Docmanov c. 4107781 Canada inc (passation de titre)
no. de référence : 700-17-003101-051
Docmanov c. 4107781 Canada inc.2006 QCCS 3813
JR0686
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
TERREBONNE
N :
700-17-003101-051
DATE :
18 juillet 2006
______________________________________________________________________
L’HONORABLE
JEANNINE M. ROUSSEAU
______________________________________________________________________
ALEXANDRE DOCMANOV
et
9152-4637 QUÉBEC INC.
Demandeurs
vs
4107781 CANADA INC.
Défenderesse
et
OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE
D'ARGENTEUIL
Mis en cause
______________________________________________________________________
JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR REJET D'ACTION
(Articles 75.1 et 165 (4) C.p.c.)
______________________________________________________________________
Les faits
[1] Le 17 février 2005, Alexandre Docmanov et Ghassem Yousefi ont signé un document de cinq pages, intitulé Promesse d'achat. Ce document est constitué, quant aux trois premières pages, du formulaire PA55770 de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec; un autre formulaire de deux pages de la même association, intitulé Annexe A — Immeuble et portant le numéro AA87503, complète le tout.
[2] Messieurs Docmanov et Yousefi agissent avec ou par l'intermédiaire de sociétés numériques, tel qu'il appert de l'identification des parties ci-dessus. Mais pour faciliter la rédaction, la lecture et la compréhension du présent jugement, nous nous référerons surtout aux personnes physiques, i.e. le promettant-acheteur Docmanov et le promettant-vendeur Yousefi.
[3] En avril 2005, une première requête en passation de titre est instituée par monsieur Docmanov : voir CSM 500-17-025227-052. En novembre 2005, il y a désistement réputé, suite à l'article 274.3 du Code de procédure civile, vu le défaut d'inscription pour enquête et audition dans le délai prévu à l'échéancier.
[4] En décembre 2005, les présentes procédures sont intentées, s'agissant d'une deuxième requête en passation de titre.
[5] Monsieur Yousefi plaide que cette deuxième requête est irrecevable (article 165 (4) C.p.c.) et frivole (article 75.1 C.p.c.) et demande son rejet.
Les prétentions de monsieur Yousefi
[6] Monsieur Yousefi est d'avis que la demande en passation de titre est irrémédiablement viciée :
§ les projets d'actes de vente ne correspondent pas à l'offre d'achat signée et, de plus, ne sont pas signés par les promettants-acheteurs;
§ il n'y a pas eu de mise en demeure;
§ il n'y a pas eu consignation du prix.
Les prétentions de monsieur Docmanov
[7] Monsieur Docmanov plaide que :
§ les projets d'actes de vente correspondent bel et bien à l'offre d'achat signée et il n'est pas nécessaire qu'ils soient signés;
§ quant à la mise en demeure :
- la lettre du notaire (P-5) appelé à recevoir les actes constitue une mise en demeure;
- de surcroît, monsieur Yousefi a aussi été mis en demeure par la signification, non seulement de la présente requête en passation de titre, mais aussi par celle de la première requête en passation de titre;
- enfin, aucune mise en demeure n'est requise lorsque le débiteur de l'obligation a manifesté son intention de ne pas l'exécuter, i.e. signer les actes, comme en l'espèce;
§ quant à la consignation du prix :
- elle n'est pas nécessaire, une preuve de capacité financière étant suffisante;
- de plus, il offre de fournir un chèque visé soit dans les 30 jours précédant la date du procès à venir, soit dans les 30 jours du 19 mai 2006, date de la présence devant la Cour supérieure, au choix du Tribunal, et ce, soit au greffe de la Cour supérieure, soit entre les mains du notaire;
- une offre semblable se trouve d'ailleurs au paragraphe 12 de la requête en passation de titre.
Le droit
[8] Examinons d'abord les principes de droit.
[9] Le Tribunal résume les principes fondamentaux comme suit :
§ une promesse d'achat acceptée est une entente bilatérale :
1396. C.c.Q. L'offre de contracter, faite à une personne déterminée, constitue une promesse de conclure le contrat envisagé, dès lors que le destinataire manifeste clairement à l'offrant son intention de prendre l'offre en considération et d'y répondre dans un délai raisonnable ou dans celui dont elle est assortie.
La promesse, à elle seule, n'équivaut pas au contrat envisagé; cependant, lorsque le bénéficiaire de la promesse l'accepte ou lève l'option à lui consentie, il s'oblige alors, de même que le promettant, à conclure le contrat, à moins qu'il ne décide de le conclure immédiatement.
(Caractères gras de la soussignée.)
§ le créancier d'une obligation peut en exiger l'exécution en nature :
1590. C.c.Q. L'obligation confère au créancier le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.
Lorsque le débiteur, sans justification, n'exécute pas son obligation et qu'il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l'exécution par équivalent de tout ou partie de l'obligation:
1° Forcer l'exécution en nature de l'obligation;
2° Obtenir, si l'obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative;
3° Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en oeuvre de son droit à l'exécution de l'obligation.
(Caractères gras de la soussignée.)
§ ce principe du droit à l'exécution en nature est repris eu égard à la vente à l'article 1712 C.c.Q :
1712. C.c.Q. Le défaut par le promettant vendeur ou le promettant acheteur de passer titre confère au bénéficiaire de la promesse le droit d'obtenir un jugement qui en tienne lieu.
§ la requête en passation de titre constitue l'expression procédurale de ce droit substantif, i.e. le droit à l'exécution en nature.
[10] Le but d'une telle demande est de « substituer à l'acte du débiteur un acte de justice qui prend sa place et a le même effet juridique »[1].
[11] Pour qu'un jugement puisse remplacer la participation du débiteur défaillant, i.e. qui n'exécute pas son obligation, toutes les pièces du puzzle doivent être disponibles, sinon l'exception d'inexécution pourra être soulevée :
1591. C.c.Q. Lorsque les obligations résultant d'un contrat synallagmatique sont exigibles et que l'une des parties n'exécute pas substantiellement la sienne ou n'offre pas de l'exécuter, l'autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d'exécuter son obligation corrélative, à moins qu'il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu'elle soit tenue d'exécuter la première.
[12] Dans un cas comme celui qui nous intéresse, où c'est le promettant-acheteur qui présente la demande en justice, les éléments suivants sont nécessaires :
§ un acte de vente sous forme notariée conforme à la promesse d'achat acceptée;
§ la signature du requérant/promettant-acheteur audit acte de vente, signature autorisée en cas d'une personne morale;
§ le prix.
L'analyse du Tribunal
[13] Examinons maintenant la requête introductive d'instance et les pièces P-1 à P-5 pour voir si cette requête « n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais » : article 165 (4) C.p.c.
A. La mise en demeure
[14] Nous en disposerons d'entrée de jeu, vu qu'il s'agit d'une question simple.
[15] D'après monsieur Docmanov, la lettre du notaire du 8 mars 2005 constitue une mise en demeure de signer « les[2] » actes de vente : voir le paragraphe 10 de la requête introductive d'instance.
« 10. Bien que dûment mis en demeure par une lettre du notaire datée du 8 mars 2005 de signer les actes de vente, la défenderesse a signifié clairement ne pas vouloir les signer, copie de ladite mise en demeure est produite comme pièce P-5 ».
[16] Or, cette lettre ne constitue pas une mise en demeure de signer. Au contraire, il apparaît de cette lettre que les parties sont loin d'être en situation de signer quoique ce soit; plusieurs problèmes et certaines solutions sont énoncés et on sollicite les commentaires du vendeur avant de passer à la prochaine étape :
« Laval, le 8 mars 2005
« SANS PRÉJUDICE »
COURRIER CERTIFIÉ
4107781 Canada INC.
M. Ghassem YOUSEFI
1050 avenue Amesbury, Bureau 422
Montréal, Québec
H3H 2S5
ACHETEUR : 9152-4637 QUÉBEC INC.
PROPRIÉTÉ : 1041 Chemin Montfortains, Wentworth-Nord
+ terrains vacants
===========================================================
Cher Monsieur Yousefi,
Suite à l'offre d'achat intervenue entre vous-même et Alexandre Docmanov et als, lesquels agissent maintenant sous la compagnie 9152-4637 Québec Inc., en date du 17 février 2005, nous désirons vous informer qu'une somme de 320,000.00$ a été déposée, ce jour, à notre compte en fidéicommis, afin de finaliser la transaction.
Malgré la réunion du 1er mars dernier, auquel il a été évoqué les possibilités de répartir la vente de l'ensemble de la propriété en deux (2) transactions, les acheteurs nous ont maintenant reconfirmé le mandat de procéder à la préparation de l'acte de vente conformément à ladite offre d'achat portant le numéro PA55770, soit la vente de l'ensemble des terrains incluant l'immeuble pour le prix de 520,000.00$, dont la somme de 320,000.00$ payable lors de la signature de l'acte de vente, laquelle somme est déjà à notre compte en fidéicommis, et la somme de 200,000.00$ payable dans les 4 mois suivants la signature dudit acte de vente.
Les désignations des lots vendus seront conformes à la nouvelle description technique corrigée par Peter Rado, arpenteur-géomètre, laquelle devra nous être transmise dans les prochains jours. Il est entendu que malgré la superficie indiquée à l'offre d'achat, advenant que la nouvelle description technique démontre une superficie supérieure, M. Rado nous ayant mentionné verbalement que la superficie pouvait être supérieure d'environ 25 acres, aucune condition et/ou prix de ladite offre d'achat ne pourront être modifiés, puisque l'objet de la vente n'étant pas la superficie totale mais plutôt l'acquisition des terrains suivants les bornes que vous aviez déterminées conjointement avec l'acheteur.
Cependant, lors de la signature de ladite offre d'achat vous avez omis de signaler à l'article 6.1h) l'avis d'infraction émis par le Ministère de l'environnement du Québec le 30 avril 2004 ainsi que la correspondance suivante en date du 2 décembre 2004. Lors d'une conversation, vous aviez mentionné verbalement que l'épandage de semence ou autre produit était suffisant pour corriger le tout, or il appert après avoir été informé par les représentants du Ministère de l'Environnement que la situation est tout à fait autre.
Ceci a pour conséquence qu'en vertu de l'article 6.5 de ladite offre d'achat, les acheteurs vous requierent de procéder aux correctifs nécessaires afin de régulariser la situation. Vous avez donc, à compter des présentes, un délai de vingt et un (21) jours pour aviser l'acheteur, par écrit, que vous allez remédier, à vos frais, aux irrégularités soulevés par le Ministère de l'Environnement.
Afin de vous permettre de prendre et d'exécuter les mesures nécessaires pour corriger cette situation, les acheteurs désirent vous soumettre deux (2) options possibles soit :
a) Que nous procédons à la vente en conformité de l'offre d'achat portant le numéro PA55770 signée entre vous le 17 février dernier et que les travaux de correction soient entièrement terminés avant la remise du solde de prix de vente au montant de 200,000.00$, soit dans les quatre (4) mois suivant la signature de l'acte de vente; SOIT
b) Que vous accordiez aux acheteurs des garanties suffisantes sur d'autres propriétés vous appartenant.
Dans l'un ou l'autre de ces cas, il est entendu qu'advenant que les travaux de correction ne soient pas entièrement terminés et que le Ministère de l'Environnement n'est pas émis un rapport et/ou un autre quelconque document confirmant que l'immeuble est maintenant conforme aux lois et règlements à la protection de l'environnement, dans les quatre (4) mois suivants la signature de l'acte de vente, soit avant le paiement final dudit solde de prix de vente, les acquéreurs pourront voir eux-même à la correction de la situation. Tous les coûts y afférents, soit la main d'œuvre, les matériaux, les pénalités, les honoraires ou quelconque autre frais reliés à ces correctifs seront déduits du montant vous revenant du solde de prix de vente et le paiement final de ce dit solde de prix de vente sera reporté en conséquence.
Veuillez donc nous faire part de vos commentaires dans les meilleurs délais.
(signature)
Me Michel Labrèche, notaire
c.c. par télécopieur à Me James R. Nazem, avocat (514) … …. ».
[17] De toutes façons, l'absence d'une mise en demeure classique n'emporte pas de conséquences dans le présent dossier. En effet, n'oublions pas qu'il s'agit ici de la deuxième demande en passation de titre suite à la même entente du 17 février 2005 (P -1) : monsieur Yousefi, bref, a bel et bien eu un avis tel que, s'il avait voulu accéder à la demande, il en a eu le loisir.
B. L'acte de vente sous forme notariée conforme à la promesse d'achat acceptée
[18] Il s'agit maintenant de comparer l'acte de vente offert avec la promesse d'achat acceptée (P-1).
[19] Les parties et le prix concordent. L'immeuble, par contre, pose problème.
La promesse d'achat acceptée
[20] La promesse d'achat, signée par monsieur Docmanov le 17 février 2005, à 11 heures, a été acceptée par monsieur Yousefi le même jour à 17 heures.
[21] Il y est question de l'immeuble à deux endroits :
§ à la première page, à la rubrique 3, Description sommaire de l'immeuble;
§ à la quatrième page du tout, i.e. la première page de l'Annexe A, à la rubrique A.1 Identification du contrat principal.
[22] La description sommaire de l'immeuble, à la page 1, contient les données suivantes à la rubrique Désignation cadastrale :
§
Lac Thurston
pte 7B
3.25 acres
pte 8
60 acres
147.31 acres
§
Lac Indien
pte 8
26.28 acres
pte 8
40.79 acres
pte 9
52.43 acres;
elle contient aussi un total : « + - 330 acres », total qui est répété à la mention Superficie : « + - 330 acres »[3].
[23] Une mention identique se retrouve à la quatrième page :
« A1. Identification du contrat principal
Les dispositions apparaissant à la présente annexe font partie intégrante de la promesse d'achat PA55770 portant sur l'immeuble sis au Terrain — 330 acres — Lac Thurston — Lac Indien. »
[24] Pour conclure, notons, à la deuxième page, sous la rubrique 6 Déclarations et obligations du vendeur, à l'item 6.1 d), une indication qu'il y a une fosse septique et un puits au 1041 de la rue Montfortains à Wentworth-Nord.
L'acte de vente offert
[25] La situation se complique ici : s'agit-il d'un ou de deux projets d'acte de vente?
[26] En effet, dans la requête introductive d'instance, il est question de plus d'un acte de vente, tant dans les allégations que dans les conclusions; lisons, à titre d'illustration, les paragraphes 8, 9 et 10 :
« 8. Au jour de la transaction, le 1er mars 2005, chez le notaire Michel Labrèche qui avait en sa possession le prix de vente convenu, le représentant de la défenderesse, Ghassem Yofeti [transcription conforme à l'original], a refusé de signer les contrats de vente, prétendant vouloir exclure certaines parties de l'ensemble des lots sous le prétexte que la contenance (350 acres) se révélait légèrement supérieure à celle des "325 acres plus ou moins" qui était indiquée à la promesse de vente. Plus tard, il dira que ces parties qu'il voulait exclure ne faisaient pas partie de la promesse de vente;
9. Lesdits projets d'actes de vente, conformes à la promesse de vente, présentés par le notaire instrumentant le premier mars 2005 sont produits en liasse au soutien des présentes comme pièce P-4;
10. Bien que dûment mis en demeure par lettre du notaire datée du 8 mars 2005 de signer les actes de ventes, la défenderesse a signifié clairement ne pas vouloir les signer, copie de ladite mise en demeure est produite comme pièce P -5. »
(Caractères gras de la soussignée.)
[27] Quant à la pièce P-4, l'avis de communication des pièces la décrit comme suit :
« Projets d'acte de vente préparé par le notaire instrumentant. »
[28] Mais il y a confusion à ce sujet : devant la soussignée, l'avocat de monsieur Docmanov n'a fourni qu'un texte à la soussignée, alors qu'il en avait communiqué deux à son confrère. Après vérification, l'avocat de monsieur Docmanov a déclaré qu'il y avait eu erreur, qu'il n'aurait pas dû communiquer les deux textes à son confrère et que celui qu'il a fourni à la soussignée est le seul dont il faut tenir compte.
[29] Ainsi, la requête introductive d'instance demande qu'il soit ordonné à monsieur Yousefi de signer deux actes de vente, alors qu'il ne s'agirait que d'un seul.
[30] Continuons l'analyse. Le projet d'acte remis au Tribunal comme étant le « bon » texte P-4 est-il conforme à la promesse d'achat acceptée du 17 février 2005 eu égard à l'immeuble?
[31] Le projet d'acte P-4 couvre trois immeubles, dont les deuxième et troisième à eux seuls correspondent à la superficie de la promesse d'achat P-1, i.e. + - 330 acres :
§
deuxième immeuble :
3.25 acres
148.49
147.31
total :
299.05 acres
§
troisième immeuble :
26.28 acres
pour un total de 325,33 acres de terrains vacants.
[32] Le premier immeuble couvre 4,020 m.c., et comprend une maison portant le numéro civique 1041 chemin des Montfortains, à Wentworth-Nord, maison dont il est fait mention par ailleurs à la promesse d'achat acceptée P-1.
[33] La situation est contradictoire : sur quoi portait vraiment l'entente?
[34] La pièce P-5 offre une explication. C'est la lettre du notaire instrumentant, lettre dont il a été question ci-dessus à la rubrique « La mise en demeure ». On y apprend, entre autres, qu'une nouvelle description technique est en voie de préparation et que la superficie pourrait être supérieure de 25 acres :
« Les désignations des lots vendus seront conformes à la nouvelle description technique corrigée par Peter Rado, arpenteur-géomètre, laquelle devra nous être transmise dans les prochains jours. Il est entendu que malgré la superficie indiquée à l'offre d'achat, advenant que la nouvelle description technique démontre une superficie supérieure, M. Rado nous ayant mentionné verbalement que la superficie pouvait être supérieure d'environ 25 acres, aucune condition et/ou prix de ladite offre d'achat ne pourront être modifiés, puisque l'objet de la vente n'étant pas la superficie totale mais plutôt l'acquisition des terrains suivants les bornes que vous aviez déterminées conjointement avec l'acheteur. »
[35] Il y apparaît une première pomme de discorde :
« […] l'objet de la vente n'étant pas la superficie totale mais plutôt l'acquisition des terrains suivants les bornes que vous aviez déterminées conjointement avec l'acheteur. »
[36] En résumé, à première vue, l'objet de la vente n'est pas concordant.
C. La signature du promettant-acheteur à l'acte de vente offert
[37] L'acte de vente P-4 n'est pas signé par le promettant-acheteur, pas plus que ne l'est l'extrait du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société numérique de monsieur Docmanov, extrait inclus dans P-4 et qui exige trois signatures, i.e. celles du président Nicola Docmanov, du vice-président Tinel Timu et du secrétaire Alexandre Docmanov.
[38] Ces absences de signatures par le promettant acheteur sont-elles fatales? Oui.
[39] L'essence d'une demande en passation de titre est d'obtenir l'exécution d'une obligation synallagmatique : il s'agit d'une exécution forcée en nature. La contre-partie de l'obligation dont on recherche l'exécution doit donc avoir été complétée. Sinon, l'exception d'inexécution de l'article 1591 C.c.Q. pourra mettre fin au tout.
[40] La signature du promettant-acheteur fait partie des formalités essentielles à l'existence du recours. Voir le Code civil du Québec annoté, 2006, 9e édition, article 1712/28 .
« Une action en passation de titre doit être précédée de formalités essentielles à l'existence du recours. Si l'action est intentée par le proposant acheteur, il doit faire préparer un acte de vente, le signer et consigner le prix de vente convenu. Si c'est le proposant vendeur qui agit en passation de titre, il doit mettre le proposant acheteur en demeure de signer l'acte de vente qu'il aura préalablement signé, à moins qu'il ne soit en demeure de plein droit. »
(Caractères gras de la soussignée.)
[41] De toutes façons, même s'il s'agissait d'une formalité secondaire à laquelle on pourrait remédier en cours de litige, monsieur Docmanov n'a fait aucune demande à cet effet, ni n'a exprimé aucune intention à ce sujet.
[42] En résumé, l'absence de signature du promettant-acheteur vicie la demande en passation de titre. Cela suffit pour disposer de la requête en rejet. Mais complétons néanmoins l'examen des arguments plaidés.
D. La consignation du prix
[43] La consignation du prix est une composante essentielle du recours en passation de titre, afin d'assurer que le jugement ne passera pas titre sans que le prix ne soit disponible à l'ancien propriétaire.
[44] Le législateur et les tribunaux ont assoupli le formalisme antérieur et facilité l'exécution de cette obligation : voir, par exemple, l'entrée en vigueur de l'article 189.1 du Code de procédure civile en 1987 et du deuxième alinéa de l'article 1574 du Code civil du Québec en 1994; l'arrêt Association des harmonistes du Québec inc. vs Thouin[4] en 1988 et Houlachi vs Bray[5] en 1997 illustrent une approche pratique eu égard à la consignation du prix; voir, enfin, le résumé doctrinal de la situation en 1996 :
« c) Consignation (spécifique au promettant-acheteur)
Le promettant-acheteur doit, avec le dépôt de son action en passation de titre, consigner les sommes d'argent stipulées à l'offre, et ce, conformément aux dispositions prévues au Code civil du Québec et au Code de procédure civile.
La consignation peut se faire par la consignation au greffe du tribunal, au bureau des dépôts du Québec, ou auprès d'une société de fiducie. Dans ce dernier cas, la Cour d'appel a précisé que les montants doivent être déposés de façon à demeurer garantis au sens de la Loi sur l'assurance-dépôts (R.R.Q., c. A-26). Le récépissé délivré par la société de fiducie doit être déposé au dossier de la Cour.
La consignation du prix est une formalité essentielle de l'action en passation de titre puisqu'elle permet d'assurer que le jugement ne passera pas titre sans que le vendeur ne soit irrévocablement certain de toucher le prix.
Cependant, on a observé depuis quelques années un assouplissement de l'application des règles régissant le défaut de consignation. Ainsi, le promettant-acheteur face à une requête en irrecevabilité pour défaut de consignation pourra obtenir du tribunal un délai qui lui permettra de corriger ce défaut (165(4) et 166 C.p.c.).
Bref, le défaut de consigner n'est pas fatal à l'action et, dans certaines circonstances, ne constitue plus une fin de non-recevoir à l'action en passation de titre, mais donne seulement ouverture à un moyen dilatoire.
Parfois, avec l'accord du tribunal, la consignation peut aussi se faire par le biais d'un cautionnement ou d'une garantie bancaire. Par ailleurs, ne constituerait pas une consignation valable permise par l'article 189.1 C.p.c. une promesse d'une institution bancaire de prêter la somme d'argent requise pour acquérir la propriété, ni un certificat de dépôt à terme déposé entre les mains d'un notaire.
À notre avis, la consignation auprès des sociétés de fiducie est la plus avantageuse. En plus de permettre d'épargner sur le coût relié à la consignation au greffe du tribunal, elle permet de récolter les intérêts sur la somme déposée.[6]
(Références omises.)
[45] Appliquons ces principes à la présente affaire, dans le cadre de la requête en irrecevabilité : les faits allégués à la requête introductive d'instance, tels que supportés par les pièces, satisfont-ils à cette exigence, i.e. "an evident intent and demonstrable capacity to respect the conditions of the offer - - and, in particular, the conditions agreed to for payment of the price"[7].
[46] On y trouve peu de faits :
§ une affirmation par le notaire instrumentant, dans sa lettre du 8 mars 2005 (P-5), qu'il avait reçu et détenait, ce jour, une somme de 320 000 $ dans son compte en fidéicommis : voir le texte reproduit ci-dessus au paragraphe 16;
§ une offre de consigner la somme de 320 000 $, qui apparaît à la requête introductive d'instance en date du 6 décembre 2005 :
« 12. Les demandeurs réitèrent leur offre et consigneront au greffe du tribunal ou dans une maison de fiducie la somme de $320,000 représentant l'acompte requis sur le prix de vente à défaut par les parties de s'entendre autrement dans les trente jours sur un mode de consignation ».
[47] Récapitulons :
§ une affirmation dans la lettre du notaire du 8 mars 2005, à l'effet qu'il a reçu, ce même jour, 320 000 $ et qu'il le détenait dans son compte en fidéicommis;
§ un engagement écrit dans la présente requête introductive d'instance du 6 décembre 2005 de consigner cette somme dans les trente jours;
§ le non-respect de cet engagement;
§ le renouvellement de cette offre devant la soussignée : voir au paragraphe 7 ci-dessus, ce qui veut dire que les fonds ne sont plus entre les mains du notaire.
[48] Est-ce suffisant? Malgré toute la souplesse requise, le Tribunal ne peut se convaincre que oui.
[49] En effet, dans la présente affaire, les fonds nécessaires, qu'il s'agisse des 320 000 $ ou des 520 000 $, n'ont jamais pu être contrôlés; monsieur Yousefi n'a jamais pu être satisfait de la disponibilité des fonds; il n'y a pas eu d'offre réelle, ni de chèque visé, ni d'engagement d'une institution financière, ni rien d'autre. En résumé, monsieur Docmanov dit à monsieur Yousefi qu'il a les fonds nécessaires mais ne les lui montre jamais, même quand il s'est engagé à ce faire : voir le paragraphe 46 ci-dessus.
[50] Ces circonstances sont bien différentes de celles des divers arrêts et jugements qui ont fait preuve de souplesse et ont accepté une modalité autre que la consignation pure et simple dès le début des procédures. Dans ces cas, il y avait eu preuve, à un moment ou à un autre des procédures, de l'existence des fonds. Le jugement Roussel vs Rodrigue[8] analyse l'arrêt Houlachi vs Bray[9] et conclut comme suit :
« Il ressort de la jurisprudence que cite M. le juge Fish au soutien d'un moins grand formalisme dans l'arrêt Houlachi, que dans tous les cas où on a accordé l'action en passation de titre malgré l'absence de consignation, il y avait toujours eu des offres faites préalablement. Même si elles n'étaient pas en tous points conformes, on retrouvait à tout le moins une volonté et une capacité claire de payer le prix total. »
Voir aussi Tannous vs Kanidis[10].
[51] Bref, il ne ressort aucunement des allégués dans la présente affaire une volonté et une capacité claires de payer le prix.
____________________
[52] Monsieur Yousefi a souligné que le prix total de 520 000 $ devait être offert et consigné, et non seulement le 320 000 $ payable à la signature de l'acte notarié. Monsieur Docmanov ne partageait pas cet avis. Il n'est pas nécessaire que le Tribunal se prononce, vu ses conclusions eu égard à l'absence de signature et d'offre de fonds.
La pièce I-1
[53] À l'occasion de ses plaidoiries et pour illustrer la capacité immédiate de payer de son client, l'avocat de monsieur Docmanov a fourni un acte de prêt notarié en faveur de la codemanderesse 9152-4637 Québec inc. en date du 7 mars 2005, reçu par le notaire Labrèche sous le numéro 25689 de ses minutes, auquel étaient jointes deux lettres de la société prêteuse, du 8 mai 2006 et du 7 mars 2005, ainsi qu'une lettre de la Banque de Montréal du 24 mars 2006.
[54] Ces documents n'apportent aucune substance à la capacité financière de monsieur Docmanov et de sa société 9152-4637 Québec inc., codemanderesse dans la présente affaire.
[55] En effet, le prêteur est une société privée : 9134-4895 Québec inc., qui déclare agir sous la raison sociale de « Société Alta »; les deux lettres de sa part adressées au notaire Labrèche sont identiques :
« Sujet : La propriété de Wentworth
Ceci est pour vous aviser que la Société Alta agissant comme prêteur dans le dossier du terrain situé à Wentworth décrit comme suit :
Partie du lot 7-B -
rang 10 Canton de Wentworth
— 325 acres
Partie du lot 8 -
rang 10 Canton de Wentworth
— 107.70 acres
Partie du lot 9 -
rang 10 Canton de Wentworth
— 119.62 acres
est prêt à débourser avec un avis de 24 heures dans votre compte en fidei comei [sic] la somme totale du prêt soit trois cent vingt mille (320,000 $) dollars.
Aucune condition additionnelle à part la légalité de la compagnie 9152-4637 Québec inc. et aussi le rapport des titres sur la propriété prise en garanti [sic].
Ci-attaché la présente confirmation de la disponibilité des fonds. »
[56] On note déjà deux conditions, qui pourraient compliquer la fourniture de fonds :
§ la légalité de 9152-4637 Québec inc., la codemanderesse;
§ un rapport de titres.
[57] Quant à la lettre de la Banque de Montréal du 24 mars 2006, si elle est censée constituer la « confirmation de la disponibilité des fonds », c'est un échec. En effet, elle n'ajoute rien au sérieux de l'affaire :
« REF : 9134-4895 QUEBEC INC. SOCIETE ALTA
261, 83e Avenue
Laval, Québec
H7W 2V3
A qui de droit,
Par la présente nous vous confirmons que l'entreprise ci-haut mentionnée détient auprès de notre institution, de comptes bancaires dont le solde en date du 24 mars 2006 est de $449,498.35. Nous sommes très satisfaits de la gestion du compte et considérons les administrateurs, qui détiennent plusieurs autres comptes corporatifs avec nous, comme des plus respectueux de notre clientèle.
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués et n'hésitez pas à me contacter pour de plus renseignements. »
(Transcription conforme à l'original.)
[58] Somme toute, nous apprenons que la Société Alta, qui avait 449 498,35 $ dans ses comptes auprès de la Banque de Montréal le 24 mars 2006, a des administrateurs qui gèrent ces comptes à la satisfaction de la banque et qui sont mêlés à d'autres sociétés faisant aussi affaires avec la même banque. Nous apprenons aussi que la banque considère ces administrateurs « comme des plus respectueux de notre clientèle ».
[59] Des administrateurs polis, qui gèrent bien les fonds, ne constituent aucunement une preuve de disponibilité de fonds. De la même façon, la présence de près de 450 000 $ dans des comptes bancaires à une date précise ne garantit aucunement la disponibilité de ces fonds pour être prêtés, ni leur présence à quelque date future.
[60] Il s'agit, bref, de la poudre aux yeux.
[61] Quoiqu'il en soit, l'avocat de monsieur Yousefi s'est objecté à l'utilisation de ce document. Le Tribunal n'a pas statué sur-le-champ. Le Tribunal maintient l'objection : le document I -1 devra être retiré du dossier.
[62] Le Tribunal ajoute que, de toutes façons, le remboursement du prêt devait se faire le 7 mars 2006, un an après la signature du prêt. Il est donc périmé.
La frivolité
[63] En plus de soulever l'irrecevabilité en vertu de l'article 165(4) C.p.c., monsieur Yousefi plaide que la demande est frivole (voir l'article 75.1 C.p.c. ) puisque les parties n'ont pu s'entendre et qu'il n'y a pas pu avoir accord sur l'objet de la vente. Ce raisonnement s'appuie sur certaines déclarations faites par monsieur Docmanov durant son interrogatoire qui illustrent sa faible connaissance du français parlé et son inhabileté à lire le français. Le Tribunal ne partage pas l'avis de monsieur Yousefi à ce sujet.
L'exécution provisoire nonobstant appel
[64] Monsieur Yousefi demande une ordonnance d'exécution provisoire (article 547 C.p.c.) : l'avis de préinscription empêche monsieur Yousefi de disposer de ses terrains de quelque façon que ce soit et exerce ainsi sur lui une pression et une contrainte financières.
[65] Le deuxième alinéa de l'article 547 C.p.c. confère au juge une certaine discrétion à ce sujet :
547.[…] De plus, le tribunal peut, sur demande, ordonner l'exécution provisoire dans les cas d'urgence exceptionnelle ou pour quelqu'autre raison jugée suffisante notamment lorsque le fait de porter l'affaire en appel risque de causer un préjudice sérieux ou irréparable, pour la totalité ou pour une partie seulement du jugement.
[66] Y a-t-il dans cette affaire « quelque autre raison jugée suffisante »? Le Tribunal est d'avis que oui. La faiblesse du présent recours, s'agissant d'une deuxième tentative, ne l'oublions pas, laisse le Tribunal songeur : comment peut-on prétendre obtenir un jugement valant titre sans avoir soi-même signé l'acte de vente? Il s'agit quand même de quelque chose de simple!
[67] Cet état de faits permet au Tribunal de s'interroger sur les motifs des codemandeurs et leur bonne foi. Ils ont réussi, par leurs deux recours successifs faibles, à empêcher le propriétaire de disposer de ses biens et ce, depuis plus d'un an. Une inscription en appel s'inscrirait dans la même approche de pression financière.
[68] Il y aura donc une ordonnance d'exécution provisoire partielle, i.e. eu égard à la radiation de l'avis de préinscription.
Les conclusions
Le Tribunal :
[69] ACCUEILLE la requête en irrecevabilité de 4107781 Canada inc.;
[70] REJETTE la requête introductive d'instance en passation de titre des codemandeurs Alexandre Docmanov et 9152-4637 Québec inc.;
[71] ORDONNE au mis en cause de radier l'avis de préinscription portant le numéro 12 925 210 publié au Bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière d'Argenteuil, avec exécution provisoire nonobstant appel;
[72] Avec dépens en faveur de 4107781 Canada inc. à l'encontre de Alexandre Docmanov et 9152-4637 Québec inc.
j.c.s.
Me Jean-Luc Sarrazin
Procureurs des demandeurs
Me Jean-François Latreille
Dubé, Latreille
Procureurs de la défenderesse
Date d’audience :
19 mai 2006
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[1] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e éd., Éditions Yvon Blais, 1998, no 810, p. 645.
[2] Nous discuterons de la pluralité des actes de vente ci-dessous, aux paragraphes 25 et suivants.
[3] L'addition des données donne 330.06 acres.
[4] Association des harmonistes du Québec vs Thouin, [1988] R.J.Q. 124 (C.A.), AZ-88011128 .
[5] Houlachi vs Bray, AZ-97011868 , J.E. 97-2114 .
[6] Anne-Marie WILLIAM, « L'action en passation de titre et l'action en dommages-intérêts » dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit immobilier (1996), Éditions Yvon Blais, 1996, p. 104, 105.
[7] Houlachi, précité, note 5, p. 16.
[8] Roussel vs Rodrigue, AZ-98021805 , J.E. 98-1740 .
[9] Houlachi, précité, note 5.
[10] 2003 IIJCan 20961 (QC C.S.) et (C.A. 2004-06-02), AZ-04019135 , J.E. 2004-1291 .