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Association de l'enseignement du Nouveau-Québec (CSQ) c. Charlebois

no. de référence : 500-17-044648-080

Association de l'enseignement du Nouveau-Québec (CSQ) c. Charlebois
2009 QCCS 3768

JG2163


COUR SUPÉRIEURE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
MONTRÉAL



N° :
500-17-044648-080



DATE :
19 août 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________





ASSOCIATION DE L’ENSEIGNEMENT DU NOUVEAU-QUÉBEC (C.S.Q.)

Demanderesse

c.

PAUL CHARLEBOIS

Défendeur

-et-

COMMISSION SCOLAIRE KATIVIK

Mise en cause

______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________





INTRODUCTION

[1] La présente affaire concerne la compétence du défendeur Paul Charlebois (l’arbitre) de trancher un grief contestant une mesure disciplinaire de cinq jours de suspension, sans salaire, imposée à la salariée avant l’entrée en vigueur de la convention collective, mais après le dépôt d’une requête en accréditation. Cependant, les trois derniers jours de la mesure se purgent au moment où la convention collective est en vigueur.

[2] La demanderesse, Association de l’enseignement du Nouveau-Québec (C.S.Q.) (l’AENQ) a déposé une requête introductive d’instance en révision judiciaire[1] demandant l’annulation d’une sentence arbitrale rendue le 8 juillet 2008. Cette sentence accueille en partie une objection préliminaire de l’employeur, la mise en cause Commission scolaire Kativik (Kativik) relative à l’arbitrabilité du grief.

[3] Les parties avaient convenu que l’arbitre trancherait d’abord cette objection préliminaire de Kativik.

[4] Kativik est, elle aussi, mécontente de la décision préliminaire de l’arbitre, puisqu'elle aurait voulu que le grief soit rejeté.

LES FAITS

[5] Le 17 octobre 2002, l’AENQ dépose à la Commission des relations du travail une requête en accréditation visant les employés de soutien de Kativik.

[6] Kativik ne peut modifier, à compter de cette date, les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit de l’AENQ[2].

[7] Le 21 novembre 2002, par l’envoi d’une lettre[3], Kativik impose une mesure disciplinaire à l’une de ses secrétaires, madame Mina Cookie, soit une suspension de cinq jours sans salaire pour certaines fautes qu’elle aurait commises dans le cadre de son travail. La lettre stipule que cette suspension de cinq jours prend effet à compter du 25 novembre 2002 :

Suspension - 5 days without pay, on November 25, 2002.

[8] Le 26 novembre 2002, Kativik fait parvenir à madame Cookie une lettre[4] lui indiquant que sa suspension se terminera le 29 novembre 2002 et qu’elle est attendue au travail le lundi 2 décembre 2002.

[9] Le 27 novembre 2002, l’AENQ est accréditée pour représenter « tout le personnel de soutien scolaire à l’exception du personnel déjà syndiqué » de la Commission[5]. Madame Cookie est une salariée visée par l’accréditation.

[10] Le 27 novembre 2007, la convention collective[6] entre en vigueur par l’effet de l’article 28 de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic[7].

[11] Les articles 8-4.05 et 9-1.03 de la convention collective se lisent ainsi:

8-4.0-5

La salariée ou le salarié qui fait l’objet d’une mesure disciplinaire peut soumettre un grief. Toutefois, la salariée ou le salarié qui fait l’objet d’un congédiement ou d’une suspension indéfinie peut soumettre son grief directement à l’arbitrage dans les trente (30) jours ouvrables de la réception de l’avis lui signifiant la décision finale de la commission et ce, dans la mesure où la rencontre prévue à la clause 8-4.02 a eu lieu.

9-1.03

Dans les cas de grief, la commission et le syndicat se conforment à la procédure prévue ci-après :

A) Première étape

La salariée ou le salarié soumet le grief, par écrit, à l’autorité désignée par la commission ou à la commission, si elle n’en a pas désignée[sic], dans les quatre-vingt-dix (90) jours de la date de l’événement qui a donné naissance au grief.

[12] Le 8 janvier 2003, l'AENQ dépose un grief contestant la mesure disciplinaire imposée à madame Cookie.

[13] Le 15 avril 2008, l'arbitre entend l'objection préliminaire de Kativik.

[14] Le 8 juillet 2008, l'arbitre rend sa sentence qui accueille en partie l'objection préliminaire de Kativik.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

A. La demanderesse AENQ
[15] L’AENQ se pourvoit en révision judiciaire pour obtenir la révision et l’annulation de la sentence arbitrale rendue le 8 juillet 2008. Cependant, cette requête demande beaucoup plus qu’une simple révision et annulation de la décision de l’arbitre, tel qu’il appert des conclusions de la requête :

ACCUEILLIR la présente requête;

ANNULER la sentence P-1 de l’arbitre datée du 8 juillet 2008;

DÉCLARER que le grief P-6 est arbitrable en vertu de la convention collective P-5;

DÉCLARER que l’arbitre est compétent afin d’arbitrer la totalité du grief de l’AENQ du 8 janvier 2008 P-6;

DÉCLARER que l’arbitre a compétence pour déterminer, entre autres, si la mesure disciplinaire P-5 a été validement prise par la commission et que cette décision peut être remise en cause devant l’arbitre selon les règles usuelles en semblables matières;

DÉCLARER que les deux jours de suspension sans salaire écoulés entre le 25 novembre et le 27 novembre 2002 peuvent également être remis en cause devant l’arbitre;

RETOURNER le grief P-6 à l’arbitre pour qu’il en dispose conformément aux dispositions légales et conventionnelles applicables;

DÉCLARER SUBSIDIAIREMENT, si le tribunal en vient à la conclusion que la convention collective ne s’applique pas à la suspension de cinq (5) jours sans salaire imposée le 21 novembre 2002 à Madame Cookie et purgée du 25 au 29 novembre 2002, que le grief P-6 vise une mésentente quant à la modification des conditions de travail de Madame Cookie et que l’arbitre est compétent afin de disposer de cette plainte comme s’il s’agissait d’un grief;

RENDRE toute autre ordonnance que le tribunal jugera nécessaire;

[16] Au soutien de cette requête, l’AENQ produit, conformément aux règles de pratique, un mémoire étoffé et plaide, à toutes fins utiles, le fond de l’affaire comme si le Tribunal siégeait en appel de la sentence arbitrale contestée.

[17] Dans son mémoire l’AENQ, se fondant sur les arrêts Dunsmuir[8] et Dayco[9], affirme que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la révision de la sentence arbitrale attaquée. De plus, l’AENQ plaide que l’arbitre aurait violé les règles fondamentales de justice naturelle et qu’à cet égard c’est aussi la norme de la décision correcte qui s’applique en révision.

[18] Les motifs de révision soulevés par l’AENQ sont les suivants :

B. Il a erronément refusé d’exercer sa compétence en refusant de reconnaître que la convention collective en vigueur au moment du grief P-6 permettait de contester la mesure disciplinaire P-2;

C. Il aurait dû, même en l’absence de convention collective applicable, reconnaître qu’il a compétence pour arbitrer le grief P-6 puisque les articles 59 et 100.10 du Code du travail lui permettent d’analyser la validité de toutes modifications des conditions de travail qui surviennent entre le dépôt de la requête en accréditation et l’entrée en vigueur de la convention collective;

D. Il a violé les règles de justice naturelles en décidant que la mesure disciplinaire a validement été prise et que les fautes ont validement été reprochées à Madame Cookie sans entendre de preuve et sans entendre l’AENQ concernant ces présumés manquements.


B. La mise en cause Kativik
[19] Kativik, employeur et mise en cause en l’espèce, a soumis elle aussi un mémoire exhaustif conformément aux règles de pratique.

[20] Kativik est d’accord sur la norme de contrôle proposée par l’AENQ, à savoir la norme de la décision correcte.

[21] Elle prétend que l’arbitre a excédé sa compétence, mais qu’il aurait dû accueillir l’objection préliminaire et rejeter le grief.

[22] En conséquence, sans saisir le Tribunal d'une requête en révision judiciaire distincte, Kativik demande au Tribunal dans son mémoire :

REJETER la requête du Syndicat;

ANNULER la Sentence de l’Arbitre datée du 8 juillet 2008;

DÉCLARER que le grief du 8 janvier 2003 du Syndicat est irrecevable;

LE TOUT avec dépens.

LA SENTENCE ARBITRALE PRÉLIMINAIRE CONTESTÉE

[23] Dans sa sentence rendue le 8 juillet 2008, l’arbitre mentionne qu’il est saisi du grief 2002-006-5313 déposé le 8 janvier 2003. Au paragraphe 6 de la sentence contestée, on peut lire :

[6] Lors d’une conférence téléphonique, en date du 8 avril 2008, le procureur de l’Employeur soulevait un (sic) objection quant à l’arbitrabilité du grief. Les parties ont alors convenu que le Tribunal rendrait décision d’abord sur cette objection.[10]

[24] L’AENQ a déposé devant l’arbitre certains documents et Kativik n’a pas présenté de preuve. L’arbitre, après avoir analysé les arguments présentés par les parties, énonce au paragraphe 45 de sa sentence que :

[45] Enfin, également pour les mêmes motifs, le Tribunal doit tenir compte du fait qu’à compter du 27 novembre 2002, la convention collective s’appliquait intégralement aux salariés couverts par le certificat d’accréditation et que, sur cette base, la partie non écoulée de la sanction disciplinaire devenait matière à grief avec les réserves nécessaires pour éviter toute rétroactivité des effets de la convention collective nouvellement en vigueur.[11]

[25] Enfin, l’arbitre conclut ainsi, au paragraphe 49 de sa sentence :

En conséquence de ce qui précède, le Tribunal :

ACCUEILLE en partie l’objection logée par l’Employeur quant à l’arbitrabilité du grief 2002-006-5313 contestant la mesure disciplinaire imposée le 25 novembre 2002 à Mme Mina Cookie;

DÉCLARE que la décision de suspendre Mme Mina Cookie a été validement prise par l’Employeur et que cette décision ne peut être remise en cause;

DÉCLARE que les deux jours de suspension sans salaire écoulés entre le 25 novembre et le 27 novembre 2002 ne peuvent également pas être remis en cause;

DÉCLARE que les trois jours de suspension sans salaire, non encore écoulés au moment de l’entrée en vigueur de la convention collective, peuvent être soumis à l’arbitrage du Tribunal compte tenu de la preuve qui pourra être éventuellement faite par les parties quant à la proportionnalité des trois jours de suspension non écoulés par rapport aux fautes par ailleurs validement reprochées à Mme Mina Cookie par l’Employeur avant l’entrée en vigueur de la convention collective.[12]

QUESTIONS EN LITIGE

[26] Le Tribunal est saisi d’une seule requête en révision judiciaire fondée sur les articles 846 et suivants du Code de procédure civile. L’objet d’une telle requête est de réviser et d’annuler la sentence contestée si l’arbitre a excédé sa compétence.

[27] Les parties semblent regretter d’avoir demandé à l’arbitre de trancher de façon préliminaire l’objection de Kativik, quant à l’arbitrabilité du grief déposé par l’AENQ au nom de la plaignante, Madame Cookie, puisqu'elles sont toutes deux insatisfaites de sa décision.

[28] Heureusement, l’AENQ et Kativik s’entendent maintenant tant sur la norme de contrôle applicable que sur la nécessité d'annuler la sentence attaquée.

[29] Que reste-t-il à décider?

[30] Par leurs mémoires respectifs, les parties ont invité le Tribunal à transformer la requête en révision judiciaire en requête en jugement déclaratoire. Or, en l’espèce, le Tribunal n’est pas saisi d’une telle requête. De plus, les conclusions déclaratoires de la requête de la demanderesse relèvent de la compétence de l'arbitre.

[31] Cependant, le Tribunal est en désaccord avec les parties, tant sur la norme de contrôle applicable que sur les motifs d’annulation de la sentence arbitrale attaquée.

[32] En conséquence, le Tribunal répondra aux deux questions suivantes[13] :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?
2. L’application de la norme de contrôle appropriée entraîne-t-elle l’annulation de la sentence arbitrale P-1 rendue le 8 juillet 2008?
1. Quelle est la norme de contrôle applicable en l'espèce?

[33] Les parties s’entendent pour affirmer que la norme de la décision correcte doit s’appliquer en l’espèce parce qu’il s’agit, selon elles, d’une question de compétence. Ils se fondent sur l’arrêt Dunsmuir[14], où l'on peut lire que l’analyse de la norme n’a pas à être effectuée lorsque la jurisprudence antérieure a déjà décidé de la norme applicable. Les parties s’appuient ensuite sur l'arrêt Dayco pour conclure que la norme de la décision correcte s’applique.

[34] Cette question revêt une simplicité trompeuse.

[35] D'abord, l'arrêt Dayco se distingue de la présente affaire sous plusieurs aspects, notamment, parce que, dans l'affaire Dayco, aucune convention collective n'était en vigueur au moment où le grief a été déposé.

[36] Ensuite, la nature de l'objection de Kativik touchait beaucoup plus à la recevabilité du grief qu'à son arbitrabilité.

[37] En effet, Kativik a déposé une objection préliminaire fondée sur l'arbitrabilité du grief, mais l'arbitre a décidé qu'il avait compétence, en partie, pour l'entendre et le trancher.

[38] Comme le souligne le juge La Forest dans l'arrêt Dayco[15], les notions d'arbitrabilité et de compétence sont souvent confondues en pratique. Il s'agit pourtant de notions distinctes.

[39] Ensuite, les juges Bastarache et LeBel, pour la majorité, dans l’arrêt Dunsmuir[16], s’empressent d'apporter des précisions quant aux questions de compétence :

[59] Administrative bodies must also be correct in their determinations of true questions of jurisdiction or vires. We mention true questions of vires to distance ourselves from the extended definitions adopted before CUPE. It is important here to take a robust view of jurisdiction. We neither wish nor intend to return to the jurisdiction/preliminary question doctrine that plagued the jurisprudence in this area for many years. “Jurisdiction” is intended in the narrow sense of whether or not the tribunal had the authority to make the inquiry. In other words, true jurisdiction questions arise where the tribunal must explicitly determine whether its statutory grant of power gives it the authority to decide a particular matter. The tribunal must interpret the grant of authority correctly or its action will be found to be ultra vires or to constitute a wrongful decline of jurisdiction: D. J. M. Brown and J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (loose-leaf), at pp. 14-3 to 14-6. An example may be found in United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta v. Calgary (City), [2004] 1 S.C.R. 485 , 2004 SCC 19. In that case, the issue was whether the City of Calgary was authorized under the relevant municipal acts to enact bylaws limiting the number of taxi plate licences (para. 5, per Bastarache J.). That case involved the decision-making powers of a municipality and exemplifies a true question of jurisdiction or vires. These questions will be narrow. We reiterate the caution of Dickson J. in CUPE that reviewing judges must not brand as jurisdictional issues that are doubtfully so.

[59] Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question.L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence: D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6. L’affaire United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485 , 2004 CSC 19 , constitue un bon exemple. Il s’agissait de savoir si les dispositions municipales en cause autorisaient la ville de Calgary à limiter par règlement le nombre de permis de taxi délivrés (par. 5, le juge Bastarache). Cette affaire relative aux pouvoirs décisionnels d’une municipalité offre un exemple de véritable question de compétence ou de constitutionnalité. L’examen relatif à l’une et l’autre questions a une portée restreinte. Il convient de rappeler la mise en garde du juge Dickson selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (SCFP).


[40] Un autre arrêt de la Cour suprême, antérieur à l'arrêt Dunsmuir, mais postérieur à l'arrêt Dayco, nous apporte un éclairage additionnel.

[41] Dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc.[17], la juge Abella, pour la majorité, affirme que même les questions de compétence ne doivent pas nécessairement être révisées selon la norme de la décision correcte lorsqu’elles sont inextricablement liées à d’autres questions à l’égard desquelles le Tribunal administratif a une compétence et une expertise particulières[18]. La juge Abella réitère en outre les principes déjà énoncés par la Cour suprême du Canada relativement aux questions de compétence et à la notion de condition préalable[19]:

91 Dans l’arrêt Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890 , par. 18, notre Cour a affirmé ceci :

Le critère servant à déterminer si la disposition en cause est une disposition limitative de compétence est le suivant : La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission? [. . .] Des facteurs comme l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, son domaine d’expertise et la nature du problème qui lui est soumis sont tous pertinents pour déterminer l’intention du législateur.

Cette approche, confirmée par le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 , par. 26, réitère l’observation du juge Beetz dans l’arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 :

La notion de condition préalable détourne les tribunaux du véritable problème du contrôle judiciaire : elle substitue la question « S’agit-il d’une condition préalable à l’exercice du pouvoir du tribunal? » à la seule question qu’il faut se poser, « Le législateur a-t-il voulu qu’une telle matière relève de la compétence conférée au tribunal? » [p. 1087]

91 In Pasiechnyk v. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 S.C.R. 890 , at para. 18, this Court said:



The test as to whether the provision in question is one that limits jurisdiction is: was the question which the provision raises one that was intended by the legislators to be left to the exclusive decision of the Board? . . . Factors such as the purpose of the statute creating the tribunal, the reason for its existence, the area of expertise and the nature of the problem are all relevant in arriving at the intent of the legislature.



This approach, affirmed by Bastarache J. in Pushpanathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1998] 1 S.C.R. 982 , at para. 26, reiterates Beetz J.’s observation in U.E.S., Local 298 v. Bibeault, [1988] 2 S.C.R. 1048 , that:





The concept of the preliminary or collateral question diverts the courts from the real problem of judicial review: it substitutes the question “Is this a preliminary or collateral question to the exercise of the tribunal’s power?” for the only question which should be asked, “Did the legislator intend the question to be within the jurisdiction conferred on the tribunal?” [p. 1087]


[42] Les juges Deschamps et Rothstein, dissidents, sont d’avis que, dans cette affaire, l’examen en révision devrait être fondé sur la norme de la décision correcte[20].

[43] Devant ces divergences, comment trancher?

[44] Les juges Bastarache et LeBel dans l'arrêt Dunsmuir nous fournissent la solution : s’agit-il, en l’espèce, d’une véritable question de compétence?

[45] Le Tribunal est d’avis qu’il ne s’agit pas d’une véritable question de compétence au sens stricto sensu. Comme le rappelait le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan[21] en citant les propos du regretté juge Beetz, la seule question qu’il faut se poser est celle de savoir si le législateur a voulu qu’une telle matière relève de la compétence conférée à l’arbitre.

[46] Or, en l'instance, il n’y a aucune contestation que l’arbitre est dûment saisi, que le grief est validement déposé et que la convention collective est en vigueur lors du dépôt du grief. D’ailleurs, les parties lui ont soumis pour décision préliminaire une objection que l’arbitre a tranchée en se déclarant, au moins en partie, compétent.

[47] De plus, le grief dont est saisi l’arbitre comporte beaucoup de questions de fait et de droit qui sont inextricablement liées. Or, sur ces questions, l’arbitre a clairement juridiction et possède une expertise particulière.

[48] En conséquence, de l’avis du Tribunal, il ne s'agit pas d’une véritable question de compétence.

[49] En outre, admettre qu’il s’agit en l’espèce d’une question de compétence serait, pratiquement, faire renaître la notion de condition préalable, pourtant abolie depuis longtemps[22].

[50] Il faut donc procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle[23] préconisée dans l’arrêt Dunsmuir[24] pour déterminer la norme de contrôle applicable.

[51] L’arrêt Dunsmuir nous indique que cette analyse devrait être fondée sur les facteurs suivants :

[64] The analysis must be contextual. As mentioned above, it is dependent on the application of a number of relevant factors, including: (1) the presence or absence of a privative clause; (2) the purpose of the tribunal as determined by interpretation of enabling legislation; (3) the nature of the question at issue, and; (4) the expertise of the tribunal. In many cases, it will not be necessary to consider all of the factors, as some of them may be determinative in the application of the reasonableness standard in a specific case.

[64] L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.


[52] En l’espèce, l’arbitre est protégé par une clause privative qualifiée d’intégrale[25].

[53] La raison d’être de l’arbitre de grief est d’interpréter et d’appliquer les dispositions d’une convention collective et de trancher les griefs qui lui sont soumis[26].

[54] La nature de la question en cause s’avère, a posteriori, beaucoup plus complexe que chacune des parties l’avait envisagée initialement. Au départ, il s'agissait d'une simple objection relative à l’arbitrabilité du grief, qui devait être tranchée sans preuve. Les parties sont maintenant mieux à même de constater, à la lecture de la sentence contestée, que plusieurs questions sont inextricablement liées à cette objection préliminaire.

[55] En fait, les parties réalisent, en l'espèce, que l’arbitre aurait dû prendre cette objection préliminaire sous réserve, entendre toute l’affaire et trancher le grief au fond.



[56] Enfin, l’expertise de l’arbitre en matière d’interprétation et d’application d’une convention collective et du Code du travail ne fait plus aucun doute et milite clairement en faveur de la reconnaissance d’une certaine déférence à son endroit[27].

[57] D'ailleurs, comme le soulignait le juge La Forest, pour la majorité, dans l'arrêt Dayco[28], un arbitre a compétence stricto sensu pour interpréter les dispositions d'une convention collective lorsqu'il s'agit de décider si des questions sont arbitrables sous le régime de cette convention. Dans ce cas, le contrôle judiciaire de cette interprétation ne doit se faire que selon la norme du caractère manifestement déraisonnable, maintenant la norme déférente du caractère raisonnable.

[58] En conséquence, compte tenu de la clause privative, de la nature du régime et de celle à la question soulevée, le Tribunal conclut que la norme qui convient en l’espèce est celle de la raisonnabilité.

[59] Cependant, avant de poursuivre l’analyse, il convient, par souci de commodité, de reproduire à nouveau les conclusions de l’arbitre dans sa sentence arbitrale :

En conséquence de ce qui précède, le Tribunal :

ACCUEILLE en partie l’objection logée par l’Employeur quant à l’arbitrabilité du grief 2002-006-5313 contestant la mesure disciplinaire imposée le 25 novembre 2002 à Mme Mina Cookie;

DÉCLARE que la décision de suspendre Mme Mina Cookie a été validement prise par l’Employeur et que cette décision ne peut être remise en cause;

DÉCLARE que les deux jours de suspension sans salaire écoulés entre le 25 novembre et le 27 novembre 2002 ne peuvent également pas être remis en cause;

DÉCLARE que les trois jours de suspension sans salaire, non encore écoulés au moment de l’entrée en vigueur de la convention collective, peuvent être soumis à l’arbitrage du Tribunal compte tenu de la preuve qui pourra être éventuellement faite par les parties quant à la proportionnalité des trois jours de suspension non écoulés par rapport aux fautes par ailleurs validement reprochées à Mme Mina Cookie par l’Employeur avant l’entrée en vigueur de la convention collective.

[60] Ainsi, ce n'est pas seulement une, mais bien quatre conclusions qui sont contestées en l’espèce. Il faut donc appliquer un autre principe de droit administratif, à savoir que, dans une même affaire, une norme de contrôle distincte peut s’appliquer à chacune des questions distinctes. Il s’agit du principe du fractionnement ou de la segmentation[29]. Les juges Deschamps et Rothstein, dissidents dans l’affaire Via Rail, décrivent précisément ce principe :

278 The standard of review jurisprudence recognizes that segmentation of a decision is appropriate in order to ascertain the nature of the questions before the tribunal and the degree of deference to be accorded to the tribunal’s decisions on those questions. In Canada (Deputy Minister of National Revenue) v. Mattel Canada Inc., [2001] 2 S.C.R. 100 , 2001 SCC 36, at para. 27, Major J. stated :

In general, different standards of review will apply to different legal questions depending on the nature of the question to be determined and the relative expertise of the tribunal in those particular matters.

In Law Society of New Brunswick v. Ryan, [2003] 1 S.C.R. 247 , 2003 SCC 20, although there were no legal questions to be examined separately in that case, Iacobucci J. clearly indicated that there are situations in which extrication is appropriate (para. 41). See also Mattel, Inc. v. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 S.C.R. 772 , 2006 SCC 22, at para. 39. Subjecting all aspects of a decision to a single standard of review does not account for the diversity of questions under review and either insulates the decision from a more exacting review where the pragmatic and functional considerations call for greater intensity in the review of specific legal questions, or subjects questions of fact to a standard that is too exacting. A tribunal’s decision must therefore be subject to segmentation to enable a reviewing court to apply the appropriate degree of scrutiny to the various aspects of the decision which call for greater or lesser deference.

278 La jurisprudence portant sur la norme de contrôle reconnaît que la segmentation d’une décision est indiquée pour préciser la nature des questions soumises au tribunal administratif et le degré de déférence qui s’impose à l’égard des décisions rendues par le tribunal administratif au sujet de ces questions. Dans l’arrêt Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100 , 2001 CSC 36 , par. 27, le juge Major a affirmé ceci :

En général, des normes de contrôle différentes s’appliquent à des questions de droit différentes, selon la nature de la question à trancher et l’expertise relative du tribunal administratif sur ces questions particulières.

Dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 , 2003 CSC 20 , même s’il n’y avait aucune question de droit à examiner séparément, le juge Iacobucci a clairement indiqué qu’il y a des cas où il convient d’isoler de telles questions (par. 41). Voir également l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772 , 2006 CSC 22 , par. 39. L’application d’une seule norme de contrôle à tous les aspects d’une décision ne tient pas compte de la diversité des questions examinées et a pour effet soit de soustraire la décision à un contrôle plus rigoureux dans le cas où des considérations pragmatiques et fonctionnelles commandent un examen plus approfondi de certaines questions de droit, soit d’assujettir les questions de fait à une norme trop exigeante. La décision du tribunal administratif doit donc être segmentée afin de permettre à la cour de révision d’examiner comme il se doit les différents volets de la décision qui commandent plus ou moins de déférence.


[61] En conséquence, le Tribunal doit choisir et appliquer une norme de contrôle à chacune de ces conclusions pour déterminer si elles doivent ou non être annulées en l’espèce.

[62] Quant à la première conclusion qui accueille en partie l’objection logée par Kativik, le Tribunal conclut qu’il faut appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable. En fait, la validité de cette conclusion est tributaire de la décision sur les trois autres conclusions qui suivent.

[63] Concernant la deuxième conclusion, selon laquelle l’arbitre déclare que la décision de suspendre madame Cookie a été validement prise par Kativik, le Tribunal appliquera la norme de la décision correcte puisque l’AENQ prétend que l’arbitre a violé la règle audi alteram partem[30].

[64] Relativement à la troisième conclusion, voulant que les deux jours de suspension sans salaire écoulés ne peuvent être remis en question, le Tribunal conclut que la norme de la décision raisonnable s'applique.

[65] Enfin, quant à la quatrième conclusion par laquelle l’arbitre déclare que les trois jours de suspension sans salaire, non encore écoulés au moment de l’entrée en vigueur de la convention collective, peuvent être soumis à l’arbitrage, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable[31].

[66] Il convient maintenant d’appliquer chacune de ces normes de contrôle à chacune des conclusions pour déterminer le sort de la requête de l’AENQ.

2. L’application de la norme de contrôle appropriée entraîne-t-elle l’annulation de la sentence arbitrale P-1 rendue le 8 juillet 2008?

[67] Les deux parties sont d’accord, la sentence contestée doit être annulée. Cependant, le Tribunal doit être convaincu du bien-fondé de la requête qui lui est soumise avant de l’accueillir.

[68] La conclusion qui accueille en partie l’objection logée par Kativik est clairement déraisonnable et doit être annulée. L’arbitre ayant conclu, au paragraphe 45 de la sentence, qu’il conservait, au moins en partie, compétence sur le grief dont il était saisi, il aurait dû ensuite rejeter purement et simplement l’objection préliminaire qui lui était soumise et entendre les parties sur le fond.

[69] De l’avis du Tribunal, l’arbitre peut certes se prononcer sur sa propre compétence et même, le cas échéant, décliner compétence. Cependant, il n'a pas compétence pour la restreindre, comme il l'a fait en l'espèce.

[70] L’irrecevabilité partielle qui, en principe, n’existe pas en droit québécois est aussi inconnue en droit du travail québécois.

[71] De plus, cette conclusion d’accueillir partiellement l’objection est clairement déraisonnable et irrationnelle, puisqu'elle ne fait pas partie de la gamme des solutions raisonnables.

[72] La conclusion déclarant que la décision de suspendre madame Cookie a été validement prise enfreint de façon manifeste la règle audi alteram partem. En effet, l’arbitre était saisi d’une objection préliminaire. Ainsi, par cette conclusion, l’arbitre juge au-delà de la demande préliminaire et tranche le fond du grief sans avoir entendu les parties. Il excède sa compétence[32]. Cette conclusion doit donc être révisée et annulée.

[73] Les deux conclusions de la sentence, soit celle portant sur les deux jours de suspension écoulés et celle concernant les trois jours de suspension non encore écoulés, au moment de l'entrée en vigueur de la convention collective, peuvent être analysées ensemble comme les deux facettes d'une même médaille.

[74] Ces deux conclusions doivent être révisées et annulées, parce qu'elles sont contradictoires, déraisonnables et clairement irrationnelles.

[75] D'une part, comme susdit, ayant décidé de conserver partiellement compétence, l'arbitre se devait de rejeter l'objection préliminaire de Kativik.

[76] D'autre part, l'arbitre excède sa compétence en concluant qu'il conserve compétence partielle sur la sanction imposée et, en même temps, décline compétence à l'égard de la faute reprochée.

[77] Ces deux conclusions ne peuvent rationnellement s'appuyer sur le texte des dispositions législatives et conventionnelles pertinentes et exigent donc une intervention judiciaire.

[78] Le paragraphe 100.12f) C. trav. et l'article 8-4.05 de la convention collective confèrent respectivement compétence à l'arbitre «en matière disciplinaire» et sur «une mesure disciplinaire».

[79] Or, une mesure disciplinaire comporte deux aspects, soit la faute reprochée et la sanction imposée.

[80] Dans l'exercice de sa compétence, l'arbitre doit s'acquitter de sa mission de façon complète. Pour ce faire, l'arbitre doit effectuer un exercice en trois étapes, à savoir:

a) L'employé est-il effectivement responsable de la conduite que lui reproche l'employeur?

b) La conduite reprochée à l'employé constitue-t-elle une cause juste légitimant la mesure disciplinaire?

c) La mesure disciplinaire imposée par l'employeur est-elle appropriée, compte tenu de la conduite et des autres circonstances pertinentes?[33]

[81] L'arbitre excède sa compétence s'il élude l'une de ces trois étapes, comme il a décidé de le faire en l'espèce.

[82] En conséquence, après analyse de chacune des conclusions de la sentence attaquée, le Tribunal est d’avis, à l'instar des parties, que cette sentence doit être révisée et annulée, puisqu'aucune de ces conclusions n'appartient aux issues possibles acceptables[34].

[83] Cependant, les parties ne s’entendent pas sur la suite à donner au grief.

[84] L’AENQ demande de retourner le dossier au même arbitre, même si elle allègue violation de la règle audi alteram partem. Kativik demande de déclarer le grief irrecevable.

[85] Il convient de rappeler que le Tribunal n’est saisi que d’une requête, soit celle de l’AENQ, en révision judiciaire et qu’il n’est saisi d’aucun recours de Kativik. D’ailleurs, la position de cette dernière, énoncée dans son mémoire, est pour le moins contradictoire. En effet, elle demande le rejet de la requête, mais du même souffle, elle conclut à l’annulation de la sentence et à l'irrecevabilité du grief.

CONCLUSIONS

[86] Les parties ont invité le Tribunal à trancher le fond de l’affaire. Cependant, ce n’est ni le bon forum ni le bon recours. Le Tribunal s'abstient donc, délibérément, de se prononcer sur le bien-fondé du grief.

[87] Évidemment, l’arbitre sera confronté à une foule de questions pour trancher le grief au fond. Par exemple, l’arbitre pourra juger utile de se pencher, notamment:

a) sur l’application de l’article 59 du Code du travail, bien qu'il s'agisse d'un grief et qu'une seule salariée soit en cause[35];

b) sur la question de savoir si le processus de nomination de l’arbitre affecte son pouvoir de se pencher sur l’application de l’article 59 du Code du travail dans le cadre du grief de madame Cookie[36];

c) sur les conséquences résultant de l'absence de plainte fondée sur l'article 59 C.trav.;

d) sur l'effet du dépôt de la requête en accréditation le 17 octobre 2002;

e) sur le moment à compter duquel madame Cookie a acquis ses droits et recours quant à la suspension qui lui a été imposée;

f) sur les conséquences juridiques découlant du contrat individuel de travail qui liait madame Cookie à Kativik au moment de l'imposition de la suspension le 21 novembre 2002[37];

g) sur la question de savoir si une disposition de la convention collective a été violée par Kativik lors de l'imposition de la suspension à madame Cookie[38];

h) sur l'interprétation des clauses 1-2.16 «grief» et 8-4.0-5 de la convention collective et leur effet dans le temps, etc.

[88] L'arbitre aura l'avantage, cependant, de pouvoir trancher l’ensemble des questions après avoir entendu la preuve et les représentations des procureurs. Ces questions sont toutes intimement liées à l’expertise de l’arbitre dans l’exercice de sa compétence. Il est donc sage de laisser l'arbitre, tribunal spécialisé, exercer sa compétence sur le grief qui lui a été soumis avant que le Tribunal ne se prononce sur ces questions, d'autant plus que, en principe, il doit faire preuve de déférence à son égard.

[89] En principe, une fois la décision de l’arbitre annulée, le dossier doit lui être retourné.

[90] En l’espèce, aucune des exceptions à ce principe ne s’appliquent[39].

[91] Les procureurs de Kativik demandent au Tribunal d'exercer sa discrétion non seulement pour rejeter la requête de l'AENQ, mais aussi pour déclarer le grief irrecevable, même une fois la requête rejetée.

[92] Avec égards, le Tribunal ne croit pas que son pouvoir discrétionnaire, aussi vaste soit-il, lui permet de se prononcer sur le bien-fondé du grief, compte tenu de l'état actuel du dossier.

[93] De plus, aucune demande n'a été faite au Tribunal de renvoyer le dossier à un autre arbitre, même s'il y a des allégations que l'arbitre a préjugé du fond de l'affaire en statuant sur sa compétence[40].

[94] Enfin, compte tenu du succès mitigé des parties et de la nécessité de retourner le dossier à l'arbitre, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[95] ACCUEILLE en partie la requête en révision judiciaire de la demanderesse;

[96] ANNULE la sentence P-1 rendue par l'arbitre défendeur le 8 juillet 2008;

[97] RETOURNE le grief P-6, portant les numéros 2002-03-KS-04 et 2002-006-5313, daté du 8 janvier 2003, à l’arbitre pour qu’il procède en toute diligence à l’instruction de ce grief conformément à la loi.




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GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

Me Claude Tardif (Rivest Schmidt)

Avocat de la demanderesse



Me Stéphane Gaudet (Loranger Marcoux)

Avocat de la mise en cause






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[1] Art. 846 C.p.c.

[2] Art. 59 du Code du travail, L.R.Q. c. C-27.

[3] Pièce P-2.

[4] Pièce P-3.

[5] Pièce P-4.

[6] Pièce P-5.

[7] L.R.Q. c. R-8.2.

[8] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 .

[9] Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230 .

[10] Pièce P-1, p. 4.

[11] Pièce P-1, p. 11.

[12] Pièce P-1, p. 12.

[13] Le rôle du Tribunal en matière de révision judiciaire est de choisir et d'appliquer la norme de contrôle appropriée; voir notamment Mugesera c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100 , paragr. 35.

[14] Précité, note 8, paragr. 57.

[15] Précité, note 9, pp. 253-254.

[16] Précité, note 8, paragr. 59. Il est utile de préciser que les motifs du juge Bastarache et LeBel ont été rendus en anglais.

[17] [2007] 1 R.C.S. 650 , paragr. 97 et 100.

[18] Voir aussi Dayco, précité note 9, p. 252 où le juge La Forest souligne, en citant Palmer : [TRADUCTION] «souvent le fond d'une affaire est mêlé inextricablement à ses aspects juridictionnels».

[19] Précité, note 17.

[20] Précité, note 17, paragr. 286.

[21] Pushpanathan c. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et al., [1998] 1 R.C.S. 982 , paragr. 26.

[22] Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476 ; voir aussi Automobiles Canbec Inc. c. Hamelin, REJB 1998-09728 (C.A.), paragr. 139 à 159, la juge Otis.

[23] Antérieurement, l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

[24] Précité, note 8, paragr. 63-64.

[25] Art. 139 , 139.1 et 140 du Code du Travail; Ivanhoe Inc. c. T.U.A.C., Section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565 , paragr. 25.

[26] Art. 100 et 100.12 du Code du Travail.

[27] Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, paragr. 27; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727.

[28] Précité, note 9.

[29] Précité, note 8, paragr. 142.

[30] Yergeau c. C.L.P., 2006 QCCA 464 , paragr. 46; Supermarchés Jean Labrecque Inc. c. Flamand, [1987] 2 R.C.S. 219 , paragr. 48 à 78.

[31] L'AENQ demande d'annuler la sentence sans exclure la conclusion où l'arbitre se déclare en partie compétent. Cependant, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de cette conclusion, mais seulement sur sa raisonnabilité.

[32] United Parcel Service du Canada Ltée c. Foisy, AZ-50363118 , 2006 QCCS 1466 , J.E. 2006-1121 .

[33] Le Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487 , p. 509; Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, local 503 c. Gendreau et al., [1998] R.J.D.T. 38 , AZ-98011247 , 21 janvier 1998; voir aussi BERNARD Y., SASSEVILLE A. et CLICHE B., Robert P. Gagnon Le droit du travail du Québec, 6e éd., Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2008, pp. 617-620, paragr. 742.

[34] Dunsmuir précité, note 8, paragr. 47.

[35] Question délicate et qui exige des distinctions, voir BERNARD, Op.cit., note 33, pp. 490-491, paragr. 584.

[36] Art. 100.10 , Code du travail, précité, note 2.

[37] Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la vie, [2004] 3 R.C.S. 195 , paragr. 30 et ss.

[38] Précité, note 9, p. 251-252.

[39] Giguère c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 1 R.C.S. 3 , dissidence de la juge Deschamps aux paragr. 63 à 69,.

[40] Précité, note 9; Collège LaSalle Inc. c. Hamelin, AZ-50151444 , J.E. 2002-2146 , [2002] R.J.Q. 2917 , [2002] R.J.D.T. 1434 (C.A.), paragr. 60.