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Syndicat des inspecteurs c. Réseau de transport de la Capitale

no. de référence : 2009-6576

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

PROVINCE DE QUÉBEC

Code du travail, article 100 et ss

No de dépôt : 2009-6576

Date : 11 septembre 2009



______________________________________________________________________





SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
MARC POULIN



______________________________________________________________________



Syndicat des inspecteurs et des répartiteurs du Réseau de transport de la Capitale (FISA)



« le syndicat »



ET



Réseau de transport de la Capitale





« l’employeur »



Plaignant :
M. Jean Côté





Grief
no du syndicat :
2008-22





Nature : Transfert d’équipe - Période d’essai



Pour le syndicat : Mme Geneviève Marineau




Pour l'employeur : Me Karl Jessop



Date d’audience : 2 septembre 2009



______________________________________________________________________



SENTENCE ARBITRALE



Objection préliminaire

______________________________________________________________________



1) Le litige
[1] Il s’agit d’un grief déposé par M. Jean Côté, le 1er août 2008 (S-2). Il conteste la décision de l'employeur de mettre fin à sa période d’essai dans un poste d’inspecteur. Il réclame l’annulation de la réintégration dans son poste de répartiteur et la poursuite de sa période d’essai à titre d’inspecteur. Il réclame également 2 000,00$ à titre de dommages moraux, punitifs et exemplaires.

[2] Le 23 octobre 2009, le grief m’est déféré par le ministre du Travail pour enquête et décision. L’audience se tient dans les locaux de l'employeur, le 2 septembre 2009. Les parties reconnaissent que la procédure de règlement des griefs a été respectée et que tribunal est légalement constitué. Cependant, l'employeur conteste la recevabilité du grief et, conséquemment, la compétence de l'arbitre.

[3] Il est convenu que l'arbitre répondra d’abord à l’objection, d’où le caractère interlocutoire de la présente décision. Si cette objection est rejetée, les parties présenteront alors leur preuve sur le fond.

2) La preuve
[4] La preuve est essentiellement constituée d’éléments mentionnés dans le grief et que l'employeur ne conteste pas :

1. M. Jean Côté est un salarié à l'emploi du Réseau de transport de la Capitale depuis le mois de mars 1996 ;

2. En mars 1996, M. Côté était un chauffeur d'autobus ;

3. Depuis 2004, le nom de M. Côté apparaît sur la liste des suppléants à la répartition et il a accompli environ 1640 heures de suppléance à la répartition ;

4. Depuis 2005, le nom de M. Côté apparaît sur la liste des suppléants à l'inspection et il a accompli environ 1960 heures de suppléance à l'inspection ;

5. M. Côté est un employé régulier au sens de la convention collective et il détient un poste de répartiteur depuis le 3 août 2007 ;

6. Le 1er mars 2008, M. Côté obtient un poste d'inspecteur et devient un employé à l'essai au sens de la convention collective ;

7. M. Réjean Bédard, Chef de l'inspection, est le supérieur immédiat de M. Côté depuis qu'il occupe un poste d'inspecteur ;

8. Le 16 juillet 2008, M. Côté reçoit une correspondance signée par M. Réjean Bédard l'informant de son retour à ses fonctions de répartiteur :

« […] Depuis votre nomination, nous devons malheureusement noter que votre intégration à votre nouvelle équipe ne se fait pas de façon adéquate. En effet, votre attitude générale a fait en sorte de nuire à votre performance en tant qu'équipier, alors que la nature du travail d'inspecteur/contrôleur nécessite une grande collaboration entre les membres de l'équipe. Nous croyons aussi que cette attitude est nuisible pour la relation que vous devez établir avec les chauffeurs et même avec la clientèle.

Pour ces raisons, nous considérons que vous ne possédez pas les caractéristiques personnelles vous permettant d'accomplir adéquatement les fonctions d'inspecteur/contrôleur. En conséquence, nous vous informons que vous devrez retourner à vos fonctions de Répartiteur et ce, en date du 19 juillet 2008. »

9. Le 17 juillet 2008, M. Mario Laforest, trésorier du Syndicat des inspecteurs et des répartiteurs du Réseau de transport de la Capitale (FISA), s'adresse à M. Réjean Bédard pour prendre un rendez-vous avec ce dernier afin que M. Côté puisse, conformément à la convention collective, consulter son dossier pendant les heures régulières de bureau ;

10. Le 18 juillet 2008, à 10h00, M. Côté consulte son dossier aux ressources humaines. Il est accompagné d'un représentant du syndicat, M. Mario Laforest ;

11. Le 19 juillet 2008, M. Côté réintègre son poste de répartiteur au sein du Réseau de transport de la Capitale ;

12. Le Syndicat constate que le Réseau de transport de la Capitale, en réintégrant M. Côté dans ses fonctions de répartiteur, empêche un salarié de bénéficier de l'ensemble des droits et avantages conférés par la convention collective.

3) La convention collective

[5] Les dispositions pertinentes (et/ou invoquées par les parties) de la convention collective sont les suivantes (S-1) :

Article 1 But de la convention

1.01 Le but de cette convention est d'assurer le maintien et la promotion de relations ordonnées entre le RTC et ses employés et leurs représentants respectifs, dans le respect des lois, des droits et obligations des parties.

Il n'y aura ni contrainte, ni discrimination, ni harcèlement par le RTC, le syndicat ou leurs représentants respectifs envers un employé en raison de sa race, sa couleur, son sexe, son état de grossesse, son orientation sexuelle, son état civil, sa religion, ses convictions politiques, sa langue, son origine ethnique ou nationale, sa condition sociale, son âge ou du fait que l'employé est une personne handicapée ou en raison de l'exercice d'un droit que lui reconnaît la présente convention ou la loi.

Les inspecteurs, les répartiteurs, l'Employeur et le Syndicat s'engagent à promouvoir un environnement interne et externe exempt de toute forme de harcèlement, d'intimidation et de violence. Les parties se réfèrent à la politique de l'entreprise sur ce sujet.

Article 4 Définition des termes

4.03 L’expression « employé à l’essai » signifie et comprend tout employé qui n’a pas encore atteint le statut d’employé régulier après nomination à une fonction régie par les présentes.

Article 17 Ancienneté

17.01 Pour les fins d'application de cette entente, l'ancienneté signifie et comprend la durée totale en années, en mois et en jours de service pour le RTC de tout employé régi par les présentes. L'ancienneté de tout employé débute à compter de la date du premier (1er) jour de travail depuis sa dernière date d'embauche pour le compte du RTC ou à l'une ou l'autre des compagnies intégrées.

17.02 L'ancienneté de groupe signifie et comprend la durée totale en années, mois et jours de service au RTC à titre de répartiteur ou d'inspecteur.

17.03 L'ancienneté de groupe s'acquiert lorsqu'une personne, après nomination au poste de répartiteur ou d'inspecteur, a terminé une période d'essai de six (6) mois continu à ce poste et dans ce groupe. À la fin de cette période de probation, l'ancienneté de groupe rétroagit au premier (1er) jour de travail dans ledit poste après la nomination. L'employé qui revient à son ancienne fonction après avoir été promu à un poste non régi par la présente convention collective n'a aucune ancienneté de groupe, sous réserve des clauses 18.04 et 18.05.

L'employé cadre qui ne peut ou ne veut conserver son poste de cadre peut être intégré dans un poste couvert par le syndicat, devant tout suppléant. Son ancienneté de groupe s'établit à compter de sa première (1re) journée de travail suivant cette intégration.

17.04 À compter du 27 décembre 2003, l'inspecteur et le répartiteur suppléant accumulent de l'ancienneté sur la base des heures travaillées à l'une ou l'autre de ces fonctions. Cette ancienneté est distincte de celle des employés réguliers et est cumulée dans le groupe d'occupation où le travail est effectué.

17.05 La liste des employés, avec leur date d'ancienneté, est transmise au syndicat une fois par année, dans le mois de janvier. Toute demande de correction doit être faite dans un délai de trente (30) jours suivant la date d'envoi à le (sic) syndicat, après quoi la liste devient officielle.

17.06 Perte du droit d’ancienneté

L’employé régi par la présente perd ses droits d’ancienneté dans les cas suivants :

a) départ volontaire ;

b) congédiement pour cause ;

c) absence sans autorisation et sans raison valable pour une période excédant dix (10) jours ;

d) après une absence sans solde prolongée au-delà de la durée établie à 11.02.

Article 18 Promotion et transfert

18.03 L’employé promu ou transféré à une fonction régie ou non par la présente convention, continue d’accumuler son ancienneté à son ancienne fonction durant les six (6) premiers mois de sa nouvelle fonction. Dans le cas d’un transfert l’unité, sa progression dans l’échelle se poursuit de la même façon que s’il n’avait pas été transféré; son avancement d’échelon est accordé ou non en fonction du rendement fourni au poste qu’il a occupé pendant la majeure partie de l’année.

18.04 Si, au cours des six (6) premiers de sa nomination, le Directeur de l’Exploitation ou son représentant juge que l’employé ne peut pas remplir adéquatement la fonction, il est retourné à son ancienne fonction et la décision ne peut pas faire l’objet d’un grief.

Article 19 Procédure de règlement de griefs et procédure d’arbitrage

19.01 L'Employeur et le Syndicat conviennent de régler les griefs équitablement et le plus promptement possible.

19.02 a) Dans la présente convention, le terme «grief(s)» signifie toute mésentente relative aux conditions de travail prévues dans le présent contrat, à l'interprétation, à l'application ou à la violation de celui-ci.

Par «grief collectif», il faut entendre un grief impliquant plus d'un (1) employé mais ayant une cause commune.

b) L'employé assujetti à la présente convention qui se croit lésé par suite d'une prétendue violation, d'une interprétation erronée ou d'une mésentente relative au traitement et conditions de travail prévus dans cette convention, doit tenter, avant de soumettre son grief, de régler le problème avec son supérieur immédiat.

19.09 a) L'arbitre a juridiction pour appliquer, interpréter et faire observer toutes et chacune des dispositions de la présente convention et pour adjuger toute compensation qu'il jugera équitable.

b) Si l'arbitre conclut au paiement d'une somme d'argent, il peut ordonner le paiement d'un intérêt au taux fixé par règlement adopté en vertu de l'article 28 de la Loi du Ministère du Revenu (1972 chapitre 22) à compter du dépôt du grief.

19.10 La décision de l'arbitre est exécutoire et lie les parties. Elle doit être appliquée dans les dix (10) jours ouvrables de la communication aux parties.

Article 20 Mesures disciplinaires

20.01 Aucune mesure disciplinaire ne peut être imposée à un employé après trente (30) jours de l'incident qui en est la cause ou de la connaissance que l'Employeur en a eue.

20.02 Dans le cas où l'Employeur impose une mesure disciplinaire à un employé, celui-ci doit avoir l'occasion d'être entendu selon les modalités prévues à 20.03.


2.03 Lorsqu'un représentant de l'Employeur convoque un employé pour lui exposer les raisons d'une mesure disciplinaire qu'elle entend lui imposer, cet employé a droit à un préavis d'au moins vingt-quatre (24) heures, excluant les congés hebdomadaires et les jours fériés, avant l'heure fixée pour la rencontre; ce délai peut être modifié si les parties en conviennent.


Le préavis doit spécifier l'heure et l'endroit où il doit se présenter et la nature de l'infraction qui lui est reprochée. L'employé peut être accompagné par un représentant du Syndicat.

Le Syndicat est informé par écrit qu'un employé est convoqué pour mesures disciplinaires.

Dans le cas d'une réprimande écrite, les avis prévus au présent article sont communiqués verbalement à l'employé et au Syndicat.

20.04 Un employé dont l'horaire de travail coïncide avec les heures normales de bureau est convoqué durant ses heures de travail.

20.05 Dans le cas où l'Employeur impose une mesure disciplinaire, il convient de communiquer par écrit à l'employé concerné, avec copie au Syndicat, un avis donnant les motifs à l'appui.

20.06 Une suspension n'interrompt pas le service continu d'un employé.

La rémunération des vacances annuelles d'une personne ayant été suspendue sans traitement de son travail n'est pas réduite par la suspension.

Une personne suspendue sans traitement de son travail pour une période de cinq (5) jours et plus (4 jours et plus pour la personne faisant la semaine de 4 jours) assume ses contributions de même que les contributions de l'Employeur au régime d'assurance collective et au régime de retraite.

20.07 Toute mesure disciplinaire est retirée du dossier après une période de douze (12) mois travaillés, à la condition qu'il n'y ait pas eu d'autre infraction durant cette période. Une mesure disciplinaire qui est retirée du dossier d'un employé ne peut faire l'objet d'une référence lors de l'imposition de (sic) d'autres mesures disciplinaires.

20.08 L'Employeur n'impose aucune mesure disciplinaire à un employé impliqué dans un accident alors qu'il avait la responsabilité d'un véhicule de l'Employeur, tant que cet employé n'a pas été jugé responsable à l'enquête tenue à cet effet.

20.09 Dans le cas de mesures disciplinaires, le fardeau de la preuve incombe à l'employeur.



4) LES ARGUMENTS DES PARTIES

Par l'employeur

[6] L'employeur s’appuie essentiellement sur le paragraphe 18.04 de la convention collective pour conclure que l'arbitre n’a pas la compétence requise pour entendre et décider du grief de M. Côté. Car, ce paragraphe énonce clairement que la décision de mettre fin à une période d’essai ne peut pas faire l’objet d’un grief.

[7] Le procureur souligne en outre que la décision de l'employeur est purement administrative de sorte que la jurisprudence reconnaît encore moins au tribunal la compétence nécessaire pour décider du grief.

Par le syndicat

[8] De son côté, le syndicat reconnaît que le paragraphe 18.04 ne donne pas ouverture au grief sur la base du droit du plaignant. Mais, la procureure plaide que l'arbitre a le pouvoir d’examiner si l'employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire selon les exigences de la bonne foi et de façon non abusive, déraisonnable ou discriminatoire.

[9] Elle invoque les articles 6, 7 et 1375 du Code civil qui traitent de la bonne foi. Compte tenu de la jurisprudence, dit-elle, ces articles font partie implicitement de la convention collective.





4) ANALYSE ET DÉCISION

[10] Rappelons que M. Côté a obtenu un transfert de sa fonction de répartiteur à un poste d’inspecteur, le 1er mars 2008. Dans un tel cas, comme le prévoient les paragraphes 18.03 et 18.04 de la convention collective, il est soumis à une période d’essai de six (6) mois. Si au cours de ces six (6) mois, l'employeur décide de mettre fin à la période d’essai, le salarié visé ne peut pas contester cette décision par voie de grief (paragraphe 18.04).

[11] Dans notre cas, M. Côté a déposé un grief pour contester la décision de son supérieur immédiat prise dans des circonstances analogues à celles décrites ci-dessus. Sa procureure invoque les exigences de la bonne foi prescrites par le Code civil du Québec pour prétendre que l'arbitre a compétence pour décider du grief malgré le paragraphe 18.04.

[12] Dans des cas semblables, la jurisprudence diffère selon qu’on évalue la compétence de l'arbitre sous l’angle du droit d’un plaignant ou sous celui du pouvoir discrétionnaire de l'employeur. Il est clair que le paragraphe 18.04 prive le plaignant du droit de faire un grief pour contester la fin de sa période d’essai. Mais, il en est autrement lorsqu’il s’agit du pouvoir discrétionnaire de l'employeur. Il est établi par la jurisprudence et la doctrine qu’il doit exercer ce droit, comme tous ses autres droits discrétionnaires, de façon non arbitraire et sans abus de droit.

[13] Ainsi, dans notre cas, il s’agit donc de décider si je peux examiner si la décision de l'employeur est empreinte d’abus de pouvoir et contraire aux exigences de la bonne foi, malgré ce paragraphe 18.04. Autrement dit, est-ce que le procureur patronal a raison de contester ma compétence à cet égard.

[14] La Cour d‘appel a déjà statué, dans Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Jean-Guy Ménard[1], qu’il « faut dissocier la question de l’existence d’un droit des effets de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ». Autrement dit, au lieu d’examiner la compétence de l'arbitre sous l’angle de l’absence ou non de droit du plaignant, il faut l’examiner sous l’angle de l’exercice par l'employeur de son droit de gérance.

[15] Dans une décision récente soumise par le syndicat, l'arbitre Me Diane Veilleux s’exprime ainsi en ce qui concerne les exigences de la bonne foi dans les rapports collectifs entre les employeurs et les syndicats[2] :

Toutefois, l'un et l'autre de ces articles confèrent à l'Employeur une large discrétion lorsqu'il s'agit d'évaluer un candidat à la permanence pendant sa période d'essai, et cela est confirmé par la négation du droit au grief et à l'arbitrage. (Mon soulignement)

Dans le cas présent, le plaignant a été congédié alors qu'il était fonctionnaire temporaire en période d'essai. Selon l'article 6.03 a), son congédiement ne peut pas faire l'objet d'un grief ou d'un arbitrage que les motifs pour lesquels il a été congédié soient non disciplinaires ou qu'ils soient disciplinaires.

Cela dit, la discrétion qui est conférée à l'Employeur en vertu de l'article 6.03 a) est subordonnée à l'obligation de bonne foi prévue aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. qui se lisent comme suit :

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.

L'Employeur est tenu d'exercer son pouvoir de direction prévu à l'article 6.03 a) de la convention collective selon les exigences de la bonne foi. Celles-ci se rattachent implicitement à la convention collective puisqu'elles sont d'ordre public et compatibles avec le régime des rapports collectifs de travail. Dans l'arrêt Party Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O, la Cour suprême du Canada a décidé que «les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l'emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l'égard de laquelle l'arbitre a compétence.» (par.28) Or, la bonne foi est de toute évidence une obligation substantielle gouvernant les rapports entre les individus, notamment dans les relations de travail. Dans l'arrêt Isodore Garon ltée c. Tremblay, la Cour suprême du Canada a décidé qu'on ne pouvait pas rattacher implicitement à la convention collective une norme d'ordre public prévue au Code civil du Québec sans s'interroger au préalable sur la compatibilité de cette norme avec le régime des rapports collectifs du travail. En application du critère de compatibilité, la Cour suprême du Canada a finalement décidé que l'article 2091 C.c.Q. ne s'applique pas aux salariés syndiqués.

En ce qui concerne la bonne foi, la jurisprudence arbitrale reconnaît qu'il s'agit d'une norme d'ordre public et qu'elle est compatible avec le régime des rapports collectifs du travail. Cette obligation s'impose donc aux parties à la convention collective comme si elle y était nommée. (Mon soulignement)

Par conséquent, l'arbitre a compétence pour déterminer, dans le cas présent, si l'Employeur a exercé son pouvoir de congédier prévu à l'article 6.03a) de la convention collective conformément aux exigences de la bonne foi.

Pour ces motifs, l'objection préliminaire portant sur la compétence de l'arbitre est rejetée.

[16] La décision de Me Veilleux s’inscrit dans la foulée de la décision de la Cour d’appel citée ci-dessus :

[44] Reste donc à voir si les exigences de la bonne foi en matière contractuelle font partie, comme le soutiennent les appelants, du contenu obligatoire implicite de toute convention collective.

[45] Les appelants invoquent, à bon droit, les articles 3, 6 et 7 C.c.Q. Le devoir de toute personne d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi (art. 6) et de ne pas exercer ses droits d'une manière excessive et déraisonnable (art. 7) sont plus particulièrement en cause.

[46] Le ministre de la Justice écrit, au sujet de l'article 6, qu'il a «indirectement pour effet d'empêcher que l'exercice d'un droit ne soit détourné de sa fin sociale intrinsèque et des normes morales généralement reconnues dans notre société»: Commentaires du ministre de la Justice, Tome 1, Publications du Québec, 1993, p. 8.

[47] Il commente par ailleurs ainsi l'article 7 (idem):

Cet article consacre la théorie de l'abus de droit reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence et en précise la portée. Comme l'article 6, il introduit au code une règle reposant sur le respect des principes de justice et de valeurs morales et sociales dans l'exercice des droits en indiquant les deux axes de l'abus de droit: l'intention de nuire ou l'acte excessif et déraisonnable.

( ... ) Car l'abus n'est ni une simple erreur ni une négligence: il survient lorsqu'un droit, dont la licéité n'est pas mise en cause, dont l'exercice normal et pleinement légitime, est mis en œuvre d'une manière contraire aux exigences de la bonne foi. [la Cour souligne]

[48] L'auteure Brigitte Lefebvre aborde la question de savoir si la bonne foi est un principe d'ordre public dans son ouvrage La bonne foi dans la formation du contrat, Éditions Yvon Blais, 1998, pp. 58 et ss. Elle conclut affirmativement après avoir examiné les critères jurisprudentiels applicables à la qualification d'une norme comme étant d'ordre public. Elle tient compte notamment du fondement moral de l'exigence de la bonne foi et de la position privilégiée que le codificateur lui accorde au titre premier du code. Les articles 8 et 9, intégrés au même titre que les précédents, énoncent en outre qu'on ne peut renoncer ni déroger aux règles d'ordre public.

[49] À mon avis, l'exigence de la bonne foi participe de l'ordre public dans le contexte du contrat de travail.

[50] Le droit du travail reconnaît à l'employé le droit d'être traité équitablement par son employeur: Cabiakman c. Industrielle Alliance Cie d'assurance sur la Vie, [2004] 3 R.C.S. 195 ; McKinley c. B.C. Tel, [2001] 2 R.C.S. 161 ; Wallace c. United Grain Growers Ltd, [1997] 3 R.C.S. 701 ; Université Laval c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l'Université Laval, [1999] J.Q. no 4360 (C.A.). Cela vaut tant pour l'employé qui bénéficie d'une permanence d'emploi que pour celui qui y aspire.

[51] En droit civil, l'obligation d'agir conformément aux exigences de la bonne foi à toute étape d'un contrat individuel de travail est codifiée (art. 1375 C.c.Q.). Il y a abus de droit lorsque l'employeur exerce son droit de mettre fin à l'emploi de mauvaise foi, de façon malicieuse ou déraisonnable: Sauvé c. Banque Laurentienne du Canada, [1999] R.J.Q. 79 (C.A.).

[52] Le non-renouvellement d'un contrat d'engagement à durée déterminée peut également, dans certaines circonstances, constituer un abus de droit: Morin c. Langlois, J.E. 2001-1980 (C.S.), appel rejeté J.E. 2004-662 (C.A.).

[53] Il serait, au surplus, intenable d'accepter qu'une partie puisse renoncer à l'avance au respect par son cocontractant de l'exigence de la bonne foi. On dénaturerait le contrat de travail.

[54] Enfin, n'oublions pas que le reproche formulé par les appelants à l'endroit de la Commission scolaire découle de l'exercice par elle d'un droit qui lui est expressément conféré par la convention collective.

[55] Ainsi, je suis d'avis qu'en l'espèce, l'employeur avait l'obligation d'agir conformément aux exigences de la bonne foi lorsqu'il a décidé de ne pas inscrire le nom de l'appelante sur la liste de priorité d'emploi et que cette obligation découle du contenu obligatoire implicite de la convention collective liant les parties. L'arbitre avait, en conséquence, compétence pour se saisir des griefs des appelants et les trancher au fond.

[17] La décision de la Cour d’appel est claire. L’obligation faite à un employeur de se comporter de bonne foi dans l’exercice de ses droits de gérance fait partie implicitement du contrat de travail.

[18] À l’appui de son argumentation, l'employeur a soumis une décision rendue par l'arbitre Me Rodrigue Blouin[3]. Dans ce cas, une nouvelle employée avait été congédiée avant la fin de sa période d’essai. La convention collective prévoyait expressément qu’elle n’avait pas droit de faire un grief pour contester cette décision. Néanmoins, le syndicat invoquait un vice grave de procédure pour justifier la recevabilité du grief.

[19] L'arbitre a accueilli l’objection préliminaire de l'employeur relative à sa juridiction parce que le syndicat contestait le pouvoir discrétionnaire de l'employeur. Cependant, il indique qu’il aurait décidé autrement si le syndicat avait invoqué le caractère abusif discriminatoire et déraisonnable de la décision de l'employeur :

[…] Par conséquent, ce serait faire obstacle à la volonté commune et explicite des parties à la convention collective de permettre au salarié de contester son renvoi au motif que son grief se fonde sur une violation alléguée de la procédure. […]

Conjuguant ces deux motivations, force nous est de conclure que le salarié à l’essai renvoyé en période de probation n’a pas accès à la procédure d’arbitrage de grief pour contester le bien-fondé du grief. En d’autres termes, un renvoi en cours de la période de probation place l'employeur à l’abri du contrôle arbitral, du moins en principe. (Mon soulignement)

En réalité, un salarié à l’essai peut formuler un grief lorsqu’il ne met pas en cause le pouvoir discrétionnaire de l'employeur de le renvoyer durant la période de probation, mais plutôt le fait que le renvoi est nul ab initio en raison de son caractère abusif, discriminatoire ou foncièrement déraisonnable. (Mon soulignement)

Le fardeau de preuve appartient alors au syndicat. Il y a décision abusive notamment lorsque l'employeur agit de mauvaise foi, de façon malicieuse, pour nuire. […] Il y a décision foncièrement déraisonnable lorsque l'employeur s’autorise de faits qui, même s’ils sont prouvés, ne pourraient amener un gestionnaire compétent qui agit avec bon sens et dans le respect du droit et de l’équité à retenir quelque mesure administrative ou disciplinaire en semblables circonstances, fut-elle la plus minime.

[20] Dans notre cas, le syndicat ne conteste pas le droit discrétionnaire de l'employeur de mettre fin à la période essai de M. Côté. Au contraire, il lui reconnaît ce pouvoir. Il prétend seulement que l’exercice de ce pouvoir est sujet au contrôle arbitral en regard du respect des exigences de la bonne foi.

[21] À la lumière de cette jurisprudence, je conclus que je possède la compétence nécessaire pour examiner si la décision de l'employeur de mettre fin à période d’essai de M. Côté est empreinte de mauvaise foi, d’abus de pourvoir ou de discrimination.

[22] Ainsi, les parties seront convoquées pour présenter leur preuve relative aux circonstances dans lesquelles l'employeur a décidé de mettre fin à la période d’essai de M. Côté et de le réintégrer dans son poste de répartiteur.







POUR CES MOTIFS je, soussigné,

REJETTE l’objection de l'employeur;

DÉCLARE avoir juridiction pour entendre et décider du grief de M. Côté. Par conséquent, les parties seront convoquées pour présenter leur preuve sur son bien-fondé.



Marc Poulin, arbitre



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[1] Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Jean-Guy Ménard, Cour d’Appel, 29 avril 2005, no 200-09-004721-046.

[2] Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) et Ville de Montréal, 20 janvier 2009 ( AZ-50536376 ).

[3] Syndicat des employés du transport public du Québec métropolitain inc. (CSN) et Société de transport de la communauté urbaine de Québec, 19 mars 1999, (AZ99142049).