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Louis Daigle c. Marchés Mondiaux CIBC inc.

no. de référence : CQ-2007-5792

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)



Dossier :
209059

Cas :
CQ-2007-5792



Référence :
2008 QCCRT 0271



Québec, le
16 juin 2008

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DEVANT LE COMMISSAIRE :
Pierre Bernier

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Louis Daigle



Plaignant

c.



Marchés Mondiaux CIBC inc.



Intimée



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DÉCISION

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Le litige
[1] Le 18 octobre 2007, Louis Daigle dépose une plainte auprès de la Commission des normes du travail (CNT), en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT). Il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante, le ou vers le 31 mars 2007.

[2] Vu le laps de temps de près de sept mois couru entre la date du congédiement et le dépôt de la plainte auprès de la CNT, alors que le délai prévu pour ce faire, à l’article 124 LNT, est de 45 jours, l’employeur soulève une objection préliminaire et demande le rejet de la plainte.

[3] La Commission accepte d’entendre d’abord les parties et de statuer sur cette question.

faits et commentaires
[4] Marchés Mondiaux CIBC représente le secteur des services bancaires de gros et des services financiers aux entreprises de la Banque CIBC. Elle offre aussi un éventail de produits, de crédits et de produits des marchés financiers intégrés et des services bancaires d’investissement à ses clients.

[5] Dès novembre 2007, alors qu’il est à l’emploi de l’intimée depuis mars 2003, le plaignant rencontre des difficultés avec son nouveau directeur national quant à l’interprétation à donner à certaines clauses de son contrat de travail.

[6] Il consulte ainsi un avocat, au cours des semaines qui précèdent sa fin d’emploi, qu’il qualifie de congédiement déguisé. Si certaines divergences existent quant à la date exacte de la rupture du lien d’emploi, cette situation n’a aucun effet sur l’issue du présent débat.

[7] Alors que le plaignant, comme employé non syndiqué, nous indique que son premier réflexe est de s’adresser à la CNT, il décide plutôt, après discussion et sur recommandation de son avocat, de se tourner vers un autre forum. Le 28 juin 2007, soit quelque douze semaines après son congédiement allégué, le plaignant choisit de déposer une plainte en vertu de la Partie III du Code canadien du travail (CCT).

[8] Au terme de quelques échanges téléphoniques avec un Inspecteur de Ressources humaines et Développement social Canada – Programme du travail, Louis Daigle est informé verbalement, le 5 septembre 2007, que sa « plainte de congédiement injuste, datée du 28 juin 2007, ne répond pas aux exigences des articles 2 et 167 du CCT ».

[9] Une confirmation écrite lui est transmise le même jour. On y indique, comme motif au soutien de la décision prise, qu’il a « travaillé comme représentant en assurance pour la division de détails de CIBC World Markets inc. (faisant affaires comme « CIBC Wood Gundy »), qui est une firme de courtage au Canada, enregistrée à titre de courtier, dans l’ensemble des provinces du Canada. L’activité de l’entreprise n’est pas de la compétence fédérale ».

[10] Le plaignant semble avaliser cette fin de non-recevoir, puisqu’il ne donne pas suite à l’offre qui lui est faite de fournir d’autres renseignements à l’appui de son allégation de congédiement injuste, ce qui entraîne la fermeture de son dossier.

[11] Le plaignant, secoué, se retourne vers son procureur, qui prépare, le 14 septembre 2007, une lettre adressée à la CNT, laquelle est annexée à la plainte que Louis Daigle ne dépose auprès de cet organisme que cinq semaines plus tard, soit le 18 octobre 2007.

analyse et conclusions
[12] Les procureurs conviennent que le délai de 45 jours édicté par la LNT en est un strict et de rigueur, qui ne souffre d’aucune exception, si ce n’est que la prescription extinctive qui découle de son non-respect est suspendue en cas d’impossibilité absolue d’agir en fait.

[13] Le juge Bernard Lesage dans B. H. c. P. inc. [1995], T.T. p. 168, énonce ceci :

Il faut comprendre que ce n’est pas proroger un délai que de faire le calcul approprié de son point de départ en fonction de l’impossibilité absolue d’agir en fait, et cela est possible pour tous les délais devant tous les organismes, à moins de disposition législative précise à l’encontre.

[14] Dans l’instance, pour bien baliser le débat, il importe, d’une part, de noter que la démarche avortée du plaignant auprès des instances fédérales a été initiée peu de temps avant l’expiration du délai de 90 jours pour ce faire, mais clairement après l’échéance de 45 jours prévue à l’article 124 LNT.

[15] D’autre part, le plaignant, le 18 octobre 2007, s’adresse à la CNT dans les 45 jours qui suivent la fermeture du premier dossier.

[16] Nous verrons, lors des discussions qui suivent, quelles incidences ces prémisses peuvent avoir sur les conclusions que la Commission devra tirer.

[17] Deux questions se soulèvent donc ici : 1) le plaignant est-il dans l’impossibilité absolue d’agir en fait pendant la période où il exerce son premier recours, laquelle se termine le ou vers le 5 septembre 2007? 2) le fait qu’il ait exercé ce premier recours dans le délai légal prévu pour le faire, soit 90 jours, lui ouvre-t-il la porte à l’existence d’un délai additionnel de 45 jours, soit celui prévu à l’article 124 LNT?

l’IMpossibilité absolue d’agir en fait
[18] Se référant à la décision du Tribunal du travail rapportée plus haut, le commissaire Paul Bélanger, du défunt Bureau du commissaire général du travail, dans Leggo et Fruits de mer de Malbaie inc., D.T.E. 96T-1219 , rappelle d’abord que « le commissaire ne possède pas le pouvoir explicite de prolonger le délai pour déposer une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail ou du Code du travail ».

[19] Plus loin, le commissaire ajoute : « ma lecture de cette décision me laisse entendre qu’un commissaire du travail, comme tout autre tribunal, a compétence pour appliquer la suspension de prescription en cas d’impossibilité absolue d’agir en fait ». Il s’agit donc de vérifier, à partir des circonstances particulières du dossier sous étude, si Louis Daigle est, de fait, dans l’impossibilité absolue d’agir entre le moment de son congédiement et le 5 septembre 2007.

[20] Dans l’instance, Louis Daigle, qui œuvre dans le domaine des assurances, avoue qu’il se sent une attirance pour l’exercice d’un recours en vertu de la LNT, dès après son congédiement.

[21] Ce n’est qu’au terme d’une longue analyse et de mûres réflexions, et inspiré par son avocat, qu’il choisira, plus de 80 jours après son congédiement, de diriger sa demande vers les instances fédérales, en prenant appui sur le Code canadien du travail.

[22] Le plaignant aurait même discuté avec son procureur de la possibilité de saisir, en même temps, les deux instances, au moyen de plaintes distinctes. Il est, par surcroît, de connaissance judiciaire que l’exercice d’un recours via la CNT n’entraîne aucuns frais, ni déboursés, ni honoraires, de la part d’un plaignant.

[23] Pendant que dure cette valse-hésitation entre les deux forums auxquels le plaignant pense s’adresser, rien ne l’empêche de sécuriser la démarche, en cognant à l’une et l’autre des deux portes qui s’ouvrent à lui.

[24] Qu’il ait lui-même fait le choix d’adresser sa plainte à l’instance fédérale, ou qu’il ait suivi là les conseils et les recommandations de son procureur, comme semble le révéler la prépondérance de preuve, ne change rien à la situation. Peut-on ici parler d’impossibilité en fait d’agir?

[25] À cet égard, non seulement la Commission a-t-elle « la compétence pour entendre toute la preuve relative aux circonstances ayant causé le dépôt tardif de la plainte afin d’évaluer l’impossibilité d’agir que constitue une cause de suspension de la prescription, selon l’article 2904 du Code civil du Québec », comme l’indique le commissaire du travail Noël Grenier dans Parent c. École secondaire François-Bourrin, D.T.E. 99T-610 , mais elle a le devoir d’évaluer cette alternative.

[26] Pour définir en quoi consiste l’impossibilité en fait d’agir, il faut puiser aux nombreuses sources de la doctrine et de la jurisprudence qui définissent cette notion comme étant « cette impuissance totale, cette incapacité ou force majeure qui empêche une personne de poser un acte à un moment donné ».

[27] Le simple bon sens nous permet ici de conclure que le plaignant ne se retrouve devant aucune de ces situations; l’erreur qu’il commet ou qu’on lui fait commettre en est une qui découle de l’interprétation de textes législatifs ou réglementaires. Nous sommes donc en face d’une erreur de droit, et non d’une impossibilité en fait d’agir.

[28] L’erreur de droit, dans le Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e édition, Gérard Dion, Les presses de l’Université Laval, 1990, se définit comme suit :

« Opinion fausse se rapportant à l’existence ou à l’interprétation d’un principe de droit, d’une règle juridique, d’un texte législatif ou jurisprudentiel. »

ce qui constitue l’illustration parfaite du contexte qui nous occupe.

[29] De là, la Commission doit conclure que le plaignant avait toutes possibilités d’agir à l’intérieur du délai de 45 jours imposé par l’article 124 LNT; ainsi, puisqu’il n’y a pas suspension de la prescription, tel délai court depuis la date du congédiement, soit au plus tard à partir du 3 avril 2007.

l’extension ou la prolongation du délai selon 2895 C.c.q.
[30] Maintenant que nous avons posé cette première conclusion, à l’effet qu’il n’y a pas suspension de la prescription, et que rien n’empêche que le délai de prescription commence à courir, dès après le congédiement, examinons si la marche du temps qui court en vue de l’extinction du droit du plaignant de s’adresser à la CNT est interrompue par le fait de sa réclamation auprès de l’instance fédérale.

[31] Si tel était le cas, non seulement la première plainte de Louis Daigle interromprait l’écoulement du temps, mais elle pourrait même réduire à néant le délai déjà écoulé.

[32] L’article 2895 du Code civil du Québec se lit comme suit :

Art. 2895. Lorsque la demande d’une partie est rejetée sans qu’une décision ait été rendue sur le fond de l’affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d’un délai supplémentaire de trois mois à compter de la signification du jugement, pour faire valoir son droit.

[…]

[33] Puisque nous avons conclu que le délai de prescription de l’article 124 LNT est déjà expiré, quand il s’adresse à l’instance fédérale, le plaignant peut-il se prévaloir de cet article et bénéficier d’une extension ou d’une prolongation du délai supplémentaire de trois mois de l’article 2895 C.c.Q., à compter du 5 septembre 2007, alors qu’il prend connaissance du fait que son premier recours est voué à l’échec?

[34] Si la première cause d’interruption de la prescription demeure le dépôt d’une demande en justice, il fut un temps où le Tribunal du travail considérait que cette règle ne trouvait pas application quand il s’agissait d’interpréter les dispositions de la LNT. Un nouveau courant jurisprudentiel a toutefois été développé, par le même Tribunal, lequel permet maintenant à la Commission d’appliquer cet article 2895 C.c.Q., quand certaines conditions sont réunies.

[35] Ainsi, le juge Louis Morin, dans Lamonde c. l’Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999, D.T.E. 2000T-115 , s’exprime comme suit :

[…]

Je suis d’accord avec le procureur de l’Union pour dire que l’article 2895 dépend lui-même de l’application de l’article 2892 du Code civil dont le premier paragraphe se lit comme suit :

Art. 2892. Le dépôt d’une demande en justice, avant l’expiration du délai de prescription, forme une interruption civile, pourvu que cette demande soit signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire, au plus tard dans les soixante jours qui suivent l’expiration du délai de prescription.

Or, il semble évident que pour qu’il y ait interruption de la prescription, il faut que le dépôt d’une demande en justice soit formé avant l’expiration du délai de prescription. Ici, il est manifeste, à tout le moins si l’on prend pour acquis que la prescription n’était pas suspendue, que la demande faite en 1989 est survenue fort longtemps après que le délai de prescription d’un recours en vertu de l’article 47.3 ne soit expiré.

Il serait à tout le moins saugrenu qu’une personne qui prend le bon recours pour faire corriger une situation, mais après les délais de prescription, puisse voir sa demande rejetée alors que celle qui, hors les délais, va devant le mauvais forum, puisse bénéficier d’un nouveau délai. On donnerait alors plus de droits à celui qui prend le mauvais recours que celui qui prend le bon. L’interruption ne peut jouer que si la prescription court encore. Je suis d’accord avec les dires du juge Trudel dans l’affaire Guy Breton ci-haut citée lorsqu’il dit que la loi ne peut être rétroactive, sauf disposition expresse. On ne peut revenir sur un délai entièrement expiré […].

(Nos soulignements)

[36] En d’autres termes, puisque le plaignant ne dépose sa plainte au fédéral que plus de 80 jours après son congédiement, soit alors que le délai de prescription de l’article 124 LNT est expiré, il ne peut faire machine arrière.

[37] Autrement, tout plaignant fautif et retardataire n’aurait qu’à adresser une demande quelconque à un organisme ou un autre, pour ensuite bifurquer vers le bon forum, une fois son premier recours rejeté, et ce, dans les trois mois qui suivent, quel que soit le moment où la prescription a été acquise.

[38] Donc, puisqu’on est en matière d’interruption de la prescription, il faut que l’interprétation à donner à l’article 2895 C.c.Q. se fasse par rapport au contenu de l’article 2892 C.c.Q.

[39] Cette interprétation donnée à l’article 2895 C.c.Q. par le Tribunal du travail a depuis été reprise dans plusieurs décisions de la Commission.

[40] Ainsi, dans Potvin et Municipalité de Blue Sea, D.T.E. 2004T-774 , la Commission concluait que « pour appliquer l’article 2895 du Code civil, il faut que la plainte substituée ne soit pas prescrite. Le plaignant reconnaît que c’est le 5 décembre qu’il s’estime congédié. Or, le Code municipal, à l’article 267.02, prévoit un délai de 30 jours pour déposer une plainte. Il avait donc jusqu’au 5 janvier pour déposer une plainte. Ce n’est que le 21 janvier qu’il la dépose à la CNT. La Commission ne peut appliquer l’article 2895 dans les circonstances puisque cela prolongerait le délai de 30 jours du Code municipal ».

[41] Dans cette affaire, comme dans la présente instance, le plaignant avait aussi consulté, avant de formuler une première plainte auprès de la CNT dans le délai imparti de 45 jours, mais après l’expiration de celui de 30 jours prévu au Code municipal, d’où le rejet de cette deuxième plainte.

[42] Dans une autre décision, soit celle de Spina c. Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de St-Félicien, 2005 QCCRT 0291 , la Commission, « arrivant à la conclusion que le délai pour exercer le recours en vertu de l’article 47.3 du Code du travail est déjà écoulé au moment où l’action civile est intentée en Cour supérieure, refuse de se prononcer sur les faits de la demande en justice du 21 août 2003 ».

[43] La plaignante intente d’abord ici une action en dommages devant la Cour supérieure, en août 2003, contre son employeur et, plus tard, en novembre 2003, contre son syndicat, à qui elle reproche d’avoir décidé de ne pas mener son grief à l’arbitrage, en septembre 2002. Quand la Cour d’appel déclare cette demande en justice irrecevable, en mai 2004, elle dépose sa plainte devant la Commission, quatre mois plus tard, d’où le rejet de sa deuxième plainte.

[44] Le plaignant Louis Daigle ne saurait donc valablement invoquer les dispositions de l’article 2895. Même si son témoignage est apparu crédible et que le cheminement qu’il a suivi est empreint de bonne foi, il aurait évité de se retrouver dans une situation embarrassante, en se montrant plus attentif et vigilant avant le dépôt in extremis, quant au délai pour se faire, de sa première plainte.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE la plainte.




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Pierre Bernier



Me Denis Matte

POIRIER, RIVEST, FRADETTE

Représentant du plaignant



Me François Côté

OGILVY RENAULT

Représentant de l’intimée



Date de la dernière audience