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Promutuel Portneuf-Champlain c. Promutuel Lévisienne-Orléans

no. de référence : 200-09-006114-075

Promutuel Portneuf-Champlain, société mutuelle d'assurances générales c. Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d'assurances générales
2009 QCCA 1554

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE


QUÉBEC

N° :
200-09-006114-075

(200-17-005971-056)



DATE :
17 août 2009





CORAM :
LES HONORABLES
FRANCE THIBAULT, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

LISE CÔTÉ, J.C.A.





PROMUTUEL PORTNEUF-CHAMPLAIN, SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE GÉNÉRALE

APPELANTE – demanderesse en garantie

c.



PROMUTUEL LÉVISIENNE-ORLÉANS, SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE GÉNÉRALE

INTIMÉE – défenderesse en garantie





ARRÊT







[1] LA COUR; -Statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 4 septembre 2007 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Étienne Parent), qui a rejeté l'action en garantie de l'appelante avec dépens;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs de la juge Côté, auxquels souscrivent les juges Thibault et Giroux :

[4] ACCUEILLE l'appel, avec dépens;

[5] CONDAMNE l'intimée à payer la somme de 75 000 $ à l'appelante avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle à compter du 18 avril 2007, avec dépens.







FRANCE THIBAULT, J.C.A.








LORNE GIROUX, J.C.A.








LISE CÔTÉ, J.C.A.



Me Pierre Gourdeau

CARTER GOURDEAU

Pour l'appelante



Me Louis-M. Cossette

GRAVEL BERNIER

Pour l'intimée



Date d’audience :
Le 27 avril 2009









MOTIFS DE LA JUGE CÔTÉ






[6] Ce pourvoi vise à déterminer la validité de l'action en garantie intentée par l'appelante contre un autre assureur en responsabilité. Quel est le fondement juridique du recours d'un assureur qui, ayant indemnisé son assuré, réclame à l'autre assureur de remplir, pour sa part, son obligation? Le différend oppose uniquement les deux assureurs.

[7] Se pose également la question de déterminer si le défendeur Lemieux était assuré par l'intimée.

Contexte
[8] Le 15 mai 2003, Philippe Lemieux, âgé de 12 ans, résidait avec sa mère Christine Bleau chez son grand-père maternel à la suite de la séparation de ses parents. Il a frappé une dame alors qu'il circulait à bicyclette. Celle-ci marchait sur le trottoir et venait de s'engager dans le stationnement d'une propriété privée. Elle a subi des blessures et réclamé des dommages totalisant 354 014,22 $. L'action a été intentée contre l'enfant et signifiée à la mère le 28 juillet 2005. Par la suite, le 27 janvier 2006, l'appelante a été ajoutée comme défenderesse en sa qualité d'assureur en responsabilité pour l'enfant, en vertu d'un contrat d'assurance délivré en faveur du grand-père, Jacques Mercier.

[9] Le 8 février 2006, l'appelante déposait une action en garantie contre l'intimée au motif que Philippe Lemieux était également couvert par une assurance responsabilité en vertu d'un contrat d'assurance délivré par cette dernière en faveur du père de l'enfant, Pierre Lemieux, et qu'à ce titre, elle était tenue de défendre et d'indemniser le défendeur Philippe Lemieux, ce qu'elle refuse de faire.

[10] L'intimée soutient que l'enfant Philippe était sous la garde et responsabilité exclusive de sa mère au moment de l'accident et qu'aucune responsabilité ne peut être imputée au père. Elle conteste la demande et nie couverture au motif que l'enfant ne peut avoir deux résidences et qu'il ne peut bénéficier de la couverture assurance responsabilité civile de son père. Elle écrit dans sa défense en garantie : « Si on peut admettre que l'enfant peut avoir deux résidences dans le cas de parents séparés, il ne peut cependant avoir qu'une résidence habituelle correspondant à son domicile; or, il ne peut alors bénéficier que de la couverture assurance responsabilité civile rattachée à ce domicile. »

[11] Il importe de préciser que la preuve établit que les parents de l'enfant ont convenu des droits de garde au moment de leur séparation intervenue en avril 2001. Le père a conservé la résidence familiale que les parties habitaient depuis 1985 et la mère est retournée vivre chez ses parents après un court séjour dans un appartement. Philippe demeure avec elle pendant la semaine et retourne chez son père une fin de semaine sur deux. Durant l'été et lors de certains congés fériés, la garde est partagée également.

[12] Le 19 mars 2007, un règlement est intervenu dans l'action principale lequel prévoyait le paiement par l'appelante à la victime de dommages totalisant 150 000 $ en capital, intérêts et frais. Le paiement a été effectué le 2 avril 2007.

[13] L'appelante a ensuite obtenu une quittance de la mère de l'enfant, laquelle prévoit la subrogation conventionnelle suivante :

De plus, en ma qualité de tuteur à mon fils mineur, je subroge expressément Promutuel Portneuf-Champlain dans tous les droits, recours, actions reliés à l'événement faisant l'objet du litige, notamment, mais sans limiter la généralité de ce qui précède, tout recours en garantie afin de faire exécuter l'obligation d'indemniser découlant de la police d'assurance portant le numéro [...] émise par Promutuel Lévisienne-Orléans;

[Italique dans l'original.]

[14] Elle a également obtenu une quittance de la victime à la suite du règlement, laquelle prévoit :

En considération de ce paiement, la demanderesse et ses procureurs donnent quittance complète, générale et finale aux défendeurs pour toute réclamation quelconque, de quelque nature que ce soit, qu'ils pourraient avoir à la suite des évènements décrits dans la requête introductive d'instance, voulant et entendant que cette quittance constitue une transaction au sens du Code civil du Québec.

La demanderesse et ses procureurs par la présente subrogent expressément Promutuel Portneuf-Champlain dans tous les droits et recours contre Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d'assurance générale en remboursement des sommes dues par cette dernière à titre d'assureur du défendeur Philippe Lemieux.

[15] Peu après, l'appelante a amendé son action en garantie pour réclamer à l'intimée le paiement de la moitié de l'indemnité payée. Les conclusions de cette procédure sont les suivantes :

ACCUEILLIR la présente requête introductive d'instance en garantie;

CONDAMNER la défenderesse en garantie (…) à verser à la demanderesse en garantie, la somme de 75 000 $, le tout majoré des intérêts et de l'indemnité additionnelle à compter de la date des présentes;

RÉSERVER à la demanderesse en garantie le droit de réclamer tous les frais extrajudiciaires engagés afin de défendre son assuré;

LE TOUT avec dépens.

[16] Lors de l'instruction de l'action en garantie, les parties ont convenu des admissions suivantes qui s'ajoutaient à la preuve testimoniale relative à l'exercice des droits de garde entre la mère et le père au moment de l'accident :

[1] En date du 15 mai 2003, la demanderesse, vers 13 h 30, circulait sur le trottoir de la rue Provencher à Cap-Rouge;

[2] Alors qu'elle s'engageait dans le stationnement de la propriété privée sise au [...], elle fut percutée à l'arrière, par le défendeur Philippe Lemieux qui circulait à vélo;

[3] À la suite de cet accident, la demanderesse a subi des dommages;

[4] La responsabilité de Philippe Lemieux est engagée en l'espèce;

[5] La demanderesse a été indemnisée pour un montant de 150 000 $ en capital, intérêts et frais;

[6] La valeur des dommages n'est pas contestée;

[7] Le montant de 150 000 $ a été assumé par la co-défenderesse Promutuel Portneuf-Champlain (chèques datés du 2 avril 2007);

[8] Par la police portant le numéro R3895891701, Promutuel Portneuf-Champlain assurait la responsabilité de Philippe Lemieux au moment pertinent au litige;

[9] Cette police et son mot-à-mot sont admis;

[10] Considérant la responsabilité de Philippe Lemieux, elle a versé à la demanderesse un montant de 150 000 $ en capital, intérêts et frais;

[11] La responsabilité de, Christine Bleau, mère de Philippe Lemieux n'est pas engagée en l'espèce, celle-ci n'ayant commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l'éducation de son fils (sans préjudice à la question de couverture d'assurance);

[12] Par la police portant le numéro [...], Promutuel Lévisienne-Orléans assurait les biens et la responsabilité civile de Pierre Lemieux domicilié au [...] à St-Romuald;

[13] Cette police et son mot-à-mot sont admis;

[14] Pierre Lemieux, décédé en 2004, était le père de Philippe Lemieux;

[15] La responsabilité de Pierre Lemieux n'est pas engagée en l'espèce, celui-ci n'ayant commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l'éducation de son fils (sans préjudice à la question de couverture d'assurance);

[16] La demanderesse en garantie a mandaté un expert en sinistre afin de mener une enquête sur la réclamation de la demanderesse au mois de juin 2003 et a alors engagé ses premiers frais d'enquête;

[17] Le tribunal doit statuer sur la validité du recours en garantie de Promutuel Portneuf-Champlain (lien de droit et prescription);

[18] Dans l'éventualité où le tribunal concluait à la validité du recours en garantie, le tribunal devra alors déterminer si la responsabilité civile de Philippe Lemieux était également assurée par la défenderesse en garantie Promutuel Lévisienne-Orléans, en date du 15 mai 2003;

[19] Dans l'éventualité où le tribunal concluait à la validité du recours en garantie et que Philippe Lemieux est assuré par la police portant le numéro R3207570302-015, la défenderesse en garantie Promutuel Lévisienne-Orléans doit être condamnée à rembourser à Promutuel Portneuf-Champlain la moitié de la somme versée à la demanderesse, à savoir la somme de 75 000 $ (majorée des intérêts à compter du 19 avril 2007) et des dépens sur ce montant;

[17] Le juge du procès a rejeté l'action en garantie de l'appelante au motif qu'elle était irrecevable. Partant, il n'a pas jugé nécessaire de décider la question relative au statut d'assuré de l'enfant à l'égard de la police délivrée par l'intimée.

[18] Selon l'appelante, l'intimée doit l'indemniser pour la moitié de la somme payée puisque Philippe est également couvert à titre d'assuré dans le contrat d'assurance responsabilité de son père. Elle plaide que l'intimée est tenue de rembourser une partie de l'indemnité versée en vertu de la solidarité imparfaite et qu'à la suite du paiement qu'elle a effectué, il y a subrogation dans les droits de son assuré contre son débiteur. Selon elle, elle exerce un recours subrogatoire par le véhicule procédural de l'action en garantie.

[19] Selon l'intimée, en ne reproduisant pas la règle énoncée à l'article 2496 C.c.Q. qui prévoit le partage entre les assureurs en cas de pluralités d'assurances en matière d'assurance de biens, le législateur a voulu rendre le principe inapplicable en matière d'assurance responsabilité. Comme il n'existe pas de lien de droit entre les deux assureurs, le recours en garantie n'est donc pas possible.

[20] L'intimée plaide également qu'il n'y a pas de solidarité imparfaite entre les deux assureurs puisqu'ils ne sont pas tenus au plein montant vu la clause relative à la pluralité d'assurances que l'on retrouve dans les deux polices. Ainsi, l'appelante n'était pas tenue d'indemniser au-delà de sa garantie prévue au contrat. Quant à la subrogation conventionnelle, elle soutient qu'elle ne peut accorder plus de droits que la subrogation légale. Or, selon elle, il n'y a pas ici de subrogation légale puisque l'article 2474 C.c.Q. empêche l'assureur d'être subrogé dans les droits de son assuré contre les personnes qui font partie de la maison de l'assuré. Enfin, l'intimée nie toujours couverture en ce que l'enfant Philippe n'était pas assuré aux termes de son contrat d'assurance puisqu'il ne résidait pas chez son père.

[21] Comme l'intimée plaide que l'appelante a payé sans être tenue pour le tout, il est opportun de reproduire la clause de pluralités d'assurances de responsabilité qui est identique dans les deux polices :

22. PLURALITÉ D'ASSURANCES

(1) ASSURANCE DE BIENS (Article 2496)

[…]

(2) ASSURANCE DE RESPONSABILITÉ

En matière de responsabilité civile, s'il y a plusieurs assurances et à moins de stipulation voulant qu'il n'intervienne qu'à titre complémentaire ou qu'en l'absence d'autres assurances, le présent contrat intervient en première ligne et le montant de sa garantie n'est pas diminué même si les autres assurances ne sont que complémentaires ou ne sont en vigueur qu'à condition qu'il n'y ait pas d'autres assurances.

D'autre part, s'il y a plusieurs assurances valables et recouvrables intervenant dans le même ordre (que ce soit en première ligne, à titre complémentaire ou conditionnellement à l'absence d'autres assurances) :

a) et prévoyant une participation en parts égales, il y a alors répartition des dommages en parts égales, d'abord jusqu'à épuisement du moins élevé des montants de garantie, puis jusqu'à épuisement du moins élevé des montants de garantie restés disponibles, ce mécanisme se répétant jusqu'à parfait paiement des dommages ou épuisement de tous les montants de garantie;

b) et ne prévoyant pas de participation en parts égales, le présent contrat n'intervient alors que dans le rapport de son montant de garantie au total des assurances valables et recouvrables.

Jugement de première instance
[22] Le juge de première instance donne raison à l'intimée et rejette l'action en garantie. S'appuyant principalement sur deux arrêts de notre Cour dans Eclipse Bescom Ltd. c. Soudures d'Auteuil inc., [2002] R.J.Q. 855 et Compagnie d'assurance Temple c. Compagnie d'assurance ING, [2007] J.Q. no 325, il conclut quant à la validité du recours de l'appelante que :

[15] L'appel en garantie « présuppose l'existence d'un lien de droit entre le demandeur et le défendeur en garantie, entre le garanti et le garant ».

[16] De plus, l'appel en garantie se distingue de la mise en cause forcée, bien que ces deux recours tirent leur origine de l'article 216 C.p.c.

[17] Dans l'arrêt Éclipse Bescom Ltd. c. Soudures d'Auteuil inc., la Cour d'appel souligne que la distinction entre les deux recours ne constitue pas une simple question procédurale.

[18] Dans cette affaire, suite à l'incendie d'un immeuble, l'assureur du propriétaire subrogé dans les droits de ce dernier poursuivait un entrepreneur qui avait effectué des travaux dans l’immeuble.

[19] L'entrepreneur appela en garantie un autre entrepreneur qui avait effectué d'autres travaux, également à l'origine de l'incendie.

[20] Aucun lien de droit n'unissait les deux entrepreneurs, bien que chacun d’eux ait été engagé par le propriétaire.

[21] Constatant l'absence de solidarité entre les deux entrepreneurs, la Cour d'appel conclut qu'il n'est pas possible pour le premier entrepreneur d'appeler en garantie le second, en l’absence de lien de droit. La Cour s'exprime ainsi :

À mon avis, même en tenant pour acquis qu'il s'agissait là effectivement d'une responsabilité in solidum, je ne crois pas que ceci puisse bonifier le recours en garantie.

[22] En l'espèce, même si l’on concluait à une solidarité imparfaite, dite in solidum, entre les assureurs, cela ne peut servir de fondement à un appel en garantie.

[Références omises.]

[23] Quant à la subrogation de l'assureur dans les droits de l'assuré, il mentionne l'arrêt Temple, précité, et conclut :

[43] De cet arrêt, le Tribunal retient les principes suivants qui sont pertinents en l'espèce :

Ø L'assureur responsabilité qui assume la défense (et éventuellement la condamnation) de son assuré est légalement subrogé dans les droits de ce dernier contre le co-assureur, en cas de pluralité d'assurances.

Ø Le recours entre assureurs peut être intenté sur la base de cette subrogation dès que le premier assureur commence à assumer la défense de son assuré.

Ø Comme l'intervention volontaire de l'assureur au dossier principal ne permet pas de trancher les obligations respectives des assureurs envers l'assuré poursuivi, un appel en garantie ne permet pas davantage un tel débat.

[44] La subrogation conventionnelle de Portneuf dans les droits de ses assurés ne lui confère pas plus de droits que la subrogation légale dont elle bénéficie.

[45] En conséquence, le Tribunal conclut que le recours en garantie est irrecevable, supposé même que Philippe Lemieux soit un assuré innomé au sens de la définition d’« Assuré » à la police de Lévisienne.

[46] Vu cette conclusion, il n'y a pas lieu de trancher cette dernière question, malgré l'intérêt qu'elle soulève.

Dispositions pertinentes du Code civil


Art. 2474. L'assureur est subrogé dans les droits de l'assuré contre l'auteur du préjudice, jusqu'à concurrence des indemnités qu'il a payées. Quand, du fait de l'assuré, il ne peut être ainsi subrogé, il peut être libéré, en tout ou en partie, de son obligation envers l'assuré.

L'assureur ne peut jamais être subrogé contre les personnes qui font partie de la maison de l'assuré.

Art. 2496. Celui qui, sans fraude, est assuré auprès de plusieurs assureurs, par plusieurs polices, pour un même intérêt et contre un même risque, de telle sorte que le total des indemnités qui résulteraient de leur exécution indépendante dépasse le montant du préjudice subi, peut se faire indemniser par le ou les assureurs de son choix, chacun n'étant tenu que pour le montant auquel il s'est engagé.

Est inopposable à l'assuré la clause qui suspend, en tout ou en partie, l'exécution du contrat en cas de pluralité d'assurances.

Entre les assureurs, à moins d'entente contraire, l'indemnité est répartie en proportion de la part de chacun dans la garantie totale, sauf en ce qui concerne une assurance spécifique, laquelle constitue une assurance en première ligne.

Art. 2500. Le montant de l'assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés.

Art. 2501. Le tiers lésé peut faire valoir son droit d'action contre l'assuré ou l'assureur ou contre l'un et l'autre.

Le choix fait par le tiers lésé à cet égard n'emporte pas renonciation à ses autres recours.

ANALYSE
La recevabilité du recours en garantie
[24] La question du véhicule procédural permettant à un assureur en responsabilité d'obtenir d'un autre assureur couvrant le même risque le remboursement d'une partie de l'indemnité qu'il a payée à un tiers à la suite de la faute de son assuré semble poser des difficultés en droit québécois.

[25] En Common Law, la Cour suprême, dans l'arrêt Family Insurance Corp. c. Lombard Canada ltée, [2002] 2 R.C.S. 695 , a privilégié l'approche de la contribution équitable entre les assureurs en matière de pluralités d'assurances couvrant le même risque. Le juge Bastarache, qui écrit pour la Cour, énonce la règle ainsi :

[14] Selon un principe bien établi en droit des assurances, l’assuré qui détient plus d’une police d’assurance couvrant le même risque ne peut jamais obtenir plus que le montant total du sinistre, mais il a le droit de choisir, sauf stipulation contraire, la police en vertu de laquelle il préfère être indemnisé. L’assureur choisi a, quant à lui, droit à la contribution de tous les autres assureurs qui couvrent le même risque. Cette doctrine de la contribution équitable entre les assureurs est fondée sur le principe général selon lequel les parties tenues au même titre d’indemniser une personne d’une perte doivent partager ce fardeau proportionnellement.

[26] Ce même arrêt reconnaît que les assureurs peuvent limiter leur responsabilité envers l’assuré dans le cas où ce dernier a souscrit d’autres polices couvrant le même risque. Toutefois, si ces clauses sont irréconciliables en ce que chaque police fournit une garantie de premier rang, sauf s’il existe une autre assurance valide, auquel cas l’assureur n’entend fournir qu’une garantie complémentaire, les assureurs contribueront en parts égales jusqu'à concurrence de la limite de garantie la plus basse, l'excédent de l'indemnité incombera alors à l'assureur qui a octroyé une garantie plus élevée.

[27] En droit québécois, le Code civil du Québec prévoit cette situation de pluralités d'assurances qui permet à l'assuré de poursuivre un seul assureur pour la totalité de sa perte à l'article 2496 C.c.Q. qui prévoit que :

Art. 2496. Celui qui, sans fraude, est assuré auprès de plusieurs assureurs, par plusieurs polices, pour un même intérêt et contre un même risque, de telle sorte que le total des indemnités qui résulteraient de leur exécution indépendante dépasse le montant du préjudice subi, peut se faire indemniser par le ou les assureurs de son choix, chacun n'étant tenu que pour le montant auquel il s'est engagé.

Est inopposable à l'assuré la clause qui suspend, en tout ou en partie, l'exécution du contrat en cas de pluralité d'assurances.

Entre les assureurs, à moins d'entente contraire, l'indemnité est répartie en proportion de la part de chacun dans la garantie totale, sauf en ce qui concerne une assurance spécifique, laquelle constitue une assurance en première ligne.

[28] Les auteurs s'entendent pour dire que cette disposition, qui vise à protéger l'assuré des contestations entre assureurs, ne peut s'appliquer en matière d'assurance de responsabilité puisque cet article se trouve dans la section III du chapitre quinzième du Code sous la rubrique relative à l'assurance des biens : Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2005, p. 327; Jean-François Michaud, « Pluralité d'assurances primaires : l'impact de l'affaire Family Insurance Corporation au Québec », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit des assurances, vol. 185, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 139, aux pages 143-144 et 158; Geneviève Cotnam, « La multiplicité d'assurances : comment s'y reconnaître? », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit des assurances, vol. 222, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 81, à la page 106.

[29] À la lecture des commentaires de ces auteurs, il semble que la question de la pluralité d'assurances de responsabilité relative au fondement du recours entre les assureurs n'est pas réglée à ce jour non plus que le véhicule procédural applicable. Il vaut de souligner que certains juges ont appliqué la doctrine de Common Law de la contribution équitable sans toutefois étayer ou discuter des paramètres du droit québécois concernant le fondement du recours : West of England Ship Owners Mutual Insurance Association (Luxembourg) c. Laurentian General Insurance Co., [1993] R.J.Q. 122 , 125 (C.S.); Général Accident, Compagnie d'assurance du Canada c. Chubb du Canada, Compagnie d'assurance du Canada, [2000] R.R.A. 691 (C.S.).

[30] L'appelante soutient qu'elle a droit au remboursement d'une partie de l'indemnité payée en vertu du concept de solidarité imparfaite suivant lequel deux débiteurs peuvent être tenus chacun de la même dette en vertu de sources juridiques distinctes. Ainsi, celui qui a payé est subrogé dans les droits du créancier et peut réclamer une partie de l'indemnité payée. Étant subrogé aux droits du créancier, le débiteur bénéficie d'un recours qui peut être exercé par une action récursoire ou qui aurait même pu l'être de façon anticipée, avant subrogation, par une mise en cause (216 C.p.c.) et un appel en garantie.

[31] En l'espèce, la victime a choisi de faire valoir son droit d'action contre l'assuré et l'appelante, droit que lui confère l'art. 2501 C.c.Q. L'intimée n'était donc pas une partie à cette action.

[32] De son côté, le défendeur Lemieux n'a pas appelé en garantie l'intimée ni entrepris des procédures pour l'obliger à assurer sa défense, ce qu'il aurait pu faire. C'est la situation que l'on retrouve habituellement dans la jurisprudence. Dans l'arrêt Liverpool and London and Globe Insurance Company Ltd. c. Service de Grue Mobile St-Jérôme Inc. et Société d'assurances des Caisses Populaires, [1982] C.A. 5 , un ferrailleur travaillant au montage d'une armature d'acier fut écrasé par la flèche maîtresse d'une grue mobile à la suite du bris d'un câble. Il est décédé. Cette grue avait été louée par le Service de grue mobile de St-Jérôme. La famille a poursuivi la société et les deux assureurs ont été appelés en garantie par l'assuré. À la suite du règlement de l'action principale, le seul litige, tant devant la Cour supérieure que devant la Cour d'appel, était de déterminer la part respective de chacun des assureurs selon les clauses relatives aux « autres assurances » prévues aux contrats.

[33] Par ailleurs, lorsque, comme en l'espèce, l'assuré n'appelle pas en garantie son deuxième assureur et qu'un premier assureur est déjà partie à l'instance, peut-on soutenir qu'il n'existe aucune procédure permettant à l'assureur poursuivi de faire intervenir l'autre assureur au dossier ou que son recours en garantie postérieur est irrecevable?

[34] Notre Cour a eu l'occasion récemment d'analyser la portée de l'intervention forcée et du recours en garantie dans l'arrêt Kingsway General Insurance Co. c. Duvernay Plomberie et chauffage inc., [2009] J.Q. no 4564. Dans cette affaire, l'assuré avait intenté une action contre ses assureurs à la suite d'un différend quant à l'indemnité payable par ces derniers pour des dommages causés à son immeuble par une importante fuite d'eau. L'action principale était fondée sur le contrat intervenu entre l'assuré et ses assureurs. Toutefois, les assureurs ont fait signifier une requête pour mettre en cause et appeler en garantie le plombier ayant effectué des travaux à l'immeuble, lequel était, à leur avis, responsable des dégâts d'eau. Selon les assureurs, la présence du tiers responsable était nécessaire pour « la solution complète du litige » (art. 216 C.p.c.) pour déterminer la cause du sinistre, alors que, selon le plombier, l'action principale étant fondée sur le contrat d'assurance, sa responsabilité était étrangère au litige. Le juge en première instance a accueilli la requête en irrecevabilité et rejeté la demande de mise en cause et l'appel en garantie essentiellement au motif qu'il y avait absence de subrogation et de lien de droit entre les assureurs et le tiers responsable. En appel, les assureurs réclamaient la mise en cause du tiers (plombier) dans l'action principale. La Cour a accueilli l'appel et la requête en intervention forcée afin de permettre la mise en cause du tiers plombier. Elle a étudié et précisé les formes d'intervention régies par l'article 216 C.p.c. :

[34] Traditionnellement, le recours en garantie suppose en effet entre celui qui appelle et celui que l'on appelle ainsi un lien de droit préexistant ou une relation juridique préexistante, le premier étant le bénéficiaire d'une obligation de garantie (formelle ou simple, totale ou partielle) ou obligation analogue à celle-ci, souvent contractuelle, parfois légale, à laquelle le second est tenu envers lui. Ainsi, pour prendre des exemples tirés de l'arrêt de notre Cour dans Eclipse Bescom Ltd. c. Soudures d'Auteuil inc., la caution poursuivie par le créancier peut appeler le débiteur principal en garantie, le vendeur d'un immeuble poursuivi pour vices cachés par l'acquéreur peut appeler son propre vendeur en garantie, l'assuré poursuivi en responsabilité civile peut appeler son assureur en garantie. De même, le débiteur solidaire, poursuivi seul pour le remboursement d'un prêt par le créancier commun, peut appeler son codébiteur solidaire en garantie; la caution peut, « sans attendre de connaître le sort de l'action intentée contre elle par le créancier, appeler en garantie les autres cautions qui se sont engagées au remboursement du même prêt »; le locataire d'équipements, poursuivi par sa caution qui a payé le créancier, peut appeler en garantie le sous-locataire qui a fait défaut de payer le loyer convenu au sous-bail, expliquant ainsi le défaut de paiement du locataire envers le créancier, le contractant à qui l'on reproche la violation d'une entente et à qui l'on réclame, outre l'annulation de l'entente, des dommages-intérêts peut appeler en garantie les avocats dont les actes seraient la source du problème et contre lesquels il pourrait exercer, advenant sa condamnation, un recours récursoire, etc. En matière extracontractuelle, on reconnaît par ailleurs maintenant que l'appel en garantie est possible là où il existe une solidarité potentielle entre celui qui forme l'appel et celui qui est appelé, appel en garantie — garantie simple — de la nature d'un recours récursoire anticipé.

[Références omises.]

[35] Après avoir effectué une analyse exhaustive de la jurisprudence relative à la possibilité de mettre en cause le tiers, notre collègue, la juge Bich, écrit :

[45] Il est exact qu'en reconnaissant ici la possibilité de mettre en cause l'intimée, comme le demandent les appelants, on élargit encore la notion de nécessité, puisque l'action de Sanum vise l'exécution du contrat d'assurance, alors que la mise en cause a pour but de faire statuer sur la responsabilité civile de l'intimée dans la survenance du sinistre, ce qui paraît a priori un autre débat. Dans les circonstances précises de l'espèce, cependant, alors que la faute de l'intimée est alléguée dans l'action principale et en sera un des enjeux, il est opportun d'aller plus loin dans l'idée qu'on doit se faire de ce qui est nécessaire à la solution complète d'un litige, au sens de l'article 216 C.p.c., et ce, autant afin d'éviter la multiplication de procédures tournant autour d'une même situation ou cause factuelle (en l'espèce, la survenance d'un dégât d'eau chez Sanum) qu'afin d'éviter des jugements contradictoires. Cela est compatible, certainement, avec les principes véhiculés par le Code de procédure civile, et notamment par son article 2, particulièrement depuis la réforme de 2003, qui cherche clairement, en limitant les procédures et les recours, à favoriser une meilleure gestion des affaires judiciaires et une meilleure utilisation des ressources.

[Je souligne.]

[36] La Cour reconnaît qu'il y a ainsi un élargissement des notions relatives à la mise en cause d'un tiers, mais en précise les avantages, notamment quant à l'interruption de la prescription :

[60] Cette conclusion, dont on admettra qu'elle élargit peut-être l'institution de la mise en cause au sens de la première portion de l'article 216 C.p.c., demeure néanmoins conforme à cette disposition et le fait qu'elle a des accents de recours subrogatoire anticipé n'est pas un empêchement dirimant. Qui plus est, elle a l'avantage de résoudre une difficulté tout aussi importante que réelle.

[61] D'une part, de manière très concrète, en permettant ici la mise en cause de l'intimée, selon les modalités discutées plus haut, on met déjà en place le cadre procédural nécessaire à la condamnation du véritable auteur du sinistre advenant qu'un jugement, concluant à la responsabilité de l'intimée, ordonne finalement aux appelants de verser à Sanum l'indemnité prévue par la police d'assurance. L'idée de la subrogation en matière d'assurance, telle qu'exprimée à l'article 2474 C.c.Q., tient à ce que l'on veut faire en sorte qu'au bout du compte l'auteur du préjudice, c'est-à-dire la personne juridiquement responsable de celui-ci, en porte la charge ultime. Or, en autorisant la mise en cause de l'intimée, on permet que tous les acteurs de la dispute résultant du sinistre soient présents, et ce, en mobilisant une seule fois l'appareil judiciaire pour résoudre l'ensemble des questions de fait et de droit suscitées par ce sinistre.

[62] D'autre part, le fait de permettre ici la mise en cause interrompra la prescription du recours contre l'intimée (ou aura eu cet effet, depuis la date de signification de la procédure en première instance). Comme on le sait, les droits de l'assurée Sanum contre l'intimée se prescrivent par trois ans (et en l'espèce par trois ans à compter du 16 janvier 2006, date de la survenance du sinistre), terme qui, normalement, arrivait à échéance le 16 janvier 2009. Or, si on interdit la mise en cause, cette prescription sera irrémédiablement acquise, l'assurée n'ayant pas poursuivi l'intimée en temps utile. Et si la prescription des droits de l'assurée était acquise ainsi, la subrogation des appelants dans ces droits, advenant qu'un jugement leur ordonne de verser l'indemnité d'assurance, serait impossible. Au contraire, en permettant que l'intimée soit appelée au débat, à part entière, on se trouve à interrompre la prescription (ou à reconnaître qu'elle a été interrompue par la demande de mise en cause) et l'on protège et sauvegarde en conséquence le droit de subrogation que l'article 2474 C.c.Q. conférera aux appelants, le cas échéant.

[Je souligne.]

[37] Dans cette affaire, il était question d'un recours subrogatoire anticipé à l'endroit du tiers responsable en application de l'art. 2474 C.c.Q. En l'espèce, il s'agit du recours subrogatoire postérieur de l'assureur quant aux droits de son assuré.

[38] Avant d'analyser le fondement du recours, il y a lieu de répondre à l'argument de l'intimée selon lequel l'article 2474 C.c.Q. empêche ici toute subrogation à l'égard « des personnes qui font partie de la maison de l'assuré ». Partant, l'appelante ne peut la poursuivre puisque cela équivaudrait à poursuivre son propre assuré.

[39] À mon avis, cet argument est mal fondé. Cette disposition prévoit la subrogation de l'assureur à l'égard de l'auteur du préjudice subi par l'assuré. Il s'agit du mécanisme qui permet à l'assureur de poursuivre celui qui a causé des dommages à son assuré, soit le tiers responsable du fait dommageable; la subrogation a lieu contre les personnes qui ont causé le dommage pour lequel l'assureur a indemnisé son assuré. Par exemple, si le fils de l'assuré est responsable de l'incendie causé à la maison de ses parents, la subrogation ne pourra s'opérer en faveur de l'assureur. Ici, la situation est différente; c'est l'assuré qui a causé le dommage à une tierce personne et non l'inverse. L'assurance responsabilité s'applique à la responsabilité de l'assureur envers le tiers auquel son assuré a causé un dommage. Partant, cette disposition est inapplicable en l'espèce.

[40] Ainsi, l'exception de ne pas subroger l'assureur contre ceux qu'il répugnerait à l'assuré de poursuivre est également inapplicable, le recours ne visant pas à chercher le remboursement de l'indemnité du tiers responsable, mais plutôt d'exiger de l'assureur qu'il respecte son obligation à titre de coassureur.

[41] Quant au fondement du recours, l'appelante a un intérêt à poursuivre en garantie l'intimée puisqu'elle a déjà payé les dommages-intérêts dus par son assuré. Elle ne pouvait en vertu de sa police ne payer que la moitié de l'indemnité. De fait, la victime a droit au total de l'indemnité puisque le législateur lui laisse le choix de poursuivre l'assuré ou l'assureur, ou encore l'un et l'autre (art. 2501 C.c.Q.). Ainsi, en payant la victime à qui l'assuré a causé un dommage, l'appelante paie une dette pour le compte de son assuré à laquelle l'intimée était également tenue, mais en vertu d'un contrat distinct. C'est ici que le concept de la solidarité in solidum intervient puisque la créance porte sur une somme d'argent exigible de deux débiteurs différents, et provenant de sources distinctes. Me Jean-François Michaud, dans son article « Pluralité d'assurances primaires : l'impact de l'affaire Family Insurance Corporation au Québec », précité, à la page 162, écrit à ce sujet :

En versant l'indemnité à la victime, l'assureur responsabilité remplit son obligation face à son assuré. L'assureur responsabilité, ayant indemnisé la victime pour le bénéfice de son assuré, est subrogé dans les droits de ce dernier. Comme dans toute situation de solidarité imparfaite, il est en droit d'obtenir une contribution des autres débiteurs in solidum. C'est ce qui expliquerait pourquoi, subrogé dans les droits de son assuré, il pourrait réclamer une contribution de l'autre assureur.

[42] Le concept de la solidarité imparfaite a été défini par la Cour suprême dans l'arrêt Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882 , où la réclamation portait sur une somme d'argent exigible de deux débiteurs différents, la dette provenant de deux sources distinctes, l'erreur professionnelle pour le comptable qui avait mal calculé le solde dû par la débitrice et la dette de cette dernière envers le créancier :

[21] Cette situation a créé une difficulté juridique que la Cour d’appel a cru régler en concluant à l’indivisibilité des dettes, puisqu’une même somme d’argent se trouvait due comme créance de responsabilité contractuelle et comme solde de prix de vente par deux débiteurs différents. En pareil cas, le droit des obligations veut permettre au créancier de recouvrer efficacement sa dette, tout en évitant une surindemnisation. D’une part, on ne saurait permettre au créancier de recouvrer deux fois sa créance. D’autre part, il faut aménager les rapports entre les codébiteurs d’une façon qui tienne compte des principes du droit des obligations et du souci d’une répartition juste des responsabilités juridiques de chacun dans la situation créée par ce conflit. Pour atteindre ces objectifs, la Cour supérieure a conclu à la solidarité, la Cour d’appel à l’indivisibilité.

[…]

[29] L’obligation in solidum, tel que l’a reconnu la jurisprudence, reprend les éléments fondamentaux de l’institution de la solidarité. Dès lors que deux dettes portent sur un même objet, elle permet au créancier de s’adresser indifféremment à l’un ou l’autre des débiteurs. Celui qui a payé est alors subrogé dans les droits du créancier contre son codébiteur. En pratique, cette notion a été utilisée fréquemment par la jurisprudence québécoise.

[Références omises.]

[43] La Cour suprême a conclu que dans la situation juridique en cause, où une créance était de source extra-contractuelle et l'autre résultait d'une obligation contractuelle, le recours à la notion d'obligation in solidum était approprié. Comme le mentionne le juge LeBel dans cette décision unanime :

[33] Le concept d’obligation in solidum permet de régler les difficultés juridiques posées par les rapports entre les codébiteurs de l’intimée conformément aux principes généraux de la solidarité et aux objectifs du droit des obligations. Masson est incontestablement responsable d’un préjudice qui s’est réalisé en date du 21 décembre 1990 et dont le montant, à cette date, s’élève à 182 476,88 $. La défenderesse 2639-1565 Québec inc. est également tenue pour un solde contractuel de 206 000 $ plus les intérêts au taux conventionnel. Ces deux dettes ont en partie un même objet.

[34] Entre les défendeurs, les obligations doivent être considérées in solidum.

[44] Le juge LeBel cite les auteurs Baudouin et Jobin, Les Obligations, 5e Éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, à la page 478, qui précisent ainsi le concept :

En effet, dans la mesure où l’on s’entend pour dire que, la solidarité (parfaite) étant un régime d’exception, il n’y aura de solidarité (parfaite) que lorsque le législateur l’aura prescrit expressément ou que les parties en auront convenu clairement, et que par ailleurs les effets secondaires de la solidarité ne se retrouvent pas dans la solidarité imparfaite, la catégorie semble avoir comme vocation de clarifier le droit dans certaines circonstances où des débiteurs sont responsables pour un objet identique sans être assujettis aux effets secondaires de la solidarité. Ainsi, la catégorie des obligations in solidum permet de saisir rapidement comment deux débiteurs d’un même montant d’argent, en vertu d’actes juridiques distincts n’entraînant pas la solidarité parfaite, sont tenus chacun au plein montant, et non à une quote-part, et que le paiement complet par l’un entraîne l’extinction de la créance et ouvre le droit à un récursoire contre l’autre débiteur.

[Références omises. Je souligne.]

[45] Dans l'arrêt Temple, précité, l'assureur (Encon) avait intenté un recours distinct contre l'autre assureur (ING) dans lequel il demandait que ce dernier lui rembourse toute condamnation à laquelle il pourrait être tenu dans le cadre de l'action d'un tiers contre ses assurés la municipalité et son secrétaire-trésorier. La Cour a infirmé le jugement accueillant la demande d'irrecevabilité au motif que l'action, selon l'assureur, pouvait résulter de l'enrichissement injustifié ou se fonder sur l'existence d'une obligation in solidum, et qu'il appartiendra au juge du fond de qualifier le fondement du recours entrepris. Les juges majoritaires ont conclu à la validité du recours de l'assureur contre un autre assureur couvrant le même risque même si l'action principale en dommages-intérêts n'était pas décidée. L'aspect du véhicule procédural approprié n'a pas été traité, mais on y souligne la possibilité de réunir les deux actions (paragr. 42), la réclamation contre la municipalité et son secrétaire et celle opposant les deux assureurs pour une solution complète du litige. Cette affaire reflète bien la problématique procédurale lorsqu'il y a pluralité d'assurances.

[46] Dans leur ouvrage, Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 365, les auteurs Ferland et Emery définissent la nature du recours en garantie :

L'appel en garantie représente une forme d'intervention forcée d'un tiers qui vise à rechercher contre ce tiers une condamnation et qui permet au défendeur principal d'être indemnisé par ce tiers de la condamnation qui pourrait être prononcée contre lui par jugement final sur la demande principale.

L'appel en garantie présuppose l'existence d'un lien de droit entre le demandeur et le défendeur en garantie, entre le garanti et le garant, et l'existence d'un lien de connexité entre l'appel en garantie et l'action principale, c'est-à-dire un lien tel que la demande en garantie et la demande principale ne pourraient, sans danger de jugements contradictoires, être jugées par des tribunaux différents.

[Références omises.]

[47] En l'espèce, au moment de l'instruction de l'action en garantie, l'appelante avait déjà effectué un paiement à la victime du fait dommageable causé par son assuré. Elle était clairement subrogée aux droits de ce dernier contre l'intimée. Au moment du dépôt de son recours, elle avait déjà engagé des frais pour défendre son assuré. Il existait donc un lien de droit potentiel résultant de cette subrogation. Que le recours soit anticipé par la mise en cause dans l'action principale ou postérieur par l'action récursoire, ce qui importe, c'est le lien entre la demande en garantie et l'action principale.

[48] Retenant l'approche suivie par notre Cour dans l'arrêt Kingsway, précité, je suis d'avis que l'appel en garantie permettait que soient décidées ensemble les questions relatives à cet accident du 15 mai 2003, pour établir la responsabilité et la part de chacun dans le paiement de l'indemnité. En somme, en permettant l'action en garantie de l'intimée, l'on recherche celle-ci pour le paiement de sa part de l'indemnité payée dans un litige où le lien de connexité des questions à résoudre est évident. Sa participation ne peut qu'être bénéfique pour la solution complète de l'affaire et éviter une répétition, sinon la reprise d'un même débat devant les tribunaux. Pour ces motifs, je suis d'avis que le juge n'aurait pas dû déclarer l'action irrecevable.

La couverture d'assurance de l'intimée
[49] Selon l'appelante, la responsabilité civile de l'enfant Philippe est assurée tant par sa police que par celle de l'intimée. Pour sa part, cette dernière plaide que l'enfant ne vivait pas sous le même toit que son père au moment de l'accident et qu'il n'est pas couvert par la police du père, son assuré. Cette question n'a pas été décidée par le juge de première instance vu sa conclusion quant à l'irrecevabilité du recours en garantie.

[50] Il y a lieu de souligner que, dans les deux polices, la définition d'assuré est identique. L'article 1 b) de ces polices définit ainsi le terme assuré :

1. IDENTIFICATION DES PARTIES

a) L'Assureur […]

b) L'Assuré

Les mots , ET se rapportent non seulement à vous en tant qu'Assuré désigné au , mais aussi, s'ils habitent sous le même toit que vous, à votre conjoint et à tout parent de l'un ou de l'autre.

Ces mots se rapportent également aux autres personnes âgées de moins de vingt et un (21) ans qui demeurent chez vous et qui sont sous la garde d'une personne mentionnée précédemment.

[Je souligne.]

[51] Il s'agit donc de déterminer si l'enfant Philippe peut être couvert par les deux polices, en tenant compte du fait qu'il demeurait avec sa mère chez son grand-père la majeure partie du temps, sauf pour une fin de semaine sur deux où il se rendait chez son père qui avait conservé la maison familiale à la suite de la séparation des parties.

[52] L'expression « s'ils habitent sous le même toit que vous » a été étudiée dans l'arrêt de notre Cour Bélair, Compagnie d'assurances c. Moquin, [1996] R.R.A. 941 . Il s'agissait de déterminer si une pensionnaire pouvait être considérée comme une personne vivant sous le toit de l'assuré. Le juge Delisle associe l'expression à la notion de résidence régulière qui implique un élément de continuité. Il écrit à la page 945 :

Pour un exemple donné, je vois mal considérer comme vivant sous le même toit de celui-ci une personne en visite pour quelques jours seulement.

Pour déterminer si une personne « vit sous le toit » de l'assuré, il faut avant tout rechercher si la personne vit habituellement, normalement, ordinairement chez l'assuré au point de pouvoir la considérer, à un titre ou l'autre, comme faisant partie du groupe régulier de personnes habitant la maison impliquée.

Il précise toutefois :

Il est impossible de donner des paramètres précis applicables à toutes les situations. Ce n'est réellement qu'en appréciant les données particulières d'un cas qu'il peut être déterminé si une personne vit ou non sous le même toit que l'assuré.

[53] La jurisprudence canadienne en matière d'assurance a analysé la question spécifique des enfants de parents séparés. Comme il s'agit d'interpréter les clauses d'assurances, il n'est pas inapproprié d'y recourir pour découvrir des éléments utiles pour notre analyse ou de s'en inspirer. Comme le soulignait la juge Dutil de notre Cour dans l'arrêt Optimum, société d'assurances inc. c. Plomberie Raymond Lemelin inc., [2009] J.Q. no 1710, au paragr. 41 :

On peut se demander s'il est opportun de s'inspirer de ces décisions des cours d'appel de la Colombie-Britannique et de l'Ontario ainsi que de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Commonwealth Construction pour trancher le présent litige. En effet, elles proviennent toutes trois de provinces de common law. Toutefois, en matière d'assurances, la Cour suprême, sous la plume de la juge L'Heureux-Dubé, indique qu'il est possible de tenir compte de décisions étrangères pour ce qui s'harmonise avec l'économie générale de notre droit civil.

[Référence omise.]

[54] Dans l'arrêt Appel v. Dominion of Canada General Insurance Co., [1998] 1 W.W.R. 592, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique devait interpréter l'expression « residing in » que l'on retrouvait à une clause d'exclusion de la police d'assurance. La Cour, sous la plume de la juge Prowse, définit l'expression en terme de permanence et d'un séjour prolongé (paragr. 69), et qu'ainsi la clause d'exclusion était inapplicable.

[55] Dans l'arrêt Harris v. Pilot Insurance Co., 46 C.C.L.I. (2d) 299, la Cour d'appel d'Ontario devait décider si le fils de parents séparés pouvait résider tant chez sa mère en Ontario que chez son père en Floride. La notion d'assuré prévue au texte en cause prévoyait « any relative of the named insured, or of the spouse of the named insured, who resides in the same premises as the named insured ». On a reconnu dans cette affaire le principe qu'une personne pouvait résider aux deux endroits bien qu'il n'ait pas été applicable à l'espèce vu que le fils n'avait pas l'intention de retourner vivre avec sa mère, mais qu'il demeurait plutôt chez son père. La Cour, sous la plume du juge Morden, écrit au paragr. 11 :

In the present case it should be noted that the word "resides" in the endorsement is not qualified by any wording such as, for example, "ordinarily' or "customarily". Accordingly, it is clearly capable in its immediate verbal context, and also in the wider context of coverage in an endorsement providing protection against losses caused by under-insured motorists, of accommodating a situation where the dependant relative may reside in more than one location. Specifically, on the issue presented in this case, it is capable of recognizing that just because Timothy may have been residing with his father at the time of the accident it does not follow that he could not also have been residing with his mother. This approach is in accord with the general principle of interpretation of insurance policies "that coverage provisions should be construed broadly": Reid Crowther & Partners Ltd. v. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 S.C.R. 252 , at 269.

[Je souligne.]

[56] Ainsi, un enfant vivant chez un parent durant l'année scolaire, mais chez son père durant les vacances d'été, a été considéré comme un assuré sous les deux polices : Arsenault c. Fitzgerald, 17 C.C.L.I. 58 (N.B.Q.B.).

[57] En l'espèce, Philippe demeurait majoritairement chez sa mère à Cap-Rouge et il allait chez son père à Saint-Romuald dans l'ancienne résidence familiale de façon régulière depuis 2001, à raison d'une fin de semaine sur deux pendant l'année scolaire et une semaine sur deux pendant les vacances estivales, en sus de quelques congés fériés. Il possédait tant chez son père que chez sa mère une chambre à lui, des vêtements, des jouets, un ordinateur et une bicyclette.

[58] De cette preuve, l'on constate qu'il ne s'agit pas de visites temporaires, mais récurrentes qui révèlent une certaine stabilité et continuité temporelle. L'enfant ne saurait être considéré comme un visiteur ou simplement de passage. Les parents sont responsables de leurs enfants, et ceux-ci sont couverts par l'assurance responsabilité du parent, qu'il soit trois jours chez l'un ou quatre jours chez l'autre. J'estime que le contrat d'assurance couvre l'enfant à titre d'assuré et le risque auquel réfère la police de l'intimée à l'article 1 de la convention d'assurance :

NOUS VOUS PROTÉGEONS contre les conséquences pécuniaires de la Responsabilité civile pouvant vous incomber en conséquence d'évènements dont résultent des dommages assurés causés à des tiers du fait d'un risque assuré.

[59] Comme les deux clauses concernant la pluralité d'assurances sont identiques dans les deux contrats d'assurance, lesquels prévoient un plafond de un million de dollars, chaque assureur doit payer en parts égales les dommages causés à la victime.

[60] En conséquence, je propose d'accueillir l'appel, avec dépens, et de condamner l'intimée à payer la somme de 75 000 $ à l'appelante avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 18 avril 2007, avec dépens.






LISE CÔTÉ, J.C.A.