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Haralambos Avgenikos c. Ville de Laval

no. de référence : 2009 QCCRT 0328

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

Dossier :
100130

Cas :
CM-2009-2070

Référence :
2009 QCCRT 0328

Montréal, le
28 juillet 2009

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DEVANT LE COMMISSAIRE :
Alain Turcotte, juge administratif

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Haralambos Avgenikos



Plaignant

c.



Ville de Laval



Intimée





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DÉCISION

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[1] Le 26 mars 2009, la Ville de Laval (la Ville) avise Haralambos Avgenikos (le plaignant) que l’évaluation de son rendement faite par son supérieur immédiat est négative et qu’en conséquence, elle met fin à son emploi de superviseur des travaux publics. Le 17 avril 2009, il dépose une plainte en vertu de l’article 72 de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., c. C-19 (la LCV).

[2] La Ville explique que le plaignant était en période d’essai pendant un an. Les évaluations négatives de son supérieur immédiat ont fait en sorte que l’on a préféré mettre fin à son emploi avant qu’il n’acquière la permanence.

les faits
les contrats à titre de surnuméraire-surcroît
[3] Le plaignant est d’abord embauché par la Ville comme superviseur, travaux publics, au Service des travaux publics, sous-programme entretien de la voirie, pour une période de vingt semaines à compter du 5 novembre 2007. Le plaignant est alors responsable de l’équipe de nuit, pour le secteur 6 de la Ville (Vimont-Auteuil) pendant l’hiver. Les travaux supervisés sont principalement le déneigement, l’entretien de l’asphaltage des rues et les travaux sur le réseau d’aqueduc. À l’époque, son superviseur immédiat est Jean-Marc Nadon.

[4] Selon le plaignant, l’expérience s’avère heureuse, car il reçoit les félicitations de son superviseur. D’ailleurs, l’évaluation de la période novembre 2007 – mars 2008 faite par Jean-Marc Nadon est positive. Elle porte sur la qualité du travail, la vitesse d’exécution, les relations interpersonnelles, la motivation, l’initiative et l’assiduité. Cette évaluation conclut que le plaignant remplit les attentes de la Ville concernant l’exécution des tâches et qu’il peut donc poursuivre son assignation ou être réembauché dans le même titre d’emploi.

[5] Jean-Marc Nadon note que le plaignant est un « bon travaillant », qu’il a une bonne relation avec les autres et qu’il se sert de son expérience. Il mentionne, cependant, que le plaignant est « chialeux », mais que cela reste dans les bornes du raisonnable. Il termine son évaluation par la mention suivante : « Travaillant de nuit, dur à faire une évaluation et je l’ai eu 1 mois en 2007 et 1 mois en 2008, pas assez longtemps pour faire une évaluation convenable. » Jean-Marc Nadon explique à l’audience qu’il a été malade lors de cette période et qu’il travaillait lui-même de jour. Il a donc évalué ce qu’il a pu constater.

[6] Le plaignant affirme également que le surintendant - Voie publique au Service des travaux publics, Martin Savard, est très satisfait de lui et le considère comme un candidat avec beaucoup de potentiel. Ce dernier lui offre un renouvellement de contrat pour une période de quinze semaines à compter du 24 mars 2008 pour le secteur 3 (Chomedey). En fait, malgré la mention de ce secteur, il sera plutôt assigné au secteur 1 (Duvernay, Saint-François, Saint-Vincent-de-Paul) pour être chef d’équipe de l’équipe de la fin de semaine (du vendredi au dimanche, de 7 heures à 19 heures).

[7] Le plaignant a à peine le temps de commencer son nouveau mandat qu’un poste de superviseur travaux publics permanent s’ouvre en mai. Le plaignant passe l’entrevue avec succès et obtient le poste. Le 28 mai 2008, le comité exécutif de la Ville adopte la résolution suivante à l’unanimité :

Que M. Haralambos Avgenikos soit et, par la présente, est engagé en permanence, avec période d’essai de douze (12) mois, au poste de superviseur au Service des travaux publics, secteur 1, sous programme entretien de la voirie, et ce, au salaire apparaissant au rapport du Service des ressources humaines daté du 20 mai 2008.

[8] Le plaignant dirige une équipe de huit cols bleus ainsi que quatre salariés du Centre de la nature.

la période d’essai du poste permanent
[9] Le supérieur immédiat du plaignant au secteur 1 est le superviseur-chef, travaux publics pour ce secteur, Sylvain Vaillancourt, qui occupe ce poste depuis trois ans et qui agit à titre de superviseur-chef depuis cinq ans. Il était auparavant dans le domaine de la foresterie de la Ville. Le superviseur-chef d’un secteur doit s’assurer du bon déroulement des travaux dans son secteur : entretien des parcs, travaux de voirie, d’aqueducs et d’égouts, déneigement et ainsi de suite. Il travaille surtout avec son équipe de superviseurs de premier niveau.

L’évaluation du 1er décembre 2008
[10] Après une période de six mois, de juin à novembre, Sylvain Vaillancourt fait une première évaluation du travail du plaignant dans son poste. L’appréciation globale est que ce dernier ne remplit que partiellement les attentes reliées à la bonne exécution des tâches de la fonction et que des efforts devront être investis pour améliorer la situation.

[11] Sylvain Vaillancourt estime que le plaignant a des difficultés à assimiler la bonne façon de travailler, par exemple, la manière de remplir les bons de travail ou les cartes de temps. La qualité du travail laisse à désirer puisque le plaignant travaille rapidement « en coupant les coins ronds » dans la rédaction de ses rapports. En ce qui concerne les relations avec les salariés sous sa supervision et ses collègues, Sylvain Vaillancourt est très critique, estimant que l’attitude hautaine du plaignant le place à l’écart. Finalement, il estime qu’il pourrait y avoir une nette amélioration dans la motivation.

[12] À l’audience, Sylvain Vaillancourt explique que, bien souvent, le plaignant ne prend pas la peine d’aller sur place pour faire une évaluation précise des travaux à faire. À plusieurs reprises, il se contente de laisser le problème dans son entier à l’équipe de la semaine, sans constituer un dossier complet (par exemple, l’existence de servitudes ou autres caractéristiques). Le plaignant, dit-il, a de la difficulté à s’entendre avec les cols bleus sous sa direction.

[13] Bref, ce dernier n’obtient tout juste que la note de passage. Pour Sylvain Vaillancourt, le plaignant a un mois pour replacer les choses et il lui dit que s’il n’y a pas d’améliorations, il devra en référer à son supérieur, Martin Savard, et que la Ville mettra fin à sa période d’essai.

[14] Sylvain Vaillancourt donne quelques exemples de cas qu’il a relevés afin d’appuyer son évaluation.

Un problème de fuite d’eau
[15] Le dimanche 8 juin 2008, le plaignant reçoit un appel du service 311 de la Ville, selon lequel il y aurait une fuite d’eau devant un édifice du boulevard Laval. Le plaignant se rend sur place pour constater les dégâts. Il envoie un courriel au responsable du secteur 2 pour lui dire que la fuite se draine bien et que la réparation peut attendre au lundi matin. Or, le superviseur de la semaine constate à son arrivée que la surface du boulevard est minée et qu’il n’y a qu’un simple petit cône pour signaler le trou qui s’est formé. Une citoyenne se plaint de la situation et ce boulevard très fréquenté, notamment par un circuit d’autobus, devra être fermé pour la réparation. Il y a donc eu manque de jugement de la part du plaignant, car il y aurait pu y avoir un accident.

[16] On note que cet incident n’est consigné formellement dans un rapport d’événement que le 20 janvier 2009. En contre-interrogatoire, Sylvain Vaillancourt explique qu’il en a parlé au plaignant lors de l’événement, mais qu’il a rédigé un rapport parce qu’il y avait répétition de ce genre d’événements.

[17] De son côté, le plaignant précise qu’il a appelé le responsable du secteur 2 en plus de lui écrire un courriel. À ce moment, la situation était sous contrôle et le plaignant a placé lui-même le cône de signalisation. Il concède toutefois qu’il aurait dû baisser la pression de l’eau par mesure de précaution.

Le contact d’un sous-traitant
[18] Sylvain Vaillancourt a déjà donné la consigne au plaignant que, lors des cas d’urgence la fin de semaine, il doit s’en tenir à une liste précise de sous-traitants spécialisés contenue dans son livre de numéros de téléphone d’urgence. Ainsi, en ce qui concerne le creusage pneumatique, il doit appeler la firme Aqua-Rehab. Le 8 août 2008, malgré cette consigne, le plaignant contacte une autre firme, geste qu’il répète le 28 août suivant.

[19] Le plaignant se défend en disant que le sous-traitant qu’il a appelé était sur la liste générale de la Ville. Il ne se souvient, cependant, que d’un seul avis. Cet incident n’est également consigné formellement que le 20 janvier 2009.

la position du plaignant sur l’évaluation du 1er décembre 2008
[20] Le plaignant n’est pas d’accord avec cette évaluation. Il déclare qu’à son arrivée dans ce poste, le surintendant Martin Savard et Sylvain Vaillancourt lui confient le mandat de mettre de l’ordre dans l’équipe de fin de semaine où se retrouvent certains « fauteurs de troubles ». Il y a trop d’heures supplémentaires et l’équipe doit être plus polyvalente. En effet, pendant les fins de semaine, l’équipe dirigée par le plaignant couvre tout le territoire de la Ville pour les urgences et les cols bleus ne peuvent se limiter aux seuls travaux d’aqueduc.

[21] Le plaignant a de la difficulté à comprendre cette évaluation parce qu’il a travaillé de la même manière que lors de sa première embauche, travail qui lui avait valu les félicitations de ses supérieurs. Il estime avoir travaillé dans le sens du mandat qu’il a reçu. Ainsi, il considère que Sylvain Vaillancourt est pointilleux pour ce qui est des feuilles de temps où des informations se répètent. Son patron n’est pas satisfait parce qu’il manque, à l’occasion, une information qui se trouve déjà ailleurs dans le formulaire.

[22] Pour ce qui est des relations interpersonnelles avec les cols bleus, le plaignant affirme que ceux-ci ne partagent pas le mandat qu’il a reçu. Ces derniers ne sont intéressés qu’à faire des travaux d’aqueduc pendant leurs heures de travail et veulent obtenir des heures supplémentaires pour faire les autres travaux qu’il leur demande comme arroser les fleurs de la Ville pendant leur quart de travail. Le plaignant déplore ne pas avoir été appuyé par ses supérieurs. C’est ainsi qu’il apprend, par hasard, que Sylvain Vaillancourt rencontre des cols bleus de son équipe hors de sa présence. Ce dernier lui réplique constamment « Choisis tes batailles » lorsqu’il veut un appui.

[23] Le plaignant donne deux exemples pour expliquer ses contacts avec son supérieur. Un samedi matin de novembre, il doit changer une borne-fontaine située devant la polyvalente Vanier. Malgré la préparation et la réservation de deux salariés pour les travaux, il prend la précaution de vérifier auprès des autorités de la polyvalente pour apprendre que, le jour prévu pour les travaux, il y aura des activités à la piscine, auxquelles assistera le maire de la Ville. Il est dans l’obligation d’annuler ces travaux pour se faire dire par Sylvain Vaillancourt qu’il doit trouver du travail pour ces deux salariés.

[24] À une autre occasion, Sylvain Vaillancourt lui demande de faire déneiger un pont dans l’est de la Ville. Le plaignant vérifie malgré tout auprès de son collègue du secteur concerné pour se faire dire qu’il n’y a pas de matériel sur place. S’il n’avait pas procédé à cette vérification, il aurait ainsi envoyé des salariés inutilement dans cette section de la Ville. Ce genre de situations contraste grandement avec ce qu’il a vécu avec Jean-Marc Nadon dont les directives étaient fort claires.

[25] Le plaignant croit que sa performance était bonne dans l’ensemble. Par exemple, à l’automne 2008, la Ville l’a inscrit au cours P-6B portant sur la salubrité de l’eau et défrayé les coûts de cette formation. Ce cours est requis par la réglementation québécoise pour les personnes qui sont responsables des travaux d’aqueduc. C’est donc dire qu’on « investissait » en lui pour l’avenir.

[26] Malgré son désaccord avec cette évaluation, le plaignant déclare qu’il a fait son autocritique de bonne foi. Il décide de faire encore plus d’efforts pour donner satisfaction. Il accepte donc de signer l’évaluation et les deux parties conviennent de se revoir environ un mois plus tard.

l’évaluation de janvier 2009
[27] Cette deuxième évaluation sera faite le 20 janvier 2009. Celle-ci est insatisfaisante. Il y a quelques améliorations du point de vue des relations interpersonnelles, mais Sylvain Vaillancourt estime que le plaignant tombe dans l’excès inverse : il accepte maintenant toutes les demandes des cols bleus. Le travail est un peu mieux, mais le plaignant paraît déléguer beaucoup au superviseur temporaire qui l’assiste. Il y a toujours des lacunes dans la tenue du livre de bord.

[28] Du côté initiative, il y a régression; le plaignant le consulte sans cesse ou encore envoie les cols bleus sur les lieux d’incidents sans vérifier lui-même la nature du problème. Sylvain Vaillancourt explique que les fins de semaine, les six superviseurs de secteur se partagent, à tour de rôle, la tâche d’être de garde pour appuyer le superviseur de la fin de semaine. Malgré cette rotation, le plaignant persiste à l’appeler à quelques reprises chaque jour pour obtenir des instructions. Il semble donc incapable de prendre des décisions ou des initiatives. Par opposition, la situation est tout autre aujourd’hui alors que Sylvain Vaillancourt doit appeler le successeur du plaignant pour demander si tout va bien puisque celui-ci ne le dérange jamais.

[29] Globalement, le plaignant n’obtient même pas la note de passage. Sylvain Vaillancourt lui dit qu’il ne le recommandera pas pour la permanence.

[30] À l’audience, Sylvain Vaillancourt donne des exemples de rapports d’événements qu’il a faits pour cette période.

Le déneigement d’un secteur
[31] Le 10 janvier, Sylvain Vaillancourt demande à deux reprises au plaignant de s’assurer que le parcours qu’il doit faire exécuter pendant la nuit soit déneigé au complet sur un côté des rues de tout le secteur avant de le faire des deux côtés. Or, le plaignant n’écoute pas ces directives puisque quatre rues sont déneigées des deux côtés et quatre rues ne sont pas déneigées du tout, ce qui provoque des plaintes de la part des citoyens concernés.

[32] Le plaignant nie avoir reçu une telle consigne. Ce soir-là l’équipement est arrivé en retard d’une heure. Le secteur en question comporte beaucoup d’impasses qui rendent les manœuvres difficiles et il avait à sa disposition des gros camions ayant besoin de plus d’espace. C’est pourquoi il a jugé préférable de faire déblayer les rues de deux côtés afin de faciliter le travail.

Un problème de tarification du déneigement
[33] Le 12 janvier, il faut procéder au déneigement dans le parc industriel de la Ville. Normalement, la neige est soufflée sur les terrains des immeubles. Sylvain Vaillancourt demande au plaignant de relever les adresses où il n’y a pas de place sur les terrains parce que dans ce cas, les propriétaires doivent acquitter un tarif, car la Ville doit alors utiliser des camions. Le plaignant demande à l’un de ses cols bleus de faire ce travail, celui-ci refuse de prendre cette responsabilité et prévient Sylvain Vaillancourt. Ce dernier doit rappeler au plaignant qu’il ne peut déléguer cette responsabilité à ses employés.

[34] Le plaignant plaide sa bonne foi. Le col bleu à qui il a demandé de faire le travail lui a souvent dit qu’il voulait être superviseur un jour. Sans vouloir lui faire exécuter son propre travail, le plaignant estimait que c’était une bonne occasion de lui donner un type de travail du superviseur. Dès qu’il a été avisé par son supérieur immédiat, il a fait lui-même le relevé des adresses sans causer de problèmes.

Un problème de refoulement d’égout
[35] Vers 16 heures 40, le 19 janvier, on signale un refoulement d’égout chez un citoyen. Le plaignant travaille de nuit ce jour-là (de 16 heures 30 à 1 heure 30). Le superviseur de jour explique au plaignant qu’il doit se rendre chez le citoyen vérifier le problème par rapport au système d’évacuation municipal. Or, le plaignant appelle chez ce citoyen et estime que le problème peut attendre au lendemain. Vers 20 heures 15, on signale un autre refoulement d’égout dans la même rue.

[36] Le lendemain à 6 heures 30, Sylvain Vaillancourt reçoit un appel de ce deuxième citoyen. Celui-ci est une personne âgée qui est en pleurs. En effet, il a passé la nuit à écoper l’eau de son sous-sol parce que le plaignant lui a dit au téléphone qu’il n’avait pas le personnel spécialisé requis pendant la nuit et qu’il devrait appeler le lendemain. En fait, si le plaignant avait pris la peine de vérifier sur place, il aurait constaté que la conduite principale était bloquée et il aurait pu faire venir les services d’urgence. Sylvain Vaillancourt signale dans son rapport d’événement rédigé le même jour, qu’au moins cinq citoyens ont eu des problèmes de refoulement d’égout et que d’autres plaintes ont été déposées au service téléphonique de la Ville.

[37] Le plaignant rétorque que ce soir-là, il neigeait et il y avait différents problèmes dans la Ville. Le superviseur de jour est arrivé avec le camion de la Ville vers 18 h 45. Celui-ci lui a dit de valider la situation avec les cols bleus avant d’appeler les services d’urgence. Le plaignant a donc choisi d’attendre l’arrivée de ceux-ci à 19 h 30. Entre-temps, il a parlé au premier citoyen ainsi qu’au plombier de celui-ci; les deux lui ont déclaré que le tout pouvait attendre.

[38] Le plaignant s’est donc occupé des urgences : deux fuites d’eau dont l’une à l’autre bout de la ville et le déneigement des rues, puis l’épandage d’abrasifs. Lors de l’appel du deuxième citoyen, le plaignant a communiqué avec lui et celui-ci était d’accord pour attendre au lendemain. Il lui a même laissé son numéro de téléphone cellulaire en cas d’aggravation de la situation. Il n’a reçu aucun appel pendant la nuit, ce qui lui a permis de faire réparer les fuites d’eau pendant le quart de travail des cols bleus et ainsi éviter les heures supplémentaires. Le plaignant affirme donc qu’il s’agissait d’une question de priorité : deux semaines plus tard, une situation semblable s’est présentée, sauf qu’il ne neigeait pas. Il a donc pu envoyer une équipe faire la réparation.

la position du plaignant sur l’évaluation du 21 janvier 2009
[39] Comme il le mentionne dans sa réplique aux exemples donnés par son supérieur, le plaignant a été confronté à plusieurs situations hors de son contrôle. Cependant, il n’a pas vu ces rapports d’événements avant l’audience. En ce qui concerne le travail, son superviseur lui demande de remplir les bons de travail alors que pendant le quart de jour, ce sont les cols bleus qui le font. Les remarques qu’a faites Sylvain Vaillancourt lors de la première évaluation font en sorte qu’il ne sait plus sur quel pied danser, ce qui a provoqué la hausse des consultations.

[40] Le manque d’appui de la part de son supérieur continue. Le 14 janvier, il signale à son supérieur que des cols bleus ont contesté l’autorité des superviseurs sur les ondes du système de communications interne de la Ville. Il n’y a pas d’intervention notable.

[41] Cette fois-ci, le plaignant refuse de signer l’évaluation qu’il trouve injustifiée. Sylvain Vaillancourt note dans la section « Commentaires » qui porte sur l’appréciation de l’employé évalué : «Trouve que je suis dur avec lui ».

RÉPLIQUE DE SYLVAIN VAILLANCOURT

[42] À l’audience, Sylvain Vaillancourt tient à corriger certaines affirmations du plaignant. Il travaille lui-même du lundi au jeudi et commence très tôt le matin. En raison de cet horaire, il doit souvent traiter des cas de cols bleus, par exemple des problèmes d’assiduité ou d’absentéisme, avec ceux-ci. Il ne s’agit nullement de discuter du travail du plaignant dans son dos.



[43] Sylvain Vaillancourt cite une occasion où il reconnaît qu’il a été fautif. Il a, en effet, écouté un col bleu en colère contre le plaignant alors qu’il aurait dû prévenir ce dernier pour que les explications se fassent entre les deux. Par contre, il mentionne également qu’il pouvait recevoir des informations de cols bleus, par exemple, que le plaignant n’était pas présent «sur le terrain », informations qui faisaient partie de ses discussions avec le plaignant.

[44] En ce qui concerne l’appui au plaignant, Sylvain Vaillancourt explique qu’il veut que le climat de travail soit positif dans son secteur. Un superviseur comme le plaignant doit tenir compte de la convention collective qui prescrit que le travail se donne par ancienneté et qu’un col bleu n’est pas obligé de faire des heures supplémentaires. Il faut donc procéder avec une certaine précaution, par «consultation ». Par son attitude autoritaire, le plaignant se mettait ses employés à dos. Sylvain Vaillancourt devait donc lui dire de façon imagée que s’il allume un feu, il doit l’éteindre. Pour ce qui est des cas de refus de travailler de certains cols bleus allégués par le plaignant, il lui a dit qu’il devait alors faire des rapports formels d’insubordination. Somme toute, le plaignant ne pouvait tout faire en même temps : il devait choisir ses batailles comme il le lui a dit.

LA SUITE DES ÉVÉNEMENTS

[45] Depuis l’évaluation de décembre, Sylvain Vaillancourt «menace » le plaignant et son adjoint, qui est surnuméraire, qu’au printemps, ils n’auront plus d’emploi. Le plaignant demande à Martin Savard d’intervenir, mais celui-ci lui répond qu’il a les mains liées et qu’il doit suivre l’évaluation de son supérieur immédiat. De son côté, Sylvain Vaillancourt donne un dernier exemple qui démontre que le plaignant ne s’est pas amélioré.

[46] Depuis le 6 mars, il faut réparer temporairement des nids-de-poule dans la bretelle d’accès de l’autoroute 25. À cause de la pluie, cela est impossible à faire dans la journée et la tâche est laissée au plaignant pour la nuit. Or, les cols bleus prétendent qu’il y a trop de circulation pour faire les réparations et le plaignant cède. Rien n’est fait, pas même une signalisation adéquate. Le lendemain, les plaintes s’accumulent : crevaisons et enjoliveurs de roues perdus.

[47] Encore ici, le plaignant diverge d’opinion. Il avait bien reçu la demande de réparer les nids-de-poule, mais dans la nuit il s’est mis à pleuvoir de nouveau, ce qui rendait le travail impossible. Il a annulé le travail et appelé les policiers pour qu’ils apportent de la signalisation. Le lendemain, il a signalé le problème à son collègue de jour. En fait, son adjoint et lui avaient prévenu Sylvain Vaillancourt depuis janvier qu’il fallait réparer ces trous avec de l’asphalte chaud, ce qui est fait par l’équipe de jour.



[48] Le 25 mars, Sylvain Vaillancourt annonce la fin de son emploi au plaignant. Celui-ci est dévasté parce que cette décision écarte tous les efforts qu’il a faits pour ce travail qu’il adore. Le plaignant déclare qu’on aurait pu le placer dans un autre secteur, le soir ou les fins de semaine, ce qu’il aurait accepté avec plaisir.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[49] Le plaignant travaillait pour la Ville depuis plus de six mois (article 71 de la LCV). Il a donc accès au recours de l’article 72 de cette même loi.

[50] Les motifs de sa fin d’emploi sont de nature administrative plutôt que disciplinaires. Dans un tel cas, la Commission applique la démarche suivante :

[225] Or, il est de jurisprudence établie qu’en matière de congédiement administratif, la Commission doit considérer l’équité de traitement réservé au salarié dans le contrôle du processus d’évaluation ayant conduit à son congédiement. Pour ce faire, il faut, entre autres choses, s’assurer que l’employeur a d’abord fait connaître au salarié les orientations de l’entreprise et ses attentes, que ses lacunes lui ont été signalées, que le salarié a obtenu l’appui nécessaire pour atteindre ses objectifs, qu’il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster ou qu’il a été prévenu qu’il risquait le congédiement à défaut d’amélioration (référence omise).

Massie c. Ville de Brownsburg-Chatham, 2005 QCCRT 0052

[51] Toutefois, dans notre dossier, il ne faut pas oublier que le plaignant est en période d’essai. Selon le Dictionnaire canadien des relations du travail, la période d’essai (communément appelée la période de probation) se définit ainsi :

En matière d’emploi, période destinée à éprouver les aptitudes d’un salarié à occuper un poste. La période d’essai s’applique au nouvel employé et, dans ce cas, celui-ci n’acquiert généralement pas d’ancienneté, et il ne peut se prévaloir de certains droits et de certains privilèges réservés aux permanents. Toutefois, dans certaines entreprises, une fois qu’il est devenu permanent, l’ancienneté de l’employé compte à partir de sa date d’embauchage. La période d’essai s’applique aussi aux employés promus à un nouveau poste et, dans ce cas, l’employé peut réintégrer son emploi antérieur, s’il n’a pas les aptitudes requises pour le remplir.

(G. Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e édition, Québec, P.U.L., 1986, à la p. 337)

[52] La Commission dispose de larges pouvoirs pour étudier la décision de la Ville, notamment pour vérifier qu’il n’y a pas eu d’intervention politique dans la fin d’emploi du plaignant qui est un fonctionnaire municipal. Cela dit, elle doit exercer une plus grande retenue lorsqu’il s’agit d’un fonctionnaire en période d’essai. En effet, il est question alors d’une évaluation de différents facteurs qui feront en sorte que la Ville accepte de se lier de manière permanente avec une personne, sujet par la suite à une conduite correcte au point de vue disciplinaire et à un rendement adéquat.

[53] La Commission doit donc suivre attentivement le processus suivi par la Ville pour s’assurer qu’il a été équitable. En cela, les normes suivies pour un congédiement administratif s’appliquent, tout en les adaptant à la situation. On ne peut étudier le cas d’un employé en période d’essai qui doit démontrer aux yeux de son employeur qu’il présente les qualités nécessaires pour obtenir la permanence de la même manière que celui d’un employé déjà permanent que l’employeur prétend être maintenant incompétent.

LA PÉRIODE DE TRAVAIL COMME SUPERVISEUR PROVISOIRE

[54] Le plaignant a travaillé pour une première période de vingt semaines comme superviseur. On peut convenir que cette période a été positive puisque la Ville lui a offert un renouvellement de contrat et lui a accordé par la suite un poste permanent. Cependant, la preuve ne permet pas de conclure que le plaignant a démontré à cette occasion qu’il pouvait obtenir la permanence.

[55] Il apparaît qu’il n’accomplissait qu’une partie des tâches de superviseur et que les directives de son supérieur de l’époque, Jean-Marc Nadon, étaient très précises, ce qu’il appréciait d’ailleurs beaucoup. L’évaluation de ce dernier, bien que positive, se termine par une sérieuse réserve. Puisqu’il a été malade, il n’a vu le plaignant que deux mois, séparé par quelques semaines. Jean-Marc Nadon déclare lui-même qu’il ne peut s’agir d’une évaluation convenable. C’est donc dire que, sans partir complètement à zéro, le plaignant ne peut affirmer qu’il a fait ses preuves à la pleine connaissance de la Ville.

LA PÉRIODE D’ESSAI

[56] La première évaluation formelle survient en décembre 2008. La période évaluée couvre au moins six mois, ce qui est une période de temps adéquate pour se faire une idée du travail du plaignant. Celui-ci a certainement une connaissance des tâches et des attentes de la Ville pour un poste qu’il occupe depuis novembre 2007, si l’on inclut sa période comme superviseur contractuel. Est-ce qu’on lui a donné le support nécessaire? La Commission croit que oui dans la mesure où on lui a indiqué à son arrivée de quelle manière il devait diriger son équipe. La Ville lui a également payé un cours portant sur la salubrité de l’eau, cours qui était requis par le gouvernement du Québec pour superviser des travaux d’aqueduc.

[57] La Commission croit plutôt que la divergence de vues entre le plaignant et son supérieur porte sur le fond de l’évaluation. Que cela plaise ou non au plaignant, son supérieur immédiat est Sylvain Vaillancourt et non Jean-Marc Nadon. S’il devient permanent, c’est avec le premier qu’il travaillera. C’est pourquoi l’évaluation de décembre est capitale.

[58] Ce qui ressort de la preuve, c’est qu’au fur et à mesure des événements, Sylvain Vaillancourt a communiqué au plaignant ses remarques sur les différentes facettes du travail. Le plaignant ne paraît pas ignorer ce dont il s’agit puisqu’il a toujours une explication pour chaque événement. Par contre, il est fort possible que la conclusion de l’évaluation de décembre l’ait surpris. À ce moment, son supérieur lui dit qu’il n’a tout juste que la note de passage et qu’une amélioration est nécessaire pour obtenir la permanence.

[59] Est-ce que Sylvain Vaillancourt est pointilleux? Il ne revient pas à la Commission de gérer à la place de ce dernier. Celui-ci a ses exigences sur le travail et le fait savoir au plaignant. Est-ce qu’il refuse d’appuyer le plaignant? Il semble bien plus que Sylvain Vaillancourt et ce dernier ne partagent pas la même vision de la gestion des cols bleus. Aux yeux de son supérieur, le plaignant est trop directif, ce qui braque son équipe plutôt que de susciter la collaboration. La perception de l’expression «Choisis tes batailles» illustre bien cette différence. Sylvain Vaillancourt veut dire au plaignant de mesurer ses interventions, le plaignant y voit un manque d’appui.

[60] Autrement dit, ce que Sylvain Vaillancourt demande au plaignant n’apparaît pas être exagéré parce qu’il s’agit ici d’un poste de gestionnaire de premier niveau qui exige certaines habiletés administratives. Il veut un superviseur qui effectue bien le travail administratif, qui est autonome et qui sait travailler avec son équipe. Il ne s’agit pas d’un travail facile, mais il ne demande pas une perfection impossible à atteindre.

[61] Indirectement, le plaignant reconnaît l’existence de lacunes. Lorsqu’il dit que son supérieur exagère parce que les formulaires contiennent déjà les informations demandées et qu’une omission n’est pas fatale, c’est donc que le formulaire n’est pas rempli adéquatement. Lorsqu’il concède qu’il aurait dû baisser la pression de l’eau lors de l’incident de la fuite d’eau de juin 2008, c’est donc qu’il n’a pas poussé son analyse de la situation assez loin.

[62] Cela dit, la Commission constate que le plaignant est de bonne foi. Il reconnaît lui-même qu’il doit s’améliorer et il signe l’évaluation de décembre. Il est donc au courant des exigences de son patron et il sait que sa nomination de manière permanente dépend d’une amélioration. Il est informé des points qu’il doit corriger. Dans les circonstances, le délai accordé, un peu plus qu’un mois, apparaît être suffisant.

[63] Du début décembre, date de la première évaluation, au 23 janvier, date de la seconde, la performance du plaignant ne s’améliore guère et même diminue à certains égards. Selon Sylvain Vaillancourt, les relations avec les cols bleus sont meilleures, mais c’est parce que le plaignant laisse tout passer. Pareillement, le plaignant a tellement peur de faire des erreurs qu’il le consulte à outrance. Certains incidents survenus en janvier le convainquent que le plaignant présente toujours les mêmes lacunes de ne pas traiter les problèmes en profondeur et de laisser ceux-ci à l’équipe qui succède à la sienne. La Commission remarque que si les premiers incidents ont fait l’objet de rapports d’événements quelques mois après leur survenance, ceux de janvier et de mars sont rédigés dans les jours qui suivent.

[64] Il faut comprendre que la Commission, même si elle est un tribunal spécialisé, ne doit pas agir à la place des autorités de la Ville dans l’évaluation de son personnel. Elle doit vérifier principalement si la décision de l’employeur est arbitraire, abusive, déraisonnable ou discriminatoire.

[65] La Commission estime que la preuve ne révèle aucun de ces éléments prohibés. Sylvain Vaillancourt est celui qui, en dernière analyse, devra travailler avec le plaignant si celui-ci devient permanent. Il doit donc bénéficier d’une marge de manœuvre pour apprécier le travail de son superviseur. Comme nous l’avons vu, le plaignant était bien au courant des attentes de son supérieur en décembre 2008.

[66] La Ville a donné certains exemples d’incidents survenus en janvier 2009. Est-ce que les explications du plaignant annulent ces incidents? La Commission ne croit pas que ce soit le cas. Il est possible qu’un autre évaluateur ait considéré les explications du plaignant d’une manière différente. Mais rien ne prouve non plus que cela aurait été le cas, en totalité ou en partie. En d’autres termes, Sylvain Vaillancourt a fait son travail et a évalué le plaignant. On peut partager ou non son évaluation, mais le tout s’est fait selon les normes.

[67] À partir de janvier, la divergence entre le plaignant et son patron s’approfondit. Le plaignant trouve Sylvain Vaillancourt dur avec lui. Il est convaincu qu’il fait de son mieux et refuse de signer la deuxième évaluation. Le plaignant voit comme des «menaces» les avertissements de son supérieur qu’au printemps, il n’aura plus d’emploi. Les différences concernant les questions professionnelles sont irréconciliables. Sylvain Vaillancourt estime qu’un superviseur peut faire beaucoup mieux, le plaignant, au contraire, croit que son patron est trop exigeant et qu’il ne tient pas compte de la réalité du travail.

[68] Malheureusement pour le plaignant, c’est Sylvain Vaillancourt qui décide. Sa décision, entérinée par la Ville, est que le plaignant ne remplit pas les exigences pour le poste de superviseur et qu’il ne pourra travailler sur une base permanente avec lui. Le plaignant peut être en profond désaccord avec cette évaluation, mais la Commission ne peut dire que la décision de la Ville est arbitraire, abusive, déraisonnable ou discriminatoire. La Ville pouvait donc mettre fin à l’emploi du plaignant. En ce qui concerne le souhait du plaignant de continuer de travailler à la Ville pour un autre supérieur, cela relève de la discrétion de la Ville.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE la plainte.






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Alain Turcotte



Me Calliope E. Hadjis

HADJIS & HADJIS, AVOCATS

Représentante du plaignant



Me Pierre Martel

DUNTON, RAINVILLE, S.E.N.C.R.L.

Représentant de l’intimée



Date de la dernière audience :
17 juillet 2009