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Montréal (Ville de) c. Gagnon

no. de référence : 500-17-043598-088

Montréal (Ville de) c. Gagnon
2009 QCCS 3972

JD 2232


COUR SUPÉRIEURE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
MONTRÉAL



N° :
500-17-043598-088






DATE :
2 septembre 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
MARC DE WEVER, J.C.S.

______________________________________________________________________





VILLE DE MONTRÉAL

Demanderesse

c.

ME JEAN DENIS GAGNON

Arbitre Défendeur

et

ASSOCIATION DES POMPIERS DE MONTRÉAL INC.

Mise en cause



______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________





[1] La demanderesse, Ville de Montréal (la Ville), présente une requête en révision judiciaire (la Requête) demandant l’annulation d’une ordonnance (l’Ordonnance) émise le 8 mai 2008 dans le cadre d’une décision par l’arbitre défendeur, Me Jean Denis Gagnon (l’Arbitre).

[2] Cette Ordonnance (pièce P-2) se lit ainsi :

« 1. Le Service[1] doit prendre les mesures appropriées, et conformes à la convention collective, afin que, conformément à l’article 6.04 de cette entente, un capitaine soit présent, en tout temps dans chacune de ses casernes.

2. Le soussigné conserve compétence, concernant toute difficulté, qui pourrait opposer les parties, en ce qui a trait à l’application de la présente décision. »

[3] La Ville soumet qu’en rendant cette Ordonnance, l’Arbitre excède sa juridiction.

[4] La mise en cause, Association des Pompiers de Montréal Inc. (l’Association), conteste le bien-fondé de la Requête.

QUESTIONS EN LITIGE

[5] Les procureurs de la Ville énoncent les questions en litige en ces termes :

« i) L’Arbitre Défendeur a excédé sa juridiction en émettant une ordonnance de la nature d’une injonction mandatoire permanente dans un but de protection pour les années futures et ce, afin d’éviter d’autres violations hypothétiques et non alléguées au grief.

ii) L’Arbitre Défendeur a jugé ultra petita en ce que le libellé du grief n’autorisait pas l’arbitre à émettre une ordonnance applicable à d’autres casernes qu’à la caserne 50;

iii) Même si l’arbitre Défendeur avait eu compétence, ce qui est nié, l’émission d’une ordonnance est exceptionnelle et n’était pas justifiée dans les circonstances;

iv) L’arbitre Défendeur a excédé sa juridiction en contrevenant à la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage prévue à la convention collective. Sa décision porte atteinte à la nature même des rapports collectifs de travail;

v) L’arbitre Défendeur a excédé sa juridiction et rendu une décision contradictoire en réservant sa compétence dans le cadre de l’ordonnance rendue dans la décision P-2; »[2]

LE CONTEXTE

[6] Le 25 septembre 2003, la Ville et l’Association signent une convention collective de travail (pièce P-1).

[7] Le 26 juillet 2007, l’Association dépose un grief « à l’encontre de la violation par la Ville de Montréal des dispositions impératives de la convention collective, plus particulièrement mais non limitativement l’article 6.04 b), en ne maintenant pas en service un capitaine par caserne le 8 juin 2007. En effet, à cette date, la caserne 50 s’est trouvée dépourvue d’un capitaine pendant une partie ou la totalité du quart de travail de l’équipe 1, le tout de façon illégale. » (pièce P-3)

[8] L’article 6.04(b) stipule que :

« 6.04 b) Par caserne et par groupe de travail, un officier agit comme capitaine; en son absence, il peut être remplacé par un officier éligible à cette fonction au taux normal ou par un capitaine. »

[9] Dans son grief, l’Association requiert « une déclaration à l’effet que la Ville de Montréal a ainsi violé les dispositions de l’article 6.04 de la convention collective et requiert également une ordonnance enjoignant à la Ville de Montréal de prendre les mesures nécessaires afin que l’article 6.04 soit dorénavant respecté. » (pièce P-3)

[10] Le 8 mai 2008, l’Arbitre rend l’Ordonnance.

[11] Le 13 mai 2008, les procureurs de l’Association avisent, par huissier, la Ville que :

« Cette décision, annexée aux présentes, a été déposée au greffe de la Cour supérieure, du district de Montréal, le 12 mai 2008. Elle a donc acquis la même force exécutoire qu’un jugement de cette cour. Tout défaut de s’y conformer est passible d’une condamnation pour outrage au tribunal et des peines prévues par la loi. » (pièce P-4)

[12] Le 27 juin 2008, notre Cour accueille la demande de sursis de la Ville à l’égard de cette Ordonnance.

[13] Le 15 août 2008, la Cour d’appel rejette la requête de l’Association pour permission d’en appeler de cette décision de notre Cour.

LA PREUVE DEVANT L’ARBITRE

[14] Dans son mémoire, l’Association affirme que la Ville ne conteste pas, dans sa Requête, la relation de la preuve par l’Arbitre, plus spécifiquement les paragraphes 9 à 41 de la décision arbitrale.[3]

[15] Devant le Tribunal, les procureurs de la Ville ne contestent pas cette affirmation. Par le fait même, cette preuve démontre que la Ville ne maintient pas un capitaine en tout temps à la caserne 50, le 8 juin 2007.

[16] Conséquente avec elle-même, la Ville écrit dans son mémoire :

« 14. Il appert du grief P-3 que l’Association Mise en cause ne reproche à la Demanderesse qu’une seule violation, soit celle d’avoir contrevenu à l’article 6.04 b) de la convention collective P-1 pour la seule journée du 8 juin 2007 et ce, à la caserne 50;

15. Cette violation quant au défaut de maintenir en service un capitaine à cette date fut pour une période limitée, soit une partie de quart de travail, un capitaine ayant par la suite été présent à la caserne 50, le tout tel qu’il appert de la preuve rapportée au paragraphe 12 de la décision P-2; »[4]

LA NORME DE CONTRÔLE

[17] La Cour suprême, dans l’arrêt Dunsmuir[5], spécifie que deux normes s’appliquent en matière de contrôle judiciaire, la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte.

[18] La Ville soumet que cette dernière est applicable en la présente affaire.

[19] Pour sa part, la mise en cause invoque l’autre norme, soit celle de la décision raisonnable.

[20] Dans Dunsmuir, la Cour suprême précise que le Tribunal, en débutant son analyse, doit référer à la jurisprudence pertinente dans la détermination de la norme de contrôle :

« Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. »

[21] Et elle ajoute :

« L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable. »[6]

[22] En l’instance, le Code du travail, aux articles 139, 139.1 et 140, protège les décisions de l’arbitre de grief par une clause privative de type général selon la définition d’une telle clause par la Cour suprême dans Ivanhoe[7].

[23] Deuxièmement, l’arbitrage de grief a pour but de régler rapidement et efficacement tout différend portant sur l’interprétation et l’application d’une convention collective. L’article 18.03 de la convention collective[8] liant la Ville et la Mise en cause le confirme.

[24] Troisièmement, ni l’une ni l’autre des parties ne contestent l’expertise de l’Arbitre et sa compétence supérieure à celle des tribunaux de droit commun pour interpréter une telle convention collective.

[25] Jusqu’ici, le Tribunal est d’avis que la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

[26] Reste le quatrième facteur mentionné dans Dunsmuir : la nature de la question en cause.

[27] Messieurs les juges Bastarache et Lebel écrivent à ce sujet dans Dunsmuir :

« Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D.J.M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6 »[9]

[28] Dans la présente affaire, la Ville soutient que l’Arbitre excède sa juridiction en rendant l’Ordonnance attaquée. Plus spécifiquement, la Ville prétend que l’Arbitre erre dans son interprétation des dispositions lui attribuant ou non compétence à émettre cette Ordonnance.

[29] D’où la prétention de la Ville, qu’il faut appliquer la norme de la décision correcte.

[30] Le Tribunal accepte cette prétention de la Ville.

[31] Déjà en 1984, la Cour suprême enseigne que ce type d’erreur, si erreur il y a, s’analyse en fonction de cette norme :

« Il faut également distinguer la simple erreur de droit de l’erreur de compétence ou erreur juridictionnelle. Celle-ci porte généralement sur une disposition attributive de compétence, c’est-à-dire sur une disposition qui décrit, énumère et limite les pouvoirs d’un tribunal administratif ou qui est « destiné(e) à circonscrire le champ d’activité » de ce tribunal comme le dit le juge Pigeon dans Komo Construction Inc. c. Commission des relations de travail du Québec, [1968] R.C.S. 172 à la p. 175. L’erreur juridictionnelle entraîne le plus souvent un excès de compétence ou un refus d’exercer une compétence, soit dans l’ouverture d’une enquête, soit en cours d‘enquête, soit encore dans ses conclusions ou son dispositif. Une telle erreur, même commise de la meilleure foi du monde, entraîne néanmoins l’annulation de la décision qui en est entachée car elle est également visée par l’al. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. »[10]

[32] En ligne avec ces propos, le Tribunal constate que l’Arbitre, pour décider du deuxième sujet de son analyse qu’il intitule « le pouvoir de l’arbitre d’émettre une ordonnance de la nature de celle que l’Association requiert »[11], est le premier à reconnaître qu’il traite d’une question portant sur sa compétence :

[81]« Les arrêts mentionnés ci-dessus le démontrent clairement. Il ne suffit pas d’établir une comparaison entre les fonctions exercées par l’arbitre, dans un cas particulier, et celles qui sont réservées aux cours supérieurs, pour conclure que l’arbitre agit sans compétence. »[12]

L’ANALYSE

[33] Reprenons les motifs invoqués par la Ville.

[34] Comme premier motif, la Ville pose la question suivante : l’Arbitre excède-t-il sa juridiction en émettant une ordonnance de la nature d’une injonction mandatoire permanente pour des violations futures?

[35] La Ville subdivise cette question en trois sections :

[36] a) Le libellé du grief et l’ultra petita.

Cet argument de la Ville s’articule de la façon suivante :

- Dans le grief (pièce P-3), l’Association ne reproche qu’une seule violation de l’article 6.04 b) de la convention collective prenant place dans la caserne 50, ce que la preuve confirme;

- Il s’ensuit que l’Arbitre peut constater cette violation seulement et la sanctionner mais n’a pas, pour autant, compétence pour donner suite à la demande additionnelle de l’Association dans le grief qui se lit : « … et requiert également une ordonnance enjoignant à la Ville de Montréal de prendre les mesures nécessaires afin que l’article 6.04 soit dorénavant respecté » (pièce P-3). (notre souligné)

- Or, l’Arbitre, en donnant suite à cette demande additionnelle par l’Ordonnance attaquée, juge ultra petita puisque l’Ordonnance vise toutes les casernes et s’applique pour le futur à l’égard de violations hypothétiques, ce qui s’apparente à une injonction mandatoire permanente.

La mise en cause réplique que l’insertion de cette demande additionnelle dans le grief et la preuve devant l’Arbitre de violations à l’article 6.04 b) antérieures à celle faisant l’objet du grief devant l’Arbitre, font obstacle à l’application de la notion d’ultra petita, surtout telle qu’appliquée au domaine des relations collectives de travail.[13]

[37] b) Les pouvoirs de l’Arbitre à l’article 100.12 g) du Code du travail.

L’article 100.12 g) stipule :

« 100.12 [Pouvoirs de l’Arbitre] Dans l’exercice de ses fonctions l’Arbitre peut : […]

g) rendre toute autre décision, y compris une ordonnance provisoire, propre à sauvegarder les droits des parties. »

La Ville plaide que :

- L’Arbitre erre lorsqu’il affirme que cet article lui permet d’émettre « des ordonnances définitives » :

« [86] En ce qui concerne, par ailleurs, la possibilité que l’arbitre émette des ordonnances définitives, elle fait toujours partie de sa compétence, de rendre toute autre décision, tel que précisé au paragraphe g) de l’article 100.12 du Code du travail. »;[14]

- En ce faisant, l’Arbitre s’arroge le pouvoir d’émettre une ordonnance de la nature d’une injonction permanente, pouvoir dévolu exclusivement à la Cour supérieure.

- L’Arbitre fait fausse route en omettant de constater que toute décision basée sur l’article 100.12 g) doit l’être pour « sauvegarder les droits des parties ».

- Or, l’Ordonnance contestée ne se justifie pas comme une telle mesure.

- De plus, l’interprétation de cet article rend inutile d’autres dispositions du Code du travail (i.e. articles 111.17 2), 118 et 119) qui décrivent les pouvoirs de d’autres tribunaux administratifs.

La mise en cause répond que l’interprétation par l’Arbitre de l’article 100.12 g) du Code du travail est en conformité avec l’objectif du législateur de créer un régime complet de solutions des différends reliés aux conventions collectives[15] où l’Arbitre, pour s’acquitter de son mandat, bénéficie d’un large pouvoir de réparation, incluant même des pouvoirs judiciaires régis par l’article 96 de la Constitution[16].

Il s’ensuit que le libellé de l’article 100.12 g), notamment depuis son libellé amendé en 2001, permet à l’Arbitre d’émettre une ordonnance de la nature d’une injonction permanente.

En l’instance, devant la preuve de récidives de violation de l’article 6.04 b) de la convention collective, l’Arbitre a juridiction et décide de façon appropriée de rendre une ordonnance à portée générale.

[38] c) L’inapplicabilité des décisions citées par l’Arbitre.

La Ville soutient que :

- Les décisions citées par l’Arbitre traitent soit d’ordonnances provisoires, soit de situations où l’exécution en nature de la violation contractuelle est encore possible.

- Ainsi ces décisions ne sont pas pertinentes au débat entourant l’Ordonnance en cause.

La réplique de la mise en cause s’apparente à celle au point b).

- - - - - - -

[39] Le Tribunal est d’avis que l’Arbitre n’a pas la compétence pour émettre l’Ordonnance en cause et commet ainsi une erreur juridictionnelle.

[40] Le Tribunal croit nécessaire de rappeler, avant tout, que seule la Cour supérieure a juridiction pour émettre une injonction.

[41] L’article 751 C.p.c. est très clair à ce sujet :

« 751. L’injonction est une ordonnance de la Cour supérieure ou de l’un de ses juges, enjoignant à une personne, à ses dirigeants, représentants ou employés, de ne pas faire ou de cesser de faire, ou, dans les cas qui le permettent, d’accomplir un acte ou une opération déterminés, sous les peines que de droit. »

[42] La Cour suprême, de même, le rappelle, en janvier 2004, dans Société de la Place des Arts de Montréal[17] :

« Lorsqu’il a entendu la demande d’injonction, le juge Normand ne siégeait pas en contrôle judiciaire ni en appel du Tribunal du travail. Il siégeait plutôt comme juge de première instance saisi d’une demande qui n’était pas du ressort du Tribunal du travail, à savoir une demande d’injonction fondée sur l’art. 751 et suiv. du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25. Le pouvoir de la Cour supérieure du Québec d’accorder une injonction est prévu par la loi. …

Somme toute, l’injonction est un recours extraordinaire qui ne peut être accordé au Québec que par la Cour Supérieure. … »[18]

[43] Plus récemment, Monsieur le juge Brossard de la Cour d’appel opinait dans le même sens :

« Un mot, en terminant, pour traiter de l'argument des appelants fondé sur l'impossibilité pour un arbitre de griefs d'accorder les conclusions recherchées en injonction, qui relèvent de la Cour supérieure. En plus de ce qui est déjà souligné ci-haut quant aux conséquences des mécanismes de négociation collective en droit du travail sur les droits individuels, j'ajouterais simplement à ce sujet, à la lecture des conclusions précitées recherchées, qu'un arbitre de griefs aurait la compétence d'énoncer des conclusions de nature déclaratoire sur le fond du litige, qu'il s'agisse de déclarer s'il y a ou non discrimination en fonction de l'âge, ou de déclarer que tous les anciens employés du Groupe Oshawa et qui avaient déjà contribué à ce dernier régime devaient pouvoir continuer à y adhérer plutôt que seulement ceux de 50 ans ou plus, même s'il n'a pas l'autorité et le pouvoir d'émettre d'injonction en ce sens. En d'autres mots, les déclarations recherchées peuvent se retrouver dans une sentence arbitrale même si les modalités d'exécution en droit du travail sont susceptibles de différer de celles d'une injonction.[19] (nos soulignés)

[44] Le rappel de la Cour suprême dans Société de la Place des Arts de Montréal, s’hamonise parfaitement avec son autre enseignement à l’effet qu’un arbitre doit bénéficier d’un vaste pouvoir de réparation pour donner effet au processus d’arbitrage des griefs, enseignement réitéré quatre mois plus tard, en avril 2004, dans Lethbridge Community College[20] :

« 40. Notre Cour a reconnu qu’un vaste pouvoir de réparation était nécessaire pour donner effet au processus d’arbitrage des griefs. La nécessité de ne pas entraver l’exercice des pouvoirs de réparation de l’arbitre a été reconnue pour la première fois par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Heustis, précité, p. 781, où la considération de politique générale justifiant la limitation de l’intervention judiciaire a été expliquée comme suit :

Le but de l’arbitrage des griefs en vertu de la Loi est d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends résultant de l’interprétation et de l’application d’une convention collective ou d’une mesure disciplinaire imposée par l’employeur, le tout dans le but de maintenir la paix.

La position de notre Cour dans Heustis annonçait un élargissement des pouvoirs de l’arbitre.

41. Par exemple, dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704 , notre Cour a expressément reconnu la compétence élargie dont dispose l’arbitre lorsqu’il statue sur la violation d’un droit prévu par une convention collective. Des arrêts comme Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 , et l’affaire connexe Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967 , de même que Parry Sound, précité, ont expliqué davantage comment s’est accru le rôle des arbitres de manière à leur permettre de s’acquitter de leur mandat. Dans Weber, notre Cour a reconnu que les arbitres avaient compétence exclusive à l’égard des différends portant sur l’interprétation, l’application, l’administration ou la violation d’une convention collective. L’arrêt Parry Sound a élargi la compétence de l’arbitre à l’application des lois sur les droits de la personne et des autres lois touchant à l’emploi. Ces décisions s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel reconnaissant aux arbitres une compétence plus vaste et un large pouvoir de réparation. »[21]

(nos soulignés)

[45] Ainsi, la lecture conjointe de ces deux arrêts de la Cour suprême rappelle ce qu’écrit le juge Wilson de cette même Cour, 15 ans auparavant, dans Sobeys Stores Ltd[22], que nous citons in extenso :

« La politique sociale de protection de l’employé et son application expéditive se manifestent dans l’ensemble du Code et à l’art. 67A notamment. Saisis d’une demande de réintégration en vertu de l’art. 67A, le Directeur et le Tribunal offrent tous deux des modes économiques et accessibles d’investigation et de règlement du litige. Ils le font en réponse à des conditions sociales qui ont évolué depuis la Confédération et dans un cadre administratif fort différent de la pratique en cours. Ni le Directeur ni les membres du Tribunal n’ont à être avocats. Bien que le Tribunal exerce effectivement une fonction judiciaire à l’égard de l’art. 67A et de nombreux autres aspects du Code, cette fonction est nécessairement accessoire à des objectifs visés par les grandes politiques sociales pour lesquelles le Code a été conçu. À cet égard, je souscris pour l’essentiel au raisonnement du juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Asselin, quand elle traite du pouvoir d’un arbitre, en vertu de la Loi sur les normes du travail du Québec, d’ordonner la réintégration, aux pp. 90 et 91 :

Pour ma part, je préfère placer ici le débat sur l’aspect nouveau des relations de travail par rapport à ce qui existait en 1867 […] C’est particulièrement vrai pour la Loi sur les normes du travail qui crée pour l’employé un droit à son emploi, indépendamment de son contrat de travail individuel, et donne à l’arbitre des pouvoirs étendus, dont celui de réintégrer l’employé […] L’arrêt Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle-Écosse) [ [1977] 1 R.C.S. 112 ] me paraît singulièrement pertinent dans le présent débat. Si on y a reconnu comme constitutionnel le pouvoir d’injonction conféré à un tribunal du travail, il m’apparaît difficile de concevoir que le pouvoir de réintégration et les autres pouvoirs moins radicaux énumérés à la Loi ne puissent être conférés à un arbitre dans le cadre d’une loi réglant les relations entre employeurs et employés, loi à caractère nettement social résultant d’une évolution marquée depuis 1867 et d’une conception totalement différente des relations ouvrières de l’époque.

Je serais donc d’avis que, sur cette base, une province peut, dans le champ de sa compétence (ici compétence exclusive), conférer à un organisme provincial ou à des juges ou personnes nommés par elle des pouvoirs judiciaires qui, même si per se exercés en 1867 par des Cours supérieures, exclusivement ou non, le sont dans un cadre institutionnel différent. C’est à mon avis ce que dit essentiellement l’arrêt Re Loi de 1979 sur la location résidentielle précité. Mêmes pouvoirs, ou pouvoirs similaires si l’on veut, mais dans une conception totalement différente qui milite en faveur d’une spécialisation, d’un regroupement, d’une institutionnalisation. La Loi sur les normes du travail me paraît entrer dans ce cadre et les pouvoirs de l’arbitre s’y insérer naturellement comme un accessoire nécessaire au fonctionnement de ce nouveau droit qu’est le droit du travail, du moins par rapport à l’époque de la Confédération.

Je conclus par conséquent que, quoique le Tribunal des normes du travail exerce une compétence correspondant généralement à celle exercée par les cours visées à l’art. 96 à l’époque de la Confédération et quoique, ce faisant, il exerce une fonction judiciaire, cet exercice est un accessoire nécessaire de la politique sociale plus vaste qui cherche à assurer des normes minimales de protection aux employés non syndiqués. »[23]

[46] En l’instance, l’Arbitre, dans son analyse à propos du type d’ordonnance demandée par l’Association, commence par une référence à cette question d’évolution de la jurisprudence et du contexte dans lequel il exerce ses pouvoirs :

« [79] La jurisprudence canadienne a évolué considérablement au cours des dernières décennies, en ce qui concerne les pouvoirs qui peuvent être reconnus à des tribunaux spécialisés, sans que l’on puisse prétendre que les dispositions qui en traitent sont inconstitutionnelles, parce qu’incompatibles avec l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour suprême a rappelé dans certains arrêts que pour juger de la constitutionnalité de dispositions conférant des pouvoirs particuliers à un tribunal administratif, il importe de tenir compte du contexte dans lequel ces pouvoirs sont exercés. »[24]

[47] Et l’Arbitre de conclure sur la base de cette jurisprudence :

« [81] Les arrêts mentionnés ci-dessus le démontrent clairement. Il ne suffit pas d’établir une comparaison entre les fonctions exercées par l’arbitre, dans un cas particulier, et celles qui sont réservées aux cours supérieurs, pour conclure que l’arbitre agit sans compétence. »[25]

[48] Le Tribunal n’a pas à redire quant à cette première conclusion de l’Arbitre.

[49] La problématique découle de la suite du raisonnement de l’Arbitre échafaudé de la façon suivante :

A- Le type d’ordonnance sollicitée par l’Association n’est pas assimilable à une injonction parce qu’elle n’a pas le même effet immédiat vu la nécessité possible de son dépôt au greffe de la Cour supérieure (art. 101 et 129 C.T.); (Pièce P-2, parag. 82, p.37).

[50] Le Tribunal n’endosse pas ces propos de l’Arbitre.

[51] Le Tribunal est d’avis qu’une décision arbitrale prend effet immédiatement, tout comme une injonction, dès que l’arbitre la rend.

[52] L’article 101 du Code du travail l’indique clairement : « La sentence arbitrale est sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné[26]. » (nos soulignés)

[53] L’Arbitre paraît confondre cet effet immédiat avec la sanction additionnelle possible d’outrage au Tribunal suite au dépôt par une partie de la sentence arbitrale au bureau du greffier de la Cour supérieure (Art. 101 et 129 Code du travail).

B- L’Arbitre continue son analyse en référant à certains jugements ou décisions arbitrales qui « port(eraient) précisément sur le pouvoir de l’arbitre de prononcer une ordonnance, en vue de forcer une partie signataire d’une convention collective à se conformer aux obligations que cette entente lui impose. » (Pièce P-2, parag. 83, p. 37).

[54] La Ville ayant souligné que cette jurisprudence date d’avant l’amendement en 2001 du paragraphe 100.12 g) du Code du travail alors que le législateur ajoute les mots « y compris une ordonnance provisoire », l’Arbitre enchaîne avec ceci :

« L’on ne saurait cependant inférer de cette modification que l’arbitre ne pourrait dorénavant prononcer que des ordonnances provisoires, et en aucun cas des ordonnances définitives, pour l’avenir. La modification apportée au paragraphe G) ne visait aucunement à réduire les pouvoirs de l’arbitre. Son but était plutôt de les accroître. L’ordonnance provisoire émise, avant même qu’un tribunal ait entendu toute la cause dont il est saisi, est indéniablement d’un caractère plus exceptionnel, que celle qu’il juge à propos de prononcer, lorsqu’il se prononce sur le fond même du litige dont il avait été saisi. C’est sans doute ce qui a incité le Législateur à préciser que l’arbitre a même le pouvoir d’émettre une ordonnance provisoire.

En ce qui concerne, par ailleurs, la possibilité que l’arbitre émette des ordonnances définitives, elle fait toujours partie de sa compétence, de rendre toute autre décision, tel que précisé au paragraphe g) de l’article 100.12 du Code du travail. » (Pièce P-2, parag. 85 et 86, p. 38).

[55] Le Tribunal n’accepte pas ces motifs de l’Arbitre.

[56] Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a rien dans les mots choisis et utilisés par le Législateur pour amender l’article 100.12 g) du Code du travail, qui manifestent son intention de confier, désormais, à un arbitre le pouvoir d’émettre une injonction permanente.

[57] Le Tribunal remarque que les Notes explicatives jointes au Projet de loi no. 31 précisent qu’il s’agit de « modifie(r) le Code du travail afin d’en faciliter l’application, notamment en matière d’accréditation. », d’ainsi « institue(r) une instance décisionnelle unifiée en matière de relations de travail, à savoir la Commission des relations de travail … », de doter cette Commission « des pouvoirs appropriés à l’exercice de ses fonctions, notamment celui d’émettre des ordonnances, y compris des ordonnances de sauvegarde ou de nature préventive, … » (nos soulignés)

[58] Cette volonté du Législateur se reflète entre autres à l’article 118 du Code du travail qui précise les pouvoirs de la Commission des relations du travail :

« 118. [Pouvoirs] La Commission peut notamment :

(…)

3e rendre toute ordonnance, y compris une ordonnance provisoire, qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties;

(…)

6e rendre toute décision qu’elle juge appropriée; »

[59] Vu les notes explicatives ci-devant citées, il est logique d’y retrouver comme dernier paragraphe :

« Enfin, ce projet de loi comporte diverses dispositions de nature technique et de concordance ainsi que des dispositions transitoires et finales. » (nos soulignés)

[60] Une telle disposition de nature technique et de concordance se retrouve à l’article 51 du Projet de Loi qui stipule que :

« L’article 100.12 de ce code est modifié par l’insertion, dans le paragraphe g et après le mot « décision », de « , y compris une ordonnance provisoire, ».

[61] À sa face même, cette insertion n’a pas pour résultat de donner compétence à l’Arbitre pour émettre une ordonnance de la nature d’une injonction permanente et, encore moins, pour qu’il puisse dorénavant prononcer « des ordonnances définitives, pour l’avenir ».[27]

[62] Un arbitre n’a compétence pour rendre l’ordonnance demandée par l’Association qu’en autant que sa loi habilitante lui confère le pouvoir à l’égard des parties et de la question en litige[28].

[63] Avant l’amendement de 2001, l’article 100.12 g) du Code du travail spécifie déjà que toute décision rendue par l’arbitre doit l’être pour « sauvegarder les droits des parties ». L’amendement qui se lit « y compris une ordonnance provisoire », doit lui aussi s’interpréter avec le reste du paragraphe incluant les mots « sauvegarder les droits des parties ».

[64] Le Tribunal est d’avis que l’Ordonnance ne se qualifie pas de mesure « propre à sauvegarder les droits des parties », et ce, encore moins parce que, telle que rédigée, elle vise le futur, ce qui est le propre d’une injonction permanente.

[65] Au surplus, une telle Ordonnance présuppose une ou des violations subséquentes de la convention collective.

[66] Or, il faut d’abord un grief pour que l’arbitre entre en fonction et qu’il se penche sur la mésentente, déjà réelle et non présumée, relative à l’interprétation et à l’application de la convention collective.

[67] Une fois en fonction, l’Arbitre doit se conformer à l’article 18.03 de la convention :

« Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à décider des griefs suivant la lettre et l’esprit de la présente convention collective. L’arbitre n’a autorité en aucun cas pour ajouter, soustraire, modifier ou amender quoi que ce soit à la convention collective. »[29]

[68] Dans tout ceci, l’arbitre a le devoir de rendre une sentence arbitrale qui règle le litige en cause non un litige ultérieur :

« 709 – Absence d’effets obligatoires futurs – Entre les parties, une sentence arbitrale règle le litige particulier soumis à l’arbitre. Sous réserve d’une disposition contraire dans la convention collective, les notions de chose jugée (res judicata) et de stare decisis ne s’appliquent pas en matière d’arbitrage de grief à l’égard d’un litige ultérieur relativement aux mêmes dispositions de la convention collective. »[30]

[69] Notre collègue, Monsieur le juge Bishop, dans l’affaire Le Groupe Jean Coutu[31], analyse les pouvoirs de l’arbitre en vertu de l’article 100.12 g) du Code du travail. Le Tribunal fait siens ses propos :

« L’art. 100.12(g) invoqué par l’Arbitre est de nature générale, par rapport à la disposition spécifique de l’art. 100.8. Le pouvoir accordé par l’art. 100.12(g) n’est limité que par l’exigence qu’il soit « propre à sauvegarder les droits des parties ».



L’art. 523 C.P., deuxième alinéa, confère un pouvoir identique à la Cour d’appel. Dans l’arrêt R.J.R. MacDonald vs. P.C. Canada 1993 R.D.J. 237 , cette Cour a remarqué à la p. 239 :

« The power of the Court of Appeal under art. 523 C.P. to ‘make any order necessary to safeguard the rights of the parties’ is a broad power to protect the interests of the parties to an appeal pending before it, and to maintain the status quo until the appeal is decided. Given its remedial purposes, it should be construed generously. »

L’art. 754.2 C.P. accorde un pouvoir semblable à la Cour supérieure lorsque, au moment de la présentation d’une requête en injonction interlocutoire, le dossier est incomplet. Cet article prévoit que le « tribunal … rend toutes les ordonnances nécessaires à la sauvegarde des droits des parties » pendant la période antérieure à l’audition de la requête.

Dans l’arrêt Entreprises Faucher vs. Banque Royale 1985 R.D.J. 263 à la p. 268, la Cour d’appel précise les buts d’une injonction interlocutoire :

« en cours d’instance, le maintien de la situation juridique des parties, la conservation de l’état de fait ou de droit où elles se trouvaient et la prévention d’un acte irréparable de nature à rendre le jugement final inefficace. »

La Cour est d’avis que ces buts, pertinents à l’interprétation de l’art. 754.2 C.P., sont semblables à ceux visés par l’art. 523 C.P. et l’art. 100.12(g) du Code. »[32]

[70] Dans l’affaire Hôpital St-Lambert[33], Monsieur le juge Hannan est aussi d’opinion que l’article 100.12 g) n’ouvre pas la porte à une ordonnance pour l’avenir :

« Il a été suggéré que le sous paragraphe 100.12 (g) permettait une ordonnance quant à des évènements futurs en guise d’une ordonnance destinée à sauvegarder les droits des parties. S’il est utile de le dire le contexte législatif dans lequel ce sous paragraphe est situé démontre que c’est un texte qui prend sa connotation des paragraphes qui le précèdent. Côté, Interprétation des Lois, 1982 (Blais) a écrit à la page 260 :

« Si par exemple le législateur confère un pouvoir en termes généraux … un interprète pourra se sentir justifié de ne pas entendre l’article général dans toute son ampleur et plutôt d’en limiter le sens en s’inspirant des pouvoirs spécifiquements énumérés. Verba généralia restringuntur ad habilitem rei vel personae. »

Il appert alors que l’ordonnance de sauvegarde doit en être une qui est faite en fonction des paragraphes 100.12 (a) à (f). Aucun des pouvoirs spécifiquement mentionnés aux sous paragraphes (a) à (f) ne partage par sa nature, l’élément futur que les arbitres ont attribué ici au pouvoir général du sous paragraphe (g). La connotation que les mis-en-cause veulent donner au sous paragraphe (g) n’est pas appuyée par les paragraphes précédents. Appliquant le raisonnement du Professeur Côté (supra) il faut conclure que le pouvoir de décider pour l’avenir hors de la convention n’est pas disponible aux arbitres dans les présentes circonstances. En tout cas, pour les fins de la présente cause, il n’est pas strictement nécessaire de décider que l’article 100.12 (g) permet les ordonnances de « sauvegarde » en dehors de la période couvrant la décision de l’arbitre.[34] »

[71] Un autre commentaire à propos de l’inapplicabilité des décisions citées par l’Arbitre.

[72] Une ordonnance visant l’avenir, comme dans le cas qui nous occupe, se distingue de celles faisant l’objet des causes invoquées par l’Association et citées par l’Arbitre. Dans ces causes, il est question d’exécution en nature pour qu’une partie à une convention collective s’y conforme.

[73] À titre d’exemple, l’affaire Ville de Greenfield Park c. Lussier[35] où Monsieur le juge Forget, alors de notre Cour, écrit :

« (Greenfield Park) reproche à l’arbitre d’avoir, après avoir fait droit au grief, rendu une décision pour le futur en lui enjoignant « de cesser de faire exécuter ….. ».

L’avocat du (Syndicat) n’ayant pas prévu ce moyen, a demandé l’autorisation de produire des notes écrites sur ce sujet.

Au départ l’avocat du syndicat rappelle l’article 100.12 g) du Code du travail :

« Dans l’exercice de ses fonctions, l’arbitre peut :

g) rendre toute autre décision propre à sauvegarder les droits des parties. »

L’arbitre peut donc émettre une ordonnance de faire ou de ne pas faire, à l’une ou l’autre partie, pour l’obliger à se conformer à la convention collective. À l’appui de ses prétentions l’avocat du syndicat cite l’opinion de Me Robert P. Gagnon dans son volume Le Droit du Travail du Québec :

« Sur un autre plan, l’arbitre peut également ordonner l’exécution en nature de toute obligation prévue à la convention collective, lorsque la simple compensation monétaire s’avère insuffisante pour remédier à une contravention à cette convention. Cette faculté de l’arbitre peut notamment s’appuyer sur les termes du paragraphe g) de l’article 100.12 du Code du travail, qui l’autorise à rendre toute décision propre à sauvegarder les droits des parties. ….. »

L’avocat du mis-en-cause réfère également aux propos de l’honorable juge Marie Deschamps, alors à la Cour supérieure, dans l’affaire Syndicat national des produits chimiques de Valleyfield c. Corriveau où, s’appuyant sur l’article 100.12 g) du Code du travail, elle déclarait :

« ….. L’arbitre avait le pouvoir de forcer la compagnie à faire ce qu’elle s’était engagée à faire et à en fixer les paramètres. »

Enfin l’avocat du syndicat cite l’opinion de l’arbitre Me Marie-France Bich dans Syndicat des professionnels de la Société de Transport de la CUM c. STCUM :

« Pour toutes ces raisons, nous sommes d’avis que l’arbitre des griefs possède en vertu de l’article 100,12G, le pouvoir de rendre des ordonnances de nature intérimaire, même lorsque celles-ci s’apparentent à des injonctions interlocutoires. »

L’arbitre avait donc juridiction pour ordonner la cessation des travaux. Cette conclusion n’était sans doute plus nécessaire puisque les travaux étaient déjà terminés; elle n’ajoute pas à la précédente où l’arbitre a fait droit au grief. »[36]

[74] Mais, Monsieur le juge Forget ajoute immédiatement :

« Le Tribunal n’estime pas que l’arbitre a voulu se projeter dans le futur et prévoir d’éventuelles violations à la convention collective. Cette deuxième conclusion, tout comme la première, concerne uniquement le grief dont l’arbitre était saisi. »[37] (nos soulignés)

[75] Dans cette même optique, le Tribunal note que l’arbitre J.P. Tremblay dans Syndicat des cols bleus de la Ville de Laval c. Ville de Laval[38] reconnaît qu’il n’a pas le pouvoir de rendre une sentence donnant effet à la conclusion suivante recherchée par le syndicat : « ordonner à la Ville de se conformer à son obligation pour les années futures. »[39]

[76] Il écrit :

« Ces deux ordonnances ne peuvent régler que la situation actuelle des parties.

Le syndicat recherche une ordonnance additionnelle qui ferait en sorte que la Ville devrait remplir son obligation pour les années futures. Or, la convention collective liant les parties est expirée depuis le 01 février 2000 et il appartient aux parties au premier chef de décider de renouveler ou de modifier ou d’annuler les dispositions en cause. En outre, le remède recherché par le syndicat s’apparente à une injonction permanente, et il n’est pas établi que le tribunal d’arbitrage ait compétence pour agir dans ce cadre. S’il y avait violation répétée par une partie de ne pas s’acquitter d’une obligation lui résultant de la convention collective, peut-être alors le forum approprié ne serait pas le tribunal d’arbitrage chargé d’adjuger sur un grief. »[40] (nos soulignés)

[77] Même si, en l’instance, la preuve est à l’effet qu’il y a des violations de l’article 6.04 b) de la convention collective par la Ville avant celle faisant l’objet du grief entendu par l’Arbitre, ceci ne permet pas, pour autant, à l’Arbitre de s’approprier un pouvoir que sa loi habilitante ne lui attribue pas.

[78] Le Tribunal note d’ailleurs que le Législateur attribue à d’autres tribunaux administratifs des pouvoirs plus étendus que ceux donnés à un arbitre. À titre d’exemple, il prévoit spécifiquement que la Commission des relations du travail peut émettre une ordonnance de la nature d’une injonction :

Article 119. « [Pouvoirs] Sauf au regard d’une grève, d’un ralentissement d’activités, d’une action concertée autre qu’une grève ou un ralentissement d’activités ou encore d’un lock-out, réels ou appréhendés, dans un service public ou dans les secteurs public et parapublic au sens du chapitre V.1, la Commission peut aussi :

1o ordonner à une personne, à un groupe de personnes, à une association ou à un groupe d’associations de cesser de faire, de ne pas faire ou d’accomplir un acte pour se conformer au présent code;

2o exiger de toute personne de réparer un acte ou une omission fait en contravention d’une disposition du présent code;

3o ordonner à une personne ou à un groupe de personnes, compte tenu du comportement des parties, l’application du mode de réparation qu’elle juge le plus approprié;

4o ordonner de ne pas autoriser ou participer ou de cesser d’autoriser ou de participer à une grève, à un ralentissement d’activités au sens de l’article 108 ou à un lock-out qui contrevient ou contreviendrait au présent code ou de prendre des mesures qu’elle juge appropriées pour amener les personnes que représente une association à ne pas y participer ou à cesser d’y participer; »

[79] Ainsi, retenir l’interprétation de l’Arbitre de l’article 100.12 g) du Code du travail aurait pour effet de rendre inutile ces autres dispositions du Code du travail, ce que la Cour suprême déclare qu’il faut éviter :

« Quant à l’art. 121 du Code, les termes lâches dans lesquels il est rédigé n’en facilitent pas l’interprétation. Cependant, si libérale que cette interprétation doive être, elle ne saurait l’être, comme le juge Pratte le note à juste titre, au point de rendre inutiles les autres dispositions du Code, dont l’art 183 et l’al. 183.1(1)a), qui précisent les pouvoirs du Conseil. Or tel serait le résultat de la prétention des procureurs du Conseil. Cette prétention, en rendant inutiles les autres dispositions qui précisent les pouvoirs du Conseil, non seulement pêche-t-elle contre les principes d’interprétation mais encore élimine-t-elle du même coup les limitations inhérentes à ces précisions et contredit-elle la volonté du législateur qui les a prescrites. »[41]

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[80] En résumé, le Tribunal est d’opinion que l’Arbitre n’a pas la compétence pour émettre l’Ordonnance contestée parce qu’elle équivaut à une injonction permanente, domaine de la juridiction exclusive de la Cour supérieure, et qu’il se prononce ultra petita.

[81] Vu cette conclusion du Tribunal, il n’y a pas lieu de se pencher sur les autres arguments mis de l’avant par la Ville à titre subsidiaire.

[82] Enfin, le Tribunal rappelle que la Ville dans sa requête en révision judiciaire, ne remet pas en question la conclusion de l’Arbitre à l’effet que « le 8 juin 2007, le Service a manqué à l’obligation qui lui incombe, suivant l’article 6.04 de l’entente collective, soit celle d’assurer en tout temps la présence d’un capitaine[42] » à la caserne 50.

[83] Dans les circonstances, l’Arbitre ayant même omis de rendre la sentence et la sanction allant de pair avec cette conclusion, il y a lieu de lui retourner le dossier.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[84] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;

[85] ANNULE l’ordonnance émise dans le cadre de la sentence arbitrale rendue le 8 mai 2008 par l’Arbitre défendeur Jean Denis Gagnon.

[86] ORDONNE à l’arbitre de grief, Jean Denis Gagnon, de reprendre le dossier pour rendre l’ordonnance pertinente à sa conclusion, à l’effet que la Ville de Montréal viole les dispositions de l’article 6.04 b) de la convention collective, le 8 juin 2007 à la caserne 50.




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MARC DE WEVER, J.C.S.



Me Karine Martel

CHAREST SÉGUIN CARON

Procureurs de la demanderesse



Me Bernard Philion

PHILION LEBLANC BEAUDRY

Procureurs de la mise en cause



Date d’audience :
11 février 2009













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[1] Il s’agit du Service de sécurité incendie de la Ville.

[2] Mémoire de la demanderesse, 17 septembre 2008, parag. 8.

[3] Mémoire de la mise en cause, 26 septembre 2008, parag. 4.

[4] Mémoire de la demanderesse, 17 septembre 2008, parag. 14 et 15.

[5] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 .

[6] Idem, parag. 66

[7] Ivanhoe Inc. c. TVAC, section local 500, 2001 CSC 47 , p. 21 sur 82.

[8] Pièce P-1.

[9] Idem note 5, parag.59.

[10] Syndicat des employés de production du Québec c. CCRT, [1984] 2 S.C.R. 412 , aux pages 420 et 421.

[11] Pièce P-2, p. 33.

[12] Pièce P-2, p. 36.

[13] ▪ DION, Gérard, Dictionnaire canadien en relations du travail (français, anglais), 2e éd., Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1986, p. 476; ▪ BLOUIN, R. et F. MORIN, « Droit de l’arbitrage de grief », Les Éditions Yvon Blais, inc., 2000, Montréal, p. 504-505; ▪ Association des employés de garage de Drummondville (C.S.N.) c. Gougeon & Frère ltée, D.T.E. 92T-543 .

[14] Pièce P-2, p. 38.

[15] Conseil des gouverneurs du Lethbridge Community College c. Alberta Union of Provincial Employees et al, 2004 CSC 28 .

[16] Sobeys Stores Ltd c. Yeomans et al, [1989] 1 RCS 238 .

[17] A.I.E.S.T., local de scène no. 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2 .

[18] Idem, p. 9 et 10 de 22.

[19] Serge Bell et autres c. Sobeys Québec Inc. et al, 500-09-016899-064, C.A., le 26 février 2008,

p. 13 sur 14.

[20] Idem, note 15.

[21] Idem, p. 20 sur 26.

[22] Idem, note 16.

[23] Idem, p. 40 et 41 sur 47.

[24] Pièce P-2, p. 34.

[25] Pièce P-2, p. 36.

[26] En présumant qu’il n’y a pas de requête en révision judiciaire ou d’inscription en appel.

[27] Pièce P-2, parag. 85, p. 38.

[28] Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929.

[29] Pièce P-1, p. 59.

[30] Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, Éditions Yvon Blais, 5e éd., p. 545.

[31] Le Groupe Jean Coutu (P.J.C.) Inc. c. Lefebvre, C.S.M. 500-05-010639-944, le 17 février 1995.

[32] Idem, p. 8 de 18.

[33] Hôpital St-Lambert c. Legendre et al, C.S.M., 500-05-008517-854, le 14 février 1986.

[34] Idem, p. 6 et 7 de 10.

[35] C.S.M., 500-05-007276-932, le 2 décembre 1993.

[36] Idem, p. 19 et suiv. de 21.

[37] Idem, p. 21.

[38] 2000 T-1011 (T.A.)

[39] Idem, p. 2 de 10.

[40] Idem, p. 7 de 10.

[41] Idem note 10, à la p. 432.

[42] Pièce P-2, p. 33.