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Directeur général des éléctions du Québec c. Piché

no. de référence : 700-36-000702-083

Directeur général des éléctions du Québec c. Piché
2009 QCCS 4490


JV00B9


COUR SUPÉRIEURE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
TERREBONNE



N° :
700-36-000702-083






DATE :
5 octobre 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
ANDRÉ VINCENT, J.C.S.

______________________________________________________________________



DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLÉCTIONS DU QUÉBEC

Appelant

c.

GUY PICHÉ

Intimé

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC



Mis en cause

______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________



[1] Les frais exigés par le propriétaire d'un journal pour la publication d'une lettre aux lecteurs constituent-ils une dépense électorale ? Tel est l'objet du présent appel.

[2] Le Directeur général des élections (Le Directeur) se porte en appel de la décision rendue le 25 juin 2008 par l'honorable juge de paix magistrat, Madame Nathalie DuPerron-Roy, qui prononçait un verdict d'acquittement sur l'infraction :

« À Ste-Agathe-des-Monts, le ou vers le 8 octobre 2005, pendant la période électorale, précédant les élections municipales du 6 novembre 2005, dans cette municipalité a, alors qu'il n'avait pas la qualité d'agent officiel, fait une dépense électorale au montant de 172.54 $ pour la publication d'un message dans le journal l'Information du Nord, défavorisant un ou des candidats de l'Équipe Laurent Paquette, contrevenant à l'article 455 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités L.R.Q. c.e. 2.2, commettant ainsi une infraction prévue au paragraphe 1 de l'article 622 de cette loi et se rendant passible de l'amende prévue à l'article 641 de cette même loi. »

[3] L'appelant reproche principalement au premier juge d'avoir commis une erreur de droit dans son interprétation de la portée de l'exemption à la notion de dépense électorale prévue au premier paragraphe de l'article 453 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (La Loi) L.R.Q. c.e. 2.2.



LE CONTEXTE

[4] Les faits à l'origine du dépôt de l'accusation sont relativement simples et peuvent se résumer ainsi :

L'intimé fait parvenir au journal L'Information du Nord une lettre ouverte pour publication. Le 8 octobre 2005, date de la publication du journal, se situe en période électorale telle que décrétée par les autorités compétentes. Le directeur du journal accepte de publier ladite lettre et exige des frais de 172.54 $ pour la parution dans le journal. Le contenu de la lettre peut être considéré comme étant de nature à défavoriser directement ou indirectement l'élection d'un candidat ou celle des candidats d'un parti. L'intimé n'est ni un agent officiel d'un parti, ni un candidat, ni un intervenant particulier autorisé par la Loi. L'intimé n'a reçu de qui que ce soit paiement, promesse de paiement, ni récompense pour la rédaction de sa lettre ou pour faire en sorte que sa lettre soit publiée.



LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[5] Après avoir considéré les faits, le premier juge a considéré que l'écrit défavorisait l'équipe municipale en poste. Il mentionne aux paragraphes 19 et 20 de son jugement :

[19] Dans le présent cas, le contexte électoral est clair. On s'adresse aux futurs candidats qui veulent gouverner la ville. De plus, à la suite du texte, on peut lire l'adresse du site internet www..elections-ste-agathe.com.

[20] Le Tribunal est d'avis qu'un lecteur peut conclure qu'un citoyen est mécontent d'un traitement qu'il a subi par l'administration en poste. On décrit une situation de mauvaise gestion, de lenteur administrative extrême. Il est évident que cela va à l'encontre des intérêts de l'équipe en poste comme un tout en lui faisant une mauvaise presse.

[6] Après avoir conclu que l'écrit constitue, tant par sa facture que son essence une lettre aux lecteurs, elle aborde l'exemption prévue à l'article 453 paragraphe1 de la Loi. Il conclut que les termes « sans paiement, promesse de paiement ou de récompense doivent nécessairement référer non pas à celui qui demande la publication d'un écrit, mais au journal.

[7] Le premier juge mentionne au paragraphe 32 :

[32] Donc, ces termes ne peuvent pas s'appliquer au lecteur qui veut faire publier sa lettre. Ils doivent obligatoirement référer au journal qui publie cette lettre. En l'espèce, preuve est faite que le journal n'a fait aucun paiement à M. Piché, aucune promesse de paiement, ni récompense.



LA POSITION DES PARTIES

[8] Cette dernière conclusion de droit est fortement contestée par l'appelant puisque selon le Directeur cette interprétation est contraire à l'objectif poursuivi par le législateur.

[9] L'intimé pour sa part, se déclare satisfait de l'interprétation du premier juge et ajoute qu'il aurait également pu se prévaloir de l'exemption prévue au paragraphe 8 de l'article 453 de la Loi.

[10] Il ajoute que même si le Tribunal en venait à la conclusion que le premier juge a commis une erreur de droit sur l'interprétation de l'exemption, l'écrit en litige n'était pas défavorable à l'une ou l'autre des formations qui sollicitaient des postes électifs.



ANALYSE

[11] Le rôle d'une cour d'appel n'est pas de substituer son opinion à celle du premier juge sur une question de fait, à moins d'une erreur manifeste ou dominante.

[12] Le contenu de la lettre publiée dans le journal se lit ainsi :

MESSAGE À CEUX ET CELLES QUI VEULENT DIRIGER LA VILLE DE SAINTE-AGATHE-DES-MONTS

Dans la publicité électorale de l'équipe Paquette le slogan est «Présents pour des solutions d'avenir». J'aurais préféré des solutions pour le présent. Ainsi, j'aimerais tout simplement que l'on communique avec moi suite à mes appels téléphoniques à l'Hôtel de Ville.

J'attends depuis plus de 2 ans le bon vouloir des autorités municipales pour continuer à développer le Mt-Castor dans le respect de l'environnement et des lois. Tout ceci dans l'intérêt de tous. Je voudrais être traité en toute justice comme tout citoyen mérite de l'être. J'attends depuis 1 ½ (sic) que l'on répare un ponceau et la rue chez moi. Est-ce normal? À Ste-Agathe avons-nous la liberté d'exprimer notre divergence d'opinions avec le conseil sans être pénalisés et traités en citoyens de seconde zone?

Qui est en cause? Pourquoi toutes ces tracasseries inutiles et complications sans fin qui causent retards et torts et qui font perdre temps et argent. Pourquoi sommes-nous obligés de poursuivre notre ville pour obtenir justice? S.V.P. trouvez ce qui ne va pas! S'agit-il d'incompétence, de malhonnêteté, d'ignorance, d'abus de pouvoir, de minutie exagérée?? Qui est responsable pour toutes ces attentes à l'infini? Il faut corriger ces lacunes énormes, c'est urgent. Jamais de toute ma vie je n'ai eu autant d'empêchements et de difficultés à réaliser quelque chose. À celles et ceux de bonne foi, qui veulent diriger la ville, S.V.P. encouragez les gens. Aidez-les, au lieu de leur couper les ailes. J'aime ma ville et j'ai contribué à la développer et à la faire connaître à travers le monde. Son présent et son avenir me tiennent à coeur.

Guy Piché

Pour vos suggestions, appréciations, plaintes et critiques:

www.elections-ste-agathe.com

[13] Le Tribunal est d'accord avec les conclusions de fait du premier juge lorsqu'il mentionne au paragraphe 20 de sa décision :

[20] Le Tribunal est d'avis qu'un lecteur peut conclure qu'un citoyen est mécontent d'un traitement qu'il a subi par l'administration en poste. On décrit une situation de mauvaise gestion, de lenteur administrative extrême. Il est évident que cela va à l'encontre des intérêts de l'équipe en poste même si on ne précise aucun élu en particulier. On réfère plutôt à l'exécutif en poste comme un tout en lui faisant une mauvaise presse.

[14] L'appelant ne semble plus contester qu'il s'agit d'une lettre aux lecteurs, mais mentionne que pour bénéficier de l'exemption prévue à l'article 153, cette lettre doit être publiée gratuitement.

[15] Personne ne saurait contester l'importance des médias dans notre société ni l'efficacité de la publicité.

[16] Afin d'établir un principe d'égalité politique, le législateur provincial a décidé d'imposer une limitation des dépenses et du financement en période électorale.

[17] La Cour suprême du Canada, dans Libman c. Québec (procureur général)[1] reconnaît la justesse de ce principe :

« 41. Ainsi, l'objectif de la loi est d'abord égalitaire en ce qu'il vise à empêcher les éléments les plus fortunés de la société d'exercer une influence disproportionnée en dominant le débat référendaire par des moyens supérieurs. Il s'agit en quelque sorte d'une égalité de participation et d'influence entre les tenants de chaque option. En second lieu, du point de vue de ceux qui votent, le régime vise à permettre un choix éclairé en s'assurant que certaines positions ne soient pas enterrées par d'autres. Finalement, et de façon connexe, le régime vise à préserver la confiance de l'électorat dans un processus démocratique qu'il saura ne pas être dominé par la puissance de l'argent. »

[18] Dans Harper c. Canada (Procureur général)[2], la Cour suprême ajoute au paragraphe 106 :

« … La conclusion selon laquelle la publicité politique influence les électeurs est conforme à la logique et la raison. Les partis politiques, les candidats, les groupes d'intérêts et, du reste, les entreprises ne dépenseraient certainement pas des sommes considérables en publicité si celle-ci était inefficace. De fait, la publicité constitue le principal poste de dépense des candidats et des partis politiques. »

[19] C'est ainsi que le législateur définit ce qui constitue une dépense électorale, article 451 de la Loi sur les élections et référendums dans les municipalités :

Dépense électorale. 451. Est une dépense électorale le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour:

1o favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l'élection d'un candidat ou celle des candidats d'un parti;

2o diffuser ou combattre le programme ou la politique d'un candidat ou d'un parti;

3o approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti;

4o approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans.

[20] Il détermine quelles sont les personnes autorisées à effectuer de telles dépenses à l'article 455 de la Loi sur les élections et référendums dans les municipalités :

Personne autorisée. 455. Pendant la période électorale, seul l'agent officiel d'un parti ou d'un candidat indépendant autorisé ou, jusqu'à concurrence du montant fixé par l'agent officiel du parti en vertu de l'article 385, l'adjoint de celui-ci peut faire ou autoriser des dépenses électorales, sous réserve de l'article 456.

Adjoint. Toute dépense électorale faite ou autorisée par l'adjoint, jusqu'à concurrence du montant fixé, est réputée l'avoir été par l'agent officiel.

État des dépenses. L'adjoint doit fournir à l'agent officiel, au plus tard le soixantième jour suivant celui fixé pour le scrutin, un état détaillé des dépenses électorales qu'il a faites ou autorisées accompagné des factures, des reçus et des autres pièces justificatives.

Présomption. Le représentant officiel ou son délégué peut faire ou autoriser une dépense électorale prévue à l'article 452. Elle est réputée faite ou autorisée par l'agent officiel.

[21] Conscient que ces limitations peuvent avoir une incidence et parfois une incidence drastique sur le droit à la liberté d'expression, il crée une série d'exemptions à l'article 453 de la loi sur les élections et référendums dans les municipalités en spécifiant ce qui ne constitue pas au sens de la Loi une dépense électorale :

Restriction. 453. Ne sont pas des dépenses électorales:

1o les frais de publication, dans un journal, un périodique ou un autre imprimé, d'articles, d'éditoriaux, de nouvelles, de chroniques ou de lettres de lecteurs, à la condition que cette publication soit faite de la même façon et d'après les mêmes règles qu'en dehors de la période électorale, sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense, qu'il ne s'agisse pas d'un journal, d'un périodique ou d'un imprimé institué aux fins ou en vue de l'élection et que la distribution et la fréquence de publication soient établies de la même façon qu'en dehors de la période électorale;

2o les frais de diffusion par une station de radio ou de télévision d'une émission d'affaires publiques, de nouvelles ou de commentaires, à la condition que cette émission soit faite de la même façon et d'après les mêmes règles qu'en dehors de la période électorale, sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense;

3o les frais indispensables pour tenir une convention pour le choix d'un candidat, qui comprennent le coût de la location d'une salle, de la convocation des délégués et de la publicité pour les lieux de la convention, mais qui ne peuvent inclure le coût d'une autre forme de publicité ni excéder 2 250 $ dans le cas d'un candidat au poste de maire ou 750 $ dans le cas d'un candidat au poste de conseiller;

4o les frais de transport d'une autre personne qu'un candidat qui sont payés sur ses propres deniers et qui ne lui sont pas remboursés;

4.1o le coût des aliments et des boissons servis à l'occasion d'une activité à caractère politique lorsque ce coût est inclus dans le prix d'entrée déboursé parle participant;

5o les frais raisonnables engagés pour la publication de commentaires explicatifs de la présente loi, pourvu que ces commentaires soient strictement objectifs et ne contiennent aucune publicité de nature à favoriser ou à défavoriser directement un candidat ou un parti;

6o les frais raisonnables ordinairement engagés pour l'administration courante du bureau permanent du parti dont l'adresse est inscrite au registre du directeur général des élections depuis au moins trois mois avant la publication de l'avis d'élection;

7o les intérêts courus entre le début de la période électorale et le quatre-vingt-dixième jour qui suit celui fixé pour le scrutin sur tout prêt légalement consenti à un représentant officiel pour des dépenses électorales, à moins que l'agent officiel pour des dépenses électorales, à moins que l'agent officiel n'ait payé ces intérêts et ne les ait déclarés comme dépenses électorales dans son rapport de dépenses électorales;

8o les dépenses, dont le total pour toute la période électorale n'excède pas 200 $, faites ou engagées pour la tenue de réunions, y compris la location de la salle et la convocation des participants, pourvu que ces réunions ne soient pas organisées directement ou indirectement pour le compte d'un candidat ou d'un parti;

9o les dépenses de publicité, dont le total pour la période électorale n'excède pas 300 $, faites ou engagées par un intervenant particulier autorisé conformément à la section VIII.1 du présent chapitre pour, sans favoriser ni défavoriser directement un candidat ou un parti, soit faire connaître son opinion sur un sujet d'intérêt public ou obtenir un appui à une telle opinion, soit prôner l'abstention ou l'annulation du vote.

(Je souligne)

[22] Le paragraphe 1 de l'article 453 s'applique-t-il dans les circonstances à cette affaire ?

[23] Pour bénéficier de l'exemption à l'effet que les frais de publication dans le journal ne sont pas des dépenses électorales, l'intimé devait établir que :

v Sa lettre pouvait correspondre à une lettre aux lecteurs;

v Qu'elle était dédiée à être publiée dans un journal;

v Que la publication a été effectuée de la même façon et d'après les mêmes règles qu'en dehors de la période électorale;

v Qu'il n'y a pas eu de paiement, promesse de paiement ou de récompense;

v Que le journal en question n'a pas été institué en vue d'une élection;

v Que la distribution et la fréquence de la publication sont établies de la même façon qu'en dehors de la période électorale.

[24] Plusieurs de ces éléments ont été retenus comme faits prouvés par le premier juge et l'appelant ne les conteste pas vraiment.

[25] Le journal l'Information du Nord est un journal à tirage limité. La preuve a révélé que ce journal n'a pas été institué en vue d'une élection et que la fréquence de publication ou de distribution n'a pas été modifiée par la période électorale en cours.

[26] Il s'agit essentiellement d'un journal régional, à tirage limité, offert gratuitement aux résidents de la région. Une lecture de l'édition du samedi 8 octobre 2005[3] nous permet d'apprendre qu'outre la publicité omniprésente, on y retrouve principalement des articles concernant l'actualité régionale.

[27] Fait à signaler, il n'y a, du moins dans l'édition du 8 octobre 2005, ni page éditoriale, ni espace pour l'opinion des lecteurs.

[28] Dans son témoignage en première instance, Monsieur Gareau, directeur régional Hautes-Laurentides pour les publications mentionne :

Q. Pouvez-vous indiquer au Tribunal les circonstances dans lesquelles ce document a été préparé?

R. Alors, j'ai eu une demande de mon journaliste de Sainte-Agathe, monsieur Éric Busque, pour passer une lettre ouverte. C'était… bon, c'était pendant les élections, là.

On a… on reçoit beaucoup de… de lettres ouvertes, et on a décidé de que c'est nous qui choisissons puis… pour savoir combien qu'on va en passer.

Alors, quand on a une demande de quelqu'un qui veut passer une lettre ouverte à une date fixe, à un moment choisi par lui, on y demande de payer des frais de publication pour contrôler un peut le flot des… des lettres ouvertes.

Alors, j'ai suggéré à monsieur Busque de dire à monsieur Piché que c'était cent cinquante dollars (150 $). Il a approuvé.

Alors, j'ai fait le bon de commande de cent cinquante dollars (150 $).

Q. Quand vous avez parlé de – alors, je comprends – alors, comment qualifiez-vous le montant qui est là, cent cinquante dollars (150 $) plus taxes?

R. Bien, c'est un montant pour les frais de publication de …de la lettre et c'est calculé de façon à peu près … soixante pour cent (60%) du prix régulier.

Q. Qui a établi ce calcul, monsieur Gareau?

R. C'est moi.

Q. O.K. pouvez-vous dire à la Cour quel est le coût normal…

R. D'un … bon, d'un quart …

Q. … à l'époque?

R. …ça, c'est un quart de page. À l'époque, si ma mémoire est bonne, ça doit être deux cent … deux cent vingt (220), deux cent trente (230), là. Ça fait quand même … ça fait quand même deux … deux, trois ans, il y a eu des augmentations, là! Mais c'est à peu près ça, là.

Q. O.K. Alors, le montant de cent cinquante dollars (150 $), c'est vous qui l'établissez?

R. Oui.

Q. Pouvez-vous dire à la Cour s'il s'agit d'un montant qui est établi… est-ce que c'est un montant qui varie selon qu'on est en période électorale ou non?

R. Non non non, c'est… ça …ça n'a pas rapport. On a des … souvent des moments où… forts dans… dans l'actualité où on en reçoit plus, puis il faut quand même contrôler ça. Alors, non, c'est …. C'est le même montant.

Q. Que vous soyez en période électorale ou pas?

R. Oui oui oui.

(mes soulignés).

[29] Dans les faits, malgré le témoignage de M. Gareau, il s'agit de la seule lettre ouverte d'un lecteur dans cette édition du 8 octobre 2005.

[30] Il ressort clairement de son témoignage que les frais exigés le sont pour des frais de publication et non pas pour des frais de publicité.

[31] Dans sa décision, le premier juge, analysant les termes « sans paiement, promesse de paiement ou de récompense » énoncés au paragraphe premier de l'article 453 de la Loi, mentionne que ces termes réfèrent au journal et non au lecteur qui veut faire publier sa lettre[4] :

« [32] Donc, ces termes ne peuvent pas s'appliquer au lecteur qui veut faire publier sa lettre. Ils doivent obligatoirement référer au journal qui publie cette lettre. En l'espèce, preuve est faite que le journal n'a fait aucun paiement à M. Piché, aucune promesse de paiement, ni récompense. »

[32] Avec déférence, le Tribunal ne croit pas que l'interprétation à laquelle en vient le premier juge reflète l'intention du législateur.

[33] L'objectif de la Loi est d'assurer une égalité de moyens en période électorale afin de ne pas permettre aux mieux nantis d'envahir les espaces publicitaires dans le but de favoriser ou défavoriser un candidat ou une équipe qui sollicite un mandat.

[34] Les termes « sans paiement, promesse de paiement ou de récompense » doivent s'analyser en fonction de l'objectif poursuivi. Prise dans son ensemble, l'exemption ne peut avoir comme condition d'imposer au journal de n'effectuer aucun paiement.

[35] Le but de la Loi est de permettre la libre expression d'un éditorialiste, d'un journaliste ou d'un lecteur qui envoie une lettre pour publication dans un journal, pourvu que les conditions énumérées à l'article 453, paragraphe 1 soient respectées. Il en est de même au paragraphe 2 de l'article 453 qui édicte :

2o les frais de diffusion par une station de radio ou de télévision d'une émission d'affaires publiques, de nouvelles ou de commentaires, à la condition que cette émission soit faite de la même façon et d'après les mêmes règles qu'en dehors de la période électorale, sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense.

[36] Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis que l'interprétation donnée à ces termes par le juge de première instance constitue une erreur de droit.

[37] Il n'y a pas lieu cependant, d'ordonner un nouveau procès ou de retourner au juge de première instance.

[38] Malgré l'erreur de droit constatée, il est opportun de se pencher sur la preuve recueillie en première instance afin de déterminer s'il y a lieu d'intervenir dans la présente instance.

[39] Comme le juge de première instance a conclu que les éléments suivants ont été prouvés, il y a lieu d'examiner si l'exemption à l'article 453, paragraphe 1 peut s'appliquer dans les circonstances :

1o L'écrit en litige est une lettre aux lecteurs;

2o L'intimé en est l'auteur;

3o Il a fait parvenir cette lettre à un journal pour parution;

4o Le moment prévu pour la parution était en période électorale;

5o Le contenu de l'écrit est de nature à défavoriser un candidat;

6o L'éditeur du journal a requis des frais pour la publication de la lettre;

7o L'intimé a payé les frais requis.

[40] Il est donc acquis que la lettre ouverte envoyée pour publication par l'intimé entre dans la catégorie de lettre aux lecteurs. Il est également acquis que le journal n'a pas été créé en vue d'une élection et que sa distribution n'a pas été modifiée en vue d'une élection.

[41] Le fait que le directeur du journal exige des frais pour sa publication emporte-t-il automatiquement que l'exemption prévue au paragraphe premier de l'article 453 ne peut recevoir application ?

[42] La décision d'exiger des frais de publication relève des règles du commerce et ce n'est certes pas le but du législateur de restreindre les règles du commerce en période électorale. Si tel avait été le cas, il l'aurait mentionné clairement.

[43] Interpréter « sans paiement, promesse de paiement ou de récompense » comme signifiant qu'une lettre aux lecteurs soit publiée gratuitement comme le souhaite l'appelant, ne correspond pas non plus à l'intention du législateur.

[44] Ce qu'a choisi le législateur est de limiter les dépenses électorales et non pas d'imposer un bâillon à l'ensemble de la population.

[45] Ce sont les frais de publication dans un journal qui sont exemptés, pourvu que les conditions énumérées soient respectées.

[46] Dans la présente affaire, l'éditeur a accepté de publier la lettre ouverte suivant les mêmes conditions qu'en dehors de la période électorale :

Q. Pouvez-vous dire à la Cour s'il s'agit d'un montant qui est établi… est-ce que c'est un montant qui varie selon qu'on est en période électorale ou non?

R. Non non non, c'est … ça … ça n'a pas rapport. On a des … souvent des moments où … forts dans … dans l'actualité où on reçoit plus, puis il faut quand même contrôler ça. Alors, non, c'est … c'est le même montant.

Q. Que vous soyez en période électorale ou pas?

R. Oui oui oui.

[47] Il serait d'ailleurs inconvenant voir immoral et antidémocratique pour un éditeur, d'exiger des frais uniquement en période électorale pour la publication d'une lettre aux lecteurs.

[48] Il ressort donc clairement qu'ayant accepté de publier la lettre aux lecteurs, la seule dans l'édition du journal du 8 octobre 2005, le directeur a exigé des frais pour sa publication, frais moindres que pour une publicité. (Il faut rappeler qu'il s'agit d'un journal distribué gratuitement et qui fait ses frais avec la publicité qu'on y retrouve).

[49] Dans les circonstances, c'est le lecteur qui a assumé les frais de publication et non le journal.

[50] Il s'agit tout de même de « frais de publication » dans un journal.

[51] La preuve ne révèle pas d'autres paiements, promesses de paiements ou de récompense.

[52] Le législateur ayant exempté les frais de publication dans un journal de la lettre aux lecteurs publiée de la même façon et d'après les mêmes règles qu'en dehors de la période électorale, sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense par un journal qui n'a pas été institué en vue d'une élection, l'intimé avait le droit d'invoquer cette exemption dans le cadre de la poursuite intentée contre lui.

[53] Les frais de publication étant expressément exclus de la définition de dépenses électorales lorsqu'ils sont faits dans les conditions énumérées à l'article 453 paragraphe 1, l'intimé ne peut se voir reprocher d'avoir fait une dépense électorale.

[54] Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de se pencher sur l'autre moyen invoqué par l'intimé, que la somme réclamée par le journal pouvait bénéficier de l'exemption prévue au paragraphe 8 de l'article 453 de la Loi. De toute façon, selon le Tribunal, ce paragraphe ne semble pas recevoir d'application, compte tenu des circonstances de l'affaire.

[55] En conclusion, même si le Tribunal a constaté une erreur de droit, il n'y a pas lieu d'ordonner un nouveau procès, non plus que de substituer le verdict rendu. Comme la preuve ne révèle pas une dépense électorale faite en contravention avec la Loi, le Tribunal confirme le verdict de non-culpabilité rendu.



POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE l'appel;

LETOUT, sans frais.










__________________________________

ANDRÉ VINCENT, J.C.S.



Me Audrey Turmel

Procureure de l'appelant





Me Alfred Bélisle

Procureur de l'intimé



Me Manon Des Ormeaux

Procureure du Mis en cause



Date d’audience :
17 juillet 2009







--------------------------------------------------------------------------------

[1] [1977] 3 R.C.S. 569

[2] 2004 1 R.C.S. 827

[3] Pièce P-6

[4] Décision l'honorable Nathalie Duperron-Roy [25 juin 2008]