CSN c. Canada (Procureur général)
no. de référence : 2008 CSC 68
COUR SUPRÊME DU CANADARéférence : Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 68
Date : 20081211
Dossier : 31809, 31810
Entre :
Confédération des syndicats nationaux
Appelante
et
Procureur général du Canada
Intimé
‑ et ‑
Procureur général du Québec, procureur général du
Nouveau‑Brunswick et Congrès du travail du Canada
Intervenants
et entre :
Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida inc.,
Jean‑Marc Crevier et Marie Langevin
Appelants
et
Procureur général du Canada
Intimé
‑ et ‑
Procureur général du Québec, procureur général du
Nouveau‑Brunswick et Congrès du travail du Canada
Intervenants
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 96)
Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
______________________________
csn c. canada
Confédération des syndicats nationaux Appelante
c.
Procureur général du Canada Intimé
et
Procureur général du Québec, procureur général du
Nouveau‑Brunswick et Congrès du travail du Canada Intervenants
ET
Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida inc.,
Jean‑Marc Crevier et Marie Langevin Appelants
c.
Procureur général du Canada Intimé
et
Procureur général du Québec, procureur général du
Nouveau‑Brunswick et Congrès du travail du Canada Intervenants
Répertorié : Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général)
Référence neutre : 2008 CSC 68.
Nos du greffe : 31809, 31810.
2008 : 13 mai; 2008 : 11 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit constitutionnel — Partage des compétences — Assurance‑chômage — Éventail de mesures actives destinées à maintenir le lien entre les assurés et le marché du travail — Les dispositions de la loi fédérale sur l’assurance‑emploi relatives aux programmes de placement, de formation et de partage du travail ainsi qu’aux prestations d’emploi sont‑elles valides? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(2A) — Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 24, 25, 56 à 65.2, 73, 75, 77, 109c), 135(2).
Droit constitutionnel — Taxation — Délégation du pouvoir de taxation — Principe de contrôle parlementaire du prélèvement d’impôts et taxes — Surplus de l’assurance‑emploi accumulés dans le Tésor — Délégation du pouvoir de fixer les taux de cotisation non assortie de critères législatifs — Les cotisations à l’assurance‑emploi sont‑elles des redevances administratives ou des taxes? — Si ce sont des taxes, ont‑elles été prélevées conformément au principe de contrôle parlementaire et au moyen d’une délégation valide? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 53, 91(3) — Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 66 à 66.3, 72.
En 1996, la Loi sur l’assurance‑emploi crée le cadre juridique d’un réaménagement important du régime d’assurance‑chômage. En plus des mesures actives habituelles pour combattre le chômage, tels les programmes de placement, de formation et de travail partagé (art. 60, 25 et 24), cette loi introduit cinq types de prestations d’emploi (art. 59) : subventions salariales, suppléments de rémunération, aide au travail indépendant, partenariats pour la création d’emplois et prêts ou subventions de perfectionnement.
Quant au financement du régime, deux jalons pertinents précèdent la nouvelle loi : en 1986, sur la recommandation du vérificateur général du Canada, le compte d’assurance‑emploi est consolidé avec l’ensemble des recettes gouvernementales et, en 1990, l’État cesse de financer le compte à même ses recettes générales pour s’en remettre aux cotisations, dont le taux annuel est alors fonction de l’expérience de quelques années précédentes seulement. La loi de 1996 revoit le financement du compte de façon à rééquilibrer le budget du programme à long terme. L’article 66 fournit les lignes directrices d’un système de cotisations d’un niveau suffisant pour couvrir les dépenses courantes du système et pour constituer graduellement une réserve permettant la stabilisation des taux malgré les contraintes des cycles économiques. En six ou sept ans, les déficits sont résorbés et des surplus de plus de 40 milliards de dollars se constituent. En 2001, le législateur fédéral adopte l’art. 66.1 qui, par dérogation à l’art. 66, permet au gouverneur général en conseil de fixer directement le taux des cotisations pour 2002 et 2003. Pour l’année 2004, le Parlement fixe le taux de cotisation dans la loi elle‑même. Pour 2005, il revient, par l’art. 66.3, à la fixation des taux par le gouverneur général en conseil.
Les appelants, par actions déclaratoires, contestent la validité constitutionnelle des mesures dites actives, des mécanismes de fixation des cotisations, de l’accumulation des surplus et de leur affectation à l’ensemble des dépenses fédérales. La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec rejettent ces prétentions.
Arrêt : Les pourvois sont accueillis en partie. Les articles 66.1 et 66.3 de la Loi sur l’assurance‑emploi en vigueur en 2001, 2002 et 2005 étaient inconstitutionnels. Les cotisations d’employeurs et d’employés pour ces années ont été perçues illégalement. Cette déclaration est suspendue pour une période de douze mois à compter de la date du dépôt du présent arrêt.
Les mesures actives contestées sont valides. Les programmes que contient la Loi sur l’assurance‑emploi reflètent les changements de l’économie et du marché du travail et s’insèrent dans l’« évolution naturelle » de la compétence sur l’assurance‑chômage dévolue au Parlement du Canada. Cette compétence doit être interprétée généreusement. Ses objectifs consistent non seulement à porter remède à la pauvreté causée par le chômage mais aussi à sauvegarder le rattachement des chômeurs au marché du travail. Régir la matière de l’assurance‑chômage ne signifie donc pas seulement exercer la responsabilité passive du versement d’indemnités durant les périodes d’inactivité de la main‑d’œuvre canadienne. Cela veut dire aussi acquérir un rôle plus actif, orienté vers la conservation ou le rétablissement d’un lien entre le chômeur actuel ou potentiel et le marché du travail. Les programmes de placement et de formation sont depuis le départ des initiatives qui se situent à l’intérieur de la compétence législative confiée au Parlement fédéral. Ces programmes ainsi que le partage du travail demeurent suffisamment liés aux objectifs fondamentaux du régime et intégrés dans celui‑ci. De plus, le marché du travail a évolué et l’exercice du pouvoir fédéral prévu au par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 peut le refléter. Les prestations d’emploi illustrent cette évolution car elles visent à consolider les liens avec le marché du travail ou à préparer un retour à celui‑ci. Ainsi, le partenariat pour la création d’emploi pallie certaines des conséquences de la faiblesse du marché du travail dans des régions défavorisées et atténue ainsi le chômage. Les suppléments de rémunération ont aussi un effet direct sur les liens avec le marché du travail : ils augmentent de manière temporaire les revenus de travailleurs qui autrement hésiteraient davantage à accepter des emplois moins bien rémunérés. L’aide au travail indépendant facilite l’organisation d’une entreprise et aide le participant à réintégrer le marché du travail. La subvention salariale versée aux employeurs favorise particulièrement l’insertion dans le marché du travail de personnes désavantagées qui cherchent à améliorer leur productivité ou à acquérir de l’expérience de travail et elle contribue à établir ou à préserver l’employabilité de travailleurs qui pourraient autrement être condamnés à l’inactivité. Les prêts et subventions de perfectionnement permettent à des participants d’acquérir des connaissances spécialisées, dans le but de faciliter leur recherche d’emploi. [31] [ 39] [42‑49]
Tant que l’art. 66 de la loi s’est appliqué, la présence de critères relatifs à l’établissement des taux de cotisation à l’assurance‑emploi conservait un principe d’affectation et d’équilibre des impositions qui préservait leur qualification constitutionnelle de prélèvements réglementaires, malgré l’existence de surplus importants. Parce que le gouvernement fédéral a pris la décision politique ferme de mettre fin aux déficits de l’assurance‑emploi, de stabiliser les fluctuations des cotisations et de consolider le régime en créant une réserve adéquate, la loi de 1996 confie à la Commission de l’assurance‑emploi le mandat de fixer annuellement les cotisations dans le cadre des objectifs décrits à l’art. 66 : assurer un apport suffisant de revenus pour couvrir les débits du compte et maintenir une certaine stabilité des taux, compte tenu du cycle économique. Pendant cette période, de 1996 à 2001, les contributions perçues ont été versées au Trésor, les fonds ont été employés comme toute autre partie des recettes du Trésor et la comptabilité appropriée a été tenue : les crédits et débits requis pour les opérations du régime ont été passés au compte de l’assurance‑emploi. À ce titre, l’usage fait par le gouvernement ne représente pas un détournement des fonds de l’assurance‑emploi. [59] [66] [73‑74]
Avec l’adoption d’un nouveau mécanisme de fixation des taux pour les années 2002, 2003 et 2005, le cadre de l’art. 66 ne s’applique plus. La loi ne comporte plus de critères encadrant et orientant l’établissement des taux, lesquels relèvent désormais de la discrétion du gouverneur général en conseil. Les cotisations d’assurance‑emploi constituent toujours un élément des recettes publiques tandis que la disparition du lien entre ce prélèvement et le régime réglementaire marque, du même coup, la transformation des cotisations en une taxe sur les listes de paie. Or, l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 reflète le principe ancien mais fondamental dans notre régime démocratique qu’il ne doit y avoir aucune taxation sans représentation. Seul le Parlement peut imposer une taxe ab initio. Une délégation du pouvoir de taxation est constitutionnelle dans la mesure où la loi prévoit cette délégation de manière explicite et non ambiguë. Le libellé des art. 66.1 et 66.3 applicables en 2002, 2003 et 2005 ne prévoit nulle part que le Parlement délègue un pouvoir de taxation. La délégation qu’ils contiennent de fait vise un prélèvement qui était devenu une imposition à caractère général, sans que la loi précise que le Parlement entendait déléguer son pouvoir de taxation lui‑même. [60] [70] [75] 82, 87] [92‑93]
Jurisprudence
Arrêts appliqués : Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; arrêts mentionnés : Attorney‑General for Canada c. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 355, conf. Reference re The Employment and Social Insurance Act, [1936] R.C.S. 427; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22; Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31; YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown, [1989] 1 R.C.S. 1532; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2008] 1 R.C.S. 132, 2008 CSC 7; Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198; Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; Ontario English Catholic Teachers’ Assn. c. Ontario (Procureur général), [2001] 1 R.C.S. 470, 2001 CSC 15.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1867, art. 53, 91(2A), (3).
Loi de 1940 sur l’assurance‑chômage, S.C. 1940, ch. 44, première annexe, partie II, deuxième annexe, art. 12, 17, 31.
Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48, art. 39, 62, 63.
Loi d’exécution du budget 1994, L.C. 1994, ch. 18, art. 26.
Loi d’exécution du budget de 2003, L.C. 2003, ch. 15, art. 21.
Loi d’exécution du budget de 2004, L.C. 2004, ch. 22, art. 25.
Loi modifiant la Loi sur l’assurance‑emploi et le Règlement sur l’assurance‑emploi (pêche), L.C. 2001, ch. 5, art. 9.
Loi régissant l’emploi et l’immigration, L.C. 1977, ch. 54.
Loi sur l’assurance‑chômage, S.C. 1955, ch. 50, art. 37.
Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 24, 25, 56 à 65.2, 57, 58, 59, 60, 61, 66 à 66.3, 66.1, 71, 72, 73, 75, 77, 109c), 135(2).
Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E‑2.
Loi sur le placement et les assurances sociales, S.C. 1935, ch. 38.
Doctrine citée
Brun, Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet. Droit constitutionnel, 5e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2008.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 136, 2e sess., 28e lég., 1er novembre 1999.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 137, 1ère sess., 37e lég., 2 mars 2001.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5th ed. Suppl. vol. 1. Scarborough, Ont. : Thomson/Carswell, 2007 (updated 2007, rel. 2).
Issalys, Pierre, et Denis Lemieux. L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, 2e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2002.
Magnet, Joseph Eliot. Constitutional Law of Canada, vol. 1, Federalism / Aboriginal Peoples, 9th ed. Edmonton : Juriliber, 2007.
POURVOIS contre des arrêts de la Cour d’appel du Québec (le juge en chef Robert et les juges Gendreau et Brossard), [2006] R.J.Q. 2672, [2006] J.Q. no 12562 (QL), [2006] J.Q. no 12563 (QL), 2006 CarswellQue 9362, 2006 QCCA 1453, 2006 QCCA 1454, qui a confirmé une décision de la Cour supérieure (le juge Gascon), [2003] R.J.Q. 3188, [2003] J.Q. no 15801, 2003 CarswellQue 2667. Pourvois accueillis en partie.
Guy Martin et Jean‑Guy Ouellet, pour l’appelante la Confédération des syndicats nationaux (31809).
Gilles Grenier, Claude Leblanc et Bernard Philion, pour les appelants le Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida Inc., Jean‑Marc Crevier et Marie Langevin (31810).
James Mabbutt, René LeBlanc, Carole Bureau et Linda Mercier, pour l’intimé.
Alain Gingras, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Steven Barrett et Colleen Bayman, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
[1] Les présents pourvois ramènent devant notre Cour un groupe de problèmes relatifs au régime d’assurance-emploi du Canada. Politique à l’origine, sans doute toujours en partie de cette nature, le débat s’est transporté dans le domaine judiciaire. Les appelants, la Confédération des syndicats nationaux (« CSN ») et le Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida Inc. (« Syndicat »), contestent dans des recours déclaratoires distincts des aspects importants du régime fédéral d’assurance-emploi. D’abord, ils attaquent la validité constitutionnelle d’un ensemble de mesures dites actives destinées à combattre le chômage et non pas seulement à indemniser les chômeurs. À leur avis, ces mesures excèdent le cadre du pouvoir législatif conféré au Parlement du Canada sur l’assurance-chômage par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867. Par ailleurs, ils s’en prennent au mode de financement de l’assurance-emploi, à l’accumulation de surplus importants dans le compte d’assurance-emploi et à leur utilisation par le gouvernement fédéral. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les mesures actives adoptées par le Parlement fédéral respectent les limites de sa compétence législative. Je suis aussi d’avis que le système de financement du régime d’assurance-emploi demeure conforme aux normes constitutionnelles, sauf pour les années 2002, 2003 et 2005. En effet, le mécanisme de fixation des cotisations appliqué durant ces années n’est pas conforme aux principes constitutionnels régissant la création de charges réglementaires et l’imposition de taxes par le Parlement fédéral. En conséquence, j’accueillerais en partie les pourvois.
II. Origine du litige
[2] Le litige découle des efforts faits par le gouvernement fédéral pour stabiliser le régime national d’assurance-chômage ou d’assurance-emploi, comme le désigne maintenant la législation, et pour l’adapter davantage aux contraintes de l’évolution des cycles économiques. Durant une période de plusieurs années, des réformes diverses ont été adoptées. Un de leurs résultats fut la constitution de surplus importants, des débats politiques sur leur légitimité et leur opportunité et, finalement, des contestations judiciaires. Pour bien comprendre la nature et la portée de celles-ci, il convient de rappeler les grandes lignes de l’évolution récente du régime d’assurance-emploi.
[3] Le régime fédéral d’assurance-emploi remonte à un amendement constitutionnel adopté en 1940. Des changements divers y ont été apportés depuis. Après 1980, le régime était devenu déficitaire. Le gouvernement fédéral devait en renflouer périodiquement le compte, ce qui aggravait d’autant le déficit fédéral. En 1986, sur la recommandation du vérificateur général du Canada, le gouvernement fédéral a intégré le compte dans le Fonds consolidé du revenu, ou Trésor. Ce compte est devenu plus tard le « compte d’assurance-emploi » (« Compte »). En 1990, le gouvernement a cessé de combler les déficits du Compte. Par la suite, les gouvernements fédéraux successifs ont entrepris de rétablir l’équilibre financier du régime d’assurance-emploi et de repenser une partie de ses méthodes et objectifs.
[4] En 1996, la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, a créé le cadre juridique d’un réaménagement important du régime d’assurance-chômage, désormais connu sous le nom d’assurance-emploi. La législation a resserré les conditions d’admissibilité aux indemnités de chômage et a prévu des mesures plus interventionnistes destinées à maintenir ou à améliorer la capacité d’intégration de la main-d’œuvre au marché du travail. En même temps, le Parlement du Canada a revu le financement du Compte. Il a prévu un système de cotisations destiné à fixer les contributions à un niveau suffisant pour couvrir les dépenses courantes du système et la constitution graduelle d’une réserve de nature à éviter des augmentations de cotisations en période de ralentissement économique et d’augmentation du chômage. Au cours des années suivantes, le Parlement a modifié fréquemment les mécanismes de fixation des cotisations. Ces réformes ont provoqué l’apparition et la croissance parfois rapide de surplus dans le Compte qui auraient atteint ou dépassé les 40 milliards de dollars. Durant cette période, les cotisations d’assurance-emploi ont été versées au Trésor, conformément à la politique établie en 1986.
[5] L’apparition des surplus dans le Compte a suscité bien des débats politiques qui échappent aux tribunaux. Nous devrons nous pencher sur les deux contestations judiciaires des appelants qui ont été entendues et jugées ensemble. J’analyserai donc maintenant la nature et l’objet des recours entamés par les appelants.
[6] Les appelants ont institué des recours déclaratoires distincts pour contester ce qu’ils considèrent comme un détournement du pouvoir constitutionnel fédéral sur l’assurance-chômage qui aurait été exercé au-delà de ses limites. À leur avis, le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorderait au Parlement du Canada le pouvoir d’établir un régime d’indemnisation des périodes de chômage qui ne permettrait pas l’intégration de mesures actives destinées à la promotion de l’emploi et dont le financement resterait basé sur un principe de mutualité. En effet, les cotisations imposées aux salariés et aux employeurs pour assurer le fonctionnement du régime ne pourraient dépasser le niveau requis pour acquitter les dépenses courantes et constituer une réserve raisonnable pour ses activités. L’affectation des cotisations et des surplus engendrés par leur perception à d’autres fins, comme l’élimination du déficit budgétaire fédéral, violerait la Constitution. Ils plaident aussi l’inconstitutionnalité du mécanisme de fixation des cotisations. Si on voulait justifier ce mécanisme comme un exercice du pouvoir de taxation fédéral, les modalités de sa mise en œuvre ne respecteraient pas l’art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867. Sur la base de ces moyens, qui sont pour l’essentiel communs aux deux procédures, le Syndicat réclame l’invalidation d’un certain nombre de dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi et demande à la Cour de déclarer que les surplus du Compte appartiennent aux cotisants du régime, les employeurs et les employés. La CSN formule des conclusions analogues.
[7] En substance, les recours demandent d’abord l’annulation des mesures dites actives instituées par la Loi sur l’assurance-emploi, soit le placement et les prestations d’emploi. Ensuite, ils s’attaquent au mécanisme de fixation des cotisations, à leur utilisation par le gouvernement fédéral et à l’affectation du surplus du Compte. L’intimé, le procureur général du Canada, a défendu la validité de l’ensemble des mesures dites actives contestées par les appelants ainsi que celle de l’affectation des surplus du Compte et des mécanismes de fixation des cotisations. Ces deux recours déclaratoires ont été réunis pour audition. La Cour supérieure, puis la Cour d’appel du Québec les ont entendus en même temps.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure ([2003] R.J.Q. 3188)
[8] Le juge Gascon a rejeté complètement les recours des appelants. D’abord, il a conclu que le service de placement et les mesures actives, c’est-à-dire les prestations d’emploi et les programmes de formation et de travail partagé, se situaient à l’intérieur de la compétence fédérale sur l’assurance-chômage. Dans un second volet de sa décision, le premier juge a ensuite écarté les moyens des demandeurs relatifs à la fixation des cotisations et aux surplus du Compte. À son avis, les mécanismes de fixation des cotisations respectaient la Constitution. Les cotisations représentaient un prélèvement réglementaire lié à l’administration et à la mise en œuvre du régime d’assurance-emploi. Si on voulait assimiler les cotisations à des taxes, leur imposition constituerait un exercice valide du pouvoir de taxation du Parlement fédéral. Par ailleurs, selon le juge Gascon, la contestation des taux de cotisation proprement dits constituait un problème de droit administratif qui relevait d’une autre juridiction. Il a ajouté, à ce propos, que les demandeurs avaient de toute manière abandonné ce volet de leurs demandes. Enfin, la Cour supérieure a jugé que le gouvernement fédéral ne s’était pas approprié les surplus du Compte. Les états financiers du gouvernement fédéral continuent à indiquer une dette du Trésor envers le Compte. En conclusion, le juge Gascon s’est refusé à apprécier la sagesse politique des mesures et des méthodes qui ont permis l’accumulation des surplus dans le Compte.
B. Cour d’appel du Québec ([2006] R.J.Q. 2672, 2006 QCCA 1453, 2006 QCCA 1454)
[9] La Cour d’appel du Québec a rejeté à l’unanimité les pourvois des appelants. Elle a ainsi confirmé la constitutionnalité de l’ensemble des mesures et dispositions en litige. Toutefois, ses motifs diffèrent en partie de ceux de la Cour supérieure. Son arrêt comprend deux opinions. Le juge en chef Robert a rédigé les motifs portant sur la contestation constitutionnelle des mesures dites actives où il a décidé si elles relèvent de la compétence législative du Parlement fédéral. Les motifs conjoints des juges Gendreau et Brossard ont examiné la fixation des cotisations et le problème de l’affectation des surplus.
[10] Le Juge en chef a analysé attentivement et en détail les dispositions législatives et les programmes en débat pour en apprécier la validité constitutionnelle. Dans un premier temps, il a conclu que le service de placement, le programme de travail partagé et les mesures de formation s’inscrivaient directement dans une logique de diminution du risque de chômage. En conséquence, elles relevaient de la compétence fédérale sur l’assurance-chômage.
[11] Selon le Juge en chef, le cas des programmes de prestations d’emploi présentait plus de difficultés. Cette catégorie de prestations incluait cinq programmes différents établis en vertu de l’art. 59 de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle comprenait la subvention salariale versée à un employeur à titre de tremplin pour un emploi régulier éventuel (al. 59a)), le supplément de rémunération destiné à un employé intéressé par un emploi faiblement rémunéré (al. 59b)), l’aide au travail indépendant pour encourager la création de petites entreprises (al. 59c)), le partenariat pour la création d’emplois associant des entreprises et des organismes communautaires dans les régions affectées par un taux de chômage élevé (al. 59d)) et les prêts ou subventions de perfectionnement en faveur des travailleurs en recherche de spécialisation (al. 59e)).
[12] Le juge en chef Robert a estimé que certains de ces programmes ne se situaient pas dans le cadre des pouvoirs fédéraux relatifs au régime public d’assurance-emploi selon les principes posés par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56 (« Renvoi »). Son opinion classe ces programmes en deux catégories, les indemnités de remplacement de revenu et la promotion d’initiatives. Selon le juge en chef Robert, la première catégorie englobe la subvention salariale, le supplément de rémunération et le partenariat dans la création d’emplois. À son avis, ces programmes correspondent à une logique d’assurance et répondent aux critères établis dans le Renvoi. À ce titre, ils relèvent donc de la compétence fédérale sur l’assurance-chômage.
[13] Par ailleurs, le juge en chef Robert ne décide pas clairement si les programmes relatifs à la promotion d’initiatives, soit l’aide au travail indépendant et les prêts ou subventions de perfectionnement, relèvent de la compétence législative fédérale sur l’assurance-chômage. Il conclut plutôt qu’ils ont été adoptés validement en vertu du pouvoir fédéral de dépenser. Il souligne aussi que ces programmes ne prétendent pas régir des domaines de compétence provinciale et que le Parlement du Canada les a expressément soumis à l’accord des provinces.
[14] Pour leur part, les motifs conjoints des juges Gendreau et Brossard rejettent les moyens plaidés par les appelants au sujet de l’inconstitutionnalité des mécanismes de financement de l’assurance-emploi et de l’appropriation des surplus du Compte. À leur avis, dans le cas de la méthode de fixation des cotisations, la distinction entre frais réglementaires et taxes a peu de pertinence en l’espèce. En définitive, le système de fixation des cotisations reposerait sur un exercice valide du pouvoir de taxation fédéral. Par ailleurs, selon les juges Gendreau et Brossard, l’accumulation des surplus dans le Compte ne poserait aucun problème constitutionnel. Toutes les sommes perçues par le gouvernement fédéral devaient être versées au Trésor. Leur comptabilisation n’affecte pas la créance du Compte qui subsiste à l’égard du Trésor public.
[15] À la suite de leur échec devant la Cour d’appel du Québec, les appelants ont formé des pourvois devant notre Cour. Leurs appels reprennent les questions soulevées devant les tribunaux d’instance inférieure.
IV. Analyse
A. Nature générale des questions en litige
[16] Les appels portés devant notre Cour contestent d’abord la validité constitutionnelle des mesures actives incorporées à la Loi sur l’assurance-emploi pour combattre le chômage. Ce volet des pourvois porte sur l’interprétation du par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 et donc sur l’étendue du pouvoir législatif du Parlement fédéral en matière d’assurance-chômage. Un second volet examine la constitutionnalité du système de financement de l’assurance-emploi et de l’accumulation de surplus grâce à la perception des cotisations des employeurs et des employés ainsi que de l’affectation de ces surplus à des fins autres que l’indemnisation des chômeurs.
[17] Avant de passer à l’examen des prétentions des parties, je rappelle qu’une ordonnance de la Juge en chef de notre Cour, rendue le 17 octobre 2007, a formulé les questions constitutionnelles suivantes :
1. Les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, sont‑ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur l’assurance‑chômage conférée par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
2. En cas de réponse affirmative à la question 1, les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, sont‑ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur la taxation conférée par le par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867?
3. En cas de réponse négative à la question 2, les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, respectent‑ils les exigences de l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867?
4. Les articles 24, 25, 56 à 65.2, 73, 75, 77, 109c) et 135(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, sont‑ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur l’assurance‑chômage conférée par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
5. En cas de réponse affirmative à la question 4, les articles 24, 25, 56 à 65.2, 73, 75, 77, 109c) et 135(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, sont‑ils validement fondés sur le pouvoir fédéral de dépenser?
[18] Les principales dispositions législatives auxquelles renvoient ces questions sont annexées aux présents motifs. J’y reviendrai au cours de mon analyse.
B. Les questions relatives au pouvoir législatif du Parlement fédéral sur l’assurance-chômage
[19] Dans ce volet de leurs pourvois, les appelants contestent la validité constitutionnelle des mesures dites actives destinées à combattre le chômage. Ils s’attaquent d’abord à la validité de l’existence même d’un service de placement (art. 60). Ils s’en prennent également aux programmes de travail partagé (art. 24) et aux prestations relatives à la participation à des activités de formation. Par ailleurs, les appelants plaident l’inconstitutionnalité des programmes de prestations d’emploi et mesures de soutien établis en vertu des art. 57 et 59. À leur avis, ces dispositions excéderaient le cadre du pouvoir législatif du Parlement fédéral. En substance, selon les appelants, la Constitution aurait accordé au Parlement fédéral un pouvoir limité à l’indemnisation des périodes de chômage, qui ne lui permettrait pas d’intervenir pour le prévenir ou freiner le chômage. Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ne lui permettrait pas non plus d’intervenir dans des domaines qui relèvent des compétences législatives provinciales. Sur ce dernier point, celui du pouvoir de dépenser, le procureur général du Québec appuie la position des appelants.
[20] Le procureur général du Canada rejette l’ensemble des prétentions des appelants. Il les affirme incompatibles avec la jurisprudence qui a défini les principes d’interprétation du pouvoir législatif fédéral en la matière. Cette jurisprudence aurait reconnu au Parlement fédéral une compétence large et souple, notamment dans le Renvoi, même à l’égard des mesures de prévention du chômage. Pour l’intimé, il ne serait donc pas nécessaire d’examiner la question du pouvoir de dépenser.
C. Les questions relatives au financement et aux surplus du régime d’assurance-emploi
[21] Un second volet des appels regroupe un ensemble de problèmes relatifs au financement de l’assurance-emploi et au sort des surplus accumulés depuis 1996 grâce à la perception des cotisations des employeurs et des employés. Selon les appelants, les dispositions législatives appliquées depuis 1996 pour fixer les cotisations violent les limites du pouvoir fédéral sur l’assurance-chômage qui permettraient seulement au Parlement de prélever les cotisations nécessaires pour le fonctionnement courant du régime et la constitution de réserves raisonnables. Les dispositions législatives contenues aux art. 66, 66.1 et 66.3 ne respecteraient pas ce principe fondamental. De plus, les mécanismes de fixation des cotisations n’auraient plus de rapport avec le cadre réglementaire du régime d’assurance-emploi. Ils représenteraient aussi un exercice illégal du pouvoir de taxation fédéral. En effet, la procédure suivie ne respecterait pas le principe du contrôle parlementaire du prélèvement d’impôts que consacre l’art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867. Enfin, l’accumulation des surplus et leur affectation à l’ensemble des dépenses fédérales, dont la réduction de la dette publique, violeraient les principes constitutionnels fixant les conditions de perception et d’utilisation des cotisations d’assurance-emploi.
[22] Selon l’intimé, la fixation des cotisations et leur utilisation sont restées conformes aux exigences de la Constitution. D’abord, les dispositions législatives en cause respectent le principe d’un lien suffisant avec le système réglementaire de l’assurance-emploi. Sinon, le pouvoir de taxation fédéral aurait été exercé validement en vertu d’une délégation de pouvoir claire et suffisamment complète par le Parlement fédéral. Finalement, les cotisations auraient été utilisées et comptabilisées conformément aux règles gouvernant le Trésor, sans porter atteinte aux droits des cotisants.
D. La compétence législative du Parlement fédéral sur l’assurance-chômage
[23] Le débat entre les appelants et le procureur général du Canada exprime des visions opposées de l’étendue de la compétence législative du Parlement fédéral sur l’assurance-chômage. Les appelants défendent la thèse d’une compétence restreinte qui serait limitée, pour l’essentiel, à l’indemnisation des périodes de chômage et à la perception des fonds nécessaires au paiement des prestations. Ils soulignent qu’un lien étroit doit être maintenu entre les cotisations imposées aux employeurs et aux employés et le régime qu’elles doivent financer. L’intimé propose une interprétation qui permettrait au Parlement du Canada d’adopter des mesures actives destinées à prévenir le chômage ou à en atténuer les conséquences.
[24] Ce désaccord fondamental impose un examen de l’origine et de la nature de la compétence fédérale sur l’assurance-chômage, de son interprétation et des principes constitutionnels qui la gouvernent. L’analyse de ces questions a été faite récemment par ma collègue, la juge Deschamps, dans le Renvoi. Son analyse demeure toujours valide et doit orienter l’application du par. 91(2A) dans les pourvois que nous examinons maintenant.
[25] Les difficultés économiques et sociales provoquées par la dépression des années 1930 se trouvent à l’origine du régime actuel d’assurance-emploi. En 1937, le Conseil privé avait confirmé l’invalidation d’une première loi fédérale sur l’assurance-chômage par la Cour suprême du Canada, la Loi sur le placement et les assurances sociales, S.C. 1935, ch. 38 (Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355 (C.P.)), conf. Reference re The Employment and Social Insurance Act, [1936] R.C.S. 427). Le Conseil privé avait alors conclu que la législation touchait à la propriété et aux droits civils dans les provinces, notamment aux rapports entre les employeurs et les employés et, pour cette raison, excédait le champ de compétence du Parlement du Canada (p. 365 et 367).
[26] Après cet échec, le gouvernement fédéral entama des négociations avec les provinces. Ces discussions permirent un accord sur un amendement constitutionnel qui prit la forme du par. 91(2A). Cet amendement accorda au Parlement fédéral un pouvoir législatif nouveau qui fut détaché de la compétence générale des provinces sur la propriété et les droits civils, comme l’a constaté la juge Deschamps :
C’est dire que, lors de la modification constitutionnelle, on a détaché une partie du champ de la compétence sur la propriété et les droits civils pour conférer au Parlement les aspects liés à l’assurance-chômage.
(Renvoi, par. 37)
[27] Le Renvoi a alors réglé une première question, celle du caractère immuable de cette nouvelle compétence fédérale. En effet, un argument soulevé à l’occasion du Renvoi voulait que le contenu de cette compétence corresponde à celui de la Loi de 1940 sur l’assurance-chômage, S.C. 1940, ch. 44, première annexe, partie II (« Loi de 1940 »). Selon ce moyen, cette loi reprenait, en effet, la substance de la loi de 1935 que le Conseil privé avait invalidée et dont la remise en vigueur était recherchée par l’amendement constitutionnel. Il aurait donc fallu rechercher dans cette loi les paramètres de l’application du par. 91(2A). Notre Cour a rejeté cet argument et a conclu que la Loi de 1940 ne constituait qu’une forme de l’exercice du nouveau pouvoir, mais qu’elle n’en déterminait pas le contenu :
La question porte donc non sur la façon dont le Parlement a exercé initialement sa compétence mais sur l’étendue de la compétence en matière d’assurance-chômage.
(Renvoi, par. 39)
[28] Pour déterminer le contenu du pouvoir transféré au Parlement, notre Cour a examiné les circonstances du transfert et ses objectifs. À partir, en particulier, des échanges entre le gouvernement fédéral et les provinces avant l’amendement constitutionnel, notre Cour a noté que la Loi de 1940 visait non seulement à remédier à l’indigence causée par le chômage, mais aussi à mettre fin à celui-ci en organisant des mécanismes de retour au travail, notamment par la création d’un système national de placement (Renvoi, par. 42). La juge Deschamps a défini en ces termes les objectifs du transfert de compétence :
Dans son essence, la compétence recherchée visait à doter le Canada des outils nécessaires pour pallier les effets du chômage anticipé en fournissant des prestations à certaines catégories de chômeurs et en organisant des centres de recherche d’emploi. Le transfert de compétence se voulait un outil d’organisation interne, faisant appel à des mesures de secours à court terme, soit les prestations, et des mesures à moyen terme, soit le placement des chômeurs.
(Renvoi, par. 43)
[29] Le paragraphe 91(2A) a pris place dans la Constitution canadienne dans ce contexte. Il doit être néanmoins interprété comme les autres dispositions relatives au partage des pouvoirs entre le Parlement et les législatures provinciales. Il faut rechercher les éléments essentiels de ce pouvoir et déterminer si les mesures adoptées « s’insère[nt] dans son évolution naturelle » (Renvoi, par. 44).
[30] Dans cette analyse du contenu des pouvoirs législatifs, l’évolution des modalités de leur exercice et l’interaction des compétences accordées aux deux niveaux de gouvernement posent souvent des problèmes délicats. Les solutions qui doivent se dégager dans la mise en œuvre des pouvoirs évoluent pour faire face à des problèmes nouveaux. Cependant, l’évolution de la société ne peut servir de prétexte à la dénaturation du partage des pouvoirs qui représente un élément fondamental du système fédéral canadien. Une interprétation généreuse de la compétence en cause s’impose, mais dans le respect de son contexte juridique, en prenant en compte les éléments historiques pertinents (Renvoi, par. 45-46; H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (5e éd. 2008), p. 201-202).
[31] Ainsi, selon la décision de notre Cour dans le Renvoi, la compétence fédérale sur l’assurance-chômage doit être interprétée généreusement. Ses objectifs consistent à porter remède à la pauvreté causée par le chômage et à sauvegarder le rattachement entre les chômeurs et le marché du travail. Sur cette base, notre Cour a dégagé quatre caractéristiques des régimes d’assurance-chômage visés par le par. 91(2A) :
Ayant à l’esprit ces principes et objectifs, il est possible de dégager les quatre caractéristiques essentielles suivantes d’un régime public d’assurance-chômage :
(1) Il s’agit d’un programme public d’assurance fondé sur la notion de risque social
(2) visant à préserver la sécurité économique des travailleurs et le rattachement au marché du travail
(3) par le versement d’indemnités temporaires de remplacement du revenu
(4) en cas d’interruption d’emploi.
(Renvoi, par. 48)
[32] Par ailleurs, afin de déterminer si les mesures contestées se situent dans le cadre de la compétence législative, il faut recourir à l’application des doctrines constitutionnelles qui gouvernent le partage des pouvoirs. En effet, les interactions entre les compétences législatives deviennent souvent complexes. Les mêmes problèmes peuvent présenter des aspects divers susceptibles de mettre en jeu des pouvoirs distincts attribués aux deux ordres de gouvernement (Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22, par. 23-24; Renvoi, par. 8).
[33] Il importe en premier lieu de rechercher la véritable nature de la législation en cause (Banque canadienne de l’Ouest, par. 25; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31). Le caractère véritable de la loi doit être déterminé sous deux volets, le but visé et son effet juridique. Cette analyse impose la recherche de l’objectif réel de la législation (Banque canadienne de l’Ouest, par. 27; Renvoi, par. 8).
[34] Il s’agit donc maintenant d’examiner si les mesures relatives au placement, à la formation et à l’emploi, que contestent les appelants, se situent à l’intérieur des pouvoirs dévolus au Parlement fédéral. Cette analyse retiendra le double objectif de l’attribution de ces pouvoirs : atténuer les conséquences économiques du chômage et préserver les liens avec le marché du travail.
E. Les mesures législatives attaquées
[35] Les mesures législatives en cause dans ces appels sont apparues au cours de l’évolution du régime fédéral d’assurance-chômage. Cette évolution a touché au financement du régime, que j’examinerai plus loin, et à la nature des programmes qu’il comporte. Le titre même de la loi, qui est maintenant connue sous le nom de « Loi sur l’assurance-emploi », souligne cette évolution. Le nouveau titre témoigne, en effet, de la volonté législative d’assurer l’emploi et l’employabilité au-delà de l’indemnisation de la perte de revenu que provoque le chômage. Désormais, on ne parle plus d’assurance-chômage, comme en 1940 lors de l’adoption de l’amendement constitutionnel, mais d’assurance-emploi.
[36] Le programme de placement fait partie du régime depuis ses débuts, sous une forme ou une autre. Les appelants reconnaissent aussi que des mesures de participation à des programmes de formation remontent aux origines du régime d’assurance-emploi. Ainsi, l’article 31 de la Loi de 1940 disposait qu’un chômeur restait considéré comme disponible au travail et donc admissible aux prestations lorsqu’il suivait un programme de formation approuvé. L’article 39 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, prévoyait également la prolongation des périodes de prestations en cas d’engagement dans un programme de formation. Les programmes de travail partagé et de création d’emplois apparaissent en 1977 dans la Loi régissant l’emploi et l’immigration, S.C. 1977, ch. 54.
[37] Selon la CSN, les cotisations ne finançaient pas alors ces mesures additionnelles. Leur financement provenait plutôt des contributions du gouvernement du Canada au Compte (m.a., par. 146). La CSN souligne que le régime d’assurance-emploi finance lui-même ces programmes depuis 1990.
[38] À son tour, la loi de 1996 a introduit cinq types de prestations d’emploi, comme je l’ai mentionné plus haut (Loi sur l’assurance-emploi, art. 59). Ces prestations sont les subventions salariales, les suppléments de rémunération, l’aide au travail indépendant, les partenariats pour la création d’emplois et les prêts ou subventions de perfectionnement. Le financement de ces prestations est assumé par le régime d’assurance-emploi et se trouve donc à la charge des cotisants. Ces prestations sont versées dans le cadre d’un nombre important de programmes, 39, selon la CSN (m.a., par. 153).
F. La validité constitutionnelle des mesures législatives
[39] La validité de l’ensemble des mesures législatives contestées par les appelants dépend de la conception que l’on se fait du pouvoir législatif fédéral sur l’assurance-chômage. Comme je l’ai souligné plus haut, la position défendue par les appelants oublie l’un des objectifs fondamentaux de la création du régime d’assurance-emploi, soit la préservation d’un lien avec le marché du travail. Cet objectif était présent dès l’origine du régime, comme l’a affirmé notre Cour dans le Renvoi. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’invoquer le pouvoir fédéral de dépenser pour valider certaines des mesures en litige. En effet, elles demeurent suffisamment liées aux objectifs fondamentaux du régime et intégrées dans celui-ci.
[40] La Cour supérieure et la Cour d’appel ont examiné le contenu des prestations et bénéfices en cause, sans devoir toutefois se pencher sur le détail de tous les programmes qui encadrent leur versement. Selon l’article 58 de la Loi sur l’assurance-emploi, ces prestations sont versées à des « participant[s] ». L’article 58 assimile deux catégories de chômeurs à des participants admissibles à ces prestations. La première comprend les chômeurs qui ont reçu des prestations de chômage au cours des 36 mois précédents. La seconde inclut les chômeurs dont la période de prestation a été établie, au cours des 60 mois précédents et qui ont reçu au cours de cette période des prestations spéciales de grossesse ou de congé parental, ont quitté le marché du travail pour prendre soin de leurs nouveau-nés ou d’enfants placés chez eux pour adoption et veulent réintégrer le marché du travail :
58. (1) Dans la présente partie, « participant » désigne l’assuré qui demande de l’aide dans le cadre d’une prestation d’emploi et qui, à la date de la demande, est un chômeur à l’égard de qui, selon le cas :
a) une période de prestations a été établie ou a pris fin au cours des trente-six derniers mois;
b) une période de prestations a été établie au cours des soixante derniers mois et qui :
(i) a bénéficié de prestations spéciales, au titre de l’article 22 ou 23, au cours de la période de prestations,
(ii) a subséquemment quitté le marché du travail pour prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption,
(iii) tente de réintégrer le marché du travail.
[41] Les participants sont ainsi admissibles sans être prestataires. Ils doivent cependant avoir été des assurés, c’est-à-dire avoir occupé des emplois assurables, et avoir eu droit à des prestations au cours de la période antérieure prévue par l’art. 58. Ils se trouvent ainsi liés au système. Le juge en chef Robert souligne à juste titre que « [l]es prestations d’emploi [. . .] constituent une forme nouvelle d’incitation à l’emploi [. . . non] pas des indemnités temporaires de remplacement du revenu » (par. 75). L’État cherche ainsi à augmenter les investissements directs dans l’amélioration de l’employabilité des travailleurs exposés au chômage (par. 76). L’opinion du juge en chef Robert explique ensuite la nature de ces prestations d’emploi :
L’investissement direct dont il est question prend la forme de cinq mesures prévues à l’article 59 de la Loi sur l’assurance-emploi.
La première de ces mesures est la subvention salariale. Un prestataire peut demander qu’une subvention salariale soit accordée à un employeur qui lui offre un emploi appelé à devenir un emploi à long terme ou qui mènera à un emploi chez un autre employeur. La mesure s’adresse plus précisément aux personnes désavantagées sur le plan de l’emploi, qui ont besoin de temps pour atteindre leur pleine productivité ou qui ont besoin d’acquérir de l’expérience de travail. Cette mesure peut, occasionnellement, permettre aux employeurs de créer un emploi qui, autrement, n’existerait pas.
La seconde prestation d’emploi est le supplément de rémunération. Les suppléments visent à augmenter de façon temporaire le revenu de personnes qui auraient autrement de la difficulté à accepter un emploi moins bien rémunéré que leur emploi précédent. Ils permettent aux prestataires d’abandonner l’assurance-emploi pour retourner sur le marché du travail avant l’expiration de leurs prestations de revenu.
L’aide au travail indépendant constitue la troisième forme de prestation d’emploi. Il s’agit d’un programme qui permet aux participants de lancer une entreprise et qui les aide à acquérir auprès de fournisseurs de services les compétences nécessaires pour favoriser la viabilité de leur projet. Cette aide prend plusieurs formes, telles que des services-conseils et une aide pour l’élaboration d’un plan d’affaires. Les participants continuent de recevoir des prestations pendant qu’ils mettent sur pied leur entreprise.
La quatrième mesure, les partenariats pour la création d’emplois, permet de créer des emplois durables dans les endroits où le taux de chômage est élevé et les emplois rares. Les partenariats peuvent être conclus avec le secteur privé, les provinces, les collectivités locales et des organismes communautaires pour offrir des emplois compatibles avec les plans et priorités de développement économique des provinces et des communautés. Ils semblent se rapprocher des anciennes mesures de création d’emploi.
La cinquième et dernière mesure est un système de prêts et subventions de perfectionnement. Ce financement permet aux participants de fréquenter un établissement en vue d’acquérir les connaissances spécialisées dont ils ont besoin pour se trouver un emploi. Dans un document explicatif, Développement des ressources humaines Canada précise que, puisque la formation des travailleurs est une responsabilité qui relève des provinces, ces prestations ne seront offertes qu’avec l’accord du gouvernement provincial. [par. 77-82]
[42] Avant d’examiner ces prestations, il importe de rappeler que le placement constituait l’un des objectifs de la mise sur pied de l’assurance-emploi. Par ailleurs, l’obtention d’une formation additionnelle est parfois liée à la réception des prestations. De plus, le partage du travail restreint l’impact du chômage et protège l’insertion dans le marché du travail. Ces initiatives se situent à l’intérieur de la compétence législative confiée au Parlement fédéral. Régir la matière de l’assurance-chômage ne signifie pas seulement acquérir la responsabilité passive du versement d’indemnités durant les périodes d’inactivité de la main-d’œuvre canadienne. Cela veut dire aussi assumer un rôle plus actif, orienté vers la conservation ou le rétablissement d’un lien entre le chômeur actuel ou potentiel et le marché du travail. Cette compétence fédérale ne permettrait certes pas au Parlement fédéral de créer des systèmes parallèles d’éducation en dépit des liens entre le travail et la formation et bien d’autres aspects de la vie sociale. Ce pouvoir ne peut être interprété abstraitement, sans considération du contexte constitutionnel fédéral. Son exercice doit respecter le cadre général du partage des pouvoirs. Cela dit, il peut légitimement être exercé dans toute son ampleur, en tenant compte du contexte, notamment des problèmes que créent les changements dans le marché du travail et l’accroissement du chômage structurel. Le marché du travail a évolué depuis 1940. L’exercice du pouvoir fédéral prévu au par. 91(2A) peut le refléter. Il n’écarte pas pour autant les compétences provinciales sur l’éducation ou la formation de la main-d’œuvre qui toucheront à d’autres aspects de ces problèmes de fonctionnement du marché du travail.
[43] Les prestations d’emploi illustrent cette évolution. Initiatives nouvelles, elles se rattachent toutefois à l’objectif de maintien du rattachement au marché du travail. En effet, toutes ces mesures visent à consolider les liens avec le marché du travail ou à préparer un retour à celui-ci.
[44] Ainsi, le partenariat pour la création d’emplois pallie certaines des conséquences de la faiblesse du marché du travail dans des régions défavorisées économiquement. Il consolide le marché du travail dans ces régions et atténue ainsi le chômage.
[45] Les suppléments de rémunération ont aussi un effet direct sur les liens avec le marché du travail. Ils augmentent de manière temporaire les revenus de travailleurs qui autrement hésiteraient davantage à accepter des emplois moins bien rémunérés. Cette mesure permet d’accélérer un retour effectif sur le marché du travail, avant l’expiration des périodes de prestations.
[46] L’aide au travail indépendant correspond elle aussi à la réalisation du maintien des liens avec le marché du travail. En effet, ces prestations versées dans le cadre de programmes variés permettent de préparer et de consolider le retour au travail. Le versement de prestations facilite alors l’organisation d’une entreprise et aide ainsi le participant à réintégrer le marché du travail.
[47] La subvention salariale versée aux employeurs correspond au même objectif. Elle favorise particulièrement l’insertion dans le marché du travail de personnes désavantagées qui cherchent à améliorer leur productivité ou à acquérir de l’expérience de travail. À cet égard, l’arrêt YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown, [1989] 1 R.C.S. 1532, ne règle pas définitivement le problème de la validité de cette prestation. Notre Cour n’a pas eu alors à explorer l’ensemble de la compétence fédérale sur l’assurance-chômage. Le cadre général de celle-ci a été précisé par la suite dans le Renvoi qui a insisté sur la pertinence et l’importance de l’objectif de rattachement au marché du travail. Dans cette optique, la subvention salariale demeure suffisamment intégrée dans l’ensemble du régime d’assurance-emploi. Elle contribue à établir ou à préserver l’employabilité de travailleurs qui pourraient autrement être condamnés à l’inactivité.
[48] Les prêts et subventions de perfectionnement permettent à des participants d’acquérir des connaissances spécialisées, dans le but de faciliter leur recherche d’emploi. La participation à des programmes de formation se rattache d’ailleurs aux activités du régime d’assurance-emploi depuis ses débuts. Cette mesure est tout simplement ciblée de manière différente et vise un bassin de participants plus large que les prestataires courants du régime. Elle ne perd pas pour autant son rattachement à la compétence fédérale. De plus, celle-ci est exercée d’une manière qui respecte les compétences provinciales dans le secteur de l’éducation. L’application des programmes relatifs à ces prestations dépend en effet de l’accord des provinces selon le par. 61(2) de la Loi sur l’assurance-emploi.
[49] L’évolution de la législation sur l’assurance-emploi reflète les changements dans l’économie et le marché du travail. Elle s’insère dans l’« évolution naturelle » de la compétence dévolue au Parlement du Canada. Elle demeure ainsi fidèle aux règles gouvernant le partage des pouvoirs législatifs entre les deux ordres de gouvernement. En conséquence, il ne sera pas nécessaire d’examiner le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral et son application à l’égard des mesures que j’ai examinées précédemment. Cette conclusion ne règle toutefois pas le sort des appels. Il faut en effet en étudier le second volet, soit le financement du régime, les surplus engendrés par les réformes et l’affectation de ces surplus.
G. La portée de la contestation constitutionnelle des appelants
[50] Le second volet des pourvois porte sur le financement du régime d’assurance-emploi depuis l’adoption de la Loi sur l’assurance-emploi en 1996. Il comprend un débat sur l’existence et l’utilisation des surplus que le mode de financement adopté en 1996 a engendrés ou, en termes plus forts, dans le vocabulaire utilisé par les appelants, sur l’appropriation ou le détournement de ces surplus par le gouvernement fédéral.
[51] L’argumentation des appelants soulève des questions relatives à la nature d’une taxe, dans le cadre de l’exercice du pouvoir de taxation du Parlement du Canada, et à sa distinction avec les charges ou impositions réglementaires. La contestation constitutionnelle met d’abord en jeu la validité des art. 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l’assurance-emploi dans la forme où le Parlement les a adoptés depuis 1996.
[52] Il importe alors de circonscrire l’objet réel de la contestation constitutionnelle. Le financement du régime par l’imposition de cotisations aux employeurs et aux employés n’a rien d’inconstitutionnel. Ce fut d’ailleurs le mécanisme privilégié par le Parlement depuis l’entrée en vigueur du régime d’assurance-emploi en 1940, comme l’a rappelé le juge Gascon en Cour supérieure (par. 202). Cependant, rien n’aurait interdit au Parlement du Canada d’établir un mécanisme de financement différent, en recourant à son pouvoir général de taxation en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. En effet, le nouveau pouvoir législatif attribué au Parlement en 1940 s’inscrivait dans un cadre constitutionnel qui ne restreignait pas sa compétence législative quant aux activités relevant du gouvernement fédéral. Le Parlement aurait pu décider de financer le nouveau régime avec les impôts prélevés par le gouvernement fédéral. D’ailleurs, on sait que, pendant plusieurs années, les déficits du régime d’assurance-emploi ont été épongés de cette manière.
[53] À mon avis, il faut déterminer si le mode de financement choisi était valide, soit comme prélèvement réglementaire, soit comme taxe imposée en vertu du pouvoir général de taxation suivant le par. 91(3). Enfin, il faudra se pencher sur la création des surplus du régime, sur leur utilisation et sur leur sort éventuel.
H. L’évolution du système de financement
[54] Les changements dans les méthodes de financement de l’assurance-emploi faisaient partie d’un ensemble de réformes du régime. Le Parlement avait révisé la nature des bénéfices accordés et les conditions d’admissibilité à ceux-ci. Comme je l’ai mentionné plus haut, le Parlement avait aussi voulu modifier en partie l’orientation du régime, en favorisant un engagement plus intense dans la préservation du lien entre les employés et le marché du travail.
[55] À l’origine, selon l’art. 17 de la Loi de 1940, les taux de contribution étaient établis sur la base de la deuxième annexe de la loi. En 1955, la Loi sur l’assurance-chômage établissait une table fixe des taux de contribution (S.C. 1955, ch. 50, art. 37). La loi de 1971 adoptait un mécanisme différent. Elle confiait à la Commission d’assurance-chômage le soin de fixer les taux de cotisation, avec l’accord du cabinet fédéral (art. 62). L’article 63 de cette loi disposait que les cotisations devaient être établies pour couvrir le coût de base réajusté des prestations. Ce coût de base était déterminé en fonction de l’expérience des trois années consécutives antérieures désignées, avec les ajustements nécessaires selon l’état des surplus ou des déficits accumulés. Cette méthode s’appliqua jusqu’en 1996, sauf pendant quelques années où la loi elle-même fixa le taux des cotisations (le juge Gascon, par. 207).
[56] Selon le juge Gascon, la méthode de financement appliquée depuis 1971 n’avait pas donné satisfaction. Les récessions économiques entraînaient des augmentations de prestations qui accroissaient les déficits de l’assurance-chômage. Comme résultat, la Commission devait relever les taux de cotisation pour renflouer le régime à des moments où la situation économique suggérait plutôt l’opportunité d’une diminution des contributions (le juge Gascon, par. 208-209).
[57] En conséquence, l’adoption de l’art. 66 de la Loi sur l’assurance-emploi en 1996 entendait corriger cette situation. La nouvelle loi établissait un régime que ses auteurs croyaient plus apte à respecter l’évolution et les contraintes des cycles économiques. Le gouvernement entendait éviter les distorsions que provoquait l’application du système antérieur, basé sur l’évaluation, à chaque année, de l’expérience des trois années antérieures désignées.
[58] Avant l’application de la nouvelle méthode, le Parlement fixa les cotisations à 3 p. 100 de la rémunération assurable pour les années 1995 et 1996 (Loi d’exécution du budget 1994, L.C. 1994, ch. 18, art. 26). Une disposition transitoire de la Loi sur l’assurance-emploi maintint ce taux pour l’année 1996 (deuxième annexe, art. 12).
[59] L’application du nouveau système de cotisation commença en 1997. La loi demanda alors à la Commission de l’assurance-emploi de rechercher une stabilisation relative des cotisations au cours d’un cycle économique, tout en constituant une réserve adéquate. La loi confia à la Commission le mandat de fixer annuellement les cotisations, dans le cadre de ces objectifs, avec l’accord du gouverneur général en conseil, sur recommandation du ministre des Finances. À ces fins, l’art. 66 disposait :
Pour chaque année, la Commission fixe, avec l’agrément du gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances, le taux de cotisation qui, à son avis, permet le mieux, au cours d’un cycle économique, d’assurer un apport de revenus suffisant pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d’assurance-emploi et maintenir une certaine stabilité des taux.
[60] Pour les années 2002 et 2003, le système de cotisation changea de nouveau. Devant les problèmes causés par la croissance des surplus de l’assurance-emploi, le Parlement confia au gouverneur général en conseil la fixation du taux de cotisation applicable. Le cadre de l’art. 66 ne s’appliquait plus. La loi ne comptait plus de critère encadrant et orientant l’établissement des taux :
66.1 Par dérogation à l’article 66, le taux de cotisation pour l’année 2002 et celui pour l’année 2003 sont fixés par le gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances.
(Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (pêche), L.C. 2001, ch. 5, art. 9)
[61] Pour l’année 2004, le Parlement fixa le taux de contribution dans la loi elle-même (Loi d’exécution du budget de 2003, L.C. 2003, ch. 15, art. 21). Pour 2005, le Parlement revint à la fixation des taux par le gouverneur général en conseil en ajoutant l’art. 66.3 à la Loi sur l’assurance-emploi (Loi d’exécution du budget de 2004, L.C. 2004, ch. 22, art. 25).
[62] Durant les années suivantes, d’autres modifications sont intervenues. Je ne les commenterai pas parce qu’elles ne sont pas directement visées par le présent débat judiciaire.
I. Les surplus
[63] Les modifications législatives de la méthode de fixation des cotisations préparent et rythment l’évolution du problème de surplus du Compte. L’accroissement massif de ces surplus se réalise toutefois au cours d’une période de quelques années seulement. En six ou sept ans, les déficits sont résorbés et des surplus de plus de 40 milliards de dollars se constituent. J’examinerai maintenant les origines et les étapes de leur création.
[64] Pour comprendre l’évolution du problème des surplus, un retour aux origines du régime sera utile. Lors de son entrée en vigueur, un fonds ou une caisse d’assurance-chômage avait été établi. En 1971, on substitua le Compte à cette caisse. Le budget de l’État absorba alors les déficits du Compte causés par les fluctuations de l’activité économique et des prestations versées aux chômeurs. En 1986, sur la recommandation du vérificateur général du Canada, le Compte fut consolidé avec l’ensemble des recettes gouvernementales. En 1990, l’État cessa de financer le Compte avec ses recettes générales.
[65] Pendant toute cette période, les cotisations, qui étaient juridiquement des créances dues à la Couronne, étaient versées au Trésor au crédit du Compte. Par la suite, le Trésor versait les sommes requises pour la gestion du régime, le paiement des prestations et les coûts des programmes autorisés, puis débitait d’autant le Compte.
[66] Il est clair que, vers 1995, le gouvernement de l’époque avait pris une décision politique ferme de mettre fin aux déficits de l’assurance-emploi, de stabiliser les fluctuations des cotisations et de consolider le régime, en créant une réserve adéquate. Les modifications législatives que j’ai résumées plus haut ont mis à effet cette décision. Leur impact sur l’état du Compte fut rapide et frappant. En 1996, déjà, son surplus atteignait cinq ou six milliards de dollars. Les taux de cotisation diminuèrent graduellement. Néanmoins, en 1998, les surplus s’élevaient à environ 20 milliards de dollars. Ce montant correspondait au maximum des réserves recommandées par l’actuaire en chef du Canada (m.a. C.S.N., p. 35, note 116). À partir de 2001, la croissance des surplus, qui dépassent alors 40 milliards, ralentit ou même plafonne. La fixation des taux de cotisation semble rechercher un équilibre relatif entre les entrées et les dépenses courantes du régime.
J. La légalité constitutionnelle du mécanisme de fixation des cotisations
[67] Les appelants, appuyés sur ce point par un intervenant, le Congrès du travail du Canada, plaident qu’aucune disposition de la Constitution n’autorisait les méthodes de cotisation qui ont permis la création des surplus du Compte et leur utilisation par le gouvernement du Canada. En l’espèce, selon les prétentions des appelants, le gouvernement fédéral aurait opéré un véritable détournement des fonds de l’assurance-emploi. En bref, les appelants soutiennent que les cotisations ont été détournées de leurs fins, pour être affectées aux dépenses courantes de l’État, à la réduction du déficit et au rétablissement de l’équilibre des finances publiques. Selon eux, elles auraient aussi été employées au financement de programmes d’emploi et de développement économique étrangers à la compétence fédérale sur l’assurance-chômage, plutôt qu’à l’indemnisation des périodes de chômage elles-mêmes.
[68] Je ne reviendrai pas longuement sur ce dernier argument que j’ai rejeté plus haut. À mon avis, les mesures contestées, notamment les prestations d’emploi, demeurent comprises dans la compétence législative fédérale. Les dépenses qu’entraînaient ces mesures pouvaient être financées par les cotisations. Sous cette réserve, demeure toutefois le problème de l’affectation des contributions et des surplus aux dépenses générales de l’État.
[69] J’écarte dès le départ un argument de fait défendu par les appelants selon lequel le gouvernement en fonction au cours de la période postérieure à l’adoption de la Loi sur l’assurance-emploi aurait planifié ces surplus et leur détournement. La question a fait l’objet d’une longue preuve devant la Cour supérieure. L’argumentation des parties a consacré beaucoup d’attention à la discussion de ce moyen. Cependant, ni la Cour supérieure, ni la Cour d’appel ne l’ont retenu, et aucune erreur d’appréciation des faits justifiant l’intervention de notre Cour sur ce point n’a été établie.
[70] Le problème des surplus du Compte semble plutôt s’être développé graduellement, mais rapidement. Finalement, l’adoption en 2001 des dispositions transitoires permettant au gouverneur général en conseil de fixer directement les cotisations pour 2002 et 2003 confirme que l’on reconnaît l’importance des surplus, leur rôle dans le rétablissement de l’équilibre financier des activités de l’État fédéral et la complexité du règlement des difficultés qu’ils présentent. Le gouvernement considère ces surplus comme un élément des recettes publiques et voit mal comment on pourrait les retourner aux cotisants. Cependant, on ne peut s’arrêter à la discussion de l’opportunité de cette approche politique. Il faut plutôt examiner la nature juridique des cotisations depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’assurance-emploi en 1996.
[71] Le gouvernement pouvait financer le régime soit à l’aide de cotisations, soit à l’aide des impôts, en optant entre une imposition spécialisée et le recours à l’impôt général (P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives (2e éd. 2002), p. 607-609 et 617-618). Le procureur général du Canada plaide d’abord que les cotisations représentent des charges réglementaires, autrement dit une forme d’imposition spécialisée rattachée à un programme gouvernemental. Subsidiairement, il soutient qu’elles pourraient être considérées comme des taxes au sens du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867 et qu’elles auraient été imposées conformément à la Constitution.
[72] Cette question de la validité de l’imposition de charges réglementaires s’est posée à diverses reprises devant notre Cour. La jurisprudence reconnaît la possibilité d’utiliser la technique de la redevance réglementaire pour financer la mise en œuvre de programmes gouvernementaux. La jurisprudence a développé des critères d’identification de ces prélèvements spécialisés. L’identification de ces prélèvements s’effectue en deux étapes. D’abord, il faut établir l’existence d’un régime réglementaire. Ainsi, selon la méthode d’analyse adoptée dans l’arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, il faut retrouver (1) un code de réglementation complet et détaillé, (2) un objectif de réglementation qui cherche à influencer un comportement, (3) l’existence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation et (4) un rapport entre celle-ci et la personne qui en bénéficie ou qui l’a rendue nécessaire (par. 44). Le juge Rothstein a repris récemment ces critères, en rappelant toutefois que leur liste n’avait pas un caractère exhaustif, dans l’arrêt 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2008] 1 R.C.S. 132, 2008 CSC 7, par. 25-26. Ensuite, si le tribunal conclut à l’existence d’un régime réglementaire, il doit décider s’il existe un lien entre ce régime et la redevance. (Connaught, p. 27). La perception des revenus doit demeurer liée à la réglementation ou posséder, en elle-même, un objectif de réglementation destiné à influencer le comportement des personnes touchées (Westbank, par. 44). Comme le note l’arrêt Connaught, l’accumulation de surplus excessifs peut devenir un indice que le prélèvement constitue une taxe et non une redevance réglementaire (par. 40). Cependant, ce critère demeure souple et la qualification d’un prélèvement comme charge réglementaire ne dépend pas principalement de l’absence de surplus ni de leur montant (Connaught, par. 40). Elle relève primordialement de l’affectation des prélèvements ou d’une partie substantielle de ceux-ci à l’activité réglementée.
[73] Un lien suffisant s’est maintenu entre les cotisations de l’assurance-emploi et le régime réglementaire malgré l’existence de surplus importants tant que l’art. 66 de la Loi sur l’assurance-emploi s’est appliqué. L’article 66 contenait des principes qui encadraient l’exercice du pouvoir de fixation des cotisations délégué à la Commission : lien avec le cycle économique, stabilisation des cotisations, constitution de réserves.
66. Pour chaque année, la Commission fixe, avec l’agrément du gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances, le taux de cotisation qui, à son avis, permet le mieux, au cours d’un cycle économique, d’assurer un apport de revenus suffisant pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d’assurance-emploi et maintenir une certaine stabilité des taux.
Ces principes maintenaient une politique d’affectation et d’équilibre des impositions qui préservait leur qualification constitutionnelle de prélèvements réglementaires. Je n’ai pas à décider ici si les critères pertinents à l’exercice du pouvoir réglementaire de la Commission de l’assurance-emploi ont été bien appliqués. Ce volet du débat met plutôt en jeu des principes de droit administratif. À ce titre, il est fort douteux qu’il ait relevé de la Cour supérieure comme l’a rappelé le juge Gascon, qui a de plus souligné que ce volet de la contestation avait été abandonné devant lui.
[74] Pendant cette période, de 1996 à 2001, les contributions perçues ont été versées au Trésor, conformément à la loi. Les crédits et débits requis pour les opérations du régime ont été passés au Compte. Il est clair toutefois que ce Compte n’est pas un fonds fiduciaire ou un patrimoine d’affectation, comme dans le cas de l’actif d’un fonds de retraite. Il représente une partie de la comptabilité publique du Canada et les cotisations, une portion des recettes publiques de l’État. À ce titre, l’usage fait par le gouvernement ne représente pas un détournement des fonds de l’assurance-emploi. Les fonds ont été employés comme toute autre partie des recettes du Trésor et la comptabilité appropriée a été tenue.
[75] Cette conclusion ne règle cependant pas la question des effets juridiques de la situation créée par les modifications de 2001 et de 2004 à la Loi sur l’assurance-emploi qui ont délégué au gouverneur général en conseil le pouvoir de fixer les cotisations, sans laisser en place l’encadrement juridique de son exercice. À mon avis, ces modifications ont eu des conséquences importantes sur la validité de ces prélèvements, dans le contexte où elles sont survenues, c’est-à-dire à une époque où les représentants du gouvernement ne pouvaient que constater que, de fait, les recettes de l’assurance-emploi dépassaient largement les besoins du régime et n’avaient plus de lien effectif avec celui-ci. Ces faits confirment la disparition du lien entre le prélèvement et le régime réglementaire et la transformation des cotisations en une sorte de taxe sur les listes de paie.
[76] Dès 1999, le ministre des Finances alors en fonction considérait fermement les cotisations comme une part des recettes générales de l’État (Débats de la Chambre des communes, vol. 136, 2e sess., 36e lég., questions orales, 1er novembre 1999). Il réaffirmait cette position en 2001 (vol. 137, 1re sess., 37e lég., questions orales, 2 mars 2001). Un rapport du comité permanent des finances de la Chambre des communes recommandait une façon de fixer les cotisations pour l’avenir, mais ne se montrait pas favorable à un retour sur le passé. Tous les indices que l’on peut tirer des débats ou des documents parlementaires confirment que le gouvernement et le Parlement ne semblaient pas disposés à réduire les cotisations au point d’établir un lien entre celles-ci et les prestations du régime. La loi de 2001, applicable en 2002 et 2003, a alors modifié la situation juridique des cotisations. Le texte de loi, je le rappelle, a délégué au gouverneur général en conseil un pouvoir discrétionnaire de fixation des cotisations. Ce pouvoir paraît certes avoir été exercé de manière à ce que les surplus du Compte se stabilisent graduellement. Cet état de fait n’élimine pas le problème juridique que posent les modifications de 2001 et 2004.
[77] La méthode législative utilisée ne permet plus de traiter le système de cotisation comme un prélèvement réglementaire. Comme on l’a vu plus haut, l’article 66.1 est devenu muet sur le lien entre les cotisations et les prestations.
[78] L’article 66.3, applicable pour l’année 2005, comporte une rédaction identique. Les articles 66.1 et 66.3 écartent ainsi l’application de l’article 66. Comme on l’a vu, cette disposition imposait des normes pour l’exercice du pouvoir réglementaire de la Commission, comme pour la préparation des avis du ministre et du ministre des Finances. Il demandait à la Commission de fixer un niveau de cotisation de nature à créer une certaine stabilité des taux, tout en assurant la perception de recettes suffisantes pour couvrir les dépenses autorisées du régime d’assurance-emploi. Cette rédaction offrait un cadre capable, le cas échéant, de maintenir un lien entre le programme de l’assurance-emploi, ses dépenses et ses recettes. Il permettait de conserver aux cotisations leur caractère de prélèvement réglementaire, au sens des arrêts Westbank et Connaught. La dérogation à l’art. 66 par l’adoption, en 2001 et 2004, des art. 66.1 et 66.3 a modifié radicalement cette situation juridique. Tout lien juridique entre la mesure des recettes et celle des dépenses a disparu. La perception des cotisations a cessé d’être liée au régime et à ses besoins, contrairement à ce qu’exige l’arrêt Westbank (par. 44). Le système de cotisation a perdu son lien juridique avec le régime réglementaire.
[79] Ainsi, à la suite de ces modifications législatives, on ne se trouve plus devant une redevance réglementaire au sens des arrêts Westbank et Connaught. La contribution est devenue une imposition sur les listes de paie et les salaires. Elle est transformée en une taxe. Si tel est le cas, le procureur général du Canada plaide alors que cette taxe a été imposée validement en vertu du pouvoir général de taxation accordé au Parlement par la Loi constitutionnelle de 1867.
[80] L’ampleur du pouvoir de taxation dévolu au Parlement est admise. Il peut taxer par tous moyens. Cependant, si l’imposition est une taxe, encore faut-il qu’elle ait été imposée conformément à la Constitution. L’article 53 de cette dernière pose alors problème.
K. La violation de l’art. 53
[81] La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que le Parlement seul a le pouvoir d’imposer une taxe et que la loi doit originer dans la Chambre des communes :
53. Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.
[82] Notre Cour a confirmé que l’art. 53 reflète le principe ancien, mais fondamental dans notre régime démocratique, qu’il ne doit y avoir aucune taxation sans représentation dans Westbank, par. 19, et Connaught, par. 4. Ce principe signifie aussi qu’une taxe peut seulement être imposée par le Parlement ou par un délégué du Parlement y ayant été clairement autorisé (J. E. Magnet, Constitutional Law of Canada (9th ed. 2007), vol. 1, Federalism / Aboriginal Peoples, p. 626).
[83] Dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198, la majorité de notre Cour a conclu que des contributions pour le financement d’un régime de mise en marché de produits agricoles n’étaient pas des taxes, mais des frais réglementaires. Pour cette raison, il n’était pas nécessaire de discuter de la délégation du pouvoir de taxation. Le juge Pigeon, pour la majorité, a toutefois formulé un obiter dictum sur la portée de l’art. 53 qui aurait réduit le rôle de cette disposition à celui d’une simple règle de procédure parlementaire interne.
On peut prétendre qu’en autorisant un organisme ou office à imposer des redevances ou droits et à en affecter les recettes, le Parlement fait indirectement ce qu’il ne peut faire directement, c’est‑à‑dire prélever une taxe et en affecter le produit autrement que par une loi adoptée par la Chambre des communes sur la recommandation du gouverneur général. À mon avis, cet argument ne peut être retenu pour deux motifs. Je partage l’opinion du Juge en chef selon laquelle les contributions de rajustement, comme les contributions aux frais, ne sont pas des taxes. En outre, les art. 53 et 54 ne sont pas des dispositions intangibles de la Constitution; ils tombent clairement dans les catégories de sujets que le Parlement du Canada est autorisé à modifier en vertu de l’art. 91(1). [p. 1290-1291]
[84] Cet obiter a été critiqué par le professeur Hogg, qui considérait cette disposition comme une véritable règle constitutionnelle. À son avis, la possibilité d’une modification législative ne saurait en justifier la violation (P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 14-6). Dans l’arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, par. 34, le juge Major a affirmé que « [l]’article 53 est un impératif constitutionnel » et que cet obiter ne lie pas la Cour.
[85] Dans Eurig, à la suite d’une analyse effectuée conformément aux principes de l’arrêt Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357, notre Cour a décidé que les sommes perçues en vue de la délivrance de lettres d’homologation constituaient le produit d’une taxe plutôt que des frais réglementaires (Eurig, par. 15 et suiv.). Sur le plan des principes, le juge Major, pour la majorité de la Cour, a statué que, bien qu’une taxe doive absolument découler de la volonté clairement exprimée du Parlement, cette règle n’interdit pas à ce dernier de déléguer le pouvoir de déterminer « le détail de la taxe » ainsi que son mécanisme d’application.
Mon interprétation de l’art. 53 n’a pas pour effet d’interdire au Parlement ou aux législatures de confier à des délégataires prévus par la loi — tel le lieutenant‑gouverneur en conseil — un certain pouvoir sur le détail de la taxe et son mécanisme d’application. ...
. . .
L’objet fondamental de l’art. 53 est de constitutionnaliser le principe qu’un pouvoir de taxation ne peut découler accessoirement d’une mesure législative subordonnée. Ainsi, cette disposition assure la compétence et la responsabilité des parlementaires à l’égard de la taxation. [Je souligne; par. 30 et 32.]
[86] Enfin, la décision la plus récente où cette Cour s’est penchée sur le problème de délégation du pouvoir de taxation que pose l’art. 53 est l’arrêt Ontario English Catholic Teachers’ Assn. c. Ontario (Procureur général), [2001] 1 R.C.S. 470, 2001 CSC 15. Je rappelle que l’une des questions posées dans cette affaire visait à déterminer si la loi provinciale autorisant le ministre des Finances à prescrire le taux des impôts scolaires était constitutionnelle.
[87] Le juge Iacobucci, pour une Cour unanime, a noté qu’une délégation du pouvoir de taxation est constitutionnelle dans la mesure où la loi prévoit cette délégation de manière explicite et non ambiguë.
La délégation du pouvoir de taxation est constitutionnelle si elle est faite dans un langage explicite et non ambigu. Le principe directeur est que seule la législature peut imposer une nouvelle taxe ab initio. Mais si la législature autorise expressément et clairement un organisme ou un particulier délégataire à imposer une taxe, les exigences du principe « aucune taxation sans représentation » sont remplies. Dans une telle situation, l’autorité délégataire ne sert pas à imposer une taxe complètement nouvelle, mais uniquement à imposer une taxe qui a déjà été approuvée par la législature. [Je souligne; par. 74.]
[88] D’après le professeur Hogg, on ne saurait facilement interpréter Ontario English Catholic Teachers’ Assn. comme portant sur la délégation de pouvoir sur le détail de la taxe et son mécanisme d’application (p. 14-8) car, d’après sa lecture, [traduction] « on n’a jamais renvoyé à ces mots ». Cependant, le juge Iacobucci renvoie expressément au passage pertinent de l’arrêt Eurig (par. 71 de Ontario English Catholic Teachers’ Assn.). La position prise par la Cour dans l’arrêt Eurig demeure ainsi valable. Elle interdit la délégation du pouvoir de taxation du Parlement ou des législatures sans une expression claire, dépourvue d’ambiguïté, de leur intention de déléguer ce pouvoir.
[89] La majorité de la Cour dans Eurig, à la différence des juges Gonthier et Bastarache qui étaient dissidents, n’acceptait pas qu’un pouvoir de taxation ait été validement délégué en l’espèce car le texte même de la loi n’établissait pas de manière claire que le lieutenant‑gouverneur en conseil détenait le pouvoir de « taxer ».
[L]es frais d’homologation ne sont pas exigés par la loi puisqu'ils n’ont pas été autorisés par l’art. 5 de la Loi sur l’administration de la justice, qui est rédigé ainsi :
5 Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement :
a) exiger le paiement d’honoraires pour tout acte qu’une loi permet ou ordonne à une personne d’accomplir dans le cadre de l’administration de la justice ainsi que le montant de ces honoraires;
b) prévoir le paiement d’honoraires et d’indemnités par l’Ontario relativement aux services rendus pour l’administration de la justice aux termes d’une loi et prescrire le montant de ces honoraires et indemnités;
c) exiger le paiement de frais relativement à une instance devant un tribunal et prescrire le montant de ces frais.
Bien que ces dispositions autorisent le lieutenant‑gouverneur en conseil à exiger des frais, elles ne constituent pas une délégation expresse du pouvoir de taxation. . .
...
Le juge Bastarache [dissident] affirme que l’autorisation d’exiger des frais qui est accordée au lieutenant‑gouverneur en conseil par la Loi sur l’administration de la justice « emporte le pouvoir d’établir une taxe directe » (par. 60). Avec égards, j’estime qu’une telle conclusion ne peut être soutenue. On ne peut écarter la distinction entre ces deux formes de contributions simplement en assimilant les taxes à des « frais ». Cette distinction est importante, tant légalement que constitutionnellement, pour statuer sur la validité du texte de loi en cause. [...] [L]’établissement d’une taxe est une mesure qui revêt une importance exceptionnelle sur le plan politique et qui est assujettie à des règles et à des exigences spéciales auxquelles le régime contesté ne satisfait pas. Le Règlement de l’Ontario 293/92 est inconstitutionnel et ultra vires puisqu’il vise à établir une taxe en l’absence d’une autorisation claire et non ambiguë en ce sens émanant de la législature. [Soulignement ajouté; soulignement dans l’original supprimé; par. 38-41.]
[90] Dans l’arrêt Ontario Catholic Teachers’ Assn., la disposition contestée de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E-2, de l’Ontario était la suivante.
257.12 (1) Le ministre des Finances peut, par règlement :
. . .
b) prescrire le taux des impôts scolaires à prélever pour l’application de l’article 257.7;
. . .
[91] De plus, la loi déléguait le pouvoir de déterminer le taux à l’intérieur d’un cadre législatif détaillé précisant à la fois la « structure de la taxe, l’assiette fiscale et les principes de son imposition » (par. 75). S’inspirant des principes établis dans Eurig, le juge Iacobucci a conclu que cette délégation était constitutionnelle.
La LAQÉ satisfait à cette exigence, puisque l’al. 257.12(1)b) de la nouvelle Loi sur l’éducation autorise expressément le ministre des Finances à prescrire le taux des impôts scolaires. Lorsque le ministre établit les taux applicables, il ne s’agit pas d’une taxe établie ab initio, mais d’une taxe établie en vertu d’un octroi législatif d’autorité spécifique. [Je souligne; par. 75.]
[92] En somme, dans cette matière d’assurance-chômage, seul le Parlement peut imposer une taxe ab initio. La jurisprudence de cette Cour requiert une délégation explicite et non ambiguë du pouvoir de taxation. Une fois ce critère rempli, cette jurisprudence permet au délégataire d’exercer le pouvoir de détermination des modalités et des mécanismes d’application de la taxe.
[93] Il faut donc examiner les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi dont il est question, afin de déterminer si elles respectent, comme dans Ontario English Catholic Teachers’ Assn., les principes qui découlent de la jurisprudence de cette Cour. Le libellé des art. 66.1 et 66.3 concernés ne prévoit nulle part que le Parlement délègue un pouvoir de taxation au gouverneur général en conseil. La nature du prélèvement demeure ambiguë. On ne sait pas si le Parlement estime toujours qu’il maintient l’autorisation d’imposer un prélèvement réglementaire, en adoptant ces dispositions. En effet, lors de la délégation par le Parlement — à la Commission et au gouverneur général en conseil — du pouvoir de prélever les cotisations d’assurance-emploi, la loi n’exprimait pas expressément qu’elle visait à prélever une taxe, ni qu’elle déléguait au gouverneur général en conseil le pouvoir de taxation du Parlement. La délégation visait un prélèvement qui n’était plus une imposition affectée à des fins spécifiques, mais qui était devenu une imposition à caractère général au sens de l’arrêt Westbank, sans que la loi précise que le Parlement entendait déléguer son pouvoir de taxation lui-même. Il aurait fallu que le Parlement indique qu’il déléguait au gouverneur général en conseil son pouvoir de taxation. L’ambiguïté quant à la nature du prélèvement maintenait elle-même l’incertitude au sujet de la nature de l’intention du Parlement quant à la délégation de son pouvoir de taxation.
[94] En conséquence, je conclus à l’invalidité de l’art. 66.1 de la Loi sur l’assurance-emploi applicable en 2002 et 2003. Cette conclusion signifie que les cotisations au régime d’assurance-emploi ont été perçues illégalement, en l’absence de l’autorisation législative nécessaire. La même conclusion s’impose à l’égard de l’art. 66.3 applicable en 2005 et des cotisations perçues au cours de cette année. Dans le contexte de cette affaire, qui implique l’exercice irrégulier d’un pouvoir dévolu au Parlement fédéral, je suspendrais l’effet de la déclaration d’invalidité pour permettre de remédier aux conséquences de celle-ci. Je rejetterais les autres demandes des appelants et je confirmerais à leur égard l’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure du Québec.
V. Réponses aux questions constitutionnelles
[95] Je réponds donc comme suit aux questions constitutionnelles :
Question 1 : Non.
Question 2 : Non.
Question 3 : Non quant aux art. 66.1 et 66.3 de la Loi sur l’assurance-emploi applicables en 2002, 2003 et 2005, oui quant aux autres dispositions de la loi.
Question 4 : Non.
Question 5 : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
VI. Conclusion
[96] Pour ces motifs, j’accueillerais donc les pourvois en partie pour déclarer invalides, tels qu’ils s’appliquaient en 2002, 2003 et 2005, les art. 66.1 et 66.3 de la Loi sur l’assurance-emploi et déclarer que les cotisations d’employeurs et d’employés pour les années 2002, 2003 et 2005 ont été perçues illégalement. Je suspendrais la déclaration pour une période de douze mois à compter de la date du dépôt du présent arrêt. J’accorderais aux appelants leurs dépens devant toutes les cours.
Annexe
Loi sur l'assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23
22. (1) Malgré l'article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à la prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse.
...
23. (1) Malgré l'article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau‑nés ou d'un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province où il réside.
...
24. (1) Avec l'agrément du gouverneur en conseil, la Commission peut prendre des règlements prévoyant le versement de prestations pour travail partagé aux prestataires qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de la présente loi et qui sont employés aux termes d'un accord de travail partagé qu'elle a approuvé par une directive spéciale ou générale pour l'application du présent article
...
25. (1) Pour l'application de la présente partie, un prestataire est en chômage, capable de travailler et disponible à cette fin durant toute période où :
a) il suit, à ses frais ou dans le cadre d'une prestation d'emploi ou d'une prestation similaire faisant l'objet d'un accord visé à l'article 63, un cours ou programme d'instruction ou de formation vers lequel il a été dirigé par la Commission ou l'autorité qu'elle peut désigner;
b) il participe à toute autre activité d'emploi pour laquelle il reçoit de l'aide dans le cadre d'une prestation d'emploi prévue par règlement ou d'une prestation similaire faisant l'objet d'un accord visé à l'article 63 et vers laquelle il a été dirigé par la Commission ou l'autorité qu'elle peut désigner.
...
57. (1) Les prestations d'emploi et les mesures de soutien prévues par la présente partie doivent être mises sur pied conformément aux lignes directrices suivantes :
a) l'harmonisation des prestations d'emploi et des mesures de soutien avec les projets d'emploi provinciaux en vue d'éviter tout double emploi et tout chevauchement;
b) la réduction de la dépendance aux prestations de chômage au moyen de l'aide fournie pour obtenir ou conserver un emploi;
c) la coopération et le partenariat avec d'autres gouvernements, des employeurs, des organismes communautaires et tout autre organisme intéressé;
d) la flexibilité pour permettre que des décisions importantes relatives à la mise en œuvre soient prises par les agents locaux;
d.1) la possibilité de recevoir de l'aide dans le cadre de prestations ou de mesures dans l'une ou l'autre des langues officielles là où l'importance de la demande le justifie;
e) l'engagement des personnes bénéficiant d'une aide au titre d'une prestation d'emploi ou d'une mesure de soutien :
(i) à s'attacher à la réalisation des objectifs visés par l'aide fournie,
(ii) à assumer la responsabilité première de déterminer leurs besoins en matière d'emploi et de trouver les services nécessaires pour les combler,
(iii) s'il y a lieu, à partager les coûts de l'aide;
f) la mise en œuvre des prestations et des mesures selon une structure permettant d'évaluer la pertinence de l'aide fournie pour obtenir ou conserver un emploi.
(2) Pour mettre en œuvre l'objet et les lignes directrices de la présente partie, la Commission doit travailler de concert avec le gouvernement de chaque province dans laquelle une prestation d'emploi ou une mesure de soutien doit être mise en œuvre à mettre sur pied la prestation ou la mesure, à fixer les modalités de sa mise en œuvre et à concevoir le cadre permettant d'évaluer la pertinence de l'aide qu'elle fournit aux participants.
(3) La Commission doit inviter le gouvernement de chaque province à conclure avec elle un accord pour l'application du paragraphe (2) ou tout autre accord prévu par la présente partie.
58. (1) Dans la présente partie, « participant » désigne l'assuré qui demande de l'aide dans le cadre d'une prestation d'emploi et qui, à la date de la demande, est un chômeur à l'égard de qui, selon le cas :
a) une période de prestations a été établie ou a pris fin au cours des trente‑six derniers mois;
b) une période de prestations a été établie au cours des soixante derniers mois et qui :
(i) a bénéficié de prestations spéciales, au titre de l'article 22 ou 23, au cours de la période de prestations,
(ii) a subséquemment quitté le marché du travail pour prendre soin de son ou de ses nouveau‑nés ou d'un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption,
(iii) tente de réintégrer le marché du travail.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), « période de prestations » s'entend en outre d'une période de prestations établie au titre de la Loi sur l'assurance‑chômage et « prestations spéciales » s'entend en outre des prestations visées aux articles 18 ou 20 de cette loi.
59. La Commission peut mettre sur pied des prestations d'emploi en vue d'aider les participants à obtenir un emploi, notamment des prestations visant à :
a) inciter les employeurs à les engager;
b) les encourager, au moyen d'incitatifs tels que les suppléments temporaires de revenu, à accepter un emploi;
c) les aider à créer leur entreprise ou à devenir travailleurs indépendants;
d) leur fournir des occasions d'emploi qui leur permettent d'acquérir une expérience de travail en vue d'améliorer leurs possibilités de trouver un emploi durable;
e) les aider à acquérir des compétences — de nature générale ou spécialisée — liées à l'emploi.
60. (1) La Commission maintient un service national de placement fournissant de l'information sur les possibilités d'emploi au Canada en vue d'aider les travailleurs à trouver un emploi convenable et les employeurs à trouver des travailleurs répondant à leurs besoins.
(2) La Commission doit :
a) recueillir des renseignements sur les emplois disponibles et sur les travailleurs en quête d'emploi et, dans la mesure où elle le juge nécessaire, mettre ces renseignements à la disposition des intéressés afin d'aider les travailleurs à obtenir des emplois correspondant à leurs aptitudes et les employeurs à trouver les travailleurs répondant le mieux à leurs besoins;
b) faire en sorte que les travailleurs mis en rapport avec un employeur éventuel ne soient l'objet d'aucune discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou sur les affiliations politiques; toutefois, le présent alinéa n'a pas pour effet d'interdire au service national de placement de donner effet :
(i) aux restrictions, conditions ou préférences fondées sur des exigences professionnelles justifiées;
(ii) aux programmes, plans ou arrangements spéciaux visés à l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
(3) La Commission peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements pour l'application des paragraphes (1) et (2).
(4) À l'appui du service national de placement, la Commission peut mettre sur pied des mesures de soutien ayant pour but d'aider ou de soutenir :
a) les organismes qui offrent des services d'aide à l'emploi aux chômeurs;
b) les employeurs, les associations d'employés ou d'employeurs, les organismes communautaires et les collectivités à développer et à mettre en application des stratégies permettant de faire face aux changements au sein de la population active et de satisfaire aux exigences en matière de ressources humaines;
c) la recherche et l'innovation afin de trouver de meilleures façons d'aider les personnes à devenir ou rester aptes à occuper ou à reprendre un emploi et à être des membres productifs du marché du travail.
(5) Les mesures prévues à l'alinéa (4)b) :
a) ne sont pas destinées à des employés, sauf s'ils risquent de perdre leur emploi;
b) ne peuvent fournir d'aide directe du gouvernement fédéral pour de la formation liée au marché du travail sans l'accord du gouvernement de la province intéressée.
61. (1) Afin de soutenir la mise en œuvre d'une prestation d'emploi ou d'une mesure de soutien, la Commission peut, conformément aux modalités approuvées par le Conseil du Trésor :
a) fournir des subventions et des contributions;
b) consentir des prêts ou se rendre caution de prêts;
c) payer toute personne pour les services fournis à sa demande;
d) émettre des bons échangeables contre des services et honorer ces bons.
(2) La Commission ne fournit aucun soutien financier à l'appui d'une prestation d'emploi prévue à l'alinéa 59e) sans l'accord du gouvernement de la province où cette prestation doit être mise en œuvre.
(3) Les paiements que peut faire la Commission au titre de l'alinéa (1)c) comprennent notamment les paiements ci‑après, qui sont de nature transitoire et ne peuvent être faits plus de trois ans après la date d'entrée en vigueur du présent article :
a) le paiement des droits exigés par un établissement d'enseignement public ou privé pour dispenser les cours ou programmes d'instruction ou de formation qu'elle demande dans le cadre d'une prestation d'emploi prévue à l'alinéa 59e);
b) le versement à une province d'une indemnité afférente aux cours ou programmes si ceux‑ci sont dispensés par un établissement d'enseignement public et qu'il existe, entre le gouvernement de cette province et la Commission, un accord visant l'indemnisation — totale ou partielle — de la province à l'égard des frais engagés pour dispenser ces cours ou programmes.
. . .
66. Pour chaque année, la Commission fixe, avec l'agrément du gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances, le taux de cotisation qui, à son avis, permet le mieux, au cours d'un cycle économique, d'assurer un apport de revenus suffisant pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d'assurance‑emploi et maintenir une certaine stabilité des taux.
. . .
71. Est ouvert, parmi les comptes du Canada, un compte intitulé « Compte d'assurance‑emploi ».
72. Sont versées au Trésor :
a) toutes les sommes reçues en application des parties I et III à IX au titre des cotisations, amendes, pénalités, intérêts, remboursements des versements excédentaires de prestations ou remboursements de prestations;
b) toutes les sommes perçues par la Commission pour services rendus à des ministères ou organismes du gouvernement ou au public;
c) toutes les sommes reçues à titre de capital ou d'intérêts sur des prêts consentis par la Commission en application de la partie II ou à titre de remboursement de versements excédentaires faits par la Commission en application de cette partie.
73. Le Compte d'assurance‑emploi est crédité et le Trésor est débité :
a) chaque année d'une somme égale au montant à recevoir au titre des cotisations payables pour cette année en vertu de la présente loi;
b) des autres sommes payées sur le Trésor et autorisées par affectation de crédits du Parlement qui sont destinées à toute fin relative à l'assurance‑emploi relevant des fonctions de la Commission;
c) d'un montant égal à tous les remboursements de prestations à recevoir en vertu de la partie VII.
Loi modifiant la Loi sur l'assurance‑emploi et le Règlement sur l'assurance‑emploi (pêche), L.C. 2001, ch. 5
9. La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 66, de ce qui suit :
66.1 Par dérogation à l'article 66, le taux de cotisation pour l'année 2002 et celui pour l'année 2003 sont fixés par le gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances.
Loi d'exécution du budget de 23 mars 2004, L.C. 2004, ch. 22
25. La Loi sur l'assurance‑emploi est modifiée par adjonction, après l'article 66.2, de ce qui suit :
66.3 Par dérogation à l'article 66, le taux de cotisation pour l'année 2005 est fixé par le gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances.
Loi constitutionnelle de 1867
53. Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des communes.
Pourvois accueillis en partie avec dépens.
Procureurs de l’appelante la Confédération des syndicats nationaux (31809) : Pepin et Roy Avocats, Montréal.
Procureurs des appelants le Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida Inc., Jean‑Marc Crevier et Marie Langevin (31810) : Philion Leblanc Beaudry, Québec.
Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.