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Rimouski (Ville de) c. Développements Vaillancourt inc.(règlements municipaux)

no. de référence : 200-09-006246-083

Rimouski (Ville de) c. Développements Vaillancourt inc.
2009 QCCA 1475

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE


QUÉBEC

N° :
200-09-006246-083

(100-17-000366-049)



DATE :
31 juillet 2009





CORAM :
LES HONORABLES
BENOÎT MORIN, J.C.A.

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.





VILLE DE RIMOUSKI

APPELANTE – Défenderesse

c.



LES DÉVELOPPEMENTS VAILLANCOURT INC.

Intimée – Demanderesse





ARRÊT







[1] LA COUR; - Statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 15 janvier 2008 par la Cour supérieure, district de Rimouski (l'honorable Suzanne Hardy-Lemieux), faisant droit à la requête en opposabilité de règlement présentée par l'intimée;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Morin et Giroux;

[4] ACCUEILLE l'appel, avec dépens;

[5] REJETTE la requête de l'intimée, avec dépens.







BENOÎT MORIN, J.C.A.








YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.








LORNE GIROUX, J.C.A.



Me Yvan Bujold

CAIN, LAMARRE

Pour l'appelante



Me Karine Dionne

STEIN, MONAST

Pour l'intimée



Date d’audience :
Le 11 juin 2009









MOTIFS DU JUGE MORISSETTE






[6] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure[1], district de Rimouski, rendu le 15 janvier 2008 par l’honorable Suzanne Hardy-Lemieux et qui a fait droit à la requête en inopposabilité de règlement présentée par l’intimée.

[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi et de rejeter la requête de l’intimée.

Contexte et chronologie du dossier

[8] Les faits à l’origine de ce litige sont relativement simples. L’intimée a acquis en 1979 un lot d’envergure importante, le lot numéro 25 dans les limites de la Ville de Pointe-au-Père, municipalité qui devait fusionner avec l’appelante en 2001. Une partie du lot en question, située au nord-ouest, fut par la suite cédée par l’intimée au gouvernement canadien pour qu’y soit aménagée une réserve faunique. L’intimée, quant à elle, subdivisa la partie sud-est du lot entre 1982 et 1995 pour qu’y soit construit un ensemble résidentiel. Pendant toute cette période, l’intimée demeurait propriétaire d’une parcelle du même lot (le « lot nº 25 Ptie »), située entre la réserve faunique et l’ensemble résidentiel, en bordure d’une intersection achalandée où se croisent la route 132 et l’avenue du Père-Nouvel. Le litige porte sur le règlement de zonage applicable à cette parcelle de terrain.

[9] À l’origine, lorsque l’intimée devint propriétaire en 1979 du lot nº 25 Ptie, le zonage alors en vigueur pour ce terrain comportait peu de restrictions sur les usages commerciaux et permettait notamment d’y exploiter divers commerces de biens et services.

[10] En 1990, la municipalité adopta le Règlement 285-90 qui, comme le relève la juge de première instance dans ses motifs, conférait au lot nº 25 Ptie un numéro de zone limité aux usages institutionnels et publics. Cette nouvelle réglementation prohibait presque toute forme d’activité commerciale sur le lot nº 25 Ptie.

[11] Puis, en 1996, un nouveau règlement de zonage, portant le numéro 504.3-96, entrait en vigueur. Moins restrictif que le précédent, ce règlement réservait le lot nº 25 Ptie à des fins de « services communautaires », de « services gouvernementaux », de « parcs et loisirs extérieurs légers », de « loisirs publics et commerciaux » et de « loisirs de grande envergure ». Ces catégories comprennent des énumérations d’usage reproduites en annexe au jugement entrepris; certains sont commerciaux mais la plupart ne le sont pas. En somme, l’effet de ces dispositions réglementaires sur le lot nº 25 Ptie était d’assouplir les restrictions de 1990 sans toutefois rétablir le régime beaucoup plus permissif qui avait cours en 1979 lors de l’acquisition du lot par l’intimée.

[12] Au début de l’année 2000, une entreprise de machinerie agricole située en face du lot nº 25 Ptie envisageait de le louer ou d'en faire l’acquisition. L’intimée l’autorisa entre-temps à y exposer de la machinerie mobile. L’entreprise ayant été notifiée par une inspectrice de l’appelante qu’elle ne pouvait placer sa machinerie à cet endroit, l’intimée écrivit à l’appelante le 3 avril 2000 et lui demanda, « si cela est nécessaire », un permis afin de louer l’emplacement et de l’utiliser aux fins souhaitées. Le 11 avril 2000, l’appelante répondait par écrit à cette demande en informant l’intimée que l’usage projeté était prohibé par la réglementation en vigueur et en lui précisant quels étaient les usages autorisés. L’intimée découvrit à ce moment que la situation du lot nº 25 Ptie n’était plus la même qu’en 1979.

[13] S’amorça alors une série de pourparlers entre l’intimée et l’appelante. Selon la preuve testimoniale versée au dossier, le président de l’intimée, très insatisfait devant l’état de choses crée par les restrictions du règlement de zonage, entreprit alors de trouver une solution négociée au problème. Sur ce point précis, il répond en ces termes à la question que lui pose son avocate :

Q.
Entre le mois d’avril 2000 […] et le mois de mai 2001, Monsieur Vaillancourt, qu’est-ce qui se passe?

R.
Ah ! 2000 – 2001, bien là, j’essaie de négocier de gré à gré avec la Municipalité pour me redonner mon zonage; j’espère toujours qu’on va régler ça à l’amiable, qu’on règle ça… Quand il n’y avait plus rien à faire, là… bien j’ai hésité durant un an, là… j’ai essayé de régler ça à l’amiable, puis là, quand il y avait pas de possibilité, ils m’ont tout le temps refusé de changer le zonage, j’ai dit… j’ai remis le dossier à maître Laflamme, qui…

Q.
Et quand vous faites référence à maître Laflamme, il y a une lettre en date du 10 juillet 2001, signée par Richard Laflamme, c’est le mandat, là, que…

R.
Ouais.

Q.
Il exécute le mandat que vous lui donnez, à ce moment-là?

R.
Oui, c’est ça. Il écrit à Luc Babin, qui était directeur général à l’époque; il lui fait part de… il lui demande… il lui donne un délai pour me redonner mon terrain commercial avant d’entreprendre des procédures légales.


Si l’ont s’en tient à la preuve documentaire reproduite dans le mémoire de l’appelante, les pourparlers d’avril 2000 à mai 2001 n’auraient pas laissé de traces écrites.

[14] Néanmoins, le 15 mai 2001, à la suite d’une conversation avec le directeur général de la ville, le président de l’intimée écrivait au maire de Pointe-au-Père et demandait que soit modifié le zonage du lot nº 25 Ptie « afin de le rendre commercial ». Les démarches de l’intimée ne portèrent pas fruit et, le 11 juillet suivant, l’avocat qu’elle avait saisi du problème envoyait une mise en demeure à l’appelante. Après avoir énuméré les usages alors autorisés en vertu de la réglementation de 1996, il écrivait :

De toute évidence, tel zonage rend la propriété de notre cliente tout à fait inutile à celle-ci, cette dernière ne pouvant aucunement jouir de la propriété de façon pratique et normale. Il va sans dire que telle manière d’agir de la part de la ville de Pointe-au-Père constitue une dépossession forcée de la propriété de notre cliente sans qu’aucune indemnité ne lui ait été versée. Il y a là une injustice grave et flagrante rendant nul le règlement de zonage eu égard à la propriété de notre cliente puisqu’en violation claire avec les principes de droit établis par l’ensemble de la jurisprudence en la matière et par l’article 952 du Code civil du Québec.

La ville de Pointe-au-Père est donc, par la présente, formellement mise en demeure de modifier le règlement de zonage quant aux usages sur la propriété de notre cliente de façon à permettre un usage efficient, soit en rétablissant le zonage commercial conforme à celui des propriétés voisines et ce, dans les trente (30) jours de la réception de la présente. À défaut de quoi, nous avons ordre d’intenter les procédures judiciaires qui s’imposent dont notamment, pour obtenir la nullité du règlement de zonage et une juste indemnité, sans autre avis ni délai.

Il faut dire qu’en effet, et toujours selon la preuve au dossier, plusieurs des lots voisins du lot nº 25 Ptie bénéficient d’un zonage moins restrictif et sont occupés par des commerces en exploitation.

[15] Il ressort du dossier qu’entre le 15 mai 2001 et le 13 septembre 2004, la situation du lot nº 25 Ptie donne lieu à plusieurs échanges de lettres entre l’avocat de l’intimée, celui de l’appelante, le président de l’intimée et des fonctionnaires municipaux.

[16] Sur ces entrefaites, le 1er janvier 2002, un regroupement de municipalités comprenant la ville de Pointe-au-Père était constitué sous le nom de Ville de Rimouski.

[17] Le 15 avril 2004, l’intimée dépose au greffe de la Cour supérieure une requête introductive d’instance en nullité ou inopposabilité de règlement. Dans une défense datée du 14 décembre 2005, l’appelante invoque le Règlement 285-90 de 1990 (dont l’intimée dit avoir ignoré l’existence jusque-là); elle allègue aussi certains faits de nature à asseoir une défense fondée sur la prescription ou sur le caractère déraisonnable du délai écoulé avant le 15 avril 2004.

Jugement entrepris

[18] En rendant jugement en faveur de l’intimée, la juge de première instance a d’abord estimé que la prescription décennale de droit commun était ici applicable. Elle a ensuite conclu au paragraphe 54 de ses motifs que le point de départ de la prescription était en l’occurrence le 11 avril 2001, de sorte que le recours n’était pas prescrit en vertu des règles générales de droit civil.

[19] Se posait ensuite la question du caractère raisonnable du délai pour intenter le recours, puisqu’il s’agit ici d’un recours de droit public fondé sur l’article 33 C.p.c. Sur ce point, la juge fait d’abord état de plusieurs circonstances qui sont, soit antérieures au 11 avril 2001, soit relatives au déroulement des pourparlers subséquents entre les parties. Elle note qu’il y a eu de la part de l’appelante un « manque de transparence » en tardant à informer l’intimée de la teneur des deux règlements de zonage qui ont affecté successivement le lot nº 25 Ptie. Après avoir cité quelques jugements récents, elle conclut comme suit sur ce deuxième point :

[72] Dans de telles circonstances, le Tribunal estime que le délai à compter duquel doit se computer la notion de délai raisonnable pour intenter le présent recours, débute au mois d'avril 2000, lorsque l'existence de l'interdiction d'exploitation commerciale de quelque façon que ce soit est portée à la connaissance de Développements. Aucune inactivité (sic) juridique ne s'installe entre les mois de juillet 2000 et d'octobre 2003. La Ville retarde sa prise de position juridique.

[73] Le retard mis par Développements pour instituer le présent recours, s'il en est un, est pleinement justifié par les circonstances particulières du présent litige, d'une part et il serait, de l'avis du Tribunal, très inéquitable que la Ville puisse profiter de cet argument alors qu'elle est l'artisane d'au moins 3 ans de ce retard, d'autre part.

Aussi en vient-elle à considérer la question de l’inopposabilité du règlement.

[20] Examinant les règlements de 1990 et de 1996, la juge s’interroge sur les raisons qui auraient pu justifier les restrictions imposées sur le lot nº 25 Ptie, question à l’égard de laquelle l’appelante n’a pas jugé utile d’offrir de preuve. Elle cite plusieurs passages de l’arrêt Montréal (Ville de) c. Benjamin[2], dont elle tire les principes qui lui paraissent applicables à l’espèce, et revient sur les faits de l’affaire avant de donner raison à l’intimée en ces termes :

[112] De l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la Ville veut exproprier, de façon déguisée et sans verser une juste contrepartie à Développe­ments, sa propriété.

[113] Le Tribunal retient que la Ville commet un abus de droit des pouvoirs qui lui sont confiés dans le présent litige.

Les deux règlements en cause sont donc déclarés inopposables à l’intimée et l’appelante se voit ordonner d’accorder à l’intimée les permis pour usages commerciaux conformes à la réglementation en vigueur en 1979.

[21] L’appelante attaque ce jugement sous chacun des principaux points exposés dans les trois paragraphes précédents.

Fond du pourvoi

[22] Je signale en premier lieu que l’intimée, dans sa requête introductive d’instance, ne soutient nullement que les règlements en cause auraient été adoptés sans respecter les prescriptions de la loi. Elle allègue plutôt que cette réglementation est assimilable à une expropriation déguisée, de la nature d’une confiscation, et qu’à ce titre elle est ultra vires. Nous ne sommes donc pas en présence ici d’une cause de nullité du type de celle soulevée par l’appelante dans l’arrêt Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village)[3], argument que la Cour suprême du Canada jugea fondé tout en concluant par ailleurs que l’appelante avait exercé son recours tardivement et que celui-ci devait être rejeté pour cette raison. Mais cette différence entre les deux affaires ne prive pas de son évidente pertinence en l’espèce l’explication par le juge Gonthier dans l’arrêt Port Louis des critères pour juger du caractère raisonnable du délai écoulé avant d’intenter un recours en nullité.

[23] Après avoir commenté une abondante jurisprudence sur la question, le juge Gonthier, auteur des motifs unanimes de la Cour, résume sa pensée et tient les propos suivants, souvent cités depuis[4]:

D’une part, le juge doit tenir compte de la nature de l’acte attaqué, de la nature de l’illégalité commise et ses conséquences, et d’autre part, des causes du délai entre l’acte attaqué et l’institution de l’action. La nature du droit invoqué est un facteur pertinent à l’exercice de la discrétion mais il n’est pas le seul. Il y a lieu aussi d’évaluer le comportement du demandeur. Ce dernier dans une action directe en nullité selon l’art. 33 du Code de procédure civile peut être appelé à justifier ou du moins à expliquer son inaction de façon à ce que la Cour supérieure puisse évaluer dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, le caractère raisonnable du délai d’exercice de son droit.

À mon avis et de façon générale, sauf le cas d’absence totale de compétence, le juge saisi en vertu de l’art. 33 du Code de procédure civile peut refuser d’accorder le redressement recherché, si, eu égard aux circonstances dont notamment l’importance de l’atteinte au droit alléguée et le comportement du demandeur, il estime justifié de le faire.

Sans doute est-il aussi opportun de rappeler que la jurisprudence de l’époque, comme le signale le juge Gonthier[5], considérait que l’action en nullité se prescrivait par trente ans.

[24] Un arrêt de notre cour, rendu un peu plus d’un an après l’arrêt Port Louis, a abordé la question dans un contexte qui présente plusieurs points de ressemblance avec l’espèce en cours. Dans Wendover-et-Simpson (Corp. municipale de) c. Filion[6], l’intimé, qui lui aussi avait eu gain de cause en première instance, contestait la validité ou l’opposabilité dans son cas d’un règlement municipal, et ce, pour des motifs voisins de ceux invoqués ici par l’intimée. La municipalité avait adopté deux règlements de zonage successifs, entrés en vigueur en 1973 et en 1982. Ils avaient l’un et l’autre un effet identique sur la propriété de l’intimé, acquise par lui au début des années soixante. Ayant demandé un permis de construction en 1982, après l’adoption du second règlement, et ayant essuyé un refus, l’intimé n’intenta son action en nullité qu’en 1986. L’appelante lui reprochait, comme c’est le cas ici, d’avoir agi tardivement.

[25] Sur le plan des principes applicables, le juge Brossard, avec l’accord des juges Rousseau-Houle et Chevalier, rappelle tout d'abord ceci[7] :

… même si, dans les faits, l’intimé lui-même n’aurait pris connaissance du règlement attaqué, lequel ne faisait d’ailleurs que remplacer une disposition identique en vigueur depuis 1973, qu’à l’occasion de la présentation de sa demande de permis en 1984, la publication des avis requis par la Ville-appelante, à l’occasion de l’adoption d’un tel règlement, crée une présomption de connaissance légale du règlement par l’ensemble des contribuables d’une municipalité.

Le principe de la stabilité des lois exige en effet qu’un recours en nullité fondé sur les dispositions de l’article 33 du Code de procédure civile soit intenté dans les plus brefs délais possible après l’adoption de la réglementation visée. Il serait en effet à la fois trop facile et aussi trop dangereux d’adopter la thèse de la connaissance factuelle par un contribuable individuel, qui ouvrirait la porte à des recours en nullité susceptibles d’être intentés dix, quinze ou vingt ans après l’adoption d’un règlement. On peut imaginer le chaos susceptible de résulter d’une déclaration de nullité d’un règlement plus de vingt ans après le fait, à l’égard, par exemple, de ceux dont les droits auraient soit été acquis en conformité avec ce règlement, soit lésés par l’application d’un tel règlement non contesté.

[Je souligne.]

Le juge Brossard ajoutait plus loin [8]: « … vu que ce règlement de 1982 venait uniquement remplacer à ce sujet, et dans des termes identiques, un règlement existant depuis 1973, je suis d’opinion que c’est à compter de cette dernière date qu’il faut considérer l’existence ou non d’un délai de déchéance ». La Cour infirme le jugement de première instance pour le motif que le délai, ici, était en effet déraisonnable et demeuré sans explication satisfaisante.

[26] Dans le cas qui nous concerne, reporter à 1990, comme l’a plaidé l’appelante, le moment à partir duquel doit être apprécié le caractère raisonnable du délai pour agir, ne saurait convenir. La différence entre le Règlement 285-90 de 1990 et le Règlement 504.3-96 de 1996 est suffisamment marquée pour que l’on distingue la situation de l’intimée dans le présent dossier de celle de l’intimé dans l’arrêt Wendover-et-Simpson. Au moment où l’intimée intente ici sa procédure, le lot nº 25 Ptie souffre de restrictions d’usage qui sont celles imposées par le Règlement 504.3-96 de 1996, et il importe d'abord de vider cette question avant de passer, si besoin est, au cas du Règlement 285-90 de 1990 car l’analyse qui s’impose en premier lieu doit servir à résoudre le statut du règlement actuellement en vigueur.

[27] Quelle est, dans ces conditions, l’importance à accorder à la date d’entrée en vigueur du règlement de 1996, moment où l’intimée acquiert par présomption la connaissance légale de son effet sur sa propriété? On trouve la réponse à cette question dans l’arrêt Fabi c. Rock Forest (Municipalité de)[9]. Commentant l’arrêt Wendover-et-Simpson, la juge Deschamps écrit à ce sujet, avec l’accord du juge Delisle :

… notre cour a décidé que le délai à considérer est celui écoulé entre l’adoption du règlement et la date d’institution de l’action. L’ignorance de l’adoption d’un règlement ne peut donc que constituer un fait qu’un tribunal prend en considération dans l’évaluation des motifs pouvant justifier le retard à agir.

C’est ainsi que doit être résolue en l’occurrence la question du caractère raisonnable du délai pour intenter action. Or, en exerçant comme elle l’a fait la discrétion qui lui est reconnue par la jurisprudence, la juge de première instance n’a pas tenu compte de cet élément. Elle a plutôt pris appui, erronément à mon avis, sur l’article 2926 C.c.Q., pour situer en avril 2000 le moment à partir duquel tout devait se jouer et l’intimée aurait à se justifier d’un retard à agir. Cette façon de formuler les choses ne vide qu’incomplètement la question à trancher.

[28] Vaillancourt, le président de l’intimée, a témoigné qu’il n’a appris l’existence du Règlement 504.3-96 qu'à la réception de la lettre datée du 11 avril 2000. Soit. Mais il reste qu’il s’était déjà écoulé plus de trois ans depuis l’adoption de ce règlement. Et Vaillancourt, à cette date, avait même l’impression qu’en fait de zonage, rien n’avait changé depuis 1979 pour le lot nº 25 Ptie.

[29] On peut comprendre, vu les relations qu’elle entretenait avec l’appelante par l’entremise de son président, que l’intimée ait d’abord recherché une solution négociée au problème dont elle découvre l’existence en avril 2000. Le dossier tel que constitué est avare de détails sur les démarches entreprises entre cette date et le 11 juillet 2001. Mais la mise en demeure adressée ce jour-là à l’appelante ne laisse aucun doute quant aux intentions de l’intimée et quant à sa compréhension des moyens de droit qu’elle envisage de faire valoir devant les tribunaux.

[30] En outre, il n’est pas du tout évident que l’angle sous lequel elle attaquerait la validité ou l’opposabilité du Règlement 504.3-96 lui garantirait d’avoir gain de cause. L’intimée fait grief à l’appelante d’avoir exercé son pouvoir réglementaire d’une manière qui la dépossède de sa propriété mais il y a là, à tout le moins, une exagération puisque le règlement de zonage aujourd’hui applicable est nettement plus permissif que celui qui l’a précédé, comme le démontre l’extrait annexé au jugement de première instance. Or, en ces matières, les tribunaux reconnaissent aux organes municipaux une marge d’appréciation plus large qu’ailleurs. Un ouvrage récent résume la chose en ces termes[10]:

Le simple fait que la valeur d’une propriété soit diminuée par suite de l’entrée en vigueur d’un règlement de zonage n’est pas un motif de nullité. La municipalité n’est pas obligée d’autoriser, à l’égard d’une propriété spécifique, tous les usages qui seraient les plus rentables si leur localisation était laissée aux seules lois du marché. Les tribunaux refusent alors d’intervenir au motif qu’il ne leur appartient pas d’exercer un contrôle d’opportunité sur les décisions du conseil. Cependant, si la réglementation de zonage est restrictive au point qu’elle rend impossible l’exercice de la propriété privée et équivaut à sa confiscation, les tribunaux peuvent annuler le règlement dans la mesure où le zonage est utilisé pour exproprier sans indemnité. Il en est ainsi du zonage pour fins de parc public et, parfois, du zonage pour des fins institutionnelles. Un règlement de zonage pourra également être annulé s’il impose des normes d’usage ou d’implantation impossibles à satisfaire.

Outre ces cas, les tribunaux reconnaissent qu’une loi d’aménagement, telle la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, ou même qu’un règlement de zonage puisse « stériliser » une partie du droit de propriété et même de façon draconienne, sans pour autant qu’ils puissent refuser de les appliquer ou qu’ils puissent les déclarer inopposables. L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne a d’ailleurs été interprété comme autorisant cette sujétion du droit de propriété individuel à la réglementation collective.

La contestation ne porte pas ici, pour reprendre les termes du juge Gonthier cités plus haut, sur un cas d’absence totale de compétence, ou d’ultra vires ratione materiae. Les conditions d’adoption du règlement en question demeurent elles aussi hors de cause, de sorte qu’on ne peut parler d’une entorse à la règle audi alteram partem, l’irrégularité constatée dans l’arrêt Port Louis. Ces données du problème ne militent pas en faveur d’un délai de plusieurs années pour saisir le tribunal de la demande de nullité.

[31] Enfin, contrairement à la juge de première instance, je ne crois pas que le dossier justifie de censurer par une extension de délai le comportement de l’appelante. Elle a tardé à donner une réponse claire à la mise en demeure du 11 juillet 2001, cela est vrai, mais il n’y a là qu’une raison de plus pour mettre en marche moins tardivement la procédure annoncée dans cette lettre. Il est d’ailleurs probable que, si la requête avait été déposée dans les mois suivant la mise en demeure, la question du délai raisonnable ne se serait pas posée. Quant au « manque de transparence » de l’appelante, elle avait déjà mis cartes sur table au mois d’avril 2000; l’intimée jouissait dès lors de moyens légaux pour tirer sa situation au clair et évaluer ses chances de succès devant un tribunal. La divulgation dans la défense du 14 décembre 2005 de l’existence du Règlement 285-90 est un élément périphérique, à ce stade, de la contestation liée entre les parties. Rien n’empêchait l’intimée de trouver elle-même, par ses avocats, les renseignements pertinents sur ce point. Il devrait aller de soi que, lorsque l’on conteste en 2004 un règlement de 1996 en revendiquant le rétablissement de la situation constituée en 1979, les modifications au zonage intervenues entre-temps risquent d’être pertinentes.

[32] En dernière analyse, l’intimée a attaqué pour nullité en avril 2004 un règlement adopté en 1996 et dont l’existence lui était connue, en fait, depuis avril 2000. Ce délai n’est pas raisonnable et sa requête aurait dû être rejetée pour cette raison.

[33] J’accueillerais donc l’appel avec dépens et je rejetterais avec dépens la requête de l’intimée.






YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.






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[1] J.E. 2008-456 .

[2] J.E. 2005-151 (C.A.).

[3] [1991] 1 R.C.S. 326 .

[4] Ibid., p. 372.

[5] Ibid., p. 362.

[6] [1992] R.D.I. 263 (C.A.).

[7] Ibid., p. 265-6.

[8] Ibid., p. 267.

[9] [1998] R.J.Q. 1683 (C.A.), p. 1688.

[10] GIROUX, Lorne et Isabelle CHOUINARD, « Les pouvoirs municipaux en matière d'urbanisme » dans École du Barreau du Québec, Droit public et administratif, vol. 7 (2008-2009), Cowansville: Éditions Yvon Blais, 2008, p. 395, à la page 423 (renvois à la jurisprudence omis).