Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnai
no. de référence : 500-09-018549-089
Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires2009 QCCA 1627
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE
MONTRÉAL
N° :
500-09-018549-089
(500-11-029388-069)
(500-11-028137-061)
DATE :
Le 2 septembre 2009
CORAM :
LES HONORABLES
JOSEPH R. NUSS, J.C.A.
PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.A.
POWER CORPORATION DU CANADA
APPELANTE - Requérante
c.
MOUVEMENT D’ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES
INTIMÉE -Intimée
et
GESCA LTÉE
et
LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions
MIS EN CAUSE – Mis en cause
ARRÊT
[1] LA COUR; - Statuant sur l’appel d’un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, district de Montréal, le 29 février 2008 et rectifié les 3 mars et 16 avril 2008 (l’honorable Robert Mongeon), qui a conclu que l’appelante devait, sous l'art. 157 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, maintenir à la disposition de ses actionnaires à son siège social de Montréal, une copie des états financiers de toutes ses filiales et sous-filiales;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrivent les juges Nuss et Duval Hesler :
[4] REJETTE, car non nécessaire, la requête amendée de bene esse pour permission d'appeler, sans frais;
[5] REJETTE l'appel, avec dépens.
JOSEPH R. NUSS, J.C.A.
PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.A.
Me Luc Giroux
Me Claude Morency
Me Mélissa Thibault
Fraser Milner Casgrain sencrl
Avocats de l’appelante et de la mise en cause Gesca Ltée
Me Guy Paquette
Me Philippe Charest-Beaudry
Me Karine St-Louis
Paquette Gadler Inc.
Avocats de l’intimée
Date d’audience :
31 octobre 2008
MOTIFS DU JUGE DALPHOND
[6] Power Corporation se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a conclu qu'elle devait, sous l'art. 157 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44 (Loi), maintenir à la disposition de ses actionnaires à son siège social de Montréal, une copie des états financiers de toutes ses filiales et sous-filiales. Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter son appel.
MISE EN CONTEXTE
[7] Le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) s'illustre par ses dénonciations de certaines pratiques et décisions des personnes morales cotées en bourse. À cette fin, le MÉDAC achète quelques-unes de leurs actions, puis pose des gestes d'éclats lors de leur assemblée d'actionnaires ou initie des procédures judiciaires. Son président était jusqu'à récemment Yves Michaud.
[8] Au début de mai 2006, M. Michaud, en sa qualité d'actionnaire, demande à l'appelante de consulter les états financiers d'une de ses filiales, la mise en cause Gesca Ltée, propriétaire de plusieurs quotidiens, dont La Presse. L'appelante rétorque par une requête (ci-après, le premier dossier) où elle sollicite une ordonnance sous les art. 157(3) et 247 de la Loi qui interdirait l'examen par M. Michaud des états financiers de Gesca alléguant la nécessité de préserver des informations confidentielles par rapport à son seul concurrent, Quebecor Média. De plus, elle fait valoir que ces renseignements sont non significatifs sur la valeur de ses titres.
[9] En novembre de la même année, M. Michaud demande accès aux états financiers des filiales de Gesca. L'appelante introduit alors une deuxième requête d'interdiction (ci-après, le deuxième dossier), alléguant la nécessité de protéger des informations névralgiques face à la concurrence de Quebecor Média. En janvier 2007, par une deuxième requête, elle demande le rejet de la deuxième demande de M. Michaud car incompatible avec les dispositions de l'art. 157 de la Loi, l'appelante ne consolidant pas les comptes des filiales de Gesca avec les siens.
[10] Le 10 janvier 2008, dans le cadre d'une conférence de gestion, le juge Mongeon de la Cour supérieure constate que les parties ont une difficulté réelle sur la portée de l'art. 157 et les invite à lui présenter une requête en jugement déclaratoire sur une question de droit dans le deuxième dossier, tout en suspendant le premier, ce que permet l'art. 452 C.p.c. Peu après, M. Michaud est remplacé de consentement par le MÉDAC comme partie intimée aux procédures.
[11] Par la suite, l'appelante dépose une requête en jugement déclaratoire à laquelle le MÉDAC répond par une contestation et demande reconventionnelle. Afin de circonscrire le débat, les parties ont cependant convenu des faits suivants :
- Aucune consolidation des comptes de filiales de Gesca ne se fait directement au niveau des états financiers de Power Corp.;
- Power Corp. ne reçoit ni ne garde à son siège social copie des états financiers des filiales de Gesca;
- Les comptes de Gesca sont consolidés dans les états financiers de Power Corp. et les états financiers de Power Corp. sont préparés selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR) par Deloitte & Touche;
- Les états financiers de Gesca sont le résultat d'une consolidation de ses propres comptes et de ceux de ses filiales, préparés selon les PCGR par Ernst & Young;
- Les comptes des filiales suivantes sont consolidés dans les états financiers de Gesca : La Presse Ltée; Les Éditions La Presse (1989) Ltée; 3819787 Canada Inc.; Les Journaux trans-Canada(1996) Inc.; Probec 5 Ltée; 3911322 Canada Inc.; 3855082 Canada Inc.; Cyberpresse Inc.; Les Éditions Gesca Ltée; Les Productions La Presse Télé Inc.; La Presse Télé Ltée; La Presse Télé II Ltée; La Presse Télé III Ltée; Gesca Consultants Inc.; La Presse Digitale Inc.; 3970965 Canada Inc.; 3834310 Canada Inc.; 3846521 Canada Inc.; 3846539 Canada Inc.;
- La consolidation de l'ensemble des états financiers se fait en deux étapes : d'abord une consolidation de Gesca et de ses filiales, puis une consolidation de Power Corp. et de ses filiales directes, dont Gesca, ce qui donne le même résultat que si la consolidation avait été faite en une seule étape.
[12] Le 29 février 2008, le juge Mongeon déclare que le MÉDAC a droit d'examiner les états financiers de Gesca et de ses filiales, et ce, au siège de l'appelante. Ce jugement sera rectifié les 3 mars et 16 avril 2008 pour clarifier les personnes morales assujetties.
JUGEMENT DONT APPEL
[13] D'avis que l'art. 157 est clair et ne requiert aucune interprétation, le juge conclut que les états financiers des filiales de Gesca sont visés dans la mesure où leurs comptes se trouvent consolidés dans les états financiers de l'appelante et, par voie de conséquence, doivent être disponibles au siège de Power Corp. pour consultation par ses actionnaires. Poursuivant son analyse, il déclare qu'un actionnaire doit pouvoir apprécier les risques lorsqu'il investit dans une personne morale, ce qui milite en faveur de la transmission de tous les états financiers du groupe. Puisque les états financiers des filiales de Gesca sont consolidés dans ceux de l'appelante, le lecteur y voit le résultat des opérations comptables de Gesca et de ses filiales; il peut donc demander à en voir le détail.
[14] Quant aux filiales visées, en fonction de la preuve sommaire présentée, il exclut 3859282 Canada Inc. et Septembre Éditeur s.e.n.c, tout en réservant à l'intimé la possibilité d'une preuve plus exhaustive lors de l'audition au fond de la deuxième requête, si nécessaire.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[15] L'appelante soutient que le premier juge a erré en concluant qu'en présence d'un texte clair, il faut retenir la méthode d'interprétation littérale du texte de loi. Elle prétend que la Cour suprême enseigne qu'il faut plutôt tenir compte du contexte global et de l'intention du législateur pour ensuite déterminer l'interprétation appropriée. Selon elle, si le premier juge avait tenu compte de l'objet de l'art. 157 et des autres dispositions de la Loi, de l'historique législatif, et des conséquences pratiques, notamment le fardeau administratif excessif qu'un accès aux états financiers des filiales et sous-filiales représenterait, il aurait donné une portée restreinte au terme « filiale » de l'art. 157 pour le limiter aux états financiers des filiales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers, ligne par ligne.
[16] L'appelante ajoute que la Loi vise un équilibre entre la protection des investisseurs et les impératifs de la gestion des affaires d'une société, équilibre que le premier juge a rompu en donnant trop de poids au premier volet. L'obligation de divulgation telle qu'il l'a définie impose des obligations de divulgation plus importantes que la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1, qui pourtant a pour seul objet la protection des investisseurs.
[17] L'intimée souscrit aux motifs du premier juge, sauf sur un point. En effet, elle n'est pas d'accord avec l'affirmation du juge Mongeon selon laquelle les états financiers des filiales (et sous-filiales) doivent avoir été consolidés globalement avec ceux de la société mère pour que cette dernière ait l'obligation de les conserver et en permettre l'accès. Selon l'intimé, des copies des états financiers de toutes les filiales et sous-filiales doivent être gardées par la société mère, consolidés ou non dans les siens, plus des copies des états financiers des autres personnes morales dont les résultats sont consolidés avec les siens.
[18] Au surplus, sans cette possibilité d'examen des états financiers des sous-filiales, une société pourrait insérer un niveau additionnel de filiales de holding directement sous elle pour empêcher ses actionnaires d'avoir accès aux états financiers des sous-filiales opérationnelles. L'intimé se demande comment les actionnaires pourraient demander qu'une enquête soit faite ou initier des procédures en redressement s'ils ne peuvent avoir accès à toute l'information financière pertinente.
ANALYSE
I. Remarques préliminaires
[19] Des remarques introductives de l'avocat de l'intimé, il ressort que M. Michaud veut démontrer que « l'empire Desmarais » supporte financièrement Gesca et des filiales de cette dernière pour promouvoir la cause fédéraliste, ce qui déplaît à cet indépendantiste de longue date. Telle est la motivation, essentiellement politique, de ses demandes de mai et novembre 2006. S'il s'agit d'un fait qui pourra être pris en considération lors de l'étude du premier dossier, il est non pertinent dans le deuxième dossier, comme je l'ai souligné à l'avocat de l'intimé alors qu'il voulait citer des extraits d'un ouvrage pamphlétaire sur M. Desmarais.
[20] L'appelante fait valoir que les résultats de Gesca et de ses filiales sont non significatifs sur la valeur de ses actions. Cet argument peut être pertinent pour décider du bien-fondé de l'interdiction, mais il est aussi sans pertinence pour établir la portée du paragr. 157(1).
[21] Un incident de procédure doit aussi être réglé : le jugement attaqué peut-il faire l'objet d'un appel de plein droit ou sur permission? Indépendamment de savoir s’il s’agit d’un jugement interlocutoire ou non sous le Code de procédure civile, il demeure que toute ordonnance définitive rendue en vertu de la Loi peut faire l'objet d'un appel de plein droit (art. 249 de la Loi). En l'instance, le jugement attaqué porte exclusivement sur une disposition de la Loi et constitue une ordonnance définitive; il peut donc faire l'objet d'une inscription en appel de plano sous la Loi. Il s'ensuit qu'aucune permission n'est nécessaire et que l'appel est légalement devant nous par le simple fait de l'inscription en appel déposée et signifiée dans le délai de 30 jours.
II. Dispositions législatives pertinentes
[22] L'article 157 est ainsi rédigé :
États financiers consolidés
157. (1) La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales et de chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers[1].
Examen
(2) Les actionnaires ainsi que leurs représentants personnels peuvent, sur demande, examiner gratuitement les états financiers visés au paragraphe (1) et en tirer copie pendant les heures normales d’ouverture des bureaux.
Interdiction
(3) Le tribunal saisi d’une requête présentée par la société dans les quinze jours d’une demande d’examen faite en vertu du paragraphe (2) peut rendre toute ordonnance qu’il estime pertinente et, notamment, interdire l’examen, s’il est convaincu qu’il serait préjudiciable à la société ou à une filiale.
[23] Quant à l'art. 2 de la Loi, relatif aux définitions, il énonce :
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[…]
« Personne morale » Toute personne, y compris une compagnie, indépendamment de son lieu ou mode de constitution.
[…]
(5) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale dans chacun des cas suivants :
a) Elle est contrôlée :
(i) soit par l'autre personne morale;
(ii) soit par l'autre personne morale et une ou plusieurs personnes morales elles-mêmes contrôlées par cette autre personne morale;
(iii) soit par des personnes morales elles-mêmes contrôlées par l'autre personne morale;
b) Elle est la filiale d'une filiale de l'autre personne morale.
III. Interprétations mises de l'avant
[24] En l'espèce, trois interprétations sont proposées :
Juge Mongeon
La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de :
a) chacune de ses filiales, incluant ses sous-filiales, dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers
et
b) chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
appelante
La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chaque personne morale, filiale ou autre, dont les résultats sont intégrés ligne par ligne dans les siens lors de l'exercice de consolidation de ses états financiers.
intimé
La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de :
a) chacune de ses filiales, incluant ses sous-filiales,
et
b) chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
[25] Je suis d'accord avec l'appelante qu'il faut appliquer le principe d'interprétation législative énoncé par Elmer Drieger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, traduit comme suit dans l'arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 , p. 580 : « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur ». Pour ce faire, je propose une analyse historique de la disposition et de la Loi, combinée à une analyse téléologique de la disposition, incluant sa finalité. Cela m'amène cependant à conclure que l'interprétation proposée par l'intimé est la bonne.
IV. Historique de la disposition
[26] En 1965, la Loi sur les compagnies devient la Loi sur les corporations canadiennes et divers amendements y sont apportés, soit la première phase de modifications d’importance à une loi remontant à 1934 (S.C. 1964-65, c. 52). La disposition pertinente, l'art. 121, est ainsi rédigée :
121(1) Toute compagnie, au présent article appelée « holding company », peut inclure, dans l'état financier à présenter à une assemblée annuelle des actionnaires, l'actif et le passif et les revenus et les dépenses de l'une ou plusieurs de ses filiales, en faisant les prévisions nécessaires pour ce qui concerne les intérêts minoritaires, s'il y en a, et en indiquant dans l'état financier qu'il est présenté sous une forme consolidée.
(2) Lorsque l'actif, le passif, les revenus et les dépenses d'une ou plusieurs filiales de la holding company ne sont pas inclus dans l'état financier de la holding company,
[…]
c) des copies du dernier état financier de la filiale ou des filiales doivent être conservées par la holding company à son siège social et les actionnaires de la holding company doivent pouvoir les examiner sur demande […], toutefois les administrateurs de la holding company peuvent, par résolution, refuser ce droit d'examen si cet examen n'est pas d'intérêt public ou serait préjudiciable à la holding company ou à la filiale ou aux filiales, mais la résolution peut, à la demande de tout actionnaire adressée à la cour, être écartée par cette cour;
[…]
121B.(1) Aux fins de la présente loi, une compagnie est une filiale d'une autre compagnie seulement si,
a) elle est contrôlée par […]
b) elle est une filiale d'une filiale de cette autre compagnie.
(je souligne)
[27] La consolidation était donc permise avec une filiale de même qu'avec « la filiale d'une filiale ». De plus, l'art. 121(1)c) précisait que si l'actif, le passif, les revenus et les dépenses d'une filiale, incluant la filiale d'une filiale, n'étaient pas inclus dans l'état financier de la société mère, celle-ci avait l'obligation de conserver des copies des derniers états financiers de ces personnes morales non consolidées. Bref, l'actionnaire pouvait avoir un portrait financier complet de la situation du groupe en prenant connaissance des états financiers consolidés de la société mère et des états financiers des filiales et sous-filiales non inclus dans la consolidation. Ainsi, si les résultats de toutes les sociétés du groupe étaient consolidés dans les états financiers de la société mère, l'actionnaire ne pouvait consulter que ces derniers et la société mère n'avait à conserver à son siège que ceux-là. L'actionnaire devait se fier au travail des vérificateurs de la société mère.
[28] En 1970, la Loi sur les corporations canadiennes fait l'objet d’une deuxième phase de modifications (S.C. 1969-70, c. 70). Lors de la deuxième lecture du projet de loi, en novembre 1969, le ministre Basford déclare en Chambre :
[...]
Le maintien et le raffermissement de la confiance des capitalistes et la protection de ces derniers comptent parmi les préoccupations du gouvernement actuel. Les modifications apportées en 1965 à la loi sur les corporations canadiennes ont amélioré les dispositions exigeant la divulgation de renseignements d’ordre financier. Ce n’était que la première initiative, monsieur l’Orateur. Le projet de loi dont la Chambre est actuellement saisie non seulement améliorera sensiblement la qualité, le choix et le niveau des renseignements d’ordre financier, mais aussi en général, les renseignements sur les sociétés accessibles aux actionnaires futurs et actuels et au grand public. Il n’y a aucune raison valable pour laquelle les renseignements fournis par les sociétés à charte fédérale ne seraient pas aussi complets que les renseignements sur les compagnies relevant d’autres juridictions. Les améliorations proposées dans l’intérêt des actionnaires devraient aider à accroître la confiance accordée aux valeurs industrielles. Comme le signalait le rapport Kimber, dans la mesure où les valeurs industrielles deviendront effectivement un domaine plus efficace de notre économie, le grand public en profitera. C’est le principal objectif que recherche ce projet de loi, monsieur l’Orateur.
[...]
[29] Par cette loi modificatrice, les alinéas c) et d) du paragr. (2) de l’art. 121 sont remplacés par ce qui suit :
c) des copies du dernier état financier de la filiale ou des filiales doivent être conservées par la holding company à son siège social et doivent, sur demande, être accessibles aux actionnaires de la holding company, aux fins de consultation, pendant les heures normales d’ouverture des bureaux de la holding company.
et sont ajoutés les nouveaux paragraphes (3), (4) et (5), dont seul le paragraphe (3) est pertinent :
(3) Une holding company peut, dans les quinze jours qui suivent une demande d’inspection en vertu de l’alinéa c) du paragraphe (2), s’adresser au juge en chef ou au juge en chef suppléant de la cour de la province dans laquelle est situé le siège social de la compagnie ou à un juge de cette cour désigné par l’un ou l’autre d’entre eux en vue d’obtenir une ordonnance interdisant l’exercice du droit d’inspection mentionné à l’alinéa c) du paragraphe (2), et le juge peut, selon les modalités qu’il peut imposer, refuser cette inspection lorsqu’il est convaincu que cette inspection porterait préjudice aux intérêts de la holding company, de la filiale ou des filiales.
[30] En somme, l’accès aux renseignements financiers est facilité puisque ne relevant plus de la discrétion du conseil d’administration. L’accès aux états financiers des filiales des filiales n’existe cependant qu’à l’égard des sociétés non consolidées avec la société mère.
[31] En 1971, un groupe de travail publie deux volumes intitulés « Propositions pour un nouveau droit des corporations commerciales canadiennes » (Rapport Dickerson, du nom de son auteur, un avocat de Vancouver). Quant à l'information financière à la disposition des actionnaires, le rapport suggère que le contenu des états financiers se trouve désormais précisé dans des règlements plutôt que dans la Loi :
In recent years, there has been an increasing awareness of the need to improve the quantity and quality of financial disclosure required of corporations. The question of corporate financial disclosure has been prominent in studies such as the Kimber and Lawrence Reports, and the need for improved disclosure was also stresses by Mr. Justice Hugues in the Atlantic Acceptance Report (see, for example, p. 1442). Recent amendments to corporation and securities legislation in Canada have embodied many of the recommendations contained in those reports. History indicates, however, that legislation on matters such as financial disclosures is changed only infrequently, sporadically and usually because some dramatic financial catastrophe or fraud revealed how outmoded the law had come.
[32] Pour le reste, il suggère le maintien des dispositions existantes. Ainsi, il propose un article 13.03 ainsi rédigé :
(1) If a corporation does not prepare the financial statements referred to in section 13.01 in consolidated form the corporation shall keep at its register office copies of the financial statements of each subsidiary body corporate the accounts of which are not so consolidated.
(2) Shareholders and creditors of a corporation and their agents and legal representative may examine the statements referred to in subsection (1) during the usual business hours of the corporation, and may make extracts therefrom, free of charge.
(je souligne)
[33] En somme, le statu quo sur la question des informations financières à la disposition des actionnaires sur demande.
[34] Inspirés de ce rapport, les légistes ont élaboré le projet de loi C-213, mort au feuilleton le 29 octobre 1974, dont l'art. 148 traitait des états financiers consolidés de la manière suivante :
148. (1) Une corporation holding peut dresser les états financiers visés à l'article 146 sous une forme consolidée, mais si elle ne le fait pas, elle doit conserver à son siège social des copies des états financiers de chaque filiale qui est une personne morale dont les comptes ne sont pas consolidés.
[35] Puis, un nouveau projet de loi, C-29, est déposé. Il sera adopté en 1975 sous le titre de Loi sur les corporations commerciales canadiennes et remplace la Loi sur les corporations (S.C. 1974-75, c. 33). Présenté comme simplifiant et modernisant le droit corporatif fédéral en le rendant plus conforme aux dispositions de la Loi sur les corporations commerciales de l'Ontario, ce projet contient la disposition suivante qui contraste avec le projet de loi précédent :
151. (1) Une corporation mère peut dresser les états financiers visés à l'article 149 sous une forme consolidée ou unifiée, de la manière prescrite; en toutes circonstances, elle doit conserver à son siège social des copies des états financiers de chacune de ses filiales.
(2) Les actionnaires d'une corporation et leurs mandataires et représentants légaux peuvent, sur demande, examiner gratuitement les états visés au paragraphe (1) pendant les heures habituelles d'ouverture des bureaux de cette corporation.
(je souligne)
[36] Les termes « en toutes circonstances » rappellent ceux de la loi ontarienne. En effet, il faut savoir qu'en 1970 la Business Corporation Act (L.R.O. 1970, c. 59) comportait une disposition, l'art. 179, qui contrairement à l'article 121(1)c) précité de la loi fédérale, ordonnait que copies des états financiers des filiales soient mises à la disposition des actionnaires, que ces états financiers aient été consolidés ou non dans ceux de la compagnie mère :
179(3) Whether or not the assets and liabilities and income and expense of any one or more subsidiaries of a holding corporation are included in the financial statement of the holding corporation, true copies of the latest financial statement of the subsidiary or the subsidiaries shall be kept on hand by the holding corporation at is head office and shall be open to examination by the shareholders of the holding corporation […].
De plus, l'article 1(2)b) de la loi ontarienne incluait expressément les sous-filiales dans la définition de filiale.
[37] Quant à l'art. 2 relatif aux définitions, le projet de loi C-29 énonce :
2. (1) Dans la présente loi,
[…]
« Personne morale » comprend une compagnie ou autre personne morale, quel que soit l'endroit ou le mode de son incorporation;
[…]
(3) Aux fins de la présente loi, une personne est réputée contrôler une personne morale si elle en détient, ou fait détenir pour son compte par d'autres, directement ou indirectement, autrement qu'à titre de garantie seulement, des actions assorties du droit de vote en nombre suffisant pour élire la majorité des administrateurs de cette personne morale.
[…]
(5) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale si celle-ci en a le contrôle.
(je souligne)
[38] Lors de l’étude du projet de loi par le Comité sénatorial des banques et du commerce, le sous-ministre Howard fera la remarque suivante quant à l'art. 151 :
À vrai dire, nous voudrions adopter les mêmes exigences que les comptables jugent acceptable (sic) en matière de divulgation des états financiers, et qu'ils se sont imposés par voie de leur manuel de règlements ces 20 dernières années; voilà ce que nous essayons de faire[2].
[39] S'adapter à la réalité comptable et s’ajuster au droit corporatif ontarien étaient donc les deux motifs inspirant l'art. 151.
[40] L'appelante souligne cependant, avec raison, que les notions de filiales et de présomption de contrôle ne traitent pas expressément des sous-filiales, contrairement à la loi ontarienne et à l'art. 121B. de la Loi sur les corporations, précité. Selon elle, cela signifie que le législateur fédéral a voulu alors restreindre la définition de filiale en visant uniquement les personnes morales détenues directement par la société mère.
[41] Pourtant, les débats parlementaires consultés ne laissent pas paraître une telle intention de s'écarter du droit antérieur ou du droit ontarien. Au contraire, il semble que la loi de 1975 est le résultat d'un long processus dans lequel on a souvent fait allusion à la transparence nécessaire quant aux états financiers des entreprises. À mon avis, les termes « directement ou indirectement » mentionnés à la disposition concernant la présomption de contrôle doivent être interprétés comme un désir du législateur fédéral de maintenir l'inclusion des sous-filiales à la notion de filiale.
[42] En somme, je retiens qu'en 1975 le droit corporatif fédéral a été harmonisé avec son équivalent ontarien en obligeant la société mère à mettre à la disposition de ses actionnaires les états financiers de toutes sociétés du groupe, qu'elles soient des filiales ou des sous-filiales, et non uniquement ceux de ses filiales et sous-filiales dont les résultats étaient non consolidés aux siens.
[43] En 1978, le projet de loi S-2, mort au feuilleton, proposait d'amender l'art. 151 pour permettre à la société d'inclure dans ses états consolidés les résultats d'une personne morale liée économiquement, même si pas une filiale au sens de la Loi :
151. (1) La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales et de chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
(je souligne)
[44] Dans le projet S-2, l'explication suivante est donnée quant à la modification proposée à l'art. 151 :
Article 41 du bill : Cette modification vise à assouplir les dispositions du paragraphe 151(1) en permettant la présentation d'états consolidés pour la participation dans des entreprises qui ne sont pas des filiales.
(je souligne)
[45] Lors de l'étude du projet de loi S-2 au Comité sénatorial des banques et du commerce, on a fait les remarques suivantes :
M. Martin : L'article 41 reformule le paragraphe 151(1) qui traite des états financiers d'une société et de ses filiales. On a donné à cette disposition un sens plus général en enlevant la référence à la notion d'états « cumulés » qui habituellement se rapporte à l'amalgamation des comptes de toutes les filiales canadiennes, mais exclut les comptes des sociétés mères étrangères qui, techniquement, ne produisent pas d'états « consolidés ». On exige en outre que la société conserve à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune des personnes morales dont les comptes sont consolidés avec les comptes de la société mère, que cette personne morale soit une filiale, une société affiliée, ou un actionnaire d'une entreprise en coparticipation.
Le sénateur Connolly (Ottawa-Ouest) : Dans le cas des « actionnaires d'une entreprise en coparticipation », cela veut-il dire qu'une société qui serait actionnaire d'une société en coparticipation aurait accès aux états financiers de ses associés? Je me demande si j'ai bien compris.
M. Howard : Effectivement, cette disposition amènera probablement l'Institut canadien des comptables agréés à modifier son manuel, en ce sens qu'une société pourra alors consolider les états financiers de ses filiales actionnaires d'entreprises en coparticipation. Cette notion ne cadrait pas avec ce qu'on entend généralement par états consolidés ni par états cumulés; c'est pourquoi on nous a demandé de rendre la formulation plus générale – en d'autres termes, de ne pas recourir à la terminologie habituelle des comptables et d'assouplir la tâche de consolidation ou de cumulation des comptes des sociétés commerciales.
Le sénateur Connolly (Ottawa-Ouest) : Si l'actionnaire de cette entreprise en coparticipation était une société indépendante de sa société mère, mis à part sa participation dans cette entreprise, cela voudrait-il dire que, par définition, les états financiers des associés indépendants – je ne sais trop comment vous les appelez…
M. Howard : Si vous me le permettez, je vais vous donner un exemple précis. Les sociétés A et B s'associent dans une entreprise en coparticipation pour l'obtention d'un important contrat de construction. Pour l'exécution de ce contrat, elles fondent la société C. Les sociétés A et B possèdent chacun 50 p. 100 des actions émises de la société C. Si A consolide dans ses états financiers les intérêts qu'il détient dans C, une entreprise en commun, il doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de C pour que ses actionnaires puissent le consulter. Même s'il ne s'agit pas techniquement de ceux d'une filiale, lorsque les états financiers sont consolidés, ils doivent être divulgués comme ceux d'une filiale. Il s'agit d'une divulgation complète qui correspond à ce que les comptables se proposent de faire dans ce domaine.
(je souligne)
[46] Ce n'est donc pas pour préciser le terme « filiale » que le législateur ajoute l'expression « personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers », mais pour permettre la consolidation avec une personne morale qui n'est pas une filiale au sens de la loi (peu importe son mode d'incorporation). Cela réfute la thèse de l'appelante.
[47] De même, cet historique de l'amendement fait voir que le premier juge a eu tort de conclure que l'expression « dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers » s'appliquait tant aux filiales qu'aux autres personnes morales.
[48] Les changements proposés ont été repris dans le projet S-5 adopté à la session suivante (S.C. 1978, c. 9).
[49] En 1994, le législateur réintroduit explicitement la notion de « filiale d'une filiale » à la définition de « filiale » que l'on trouve au paragraphe 2(5) de la Loi :
(5) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale dans chacun des cas suivants :
a) elle est contrôlée :
(i) soit par l'autre personne morale,
(ii) soit par l'autre personne morale et une ou plusieurs personnes morales elle-mêmes contrôlées par cette autre personne morale,
(iii) soit par des personnes morales elles-mêmes contrôlées par l'autre personne morale;
b) elle est la filiale d'une filiale de l'autre personne morale.
(je souligne)
[50] L'appelante est d'avis que cette modification n'a pas étendu la portée de l'obligation de conservation et de divulgation prévue à l'art. 157, puisque celle-ci demeure limitée par l'exigence de consolidation, exercice comptable où les états financiers doivent être intégrés ligne par ligne. J'ai déjà indiqué plus haut pourquoi cette thèse devait être rejetée, les mots « dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers » ne s'appliquant qu'aux autres personnes morales.
[51] En somme, l'obligation de conservation et de mise à la disposition d'une copie des états financiers s'applique à toutes les filiales, y compris les sous-filiales. En fait l'amendement de 1994, ne fait que rendre explicite que le législateur a toujours voulu inclure dans les filiales toute personne morale sous le contrôle direct ou indirect de la société mère.
[52] De toute façon, si le législateur a voulu apporter un changement plutôt qu'une précision par l'amendement au paragraphe 2(5) « filiale », il faut retenir que dorénavant cette notion inclut manifestement la sous-filiale. Il s'ensuit que le pourvoi de l'appelante doit échouer puisque rien n'indique que l'art. 157 doit se lire comme excluant les sous-filiales, bref que le mot filiale y a un sens différent qu'ailleurs dans la Loi.
[53] Finalement, je souligne, à titre purement comparatif, qu'en vertu de la loi ontarienne actuelle (L.R.O. 1990, c. B-16) la filiale d'une personne morale qui est elle-même la filiale de cette autre personne morale est réputée être filiale (art. 1(2)b) et que son article 157(1) est ainsi rédigé :
157(1) La société mère conserve à son siège social des copies conformes des états financiers les plus récents de chacune de ses filiales. Ses actionnaires, ainsi que leurs mandataires et représentants peuvent les consulter et sur demande, en tirer gratuitement des extraits pendant les heures de bureau de la société mère.
[54] L'interprétation retenue n'est donc pas exorbitante de ce qui se fait dans d'autres juridictions, même si elle accorde aux actionnaires d'une société par actions fédérale un accès plus étendu que celui mentionné dans les lois des valeurs mobilières provinciales.
IV. Finalité de la disposition
[55] L'appelante fait valoir que la Loi recherche un équilibre entre les droits des actionnaires et aux détenteurs de valeurs mobilières et une flexibilité maximale d'action aux dirigeants des sociétés par actions. En adoptant la Loi, le législateur a traduit cet équilibre en diverses dispositions qu'il ne revient pas aux tribunaux d'interpréter de manière à modifier l'équilibre voulu. En d'autres mots, les tribunaux ne peuvent stériliser l'art. 157 sous prétexte d'établir un équilibre plus adéquat entre les actionnaires et les dirigeants; cet exercice a déjà été fait par le législateur fédéral.
[56] Il ressort de mon analyse que la finalité de l'art. 157(1) de la Loi est double. D'abord, permettre légalement la consolidation recommandée par les comptables; en pratique, les états financiers des filiales doivent être consolidés dans ceux de leur société mère depuis 1992[3].
[57] Ensuite, permettre aux actionnaires, curieux ou sophistiqués, d'avoir accès gratuitement à des renseignements d'ordre financier qui complètent les états financiers consolidés vérifiés que la société a l'obligation de lui remettre annuellement (art. 161 à 165). Un tel droit à l'information est par essence une mesure devant recevoir une interprétation équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet (Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21, art. 12). L'interprétation proposée par l'appelante permettrait de réduire à néant ce droit par l'ajout d'une société intermédiaire qui ne serait qu'un tampon entre une société mère et ses filiales opérationnelles afin d'empêcher toute analyse des résultats de ces dernières.
[58] De même, il serait étonnant que la portée de l'art. 157 varie en fonction de la manière dont la consolidation est faite. Ainsi, si les résultats des filiales et des sous-filiales étaient consolidés en une seule étape, au niveau de l'appelante, l'actionnaire aurait incontestablement le droit d'avoir accès à tous les états financiers des sociétés du groupe, alors que tel ne serait pas le cas lorsque la consolidation se fait en deux temps, comme en l'espèce.
[59] Un dernier mot sur les conséquences de l'interprétation retenue par le premier juge. Selon l'appelante, il en résultera des conséquences drastiques pour les sociétés à paliers multiples qui devront conserver une quantité énorme de documents à leur siège social et gérer l'accès des actionnaires, sous réserve de multiples débats judiciaires. L'histoire ne démontre pas que ce scénario apocalyptique est probable; ainsi, l'appelante fait face à une telle demande apparemment pour la première fois. De plus, en cette ère des données numériques, il sera facile de donner accès à ces informations par un ordinateur situé au siège social de l'appelante, d'autant plus que d'importantes filiales et sous-filiales sont elles-mêmes des sociétés publiques, dont certaines régies par la Loi, dont son art. 157.
CONCLUSION
[60] Pour ces motifs, je propose de rejeter la requête amendée de bene esse pour permission d'appeler, sans frais, et de rejeter l'appel avec dépens.
PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.
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[1] La version anglaise est ainsi rédigée : 157 (1) A corporation shall keep at its registered office a copy of the financial statements of each of its subsidiary bodies corporate and of each body corporate the accounts of which are consolidated in the financial statements of the corporation.
[2] 25 février 1975, p. 27:11
[3] Voir manuel de l'ICCA,- comptabilité, vol 1, p. 1590(4), règles de présentation.