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L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS c. VINCENT LACROIX

no. de référence : 500-10-004199-087

Autorité des marchés financiers c. Lacroix
2009 QCCA 1559

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE


MONTRÉAL

N° :
500-10-004199-087

500-10-004256-085

(500-36-004600-089)

(500-61-209705-061)



DATE :
LE 21 AOÛT 2009





CORAM :
LES HONORABLES
BENOÎT MORIN, J.C.A.

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

LISE CÔTÉ, J.C.A.





N° : 500-10-004199-087



L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

APPELANTE / Intimée – poursuivante

c.



VINCENT LACROIX

INTIMÉ / Appelant – défendeur





N° : 500-10-004256-085



VINCENT LACROIX

APPELANT / Appelant – défendeur

c.



AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

INTIMÉE / Intimée – poursuivante





ARRÊT









[1] LA COUR; -Statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement rendu le 8 juillet 2008 et rectifié le 18 août 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable André Vincent), qui accueillait l'appel de l'intimé Lacroix et modifiait les peines infligées par un juge de la Cour du Québec (Montréal, 28 janvier 2008, l'honorable Claude Leblond);

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] L'Autorité des marchés financiers (AMF) a obtenu la permission de se pourvoir contre un jugement rendu le 8 juillet 2008 par la Cour supérieure (l'honorable André Vincent) qui, siégeant en appel d'une sentence prononcée par la Cour du Québec, a confirmé les peines infligées par le juge du procès, sauf pour rendre concurrentes entre elles les peines d'emprisonnement concernant les chefs d'infraction 28 à 51, celles-ci devant par ailleurs être purgées consécutivement aux peines de cinq ans moins un jour imposées pour les chefs d'infraction 1 à 27. Les peines d'emprisonnement infligées par le juge du procès totalisaient 12 ans moins 1 jour. À la suite de l'appel devant la Cour supérieure, elles totalisaient 8 ans et demi moins 1 jour.

[4] L'appel a été autorisé en application de l'article 291 du Code de procédure pénale, L.R.Q., c. C-25.1 (C.p.p.) quant aux questions de droit suivantes :

a) L'honorable juge de la Cour supérieure a erré en droit en s'immisçant dans la décision discrétionnaire du juge de première instance d'imposer des peines consécutives au motif que ce dernier se serait écarté du principe de concurrence des peines en subdivisant les deux catégories d'infractions respectivement constituées des chefs 28 à 36 et 37 à 51;

b) L'honorable juge de la Cour supérieure a erré en droit en concluant que la peine d'incarcération globale de 12 ans moins un jour qui fut imposée en première instance est exagérée au motif que l'intimé fut déclaré coupable d'infractions pénales provinciales et que la peine d'emprisonnement maximale prévue par la LVM pour chaque infraction est de cinq ans moins un jour;

c) L'honorable juge de la Cour supérieure a erré en droit en s'immisçant dans l'importante discrétion accordée au juge de première instance dans le cadre du processus de détermination de la peine alors que cette peine n'était pas manifestement déraisonnable et qu'aucune erreur de principe n'avait été commise.

[5] De son côté, Vincent Lacroix (Lacroix) a obtenu la permission de se pourvoir contre la même décision dans le dossier 500-10-004256-085. Il invoque les moyens d'appel suivants :

1. Le juge a erré en prononçant une sentence globale de 8 ans et demi de prison. Cette peine se situe en dehors des limites acceptables et est nettement déraisonnable. Le juge n'a vraisemblablement pas tenu compte des principes de proportionnalité et de totalité, d'harmonisation des peines ainsi que du respect du choix du législateur dans la détermination de la peine;

2. Le juge a erré en maintenant deux catégories d'infraction et en jugeant que des peines consécutives pouvaient être imposées. En fait, l'appelant est d'avis qu'il s'agit d'une seule et même catégorie d'infractions.

[Nous soulignons.]

[6] Il vaut de souligner que l'AMF s'oppose à un des moyens d'appel présentés dans le mémoire de Lacroix concernant l'illégalité des peines consécutives, au motif qu'il n'a pas été plaidé par Lacroix devant le juge de la Cour supérieure, quoique, faut-il le préciser, l'AMF l'ait fait devant le juge du procès. En effet, cette question n'a pas été débattue devant le juge de la Cour supérieure puisque les moyens d'appel de Lacroix, qui était représenté par le même procureur au dossier, n'ont porté que sur les points suivants, reproduits dans le jugement de la Cour supérieure :

[15] Dans son avis d'appel du 26 février 2008, l'appelant reproche au juge de première instance de ne pas avoir considéré l'ensemble des facteurs servant à la détermination de la peine, d'avoir erré en droit en prononçant des sentences consécutives en matière pénale et d'avoir imposé une peine d'emprisonnement disproportionnée en matière de procédure pénale.

[16] Dans son mémoire et argumentation, il ne retient que deux motifs :

a) la peine se situe en dehors des limites acceptables et est nettement déraisonnable. Le juge de première instance n'a vraisemblablement pas tenu compte des principes de proportionnalité et de totalité, d'harmonisation des peines ainsi que du respect du choix du législateur dans la détermination de la peine,

b) l'amende imposée est inadéquate à l'égard du principe de la sanction la moins contraignante et s'éloigne de sa finalité dans la détermination de la peine.

POSITION DES PARTIES

[17] L'appelant ne conteste pas le pouvoir du juge de première instance d'imposer des peines consécutives. Cependant, il estime que la sentence totale de 12 ans moins un jour est excessive et ne répond pas au principe de proportionnalité et d'harmonisation des peines. Il suggère de ramener la sentence à une peine de cinq ans moins un jour.

[Nous soulignons.]

[7] Comme les faits et les questions en litige dans les deux pourvois sont en grande partie les mêmes, ces motifs vaudront dans l'un et l'autre des pourvois. Quant à la question de l'ajout d'un nouveau moyen d'appel, il y a lieu d'en traiter en début d'analyse.

Contexte
[8] Le 11 décembre 2007, Lacroix a été condamné sur 51 chefs d'accusation lui reprochant diverses infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1 (LVM) dont 24 chefs relatifs à la transmission d'informations trompeuses à l'AMF (art. 197 (4) et (5)) et 27 chefs pour avoir influencé ou tenté d'influencer le cours ou la valeur de 27 fonds d'investissement reliés au groupe Norbourg par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses (art. 195.2). Le 28 janvier 2008, le juge du procès lui imposait les peines suivantes :

[106] Sur chacun des chefs d'accusation, une amende de 5 000 $ plus les frais.

[107] Pour les chefs 1 à 27, une peine de 5 ans moins 1 jour d'emprisonnement. Ces peines d'emprisonnement seront purgées de façon concurrente entre elles.

[108] Pour les chefs 28 à 37, une peine de 42 mois d'emprisonnement sur chacun des chefs. Ces peines d'emprisonnement seront purgées de façon concurrente entre elles. Cependant, cette peine de 42 mois d'emprisonnement sera purgée de façon consécutive à la peine d'emprisonnement pour les chefs 1 à 27.

[109] Pour les chefs 38 à 51, sauf le chef 42, une peine de 42 mois d'emprisonnement sur chacun des chefs. Ces peines d'emprisonnement seront purgées de façon concurrente entre elles. Cependant, cette peine de 42 mois d'emprisonnement sera purgée de façon consécutive aux deux autres peines d'emprisonnement.

[110] Je vous impose donc une amende de 255 000 $ plus les frais et une peine d'emprisonnement de 12 ans moins 1 jour.

[9] Lacroix s'est pourvu en appel devant la Cour supérieure. Son appel fut accueilli en partie de la façon suivante :

CONFIRME les amendes de 5 000 $ et les frais, imposés sur chacun des chefs d'accusation,

CONFIRME les peines de cinq ans moins un jour imposées sur les chefs 1 à 27,

SUBSTITUE aux peines imposées en première instance, les peines suivantes :

- Pour les chefs 28 à 51, sauf sur le chef 42, une peine de 42 mois d'emprisonnement sur chacun des chefs. Ces peines d'emprisonnement seront purgées de façon concurrente entre elles, mais devant être purgées consécutivement à la peine d'emprisonnement imposée sur les chefs 1 à 27.

[10] Selon l'AMF, le juge de la Cour supérieure a erré en rendant les peines concurrentes à l'égard des chefs d'infractions 28 à 51 alors que le juge du procès avait subdivisé ces chefs en deux catégories d'infraction constituées des chefs 28 à 36 et 37 à 51. Elle plaide qu'il ne faut pas confondre ces infractions qui, d'une part, n'ont pas été commises au même moment et, d'autre part, ont des buts totalement différents. Alors que les documents visés par les chefs 28 à 36 ont été remis en réponse à des demandes des enquêteurs de l'AMF, ceux visés par les chefs 37 à 51 étaient des documents destinés au public pour l'inciter à investir.

[11] De son côté, Lacroix plaide que le juge du procès aurait dû imposer des peines concurrentes pour toutes les catégories d'infraction en tenant compte du principe de la totalité de la peine suivant lequel le prononcé de peines consécutives ne doit pas rendre la peine totale disproportionnée eu égard à la culpabilité globale du délinquant. Il soutient de plus qu'il n'existe pas de pouvoir général d'imposer des peines consécutives et que le C.p.p. ne prévoit pas un tel pouvoir.

Jugement de la Cour supérieure
[12] Le juge de la Cour supérieure résume ainsi l'affaire :

[5] Il s'agit d'un scandale financier sans précédent dans les annales judiciaires du pays.

[6] L'enquête de l'Autorité des marchés financiers, chargée de l'application de la Loi sur les valeurs mobilières, démontre que 115 millions de dollars ont été illégalement retirés de 27 fonds d'investissement lésant ainsi, quelques 9 200 investisseurs. La preuve retenue au procès révèle que les manœuvres de l'appelant ont fait perdre à de petits investisseurs, les économies d'une vie. Tenant compte du rendement perdu, le juge établit la perte de ces derniers à 130 millions de dollars.

[7] De décembre 2002 à août 2005, l'appelant a effectué 137 retraits irréguliers. Ces sommes retirées des différents fonds étaient déposées dans les comptes personnels de l'appelant ou de ses sociétés.

[8] Les opérations irrégulières étaient camouflées grâce à différents faux rédigés à l'intention de l'Autorité des marchés financiers.

[9] Les faux servaient à tromper à la fois l'Intimée, en produisant de faux apports de capitaux, fausses réclamations, faux revenus, et le public, en produisant de faux états financiers et autres documents qu'il pouvait consulter.

[13] Il énonce ensuite les principes applicables lors de l'examen en appel des décisions prononcées en matière de détermination de la peine :

[19] Il est bien établi qu'un tribunal d'appel doit faire preuve de retenue à l'endroit d'un jugement portant sur la détermination de la peine. La position privilégiée du juge qui a eu l'occasion d'entendre les témoins et apprécier la peine appropriée en l'espèce, doit être respectée à moins d'erreur de principe ou omission de prendre en considération un facteur pertinent ou encore insistance sur les facteurs appropriés.

[20] La Cour suprême, dans R. c. L.M,[1] réaffirmait, récemment, les principes relatifs à la norme d'intervention :

[14] La jurisprudence de notre Cour a établi que les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des juges de première instance à l’occasion d’un appel de la sentence. En effet, une cour d’appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu’elle aurait prononcé une sentence différente. Elle doit être « convaincue qu’elle n’est pas indiquée » c’est-à-dire « que la peine est nettement déraisonnable » (R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227 , par. 46, cité dans R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948 , par. 15). Notre Cour a d’ailleurs souligné dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 , par. 90 :

« …sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée ».

(Voir aussi R. c. W. (G.), [1999] 3 R.C.S. 597 , par. 19; A. Manson, The Law of Sentencing (2001), p. 359; et F. Dadour, De la détermination de la peine : principes et applications (2007), p. 298.)

[15] La nature profondément contextuelle du processus de détermination de la peine, qui laisse une large discrétion au juge du fait, justifie une norme de contrôle fondée sur une exigence de retenue de la part des juridictions d’appel. En effet, le juge infligeant la peine « sert en première ligne de notre système de justice pénale » et possède des qualifications uniques sur les plans de l’expérience et de l’appréciation des commentaires formulés par le ministère public et le contrevenant (M. (C.A.), par. 91).

[…]

[17] Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus (art. 718.1 C.cr.; R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357 , 2003 CSC 46 , par. 22; R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 , 2000 CSC 5 , par. 82). Dans sa recherche d’une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :

- les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés (art. 718 C.cr.);

- le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C.cr.);

- les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables (art. 718.2 C.cr.).

[1] [2008] 2 R.C.S.163.

[14] Appliquant ces principes, il conclut qu'il n'y a pas lieu d'intervenir à l'égard de l'imposition de la peine maximale quant aux chefs 1 à 27 au motif que le juge du procès a tenu compte des principes appropriés en matière de détermination de la peine, notamment la gravité des infractions et la culpabilité morale du délinquant. En outre, même si la peine prononcée correspond à la peine maximale, elle atteint selon lui les objectifs poursuivis par le législateur si l'on tient compte des circonstances de la commission de ces infractions. Il analyse ensuite la question des peines consécutives et les principes sous-jacents applicables. Bien que Lacroix n'ait pas contesté la légalité des peines consécutives, le juge écrit à ce sujet :

[41] Le pouvoir d'imposer des peines consécutives est de nature discrétionnaire. La Cour suprême, après une longue analyse de la règle de common law, a conclu en ce sens dans R. c. Paul. Le premier juge a correctement analysé les dispositions législatives pertinentes aux paragraphes 18 à 30 de sa décision.

[42] Se fondant sur les arrêts Mantha de la Cour d'appel du Québec et L.M. de la Cour suprême, il est conscient du principe de totalité lorsqu'il impose des peines consécutives. Il ne commet aucune erreur de principe relativement à ces deux concepts.

[43] Il est important, cependant, de comprendre le regroupement que fait le premier juge des différentes infractions reprochées à l'appelant. Essentiellement, il a regroupé les infractions en tenant compte de la nature des infractions :

- les chefs 1 à 27, selon l'art. 195.2 de la Loi;

- les chefs 28 à 36, selon l'art. 197, 4o de la Loi;

- les chefs 37 à 51, selon l'art. 197, 5o de la Loi.

[44] Les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières pertinentes en l'espèce, sont :

195.2. Constitue une infraction le fait d'influencer ou de tenter d'influencer le cours ou la valeur d'un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses.

197. Commet une infraction celui qui fournit, de toute autre manière, des informations fausses ou trompeuses :

4° dans un document ou un renseignement fourni à l'Autorité ou à l'un de ses agents;

5° dans un document transmis ou un registre tenu en application de la présente loi.

[45] L'objet des deux dispositions législatives est fort différent. L'article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières sanctionne le fait d'influencer ou tenter d'influencer le cours ou la valeur d'un titre alors que l'article 197 traite des documents transmis ou fournis. Bien entendu, la transmission de documents faux ou trompeurs peut avoir une influence sur le cours ou la valeur d'un titre et constituer le moyen de l'influencer.

[46] Dans la présente affaire, c'est précisément ce qui est reproché à l'appelant : il a mis sur pied un système de fabrication de faux qui lui a permis d'effectuer pendant près de cinq ans des retraits irréguliers provenant de fonds mutuels. Les sommes provenant de ces retraits irréguliers furent ensuite disséminées par le biais de 10 000 transactions bancaires effectuées entre les sociétés du Groupe Norbourg afin de faire perdre la trace de l'argent.

[47] La fabrication de faux pour lesquels l'appelant a été déclaré coupable sont les suivants :

- chef 28 - avis aux lecteurs et les états financiers de Norbourg International du 30 juin 2004,

- chefs 29 et 30 - le rapport des vérificateurs et les états financiers pour Norbourg Gestion d'actifs pour les années 2003 et 2004,

- chefs 31 et 32 - les mêmes documents pour Norbourg Groupe financier pour les années 2003 et 2004,

- chefs 34 à 36 - les mêmes documents pour Norbourg Services financiers pour les années 2000-2001 et 2002,

- chefs 37 à 39 - les états financiers annuels des Fonds Norbourg pour 2002-2003 et 2004,

- chef 40 - les états financiers annuels pour les Fonds Évolution pour 2004, la notice annuelle pour les Fonds Évolution pour 2005,

- chefs 42 à 45 - le même document pour les Fonds Norbourg pour les années 2001 à 2004 inclusivement,

- chef 46 - la modification numéro 1 de ce même rapport pour les Fonds Norbourg pour 2004,

- chef 47 - le rapport annuel pour les Fonds Évolution pour l'année 2004,

- chefs 48 à 51 - les rapports annuels pour les Fonds Norbourg pour les années 2001 à 2004 inclusivement.

[48] Le but poursuivi par l'appelant est clair : effectuer à l'insu de l'organisme de surveillance et des investisseurs une série de transactions, et ainsi influer sur les titres. Que les faux documents aient été transmis en application de la Loi ou fournis à l'Autorité des marchés financiers ne change en rien l'objectif poursuivi. Pour camoufler ses opérations, il devait fournir de fausses informations.

[49] Il n'y a donc aucune raison de subdiviser aux fins de la peine ces deux séries d'infractions. D'ailleurs, le premier juge le reconnaît implicitement au paragraphe 106 [sic] de sa décision.

[50] Il n'était pas justifié, dans les circonstances, de créer deux catégories distinctes dans la fabrication des faux documents. Bien que le public n'ait accès qu'à l'une des catégories, il n'en reste pas moins que la raison principale de leur création était de cacher les opérations des sociétés de Vincent Lacroix.

[51] Ce faisant, le premier juge s'écarte du principe de la concurrence des peines.

[Références omises.]

[15] Le juge de la Cour supérieure conclut qu'il y a lieu de considérer deux catégories d'infraction au lieu des trois retenues par le juge du procès et, sans modifier le quantum des peines imposées pour les chefs 28 à 51, ordonne que celles-ci soient purgées concurremment entre elles, mais consécutivement aux peines imposées pour les chefs 1 à 27.

ANALYSE
Question nouvelle en appel
[16] Avant de traiter des moyens de l'AMF qui visent essentiellement le cadre d'intervention d'un tribunal d'appel en matière de peines concurrentes ou consécutives, il y a lieu de voir si les peines infligées en vertu de la LVM peuvent être consécutives entre elles. Pour ce faire, il faut décider si Lacroix peut présenter ce moyen en appel alors qu'il n'en a pas débattu devant la Cour supérieure non plus que devant le juge du procès.

[17] Tout d'abord, il importe de rappeler la trame chronologique de la question relative à la légalité des peines consécutives. Devant le juge du procès, Lacroix n'était pas représenté par avocat. Lors de l'audience sur la détermination de la peine, l'AMF a soutenu la légalité des peines consécutives. Dans son argumentation écrite soumise à ce moment, elle soutient sous la rubrique « La possibilité d'imposer des peines d'emprisonnement consécutives » que le C.p.p. prévoit le pouvoir spécifique d'imposer des peines consécutives. Elle écrit :

Ainsi, nous soumettons que Vincent Lacroix peut recevoir des peines consécutives pour chacune des catégories d'infraction advenant qu'un jugement distinct soit rendu sur chacune de ces catégories. Cette manière de procéder n'est d'ailleurs pas étrangère au CPP puisque l'article 220 prévoit expressément qu'un juge peut rendre jugement sur chacun des chefs lorsqu'un constat d'infraction comporte plusieurs chefs d'accusation.

[18] Le juge du procès a donc analysé la question. Il a conclu :

[25] La Cour suprême du Canada dans R. c. Paul a eu à se pencher sur la règle de common law en matière de peines d'emprisonnement consécutives pour décider la question qu'elle avait à trancher relativement à ce qui était à l'époque l'article 645 du Code criminel.

[26] À la lumière des paragraphes 43 et suivants de l'arrêt Paul, nous verrons que cette règle de common law permet d'interpréter ce que le législateur québécois a voulu dire par les mots « lorsque le défendeur est déjà en détention » à l'article 241 C.P.P.

[Citation omise.]

[…]

[27] Comme cette interprétation est immémoriale en common law, le législateur québécois ne pouvait avoir que cette interprétation en vue lorsqu'il a édicté l'article 241 C.P.P. avec les mots « lorsque le défendeur est déjà en détention ».

[28] Évidemment, le législateur a prévu un pouvoir et non un devoir de rendre ces peines consécutives afin d'éviter que les peines deviennent disproportionnées et excessives, donc incompatibles avec la dignité humaine pouvant aller ainsi à l'encontre de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[29] Quant au deuxième paragraphe de l'article 239, les commentateurs Létourneau et Robert font l'annotation suivante :

« L'article 72 de la Loi sur les poursuites sommaires permettait au juge de fixer un point de départ de la période d'emprisonnement différent de celui stipulé par la loi. Ainsi le juge aurait pu décider pour un défendeur incarcéré en attente de procès que sa peine d'emprisonnement a commencé à courir du jour de son incarcération préventive. L'article 239 élimine cette possibilité ainsi que celle d'imposer immédiatement la peine, mais d'en retarder l'exécution. Par contre, le juge peut tenir compte de la période passée en détention en attente de procès au moment où il fixe la durée de la peine d'emprisonnement (art. 229). »

[30] Le premier paragraphe de l'article 239 et l'interprétation que nous faisons de l'article 241 permettent donc d'affirmer que les peines d'emprisonnement imposées sur plusieurs chefs dans un même dossier peuvent être consécutives même si la personne n'est pas encore physiquement en détention.

[Références omises.]

[19] Devant la Cour supérieure, Lacroix, alors représenté par avocat, n'a pas contesté la légalité du pouvoir d'imposer une peine consécutive. Dès le début de sa plaidoirie, l'avocat le mentionne clairement au juge :

Me CLÉMENT MONTEROSSO :

Oui. Alors, Monsieur le Juge, comme on vous l'a fait valoir dans le mémoire, nous sommes arrivés à la conclusion que le juge de première instance avait juridiction pour imposer des peines consécutives; là n'est pas le problème. Le problème est plutôt dans l'imposition de peines maximales consécutives. Ce qui nous amène à vous parler, comme premier point, que le juge a imposé une peine nettement déraisonnable en omettant de considérer justement les principes de proportionnalité, de totalité et d'harmonisation des peines.

Donc, ce n'est pas un problème d'avoir imposé des peines consécutives, c'est un problème de ne pas avoir tenu compte du principe… de la globalité de la peine.

[20] Devant cette Cour, Lacroix a obtenu la permission d'appeler hors délai, à la suite de la permission de se pourvoir accordée à l'AMF, vu le sérieux de la question relative à l'imposition de peines consécutives.

[21] Finalement, Me Monterosso plaide devant la Cour que la peine est illégale puisque l'article 241 C.p.p. ne permet pas l'imposition de peines consécutives en matière pénale pour des infractions aux lois provinciales. Il précise que le pouvoir d'imposer des peines consécutives n'existe qu'en présence d'un texte clair et explicite. Par ailleurs, il n'explique pas sa décision d'invoquer ce nouveau moyen devant cette Cour autrement que par le fait que la peine est, à son avis, illégale.

[22] Les tribunaux d'appel ont souvent réprouvé la pratique de présenter de nouvelles questions en appel. Cette approche s'inscrit dans la volonté d'éviter l'incertitude des jugements si une partie adopte une position en première instance pour ensuite la contester au stade de l'appel. Dans l'arrêt R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918 , la Cour suprême reprend la règle générale qu'un argument non plaidé en première instance ne devrait pas être soulevé en appel. On y précise toutefois à la page 923 :

En outre, de façon générale, l'interdiction de présenter de nouveaux arguments en appel vient étayer l'intérêt supérieur qu'a la société à ce que les litiges en matière criminelle soient tranchés de façon définitive. S'il n'y avait pas de limites aux questions qui peuvent être soulevées en appel, ce caractère définitif deviendrait illusoire. Le ministère public et la défense seraient plongés dans l'incertitude si les avocats des deux parties, ayant découvert que la stratégie adoptée au procès n'a pas entraîné le verdict souhaité ou escompté, concevaient de nouvelles façons de procéder. Les coûts augmenteraient et le règlement des affaires criminelles pourrait prendre plusieurs années dans les cas les plus courants. De plus, cela aurait pour effet de miner l'attente qu'a la société à ce que les affaires criminelles se règlent équitablement et complètement en première instance, ainsi que le respect qu'elle a pour l'administration de la justice. Les jurés auraient raison de ne pas être certains d'avoir rempli une fonction sociale importante ou d'avoir simplement perdu leur temps. Pour ces raisons, les tribunaux ont toujours observé scrupuleusement la règle interdisant le recours à ces tactiques.

Malgré cette règle générale, il existe des cas exceptionnels où les tribunaux ont connu de certaines questions pour la première fois en appel. Trois scénarios sont possibles en ce qui concerne la présentation de nouvelles questions en appel. Un appel portant sur une nouvelle question peut être permis à la suite d'une modification ultérieure du droit en matière de procédure ou du droit positif, il peut être refusé, malgré des modifications apportées au droit, sauf dans des cas exceptionnels, ou encore, il peut être permis si une loi a été déclarée inconstitutionnelle, c'est-à-dire lorsque la déclaration de culpabilité n'a plus de fondement juridique.

[23] On comprend qu'il est de la discrétion de la Cour d'accepter ou non un nouveau moyen d'appel en tenant compte du préjudice qui pourrait être causé à une partie qui n'a pu répondre par des éléments de preuve au cours du procès. Toujours dans ce même arrêt, le juge Iacobucci, s'exprimant pour les juges majoritaires, écrit à la page 926 :

À mon avis, en raison de la jurisprudence de notre Cour, des coûts sociaux et de la possibilité d'entraver l'administration de la justice, il y a lieu de respecter la règle générale concernant la présentation de nouvelles questions en appel. Les tribunaux devraient permettre que l'on débatte une nouvelle question en appel seulement dans les cas évidents où, après avoir soupesé les intérêts des deux parties, il serait par ailleurs injuste envers l'accusé de ne pas permettre de traiter cette nouvelle question. Les principes dégagés par le juge Lambert dans l'arrêt R. c. Vidulich (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 391 (C.A.), rendent bien la façon de procéder dans ces cas (aux pp. 398 et 399) :

[traduction] Il convient parfaitement de soulever en appel un argument supplémentaire qui n'a pas été soulevé au procès, si cet argument supplémentaire vise un point ou un moyen qui a lui-même été soulevé au procès. Mais il faut obtenir l'autorisation de la cour avant de pouvoir soulever en appel un point ou un moyen tout à fait nouveau et indépendant qui n'a pas été soulevé au procès.

La décision d'accorder ou non l'autorisation est laissée à la discrétion de la cour. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire sera guidé par l'évaluation des intérêts de la justice qui ont des répercussions sur toutes les parties. . .

L'accusé doit présenter ses moyens de défense au procès. S'il décide à ce moment-là, à titre de stratégie ou pour quelque autre raison, de ne pas présenter un moyen de défense qu'il lui est possible d'invoquer, il doit s'en tenir à cette décision. Il ne peut s'attendre, s'il perd après avoir présenté un certain moyen de défense, à pouvoir ensuite soulever un autre moyen de défense en appel et demander la tenue d'un nouveau procès pour produire la preuve relative à ce moyen de défense.

Il en résulte que c'est seulement dans les cas exceptionnels où l'évaluation des intérêts de la justice pour toutes les parties amène à conclure qu'une injustice a été commise qu'on peut vraisemblablement permettre de soulever un nouveau moyen en appel. Un tel moyen est plus susceptible d'être autorisé lorsqu'il soulève une question de droit seulement que lorsqu'il exige la production d'éléments de preuve devant la cour d'appel ou dans le cadre d'un nouveau procès.

[Soulignement dans l'arrêt.]

Comme le juge Lambert l'indique bien, les appels sur des questions de droit seulement sont plus susceptibles d'être autorisés par les tribunaux, car ordinairement ils n'exigent pas de conclusions de fait supplémentaires. Pour cette raison, les appels portant sur des questions non soulevées au procès se limiteront normalement à celles qui se rapportent à une modification du droit régissant l'infraction sous-jacente plutôt qu'à des questions de preuve.

[Nous soulignons.]

[24] Bien souvent, le refus d'examiner une nouvelle question en appel est relié à l'absence d'éléments de preuve au dossier permettant d'en faire une étude approfondie. Dans l'arrêt R. c. Kitaitchik (2002), 166 C.C.C. (3d) 14, le juge Doherty, s'exprimant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, indique :

[36] At the trial, the appellant had the onus of demonstrating any Charter breach on which he would rely. He chose to try to establish only a breach of s. 8. This court will only consider Charter arguments not raised at trial in limited circumstances. First and foremost, this court will not consider new Charter issues unless the trial record admits of a full, fair and reliable assessment of that claim. The record is silent on the factual questions underlying the appellant’s claim that he was not told that he was being detained in relation to the homicide and that he was not told that he had a right to counsel in relation to that matter. The appellant proceeds on the basis that the court should simply assume that these violations occurred because the initial efforts to advise the appellant of the reasons for his arrest and his right to counsel were foiled by the incompetent interpreter. This court cannot make any such assumption. The trial record does not address these issues. For that reason alone, it would be inappropriate for this court to deal with this issue: R. v. Jamieson (1998), 131 C.C.C. (3d) 347 at 349-50 (Ont. C.A.).

[Nous soulignons.]

[25] Plus récemment, la Cour d'appel de l'Ontario rappelait ce principe dans R. c. L.G. (2007), 228 C.C.C. (3d) 194, en refusant de se prononcer sur un moyen nouveau relatif au droit constitutionnel d'être jugé dans un délai raisonnable et concluait au paragraphe 43 :

[43] Appellate courts are generally reluctant to entertain Charter arguments that are raised for the first time on appeal. This reluctance stems from concerns about prejudice to the other side arising from an inability to adduce necessary responding evidence at trial, the lack of a sufficient record to make necessary findings of fact, and society’s overarching interest in the finality of litigation: R. v. Warsing (1998), 130 C.C.C. (3d) 259 at 271-72 (S.C.C.); R. v. Brown (1993), 83 C.C.C. (3d) 129 at 133-34 (S.C.C.); and R. v. R.R. (1994), 91 C.C.C. (3d) 193 at 198-99 (Ont. C.A.).

[26] Dans notre dossier, il s'agit d'une question de droit, soit la légalité de l'imposition de peines consécutives, qui ne nécessite aucunement d'interpréter les faits ou d'analyser quelque preuve présentée en première instance. Ici, l'importance de la présentation d'éléments de preuve n'a pas à être prise en considération, ce facteur n'ayant aucune incidence sur la question en cause. Seule l'interprétation du texte de loi est requise. Il convient en outre de rappeler que l'argument de la légalité des peines consécutives a été soumis par l'AMF au juge du procès, de son propre chef, alors que Lacroix n'était pas représenté par avocat.

[27] Dans un tel contexte, l'AMF ne peut prétendre à l'existence d'un préjudice quelconque. Bien au contraire, ce serait de ne pas permettre à Lacroix de plaider ce moyen qui occasionnerait un préjudice d'autant plus que le juge de la Cour supérieure s'est prononcé sur la question en déclarant que « Le premier juge a correctement analysé les dispositions législatives pertinentes aux paragraphes 18 à 30 de sa décision » et que ceux-ci concernaient justement le pouvoir d'imposer des peines consécutives. Dans ces circonstances et devant le constat du juge de la Cour supérieure, la Cour ne peut retenir l'argument de l'AMF et refuser de s'interroger sur une question de droit aussi importante que la légalité des peines consécutives infligées à Lacroix.

[28] Pour ces raisons, nous estimons opportun d'analyser cette question.

La légalité des peines consécutives
[29] À la suite des condamnations sur les infractions lui reprochant d'avoir contrevenu aux articles 195.2, 197(4) et 197(5) LVM, Lacroix était passible d'une amende et d'un emprisonnement d'au plus cinq ans moins un jour en vertu de l'article 208.1 de cette loi:

208.1. Quiconque procède à un placement en contravention de l'article 11 ou contrevient à l'un des articles 187 à 190, 195.2, 196, 197, 205, 207 et 208 est passible, sans égard à l'amende prévue à la disposition pénale applicable, d'un emprisonnement d'au plus cinq ans moins un jour, malgré les articles 231 et 348 du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1).

[30] Cet article est entré en vigueur le 11 décembre 2002, (L.Q. 2002, c. 45, a. 635). Par conséquent, seul le chef 42 relatif à une infraction commise en 2001 n'était passible que d'une amende.

[31] La LVM prévoit la peine maximale de cinq ans moins un jour sans toutefois mentionner la possibilité de prononcer des termes d'emprisonnement consécutifs. Il faut donc se référer au C.p.p., entré en vigueur le 1er octobre 1990 (L.Q. 1990 c. 4), qui s'applique à l'égard des poursuites visant la sanction pénale des lois provinciales « sauf à l'égard des poursuites intentées devant une instance disciplinaire » (article 2 C.p.p.). Ce code contient certains articles relatifs à la possibilité d'imposer des peines consécutives. Il y a lieu de les reproduire :

Peine consécutive.

241. Sous réserve des articles 350 et 351, lorsque le défendeur est déjà en détention, le juge qui, dans le jugement, lui impose une nouvelle peine d'emprisonnement peut ordonner qu'elle soit purgée de façon consécutive.

[…]

Début de la période.

350. Lorsque le défendeur doit à la fois purger une peine d'emprisonnement et payer une somme d'argent, l'emprisonnement pour défaut de paiement de la somme d'argent commence à courir à l'expiration de la période d'emprisonnement imposée comme peine de l'infraction.

Périodes consécutives.

351. Lorsque le défendeur est déjà en détention, le juge qui lui impose une peine d'emprisonnement pour défaut de paiement des sommes dues doit ordonner qu'elle soit purgée de façon consécutive. De plus, chaque peine d'emprisonnement imposée en vertu du présent code pour défaut de paiement d'une somme due, s'il en est plus d'une, doit être purgée de façon consécutive.

[32] Nous ne sommes pas concernés par les deux derniers articles qui prévoient l'emprisonnement à défaut du paiement de l'amende lequel sera purgé de façon consécutive à la peine d'emprisonnement imposée lorsque le défendeur est condamné à une amende et à une période d'emprisonnement. Ce n'est pas le cas ici. Il ne reste donc qu'à considérer la possibilité que l'article 241 C.p.p. s'applique et à vérifier s'il autorise d'ordonner le cumul des peines comme en l'espèce.

[33] Par ailleurs, avant de faire l'historique législatif de cette disposition, il faut tout d'abord préciser que le pouvoir d'imposer des peines consécutives ne peut reposer ici que sur un texte de loi. En effet, le législateur a prévu à l'article 239 C.p.p. que la peine d'emprisonnement est exécutoire dès qu'elle est imposée, ce qui consacre le principe de la concurrence des peines entre elles. L'article 239 C.p.p. édicte que :

239. Une peine d'emprisonnement est exécutoire dès qu'elle est imposée.

Toutefois, la période de détention ne commence à courir qu'au moment où le défendeur est emprisonné en vertu d'un mandat d'emprisonnement.

[34] Dans l'arrêt Paul c. R., [1982] 1 R.C.S. 621 , le juge Lamer, s'exprimant au nom de la cour, a interprété les dispositions du Code criminel relatives au pouvoir d'imposer des peines consécutives. La poursuite plaidait que, malgré les dispositions spécifiques prévoyant les cas où une peine consécutive pouvait être imposée, il existait un pouvoir général d'imposer des peines consécutives provenant de la common law. Le juge Lamer, après une étude exhaustive de la question et de la jurisprudence anglaise, conclut à l'absence d'un tel pouvoir. Il écrit à la page 665 :

Avant de conclure, je me dois d’ajouter, en ce qui a trait à la prétention de l’intimée voulant qu’il existe un pouvoir général d’imposer des sentences consécutives, qu’à mon avis le législateur a codifié en 1892 les pouvoirs d’imposition de sentences consécutives. En effet, le par. 649(1) exige que l’on trouve le fondement de ce pouvoir dans un texte législatif (fédéral). L’article 645 en est un, tout comme le sont d’autres articles tels les par. 83(2), 137(1).

[Nous soulignons.]

[35] Dans cette affaire, la Cour suprême devait interpréter le paragraphe 645 (4) c) C.cr., depuis devenu avec des modifications l'actuel 718.3(4), qui prévoyait, dans le cas où un accusé était déclaré coupable de plus d'une infraction devant la même cour et où des périodes d'emprisonnement étaient infligées pour les infractions respectives, le pouvoir du juge d'ordonner qu'elles soient purgées de façon consécutive. La disposition énonçait « devant la même cour pendant la même session ». Adoptant la règle d'interprétation suivant laquelle on peut retenir une interprétation réaliste du texte en fonction de l'objet de la loi, la cour a tenu compte du caractère désuet des termes utilisés, lesquels nous renvoyaient à une époque d'organisation judiciaire révolue, pour conclure que des peines imposées par le même juge pouvaient être consécutives.

[36] Cet arrêt confirme toutefois que le pouvoir d'imposer des peines consécutives doit émaner de la loi lorsque, comme dans le Code criminel, le législateur édicte qu'une peine d'emprisonnement commence au moment où elle est imposée (art. 649(1), actuel 719(1) C.cr.), principe qui a également été codifié à l'article 239 C.p.p.

[37] Partant, comme le C.p.p. prévoit comme règle générale que la « peine d'emprisonnement est exécutoire dès qu'elle est imposée », le pouvoir d'imposer des peines consécutives doit être spécifiquement conféré à un tribunal pour qu'il puisse contrer cette règle générale. Vu l'article 239, l'on ne saurait donc prétendre qu'un tribunal possède le pouvoir discrétionnaire d'imposer des peines consécutives si le législateur ne l'autorise pas spécifiquement à le faire. D'ailleurs, lorsque le législateur a voulu intégrer les règles de common law pour les rendre applicables en matière pénale provinciale, il l'a fait de façon spécifique, notamment quant aux moyens de défense ou encore en matière de preuve, par la technique de renvoi, en édictant :

Règles applicables en matière pénale.



60. Les moyens de défense ainsi que les justifications et excuses reconnus en matière pénale ou, compte tenu des adaptations nécessaires, en matière criminelle s'appliquent sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi.





Règles applicables en matière criminelle.



61. Les règles de preuve en matière criminelle, dont la Loi sur la preuve au Canada (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-5), s'appliquent en matière pénale, compte tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi à l'égard des infractions visées par cette loi et de l'article 308 du Code de procédure civile (L.R.Q., chapitre C-25) ainsi que de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (2001, chapitre 32).

[38] Il est vrai que la common law peut servir de droit supplétif en matière pénale provinciale. Toutefois, si le législateur québécois choisit de codifier les principes en matière de cumul des peines, le fondement du pouvoir doit se retrouver dans un texte législatif. Dans la Loi sur les poursuites sommaires, L.R.Q., c. P-15, (LPS), qui est l'ancêtre du C.p.p., on retrouvait la disposition suivante concernant le pouvoir d'imposer des peines consécutives :

61. 1. Lorsqu'un juge de paix, sur dénonciation ou plainte, condamne le prévenu à l'emprisonnement, et que le prévenu est déjà incarcéré pour une autre infraction, le mandat d'emprisonnement pour l'infraction subséquente est sur-le-champ délivré au geôlier ou à l'autre fonctionnaire à qui il est adressé.

2. Le juge de paix qui émet le mandat peut, s'il le croit à propos, ordonner et prescrire que l'emprisonnement pour l'infraction subséquente commencera à l'expiration du terme de l'emprisonnement auquel le défendeur a été en premier lieu condamné.

[Nous soulignons.]

[39] Ces dispositions ont été interprétées par notre Cour dans l'arrêt R. c. Noël, J.E. 84-99 où un défendeur avait été condamné pour plusieurs infractions relatives à la sécurité routière pour lesquelles le juge du procès lui avait imposé une amende et, à défaut du paiement de l'amende, une période d'emprisonnement consécutive à « tout autre » jugement. Le juge de la Cour supérieure avait annulé les peines d'emprisonnement consécutives au motif qu'il ne s'agissait pas d'un cas prévu aux articles 56 et 61 de la LPS. La Cour d'appel a confirmé cette décision en précisant la portée du pouvoir d'imposer des peines consécutives :

15 La loi des poursuites sommaires contient seulement deux articles qui permettent l'imposition de peines consécutives. Premièrement, d'après l'article 56.1, lorsqu'un juge de paix condamne le "prévenu au paiement d'une amende ou d'une indemnité et aussi à être incarcéré comme punition d'une infraction, il peut, s'il le juge à propos, ordonner que l'emprisonnement, à défaut de paiement, commence à l'expiration du terme d'emprisonnement imposé comme punition de l'infraction.". Les mots importants de cet article sont "et aussi". Il est évident que les dispositions de l'article 56.1 ne s'appliquent pas à l'appelant qui fut condamné chaque fois à une amende plus les frais, et à défaut de paiement de l'amende et des frais, une période d'emprisonnement. Deuxièmement, selon l'article 61.1, si le prévenu est déjà incarcéré pour une autre infraction, le juge de paix peut ordonner que l'emprisonnement pour l'infraction commence à l'expiration du terme d'emprisonnement auquel le défendeur a été en premier lieu condamné. Il est aussi évident que cet article ne s'applique pas à l'appelant qui n'était pas incarcéré au moment où les premiers juges ont prononcé lesdites sentences.

16 Il est important de noter que dans tous les autres cas le législateur n'a pas prévu des termes d'emprisonnement consécutifs.

[Nous soulignons.]

[40] En 1982, le législateur a remplacé l'article 61 pour adopter un éventail de mesures visant la perception des amendes auxquelles un défendeur avait été condamné, donnant à la condamnation le statut de jugement exécutoire en matière civile et prévoyant que les règles relatives à l'exécution civile des jugements étaient applicables. On pouvait ainsi percevoir l'amende en saisissant les biens du défendeur. Quant au défendeur pour lequel le percepteur avait des raisons de croire que la saisie ne permettrait pas de recouvrer l'amende, le régime des travaux compensatoires était mis en place, (art. 62 ss., L.Q. 1982, c. 32, a. 9, entrée en vigueur le 23 juillet 1982). Les articles 63.8 et suivants prévoyaient la possibilité de demander l'emprisonnement dans l'hypothèse où les mesures prévues pour le recouvrement de l'amende avaient échoué. Ces dispositions stipulaient que :

63.8 Lorsque des travaux compensatoires n'ont pu être offerts ou que le défendeur refuse ou néglige de faire de tels travaux, le percepteur, si l'amende n'a pas été acquittée, peut présenter une demande verbale et ex parte à un juge de paix pour que soit alors prononcée une peine d'emprisonnement.

63.9 Le juge de paix ordonne l'emprisonnement, s'il estime que les mesures prévues dans la présente section pour le recouvrement de l'amende ne peuvent permettre de recouvrer entièrement l'amende due.

63.10 Malgré toute disposition inconciliable d'une loi générale ou spéciale, le juge de paix fixe, pour chaque condamnation, conformément à l'annexe A, la durée de l'emprisonnement pour défaut de paiement de l'amende alors due.

Toutefois, la durée totale de l'emprisonnement pour une même infraction ne peut jamais excéder deux ans moins un jour.

63.11 Chaque peine d'emprisonnement pour défaut de paiement de l'amende, s'il en est plus d'une, doit être purgée d'une manière consécutive.

[…]

63.14 Un mandat d'emprisonnement délivré alors qu'un défendeur est déjà incarcéré dans un établissement de détention ou dans un pénitencier doit être remis sans délai au directeur de l'établissement où le défendeur est détenu.

Le juge de paix qui délivre le mandat peut ordonner que l'emprisonnement pour la nouvelle condamnation soit purgé de façon consécutive à toute autre période d'emprisonnement. Toutefois, le juge doit ordonner que l'emprisonnement pour défaut de paiement de l'amende soit purgé de façon consécutive s'il lui est démontré que l'emprisonnement actuellement en cours a lui-même été imposé pour défaut de paiement d'une amende.

[Nous soulignons.]

[41] On constate à la lecture de ces dispositions que le législateur était alors concerné par le principe des peines d'emprisonnement consécutives pour défaut de paiement de l'amende de façon à éviter qu'un défendeur accumule plusieurs amendes pour ne purger qu'une seule peine d'emprisonnement pour plusieurs infractions. Quant à l'article 63.14, il prévoyait la possibilité d'imposer une peine consécutive à une personne déjà incarcérée.

[42] Force est de constater à la lecture de ces dispositions de la LPS que le pouvoir d'imposer une peine consécutive se rattachait à la situation d'une personne déjà emprisonnée ou à une peine d'emprisonnement pour défaut de paiement de l'amende. Lors de l'adoption du C.p.p., le législateur a repris une formulation semblable au tout début de la disposition qui est reproduite plus haut en stipulant « lorsque le défendeur est déjà en détention » (art. 241 ). Le C.p.p. a été sanctionné en 1987 pour ne devenir en vigueur que le 1er octobre 1990. Il s'agissait d'une réforme substantielle, laquelle introduisait le constat d'infraction pour remplacer en quelque sorte l'ancienne sommation à comparaître. Cela nécessitait une réorganisation administrative importante comme l'explique l'auteur Gilles Létourneau dans son article, « Le Code de procédure pénale du Québec : éléments de problématique et de solution », (1988) 19 R.D.G. 151.

[43] Le législateur a repris à l'article 241 C.p.p. la même distinction qui existait à l'article 63.14 LPS, suivant laquelle l'imposition de peines consécutives n'est possible que si le défendeur est déjà incarcéré pour une autre affaire. On peut présumer qu'il connaissait les dispositions pertinentes du Code criminel, lesquelles autorisaient le cumul des peines d'emprisonnement à la suite de condamnations pour plusieurs chefs d'infraction. On peut également présumer que le législateur connaissait la jurisprudence relative au pouvoir d'ordonner des peines consécutives.

[44] D'ailleurs, dans l'arrêt Paul, précité, la Cour suprême a interprété dans ce sens le paragraphe 645 (4) a) C.cr. dont le texte prévoyait que :

645. […]

(4) Si un accusé

a) est déclaré coupable alors qu’il est sous le coup d’une sentence pour infraction et si une période d’emprisonnement, soit à défaut du paiement d’une amende, soit autrement, est infligée;

[…]

la cour qui condamne l’accusé peut ordonner que les périodes d’emprisonnement soient purgées l’une après l’autre.

[Soulignement au texte original.]

Pour conclure à la page 663 :

En exigeant qu’une sentence ait été déjà imposée au moment de la déclaration de culpabilité subséquente, l’al. 645(4)a) s’écarte, comme je l’ai dit, de façon claire et non équivoque, de la common law existant en 1886 et toujours en vigueur et, bien sûr, la volonté du législateur ne peut, et ne doit pas, être contrecarrée par une interprétation exceptionnelle. Je ne suis personnellement pas convaincu que les considérations de principe qui, selon moi, ont amené cette modification de la common law justifient d’introduire dans le processus d’imposition des peines le caractère artificiel que l’al. 645(4)a) apporte nécessairement. Mais il appartient au législateur d’en décider et d’apporter les correctifs voulus, et non à cette Cour. Si nous le faisions, nous irions, comme le disait le baron Parke dans Becke v. Smith, au-delà de ce qui est nécessaire pour supprimer l’«absurdité» et usurperions ce faisant les privilèges du Parlement.

[Nous soulignons.]

[45] Ces propos sont transposables en l'espèce. C'est d'ailleurs dans ce sens que la Cour du Québec a interprété l'article 241 C.p.p. dans la décision Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Léveillé, [2007] J.Q. no 14587 en condamnant le défendeur à une peine de 18 mois d'incarcération sur chaque chef à être purgés de façon concurrente entre eux, « mais consécutive à toute autre sentence qu'il purge actuellement » alors que le défendeur purgeait une peine de 3 ans d'emprisonnement pour une autre affaire.

[46] En l'occurrence, au moment du prononcé des peines, Lacroix n'était pas « déjà en détention » pour une autre affaire. Partant, les peines imposées ne pouvaient pas être consécutives.

[47] Par ailleurs, l'interprétation suivant laquelle la condamnation de purger une peine de 5 ans d'emprisonnement moins 1 jour sur les chefs 1 à 27 implique que l'intimé était alors en détention et pouvait recevoir une peine consécutive pour les autres chefs, ne peut être retenue. Cet aspect est traité dans les notes écrites de l'AMF remises au juge du procès et qui renvoient aux propos du juge Cockburn de la Cour du Banc de la Reine d'Angleterre dans R. c. Cutbush [1867], L.R. 2 Q.B. 379, à la page 382 :

[Traduction] […] et qu’un emprisonnement peut être réputé commencer et un homme réputé emprisonné à partir du moment où il est déclaré coupable de la première infraction et, en conséquence, condamné à l’emprisonnement et, également, comme le droit et la justice exigent, lorsqu’un homme s’est rendu coupable d’infractions distinctes, et qu’en regard de chacune d’elles une période distincte d’emprisonnement est une forme adéquate de peine, qu’il n’échappe pas à la peine méritée en raison de l’infraction additionnelle simplement parce qu’il est déjà condamné à être emprisonné pour une autre infraction, et que ce serait également contraire à l’ordre public et inopportun qu’il puisse ainsi s’en tirer avec une seule peine; […]

[48] Ce même arrêt avait été cité dans le pourvoi de l'affaire Paul, précité, pour étayer le raisonnement de la poursuite que lors du prononcé de la première peine, l'accusé devenait en détention et que, dès lors, des peines consécutives pouvaient être imposées pour les autres. La Cour suprême n'a pas retenu cette interprétation puisqu'elle a conclu qu'il appartenait au législateur de préciser les cas où il pouvait y avoir imposition de peines consécutives.

[49] Cette interprétation se heurte d'ailleurs au texte de l'article 241 C.p.p., puisque le législateur avait clairement à l'esprit les cas où le défendeur était déjà incarcéré pour une autre affaire en précisant dans la disposition « lorsque le défendeur est déjà en détention ». Ici, l'on ne saurait appliquer une interprétation plus large qui irait à l'encontre de l'historique législatif sans égard aux objectifs du texte pour élargir la portée de la disposition. Dans certains cas, l'historique législatif d'une disposition pourra permettre une interprétation large et libérale : R. c. Ulybel Entreprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867 , p. 885. En l'espèce, c'est plutôt l'inverse. Par ailleurs, comme il s'agit d'une disposition pénale, qui vise les modalités d'imposition d'une peine, une interprétation plus stricte s'impose d'autant que, en matière criminelle, le Code criminel prévoit de façon spécifique la situation où un accusé est déclaré coupable de plus d'une infraction (paragr. 718.3 (4)c)). Il serait irréconciliable d'adopter une interprétation restrictive en matière criminelle pour opter pour une approche libérale dans le cas de procédures pénales prises en vertu des lois provinciales.

[50] Par ailleurs, si l'on tient compte du contexte de la disposition, qui doit s'interpréter en harmonie avec l'objectif général de la loi, il convient de préciser qu'au moment de l'adoption de l'article 241 C.p.p., le législateur n'avait pas à l'esprit que des peines d'emprisonnement consécutives soient imposées à la suite de condamnations pour plusieurs chefs d'infraction puisque les lois provinciales sanctionnaient les contraventions principalement par des amendes. Toutes les modifications relatives à la perception de ces amendes en 1982 (L.Q. c. 32, a. 9), comme s'il s'agissait d'un jugement en matière civile, démontrent l'objectif clair de la loi. En revanche, le législateur voulait que les peines d'emprisonnement infligées en vertu des lois provinciales soient consécutives à celles que purgeait déjà le défendeur, si ce dernier était détenu au moment de l'imposition de la peine : Durand c. Forget, (1982) 24 C.R. 3e éd. 119 (C.S.Q.).

[51] Force est de constater que l'aspect des peines consécutives pour des condamnations relatives à plusieurs chefs d'infraction n'a pas été codifié comme l'a fait le législateur fédéral à l'alinéa 718.3(4) c) C.cr., sans doute parce que le C.p.p. n'a pas pour fonction première de sanctionner par l'emprisonnement le non-respect des lois provinciales. En effet, l'article 231 C.p.p. stipule que :

Emprisonnement.



231. Sauf disposition contraire du présent code et sauf le cas d'outrage au tribunal, aucune peine d'emprisonnement ne peut être prescrite pour sanctionner les infractions aux lois du Québec.



Disposition incompatible.



Toute disposition incompatible avec le présent article est sans effet, à moins qu'elle n'énonce être applicable malgré le présent article.

[52] Cela révèle l'esprit et la philosophie du C.p.p. dans son ensemble.

[53] Il est vrai que le législateur a ensuite voulu que les violations à ses lois réglementaires soient sanctionnées par des peines d'emprisonnement plus importantes. Pour ce faire, notamment à l'art. 208.1 LMV, il s'est servi de l'exception que l'on retrouve à l'alinéa 2 de l'art. 231. Il n'a toutefois pas codifié les principes relatifs au cumul des peines lorsqu'il y a plusieurs condamnations. Cette omission ne saurait être comblée par les tribunaux en interprétant la disposition en cause d'une façon libérale qui va au-delà du but visé et du texte clair de la disposition. Lorsqu'un texte est clair, non équivoque et sans ambiguïté, il n'est pas opportun d'y déroger en adoptant une interprétation qui ajoute au texte. Il faut également rappeler les propos des auteurs Létourneau et Robert, Code de procédure pénale du Québec annoté, 2007, 7e éd., Wilson et Lafleur, qui sont d'avis que l'article 239 C.p.p. a éliminé la possibilité d'imposer immédiatement une peine, mais d'en retarder ensuite l'exécution, ce qui aurait été une façon d'ordonner que les peines soient purgées consécutivement.

[54] L'on ne peut donc se rallier à l'interprétation retenue par le juge du procès et par le juge de la Cour supérieure. En conséquence, nous sommes d'avis d'accueillir le pourvoi de Lacroix à la seule fin de rendre les peines concurrentes entre elles. Vu cette conclusion, il devient inutile de traiter des moyens de l'AMF relatifs à la limite du pouvoir d'intervention d'un juge d'une Cour supérieure en matière d'appel sur la peine.

[55] Avant de clore, il n'est pas inutile de souligner que la décision du législateur provincial de limiter l'emprisonnement à une peine de cinq ans moins un jour n'est pas anodine. En effet, le paragraphe 11 f) de la Charte canadienne des droits et libertés accorde à tout inculpé le droit à un procès avec jury lorsque la peine maximale est de cinq ans d'emprisonnement et plus. Par conséquent, confronté à une peine limitée à cinq ans moins un jour, le défendeur ne peut exiger la tenue d'un tel procès. L'on ne peut faire totalement abstraction de ce choix du législateur.

[56] En terminant, la peine imposée par le juge du procès peut, à première vue du moins, ne pas sembler déraisonnable si l'on tient compte de l'ampleur des conséquences reliées aux infractions commises pour l'ensemble des investisseurs. Toutefois, nous n'avons pas à trancher cette question puisque la peine ne peut prendre assise que sur les dispositions prévues au C.p.p. qui n'autorisent pas, en l'espèce, l'imposition de peines consécutives. Il n'est pas ici question du caractère raisonnable de la peine, mais bien de l'interprétation de la règle de droit qui doit primer et que l'on ne saurait occulter pour la seule raison qu'il s'agit d'un scandale financier d'envergure.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[57] REJETTE le pourvoi de l'AMF;

[58] ACCUEILLE le pourvoi de Lacroix;

[59] INFIRME le jugement prononcé par la Cour supérieure le 8 juillet 2008;

[60] ORDONNE que les peines d'emprisonnement imposées pour les chefs 1 à 41 et 43 à 51 soient purgées de manière concurrente, le tout sans frais devant notre Cour.







BENOÎT MORIN, J.C.A.








FRANÇOIS DOYON, J.C.A.








LISE CÔTÉ, J.C.A.



Me Éric Downs

Me Tristan Desjardins

DOWNS LEPAGE

Pour L'Autorité des marchés financiers



Me Clemente Monterosso

Me Marie-Hélène Giroux

MONTEROSSO GIROUX

Pour Vincent Lacroix



Date d’audience :
Le 27 février 2009