Caron c. Comptables agréés (Ordre professionnel des)
no. de référence : 400-07-000011-087
CANADAPROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES
N° :
400-07-000011-087
DATE :
30 juin 2009
CORAM :
LES HONORABLES
DENIS LAVERGNE, J.C.Q.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.
FRANÇOIS GODBOUT, J.C.Q.
SYLVAIN CARON
APPELANT – intimé
c.
GINETTE LUSSIER-PRICE, FCA, en qualité de syndic
de l'Ordre des comptables agréés du Québec
INTIMÉE – plaignante
et
CLAUDETTE ROBERGE, en sa qualité de secrétaire
du Comité de discipline de l’Ordre des comptables agréés du Québec
MISE EN CAUSE
JL1755
JC1847
JG1132
JUGEMENT
[1] Le Tribunal statuant sur l’appel d'une décision sur culpabilité du Comité[1] de discipline de l’Ordre des comptables agréés du Québec rendue le 5 juillet 2007 et sur l’appel de la sanction prononcée le 11 décembre 2007;
[2] Pour les motifs exprimés par Mme la juge Danielle Côté, auxquels souscrivent MM. les juges Denis Lavergne et François Godbout;
LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE l’appel de la décision sur culpabilité du 5 juillet 2007 aux seules fins de prononcer une suspension conditionnelle des procédures en application de la règle interdisant les condamnations multiples;
ET PROCÉDANT à rendre la décision sur culpabilité qui aurait dû être rendue :
DÉCLARE l’appelant coupable des infractions énoncées au chef 1 de la plainte;
ORDONNE une suspension conditionnelle des procédures quant aux infractions énoncées au chef 1 relatives aux articles 5 et 23 du Code de déontologie des comptables agréés du Québec et à l’article 59.2 du Code des professions;
DÉCLARE l’appelant coupable des infractions énoncées au chef 2 de la plainte;
ORDONNE une suspension conditionnelle des procédures quant aux infractions énoncées au chef 2 relatives aux articles 5 et 23 du Code de déontologie des comptables agréés du Québec et à l’article 59.2 du Code des professions;
ACCUEILLE l’appel sur sanction;
INFIRME la décision sur sanction prononcée le 11 décembre 2007;
ET PROCÉDANT à rendre la décision sur sanction qui aurait dû être rendue à l’égard de ces chefs :
IMPOSE à l’appelant une amende de 2 000 $ quant au chef 1;
IMPOSE à l’appelant une amende de 1 000 $ quant au chef 2;
CONDAMNE l’appelant au paiement de la moitié des déboursés.
DENIS LAVERGNE, J.C.Q.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.
FRANÇOIS GODBOUT, J.C.Q.
Me Philippe Frère
Lavery, De Billy
Avocat de l'APPELANT - intimé
Me Michel Bélisle
Pouliot Caron Prévost Bélisle Galarneau
Avocat de l’INTIMÉE – plaignante
Mme Claudette Roberge
Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des comptables agréés du Québec
MISE EN CAUSE
Date d'audience :
7 janvier 2009
C.D. No :
09-06-00452
Décision sur culpabilité rendue le 5 juillet 2007
Décision sur sanction rendue le 11 décembre 2007
MOTIFS
de Mme la juge Danielle Côté
[3] L'appelant se pourvoit à l'encontre d'une décision sur culpabilité[2] du Comité de discipline de l'Ordre des comptables agréés du Québec (le Comité) l'ayant déclaré coupable des chefs d'infraction suivants[3] :
1. En faisant défaut, à Trois-Rivières, le ou vers le 6 janvier 2005, d’agir avec intégrité et dignité et d’éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession, plus particulièrement, en adressant, par l’entremise de la société GESTION S.D.E.E. INC., une société dont il était administrateur, président et actionnaire majoritaire, une note d’honoraires au montant de 12 500 $ plus taxes, à la société D-FENSE LTÉE pour des « honoraires de consultation et montage d’une structure financière », alors que lui et sa société n’avaient fourni aucun de ces services professionnels à la société D-FENSE LTÉE, contrevenant ainsi aux dispositions alors en vigueur des articles 5, 23 et 34 1° du Code de déontologie des comptables agréés (R.R.Q., c. C-48, r.2,01) et 59.2 du Code des professions.
2. En bénéficiant, à Trois-Rivières, au cours du mois de janvier 2005, d’une somme de 595 $ à titre de rémunération pour avoir adressé à la société D-FENSE LTÉE, par l’entremise de la société GESTION S.D.E.E. INC., une société dont il était administrateur, président et actionnaire majoritaire, une note d’honoraires au montant de 12 500 $ plus taxes, pour des services que lui et sa société n’avaient pas fournis, contrevenant ainsi aux dispositions alors en vigueur des articles 5 et 23 du Code de déontologie des comptables agréés (R.R.Q., c. C-48, r.2,01) et 59.2 du Code des professions.
[4] Il se pourvoit également à l'encontre de la décision sur sanction[4] du Comité lui ayant imposé une radiation temporaire de 18 mois.
Les faits
[5] Les faits ne sont pas contestés.
[6] L'appelant est comptable depuis 1991 et, au moment des évènements, il exerce sa profession au sein d'une société en nom collectif.
[7] Sa participation dans cette société de comptables est détenue par sa société de gestion, Gestion S.D.E.E. inc.
[8] En 1992, alors qu'il travaille pour le cabinet de comptables Samson/Bélair, il se lie d'amitié avec Michel Lesage (Lesage), un collègue de travail.
[9] Ce dernier quitte Samson/Bélair pour œuvrer dans le domaine financier.
[10] Plus particulièrement, il lance des sociétés de capital de démarrage (SCD) : ces SCD sont des entreprises cotées en bourse dont l'actif principal est constitué de liquidités leur permettant de rechercher des entreprises exploitées activement afin de les amener en bourse par le biais d'une prise de contrôle inversée.
[11] Entre 2000 et 2004, l'appelant investit dans certaines des SCD créées par Lesage.
[12] Au cours de l'année 2004, à la demande de ce dernier, l'appelant accepte de devenir président d'une nouvelle SCD : cette société sera constituée le 17 février 2005 sous la raison sociale D-Fense Capital ltée (Capital).
[13] Avant même la constitution de Capital, une cible potentielle d'acquisition est identifiée : D-Fense ltée, entreprise ayant comme objectif de commercialiser une caméra sous-marine développée par le ministère de la Défense nationale (Canada).
[14] D-Fense ltée est une entreprise alors en démarrage dont les dirigeants sont Gaston Sylvain (Sylvain) et Pierre Dion (Dion).
[15] Le 3 décembre 2004, la firme Jones, Gables et Cie soumet à Sylvain une offre de financement[5] de 120 000 $ contenant, entre autres, la mention suivante :
Notez que la société privée qui obtiendra la licence recevra dans les prochains jours une injection de $120 000 dont $60 000 sous forme d'injection en capital et $60 000 de prêt remboursable au moment de la cloture (sic) du financement public de $1 300 000 de la SCD. Le groupe qui organize (sic) cette transaction reçoit une commission de $12 000 pable (sic) en actions ordinaires.
[16] Le « groupe » auquel fait référence l'offre de financement est Capital Athéa ltée (Athéa) dont les dirigeants sont Maurice Montpetit et Daniel Ringuet.
[17] Maurice Montpetit demande à Lesage s'il connaît une personne qui pourrait servir d'intermédiaire dans la facturation de ses honoraires.
[18] Par ailleurs, la preuve révèle que les conjointes de ces derniers ont, chacune, conclu une convention de souscription pour 120 000 actions ordinaires de D-Fense ltée, en contrepartie du paiement de la somme de 6 000 $[6].
[19] Lesage demande à l'appelant d'agir comme intermédiaire et d'utiliser sa société Gestion S.D.E.E. inc. pour facturer les honoraires de financement de Athéa à D-Fense ltée.
[20] En contrepartie de ce service, Gestion S.D.E.E. inc. conserve 5 % du montant de la transaction[7].
[21] Le 6 janvier 2005, Gestion S.D.E.E. inc. transmet une facture de 12 500 $ (avant taxes) à D-Fense ltée pour [h]onoraires de consultation et montage d'une structure financière[8].
[22] Le 10 janvier 2005, Athéa transmet une facture de 11 905 $ (avant taxes) à Gestion S.D.E.E. inc.[9]
[23] Les factures sont dûment acquittées.
[24] La preuve révèle que l'appelant n'a pas demandé à Lesage pourquoi les parties voulaient qu'il agisse à titre d'intermédiaire, mais qu'il a toutefois vérifié que les services avaient été rendus par Athéa.
Les décisions du Comité de discipline
[25] Après avoir résumé les faits, le Comité souligne que l'intimée reproche à l'appelant d'avoir émis un faux document lors de l'émission de sa note d'honoraires, et ce, alors que ce dernier admet que ni lui ni sa société n'ont fourni de services à D-Fense ltée.
[26] Quant à la position de l'appelant, le Comité la résume ainsi[10] :
[16] L’intimé, quant à lui, ne nie pas les faits mais prétend que cette opération est tout à fait légale et conforme à l’article 1451 du Code civil du Québec qui traite de la simulation.
[17] Pour l’intimé, il aurait agi comme prête-nom de monsieur Montpetit, ce qui serait permis par la loi.
[27] Le Comité procède ensuite à l'analyse de la notion de simulation prévue à l'article 1451 du Code civil du Québec, conclut qu'il ne s'agit pas d'une simulation au sens de cet article et affirme[11] :
[32] Pour le Comité, nous sommes simplement en présence de deux faux documents successifs et non pas d’une simulation comme l’affirme l’intimé.
[…]
[34] Ce n’est donc pas ici une opération de simulation telle que définie par le Code civil du Québec mais une situation qui s’apparente à la fraude.
[35] L’intimé est un comptable agréé et en s’associant à une telle opération a commis une faute grave.
[36] L’intimé ayant reconnu tous les faits, il sera donc déclaré coupable sur chacun des chefs.
[28] Dans sa décision sur sanction, le Comité résume la position des parties : l'intimée suggère une radiation provisoire de trois ans alors que l'appelant affirme que la situation ne justifie pas une radiation.
[29] Le Comité reproche à l'appelant de ne pas reconnaître l'intégrité comme étant la valeur la plus importante pour un comptable agréé et insiste sur le fait que l'appelant savait qu'il participait à une opération de camouflage.
[30] Le Comité reconnaît les conséquences néfastes du verdict de culpabilité pour l’appelant et sa famille, ce qui l'amène à conclure que la suggestion de 3 ans est déraisonnable, mais impose une sanction de 18 mois sur chacun des 2 chefs, à être purgée concurremment, puisqu'il s'agit d'une offense qui est au cœur de l'exercice de la profession de comptable agréé[12].
Les prétentions des parties
[31] L'appelant reproche au Comité de l'avoir déclaré coupable d'avoir commis une faute grave sans relier cette faute à l'une des dispositions que l'intimée allègue avoir été violées : il invoque donc une absence de motivation.
[32] L'appelant ajoute que les faits mis en preuve ne permettaient pas de conclure qu'il y avait eu violation de ces dispositions.
[33] Subsidiairement, il rappelle que, tout au moins, le Comité aurait dû appliquer la règle interdisant les condamnations multiples et ordonner une suspension conditionnelle des procédures sur certains des chefs d'infractions.
[34] Il ajoute que la sanction est déraisonnable eu égard à toutes les circonstances et plus particulièrement, que le Comité a erré en affirmant que l'appelant n’admettait pas la gravité des gestes qui lui sont reprochés et qu'il ne reconnaissait pas l'intégrité comme étant la valeur la plus importante pour un comptable agréé.
[35] L'appelant reproche également au Comité d'avoir conclu que les gestes posés étaient au cœur de l'exercice de la profession de comptable.
[36] Il rappelle les nombreux facteurs subjectifs jouant en faveur de l'appelant et le fait que le Comité a écarté la nombreuse jurisprudence soumise par son procureur sans même se donner la peine de l'analyser, et ce, au motif que les faits et les époques diffèrent[13].
[37] L'intimée réplique que la décision du Comité, bien que succincte, est motivée et respecte les prescriptions de l'article 154 du Code des professions[14].
[38] Elle ajoute que l'appelant ayant admis les faits, force est de conclure que la preuve des infractions reprochées était faite et qu'il ne restait au Comité qu'à analyser les prétentions de l'appelant quant à l'existence d'une simulation au sens du Code civil du Québec.
[39] Quant à la sanction, l'intimée rappelle que la jurisprudence du Comité de discipline de l'Ordre des comptables agréés révèle que des sanctions sévères sont imposées lorsqu'il y a confection de faux documents.
[40] Quant au repentir et à l'absence de risque de récidive, l'intimée mentionne[15] :
Relativement à l’argument de l’appelant à l’effet qu’il aurait manifesté un repentir sincère quant à la situation et que les risques de récidive seraient, selon lui, inexistants, il importe de rappeler que ce dernier a toujours prétendu et prétend toujours qu’il ne s’est jamais associé à des documents faux et que sa conduite n’est pas contraire à la déontologie. À la lumière des faits mis en preuve, il s’agit-là d’affirmations pour le moins inquiétantes qui ne sont guères rassurantes en terme de protection du public.
Les dispositions législatives pertinentes
[41] L'intimée reproche à l'appelant d'avoir violé les dispositions suivantes :
Code de déontologie des comptables agréés[16] :
5. Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession.
23. Le membre doit remplir ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.
34. Dans toutes les circonstances, que ce soit envers le public, un client ou un employeur, le membre ne doit pas signer, préparer, produire ou même associer son nom à :
1° des lettres, rapports, déclarations, exposés ou états financiers, s'il sait ou devrait savoir que ces documents sont erronés ou fallacieux;
Code des professions :
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l'ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l'honneur, la dignité ou l'exercice de sa profession.
La question en litige
[42] À la lumière des mémoires et des arguments oraux des parties, il m'apparaît que les questions en litige sont les suivantes :
1. La décision du Comité est-elle suffisamment motivée?
2. Le Comité a-t-il erré en concluant que les faits mis en preuve et non contestés permettaient de conclure à la culpabilité de l'appelant pour chacune des infractions déontologiques reprochées?
3. Le Comité a-t-il erré en n'appliquant pas la règle interdisant les condamnations multiples?
4. La sanction est-elle déraisonnable?
La norme de contrôle
[43] Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[17], la Cour suprême du Canada conclut que l’analyse relative à la norme de contrôle emporte l’application de deux normes : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.
[44] Dans cette affaire, la Cour précise également qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle : lorsque la jurisprudence a déjà établi la norme applicable pour une question donnée, l’analyse est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise[18].
[45] En l’espèce, la jurisprudence ne laisse planer aucun doute quant à la première question : l’absence de motivation entraîne l’application de la norme de la décision correcte[19].
[46] Il en est de même de la deuxième question : il s’agit d’une question mixte de droit et de fait et la jurisprudence a établi que dans un tel cas, la norme applicable est celle de la décision raisonnable[20].
[47] La question concernant l’application de la règle interdisant les condamnations multiples fait aussi l’objet d’une jurisprudence constante concluant à l’application de la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit.
[48] Quant au caractère raisonnable de la sanction, ici encore, l’analyse n’est pas nécessaire puisque la jurisprudence du Tribunal des professions et de la Cour d’appel du Québec confirme que l’analyse doit se faire en fonction de la norme du caractère raisonnable[21].
Analyse
1. La décision du Comité est-elle suffisamment motivée?
[49] Essentiellement, l’appelant reproche au Comité d’avoir conclu à sa culpabilité au motif qu’il aurait commis une faute grave, et ce, sans s’interroger sur les éléments essentiels de chacune des dispositions législatives alléguées dans les chefs d’infraction.
[50] L’appelant affirme qu’avant même de se prononcer sur l’argument qu’il soumet concernant la simulation au sens du Code civil du Québec, le Comité devait décider si les faits mis en preuve constituaient une violation de ces dispositions législatives.
[51] De prime abord, l’argument est séduisant : en effet, le Comité n’indique pas dans quelle mesure la preuve faite l’amène à conclure à la violation des dispositions alléguées dans les deux chefs d’infraction.
[52] Le Comité se contente d’analyser la défense présentée par l’appelant, la rejette et, par voie de conséquence, conclut à la culpabilité de ce dernier.
[53] Si les faits étaient contestés, la situation serait problématique et m’amènerait à conclure à une absence de motivation vu le défaut d’analyser les éléments essentiels constitutifs des infractions reprochées.
[54] Dans Société des services Ozanam inc. c. Québec (Commission municipale)[22], la Cour supérieure s’exprime ainsi :
[…] Sans exiger du décideur qu'il livre tous les méandres de sa réflexion, on s'attend à ce qu'il s'exprime intelligiblement, de façon à permettre aux justiciables et aux plaideurs de comprendre le processus décisionnel et aux tribunaux supérieurs d'exercer adéquatement leur pouvoir de contrôle et de surveillance.
[…]
[…] La motivation logique constitue pour le justiciable une garantie que la décision qui affecte ses droits n'est pas le résultat d'une appréciation arbitraire mais qu'elle repose sur une réflexion dont les raisons sont suffisamment et intelligiblement explicitées dans la décision. Vue ainsi, l'obligation de motiver est une composante des règles de la justice naturelle et elle permet au justiciable d'exercer pleinement les recours qui sont mis à sa disposition, que ce soit l'appel ou le recours en révision judiciaire. […] pour déterminer si une décision d'un tribunal administratif est déraisonnable, "l'accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivé le tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivé à ce résultat(12)."
[…]
[…] Pour échapper à l'arbitraire, le décideur doit recourir aux procédés du raisonnement niais(sic) il doit, en donnant ses motifs, démontrer que sa décision n'est pas le fruit d'un caprice. […]
(Référence omise)
[55] En l’espèce, la preuve non contredite révèle :
- que l’appelant a émis une note d’honoraires de 12 500 $ à la société D-Fense ltée pour des honoraires de consultation et montage d’une structure financière[23];
- que les services mentionnés sur cette facture n’ont pas été rendus par l’appelant;
- que l’appelant n’a jamais agi comme consultant de D-Fense ltée;
- que l’appelant, par le truchement de sa compagnie de gestion, a reçu la somme de 595 $ pour cette fausse note d’honoraires;
- que ce document est susceptible d’être analysé par un comptable agissant dans le cadre d’une vérification et, par voie de conséquence, peut l’induire en erreur.
[56] À l’évidence, le Comité a conclu que le fait pour un comptable agréé de se livrer à de telles manœuvres constituait un geste d’association à un document fallacieux au sens de l’article 34 (1°) du Code de déontologie des comptables agréés, un manquement à l’intégrité au sens de l’article 23 dudit Code, qu’une telle attitude est susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession de comptable, et ce, en violation de l’article 5 du même Code et, finalement, que de tels gestes sont dérogatoires au sens de l’article 59.2 du Code des professions.
[57] Peut-on sérieusement contester la conclusion du Comité à cet égard?
[58] Dans la mesure où ce dernier ne retient pas les prétentions de l’appelant quant à la notion de simulation, force est de constater qu’à la lumière des faits prouvés, une seule conclusion s’imposait : un verdict de culpabilité qui, toutefois, devait tenir compte de la règle interdisant les condamnations multiples.
[59] À mon avis, bien que le Comité eût pu motiver plus amplement, la lecture de l’ensemble de la décision permet à l’appelant de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un caprice ou d’une décision arbitraire, mais bien d’une décision raisonnée qui, une fois ses prétentions rejetées, ne pouvait mener qu’à une seule solution.
[60] Elle est donc suffisamment motivée au sens de l’article 154 du Code des professions.
2. Le Comité a-t-il erré en concluant que les faits mis en preuve et non contestés permettaient de conclure à la culpabilité de l'appelant pour chacune des infractions déontologiques reprochées?
[61] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que le Comité n’a pas erré et que les faits mis en preuve permettent de conclure à la culpabilité de l’appelant sur chacune des infractions déontologiques reprochées.
[62] Dans la mesure où le Comité rejette, avec raison, la notion de simulation proposée par l’appelant, il faut conclure que le fait pour un comptable de préparer une fausse note d’honoraires et d’être rémunéré pour ce faire est susceptible de porter atteinte à la bonne réputation de la profession et, par voie de conséquence, constitue une conduite contraire à l’article 5 du Code de déontologie des comptables agréés.
[63] Ceci constitue également un acte dérogatoire au sens de l’article 59.2 du Code des professions.
[64] Quant à l’infraction prévue à l’article 23 de ce Code qui prévoit que le membre doit remplir ses obligations avec intégrité, l’appelant prétend qu’il n’a pu violer cet article puisqu’il n’avait aucune obligation professionnelle envers D-Fense ltée.
[65] Avec respect pour l’opinion contraire, dans la mesure où l’appelant accepte de fournir une facture à titre d’intermédiaire, dans laquelle il fait référence à des services professionnels supposément rendus en sa qualité de comptable et en acceptant une rémunération pour ce faire, il n’a pas rempli ses obligations professionnelles avec dignité.
[66] Rien dans l’article 23 ne permet de conclure que les termes « obligations professionnelles » sont limités à une véritable relation client – comptable.
[67] Quant à l’infraction prévue à l’article 34 (1°), l’appelant soumet[24] :
72. Cette disposition se lit comme suit :
« 34. Dans toutes les circonstances, que ce soit envers le public, un client ou un employeur, le membre ne doit pas signer, préparer, produire ou même associer son nom à :
1° des lettres, rapports, déclarations, exposés ou états financiers, s’il sait ou devrait savoir que ces documents sont erronés ou fallacieux;
(…) »
73. De toute évidence, nous ne sommes pas ici en présence d’une lettre, d’un rapport, d’une déclaration, d’un exposé ou d’états financiers, documents couverts par l’article 34 (1°);
74. La preuve n’établit pas non plus que la facture en cause soit « erronée » – c’est-à-dire entachée d’une erreur – ni « fallacieuse », c’est-à-dire destinée à tromper13. Rappelons encore ici la présomption de l’article 2805 C.c.Q.; aucune preuve n’existe au dossier pouvant mener à la conclusion que la facture était destinée à tromper les créanciers de D-Fense Ltée (ou d’autres tiers) ni à contourner les dispositions d’ordre public.
(Nos soulignements)
(Référence omise)
[68] L’intimée y répond de la façon suivante[25] :
Or, contrairement aux prétentions de l’appelant qui nie l’application de cet article en l’espèce, nous soumettons que la facture à laquelle réfère le chef 1 de la plainte peut effectivement être qualifiée de lettre, de déclaration ou d’exposé au sens de l’article 34 1° du Code de déontologie des comptables agréés.
Le Nouveau Petit Robert de la langue française, édition 2007, définit ainsi ces trois vocables :
« LETTRE : n.f. (…)
III TEXTE ADRESSÉ À QUELQU’UN – 1 (fin XIIe x.) Écrit que l’on adresse à qqn pour lui communiquer qqch.
(…)
SPÉCIALT Document officialisant un acte commercial, certains actes juridiques, une opération financière. (…) »
« DÉCLARATION (…) n.f. XIIIe, latin déclaratio (sic) – 1 Action de déclare; (…) Déclaration d’assurance. Déclaration de revenus imposables (…) »
« EXPOSÉ (…) n.m. (…) description, énoncé, (…) 1 écrit, 2 (…) note. (…) »
La facture à laquelle réfère le chef 1, et qui fut produite comme pièce P-2 (D.C., Vol. 1, p. 65) portait une (sic) en-tête, une date, était libellée à D-Fense Ltée, à l’attention de M. Pierre Dion, vice-président, avec mention de son adresse, décrivait le sujet et concluait par une note demandant de libeller le chèque à l’attention de Gestion SDEE Inc. avec l’adresse de cette dernière société. Il s’agissait donc d’une lettre adressée à quelqu’un pour lui communiquer une information, d’un document déclarant une situation de fait et d’un exposé énonçant et décrivant les travaux pour lesquels on réclamait une note d’honoraires.
(Références omises)
[69] Je suis d’accord avec cette analyse.
[70] Quant au fait que la facture soit fallacieuse, rien dans le texte de l’article 34 ne permet de conclure à l’exigence de la preuve d’une turpitude morale pour pouvoir enregistrer un verdict de culpabilité.
[71] À l’évidence, peu importe le but poursuivi par les parties, le simple fait de préparer une fausse note d’honoraires permet de conclure que quelqu’un, quelque part, a intérêt à camoufler la réalité. Sinon pourquoi utiliser un tel stratagème?
[72] Il s’agit donc d’un document sinon fallacieux, tout au moins erroné : ceci suffit pour conclure à la culpabilité de l’appelant tenant compte des faits mis en preuve.
3. Le Comité a-t-il erré en n'appliquant pas la règle interdisant les condamnations multiples?
[73] Encore une fois, nous sommes aux prises avec une décision d’un Comité de discipline qui fait fi de la règle interdisant les condamnations multiples, et ce, malgré les nombreux rappels à l’ordre du Tribunal des professions[26].
[74] Compte tenu de mes conclusions quant au fait que la preuve révèle la commission de chacune des infractions reprochées, et ce, dans les deux chefs d’infraction, il y a lieu d’accueillir l’appel aux seules fins de corriger cette lacune.
[75] Quant au chef 1, j’ordonnerais une suspension conditionnelle des procédures pour les infractions relatives aux articles 5 et 23 du Code de déontologie des comptables agréés du Québec et à l’article 59.2 du Code des professions.
[76] Quant au chef 2, j’ordonnerais une suspension conditionnelle des procédures pour les infractions relatives aux articles 5 et 23 du Code de déontologie des comptables agréés du Québec et à l’article 59.2 du Code des professions.
4. La sanction est-elle déraisonnable?
[77] Encore récemment, dans Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Desjeans[27], le Tribunal des professions rappelait les principes applicables dans le cadre d’un appel sur sanction.
[78] Ces principes sont les suivants :
- le Tribunal n’intervient qu’avec réserve et seulement lorsqu’il est convaincu que la sanction est injuste et déraisonnable eu égard aux faits mis en preuve;
- la sanction n’est pas déraisonnable du simple fait qu’elle est sévère; elle le devient lorsqu’elle est injuste et inadéquate compte tenu de la gravité de l’infraction et des circonstances atténuantes et aggravantes propres au dossier;
- la sanction disciplinaire a comme objectifs : la protection du public, la dissuasion spécifique et générale et le droit du professionnel à l’exercice de sa profession;
- elle doit tenir compte des facteurs objectifs et subjectifs propres au dossier.
[79] Par ailleurs, la norme d’intervention étant celle du caractère raisonnable de la sanction, le Tribunal n’interviendra que si cette sanction ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit[28].
[80] La décision sur sanction est, pour le moins, succincte.
[81] Mis à part le résumé de l’historique du dossier et des prétentions des parties, la motivation du Comité repose essentiellement sur les paragraphes suivants[29] :
[22] Chaque cas est un cas d’espèce mais le Comité constate qu’il y a un dénominateur commun; en effet, l’intimé ne semble pas capable, comme dans les autres dossiers d’ailleurs, de reconnaître la gravité des gestes qui lui sont reprochés; c’est donc dire que l’intimé ne reconnaît pas l’intégrité comme étant la valeur la plus importante pour un comptable agréé; c’est pour le moins inquiétant.
[…]
[26] Le Comité endosse la position de la plaignante sur la gravité des reproches; l’intimé savait très bien ce qu’il faisait en participant à l’élaboration du stratagème.
[27] Le Comité ne croit pas à l’innocence de l’intimé, au sens de l’état d’une personne qui ignore le mal; il savait qu’il participait à une opération de camouflage.
[…]
[29] L’intimé a d’ores et déjà été puni sévèrement par le traitement qu’il a reçu de ses associés et de son milieu, de sorte qu’ajouter une radiation temporaire de trois ans serait déraisonnable; le Comité condamnera donc l’intimé à une radiation temporaire de 18 mois sur chacun des deux chefs de la plainte, à être purgée concurremment, puisqu’il s’agit ici d’une offense qui est au cœur de l’exercice de la profession de comptable agréé.
[82] L’appelant reproche au Comité les erreurs suivantes :
- avoir conclu qu’il ne reconnaît pas la gravité des gestes posés;
- avoir conclu qu’il ne reconnaît pas l’intégrité comme la valeur la plus importante pour un comptable agréé;
- avoir conclu qu’il a participé à l’élaboration d’un stratagème;
- avoir conclu que les gestes posés sont au cœur même de l’exercice de la profession;
- ne pas avoir pris en considération l’incompatibilité de la sanction imposée en comparaison avec celle prononcée par une autre formation du Comité de discipline, toutefois présidée par le même président, dans Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Desjeans[30];
- ne pas avoir tenu compte des nombreux facteurs subjectifs jouant en sa faveur;
- avoir écarté du revers de la main la jurisprudence citée par son procureur au motif que les faits et les époques différaient grandement.
[83] Je suis d’avis que tous ces moyens sont fondés et que le Comité a imposé une sanction démesurément sévère eu égard aux circonstances particulières de l’espèce et à la jurisprudence en semblable matière.
[84] Dans un premier temps, le Comité ne peut reprocher à l’appelant le fait qu’il ait fait une défense invoquant la simulation prévue au Code civil du Québec : ce n’est pas parce que le Comité n’a pas retenu ses prétentions qu’il faut conclure que l’appelant ne reconnaît pas la gravité des gestes posés.
[85] L’appelant a expliqué que, dans son esprit, avoir agi comme personne interposée dans la facturation ne présentait pas d’aspect frauduleux ni de conséquence préjudiciable puisque les services avaient véritablement été rendus et c’est pourquoi il ne croyait pas enfreindre son code de déontologie.
[86] Il a eu tort et le Comité l’a à bon droit déclaré coupable.
[87] Dans son témoignage lors de l’audience quant à la détermination de la sanction, l’appelant reconnaît qu’il n’aurait pas dû agir ainsi[31] :
Q […] Maintenant, a posteriori est-ce que vous acceptez la position de la syndic (sic) que vous avez manqué de discernement relativement à cette situation-là?
R Effectivement.
Q Et est-ce que vous admettez également que vous n’avez pas exercé votre jugement correctement à ce moment-là?
R Effectivement. J’aurais dû, on pourrais (sic) dire « challenger » ou en tout cas refuser à Michel Lesage ça. Parce que je l’aurais pas fait si un client me l’aurait demandé. Je l’ai fait parce que c’est un ami.
[88] Ce passage démontre clairement que l’appelant a compris, reconnaît que la syndique a raison et qu’il aurait dû refuser.
[89] La conclusion du Comité est tout aussi erronée eu égard au fait que l’appelant ne reconnaît pas l’intégrité comme étant une valeur fondamentale pour un comptable agréé.
[90] Tous les témoins entendus témoignent de son intégrité professionnelle et du fait qu’ils ont une totale confiance en lui. Plus encore, l’un des témoins précise que l’appelant l’a rencontré pour lui expliquer la situation et lui demander de vérifier si ses clients veulent encore faire affaire avec lui[32].
[91] Quant à l’appelant, il affirme que l’intégrité est une valeur importante pour lui dans son travail[33] :
Q Monsieur Caron, de façon générale est-ce que vous vous considérez comme un individu, un comptable intègre?
R Oui. Oui. J’ai toujours fait mon travail consciencieusement, j’ai toujours été intègre dans ce que je faisais, j’ai jamais pris part dans des états financiers que je signais ou que je faisais du travail de vérification. S’il y avait des choses qui étaient anormales, j’en faisais part aux client (sic) peu importe ce que le client pouvait me dire. Alors j’acceptais pas ce type de transaction ou je n’acceptais pas une telle présentation ou je tenais à mettre des notes dans les états financiers, peu importe les conséquences que ça pouvait apporter dans l’entreprise. Je me considère intègre.
[92] À la lumière de la preuve faite, il ne s’agit pas de paroles prononcées en l’air.
[93] En effet, plusieurs mois après les évènements, comme la transaction envisagée n’a pas lieu, Pierre Dion, vice-président de D-Fense ltée, menace l’appelant de porter plainte auprès de l’Ordre des comptables agréés et de dénoncer la situation concernant la facturation des honoraires.
[94] L’appelant ne cède pas au chantage et s’explique ainsi[34] :
Q Est-ce que vous avez cédé à la pression, Monsieur Caron?
R Ça m’a, entre guillemets, « shaké », mais non, j’ai dit… je me suis dit : j’aime autant qu’ils fassent une plainte à l’Ordre que j’aie deux cents (200) actionnaires qui disent que j’ai manqué de jugement là-dedans. Alors peu de temps après, bien qu’il y a une plainte qui est rentrée au bureau de madame Price. Je pense que j’ai bien coopéré là-dedans. J’ai appelé madame Price immédiatement après la réception de la plainte pour pouvoir la rencontrer.
[95] Tenant compte de l’ensemble de la preuve sur sanction, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de comprendre comment le Comité peut affirmer que l’appelant ne reconnaît pas l’intégrité comme étant une valeur essentielle pour un comptable.
[96] Il en est de même quant à l’affirmation concernant l’élaboration d’un stratagème : rien dans la preuve ne permet de conclure que l’appelant est à la source de ce stratagème. Il y a participé, mais ne l’a pas conçu ou mis en place.
[97] Quant au fait que les gestes reprochés soient au cœur de l’exercice de la profession de comptable agréé, le Comité l’affirme sans plus d’explications!
[98] L’affirmation surprend d’autant plus que le Comité est présidé par le même président qui, agissant dans l’affaire Desjeans mentionnée précédemment, concluait que le fait pour un comptable de produire de faux documents pour le compte d’une entreprise cliente alors qu’il était vérificateur des états financiers de cette dernière, n’était pas à strictement parler un acte au cœur de l’exercice de la profession[35] :
[33] À première vue, l’opération reprochée à l’intimé n’est pas, à strictement parler, au cœur de l’exercice de la profession de comptable agréé puisque Groupaction Marketing inc., la cliente de l’intimé, aurait de toute manière payé Richard Boudreault; en définitive, cela ne change rien aux états financiers de la cliente.
(Soulignements omis)
[99] Contrairement à l’affaire Desjeans, ici, le geste posé par l’appelant se situe en dehors du cadre d’exercice de sa profession de comptable : il s’agit d’un geste posé dans le cadre de relations d’affaires alors qu’il n’agit pas à titre de comptable et ne s’identifie pas comme tel.
[100] Il est vrai, comme le souligne le Tribunal des professions dans le jugement cassant la sanction dans l’affaire Desjeans, que la vérification est un des éléments importants de la profession de comptable.
[101] Toutefois, en l’espèce, à la différence de l’affaire Desjeans, les relations de l’appelant avec les parties impliquées n’ont rien à voir avec son statut de comptable.
[102] À l’inverse, ce n’est pas le bureau de comptable de l’appelant qui a produit la facture, mais bien sa société de gestion.
[103] Les faits dans le présent dossier n’ont aucune commune mesure avec ceux reprochés à Desjeans : comment alors concilier la disparité de sanctions?
[104] Comment expliquer que Desjeans soit condamné à des amendes et à une radiation de 3 mois et l’appelant à une radiation de 18 mois?
[105] Serait-ce parce que l’appelant, contrairement à Desjeans, n’a pas plaidé coupable?
[106] La gravité des gestes posés par Desjeans a convaincu le Tribunal des professions d’intervenir et de remplacer les amendes par une radiation de 18 mois.
[107] Compte tenu des nombreux facteurs subjectifs présents dans notre dossier et des circonstances particulières entourant les gestes posés, il m’apparaît évident que l’appelant ne peut recevoir une sanction identique.
[108] Je suis d’avis que si le Comité avait analysé la jurisprudence soumise par le procureur de l’appelant et appliqué les principes reconnus en matière de détermination de la sanction juste et appropriée, il n’aurait pu arriver à la conclusion à laquelle il en est venu.
[109] Le Comité ne pouvait simplement rejeter cette jurisprudence au motif que les faits et les époques différaient!
[110] Je fais miens les propos suivants du procureur de l’appelant qui, après avoir résumé la jurisprudence sur laquelle il s’appuyait, mentionne[36] :
103. Il faut noter que dans la majorité de ces décisions, l’acte reproché fut commis dans le cadre de l’exercice de la profession; comment, encore une fois, l’appelant peut-il en toute justice être radié pour une infraction reprochée qui est moins grave – au niveau objectif – que toute (sic) celles décrites ci-haut?
104. Le Comité a choisi de ne pas faire l’analyse de cette jurisprudence au motif que « les faits et les époques diffèrent grandement de la présente affaire »; les précédents ne peuvent être sommairement écartés pour ces motifs. Au contraire, leur analyse, avec les distinctions qui s’imposent, aurait convaincu un Comité correctement instruit en droit qu’une sanction de radiation est, dans les circonstances du dossier, déraisonnablement sévère;
[111] La lecture de la jurisprudence à laquelle fait référence le Tribunal des professions dans Desjeans me convainc que la radiation imposée en l’espèce est une sanction démesurée puisque, contrairement aux affaires citées, en l’espèce, mis à part le montant de 595 $ facturé, l’appelant n’a pas bénéficié autrement de la situation et les services décrits à la facturation ont été réellement rendus, mais par une tierce personne.
[112] Il me semble utile de rappeler que dans Desjeans, il s’agit de gestes posés à répétition et soigneusement préparés : en effet, les factures font référence à des services qui auraient pu, dans les faits, être rendus par la firme comptable de Desjeans.
[113] Consciemment, Desjeans a peaufiné des factures permettant de camoufler le fait que les sommes réclamées servaient à payer un employé qui participait à une campagne électorale.
[114] Par ailleurs, rappelons que Desjeans a été impliqué dans le scandale des commandites et a témoigné devant la Commission Gomery : à l'évidence, une sanction exemplaire s’imposait afin de dissuader tout autre membre de la profession d’adopter une telle attitude.
[115] Tel n’est pas le cas en l’espèce : nous sommes loin de la situation pernicieuse révélée par l’affaire Desjeans; la longueur de la radiation imposée par le Comité en comparaison de celle imposée à Desjeans laisse perplexe.
[116] Compte tenu de la particularité du geste posé en l’instance, je suis d’avis que privilégier la dissuasion générale au détriment des nombreux facteurs atténuants jouant en faveur de l’appelant, est déraisonnable et justifie l’intervention du Tribunal.
[117] Le principe de parité des sanctions ne peut que mener à une sanction moins sévère pour l’appelant que pour Desjeans.
[118] Par ailleurs, le dossier présente de nombreux facteurs subjectifs qui n’ont pas vraiment été analysés par le Comité. L’appelant les résume ainsi dans son mémoire[37] :
100. Au contraire, au niveau des facteurs subjectifs :
- l’appelant pratique depuis 1991, sans dossier disciplinaire antérieure (sic);
- il a manifesté un repentir sincère quant à la situation;
- les risques de récidive sont inexistants;
- les parties impliquées n’ont subi aucun préjudice;
- il a payé chèrement au niveau professionnel et pécuniaire, ayant été expulsé par ses associés et s’étant retrouvé, du jour au lendemain, sans revenu;
- il a subi la honte et le déshonneur, ayant fait l’objet d’articles dans les journaux dans une ville que les témoins ont qualifiée de milieu où tout se sait;
- ses clients ont malgré tout conservé une image positive de lui, ce qui indique que, si tant est que son geste ait pu porter atteinte à l’honneur ou à l’intégrité de sa profession, cette atteinte demeure bien relative.
[119] Compte tenu de la radiation imposée par le Tribunal des professions dans Desjeans, de la gravité objective moindre des gestes posés par l’appelant, des facteurs subjectifs mentionnés au paragraphe précédent, des principes établis par les tribunaux supérieurs quant à l’appréciation de la sanction appropriée en matière disciplinaire, je propose d’imposer à l’appelant une amende de 2 000 $ sur le premier chef et une amende de 1 000 $ sur le deuxième chef.
[120] Compte tenu du résultat de l’appel, je suggère que l’appelant soit condamné au paiement de la moitié des déboursés.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.