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Marie-Claude Caron c. Robert Daigneault, cabinet d’avocats

no. de référence : CM-2008-5219

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)



Dossier :
238138

Cas :
CM-2008-5219



Référence :
2009 QCCRT 0290



Montréal, le
6 juillet 2009

______________________________________________________________________



DEVANT LA COMMISSAIRE :
Esther Plante, juge administrative

______________________________________________________________________





Marie-Claude Caron



Plaignante

c.



Robert Daigneault, cabinet d’avocats



Intimée





______________________________________________________________________



DÉCISION

______________________________________________________________________







[1] Le 14 août 2008, Me Marie-Claude Caron (la plaignante) dépose une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1. Elle prétend que Robert Daigneault, cabinet d’avocats (l’employeur) l’a congédiée sans cause juste et suffisante, le 2 juillet 2008.

[2] L’employeur soutient qu’il était justifié de la congédier en raison de son indisponibilité à exercer son emploi à temps plein au retour de son congé de maternité en septembre 2007. Il ne peut accepter un horaire de travail à temps partiel, d’autant qu’elle s’est engagée à travailler à temps plein pour au moins un an en contrepartie du versement d’un complément d’indemnité pendant son congé de maternité.

[3] La plaignante soutient que l’employeur l’avait autorisée à travailler à temps partiel et qu’il ne pouvait la congédier sans préalablement l’aviser qu’elle risquait de perdre son emploi en travaillant à temps partiel comme elle le faisait depuis 9 mois.

les faits
[4] L’employeur est un cabinet d’avocats spécialisé en droit de l’environnement et dans les domaines connexes du droit des ressources et du droit du territoire. Il dispute sa clientèle aux départements de droit de l’environnement des grands bureaux.

[5] Me Robert Daigneault, son fondateur, en février 2001, était auparavant associé d’un grand cabinet de Montréal. Il y a fondé et dirigé le département de droit de l’environnement, de 1990 à 2001. C’est là qu’il a connu la plaignante, avocate depuis 1996, qui travaillait également dans ce grand cabinet de 1997 à 2001. Me Daigneault fut son mentor en droit de l’environnement. La plaignante se joint à l’employeur en octobre 2002.

[6] Chez l’employeur, Me Robert Daigneault et la plaignante sont les plus expérimentés en droit de l’environnement. En 2008, Me H. P., embauché en 2001, Me R. P., un spécialiste du litige, et une avocate débutante, embauchés respectivement en mai 2005 et mai 2007 ainsi qu’une avocate contractuelle complètent l’équipe d’avocats. Cette dernière effectue de la recherche de son domicile, selon les besoins du cabinet. Le personnel de soutien administratif se compose de quatre personnes supervisées par une directrice administrative. Il apparaît que chacun peut travailler de son domicile une proportion de son temps.

[7] La plaignante est active dans ses dossiers et dans ceux de ses collègues, qu’elle conseille. Elle est également impliquée dans l’administration du cabinet. Elle fournit quelques exemples de son implication. Ainsi, en février 2006, Me Daigneaullt la consulte sur la politique de gestion des absences qu’il veut présenter aux avocats du bureau. Le 26 juin 2006, elle gère ponctuellement un problème de personnel à la réception, en l’absence de Me Daigneault et de la directrice administrative. À son retour de son congé de maternité, à l’automne 2007, elle prend des initiatives en regard de la perception des comptes clients et de la création du site web du cabinet, ce dont Me Daigneault la remerciera en décembre.

[8] Au fil des ans, elle développe un fort sentiment d’appartenance et poursuit l’objectif de s’associer avec Me Daigneault. Ce dernier l’envisageait d’ailleurs favorablement. Il y a lieu de reproduire ici son courriel du 10 février 2006 portant sur la politique de gestion des absences :

Marie-Claude, que dirais-tu de ces mesures?

Bien sûr, d’utiliser l’ancienneté comme règle de résolution des incompatibilités te placera après [Me H. P.], mais cela ne durera que jusqu’à ce que tu t’associes.

(…)

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

[9] La rémunération de la plaignante se compose d’un salaire de base et d’un boni annuel. Son salaire est révisé annuellement à la date anniversaire de son embauche, en octobre. Le boni annuel est généralement versé en avril et calculé sur la période de douze mois se terminant en octobre de l’année précédant celle de son versement. Elle ne reçoit pas l’augmentation de salaire habituelle avant de s’absenter en congé de maternité, en octobre 2006. À l’audience, elle n’en fait pas grief à son employeur pour l’année de son congé de maternité étant donné la somme supplémentaire versée à titre de complément d’indemnité pendant son congé de maternité.

LE CONGÉ DE MATERNITÉ

[10] Son congé de maternité débute le 30 octobre 2006 et son fils naît en novembre. À la lecture du relevé d’emploi émis par la directrice administrative, on constate qu’il est prévu qu’elle revienne travailler vers le 10 septembre 2007, soit un congé de maternité d’une durée approximative de dix mois.

[11] Me Daigneault est bien conscient que la prestation de maternité versée par le régime québécois d’assurance parentale, soit la somme de 822 $ par semaine pendant 40 semaines, ne compense qu’une partie du salaire hebdomadaire de la plaignante incluant le boni. Comme il ne veut pas la perdre, il offre de lui verser un complément d’indemnité, à compter du 4 décembre 2006. Il estime que la somme de 19 500 $, soit 975 $ par semaine pendant 20 semaines, tient compte des moyens financiers du cabinet et représente un complément d’indemnité comparable à « la moyenne supérieure » de celui versé par les grands bureaux consultés. Sa proposition prévoit que le « complément est conditionnel à un retour en poste à temps plein après le 31 août 2007 pour au moins un an ». La plaignante lui est reconnaissante de « contribuer à préserver [son] indépendance » et répond qu’« en ce qui concerne la condition pour le programme de « fidélisation» (on croirait que c’est comme Air miles »), [elle n’a] bien entendu aucun problème avec ça ! »

[12] La question du complément d’indemnité est rediscutée en novembre 2006. Il s’avère que le complément peut être supérieur à 40 % du salaire annuel, incluant les bonis, de la plaignante de sorte que le cabinet pourrait lui verser un montant de 1 485,69 $ et non seulement de 975 $, ce que le cabinet croyait à tort au moment de son calcul. Elle recevrait ainsi 100 % de son salaire pendant 20 semaines. Cependant, le montant ne sera pas révisé. Me Daigneault et la directrice administrative se sont échangé plusieurs courriels à ce sujet, dont les suivants, le 22 novembre 2006 :

[Directrice administrative] Je veux juste te rassurer, Marie-Claude ne me parle que par courriel de Blackberry et je relais ses questions sans lui avoir confirmer quoi que ce soit. Je lui ai écrit et laissé sur son répondeur que j’allais vérifier avec toi et [le directeur] (qui va parler à E. A.) pour la compensation qui ne semblait pas avoir de plafond selon le RQAP comme elle et moi nous le sommes fait dire par l’agent du RQAP. C’est le fait que cela ne semble pas concorder avec l’explication qu’ E.A. nous a fournie qui semble l’étonner.

Mais je ne lui ai pas dit que si c’est le cas, nous allions la compenser complètement. De son côté, elle constate que son salaire peut l’être complètement. Cela ne sous-entend pas selon moi qu’il faille le compenser de cette façon, cela demeure ta décision et ce n’est pas une obligation de l’employeur non plus. Voilà pour le roman congé de maternité.

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté. Noms omis.)

[Me Daigneault] Rassure-toi également, j’avais compris que tu ne lui avais rien laissé « miroiter ». D'ailleurs, le contraire m’aurait bien surpris. Si j’ai parlé de ce que j’hésitais à la compenser en supplément [complément], c’était tout simplement pour te faire partager mon questionnement à ce sujet, sans plus. Pour que tu saches où j’en suis et aussi pour t’éviter d’avoir à écouter ses doléances sans pouvoir rien faire. D’où l’idée sur ce dernier plan que tu lui suggères simplement de m’en parler directement le cas échéant.

J’espère qu’on n’aura pas d’autres congés de maternité à gérer à brève échéance!!!

(…)

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

[13] La plaignante ne sera pas remplacée pendant son congé de maternité. Me Daigneault n’a pas trouvé de candidat possédant son expérience. Ils n’ont donc été que quatre avocats, en incluant la recherchiste, jusqu’à l’embauche de la stagiaire reçue avocate en mai 2007. Me Daigneault témoigne avoir travaillé un plus grand nombre d’heures pendant cette période. D’ailleurs, pour lui permettre de prendre des vacances, fin juin - début juillet 2007, la plaignante prend l’initiative de rentrer au bureau quelques heures quotidiennement, sans compensation, pendant deux semaines.

[14] À cette époque, ils ont l’occasion de prendre un lunch ensemble. La plaignante en profite pour lui parler de son retour en septembre 2007. Elle désire passer du temps avec son fils et forme le projet de reprendre progressivement au travail, après le congé de la Fête du travail. D’abord, deux jours par semaine en septembre, puis trois, à compter d’octobre 2007, et finalement, 4 et 5 jours par semaine. Me Daigneault est déçu, mais il ne s’y oppose pas. Il y a lieu de reproduire leur échange de courriels des 5 et 6 septembre 2007 :

[Me Daigneault] (…) Est-ce exact que tu ne comptes rentrer que 2 jours semaines jusqu’en octobre?

Je n’étais pas au courant. On avait parlé de 3 jours semaines quand on s’était vu. Ça me désorganise.

On me dit que tu rentreras le 10. Pour ma part, je ne serai au bureau que le 11 en avant-midi. On pourra se voir à ce moment. (…)

(Reproduit tel quel)

[La plaignante] (…) quand on s’est vus je t’avais aussi précise que ma gardienne ne pouvait pas être la plus de deux jours pendant un mois, mais peut être que tu ne m’as pas comprise, je suis désolée. Ce sera une bonne idée qu’on se voie car il me semble que tu n’es jamais vraiment content en ce qui me concerne depuis quelque temps. Je me sens un peu mal en lisant tes courriels, peut être que c’est juste un malentendu, je l’espère. (…)

(Reproduit tel quel)

[Me Daigneault] (…) Merci de la mise au point. En effet, ça m’a échappé. D’où ma surprise, mais je ne doute pas que tu m’en aies parlé. Au départ, j’étais même convaincu que tu revenais en août (tu te souviens, je t’en ai parlé au lunch). Alors évidemment, comme j’étais déjà déçu que ce soit septembre, imagine quand j’ai réalisé que c’était deux jours semaine. Il faut voir cette réaction positivement : ton retour est attendu…

Mais je ne sais pas trop comment ça pourra se gérer, 2 jours semaine, quant à la continuité dans les dossiers. Si tu as des suggestions, tu m’en feras part mardi.

Et je m’excuse si mes messages sont un peu secs, plusieurs m’en ont fait part (même Paulette [la directrice administrative]). Sauf pour la gestion, je travaille toujours presque autant (95h en juillet malgré un retour de vacances le 9 juillet, 125 heures en août – tu vois le genre d’été que j’ai passé?). Avec des revenus moindres car on a l’infrastructure pour 6 avocats et un stagiaire (coûts des bureaux, de l’équipement, du personnel, etc.) et nous n’étions que 4 avocats jusqu’en mai et 5 depuis mai, dont une débutante. Très dur. J’ai mis beaucoup d’énergie à trouver du remplacement temporaire dans tes années d’expérience. Impossible.

Voilà. Je m’excuse pour ce tableau un peu défaitiste…

(…)

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

le retour du congé de maternité
[15] La plaignante reprend le travail le 10 septembre 2007 à raison de deux jours semaine, puis, à compter d’octobre, de trois jours, du lundi au mercredi. Son salaire annuel d’avant son départ en congé de maternité lui est versé en proportion du nombre de jours travaillés. Elle n’a pas encore reçu le boni annuel qu’elle devait normalement recevoir en avril 2007 pour la période de douze mois se terminant en octobre 2006, en dépit de l’engagement de Me Daigneault lors de son départ en congé de maternité.

[16] Me Daigneault déclare n’avoir accepté un retour progressif au travail que pour les derniers mois de 2007. L’année 2007 ne fut pas une très bonne année et l’automne est toujours une période plus tranquille que la première moitié de l’année. Les statistiques le démontrent : les deux tiers du chiffre d’affaires se font dans le premier semestre. Cependant, à l’automne 2007, la plaignante lui apprend qu’elle n’a pas l’intention de reprendre le travail à temps plein avant le deuxième anniversaire de son fils, en novembre 2008. Me Daigneault affirme n’avoir jamais accepté cette dernière proposition. Pour sa part, la plaignante nie lui avoir alors mentionné que c’était une offre à prendre ou à laisser.

[17] Quoi qu’il en soit, en 2008, la plaignante accomplit généralement ses activités professionnelles à l’intérieur de son horaire de trois jours. Il lui arrive de travailler les jeudis ou vendredis, à la demande de Me Daigneault ou d’un client. Les échanges de courriels du jeudi 21 février et du mercredi 18 juin 2008 avec Me Daigneault ainsi que celui du vendredi 9 mai 2008 avec une cliente en attestent.

[18] Certaines façons de procéder, mises en place à son retour, lui permettent de travailler à temps partiel. Ainsi, il est tenu compte de ses journées de présence au bureau pour fixer les dates des rencontres, y compris celles avec Me Daigneault. Les dossiers de la plaignante sont répartis entre ses collègues aux fins de répondre aux appels des clients les jeudis et vendredis. Ses collègues ont reçu l’assurance de pouvoir la rejoindre au besoin. La directrice administrative, dans une note du 23 janvier 2008 concernant les nouvelles candidatures d’avocat, demande au personnel de transmettre un message à la plaignante sur son portable les journées où elle est absente.

[19] La plaignante témoigne qu’elle n’a jamais été avisée que ses collègues ou clients se sont plaints du fait de sa présence au bureau à temps partiel. Me Daigneault et la directrice administrative laissent entendre le contraire dans leur témoignage, mais aucun d’eux ne rapporte un quelconque incident. Me Daigneault souligne qu’elle n’est pas présente au bureau à temps plein pour apporter du soutien à ses collègues et pointe le nom d’un client de la plaignante, sans plus.

[20] Par ailleurs, la plaignante sollicite du travail auprès de Me Daigneault en quelques occasions. Par exemple, les 20 novembre 2007 et 31 mars 2008, elle l’informe par courriel que son horaire est libre et qu’elle peut l’aider dans ses dossiers.

Les discussions du printemps 2008
[21] En décembre 2007, Me Daigneault entreprend l’exercice de planification laissé en plan par le directeur du bureau précédent. La plaignante y collabore et suggère un plan d’action le 7 janvier 2008. Elle propose dans son plan de le décharger de certaines tâches administratives, tels le suivi de la facturation et le suivi hebdomadaire du travail de ses collègues.

[22] Me Daigneault ne donnera pas suite au plan d’action proposé par la plaignante. À l’audience, il déclare qu’il n’attendait pas de la plaignante qu’elle le libère en premier des tâches administratives. Il cherchait plutôt à diminuer ses heures facturables et n’avait pas accès à ses services professionnels au rythme où cela était nécessaire. Depuis la deuxième année de son embauche, les heures facturables de la plaignante sont sous le minimum d’heures effectuées par les autres avocats et sous l’objectif de 1 250 heures facturables, que ce soit du temps complet ou du temps partiel. Me Daigneault trouvait impensable qu’elle coordonne le travail des autres avocats, de qui il exigeait davantage, en travaillant à temps partiel, bien qu’elle représente une ressource stratégique pour le bureau. Il ajoute que le cabinet a une infrastructure pour cinq avocats à temps complet et qui facturent annuellement 1 250 heures.

[23] Dans ce contexte, il priorise la question de son horaire à temps partiel ainsi que celle de l’insuffisance de son nombre d’heures facturables dans les discussions qu’ils auront à compter de février 2008. Ces discussions portent également, à la demande de la plaignante, dit-il, sur l’augmentation de son salaire annuel, le versement des bonis de 2007 et 2008, son degré de participation à la gestion du cabinet ainsi que leur association.

[24] Les points reliés à la rémunération se règlent. Me Daigneault n’a jamais contesté devoir le boni de 2007, calculé sur la période de douze mois terminée en octobre 2006. Il lui annonce, par ailleurs, qu’elle recevra 1 500 $ de boni pour la période se terminant en octobre 2007 et que son salaire d’avant son congé de maternité sera indexé selon l’indice du coût de la vie, rétroactivement à la date anniversaire de son embauche. Le tout est source d’insatisfaction pour la plaignante qui s’attendait à plus. Me Daigneault répond que les coûts fixes ont augmenté et que ses collègues et elle sont traités équitablement.

[25] Les autres points ne trouvent pas d’issues satisfaisantes pour l’un et l’autre et une détérioration de leur relation professionnelle s’en suit. La plaignante dit percevoir que des responsabilités lui sont « tranquillement » retirées dès avril 2008. Elle donne des exemples : le choix inexpliqué de Me R. P. pour suivre la formation de médiateur dispensée par le Barreau du Québec et son retrait du comité chargé du site Web du cabinet. La médiation représente, selon elle, un créneau de développement prometteur pour le cabinet. Me Daigneault souligne pour sa part que leur bonne entente commence à se dissiper en mai. Il dit prendre conscience que son message « ne passe pas » lorsque la plaignante lui annonce avoir trouvé une gardienne pendant cinq jours par semaine et qu’elle pourra commencer à travailler quatre jours par semaine à compter de septembre. Devant l’insuccès de la « méthode douce », il décide d’essayer les données statistiques.

[26] Fin mai 2008, il tient des rencontres avec tous les avocats salariés et l’avocate contractuelle sur le développement du bureau. Il rencontre Me H. P. et la plaignante séparément des autres avocats. À la même époque, il continue de la rencontrer individuellement. Le 28 mai, au lendemain d’une rencontre, il lui transmet les données concernant le total de ses heures facturables depuis son embauche. D’entrée de jeu, il compare son rendement à celui des autres avocats :

(…) qu’année après année [depuis 2004-2005] tes heures tournent autour de 71 % - 72 % de la moyenne du reste de l’équipe et sous le minimum d’heures faites par les autres avocats de même que sous l’objectif de 1250 h. Il ne semble pas y avoir de lien entre cette cadence et le fait que ce toit du temps complet ou partiel, les taux horaires de chacun y compris le mien et l’intensité de l’activité au bureau.

Tu me signalais hier que c’était la première fois que j’en parlais. C’est que ce genre d’analyse demande beaucoup de temps et je ne les fais pas par exprès. Mais suite à nos diverses conversations, je voulais me faire une idée plus objective. De plus, il faut quand même accumuler d’abord des données.

(…)

J’ai comme projet d’informer de façon hebdomadaire les avocats de l’avancement des heures facturables de chacun (…). Il faut toutefois qu’on conçoive un fichier Excel pour que ça se fasse automatiquement.

Voilà.

Si tu as des questions, n’hésite pas.

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

[27] La discussion se continue en juin, les 3 et 4. Me Daigneault est « content de [leur] entretien [du 3] ». Le 6, il la remercie de son courriel du 5, dans lequel elle s’excuse de s’être emportée le 4. Elle y écrit aussi qu’elle comprend « [son] point de vue et l’importance d’atteindre [ses] objectifs [heures facturables], et ce malgré tout ce qui peut se dire ». Deux incidents en apparence anodins se produisent les 18 et 25 juin 2008.

[28] Le 18 juin, Me Daigneault et la plaignante s’échangent quelques courriels pour fixer la date d’une rencontre avec Me H.P. Me Daigneault l’avise qu’il avait fixé au 25 juin une réunion qu’il voulait tenir le lendemain avec elle et Me H.P. avant de réaliser que le 19 était un jeudi et que Me H.P. déménageait cette journée-là. La plaignante lui répond qu’elle est en vacances dans la semaine du 23 juin, mais qu’elle est libre en après-midi ainsi que le 19. Ils conviennent de la tenir le 19, en l’absence de son collègue. Me Daigneault l’avisera finalement en fin de journée que faute de temps pour la préparer, il la reporte au 25 juin. La plaignante lui rappelle qu’elle est en vacances le 25 et mentionne qu’elle s’explique mal que sa semaine de vacances n’apparaisse pas à l’agenda électronique. À l’audience, Me Daigneault commente ainsi cet échange de courriels : « je me rends compte que le message ne passait pas – quand bien même je reviendrais à la charge avec le temps plein ». Il décide alors de consulter un avocat pour traiter le dossier de la plaignante.

[29] Le 25 juin, Me Daigneault reçoit un appel d’un confrère de son ancien bureau au sujet de la plaignante. Ce dernier s’est fait répondre par la réceptionniste qu’elle n’était pas là et qu’elle ne savait pas quand la plaignante serait de retour. Me Daigneault précise à l’audience qu’il ne s’agit pas d’affaires et que son ancien collègue voulait simplement s’assurer que tout allait bien pour elle compte tenu de la réponse de la réceptionniste. Il impute l’entière responsabilité du malentendu à la plaignante et la blâme sévèrement compte tenu de la situation, dans le courriel transmis le jour même à la directrice administrative :

Il semble que M- Claude ne se soit pas souciée d’informer le personnel de la durée de son absence. [P. D.] vient d’appeler et il a demandé à me parler pour savoir si tout allait bien avec elle car quand il a demandé à lui parler, il s’est fait répondre qu’elle n’était pas là et qu’on ne savait pas quand elle serait de retour!!! Bel impact sur la clientèle…

(…)

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

la fin d’emploi
[30] Le 2 juillet 2008, Me Daigneault avise la plaignante qu’il met fin à son emploi et lui remet une lettre. Il souhaite la rencontrer dans la semaine suivante pour fixer les modalités de son départ. Il témoigne, par ailleurs, qu’il était disposé à la garder à son emploi jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel emploi, quitte à ce qu’elle soit payée aux heures faites.

[31] Le texte de la lettre de sa lettre se lit comme suit :

Ton refus ou incapacité à donner au bureau et aux clients la disponibilité requise et dont nous avons amplement discuté pour l’exercice de tes fonctions professionnelles ne me laisse pas le choix de prendre la décision de mettre fin à ton lien d’emploi avec notre cabinet, ce dont je t’informe par la présente. Je peux t’assurer que ce n’est pas de gaieté de cœur que je prends cette décision.

(…)

Il est inutile de rappeler toutes et chacune des discussions que nous avons eues sur ce sujet. Il est juste toutefois d’affirmer que j’ai, dès ton retour de congé de maternité, mentionné que ta disponibilité et tes heures de travail posaient un important problème, sans compter qu’elles ne respectaient pas ce qui avait été convenu à ton départ en congé. Comme tu le sais très bien, notre entreprise en est une de services et (…) il n’est pas possible de trouver une avocate aussi expérimentée que toi qui accepte de boucher les trous causés par tes absences.

(…)

(Reproduit tel quel. Soulignement ajouté.)

[32] Me Daigneault reconnaît, par ailleurs, ne l’avoir jamais avisée qu’elle risquait de perdre son emploi à défaut de travailler cinq jours semaine. Il était, selon lui, évident qu’elle ne voulait pas reprendre son poste à temps plein, sans qu’il ait à le lui demander. Il ne voit pas en quoi l’avoir exigé spécifiquement aurait ajouté quelque chose de plus étant donné le non-respect de son obligation professionnelle de se rendre disponible.

[33] Le 8 juillet, une rencontre a lieu entre la plaignante et Me Daigneault, rencontre qui tourne court. Selon lui, la plaignante n’a de souci que de connaître le montant d’indemnité de délai de congé que le cabinet est disposé à lui verser. Le 17 juillet, il lui écrit concernant la gestion de son départ. Il l’avise qu’à défaut d’une entente sur la gestion de ses dossiers, le cabinet procédera de la manière indiquée dans sa lettre.

la suite des événemEnts
[34] Me Daigneault choisit de ne pas prendre de vacances en 2008 et de laisser le poste de la plaignante vacant. Il refait le même choix en novembre 2008, préférant se montrer prudent en raison de la récession. Le cabinet adopte un budget d’austérité en 2009 et l’effectif du personnel administratif est réduit à trois personnes en début d’année.

[35] La plaignante a pour sa part reconnu avoir offert une disponibilité de cinq jours semaine dans toutes les demandes d’emploi qu’elle a soumises suite à son congédiement.

[36] Le 10 février 2009, quelques jours avant la première journée d’audience, l’employeur signifie une requête introductive d’instance à la plaignante dans laquelle il lui réclame le remboursement du complément d’indemnité versé pendant son congé de maternité. Il n’en avait jamais été question pendant son emploi.

L’analyse
[37] L’employeur a pris l’initiative de rompre le lien d’emploi avec la plaignante. Il s’agit de déterminer s’il a satisfait au fardeau d’établir une cause juste et suffisante pour le faire.

[38] Manifestement, l’employeur n’a rien à reprocher à la plaignante d’un point de vue disciplinaire. Il s’agit donc d’un congédiement administratif. En matière de congédiement administratif, la Commission doit vérifier l’existence du motif de congédiement en se demandant si celui-ci est abusif, discriminatoire ou déraisonnable. Ainsi, l’employeur doit lui-même avoir rempli ses obligations envers l’employé pour établir une cause juste et suffisante de congédiement. La Commission le rappelle dans Forget c. Brasserie Labatt limitée, 2009 QCCRT 016. L’employeur doit s’assurer que :

L’employé connaît les politiques de l’entreprise et les attentes fixées;

Ses lacunes lui ont été signifiées;

Il a obtenu le support nécessaire pour atteindre ses objectifs;

Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration.

[39] Me Daigneault invoque comme motif de congédiement l’indisponibilité de la plaignante pour exercer son emploi à temps plein. Selon lui, cette indisponibilité empêche la plaignante de jouer son rôle de mentor auprès de ses collègues moins expérimentés et entraîne des pertes de revenus substantielles pour le cabinet que la réduction de son salaire ne compense pas.

Le consentement de Me Daigneault
[40] Dans les faits, la plaignante s’est absentée du travail pendant une période d’un peu plus de 10 mois à l’occasion de la naissance de son fils, en [...] 2006. À l’origine, ni la plaignante, ni Me Daigneault n’avaient prévu qu’elle puisse vouloir prolonger sa présence auprès de son fils au-delà de son congé de maternité. La plaignante lui en a fait la demande dans les mois précédant son retour au travail et Me Daigneault lui a donné son consentement de manière semi-explicite.

[41] Il lui permet de travailler à temps partiel non seulement dans les tout premiers mois de son retour de congé de maternité, à l’automne 2007, comme il le prétend, mais aussi en 2008, même s’il s’en défend. En effet, il réduit son salaire au prorata du nombre de jours travaillés et maintient son horaire à temps partiel jusqu’à la fin de son emploi. En plus, il met en place des façons de procéder, notamment pour répondre aux appels des clients de la plaignante en son absence, pour le lui faciliter pendant les 9 mois de sa présence au bureau à temps partiel.

[42] Au cours de cette période, la plaignante est dévouée et travaille à temps partiel d’une façon responsable. Elle effectue le travail dans ses dossiers et entretient de bonnes relations avec ses clients et ses collègues. Elle continue d’exécuter des tâches administratives et de prendre des initiatives. Qui plus est, ses initiatives sont appréciées de Me Daigneault. Elle se rend en outre disponible pour l’aider dans ses dossiers comme le montrent les exemples où elle manque de travail et qu’elle l’avise de sa disponibilité.

[43] Ce n’est qu’en 2009, après la fin d’emploi, que Me Daigneault revient sur l’engagement de la plaignante avant son départ pour son congé de maternité.

Les objectifs des heures facturables
[44] Certes, il ressort que la plaignante n’atteint pas le seuil de 1 250 heures facturables depuis l’année 2004-2005. Cependant, Me Daigneault ne lui en fait part pour la première fois de manière concrète qu’en mai 2008 seulement, comme l’atteste le courriel mentionné ci-haut. Il n’apparaît pas raisonnable de demander à la plaignante d’atteindre cet objectif au prorata du nombre de jours travaillés dans un délai d’un mois (on la congédie au tout début du mois de juillet) alors que la meilleure période de l’année pour les affaires, de l’aveu même de Me Daigneault, celle du début de l’année, est terminée.

[45] En aucun moment, Me Daigneault ne lui signifie sa volonté qu’elle reprenne le travail à temps plein dans un délai précis au risque de perdre son emploi. Me Daigneault a-t-il assumé qu’elle répondrait défavorablement à une telle demande? Il n’en demeure pas moins qu’il a erronément cru qu’il n’avait pas l’obligation de la prévenir avant de la congédier. Les propos qu’ils ont pu échanger sur son horaire à temps partiel ou l’insuffisance de son temps facturable ne constituent pas un avis suffisant. En effet, ces propos sont tenus, dans les derniers mois, lors d’entretiens portant également sur le rôle de la plaignante, sur leur projet d’association, le développement du bureau. Ils ne laissaient aucunement présager la fin de la relation d’emploi.

[46] En d’autres termes, en juillet 2008, au moment de la fin d’emploi, l’employeur n’avait pas de motifs suffisants pour mettre fin à l’emploi de la plaignante.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE la plainte;

ANNULE le congédiement;

RÉSERVE sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées.




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Esther Plante



Me Patrick Trent

BORDEN LADNER GERVAIS

Représentant de la plaignante



Me Joël Mercier

CASAVANT MERCIER

Représentant de l’intimée



Date de la dernière audience :
7 avril 2009



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