Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Massicotte c. Bentivegna (Trouble avec les voisins)

no. de référence : 500-32-107118-079

Massicotte c. Bentivegna
2009 QCCQ 6353

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
MONTRÉAL

LOCALITÉ DE
MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :
500-32-107118-079



DATE :
8 juillet 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
MICHÈLE PAUZÉ

______________________________________________________________________





MONIQUE MASSICOTTE

[…] Saint-Léonard (Québec) […]

Demanderesse

c.

TONY BENTIVEGNA

[…] Saint-Léonard (Québec) […]

Défendeur





______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________





[1] La demanderesse Monique Massicotte réclame au défendeur Tony Bentivegna la somme de 7 000$ en dommages-intérêts au motif que ce dernier trouble sa tranquillité dans le quartier en excédant, par son comportement, ses faits et gestes, les limites normales des inconvénients dus au voisinage.

Le défendeur Tony Bentivegna nie avoir une attitude qui trouble la tranquilité du voisinage et se défend en prétextant que c'est madame Massicotte qui est elle-même intolérante aux bruits.

Les faits:

[2] Madame Massicotte et monsieur Bentivegna habitent tous deux le croissant [...] à Saint-Léonard, mais ils ne sont pas voisins. Madame Massicotte habite à l'étage d'un triplex situé au fond de ce croissant alors que monsieur Bentivegna habite une propriété achetée par son épouse et située à quelques maisons plus loin, mais plus près de l'entrée du croissant.

[3] Madame habite son logement depuis 2001 alors que monsieur Bentivegna serait arrivé dans le quartier avec ses enfants en 2002-2003, la date n'ayant pas été précisée en Cour.

[4] On peut résumer ainsi les reproches faits par madame Massicotte. Il est également évident que les reproches le sont durant la période printanière ou estivale alors que madame désire profiter des belles journées et soirées à l'extérieur de son logement. Elle précise que ne possédant pas de climatiseur, elle ne peut alors rentrer chez elle et fermer ses portes et fenêtres pour ne pas entendre crier son voisin qu'elle perçoit très bien malgré la distance qui les sépare.

[5] Madame Massicotte se plaint du fait que monsieur crie continuellement très fort, il hurle en blasphémant après ses enfants, il chante, il klaxonne en passant devant chez elle, il chante en hurlant des airs d'opéra italien ou augmente l'intensité du volume de la musique de son système de son au maximum sans se soucier de ses voisins qui sont dehors sur leur palier ou leur balcon. Il actionne le système d'alarme de ses véhicules automobiles sans raison.

[6] Dans son témoignage madame Massicotte rapporte des dates, des jours où monsieur Bentivegna s'est mis à crier ou à hurler en pleine rue dont, entre autres, le jours des élections provinciales alors que monsieur arrivant chez lui, se met à crier en pleine rue "Vive le Québec…", pour ne donner qu'un exemple.

[7] Malgré ses appels répétés à la police, rien n'y fait, les agents se présentant alors que tout a cessé.

[8] Cette situation perdure depuis 2003 jusqu'à aujourd'hui et ce malgré les lettres de mise en demeure envoyées. Elle prétend même que depuis l'envoi de ces lettres, madame Bentivegna la provoque, la fait passer pour une "marâtre" devant les enfants du quartier. Les enfants ont été, selon elle, utilisés par les Bentivegna puisqu'ils viennent continuellement jouer devant sa maison de manière délibérée en criant, en lançant leur ballon sur les panneaux métalliques de signalisation (ce qui fait beaucoup de bruit), au point tel que sa voisine (demeurant en bas de chez elle) a dû sortir pour les avertir d'aller jouer ailleurs.

[9] Comme elle se lève très tôt pour son travail, elle désire profiter de ses soirées dans le calme et la tranquillité, ce qui est devenu pratiquement impossible depuis l'arrivée de la famille défenderesse.

[10] Avec tous ces événements, elle ne dort plus, craint le défendeur et toute sa famille. Elle réclame 7 000,00$ à titre de dommages-intérêts pour tous les inconvénients subis, les nuits de stress, d'insomnie et surtout la perte de sa qualité de vie. Elle considère que monsieur Bentivegna a abusé de ses droits en excédant la limite normale de la tolérance.

[11] Le témoignage de madame Massicotte est corroboré, du moins en partie, par celui de ses voisines, mesdames Trottier et Drolet.

[12] Quant à Madame Guylaine Trottier, celle-ci demeure dans le quartier depuis au moins 25 ans. Elle affirme avoir été témoin des crises et des cris de monsieur Bentivegna de même que ceux de ses enfants, confirmant que le défendeur se met à hurler à tue-tête, chante très fort ou encore qu'il semble prendre plaisir à laver ses voitures le samedi matin très tôt, tout en chantant des airs d'opéra ce qui dérange tout le monde. Possédant un climatiseur, lorsque le bruit est trop présent elle rentre chez elle et ferme portes et fenêtres.

[13] Elle a effectivement déjà demandé aux enfants d'aller jouer plus loin et de crier moins fort.

[14] Madame Monique Drolet précise qu'avant l'arrivée des Bentivegna dans le quartier, c'était tranquille et paisible mais que depuis, leur tranquillité est grandement perturbée.

[15] Entendu, monsieur Bentivegna débute son témoignage «en applaudissant à la «performance» des témoins entendus.». Puis il nie tous les événements rapportés par madame Massicotte, précisant travailler de 6 heures le matin à 15 heures 30 tous les jours.

[16] Il prétend que c'est madame Massicotte qui les harcèle lui et sa famille: elle sort, les suit avec sa voiture, fait peur aux enfants en leur faisant le geste de leur trancher la gorge.

[17] Il déplore le fait qu'elle ne soit jamais venue frapper à leur porte pour lui demander de baisser le ton. Si sa voiture klaxonne, c'est lorsqu'il actionne le système d'alarme: il ne peut l'éviter, dit-il.

[18] Également entendu, Tony Jr. Bentivegna est âgé de quinze (15) ans. Tout en admettant jouer dehors, dans la rue, il nie crier. Il n'est pas le seul d'ailleurs à jouer dans le quartier et s'il le fait, lui et ses autres copains sont toujours très respectueux de l'environnement. Il nie les allégations de madame Massicotte.

[19] Ont également été entendus, monsieur Steven Vitale, postier, lequel rapporte que madame Massicotte a logé deux (2) plaintes à Postes Canada, sans raison, puis madame Julie Perez, une amie de madame Bentivegna, dont le témoignage a donné peu d'éclairage sur les événements impliquant monsieur et madame.

[20] Finalement, le constable Patrice Bérard a afirmé s'être présenté sur la rue [...] à plusieurs reprises suite à des appels de harcèlement et de «chicanes de voisinage».

[21] Constatant qu'il s'agit d'un problème récurrent, il se gare dans le croissant pour y voir l'activité. Il voit des enfants jouer, ceux de monsieur Bentivegna mais également ceux des rues avoisinantes. Il croît que, vu la configuration des lieux, le son reste emprisonné à l'intérieur de la rue ce qui augmente l'effet de résonance.

[22] Il a tenté en allant rencontrer madame Massicotte, les voisins de même que monsieur Bentivegna, de trouver une solution mais sans succès.

Question en litige:

Monsieur Bentivegna a-t-il excédé les limites de la tolérance et est-il responsable des dommages causés à madame Massicotte?

Analyse et décision:

[23] Les dispositions qui s'appliquent en l'instance sont celles de l'article 976 du C.c.Q. lesquelles énoncent:

«976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.»

[24] Récemment, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette[1] rappelait le régime de responsabilités applicable en matière de troubles de voisinage, comme en l'instance.

[25] Elle écrivait que le principe de l'exercice du droit de propriété emporte l'obligation d'indemniser le voisin des dommages causés lors de l'exercice de ce droit par une responsabilité dite objective.

[26] La Cour suprême rappelait que la mesure applicable est le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Le propriétaire devient responsable même sans qu'il y ait faute prouvée, dès que l'utilisation de son droit a pour effet de causer à autrui un préjudice qui dépasse les inconvénients normaux que chacun est tenu de subir. La légalité de l'exercice ne constitue pas une excuse légitime. (soulignements ajoutés)

[27] Qu'en est-il en instance?

[28] Du témoignage de madame Massicotte, lequel est appuyé et corroboré par celui de mesdames Trottier et Drolet, il appert que l'attitude de monsieur Bentivegna dépasse les inconvénients normaux du voisinage. À la fois madame Massicotte de même que mesdames Trottier et Drolet, corroborent le fait que monsieur Bentivegna en criant, en chantant, en blasphémant ne porte aucun souci à la quiétude des lieux et à la tranquillité des gens du voisinage.

[29] Par son caractère exubérant, monsieur Bentivegna ne se soucie pas des autres, il agit comme s'il était seul au monde. Il a, par son attitude, exacerbé la tolérance de ses voisins. Il agit de manière excessive sans se rendre compte que ses gestes, ses paroles, ses cris et toute son attitude portent atteinte à la quiétude du quartier. Son attitude en Cour en a été, d'ailleurs, le reflet quand, immédiatement après avoir été assermenté, il s'est mis à applaudir très fort aux témoignages qu'il venait d'entendre.

[30] Bien que le Tribunal soit conscient que monsieur Bentivegna ne semble pas réaliser qu'il a une voix qui porte, que ses faits et gestes sont excessifs, il doit comprendre son obligation de calmer son tempérament excessif.

[31] Le Tribunal ne retient pas que les enfants de monsieur Bentivegna soient de nature à entraver la quiétude ou les gens du voisinage. Les enfants, lorsqu'ils sont nombreux, ont tendance à parler fort, à crier. C'est le propre des enfants et le Tribunal ne peut retenir leurs gestes comme étant fautifs. D'ailleurs, après avoir été averti par madame Trottier d'aller jouer plus loin, ces derniers se sont calmés.

Évaluation des dommages:

[32] Par son témoignage, madame Massicotte a surtout insisté sur l'absence de tranquillité et de quiétude les soirs de printemps ou d'été alors qu'elle aimerait se reposer calmement sur son balcon.

[33] Il est toujours difficile d'évaluer le dommage causé surtout lorsqu'il est de nature morale ou impalpable. Comme l'a déjà écrit la Cour d'appel, ce n'est pas parce qu'un dommage n'est pas visible qu'il n'en est pas moins réel.[2]

« Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que, parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu, ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.»

[34] La preuve a révélé que madame Massicotte n'a pu profiter de la tranquillité de son quartier, de la quiétude de ses soirées du printemps ou de l'été alors qu'elle aimerait se reposer calmement sur son balcon, et ce, malgré ses appels et ses mises en demeure. Elle a subi des dommages qu'il faille quantifier.

[35] Devant ces faits et circonstances, le montant des dommages ne peut être fixé que de manière arbitraire. Le Tribunal évalue à 1 000,00$ les dommages-intérêts et les inconvénients subis par madame Massicotte en raison de l'attitude de monsieur Bentivegna.

[36] EN CONSÉQUENCE ET POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[37] ACCUEILLE en partie la réclamation de la demanderesse;

[38] CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse la somme de 1 000,00$ plus les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue par la loi depuis l'institution des procédures et les frais judiciaires au montant de 151,00$.




__________________________________

MICHÈLE PAUZÉ, J.C.Q.



















Date d’audience :
6 avril 2009







--------------------------------------------------------------------------------

[1] 2008 CSC 64

[2] Malhab c. Metromedia C.M.R. Montréal Inc., [2003] R.J.Q. 1001 (C.A.) p. 1020