Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Québec (Procureure générale) c. Leblanc

no. de référence : 200-09-006768-094

Québec (Procureure générale) c. Leblanc
2009 QCCA 1552

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE


QUÉBEC

N° :
200-09-006768-094

dans l’affaire de la faillite de Dany Leblanc

(200-11-017903-090)



DATE :
17 août 2009





SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L'HONORABLE
PAUL VÉZINA, J.C.A.





LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

REQUÉRANTE – intimée

c.



DANY LEBLANC

INTIMÉ – requérant

et

SAMSON BÉLAIR/DELOITTE & TOUCHE INC.

MISE EN CAUSE – Syndic à l’actif de Dany Leblanc, failli





JUGEMENT







[1] La Requérante demande la permission d'interjeter appel hors délai.

[2] Son retard n’est que d’une journée et l'Intimé n’en fait pas une histoire, mais il plaide, avec raison, que la Cour doit en outre examiner le sérieux des motifs avant d'accorder la permission.

[3] Étudiant, l’Intimé a bénéficié de prêts et aujourd’hui, dix ans après la fin de ses études, il doit encore plus de 50 000 $ à la Requérante, sa seule créancière.

[4] Une dette d’études est au départ une dette non libérable, mais elle le devient dix ans après la fin des études[1] si l’étudiant « a agi de bonne foi relativement à ses obligations »[2].

[5] Le registraire de faillite a refusé la libération de l’Intimé en retenant l’absence de bonne foi de sa part. En appel, le juge de la Cour supérieure (le Juge) a cassé cette décision et l’a libéré moyennant le paiement de 8 000 $, sans intérêt, à raison de 200 $ par mois.

[6] Le Juge s’est bien guidé en droit sur la question de la bonne foi dans un contexte de libération :

[23] Au sujet du refus d'une libération, le professeur Deslauriers* écrit :

Le refus de libération est plutôt rare. Il suppose que le failli a causé sa faillite par une insouciance coupable face à ses affaires, et a eu par la suite un comportement frauduleux. Ce sera le cas, par exemple, du failli qui, ayant fait cinq faillites, refuse de payer ses impôts et démontre de façon chronique son incapacité à administrer ses affaires de façon responsable; ce failli prend à la légère ses obligations, ses créanciers et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et n'est pas réhabilitable. À titre d'exemple, dans l'arrêt In re Roy, la Cour a refusé de libérer un failli en raison de son irresponsabilité: il a donné des réponses contradictoires lors des interrogatoires et accusé, sans le prouver, les créanciers qui réclamaient leur dû d'être des usuriers. Il en est ainsi aussi d'un failli qui a provoqué sa faillite en détournant ses actifs et en refusant de révéler l'endroit où ils se trouvaient. Ce son encore des infractions.

Le refus de libération est définitif; malgré sa faillite, le débiteur devra payer tous ses créanciers. Selon le juge Yves Bernier, le refus de libération est une décision finale, qui n'est pas susceptible de révision, le juge ayant exercé une discrétion que lui conférait la loi. Le failli mécontent d'une telle décision devra se pourvoir en appel. Observons toutefois que, plutôt que de se compromettre en refusant de façon absolue une libération, le tribunal préférera la suspendre, quitte à se prononcer ultérieurement sur présentation de faits nouveaux ou l'écoulement d'une période donnée.

[24] Étant une décision définitive, un refus de libération a des conséquences graves. Dans le présent cas, Dany Leblanc ne serait pas libéré avant d'avoir remboursé au ministère de l'Éducation la totalité de la somme qu'il lui doit.

[25] Il est maintenant bien établi, notamment par la Cour suprême du Canada, qu'une libération ne doit être refusée que dans des cas extrêmes, où la conduite du débiteur a été particulièrement répréhensible**.

____________

* Jacques DESLAURIERS, La faillite et l'insolvabilité au Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 500 et 501.

** Industrial Acceptance corporation ltd c. Lalonde, [1952] 2 S.C.R., 109; Richard c. Gingras, EYB1992-63952 (C.A.)

[7] Puis le juge analyse les motifs du registraire et conclut à une erreur manifeste et déterminante :

[33] Le tribunal est d'avis que le registraire, cela dit avec respect, a commis une erreur manifeste et déterminante et nous sommes ici en présence d'un cas où le tribunal doit intervenir pour corriger les conséquences du jugement.

[34] D'abord, le syndic à la faillite de Dany Leblanc a confirmé devant le registraire que Dany Leblanc avait respecté ses engagements et qu'il avait bien collaboré avec lui et qu'en conséquence, il ne s'opposait pas à sa libération.

[35] De plus, le reproche de la Procureure générale que Dany Leblanc a fait cession de ses biens pour être absout de ses dettes ne tient pas. Pour quelle autre raison un débiteur fait-il cession de ses biens? La question à vérifier est s'il le fait de manière frauduleuse ou reprochable. Ce n'est pas le cas ici.

[36] Quant à la bonne foi et l'engagement moral auquel réfère le registraire au paragraphe 16 de sa décision, le tribunal est d'avis que cet engagement moral, s'il existe, n'est pas susceptible d'exécution et ne peut certainement pas justifier un refus de libérer un débiteur failli. Outre cette référence à la bonne foi et à l'engagement moral, le registraire ne dit pas que Dany Leblanc est de mauvaise foi.

[8] Un refus de libération équivaut en quelque sorte à la peine capitale pour un failli ou du moins à une condamnation à perpétuité, il ne peut sanctionner qu’une conduite des plus répréhensibles.

[9] Il n’y a pas d’erreur d’appréciation des faits de la part du Juge lorsqu’il retient que :

[39] Il faut aussi prendre en compte que nous sommes ici en présence d'un jeune homme qui, sans doute, tente de s'établir dans la vie. Ses moyens financiers sont limités et il fait peu de doute que si sa libération est refusée, il ne s'en remettra pas. La possibilité qu'il se stabilise financièrement au point de faire face et de payer cette énorme dette apparaît pratiquement inexistante.

[…]

[41] La dette de Dany Leblanc est reliée à des études qu'il a malheureusement abandonnées. Malgré cela, il n'a pas cessé de travailler depuis, évitant de vivre aux crochets de l'État. Il est donc devenu un élément productif de la société. Maintenir, sur ses épaules, la dette publique de 50 000 $ l'assommera.

[10] Le Juge a aussi pris en considération le comportement de l’Intimé vis-à-vis le ministère de l’Éducation :

[37] Reste la conduite de Dany Leblanc à l'égard des appels incessants du ministère de l'Éducation. Il les a ignorés, n'y répondant pas, jusqu'à ce que son salaire soit saisi.

[38] Il va de soi que le tribunal n'excuse pas et surtout n'encourage pas cette conduite négligente ou de laisser-faire. Mais le tribunal estime que le registraire de faillite a commis une erreur révisable en voyant dans cette attitude, certes déplorable, un cas extrême où la conduite de Dany Leblanc a été particulièrement répréhensible.

The discharge, however, is not a matter of right and the provisions of ss. 142 and 143 plainly indicate that in certain cases the debtor should suffer a period of probation. The penalty involved in the absolute refusal of discharge ought tobe imposed only in cases where the conduct of the debtor has been particularly reprehensible, or in what have been described as extreme cases. The conduct of the debtor in this case, while not sufficient, with great respect, to justify the absolute refusal, does justify his discharge only subject to the imposition of terms.*

_______

* Industrial Acceptance Corp. v. Lalonde, [1952] 2 S.C.R., 109.

[11] C'est ici que la Requérante situe l'erreur fondamentale du jugement. Elle soutient que le failli doit établir qu' « il a été de bonne foi envers son créancier public relativement au remboursement de sa dette » et ajoute que « la bonne foi d'un débiteur d'une dette d'études envers son créancier doit être évaluée suivant des critères spécifiques en raison de la particularité de la créance et du régime juridique dans lequel elle s'inscrit ».

[12] Il appert du jugement que le Juge a dûment pris en compte la nature de la dette, le « caractère public » du créancier et le comportement fautif de l'ex-étudiant.

[13] Si l’article 178 (1.1) L.F.I. exige la bonne foi, il ne prévoit pas de « critères spécifiques » pour l’évaluer selon l’expression de la Requérante qui d’ailleurs ne les précise pas dans sa requête.

[14] À mon avis, la question soulevée par la Requérante ne se pose pas, à savoir que « le débiteur qui présente une requête en libération d’une dette d’études en vertu de l’article 172 de la L.F.I. doit être considéré de la même façon que celui qui demande la libération de sa dette d’études en vertu de l’article 178 (1.1) de la L.F.I. ».

[15] La demande selon 178 (1.1) n'est pas une demande de libération mais un préalable où le tribunal est appelé à déclarer la dette libérable, en ordonnant « qu’elle soit soustraite à l'application du paragraphe (1) ». Si l'étape est franchie, alors ce sont les règles ordinaires, dont celles de l'article 172, qui gouvernent le débat sur la demande de libération.

[16] De toute manière la question ici en est une de fait, celle de la bonne foi de l’Intimé, et son corollaire le refus de libération pour cause de mauvaise foi. L’appréciation du Juge sur ce point ne saurait être qualifiée d’erreur manifeste.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[17] REJETTE la requête permission d'appeler, avec dépens;







PAUL VÉZINA, J.C.A.



Me Karine Millaire

Chamberland, Gagnon

Pour la requérante



Me Maurice Dussault

Dussault, Larochelle, Gervais, Thivierge

Pour l’intimé



Date d’audience :
6 août 2009







--------------------------------------------------------------------------------

[1] Loi sur la faillite et l’insolvabilité : Art. 178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :

a) […]

[…]

g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou partiel, en application de ces lois, ou dans les dix ans suivant cette date; […]

( 1.1) Lorsqu'un failli qui a une dette visée à l’alinéa (1)g) n’est plus étudiant à temps plein ou à temps partiel depuis au moins dix ans au titre de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que le paragraphe (1) ne s'applique pas à la dette s'il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations et qu'il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu'il ne pourra acquitter cette dette.

[2] Aujourd’hui, la période critique a été réduite à cinq ans.