Babis c. Cavallero
no. de référence : 550-32-014495-060
Babis c. Cavallero 2008 QCCQ 3988COUR DU QUÉBEC
(Division des petites créances)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE HULL
LOCALITÉ DE GATINEAU
« Chambre civile»
N° : 550-32-014495-060
DATE : 8 mai 2008
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q
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Monsieur Miroslav BABIS, résidant et domicilié au […], à Gatineau (Québec) […]
-et-
Madame Ivana SIRKOVA, résidant et domiciliée au […], à Gatineau (Québec) […]
Partie demanderesse
c.
Monsieur Franco CAVALLERO, résidant et domicilié au […], à Val-des-Monts
(Québec) […]
-et-
9107-1142 QUÉBEC INC., personne morale de droit privé, ayant place d'affaires au
1739 de la route du Carrefour, à Val-des-Monts (Québec) J8N 7E5, faisant affaires
sous la raison sociale de Royal Lepage Vallées de l'Outaouais,
Partie défenderesse
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JUGEMENT
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[1] Les demandeurs, Miroslav Babis et Ivana Sirkova, réclament des défendeurs la
somme de 3 934,45 $ par suite de travaux qu'ils ont dû effectués lors de l'achat d'un
terrain situé à Val-des-Monts qui leur a été vendu par le défendeur Franco Cavallero.
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[2] Les demandeurs réclament la même somme de la co-défenderesse, 9107-
1142 Québec Inc. faisant affaires sous le nom de Royal Lepage Vallées de
l'Outaouais (Royal Lepage), maison de courtage qui a inscrit en vente le terrain.
[3] Les demandeurs soutiennent que lorsqu'ils ont voulu construire une propriété
sur le terrain, ils ont fait arpenter celui-ci et ont constaté que la délimitation du terrain
ne correspondait pas à celle que Monsieur Marcel Périard, agent d'immeuble affilié à
Royal Lepage, leur avait représentée.
[4] Les demandeurs prétendent qu'ils ont constaté qu'une partie du terrain où ils
envisageaient construire n'était pas leur propriété, soit une bande d'environ 20 pieds
comprenant un endroit pour un feu de camp et une entrée défrichée pour accéder au
terrain, lesquels ne se trouvaient pas complètement sur leur propriété.
[5] Les demandeurs ont alors dû faire des travaux de défrichage qu'ils n'avaient
pas prévus avant de construire une propriété, de même qu'ils ont dû effectuer de
l'excavation. Ils réclament le montant des dommages qu'ils ont subis.
[6] La preuve révèle que, le 29 octobre 2004, Monsieur Cavallero, propriétaire d'un
terrain sur le bord du Lac Harwood, à Val-des-Monts, communique avec Monsieur
Périard, pour mettre en vente son terrain.
[7] Un contrat de courtage est alors conclu entre Monsieur Cavallero et Monsieur
Périard pour Royal Lepage.
[8] Monsieur Périard se rend avec Monsieur Cavallero visiter le terrain et reçoit un
seul document, soit une description technique du terrain (Pièce D-1).
[9] Le terrain a une superficie de 1823 mètres carrés avec 24.89 mètres de façade
et 101.94 mètres de profondeur.
[10] Monsieur Cavallero explique qu'il ne connaissait pas les délimitations exactes
du terrain mais qu'en bas de celui-ci, sur le bord de l'eau, se trouvait des "pines". Il
ajoute qu'il ne savait exactement l'angle des lignes à tirer sur le terrain à partir des
"pines".
[11] Monsieur Cavallero a acheté le terrain en 1987. Il y avait alors une roulotte
avec une addition sur le terrain ainsi que des marches pour se rendre au lac. Il a
défait la roulotte et a tenté de construire un bâtiment sur le terrain, bâtiment qu'il a
démoli par la suite.
[12] Monsieur Cavallero se sert du terrain régulièrement et y fait du camping. Les
voisins, de part et d'autre, n'ont pas construit sur les terrains avoisinants.
[13] Selon Monsieur Périard, dont le témoignage est corroboré par Monsieur
Cavallero, ce dernier lui donne des mesures approximatives et présume de bonne foi
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que l'entrée, de même que l'endroit où se trouve le feu de camp se trouvent sur la
propriété.
[14] Monsieur Périard prépare alors une fiche descriptive (Pièce P-6) et annonce le
terrain en vente pour une somme de 33 000,00 $.
[15] La fiche descriptive contient, entre autres, les termes suivants:
"Bord du Lac Hardwood, 25 minutes de la ville, superbe terrain
très privé, boisé, défriché, prêt à construire, chalet ou maison
(partiellement aménagé), grand deck avec escalier vers le lac,
vue spectaculaire. Chemin privé ouvert à l'année (…)".
[16] En avril 2005, Monsieur Périard fait visiter le terrain aux demandeurs à leur
demande.
[17] Monsieur Périard indique aux demandeurs que les limites du terrain sont
approximatives mais, se basant sur les dires de monsieur Cavallero, présume
également que l'entrée défrichée se trouve sur la propriété de même que l'endroit où
se trouve le feu de camp. C'est ce qu'il indique aux demandeurs.
[18] Les demandeurs veulent construire une propriété sur le terrain et comptent sur
le fait que l'endroit projeté est défriché, soit l'endroit où se trouve le feu de camp et
l'entrée.
[19] Le lendemain, les demandeurs font une offre à monsieur Cavallero et achètent
le terrain pour la somme de 33 000,00 $.
[20] Lorsqu'ils font arpenter le terrain afin de construire, les demandeurs
apprennent à leur grande surprise qu'une partie défrichée d'environ 20 pieds sur
laquelle ils projetaient de construire n'est pas leur propriété.
[21] Les demandeurs comprennent que les indications de délimitation étaient
approximatives, cependant, ils considèrent qu'une différence de 20 pieds est trop
grande d'autant plus qu'ils ont subis des dommages à cause des mauvaises
indications.
[22] Les demandeurs, en compagnie d'amis et de membres de la famille, ont
défriché le terrain en coupant des arbres pendant 6 fins de semaine. Ils évaluent ce
travail à 1 000, 00 $.
[23] De plus, les demandeurs ont dû faire excaver le terrain pour, entre autres,
enlever les racines des arbres et ils réclament une partie des coûts de la facture
payée au montant de 2 500,00 $, soit une somme de 2 000,00 $. Les demandeurs
réclament également la somme de 920,00 $ pour l'arpentage.
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[24] Il ressort de la preuve que la superficie du terrain acheté par les demandeurs,
une fois l'arpentage complété, est exactement la même que celle indiquée lors de la
vente, seul l'emplacement des limites du terrain diffère.
[25] Les demandeurs tentent de prendre un arrangement avec Monsieur Cavallero
et ce, en vain.
[26] Le 30 novembre 2005, les demandeurs transmettent une mise en demeure aux
défendeurs.
ANALYSE
[27] La réclamation des demandeurs est fondée sur les fausses représentations qui
leur ont été faites de bonne foi lors de l'achat de leur terrain.
[28] Les demandeurs prétendent qu'ils croyaient acheter un terrain sur lequel le
défrichage était partiellement terminé, prêt à bâtir, tel qu'indiqué sur la fiche
descriptive du terrain et sur lequel ils voulaient construire leur chalet. Ils ont dû
construire leur chalet ailleurs sur le terrain et faire défricher une autre partie du terrain.
[29] Bien que propriétaires d'un terrain d'une superficie égale à celle du terrain qu'ils
convoitaient, ces derniers ont subis des dommages par suite de la découverte de la
véritable délimitation du terrain.
[30] L'article 1457 du Code civil du Québec se lit comme suit:
"Art. 1457. Toute personne a le devoir de respecter les
règles de conduite qui, suivant les circonstances, les
usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas
causer préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et
qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice
qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de
réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou
matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de
réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute
d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a
sous sa garde."
[31] Il appert de la preuve que les demandeurs ont subi un préjudice et que celui-ci,
causé de bonne foi par les défendeurs, découle de mauvaises représentations quant à
la délimitation du terrain.
[32] Il s'avère que les demandeurs ont consenti à acheter un terrain aux dimensions
mentionnées ci-avant mais dont la représentation des délimitations par les défendeurs
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leur permettait de croire qu'ils pouvaient, sans autres frais ou travaux, construire une
propriété sur le terrain sur la partie défrichée dont une partie, près de 20 pieds, s'est
avérée la propriété du voisin.
[33] De plus, les demandeurs ont acheté le terrain au même montant que celui
annoncé sur la fiche descriptive sans le négocier. La fiche descriptive indiquait: "Prêt
à construire".
[34] Les demandeurs se sont fiés aux représentations qui leur ont été faites par
monsieur Périard, lequel se fondait sur celles faites par monsieur Cavallero.
[35] Les demandeurs s'attendaient à une certaine approximation mais non à une
erreur d'environ 20 pieds qui leur a occasionné des dépenses imprévues.
[36] Monsieur Cavallero, à titre de propriétaire du terrain, devait s'assurer de
l'emplacement exact de celui-ci avant de le mettre en vente.
[37] Monsieur Cavallero, à titre de propriétaire du terrain, avait l'obligation d'informer
adéquatement l'acquéreur éventuel du terrain de l'emplacement exact de celui-ci.
[38] Monsieur Cavallero, à titre de propriétaire du terrain, a été négligent en
omettant d'informer adéquatement l'agent d'immeuble mandaté pour vendre le terrain
de l'emplacement exact de celui-ci.
[39] Les demandeurs ont accepté que la description du terrain puisse être
approximative mais ils se sont fiés à la description fournie par le propriétaire pour faire
une offre et acheter le terrain.
[40] Les auteurs Lluelles et Moore dans le volume Droit des obligations1 s'expriment
ainsi:
"596. Il peut arriver, toutefois, qu'une erreur non dolosive
ne soit pas pour autant une erreur spontanée: elle peut
fort bien avoir été provoquée par la négligence ou
l'incompétence du cocontractant. La faute, dans la
théorie de la responsabilité civile, peut fort bien ne pas
être délictueuse: la négligence suffit. L'acheteur profane,
victime d'une information erronée, bien que non
frauduleuse, de son vendeur, peut sans conteste
prétendre avoir été victime d'une faute de son
cocontractant: rien ne l'empêche de se prévaloir des
articles 1457 et suivants pour obtenir des dommagesintérêts.
Il n'y a là aucune contradiction avec la solution
de l'article 1407, mais une simple différence de régime,
au plan de la preuve: ce dernier texte établit, en
quelque sorte, une présomption de faute civile dans les
1 Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Les éditions Themis, 2006, pages 278 et 279.
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cas de dol ayant provoqué l'erreur, de menace et de
lésion, toutes hypothèses impliquant une attitude
répréhensible (y compris dans le cas de la lésion
objective, notion fondée sur une idée d'exploitation).
Dans le cas d'une erreur provoquée par la négligence
non délictueuse du cocontractant, la victime devra, pour
obtenir des dommages, établir la faute du cocontractant
(qui ne peut, ici, se présumer), le dommage et le lien de
causalité."
[41] Le Tribunal conclut que, monsieur Cavallero, à titre de propriétaire et ce, même
en toute bonne foi, n'a pas respecté les règles de conduite qui s'imposent à lui de
manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
[42] Le Tribunal conclut que monsieur Cavallero a commis une faute qui a causé un
dommage aux demandeurs.
[43] Le Tribunal conclut que les demandeurs ont droit d'être remboursés pour le
préjudice qu'ils ont subi quant au défrichage et l'excavation.
[44] Le Tribunal estime les dommages subis par les demandeurs à 3 000,00 $ soit
1 000,00 $ pour le défrichage et 2 000,00 $ pour l'excavation.
[45] Les articles 1477 et 1478 C.c.Q. se lisent comme suit:
"Art. 1477. L'acceptation de risques par la victime, même
si elle peut, eu égard aux circonstances, être considérée
comme une imprudence, n'emporte pas renonciation à
son recours contre l'auteur du préjudice.
Art. 1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs
personnes, la responsabilité se partage entre elles en
proportion de la gravité de leur faute respective. La
faute de la victime, commune dans ses effets avec celle
de l'auteur, entraîne également un tel partage."
[46] Vu l'acceptation par les demandeurs d'une certaine approximation relativement
à la délimitation du terrain, le Tribunal estime que la responsabilité doit être partagée à
moitié.
[47] Le Tribunal conclut que monsieur Périard n'est pas responsable des mauvaises
représentations relatives à la délimitation du terrain puisqu'il se basait sur les dires du
propriétaire du terrain.
[48] Le Tribunal condamne donc monsieur Cavallero, à payer aux demandeurs la
somme de 1 500,00 $.
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POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE en partie la réclamation des demandeurs;
CONDAMNE le défendeur Franco Cavallero à payer aux demandeurs la somme de
1 500,00 $ avec intérêts au taux légal de 5% l'an et l'indemnité additionnelle prévue à
l'article 1619 du Code civil du Québec et ce, depuis le 30 novembre 2005, plus les
frais judiciaires de 118,00 $.
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ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.
Date d’audience : 10 mars 2008
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