour suprême, dans l’arrêt Dagenais déjà cité, met en garde les tribunaux contre une analyse hiérarchique des droits garantis et rappelle que leur importance peut revêtir un degré différent selon le contexte :

Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, comme cela peut se produire dans le cas d’une interdiction de publication, les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits.

[42] À maintes reprises, les tribunaux ont reconnu l’importance que la justice soit rendue publiquement et que ce n’est qu’exceptionnellement qu’on peut déroger à ce principe.

[43] Les fondements de ce principe reposent sur la nécessité de maintenir la confiance du public dans la probité du système judiciaire et la compréhension de l’administration de la justice. Valeur essentielle et inestimable dans notre société démocratique, la publicité des débats assure le maintien de l’indépendance et de l’impartialité du processus judiciaire et fait en sorte que le public respecte les décisions des tribunaux.

[44] À ce propos, la Cour suprême dans un arrêt récent, Vancouver Sun (Re), [2004] 2 R.C.S. 332 , mentionne ce qui suit :

La publicité est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux. Elle fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice. En outre, elle constitue l’élément principal de la légitimité du processus judiciaire et la raison pour laquelle tant les parties que le grand public respectent les décisions des tribunaux.

[45] La Cour suprême, dans l’arrêt précité Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick, cite un passage de la décision Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326 , qui cerne l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires :

C’est donc dire que, comme ensemble d’auditeurs et de lecteurs, le public a le droit d’être informé de ce qui se rapporte aux institutions publiques et particulièrement aux tribunaux. La presse joue ici un rôle fondamental. Il est extrêmement difficile pour beaucoup, sinon pour la plupart, d’assister à un procès. Ni les personnes qui travaillent ni les pères ou mères qui restent à la maison avec des jeunes enfants ne trouveraient le temps d’assister à l’audience d’un tribunal. Ceux qui ne peuvent assister à un procès comptent en grande partie sur la presse pour être tenus au courant des instances judiciaires-la nature de la preuve produite, les arguments présentés et les remarques faites par le juge au procès- et ce, non seulement pour connaître les droits qu’ils peuvent avoir, mais pour savoir comment les tribunaux se prononceraient dans leur cas. C’est par l’intermédiaire de la presse seulement que la plupart des gens peuvent réellement savoir ce qui se passe devant les tribunaux. À titre d’ « auditeurs » ou de lecteurs, ils ont droit à cette information. C’est comme cela seulement qu’ils peuvent évaluer l’institution. L’analyse des décisions judiciaires et la critique constructive des procédures judiciaires dépendent des informations que le public a reçues sur ce qui se passe devant les tribunaux. En termes pratiques, on ne peut obtenir cette information que par les journaux et les autres médias.

(Nos soulignements.)



[46] C’est dans ce cadre que la Commission doit soupeser les effets bénéfiques des ordonnances de confidentialité par rapport aux effets préjudiciables qu’elles causent à la liberté de presse et au principe de la publicité des débats.

[47] La Commission ne voit pas en quoi l’identité des personnes visées par les constats d’infractions peut intéresser le public pour comprendre le litige qui oppose madame Panneton à la Ville de Trois-Rivières et se faire une opinion.

[48] La Commission est consciente de l’ « intérêt » des médias quant à la divulgation de l’identité des citoyens mentionnés dans les constats d’infraction, particulièrement dans le cadre de la campagne électorale en cours. Toutefois, dans le cadre de ce débat judiciaire, elle n’a pas à apprécier la qualité de l’administration de la Ville, mais la justesse de sa décision de congédier madame Panneton.

[49] La demande d’annulation présentée par les médias ne présente pas une quête d’informations légitimes aux fins d’instruire et d’éclairer le public sur le déroulement de l’instance conformément à l’enseignement de la jurisprudence. Au contraire, elle s’attarde sur un aspect non pertinent au débat et relève davantage de la curiosité. Encore une fois, il importe de replacer l’interdiction de divulgation dans le contexte particulier du présent débat juridique.

[50] Dans l’affaire Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 , la Cour suprême mentionne que « [la] presse doit être libre de commenter les procédures judiciaires pour que, dans les faits, chacun puisse constater que les tribunaux fonctionnent publiquement sous les regards pénétrants du public ». Or, l’interdiction de publier les noms des tiers qui ne sont pas parties au litige ne limite pas ce principe. Le débat sur le congédiement de la plaignante et sur toutes les circonstances l’ayant entouré demeure public.

[51] En revanche, la divulgation de ces renseignements risque de miner la confiance du public dans le système judiciaire puisque chacun craindra que son identité puisse être révélée dans une instance à laquelle il ne participe pas et qui ne le concerne pas. Non seulement cette situation dérogerait-elle aux principes fondamentaux de notre système judiciaire mais, les conséquences éminemment préjudiciables d’un tel scénario sont énormes. Dans ce contexte, la Commission estime que la publicité de cette information va à l’encontre de la bonne administration de la justice.

[52] Bien plus, comme déjà mentionné, les tiers visés par les constats d’infraction n’ont pas l’opportunité de contredire les informations les concernant, ni d’apporter un éclairage différent. Cette situation compromet sérieusement la justesse ou l’exactitude des informations publiques, condition essentielle au maintien de la confiance du public dans la probité du système judiciaire.

[53] Les ordonnances sous étude respectent les principes établis par la Cour suprême. Elles sont toujours nécessaires et sont limitées à la protection de la vie privée et de la réputation de tiers sans constituer une atteinte disproportionnée à la liberté de presse. Par leurs effets bénéfiques, elles préservent le juste équilibre avec les effets préjudiciables sur le droit du public à la publicité des débats.

Décision sur la demande d’annulation des ordonnances

[54] Tel qu’exposé plus avant, une ordonnance pourra être modifiée ou annulée si un changement important des circonstances existantes au moment où elle a été rendue s’est produit. Ce changement doit se rapporter à une question qui a justifié, au départ, la délivrance de l’ordonnance. De plus, les circonstances pertinentes qu’il convient d’analyser sont celles mêmes qui ont rendu les ordonnances nécessaires.

[55] Les représentations des médias, notamment l’imminence des élections municipales, ne convainquent pas la Commission qu’il est survenu un changement important dans les circonstances qui ont justifié l’émission des ordonnances, à savoir le besoin de protection de la vie privée et de la réputation de tierces personnes sans lien avec le litige.

[56] Ce besoin de protection demeure inchangé; rien de pertinent ne s’est ajouté pour permettre à la Commission d’annuler ses ordonnances. Celles-ci demeurent justifiées et doivent être maintenues.

[57] Toutefois, lors du réexamen des pièces faisant l’objet d’ordonnance de non publication, la Commission a constaté que la pièce P-26 ne contenait aucune information susceptible de léser des tiers et que les mesures de protection qui décidées, quant à cette seule pièce (P-26), étaient sans objet.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE la requête en annulation d’ordonnances présentée par la Société Radio-Canada et le journal Le Nouvelliste, sauf pour la pièce P-26.




__________________________________

Line Lanseigne

Me Gilles Grenier

PHILION, LEBLANC, BEAUDRY

Représentant de la plaignante



Me Kathleen Rouillard

BÉLANGER, SAUVÉ

Représentante de l’intimée



Me Julie Chenette

Représentante des requérants-intervenants