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L. S. c. Centre hospitalier Hôpital Enfant Jésus

no. de référence : 200-17-007843-071

COUR SUPÉRIEURE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC






N° :


200-17-007843-071



DATE :


14 avril 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :


L’HONORABLE


BERNARD GODBOUT, j.c.s.

______________________________________________________________________



L... S...

Domiciliée et résidant au

[…], ville A (Québec)

District de Québec, […]



et



LU... L...

Domicilié et résidant au

[…], ville A (Québec)

District de Québec, […]



et



F... L...

Domicilié et résidant au

[…] ville A (Québec)

District de Québec, […]

Demandeurs

c.



CENTRE HOSPITALIER AFFILIÉ UNIVERSITAIRE DE QUÉBEC

HÔPITAL DE L'ENFANT-JÉSUS

Personne morale de droit public

ayant sa place d'affaires au

1401, 18è rue

Québec (Québec)

District de Québec, G1J 1Z4



et



ROBERT TREMBLAY

Exerçant sa profession au

1401, 18è rue

Québec (Québec)

District de Québec, G1J 1Z4



et



CHRISTINE SAVARD

Exerçant sa profession au

1401, 18è rue

Québec (Québec)

District de Québec, G1J 1Z4



et



DR MARIO HÉBERT

Exerçant sa profession au

1515, 17è Rue

St-Georges (Québec)

District de Québec, G5Y 4T8

Défendeurs solidaires

______________________________________________________________________



JUGEMENT

SUR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ MÉDICALE

______________________________________________________________________




[1] Alors que monsieur P... L..., âgé de 46 ans, subissait une angiographie cérébrale, soit un examen radiologique des vaisseaux sanguins qui irriguent son cerveau, on a injecté par erreur, dans le cathéter mis en place au niveau de la carotide interne droite, 3 centimètres cubes (cc) d'alcool isopropylique d'une concentration de 70%, soit de l'alcool incolore (Pièce P-69), au lieu du produit de contraste commercialisé sous le nom de «Visipaque» (Pièces P-25 et DH-5) qui permet de visualiser les vaisseaux sous un faisceau de rayons X au cours de l'examen.

[2] Cette erreur entraîna une toxicité neurologique qui provoqua un «œdème cytotoxique cérébral majeur» et le décès de M. L... moins de 36 heures plus tard.

[3] La mort cérébrale constatée, son épouse, madame L... S..., consent à ce que certains organes soient prélevés du corps de M. L... en vue d'être transplantés, effectuant ainsi ce que l'on désigne généralement un don d'organes.

[4] Mme S... et ses deux fils, messieurs Lu... et F... L..., poursuivent dans une action en responsabilité médicale le Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, les technologues en radiologie, madame Christine Savard et monsieur Robert Tremblay, ainsi que le médecin radiologiste, le docteur Mario Hébert, leur réclamant solidairement la somme de 1 064 551 $, plus les honoraires extrajudiciaires de 266 138 $ plus taxes, soit 25% de l'indemnité à être perçue.

[5] M. Tremblay reconnaît avoir versé l'alcool isopropylique dans le contenant que l'on nomme un «potin» prévu pour recevoir le produit de contraste, mais il ne peut expliquer cette erreur.

[6] Dans un document intitulé «Admissions» daté du 15 septembre 2008 et déposé ce même jour au dossier de la Cour, M. Tremblay reconnaît qu'«une faute a été commise ce qui entraîne sa responsabilité, celle de l'Hôpital». Toutefois, M. Tremblay et le Centre hospitalier «sont d'avis que la responsabilité du Dr Hébert doit également être engagée». De plus, «Les parties défenderesses reconnaissent qu'il existe un lien de causalité entre la faute et le décès de M. L...».

[7] Mme Savard et plus particulièrement le Dr Hébert, qui a prélevé avec une seringue 3 cc d'alcool isopropylique contenu dans le potin qui devait contenir le produit de contraste et l'a injecté dans le cathéter, nient toute responsabilité.

[8] Par ailleurs, étant donné que l'examen cardiologique effectué après le décès de M. L... démontre qu'il était atteint d'une maladie alors non symptomatique, les défendeurs soutiennent que ce constat devrait tout de même avoir une incidence sur le montant de l'indemnité pour perte de soutien financier, étant d'avis que l'espérance de vie de M. L... était ainsi diminuée de dix ans.

[9] Le présent litige soulève trois questions.

[10] La première concerne évidemment la responsabilité des différents intervenants. Elle est discutée dans le contexte que Mme Savard, M. Tremblay et le Dr Hébert sont respectivement membres d'un ordre professionnel à exercer exclusif, soit l'Ordre des technologues en radiologie et le Collège des médecins, et qu'ils exercent leur profession dans un contexte de multidisciplinarité.

[11] La seconde, assez particulière, est de déterminer si l'indemnité accordée à Mme S... à titre de perte de soutien financier doit être diminuée étant donné la condition cardiaque de M. L... constatée à l'occasion d'un examen effectué après son décès. Cet examen s'inscrit dans le contexte d'un don d'organes auquel son épouse, Mme S..., a préalablement consenti après que fut prononcé un diagnostic de mort cérébrale.

[12] Enfin, la troisième question relative à l'évaluation des dommages traite plus particulièrement de la nature de l'indemnité à la suite du décès de M. L... et du remboursement des honoraires extrajudiciaires que Mme S... et ses deux fils réclament.



La preuve

[13] De façon générale, les faits ne sont pas contestés. La preuve au sujet de la procédure de l'angiographie cérébrale comprend la préparation du matériel, soit la préparation du plateau technique et la démarche au cours de l'examen.

[14] Elle est enrichie d'une preuve d'experts qui vise essentiellement à renseigner le Tribunal d'une part, sur ce qui aurait dû être fait avant et pendant l'examen pour éviter qu'une telle erreur se produise et d'autre part, sur le comportement du Dr Hébert dans les circonstances.

[15] Il y a aussi, bien entendu, la preuve du montant des dommages qui comprend entre autres l'opinion des experts cardiologues au sujet de l'espérance de vie de M. L..., eu égard à sa condition cardiaque constatée après son décès.

Résumé des faits pertinents

[16] Le 8 septembre 2004, M. L..., mécanicien de classe I au Service des équipements motorisés de la Direction réseaux et équipements de la Ville de Lévis, se rend à son travail (Pièce P-39).

[17] Alors qu'il est sur un madrier affairé à changer une ampoule électrique, M. L... éprouve une céphalée occipitale subite et brutale qui lui cause des étourdissements, des nausées et des vomissements.

[18] Il est admis à l'urgence de l'Hôtel-Dieu de Lévis à 9 h 30.

[19] Des examens en hématologie et en biochimie sont effectués. M. L... est par la suite soumis à une tomodensitométrie cérébrale (scan tête-cou) dont le résultat est le suivant :

«L'examen est fait sans injection de produit de contraste pour recherche d'hémorragie sous arachnoïdienne.

Ce patient présente effectivement une hémorragie sous arachnoïdienne visible principalement en péri mésencéphalique avec distribution en para médian droit et gauche, peut-être un peu plus marquée du côté droit. Un anévrisme soit de l'artère communicante antérieure, soit du type basilaire est sûrement à éliminer. Il n'y a pas d'hydrocéphalie ni foyer hémorragique intra parenchymateux décelable.» (Dossier médical de l'Hôtel-Dieu de Lévis, Pièce P-34, p. 17)

[20] À 12 h 50, M. L... est transféré en ambulance au Centre hospitalier affilié universitaire de Québec, plus spécifiquement à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus qui est un centre de traumatologie tertiaire, où il arrive à 13 h 30 (Pièce P-34, p. 5).

[21] Dès son admission, M. L... est examiné par un résident en neurologie et pris en charge par la docteure Geneviève Milot, neurochirurgienne.

[22] Cherchant à connaître la cause de l'hémorragie sous-arachnoïdienne, la Dre Milot prescrit pour le lendemain matin, soit le 9 septembre 2004, un examen en radiologie, plus précisément une angiographie cérébrale. (Dossier médical de l'Hôpital de l'Enfant-Jésus, Pièce P-36, p. 6).

[23] L'angiographie cérébrale de M. L... effectuée par le Dr Hébert débute vers 10 h 30 dans la salle de radiologie # 4.

[24] Dans les notes d'évolution que l'on retrouve au dossier médical de M. L..., deux annotations sont rédigées par le Dr Hébert.

[25] La première, le 9 septembre 2004, à 12 h, précise entre autres ce qui suit :

«Radiologie: angio cérébrale

- Approche fém dr (fémorale droite)

- Vx → ___ Carotide + Vent G

- Imp → Pas d'anévrisme

- N.B.: Lors de l'injection test dans la carotide interne droite il y a eu injection de 3 cc alcool 70% au lieu du contraste. Le patient s'est plaint que cela chauffait. Par la suite le patient est devenu plus endormi. (il avait reçu 1 cc de Versed au début de l'examen). Il répondait à son nom et ouvrait difficilement les yeux. Il ne serrait pas la main G et ne bougeait pas le pied G. Le Dr Milot a été avertie et est venue voir le patient. L'angiographie a été poursuivie et ne démontre aucune anomalie.

M. Hébert» (Pièce P-36, p. 10 et 11)

[N.B.: Le trait au paragraphe [25] indique un passage illisible]

[26] La seconde note est écrite le même jour à 15 h 05 :

« Radiologie: Un 2ème CT a été réalisé vers 14 45 et démontre un œdème cérébral touchant tout le territoire de la carotide int dr. Dr Milot procèdera à une craniectomie dr. J'ai rencontré la femme de M. L... et lui ai expliqué ce qui est arrivé lors du déroulement de l'angiographie.

M. Hébert » (Pièce P-36, p.11)

[27] On peut également lire dans les notes d'évolution du dossier médical une inscription du docteur Stéphane Langevin, anesthésiste et intensiviste à l'unité des soins intensifs, note qu'il a inscrite le lendemain, soit le 10 septembre à 16 h :

«Famille rencontrée

Séquence des événements et interventions ont été expliquées.

Pronostic nul

Famille avisée des raisons et analyse des événements en cours par direction de l'hôpital

Questions répondues

Mort cérébrale dans brève échéance probable

Suivi

S Langevin» (Pièce P-36, p. 18)

[28] Un diagnostic de mort cérébrale est signé par le Dr Langevin ce 10 septembre 2004 (Pièce P-36, p. 182). Et, le bulletin de décès du ministère de la Santé et des Services sociaux précise que le décès de M. L... est survenu le 10 septembre 2004, à 19 h 45, dû à un «œdème cytotoxique cérébral majeur» (Dossier médical du Centre hospitalier universitaire de Québec – Hôtel-Dieu de Québec, Pièce P-35, p. 156).

* * *

[29] Revenons maintenant de façon plus détaillée sur certains aspects de ce tragique événement que la preuve fait ressortir, notamment la préparation du matériel nécessaire à l'angiographie cérébrale et l'examen lui-même.

[30] La salle de radiologie # 4 de l'Hôpital de l'Enfant-Jésus sert à différents examens, qu'ils soient de nature diagnostique ou interventionniste.

[31] On y pratique évidemment des angiographies de base, dont l'angiographie cérébrale, pour laquelle le protocole d'examen (Pièce P-28) ne prévoit pas l'utilisation d'alcool isopropylique 70%, soit de l'alcool incolore.

[32] On y fait également l'installation de cathéters fémoraux et de cathéters Hickman, Léonard ou Picc-line à l'égard desquels les protocoles (Pièces DH-12 et P-26) prévoient une procédure de désinfection en trois étapes, soit une première désinfection du site de ponction avec une brosse chirurgicale, une deuxième désinfection avec l'alcool coloré suivie d'une troisième désinfection avec de l'alcool isopropylique 70%.

[33] Les examens dans la salle de radiologie # 4 débutent normalement à 8 h ce matin du jeudi 9 septembre 2004.

[34] L'horaire des examens et des interventions initialement prévus peut, dès 8 h le matin, varier en fonction de la particularité des différents cas. En effet, la séquence et l'horaire des examens ou des interventions au cours de la journée varient en fonction de chaque situation particulière, notamment si le patient est hospitalisé ou non, si l'intervention en radiologie est nécessaire et préalable à la poursuite d'une intervention dans un autre département ou s'il survient une urgence inattendue.

[35] Quoi qu'il en soit, la priorité des examens est déterminée par le médecin radiologiste assigné à la salle de radiologie tout au long de la journée qui est constamment informé des différentes demandes que reçoivent les technologues.

[36] C'est d'ailleurs ce qui arrive ce matin du 9 septembre 2004. L'angiographie cérébrale de M. L... qui devait être le deuxième examen de la journée, après une première angiographie cérébrale d'un autre patient, est retardée afin de permettre que l'on installe à un patient un cathéter fémoral (Pièce P-29). Ainsi, l'examen de M. L... qui devait être le deuxième examen de la journée après une première angiographie cérébrale dont le protocole ne prévoit pas l'utilisation d'alcool isopropylique, sera le troisième examen après l'installation d'un cathéter fémoral qui requiert l'utilisation d'alcool isopropylique pour la troisième désinfection du site de ponction.

[37] Cet aspect de la preuve pourrait avoir une importance certaine en ce qui a trait à la responsabilité du Dr Hébert qui décide l'ordre des examens au cours de la journée. Un changement de séquence mal planifié ou contrôlé pourrait certes entraîner des conséquences déplorables.

[38] Cinq professionnels sont présents dans la salle de radiologie # 4. Plus particulièrement, trois d'entre eux sont près de M. L... au cours de l'examen.

[39] Madame Élaine Gingras, infirmière, qui a terminé ses études en 1976, travaille aux soins intensifs de l'Hôpital de L'Enfant-Jésus depuis 23 ans. À son arrivée au département des soins intensifs le matin du 9 septembre 2004, elle se voit confier la tâche d'accompagner M. L... pendant toute la journée afin de lui prodiguer les soins que requiert son état.

[40] Mme Savard, technologue, a terminé ses études en 1978 et travaille depuis à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus. De 1982 à 2001, elle a travaillé en tomodensitométrie. Ayant suivi une formation spécialisée en angiographie, elle occupe depuis le mois de septembre 2001 un poste à temps complet de jour au département de radiologie, plus particulièrement en angiographie. Elle continue toutefois de travailler en tomodensitométrie.

[41] M. Tremblay, technologue, a terminé ses études en 1970. Jusqu'en 1972, M. Tremblay exerce généralement sa profession. De 1972 jusqu'en 2000, il exerce sa profession en angiographie et en tomodensitométrie. De l'année 2000 jusqu'au mois de mars 2007, date de sa retraite, il exerce sa profession exclusivement en angiographie.

[42] En 2004, M. Tremblay est considéré comme le technologue en radiologie le plus expérimenté de son département. Il est d'ailleurs, à compter de l'année 2003, coordonnateur du département. Il est responsable de la préparation des horaires de travail des technologues et de l'achat du matériel pour toutes les salles de radiologie de l'hôpital.

[43] Le Dr Mario Hébert a obtenu son diplôme de médecine en 1982. Il a terminé une spécialité en radiologie à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus en 1986. D'ailleurs, M. Tremblay se souvient du Dr Hébert alors qu'il était résident en radiologie. Il complète une sur-spécialité en neuro-angiographie interventionniste l'année suivante, dont six mois à Paris et six mois à New York. Il est de retour à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus en 1988 où il pratique depuis en angiographie diagnostique et interventionniste. Il enseigne également aux résidents en radiologie et fait de la recherche en collaboration avec les étudiants qu'il a sous sa responsabilité.

[44] D'ailleurs, à l'occasion de l'examen de M. L..., le Dr Hébert est accompagné d'un résident, le docteur Nicolas Tabah qui, selon la preuve, est un observateur qui n'a pas participé à la partie technique de l'examen. Son seul rôle aurait été d'expliquer à M. L... la nature et le déroulement de l'examen qu'il devait subir et d'obtenir son consentement (Pièce P-36, p. 186).

[45] Le Dr Hébert travaille régulièrement avec Mme Savard et M. Tremblay.

[46] Au sujet de Mme Savard, il dit qu'elle est «attentive et méticuleuse». Concernant M. Tremblay, c'est un homme à ses affaires. Il précise : «c'était le meilleur».

[47] Il a confiance en ces deux technologues et se sent confortable de travailler avec eux. Il éprouve à leur égard une affinité, une certaine complicité.

[48] Ce sont donc des professionnels de grande expérience qui entourent M. L....

[49] La semaine débutant le lundi 6 septembre 2004, le Dr Hébert est de service au département de radiologie. C'est l'un des radiologistes qui procèdera aux divers examens au cours de cette semaine.

[50] Le jeudi 9 septembre 2004, la Dre Milot fait le premier examen de la journée dans la salle # 4. Elle procède alors à une angiographie cérébrale de l'un de ses patients.

[51] Le deuxième examen prévu est celui de M. L.... Cependant, pendant le premier examen l'on reçoit un appel du département d'hématologie qui demande que l'on procède à l'installation d'un cathéter fémoral à un patient. Le Dr Hébert donne son accord et procède lui-même à l'installation du cathéter fémoral sur ce patient.

[52] Cette intervention terminée, le patient quitte la salle de radiologie et les deux technologues présents, soit Mme Savard et M. Tremblay, s'affairent à préparer le matériel nécessaire pour le troisième examen, soit l'angiographie cérébrale de M. L....

[53] Précisons dès à présent que le quatrième examen sera aussi l'installation chez un patient d'un cathéter périphérique (Picc-line ou Port-à-Cat) (Pièce P-29).

[54] La preuve au sujet de la disposition du mobilier dans la salle d'examens # 4 est pertinente dans la mesure où elle permet de situer les professionnels présents et de mieux comprendre le rôle de chacun d'eux au cours de l'examen.

[55] Une angiographie ou l'installation d'un cathéter est effectuée par le radiologiste qui peut être assisté d'un technologue. Ils doivent porter des survêtements stériles et, dans le cas d'une angiographie, d'un tablier protecteur étant donné l'émission de rayons X.

[56] Pendant la durée d'une intervention, le deuxième technologue et les autres personnes présentes se retirent dans une petite salle adjacente à la salle d'examen où sont installés les consoles et appareils informatiques et d'où ils peuvent voir à travers une vitre protectrice tout ce qui se passe dans la salle d'examens.

[57] Toutefois, c'est davantage la préparation par les technologues du matériel nécessaire à l'examen qui retient l'attention. En effet, dès que le deuxième patient quitte la salle de radiologie # 4, Mme Savard et M. Tremblay témoignent qu'ils préparent alors le matériel nécessaire pour le troisième examen, soit celui de M. L....

[58] Mme Savard témoigne que le matin du 9 septembre 2004, elle-même et M. Tremblay savaient que l'on devait procéder à l'examen d'un patient qui était hospitalisé aux soins intensifs à la suite d'une hémorragie sous-arachnoïdienne.

[59] Aussi, Mme Savard et M. Tremblay témoignent que lorsque débute la préparation du plateau technique pour le troisième examen, soit celui de M. L..., ils sont conscients que cet examen est une angiographie cérébrale.

[60] Mme Savard affirme qu'il n'y avait alors dans son esprit aucun doute que la préparation du plateau technique «était pour une intervention [qu'elle identifiait] parfaitement».

[61] M. Tremblay affirme que «l'on montait un plateau pour une angiographie – c'est officiel».

[62] Tous les deux profitent donc de leur témoignage à l'audience pour affirmer sans réserve qu'ils ne sont pas d'accord avec les propos rapportés des docteurs Milot et Langevin selon lesquels il y aurait eu confusion entre la préparation du plateau technique et l'examen prévu.

[63] Selon ces dires, au lieu de préparer le plateau technique pour une angiographie cérébrale, on aurait erronément préparé le plateau technique pour l'installation d'un cathéter fémoral.

[64] Le Tribunal croit l'affirmation non contredite de Mme Savard et de M. Tremblay qu'un élément de la preuve confirme par ailleurs.

[65] Un plateau de matériel stérilisé, identique quel que soit l'examen, est préparé avant chaque examen.

[66] Ce plateau, qui provient d'un endroit où l'on procède à la stérilisation de ce qu'il contient, est enveloppé dans un tissu qui le protège contre toute contamination et comprend ce qui suit :

- Un contenant en forme de rein (réniforme);

- Un contenant rond de 40 cc;

- Deux contenants ronds de 250 cc;

- Une pince à badigeonner, un manche à bistouri et des petites pinces;

- Des gaz stériles.

[67] Est également enveloppé de la même façon un bassin rond d'une plus grande dimension. Enfin, des seringues et des aiguilles complètent ce matériel.

[68] Mme Savard précise que le matériel est préparé de la même façon, quel que soit le radiologiste qui fait l'examen à l'exception d'une seule chose.

[69] Certains radiologistes utilisent une seringue de 20 cc et deux seringues de 10 cc. Dans ce cas, la seringue de 20 cc sert à injecter la xylocaïne (un produit anesthésique pour geler le patient) et les deux seringues de 10 cc servent respectivement à injecter le produit de contraste et la solution physiologique (de l'eau et du sel).

[70] D'autres radiologistes dont le Dr Hébert utilisent deux seringues de 20 cc, dont l'une pour la xylocaïne et l'autre pour la solution physiologique, et une seringue de 10 cc pour le produit de contraste.

[71] On constate que dans les deux cas, c'est une seringue de 10 cc qui sert à injecter le produit de contraste.

[72] Aussi, dans le premier cas, s'il advenait une erreur dans l'utilisation des seringues de 10 cc, elle ne pourrait être fatale car la solution physiologique ne peut causer de dommages.

[73] Selon le témoignage de Mme Savard, lorsque l'on prépare une angiographie cérébrale, l'on verse dans les différents contenants ce qui suit :

- Dans le grand bassin rond, l'on verse 800 cc de liquide physiologique (de l'eau et du sel) auquel on ajoute 1 cc d'héparine;

- Dans le contenant réniforme, l'on verse 200 cc de liquide physiologique, ce qui dispose du sac qui contient un litre de ce soluté;

- Dans le contenant de 40 cc, l'on verse 20 cc de xylocaïne qui est un anesthésique (Pièce DH-3);

- Les deux contenants de 250 cc

• Dans l'un de ces contenants, l'on verse de la chlorhexidine qui est un désinfectant. Ce liquide est de couleur rouge (Pièce DH-4);

• Dans l'autre contenant, l'on verse le liquide de contraste commercialisé sous le nom de Visipaque qui est incolore et inodore (Pièces DH-5 et P-25).

[74] On constate, ce que confirme d'ailleurs Mme Savard et le protocole de l'angiographie de base (Pièce P-28), qu'on n'utilise pas d'alcool isopropylique 70% pour une angiographie cérébrale.

[75] Par ailleurs, pour l'installation d'un cathéter fémoral, la démarche énoncée précédemment comporte les deux modifications suivantes :

- On ne se sert pas du grand bassin rond;

Et

- Dans l'un des deux contenants de 250 cc, l'on verse de l'alcool isopropylique 70% au lieu du liquide de contraste.

[76] En effet, à l'occasion de son témoignage, Mme Savard précise que pour l'installation d'un cathéter fémoral on ne se sert pas du grand bassin rond qui contient 800 cc de liquide physiologique, matériel par ailleurs nécessaire pour une angiographie cérébrale.

[77] De plus, pour l'installation d'un cathéter fémoral, l'on n'a évidemment pas besoin de liquide de contraste nécessaire pour une angiographie.

[78] Mais, on a besoin d'alcool isopropylique 70% pour procéder à la troisième désinfection du site de ponction (Pièces DH-12 et P-26).

[79] Après que le deuxième patient eut quitté la salle de radiologie # 4, Mme Savard témoigne qu'elle-même et M. Tremblay ont commencé à préparer le matériel stérilisé.

[80] M. Tremblay témoigne plutôt qu'à ce moment il est allé faire les films du premier examen effectué par la Dre Milot pendant que Mme Savard commençait à retirer le tissus de protection qui recouvrait le matériel stérilisé nécessaire à l'examen de M. L....

[81] Toutefois, les témoignages de Mme Savard et de M. Tremblay concordent en ce qui concerne la suite des événements. En effet, au moment où Mme Savard quitte la salle de radiologie # 4 pour disposer des poubelles, elle voit M. Tremblay qui commence à verser le liquide physiologique, sans préciser dans quel contenant. Cependant, la preuve démontre que déjà le grand bassin rond est découvert de son drap de protection. L'on sait que le grand bassin contient 800 cc de liquide physiologique et que le bassin réniforme en contient 200 cc, ce qui dispose du contenu du sac d'un litre.

[82] Cela confirme qu'elle-même et M. Tremblay se préparaient pour une angiographie cérébrale et que ce dernier préparait alors le matériel nécessaire pour un tel examen, dont le grand bassin rond qui contient 800 cc de liquide physiologique.

[83] Mme Savard et M. Tremblay n'ont donc pas confondu les instructions du Dr Hébert au sujet de l'ordre de priorité des examens.

[84] M. Tremblay témoigne qu'il voit Mme Savard sortir de la salle et, pendant qu'elle est absente, il remplit les différents contenants.

[85] Lorsque Mme Savard revient dans la salle de radiologie # 4, elle se dirige à la salle adjacente à la salle d'examen et sort le film d'un examen précédent. Mme Savard témoigne qu'à ce moment tous les liquides sont versés et que le plateau technique pour l'examen de M. L... est complété.

[86] À la toute fin de son témoignage, M. Tremblay, ne pouvant expliquer son erreur, précise cependant que le produit de contraste n'est généralement pas versé en même temps que les autres liquides, mais qu'il est gardé au chaud dans un réchaud et versé uniquement lorsque le radiologiste arrive. Cette précaution est prise pour que la température du produit de contraste soit le plus près possible de celle du corps humain.

[87] M. L... arrive accompagné de l'infirmière, Mme Gingras, et d'un brancardier. On installe M. L... sur la table d'examen et on appelle le Dr Hébert.

[88] Le Dr Hébert a un souvenir précis du cas de M. L....

[89] Lorsqu'il arrive à la salle de radiologie # 4, tout le matériel est prêt; M. L... est recouvert de champs stériles.

[90] Il précise qu'il peut arriver qu'il soit présent dans la salle lorsque le technologue verse le produit de contraste dans le potin, mais habituellement, il n'est pas présent. Le Dr Hébert sait qu'en 2004, il n'y a pas de double vérification en ce qui a trait à la préparation du plateau technique, et plus particulièrement à la préparation des différents liquides nécessaires à l'intervention, dont le produit de contraste.

[91] Il met son tablier protecteur, endosse une jaquette et des gants et s'approche de M. L.... Il l'appelle par son nom, lui explique la nature et la procédure de l'examen ainsi que les risques de complications possibles. En somme, il reprend les explications de l'interne, le Dr Tabah.

[92] Mme Savard, qui assiste le Dr Hébert, approche le plateau technique devant lui; la procédure de l'intervention diagnostique, soit l'angiographie cérébrale, commence.

[93] Mme Savard lui remet une seringue de 20 cc qui contient de la xylocaïne montée sur une aiguille et le Dr Hébert gèle l'aine du patient.

[94] Avec un bistouri, le Dr Hébert fait une petite incision au niveau de l'aine du patient, de façon à lui permettre d'insérer les différents cathéters qu'il dirige jusqu'à la carotide interne droite.

[95] Voulant vérifier la position exacte du cathéter au niveau de la carotide interne droite, le Dr Hébert prend la seringue de 10 cc qui est dans le potin rond de 250 cc et, à même ce potin qui doit contenir le produit de contraste, il aspire 3 cc du produit, installe la seringue au bout du cathéter et fait l'injection.

[96] Alors qu'il actionne l'appareil de radiologie pour que soit émis un faisceau de rayons X, le Dr Hébert constate qu'il ne peut percevoir la position du cathéter dans la carotide interne droite de M. L....

[97] Au même moment, M. L... réagit en disant, selon ce que rapporte le Dr Hébert : «Aïe! Ça chauffe dans l'œil».

[98] Le Dr Hébert demande alors à Mme Savard ce qu'il y a dans le potin. Celle-ci prend le potin, l'approche de son nez, le sent et dit au Dr Hébert : «Le potin contient de l'alcool».

[99] Mme Savard retire le potin du plateau technique pendant que le Dr Hébert retire la seringue du cathéter ayant servi à injecter le produit.

[100] Le Dr Hébert témoigne que la seringue dont il se sert pour injecter le produit de contraste n'a pas d'indication qui précise la nature de son contenu, mais, c'est la seule seringue de 10 cc qu'il utilise. Au moment où il commence l'injection, il croit qu'il injecte le produit de contraste. Il reconnaît toutefois qu'il n'a pas une connaissance personnelle du contenu de la seringue.

[101] Le Dr Hébert précise aussi qu'il n'a aucunement participé et qu'il n'a pas été consulté pour la préparation des différents protocoles. De même qu'il n'a pas participé à l'élaboration de la procédure de désinfection de quelque intervention que ce soit.

[102] Enfin, selon le Dr Hébert, la notion de «patron» et de «chef» est faussement interprétée. Dans une salle d'angiographie, il n'y a pas de patron mais plusieurs intervenants qui poursuivent un objectif commun et sécuritaire.

La preuve d'experts

[103] Au chapitre de la responsabilité, quatre experts, dont une technologue en radiologie et trois médecins radiologistes, ont témoigné et produit un rapport.

[104] Leur témoignage respectif démontre dans une large mesure les modalités de fonctionnement d'une salle de radiologie où l'on pratique des angiographies cérébrales.

[105] Ils expriment également leur opinion au sujet de la responsabilité que doivent assumer les différents intervenants dans la préparation et la procédure d'un examen.

[106] Madame Christine Beaudet, technologue en radiologie, a rédigé pour les demandeurs un rapport daté du 22 juin 2007 (Pièce P-48), mais elle a témoigné à l'audience à la demande des défendeurs, l'Hôpital de l'Enfant-Jésus, Mme Savard et M. Tremblay.

[107] À l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont de Montréal où elle exerce sa profession, il y a effectivement de l'alcool isopropylique 70% dans les salles d'examens où l'on fait des angiographies.

[108] Toutefois, l'alcool isopropylique ne sert jamais à la désinfection des patients.

[109] Elle écrit dans son rapport, «le travail qui se fait dans une salle d'angiographie se doit d'être un travail d'équipe pour la sécurité du patient». «Les technologues sont responsables de la préparation de la table, incluant les liquides utilisés». «Normalement quand le radiologiste se présente pour la procédure, la table est prête avec tous les liquides nécessaires».

[110] À ce sujet, Mme Beaudet précise au cours du contre-interrogatoire que les produits destinés à la procédure d'angiographie ne sont pas versés en présence du radiologiste.

[111] À une question portant sur les standards de la pratique de sa profession, Mme Beaudet répond :

«Les gestes posés par les technologues en radiologie avant la procédure n'ont pas respecté les standards, notamment, porter une grande attention aux gestes qu'ils posent. Il est toujours important de vérifier l'étiquette du produit que l'on verse dans un potin, pour l'exécution d'une procédure radiologique quelle qu'elle soit. Il doit y avoir un protocole pour identifier les différents produits sur la table.»

[112] Mme Beaudet, habilitée à faire des injections dans l'exercice de sa profession, exprime l'opinion que celui ou celle qui fait une injection doit nécessairement s'assurer du contenu de la seringue avant de faire l'injection. Elle conclut que: «Si on ne peut identifier avec certitude le contenu de la seringue, il faut en disposer».

[113] C'est également l'avis de la docteure Viviane Khoury, radiologiste, qui, à l'instar de Mme Beaudet, a préparé pour les demandeurs un rapport daté du 29 août 2007 (Pièce P-47), mais qui a témoigné à l'audience à la demande des mêmes défendeurs.

[114] Au cours de son témoignage, elle nuance son rapport mais conclut tout de même que son opinion repose essentiellement sur le principe qu'il faut toujours s'assurer de disposer d'une méthode sécuritaire pour identifier le produit que l'on injecte et avoir la conviction que l'on injecte le bon produit.

[115] Enfin, les docteurs Michel Dubé et Michel Lainesse, radiologistes, à la demande de la partie demanderesse d'une part et du défendeur le Dr Hébert d'autre part, ont respectivement rédigé et produit un rapport (Pièce P-46, daté du 25 janvier 2005, complété le 10 septembre 2007, et Pièce D-2, daté du 31 octobre 2007).

[116] Malgré quelques distinctions principalement dues au fait qu'ils exercent leur profession dans deux centres hospitaliers différents, l'essentiel de leur rapport et de leur témoignage à l'audience se rejoignent.

[117] Dans son rapport d'expertise (Pièce P-46), le Dr Dubé écrit :

«Une fois l'asepsie complétée, les champs stériles sont positionnés sur le patient en laissant seulement le site de ponction accessible pour le radiologiste qui est à ce moment appelé en salle par le personnel.

À son entrée en salle, le radiologiste a deux options. Dans un premier temps, s'il s'agit d'un cas relativement simple, il est possible qu'il soit seul à procéder à l'examen sans l'aide de personnel technique (blousé et stérile). À ce moment, c'est donc lui qui est responsable de toutes les substances et produits disponibles sur la table stérile. Il doit donc s'enquérir du contenu de tous les récipients disposés sur la table auprès du technicien qui a préparé celle-ci. Il est bien évident que les récipients qui servent au contraste sont différents en terme de volume et de morphologie par rapport à ceux qui contiennent du liquide physiologique ou un liquide antiseptique. Le radiologiste doit quand même s'enquérir du contenu de toutes les fioles avant de procéder à l'examen.

Le deuxième cas de figure est celui qui nous intéresse ici. C'est-à-dire que dans le cas d'un examen plus complexe, le radiologiste sera assisté d'un technicien expérimenté et compétent, généralement celui qui a procédé à la préparation de la table d'examen. Ce dernier est donc parfaitement au courant du contenu de toutes les fioles qui sont présentes sur la table et à mon avis il en est responsable. Dans cette situation, il n'est pas de coutume pour le radiologiste de vérifier directement le contenu de tous les récipients avec le technicien en poste.»

[118] Et il conclut :

«À mon avis, c'est le technicien qui est responsable du contenu de cette seringue puisqu'il est impossible pour le radiologiste de faire la différence entre du liquide physiologique, du contraste, de l'alcool ou même de la chlorhexidine puisque toutes ces substances sont incolores et vraisemblablement inodores lorsque contenues dans une seringue.»

[119] Dans un complément de rapport daté du 10 septembre 2007, à une question portant sur les standards de la pratique médicale lors d'une angiographie cérébrale, le Dr Dubé répond :

«A mon avis, le Dr Hébert a agi selon les règles de l'art concernant la partie clinique de l'examen, qui débute au moment de son arrivée dans la salle d'angiographie. La préparation du patient et de la salle demeure sous la responsabilité des techniciens en radiologie, qui sont formés à cet effet et qui doivent respecter rigoureusement les règles de fonctionnement et de sécurité préalablement établies par les radiologistes.

[…]

C'est donc au médecin que revient la responsabilité d'établir un système de fonctionnement sécuritaire et au personnel technique de s'assurer que toutes les étapes se sont déroulées de façon conforme au protocole, avant l'arrivée du radiologiste.»

[120] Par ailleurs, aux termes d'un rapport très détaillé (Pièce D-2), le Dr Lainesse conclut :

«Le matin du 9 septembre 2004, le docteur Mario Hébert travaillait avec du personnel très habitué qui œuvrait en angiographie depuis plusieurs années. La procédure était très standard et probablement la plus fréquemment exécutée. Il n'y avait aucun changement de protocole et le milieu était très connu par le radiologue autant que par les technologues et pour ces raisons, le docteur Mario Hébert n'avait pas à s'informer du contenu des potins, lesquels étaient toujours les mêmes pour cet examen, ou à s'assurer que tous les produits qui se trouvaient sur la table d'appoint étaient des produits injectables. Pour cet examen, la désinfection était faite à l'Hibitane® coloré et non pas à l'alcool. En aucun temps, pour cette procédure, on ne devait retrouver de l'alcool sur la table d'appoint ni sur la table adjacente à la table d'angiographie. Alors, dans de telles circonstances, je crois que le docteur Hébert a agi dans les règles de l'art.»

Prétentions des parties

[121] Selon les demandeurs, le concept de l'obligation solidaire[1] est ici fondamental et s'applique à tous les défendeurs. En effet, étant donné son état, M. L... se retrouvait dans une situation de vulnérabilité, dépendant d'un système de soins à l'égard duquel il n'avait aucun contrôle.

[122] Cette solidarité entre les défendeurs résulte soit de l'article 1480 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[2], soit de l'article 1525 C.c.Q[3].

[123] Dans le premier cas, l'obligation solidaire des défendeurs résulte qu'ils ont participé à un «fait collectif fautif» qui a entraîné un préjudice. En l'occurrence, c'est le fait d'avoir prodigué à M. L... «un soin fautif», indistinctement des actes que chacun d'eux a posés.

[124] Dans le second cas, la solidarité entre les défendeurs est présumée du fait qu'ils ont contracté à l'égard de M. L... une obligation dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de services. En l'occurrence, c'est l'exploitation d'une «entreprise de soins», soit une «activité économique organisée» vouée à la «prestation de services» qui est en cause.

[125] Pour l'Hôpital de l'Enfant-Jésus et ses employés, Mme Savard et M. Tremblay, on est en présence d'actes posés par deux professionnels, d'où résultent deux obligations distinctes.

[126] La première, c'est l'obligation de verser le bon produit dans le potin. La seconde, c'est l'obligation d'injecter le bon produit dont la responsabilité ultime repose sur les épaules de celui qui fait l'injection car, en définitive, c'est cet acte qui est susceptible de causer un préjudice. De plus, ils sont d'avis que cette obligation, quel que soit le professionnel qui l'exécute, est de la nature d'une obligation de résultat.

[127] Cette approche individualisée des actes professionnels résulte du fait que chaque intervenant est responsable de la sécurité du patient et leur responsabilité s'établit en proportion de la gravité de leur faute respective. Cela s'inscrit dans le contexte de l'article 1478 C.c.Q. qui prévoit que «lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective».

[128] Enfin, le Dr Hébert soutient que nous sommes ici dans un contexte d'autonomie professionnelle. En effet, lui-même ainsi que Mme Savard et M. Tremblay sont membres d'un ordre professionnel distinct à exercice exclusif, soit le Collège des médecins et l'Ordre des technologues en radiologie. Étant donné l'absence de délégation ou de sous-délégation d'actes professionnels, chaque intervenant membre d'un ordre professionnel doit assumer l'entière responsabilité des actes qu'il pose.

[129] Le Dr Hébert ajoute que l'événement dont M. L... fut victime était, tant pour lui-même que pour Mme Savard, imprévisible étant donné l'absence du moindre indice qui aurait pu éveiller un soupçon.

[130] Il conclut qu'il ne peut être tenu responsable. Mais, si tel est le cas, Mme Savard l'est également.

[131] Par ailleurs, la détermination du montant des dommages soulève plus particulièrement la question de la nature de l'indemnité, de l'espérance vie de M. L... et de la compensation pour les honoraires extrajudiciaires.

[132] L'indemnité accordée est-elle de la nature d'une perte de capacité de gains comme le soutiennent les demandeurs, ou d'une perte de soutien financier comme le soutiennent les défendeurs? Il y a dans l'évaluation de ces deux types d'indemnités une différence quant aux revenus considérés.

[133] Pour les demandeurs, le consentement au prélèvement d'organes, quoique donné par Mme S..., est celui du patient formulé avant son décès. Sa condition cardiaque ayant été connue après le décès, l'indemnité ne peut en être affectée.

[134] Selon les défendeurs, cette question doit être analysée dans un contexte strictement contractuel. Et, il s'agit d'un contrat «suis generis» soumis aux règles du consentement éclairé donné par la demanderesse, Mme S....

[135] Quant aux honoraires extrajudiciaires, l'une et l'autre des parties qui se réfèrent à l'arrêt Viel de la Cour d'appel[4] y voient une interprétation pour soutenir leurs prétentions.

[136] Mentionnons uniquement à ce moment-ci que selon les demandeurs, quoique l'arrêt Viel reconnaît explicitement la possibilité de dommages pour «abus de procédures», il ne ferme pas la porte à l'obtention de dommages pour «abus sur le fonds», ce que contestent les défendeurs.

Analyse

[137] Incapable d'expliquer son erreur, M. Tremblay reconnaît qu'«une faute a été commise», ce qui entraîne sa responsabilité et celle de l'Hôpital de l'Enfant-Jésus, son employeur[5].

[138] Selon les demandeurs, cette admission du défendeur, M. Tremblay, devrait également emporter la responsabilité de Mme Savard et du Dr Hébert.

[139] Leur opinion repose sur l'expression «fait collectif fautif» de l'article 1480 C.c.Q. qui énonce ce qui suit :

«Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.»

[soulignements ajoutés]

[140] Aux dires des demandeurs, nous ne sommes pas face à un cas où deux personnes «ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé».

[141] Ce n'est pas la thèse qu'ils soutiennent. Leur argument se limite uniquement à la première partie de la phrase: «Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif qui entraîne un préjudice».

[142] Pour que l'on puisse retenir l'interprétation des demandeurs, il faut, comme ils le soulignent d'ailleurs, considérer que les actes posés par tous les intervenants visaient à prodiguer un soin qui s'est révélé fautif et constitue ainsi «un fait collectif fautif».

[143] Cette approche des demandeurs semble toutefois confondre les notions de «faute collective» et de «fait collectif fautif».

[144] La faute collective pourrait être le cas où plusieurs personnes commettent ensemble un même acte fautif. Et, le fait collectif fautif serait le cas où plusieurs personnes participent à une activité qui s'avère fautive, sans qu'il soit possible d'identifier l'auteur de la faute. C'est-à-dire, «la situation où deux ou plusieurs actes ont été posés en même temps (ou dans un intervalle de temps très court l'un de l'autre), et où un seul a pu causer le dommage, sans qu'il soit possible toutefois d'identifier lequel»[6].

[145] En somme, ce qui caractérise le «fait collectif fautif», c'est la difficulté d'identifier la faute à l'origine du préjudice.

[146] Donc, l'article 1480 C.c.Q. ne crée pas comme telle une notion de «faute collective» dont les auteurs seraient solidairement responsables.

[147] L'article 1480 C.c.Q. ne vise que «le fait collectif fautif», c'est-à-dire le cas où il n'est pas «possible […] de déterminer laquelle des fautes (a) effectivement causé (le préjudice)» sans plus.

[148] Par ailleurs, l'article 1525 C.c.Q. prévoit que la solidarité est «présumée entre les débiteurs d'une obligation contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise».

[149] D'entrée de jeu, il est loin d'être certain que l'on puisse considérer que les services, de quelque nature qu'ils soient, qui sont dispensés par un établissement hospitalier régi par une législation d'intérêt public le sont dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 C.c.Q.

[150] L'étude de cette question pourrait certes être intéressante. Mais, même si tel était le cas, cet article du Code civil du Québec ne fait que prévoir une présomption simple qui pourra toujours être repoussée par une preuve contraire[7].

[151] Cela nous ramène donc aux notions de la responsabilité civile, soit l'identification de la faute par action ou omission, le préjudice et le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

[152] Malgré l'admission de responsabilité de M. Tremblay, d'autres questions subsistent tant à l'égard de Mme Savard que du Dr Hébert.

[153] Il y a lieu d'examiner la conduite de Mme Savard et du Dr Hébert séparément, étant donné leurs fonctions et leur rôle respectif.

Mme Savard

[154] Mme Savard doit-elle, entre autres, être tenue responsable:

- De ne pas avoir assisté M. Tremblay en tout temps pour la préparation du plateau technique?

- De ne pas avoir constaté et surtout réagi ne voyant pas M. Tremblay verser le produit de contraste dans le potin de 250 cc après que M. L... fut arrivé à la salle # 4 et installé pour l'examen?

- D'avoir assisté directement le Dr Hébert, malgré qu'elle n'avait pas préparé le plateau technique ni vu M. Tremblay verser les liquides dans les différents potins?

[155] Mme Savard, qui est absente de la salle de radiologie # 4 alors que M. Tremblay prépare le plateau technique, se retrouve dans la même situation que le Dr Hébert dès que débute l'angiographie cérébrale de M. L.... En effet, elle n'a pas une connaissance personnelle de ce que contient le potin de 250 cc dans lequel elle dépose la seringue de 10 cc qui sert à l'injection du produit de contraste.

[156] Toutefois, un point bien précis distingue la situation de Mme Savard de celle du Dr Hébert.

[157] En effet, la preuve démontre que pour préserver une certaine température, le produit de contraste est habituellement versé dans le potin de 250 cc une fois que le patient est arrivé à la salle de radiologie et installé pour son examen. Il peut aussi arriver que le produit de contraste soit versé lorsque le radiologiste est présent.

[158] Mme Savard témoigne que lorsqu'elle revient dans la salle de radiologie # 4, elle s'affaire à sortir un film dans la partie adjacente à la salle d'examen et que tous les liquides sont alors versés; le plateau technique est donc complété, prêt pour l'examen.

[159] M. L... arrive accompagné d'une infirmière et d'un brancardier et «on l'installe sur la table».

[160] Alors, pourquoi Mme Savard n'a-t-elle pas réagi, ne voyant pas M. Tremblay verser le produit de contraste après que M. L... fut arrivé dans la salle et installé pour l'examen?

[161] Dans le contexte que démontre la preuve, la réponse à cette question, à l'instar des deux autres questions qui concernent plus particulièrement Mme Savard, s'infère de l'absence d'une démarche rigoureusement planifiée.

[162] En effet, malgré la présence d'un protocole qui précise ce qui doit être fait en préparation d'un examen, telle une angiographie cérébrale, ce protocole ne précise pas le contexte dans lequel les actes qu'il prévoit seront posés (Pièce P-28).

[163] Et, c'est souvent par une analyse minutieuse des actes à poser dans le cadre d'une démarche bien planifiée que l'on peut prévoir et assurer une certaine sécurité.

[164] S'il avait été prévu que les deux technologues devaient être présents en tout temps pour la préparation du plateau technique, ou s'il avait été prévu que le technologue qui remplit les différents potins en vue d'un examen assiste directement le radiologiste, on aurait certes planifié une démarche davantage sécuritaire qui pourtant doit être l'un des objectifs prioritaires.

[165] Même si Mme Savard a déposé la seringue de 10 cc dans le potin de 250 cc dont elle n'avait pas une connaissance personnelle du contenu, elle ne doit pas pour autant en être tenue personnellement responsable.

[166] Imputer à Mme Savard une telle responsabilité ferait en sorte de lui imposer le fardeau d'assumer la responsabilité d'une lacune ou d'une absence de précision dans la procédure ou le protocole, ce qui ne relève pas de sa seule responsabilité.

[167] Même si elle doit en tout temps se préoccuper de la sécurité du patient, Mme Savard ne peut être tenue personnellement responsable de cette omission qui relève davantage de la planification des soins auxquels elle participe.

[168] À cet égard, la preuve démontre que le travail des deux technologues visait à faire en sorte que l'on assure un bon fonctionnement de la salle de radiologie, soit la préparation de la salle et du matériel, le changement de séquence, le cas échéant, l'accueil du patient, l'assistance au radiologiste et le suivi de l'examen. Mais, rien dans la preuve ne démontre que pour certains actes bien précis, telle la préparation du plateau technique, l'on devait agir d'une façon bien particulière selon une démarche planifiée. Cela semble avoir été laissé à la seule discrétion des personnes présentes. Et, le plateau technique a été préparé par M. Tremblay, Mme Savard étant occupée à d'autres tâches.

[169] Par ailleurs, Mme Savard témoigne que dès que tout est prêt, l'un ou l'autre des technologues appelle le Dr Hébert qui à son arrivée s'assure d'obtenir le consentement du patient. Elle prépare la seringue de 20 cc de xylocaïne, elle dépose la seringue de 10 cc dans le potin de 250 cc qui en principe doit contenir le produit de contraste et approche le plateau technique près du Dr Hébert.

[170] Débute alors la procédure de l'angiographie cérébrale au cours de laquelle plusieurs injections de produit de contraste doivent être effectuées.

Le Dr Hébert

[171] Le Dr Hébert doit-il être tenu responsable d'avoir fait une injection de 3 cc d'un produit qu'il a aspiré avec une seringue de 10 cc du potin de 250 cc placé près de lui sans s'être auparavant informé de la nature exacte du liquide contenu dans ce potin?

[172] Autrement dit, le Dr Hébert devait-il avoir une connaissance personnelle du contenu de la seringue?

[173] La situation du Dr Hébert est différente de celle de Mme Savard. C'est lui qui fait l'injection.

[174] Avec raison, la Dre Khoury mentionne que l'on doit prévoir une méthode sécuritaire pour identifier le produit que l'on injecte à un patient et avoir la conviction que l'on injecte le bon produit.

[175] Mme Beaudet complète cet énoncé en affirmant que si l'on ne peut identifier avec certitude le contenu de la seringue, il faut en disposer.

[176] Le Dr Dubé écrit: «C'est donc au médecin que revient la responsabilité d'établir un système de fonctionnement sécuritaire […]».

[177] De façon prépondérante, la preuve démontre que le Dr Hébert avait l'obligation de connaître le contenu de la seringue avant de procéder à l'injection. Du moins, il avait la responsabilité de s'assurer qu'il procédait dans un contexte sécuritaire.

[178] Prétendre le contraire serait pour le moins préoccupant!

[179] Toutefois, même si l'on considère que le Dr Hébert avait l'obligation de connaître le contenu de la seringue avant de procéder à l'injection, a-t-il dans les circonstances que révèle la preuve commis une faute?

[180] Alors que le Dr Hébert obtient de M. L... son consentement à l'examen et quelques instants avant qu'il entreprenne la procédure de l'examen, Mme Savard dépose la seringue de 10 cc dans le potin de 250 cc qui en principe doit contenir le produit de contraste et approche le plateau technique près du Dr Hébert.

[181] Lorsque le Dr Hébert procède à l'incision de l'aine de M. L... pour introduire le cathéter dans l'artère fémorale droite, il a, entre autres, dans son entourage immédiat:

• Le grand bassin rond qui contient 800 cc de liquide physiologique;

• Le plateau technique qui comprend les différents potins usuels ainsi que les autres instruments et gaz stériles;

• Et, plus particulièrement, le potin de 250 cc qui contient un liquide incolore dans lequel repose également la seule seringue de 10 cc dont il se sert pour injecter le produit de contraste.

[182] Bref, tout le matériel nécessaire à une angiographie cérébrale est dans l'environnement immédiat du Dr Hébert.

[183] Deux éléments de la preuve sont ici fort importants.

[184] Premièrement, le grand bassin rond qui contient 800 cc de liquide physiologique est nécessaire pour une angiographie cérébrale, mais ne l'est pas pour l'installation d'un cathéter périphérique quel qu'il soit.

[185] Deuxièmement, l'alcool isopropylique 70% ou l'alcool incolore n'est jamais utilisé pour une angiographie cérébrale.

[186] On peut ajouter que, concernant le produit de contraste et l'alcool isopropylique, la preuve démontre que le contenant qui contient l'alcool est une bouteille de plastique d'une certaine dimension qui est bien identifiée et que l'on ouvre facilement (Pièce P-69).

[187] Quant au produit de contraste, il est contenu dans une bouteille de verre plus petite qui demande un certain nombre d'opérations pour l'ouvrir, étant donné qu'elle est scellée (Pièce P-25).

[188] Autant les demandeurs que les défendeurs s'appuient sur les principes énoncés par la Cour d'appel dans l'arrêt Hôpital de Chicoutimi c. Battikha pour soutenir leurs prétentions.

[189] Commentant l'intensité de l'obligation du personnel infirmier et des médecins, M. le juge Louis LeBel écrit:

«Par ailleurs, chacun peut être soumis à des obligations d'intensités diverses. Le médecin est tenu généralement à une obligation de moyens. L'obligation imposée à un personnel infirmier vis-à-vis d'un acte de contrôle arithmétique, comme un décompte de compresses ou d'instruments chirurgicaux, présente une nature différente. Elle peut être qualifiée d'obligation de résultat, qui ne fait pas appel à une marge de jugement ou d'appréciation, mais doit être accomplie exactement. Si elle ne l'a pas été, comme dans le présent cas, et si aucune explication n'a pu être fournie, la faute peut être considérée comme établie et la responsabilité aussi, si une autre faute n'intervient pas pour rompre la chaîne de causalité. Seule la démonstration d'une faute, comme pour le Dr Battikha, dans la fermeture du site opératoire aurait pu rompre cette chaîne.»[8]

[soulignements ajoutés]

[190] La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt St-Jean c. Mercier nous indique, d'après les notes de M. le juge Gonthier, la démarche pour vérifier si un professionnel a commis une faute. Il écrit:

«Pour déterminer si un professionnel a commis une faute, il faut en effet se demander si le défendeur s'est comporté comme un autre professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Se demander principalement, dans cet examen général, si un acte donné ou une omission constitue une faute est réducteur de l'analyse et risque de semer de la confusion. Ce qu'il faut se demander c'est si l'acte ou l'omission constituerait un comportement acceptable pour un professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. La démarche erronée risque de mettre l'accent sur le résultat plutôt que sur les moyens. Le professionnel a une obligation de moyens et non de résultat.»[9]

[191] Qu'en est-il lorsque le professionnel dont on analyse le comportement, en l'occurrence le médecin, est contraint à une obligation de résultat telle injecter le bon produit?

[192] À ce sujet, les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers écrivent:

«Dans de rares cas, l'engagement du médecin peut cependant être de fournir un résultat précis, annoncé et promis d'avance et l'absence de ce résultat entraîne alors sa responsabilité, à moins qu'il ne prouve l'une des conditions exonératoires (force majeure, faute d'un tiers, faute de la victime). Il en est ainsi , par exemple, lorsque le médecin agit davantage comme technicien et qu'il n'existe pas d'aléa sérieux à l'acte posé.»[10]

[soulignements ajoutés]

[193] Ici, autant M. Tremblay que le Dr Hébert avaient une obligation de résultat en ce qui a trait à l'injection du produit de contraste, du moins quant à l'identification du produit à injecter.

[194] Mais, encore là, il faut faire attention et dans le contexte d'une intervention multidisciplinaire, comme dans le présent cas, la question est davantage complexe.

[195] Aussi, il faut prendre garde d'évaluer la conduite d'un médecin de façon rétrospective avec la connaissance de toutes les informations que révèle la preuve. Il faut, comme on l'a mentionné précédemment, analyser la conduite du médecin étape par étape et la comparer à celle d'un médecin raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances[11].

[196] Il faut donc revenir aux principes à la base de l'analyse de la responsabilité, soit la nature de l'obligation, l'identification de la faute soit par action ou omission, le comportement du professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances et, bien entendu, le préjudice et le lien de causalité.

[197] Mais, préalablement, il y a lieu de regarder la question de l'existence ou non d'un lien de subordination entre le Dr Hébert et M. Tremblay.

[198] La faute, elle est admise par M. Tremblay et son employeur, l'Hôpital de l'Enfant-Jésus.

[199] Le Dr Hébert peut-il ainsi être tenu responsable de cette faute du seul fait qu'il aurait été le supérieur ou encore le «chef» ou le «patron» de M. Tremblay?

[200] Chaque cas est évidemment un cas d'espèce et doit être analysé à son mérite.

[201] L'absence d'un lien de subordination entre le médecin et un autre professionnel ne résulte pas simplement du fait qu'ils sont membres de deux ordres professionnels distincts.

[202] Selon l'article 26 du Code des professions, «Le droit exclusif d'exercer une profession […] ne doit être conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu'en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre.»

[203] Il peut donc arriver, à cause de la nature des actes posés, que chaque professionnel intervienne pour poser un acte qui se situe au cœur même de l'exercice de sa profession et jouisse alors d'une très grande autonomie lorsqu'il pose cet acte. Mais encore là, ce n'est pas le critère.

[204] Il faut davantage analyser l'organisation du travail, le lien d'autorité dans l'accomplissement des différents actes posés et nécessaires à l'ensemble de la démarche.

[205] Dans le présent cas, les gestes posés par M. Tremblay lorsqu'il prépare le plateau technique le sont dans le cadre de l'exercice de sa profession[12].

[206] Dès que le matériel est prêt et que le patient est installé, on appelle le Dr Hébert pour l'examen.

[207] À part le fait que le Dr Hébert peut modifier la séquence des examens, auquel cas les technologues doivent suivre ses instructions, la preuve ne démontre aucun lien de subordination entre le Dr Hébert et les technologues en ce qui a trait à la préparation de la salle d'examen et du plateau technique.

[208] Toutefois, la situation est certes différente au cours de l'examen.

[209] À ce sujet, il est intéressant de relire l'opinion des experts.

[210] Le Dr Dubé écrit:

«Le deuxième cas de figure est celui qui nous intéresse ici. C'est-à-dire que dans le cas d'un examen plus complexe, le radiologiste sera assisté d'un technicien expérimenté et compétent, généralement celui qui a procédé à la préparation de la table d'examen. Ce dernier est donc parfaitement au courant du contenu de toutes les fioles qui sont présentes sur la table et à mon avis il en est responsable. Dans cette situation, il n'est pas de coutume pour le radiologiste de vérifier directement le contenu de tous les récipients avec le technicien en poste.»

[soulignements ajoutés]

[211] Le Dr Lainesse écrit:

«Le matin du 9 septembre 2004, le docteur Mario Hébert travaillait avec du personnel très habitué qui œuvrait en angiographie depuis plusieurs années. La procédure était très standard et probablement la plus fréquemment exécutée. Il n'y avait aucun changement de protocole et le milieu était très connu par le radiologue autant que par les technologues et pour ces raisons, le docteur Mario Hébert n'avait pas à s'informer du contenu des potins, lesquels étaient toujours les mêmes pour cet examen, ou à s'assurer que tous les produits qui se trouvaient sur la table d'appoint étaient des produits injectables. Pour cet examen, la désinfection était faite à l'Hibitane® coloré et non pas à l'alcool. En aucun temps, pour cette procédure, on ne devait retrouver de l'alcool sur la table d'appoint ni sur la table adjacente à la table d'angiographie. Alors, dans de telles circonstances, je crois que le docteur Hébert a agi dans les règles de l'art.»

[soulignements ajoutés]

[212] D'une part, les docteurs Dubé et Lainesse considèrent qu'au cours de l'examen le Dr Hébert est «assisté» ou «travaille avec» du personnel «expérimenté», «compétent» et «très habitué».

[213] On peut effectivement voir dans le mot «assisté» un lien de subordination.

[214] D'autre part, les docteurs Dubé et Lainesse considèrent que dans de telles circonstances «il n'est pas de coutume pour le radiologiste de vérifier directement le contenu de tous les récipients avec le technicien en poste» et «que le docteur Hébert a agi dans les règles de l'art».

[215] On le constate, même si l'on reconnaît l'existence d'un lien de subordination entre le médecin et le technologue au cours de l'examen, ici, c'est Mme Savard qui assistait le Dr Hébert et non M. Tremblay.

[216] La question à l'étude n'est pas nécessairement une question de présence ou d'absence d'un lien de subordination.

[217] En effet, il y a plus et cette question est toute autre. La Dre Khoury affirme qu'il faut toujours s'assurer de disposer d'une méthode sécuritaire pour identifier le produit que l'on injecte et avoir la conviction que l'on injecte le bon produit.

[218] Et, le Dr Dubé confirme ainsi:

«C'est donc au médecin que revient la responsabilité d'établir un système de fonctionnement sécuritaire et au personnel technique de s'assurer que toutes les étapes se sont déroulées de façon conforme au protocole, avant l'arrivée du radiologiste.»

[219] La distinction entre l'opinion du Dr Lainesse d'une part, et les opinions du Dr Dubé et de la Dre Khoury d'autre part, réside essentiellement dans le fait que ces derniers ajoutent que «C'est donc au médecin que revient la responsabilité d'établir un système de fonctionnement sécuritaire», soit de «s'assurer de disposer d'une méthode sécuritaire pour identifier le produit que l'on injecte».

[220] Donc, ce qui distingue l'opinion des experts ne porte pas sur la façon dont se serait comporté un autre professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances au moment de faire l'injection, mais sur ce qu'il aurait dû faire pour s'assurer d'avoir une connaissance personnelle du contenu de la seringue avant de faire l'injection.

[221] Bref, le Dr Hébert avait l'obligation de savoir, entre autres, selon quelles conditions avait été préparé le plateau technique et qui à cet égard l'assistait au cours de l'examen.

[222] Au cours de son témoignage, le Dr Hébert affirme qu'il n'a pas été consulté et qu'il n'a pas participé à l'élaboration des protocoles et des procédures de désinfection.

[223] Aurait-il été préférable qu'il en soit autrement?

[224] Possiblement!

[225] Toutefois, à l'instar de Mme Savard, il ne s'agit pas de faire supporter au Dr Hébert la responsabilité de l'organisation des soins dans leur moindre détail. Mais, lorsque le Dr Hébert, dans la démarche d'un examen spécifique, entreprend de poser un acte professionnel, il doit avoir l'assurance au moment où il pose cet acte qu'il agit de façon sécuritaire pour le patient, c'est-à-dire que la planification de l'ensemble de la démarche lui assure une connaissance personnelle de ce qu'il doit nécessairement savoir avant d'entreprendre de poser l'acte professionnel[13].

[226] Ici, la question n'est pas de savoir s'il était ou non probable que de l'alcool isopropylique 70% se retrouve sur le plateau technique, mais bien que la démarche pour la préparation du plateau technique apportait elle-même au Dr Hébert l'assurance que le potin de 250 cc duquel il a aspiré le produit avec une seringue de 10 cc ne pouvait contenir que du produit de contraste et rien d'autre.

[227] Le Dr Hébert plaide qu'aucun indice dans son environnement immédiat ne pouvait susciter le moindre doute, voire éveiller le moindre soupçon et qu'en conséquence la présence d'alcool était imprévisible.

[228] L'aspect sécuritaire ne peut malheureusement reposer ou se limiter au seul environnement, quel qu'il soit.

[229] En effet, on peut dans un environnement usuel et connu se sentir confortable. Mais, la sécurité est quelque chose d'autre. Dans le présent contexte, c'est davantage relié à une assurance des connaissances que l'on doit avoir au moment de poser un acte.

[230] Alors, confronté à une obligation de résultat, comment le Dr Hébert pouvait-il avoir la certitude ou l'assurance qu'il injectait le bon produit?

[231] Cette assurance, il l'aurait acquise dans une démarche sécuritaire qu'il pouvait et devait imposer en tant que médecin appelé à poser un acte professionnel.

[232] En effet, il aurait pu, entre autres, exiger:

- Que le produit de contraste soit versé dans le potin en sa présence, d'autant plus que ce produit doit être conservé au chaud;

- Que le technologue qui a préparé le plateau technique l'assiste directement;

- Qu'il puisse voir sur une table adjacente les contenants des produits versés dans les différents potins;

- Ou simplement, exposer la seringue sous un faisceau de rayon X avant l'injection.

[233] En somme, le Dr Hébert avait l'obligation de prévoir une démarche qui lui aurait donné personnellement l'assurance qu'il pouvait poser un acte professionnel en toute sécurité, et non simplement une démarche qui, comme on le constate, n'était pas de nature à susciter un doute ou éveiller un soupçon.

[234] Dans un contexte de pratique en multidisciplinarité où chaque intervenant pose des actes professionnels qui peuvent leur être exclusivement réservés, la responsabilité de chacun ne se limite pas à poser l'acte. Cette responsabilité s'étend dans une certaine mesure à l'ensemble de la démarche, c'est-à-dire que tous les actes professionnels soient posés dans le cadre d'une démarche sécuritaire qui interpelle et concerne chaque intervenant.

[235] Aussi, le professionnel qui s'apprête à poser un acte professionnel doit avoir une connaissance de ce qui a été fait avant et surtout l'assurance qu'il peut agir en toute sécurité pour le patient.

[236] L'exercice des professions dans un contexte de multidisciplinarité ne signifie pas que l'on doit compartimenter l'ensemble de la démarche. Au contraire! Le compartimentage des professions dans un tel contexte ne peut être que source de préjudice éventuel. C'est donc, entre autres, par une planification réfléchie de l'ensemble de la démarche que chacun des professionnels pourra poser ses actes professionnels en toute sécurité. Et, il doit avoir l'assurance personnelle qu'il agit dans un tel contexte.

Le don d'organes

[237] L'attestation et le bulletin de décès (Pièces P-4 et P-35, p. 156) précisent que M. L... est décédé le 10 septembre 2004 à 19 h 45.

[238] Mme S... signe le formulaire de consentement au prélèvement de tissus et d'organes le 11 septembre 2004, soit le jour suivant le décès de M. L... (Pièce P-35, p. 154 et Pièce P-36, p. 186).

[239] Précisons que ce consentement est donné sur un formulaire intitulé «Autorisation d'autopsie et de prélèvement de tissus et d'organes» qui mentionne uniquement ce qui suit: «J'accepte que les tissus et organes suivants servent à des fins de transplantation, de traitement ou de recherche».

[240] Une coronographie effectuée après le décès de M. L... en vue de vérifier l'état de son cœur démontre qu'il était porteur d'une athéromatose coronarienne bitronculaire selon le cardiologue, le docteur Denis Burelle, et tritronculaire selon le cardiologue, le docteur François Sestier, respectivement expert de la partie demanderesse et de la partie défenderesse.

[241] Pour cette raison, le cœur de M. L... n'a pu être offert à un éventuel receveur.

[242] Malgré que les docteurs Burelle et Sestier s'entendent au sujet du caractère modéré de la maladie coronarienne dont M. L... était atteint et qu'ils reconnaissent que d'après les dossiers médicaux consultés elle n'était pas symptomatique, leur opinion diffère au sujet de son espérance de vie.

[243] Dans son rapport d'expertise daté du 17 septembre 2007 (Pièces D-1 et DH-1), le Dr Sestier écrit :

«M. L... avait une espérance de vie normale avant son hospitalisation du 8 septembre 2004, n'ayant aucune pathologie grevant son espérance de vie. Les tables canadiennes de mortalité 1990-1999 donnent l'espérance de vie normale à 46 ans pour un homme: 31,68 ans, soit environ 32 ans.

M. L... aurait donc pu vivre jusqu'à l'âge de 78 ans environ, avant son hospitalisation du 8 septembre 2004.»

[244] Au sujet de l'hémorragie sous-arachnoïdienne, il écrit :

«Si l'on se fie à la médecine factuelle, on peut donc considérer que, basé sur la littérature la plus récente, l'espérance de vie de M. L... n'aurait pas été altérée par son hémorragie sous-arachnoïdienne en l'absence de malformation artérioveineuse ou d'anévrysme cérébral.»

[245] Enfin, prenant en considération l'état coronarien de M. L..., il est d'avis que :

«M. L... avait une athéromatose coronarienne tritronculaire, telle que décrite précédemment, avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche calculée à 54% et une dyskinésie apicale légère.

On peut donc considérer que son excédent de mortalité lié à sa maladie coronarienne tritronculaire, serait d'environ trois fois et demi la mortalité normale (ratio de mortalité de 350% ou + 250%). Ceci correspond à une perte d'espérance de vie de dix ans et on peut donc ainsi calculer que M. L... aurait pu survivre jusqu'à l'âge de 70 ans, en l'absence de l'injection par erreur d'alcool isopropylique dans sa carotide, qui a provoqué un œdème cytotoxique majeur ayant entraîné le décès.»

[246] Le Dr Burelle ne partage pas cet avis et, dans son rapport d'expertise du 7 juin 2007 (Pièce P-49), il conclut :

«Mon expertise donc visait à démontrer hors de tout doute que l'espérance de vie chez Monsieur L... en 2004 était très bonne. Et ce malgré qu'il soit porteur d'une maladie coronarienne modérée de laquelle d'ailleurs il n'était pas symptomatique. Il avait toutes les chances d'être abordé dans un futur éventuel dépendant de l'apparition de symptômes (angine de poitrine, infarctus du myocarde) d'une manière très cardio-protectrice. Le risque de décès soudain annualisé n'était que de 1 à 2 par 1000 individus dans la population générale en 2004. À la lumière de tous ces arguments, Monsieur L... malgré son jeune âge avait donc une espérance de vie que nous qualifions de normale et qui est à l'heure actuelle au Québec de l'ordre de 78 ans.»

[247] Les procureurs de l'une et l'autre des parties invitent le Tribunal à analyser cette question sous l'angle strictement contractuel et en fonction de la preuve des experts.

[248] La question apparaît pourtant plus fondamentale. Aussi, il n'est pas inutile de relire les dispositions du Code civil du Québec qui traitent du don d'organes et qui peuvent alimenter la réflexion.

[249] Les articles pertinents du Code civil du Québec sont les suivants :

Art. 1 C.c.Q. : «Tout être humain possède la personnalité juridique; il a la pleine jouissance des droits civils.»

Art. 3 C.c.Q. : «Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.»

Art. 11 C.c.Q. : «Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse d'examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention.

Si l'intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des soins, une personne autorisée par la loi ou par un mandat donné en prévision de son inaptitude peut le remplacer.»

Art. 15 C.c.Q. : «Lorsque l'inaptitude d'un majeur à consentir aux soins requis par son état de santé est constatée, le consentement est donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur. Si le majeur n'est pas ainsi représenté, le consentement est donné par le conjoint, qu'il soit marié, en union civile ou en union de fait, ou, à défaut de conjoint ou en cas d'empêchement de celui-ci, par un proche parent ou par une personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier.»

Art. 43 C.c.Q. : «Le majeur ou le mineur âgé de 14 ans et plus peut, dans un but médical ou scientifique, donner son corps ou autoriser sur celui-ci le prélèvement d'organes ou de tissus. Le mineur de moins de 14 ans le peut également, avec le consentement du titulaire de l'autorité parentale ou de son tuteur.

Cette volonté est exprimée soit verbalement devant deux témoins, soit par écrit, et elle peut être révoquée de la même manière. Il doit être donné effet à la volonté exprimée, sauf motif impérieux.»

Art. 44 C.c.Q. : «À défaut de volontés connues ou présumées du défunt, le prélèvement peut être effectué avec le consentement de la personne qui pouvait ou aurait pu consentir aux soins.

Ce consentement n'est pas nécessaire lorsque deux médecins attestent par écrit l'impossibilité de l'obtenir en temps utile, l'urgence de l'intervention et l'espoir sérieux de sauver une vie humaine ou d'en améliorer sensiblement la qualité.»

[soulignements ajoutés]

[250] Déjà en 1925, les auteurs Planiol, Ripert et Savatier écrivaient dans le «TRAITÉ PRATIQUE DE DROIT CIVIL FRANÇAIS»:

«On appelle personnes, dans la langue juridique, les êtres capables d'avoir des droits et des obligations. Plus brièvement, on dit que la personne est tout sujet de droit.

Tout être humain est une personne.

La personnalité ne se perd qu'avec la vie. […] La mort, qui détruit la personnalité, n'empêche pas la personnalité qui existait auparavant de continuer à produire ses effets. De là le droit de tester, prolongeant au-delà de la mort la volonté de la personne humaine. De là aussi le respect dû au cadavre qui représentait autrefois une personne […].

Mais une personne ne peut être considérée comme ayant acquis après sa mort des droits qui seraient exercés par ses héritiers.» [14]

[soulignements ajoutés]

[251] Plus récemment, le professeur Dominique Goubau écrit:

«Même si l'article premier du Code civil et de la Charte québécoise se contentent de dire que l'être humain possède la personnalité juridique, il est clair que cette personnalité commence et disparaît avec la vie. Le droit ne définit pas le concept de vie. Il se contente plutôt d'en saisir les deux extrêmes: la naissance et la mort de la personne.

[…]

La personnalité juridique s'éteint avec la vie. Ce sont donc, ici encore, des données d'ordre biologique qui gouvernent la fin de l'existence juridique de la personne.»[15]

[soulignements ajoutés]

[252] À défaut de volontés connues ou présumées du défunt, M. L..., le consentement au prélèvement a été donné par sa conjointe, Mme S..., après le décès, tel que le prévoient les articles 15 et 44 C.c.Q.

[253] Aussi, ce n'est qu'après le décès de M. L... que l'on a connu l'état de son cœur, alors qu'il ne possède plus la «personnalité juridique», qu'il ne peut plus «être considéré comme ayant acquis […] des droits qui seraient exercés par ses héritiers» et qu'il ne peut plus ainsi être source «d'effets juridiques».

[254] Sans d'aucune façon considérer cette phrase comme une admission de la part du défendeur, le Dr Hébert, le Dr Sestier exprime bien cette réalité juridique lorsqu'il écrit: «M. L... avait une espérance de vie normale avant son hospitalisation du 8 septembre 2004, n'ayant aucune pathologie grevant son espérance de vie».

[255] En effet, à ce moment, M. L... qui avait une «personnalité juridique» avait une espérance de vie normale qui aurait pu éventuellement être considérée, le cas échéant.

[256] Aussi, si la condition cardiaque de M. L... avait été connue avant son décès, la question aurait été toute autre.

[257] Tel n'est pas les cas.

[258] Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la preuve démontre qu'au moment de son décès, soit au moment de la perte de la personnalité juridique, M. L... bénéficiait de la même espérance de vie qu'il avait avant son hospitalisation, soit une espérance de vie normale.

[259] Ce constat pourrait possiblement suffire pour disposer de la question. Mais elle n'est pas abordée ainsi par les parties qui la traitent dans un contexte contractuel.

[260] Toutefois, le consentement de Mme S... ne s'inscrit pas dans un cadre contractuel habituel. En effet, il n'y a pas de cocontractant. Il n'y a qu'une seule partie qui consent au «prélèvement de tissus et d'organes» d'un corps qui ne possède plus de personnalité juridique et cela «pour des fins de transplantation, de traitement ou de recherche». D'aucune façon les défendeurs ne sont parties ou concernés par ce consentement de la demanderesse, Mme S....

[261] Ces constats s'intègrent difficilement à la notion de contrat prévue au Livre cinquième des obligations du Code civil[16].

[262] Reste la question d'un fait que révèle la preuve, soit la connaissance de la condition cardiaque de M. L... après son décès.

[263] Ce qui distingue les expertises du Dr Burelle et du Dr Sestier à ce sujet, c'est que le Dr Burelle s'appuie davantage sur le dossier médical connu de M. L... et conclut en termes de pronostique. Le Dr Sestier, à partir d'un élément connu, s'appuie sur le résultat que donne l'application d'une formule statistique visant à établir un ratio de mortalité (Pièce D-16).

[264] Partant du principe que chaque situation est particulière, l'analyse spécifique du dossier médical de M. L... par le Dr Burelle doit être retenue.

[265] En effet, selon cette analyse, M. L... était en bonne santé avant son hospitalisation. Il n'était porteur d'aucun facteur de risque. Il n'avait éprouvé aucune manifestation de maladie cardiaque et son cœur avait une bonne fraction d'éjection, ce que confirme d'ailleurs le Dr Sestier.

[266] Selon le Dr Burelle, «il n'existe aucune donnée clinique publiée jusqu'à ce jour qui puisse exprimer l'espérance de vie d'un patient uniquement selon l'anatomie coronarienne».

[267] En conclusion, il écrit:

«En définitive, mes propos visaient d'abord et avant tout à démontrer qu'on ne pouvait pas estimer l'espérance de vie de Monsieur L... uniquement d'après les résultats de la coronarographie car nous ne disposons pas, même en 2007, de données statistiques qui s'y prêtent. Les lésions coronariennes documentées à la coronarographie l'ont été chez un homme tout à fait asymptomatique. Les seules données fiables basées sur un follow-up de 10 ans proviennent d'une cohorte de patients porteurs de maladie coronarienne bitronculaire, traités il va sans dire mais de façon sous-optimale et publiées en 1994, à l'époque où l'approche thérapeutique était nettement de qualité inférieure par rapport à l'époque contemporaine. Malgré tout, la survie à 10 ans n'a pas été mauvaise car de tels types de malades sont considérés à bas risque. D'autant plus que la fraction d'éjection (contractilité) chez Monsieur L... a été estimée lors de la coronarographie et d'une échocardiographie dans les limites de la normale, ce qui lui confère une très bonne survie à long terme.

La cardiologie moderne ne peut expliquer pourquoi ce patient était porteur de lésions coronariennes significatives malgré son jeune âge et son absence de facteur de risque. La composante générique ici est certainement en cause mais malheureusement ne peut être quantifiable. Le traitement des maladies coronariennes a considérablement évolué au cours des 15 dernières années avec un recours accru à l'angioplastie coronarienne (deux patients sur trois qui subissent une coronarographie subissent au cours de la même procédure une angioplastie) et l'utilisation d'une pharmacopée d'une très grande efficacité (bêtabloquants, aspirine, Plavix, statines, inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2). Ceci explique que, selon les projections démographiques de Statistiques Canada (2000), le nombre de décès attribuables à un infarctus aigu du myocarde particulièrement chez les hommes a chuté considérablement depuis 1969 et continuera vraisemblablement à baisser dans un futur prochain.

Mon expertise donc visait à démontrer hors de tout doute que l'espérance de vie chez Monsieur L... en 2004 était très bonne. Et ce malgré qu'il soit porteur d'une maladie coronarienne modérée de laquelle d'ailleurs il n'était pas symptomatique. Il avait toutes les chances d'être abordé dans un futur éventuel dépendant de l'apparition de symptômes (angine de poitrine, infarctus du myocarde) d'une manière très cardio-protectrice. Le risque de décès soudain annualisé n'était que de 1 à 2 par 1000 individus dans la population générale en 2004. À la lumière de tous ces arguments, Monsieur L... malgré son jeune âge avait donc une espérance de vie que nous qualifions de normale et qui est à l'heure actuelle au Québec de l'ordre de 78 ans.»

[268] C'est donc sur la base d'une espérance de vie normale de M. L... que sera calculée l'indemnité.



Les dommages

[269] La requête introductive d'instance réamendée le 20 octobre 2008 précise ainsi la réclamation des demandeurs :

1) Mme S..., personnellement et ès qualités d'héritière réclame :

- Perte de gains et de capacité de gains temporaire : 5 000 $

- Perte de capacité de gains de M. L... avant le

1er septembre 2007 : 108 047 $

- Perte de capacité de gains de M. L... après le

1er septembre 2007 : 501 558 $

- Perte de revenus de retraite de M. L... et de

Mme S... : 126 492 $

- Perte de soutien matériel : 45 000 $

- Frais funéraires : 8 454 $

- Dommages non pécuniaires : 150 000 $

2) Mme S..., ès qualités d'héritière à son époux, M. L...,

réclame pour les dommages non pécuniaires subis avant le décès : 20 000 $

3) MM. Lu... et F... L... réclament respectivement pour

dommages moraux: 50 000 $

[270] À l'exception de la perte de capacité de gains de M. L..., dont on demande les intérêts à compter de «l'actualisation du rapport au 1er septembre 2007», les demandeurs réclament les intérêts à compter du 23 mai 2006, date de la mise en demeure, plus l'anatocisme au sens de l'article 1620 C.c.Q[17].

[271] Ils demandent enfin, à titre de remboursement des honoraires extrajudiciaires, 25% du montant de leur réclamation, ce qui correspond à 266 138 $ plus taxes.

[272] Selon l'article 1607 C.c.Q., «le créancier (en l'occurrence les demandeurs) a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur (les défendeurs) et qui est une suite immédiate et directe». Ces dommages-intérêts compensent «la perte (que le créancier) subit et les gains dont il est privé» (art. 1611 C.c.Q.).

[273] C'est donc dans ce contexte que doivent être étudiées les différentes réclamations que l'on peut regrouper sous les titres de dommages pécuniaires et dommages non pécuniaires.

Les dommages pécuniaires

[274] Mme S... réclame 5 000 $ pour perte de gains et de capacité de gains pour elle-même, ainsi que 609 605 $ (108 047 $+ 501 558 $) pour perte de capacité de gains de M. L.... Elle réclame également pour M. L... et elle-même 126 492 $ pour perte de revenus de retraite.

[275] En ce qui concerne la perte de gains et de capacité de gains à l'égard de Mme S..., la défenderesse, l'Hôpital de l'Enfant-Jésus, se référant à la pièce P-17, admet un montant de 2 739,46 $ qui sera accordé.

[276] Au sujet de la perte de capacité de gains de M. L..., quelques remarques préliminaires s'imposent. Ces remarques concernent plus particulièrement la nature de la réclamation, la prime de chef d'équipe, le rachat d'années de retraite et la date de départ de la computation des intérêts.

[277] Les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers écrivent :

«Le décès de la victime stabilise le préjudice subi par elle et il ne peut donc plus être question d'estimer l'effet d'une incapacité pour l'avenir.»[18]

[278] Aussi, de leur analyse de la jurisprudence, ils concluent :

«Lorsque le tribunal calcule la perte économique en cas de blessures corporelles, il cherche à compenser la perte d'un actif, en l'occurrence la capacité de gain économique de la victime. Au contraire, en cas de décès, il indemnise la perte d'un revenu de soutien réel ou présumé. C'est donc la somme exacte dont le dépendant doit pouvoir disposer, c'est-à-dire le revenu net qui doit entrer en ligne de compte.»[19]

[279] C'est donc la perte de soutien financier que subit la famille de M. L... suite à son décès que l'on doit dans le présent cas rechercher et non sa perte de capacité de gains pour le futur.

[280] Au moment de son décès, M. L... occupait toujours un poste de mécanicien de classe I au Service des équipements motorisés de la Direction réseaux et équipements de la Ville de Lévis.

[281] Il est vrai qu'il lui aurait été possible de poser sa candidature au poste de chef d'équipe devenu vacant, étant l'employé disposant de plus d'ancienneté. Ce poste de chef d'équipe procure une prime de 2,70 $ à compter du 1er janvier 2005.

[282] Toutefois, rappelons-le, «le décès de la victime stabilise le préjudice subi par elle».

[283] Par ailleurs, la preuve démontre que le poste de chef d'équipe venait tout juste de se libérer, que le concours pour le combler n'avait pas débuté et que rien n'indique précisément que M. L... aurait posé sa candidature. Au contraire, la preuve démontre davantage que M. L... était peu disposé à assumer le genre de responsabilités qui incombent à un chef d'équipe. La prime de chef d'équipe de 2,70 $ l'heure ne sera pas considérée dans le calcul de l'indemnité.

[284] Il en est de même au sujet du rachat des années de retraite. La situation de chaque employé étant personnelle, l'on ne peut certes pas tirer une conclusion de ce qu'aurait éventuellement décidé de faire M. L... à ce sujet en se basant sur le comportement des autres employés. De plus, ce rachat implique nécessairement le paiement d'une somme d'argent qui aurait diminué l'actif ou le patrimoine de M. L....

[285] Enfin, les demandeurs réclament les intérêts à compter du 23 mai 2006, date d'une lettre que leurs procureurs ont expédiée aux défendeurs (Pièce P-6).

[286] Ces derniers contestent que cette lettre ait les attributs d'une mise en demeure et plaident que les intérêts devraient être comptabilisés à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de la requête introductive d'instance.

[287] L'article 1595 C.c.Q. prévoit que «la demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit. Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances». L'article 1600 C.c.Q. précise par ailleurs que «le débiteur, même s'il bénéficie d'un délai de grâce, répond, à compter de la demeure, du préjudice qui résulte du retard à exécuter l'obligation, lorsque celle-ci a pour objet une somme d'argent».

[288] Quant aux intérêts, l'article 1618 C.c.Q. précise qu'ils sont dus «depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances».

[289] La lettre des procureurs des demandeurs datée du 23 mai 2006 est adressée à l'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux, au Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus et à l'Association canadienne de protection médicale. Une copie conforme de cette lettre est aussi transmise à M. Tremblay et au Dr Hébert.

[290] Il est entre autres écrit ce qui suit :

«Vous vous rappellerez sûrement que M. L... est décédé le 11 septembre 2004, au CHA – Pavillon Enfant-Jésus, suite à une injection d'alcool à 70% dans la carotide interne droite en lieu et place de la substance de contraste nécessaire pour l'angiographie cérébrale qu'il devait subir.

[…]

Il est clair que le décès de M. L... découle d'une erreur humaine et qu'il aurait dû être évité. La faute du technologue est évidente.

La famille souhaite ardemment régler cette affaire sans qu'il soit nécessaire d'intenter des procédures judiciaires.

Nous vous invitons donc à communiquer avec la soussignée à cet égard.

Si le 2 juin 2006, nous sommes toujours sans nouvelles de votre part, nous comprendrons que vos intentions sont de ne pas discuter à l'amiable.

Nous serons alors contraints d'intenter des procédures judiciaires au nom de nos clients.»

[291] Étant donné les circonstances du décès de M. L... et la nature de l'obligation qui en résulte, soit une compensation monétaire, on pourrait considérer que cette lettre est une «demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure».

[292] Cependant, dans un arrêt très récent prononcé le 17 mars 2009, la Cour d'appel rappelle ce qui suit:

«[59] Or, pour que les dommages moratoires courent depuis la date de réception de la mise en demeure, celle-ci doit encore indiquer au présumé responsable la somme réclamée pour qu'il sache quel retard on lui impute. Ici, les appelantes ne seront informées de la réclamation des intimés qu'au jour du lancement des procédures, le 5 décembre 2001.»[20]

[293] C'est donc à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de la requête introductive d'instance, que les intérêts seront comptabilisés.

[294] À la demande des procureurs des demandeurs, M. Louis Morissette, actuaire, a fait une expertise dont le rapport daté du 12 septembre 2007, avec quelques compléments, ont été déposés au dossier de la Cour (Pièces P-51, P-51.1, P-51.2 et P-51.3).

[295] Comme l'indique M. Morissette dans son rapport ainsi qu'au cours de son témoignage, son évaluation actuarielle de la perte pécuniaire correspond à «la perte de capacité de gains avant et après la retraite» de M. L....

[296] Étant donné cette prémisse, le rapport de M. Morissette ne peut être retenu.

[297] La perte de soutien financier de M. L... sera donc déterminée selon le rapport préparé par l'expert des défendeurs, monsieur Daniel Gagné, actuaire, daté du 9 novembre 2007 (Pièce DH-10).

[298] Ce rapport considère entre autres le revenu net d'emploi de M. L..., son revenu de retraite après 65 ans, un taux de dépendance à l'égard de Mme S... et des deux enfants jusqu'à ce ces derniers aient atteint l'âge de 21 ans, un taux d'actualisation, l'impact fiscal ainsi que l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle.

[299] Est aussi considéré le fait que M. L... aurait bénéficié d'une espérance de vie normale et que les intérêts et l'indemnité additionnelle sont calculés à partir du 17 janvier 2007, date de la signification de l'action. Enfin, aucun pourcentage n'est appliqué à la valeur actuarielle pour tenir compte des aléas de la vie qui ici ne reposeraient sur aucun élément de la preuve.

[300] Selon l'ensemble de ces considérations que l'on retrouve dans le rapport, la perte de soutien financier s'établit ainsi:




Valeur actuarielle

Pertes


100% des taux de mortalité

Pertes passées

- Soutien financier de M. L...

- Intérêt légal et indemnité additionnelle

(depuis le 17 janvier 2007)




78 970 $

3 809 $

Total partiel


82 779 $

Pertes futures

- Soutien financier de M. L...

→ Avant la retraite

→ Après la retraite

- Impôts futurs






331 721 $

53 189 $

52 604 $

Total partiel


437 514 $

TOTAL


*520 293 $

* Des intérêts seront applicables entre la date d'évaluation, le 1er septembre 2007, et la date du règlement.

[301] Mme S... réclame 45 000 $ à titre de perte de soutien matériel.

[302] Quoique le témoignage de Mme S... démontre que M. L... était très présent et participait activement à différentes tâches, il est difficile de conclure de cette preuve à l'octroi du montant réclamé.

[303] Se référant à la pièce P-18, la défenderesse Hôpital de l'Enfant-Jésus admet un montant de 15 000 $.

[304] C'est donc de façon arbitraire que le Tribunal fixe à 25 000 $ l'indemnité pour perte de soutien matériel.

[305] Les frais funéraires seront également accordés. Sera toutefois soustrait un montant de 1 000 $ de la facture du notaire pour la préparation du testament de Mme S... et d'un mandat en cas d'inaptitude (Pièce P-58). Le montant accordé pour les frais funéraires est donc de 7 454 $.

Dommages non pécuniaires

[306] Mme S... réclame en sa qualité d'héritière à son époux, M. L..., 20 000 $ pour les dommages non pécuniaires qu'il a subis avant son décès.

[307] Elle réclame à ce titre pour elle-même 150 000 $.

[308] Les enfants, Lu... et F... L..., réclament respectivement 50 000 $ pour dommages moraux.

[309] Les défendeurs contestent ces montants, jurisprudence à l'appui. Ils soutiennent, en ce qui concerne M. L..., que la jurisprudence a établi les critères pour qu'une telle indemnité soit accordée, que Mme S... ne peut avoir droit à une indemnité supérieure à 50 000 $ et que l'indemnité des enfants, Lu... et F... L..., devrait se situer entre 15 000 $ et 20 000 $.

[310] La Cour suprême du Canada a fixé le maximum qui se situerait, d'après le calcul de l'expert, M. Morissette, à 312 536 $ au 23 mai 2006 (Pièce P-51.1).

[311] Mais, qu'en est-il exactement dans le présent cas?

[312] M. L... a été hospitalisé à l'Hôtel-Dieu de Lévis pour une céphalée occipitale subite et brutale. Étant donné son état, il est transféré dans un centre spécialisé, l'Hôpital de l'Enfant-Jésus.

[313] Avec raison, tout est mis en œuvre pour sécuriser M. L... et sa famille.

[314] Mais, arrive l'impensable!

[315] Il ne s'agit pas d'une dégradation spontanée de l'état de M. L.... Il ne s'agit pas davantage d'une perte de contrôle inattendue de sa condition médicale. On injecte par erreur de l'alcool isopropylique 70% dans la carotide interne droite, ce qui cause un «œdème cytotoxique cérébral majeur» et son décès moins de trente-six heures plus tard.

Les douleurs et souffrances éprouvées par M. L...

[316] La jurisprudence reconnaît que les douleurs et souffrances éprouvées par une personne avant son décès peuvent être compensées.

[317] Dans l'arrêt de principe de la Cour suprême du Canada sur cette question, suivi depuis, M. le juge Taschereau écrit:

«Mais, si la douleur physique, l'abrègement de la vie et l'anxiété qui en résultent constituent un sérieux élément de dommage, encore faut-il que la victime ait ressenti les effets en son vivant, que le droit soit né avant sa mort.»[21]

[318] Après avoir mentionné que M. L... a dit qu'il ressentait une chaleur et que la Dre Milot, qui avait été appelée, ait quitté la salle de radiologie # 4, Mme Savard précise que:

«On continue l'examen et le Dr Hébert parle au patient tout au long de l'examen.»

[319] L'infirmière, Mme Gingras, écrit dans la section «OBSERVATIONS DE L'INFIRMIÈRE» du dossier de M. L...:

«1030 Départ pour Angio L.N. 24 min. installées pour l'examen. Bien orienté Bouge bien les 4mbres 0 engourd. Alerte mais peu loquace. S.V. _5min/scope. 10 Pt ressent une chaleur + en fait part au Dr Hébert. Arrêt de l'examen. Pt somnolent. N'exécute pas certains ordres demandés par Dr Hébert mais répond verbalement. Examen repris. Vérifications fréquentes de l'état du pt par le Dr Hébert. 1055 Examen de nouveau arrêté. Pt ouvre les yeux à la douleur + l'appel fort. Ne bouge pas l'hémi corps gche à la demande du Dr Hébert. 1100 Appel au Dr Milot. Pt vu par celle-ci. Pt sature bien 90%. T A entre 115 + 125 / Brady cardie entre 32 + 42 / min. 1103 Examen repris. 1130 Examen terminé. Entrouvre les yeux à l'appel fort à 1 ou 2 reprises seulement + les referme aussitôt + pas de mvts à l'hémicorps gche selon Dr Hébert. Rapport d'accident complété par le technicien en radiologie. 1210 Départ pour TACO cérébral de contrôle. 1220 De retour à sa chambre. Visite Dr Milot. Avisée que pup 3mm réaction douteuse. Statu quo pour l'instant. Sonde vés. installée 2 voie ___ périph installée. 1325 pls à 29/ min. TAT 1601 1330 ___ drt 6 mm fixé ___ gche 3 mm fixé Entrouvre l'oeil gche à l'appel fort. Ptose paupière drte. Hémiplagie idem. Dr Langevin + Dr Milot avise 1355 Pt intubé par l'équipe U.S.I. A/c 16 X 700 F102 ____ Peep 5. Perf Propolol débutée à 30 cc/h.» (Pièce P-36, p. 132)

[N.B.: Les traits au paragraphe [319] indiquent un passage illisible]

[320] À 12 h, dans la section «NOTES D'ÉVOLUTION» du dossier de M. L..., le Dr Hébert écrit:

«N.B. Lors de l'injection test dans la carotide interne droite il y a eu injection de 3 cc alcool 70% au lieu du contraste. Le patient s'est plaint que cela chauffait. Par la suite le patient est devenu plus endormi. (il avait reçu 1 cc de Versed au début de l'examen) Il répondait à son nom et ouvrait difficilement les yeux. Il ne serrait pas la main G et ne bougeait pas le pied G. Le Dr Milot a été avertie et est venue voir le patient. L'angiographie a été poursuivie et ne démontre aucune anomalie.» (Pièce P-36, p. 11)

[321] Entre le moment où M. L... ressent une chaleur dès le début de l'examen, peu après 10 h 30, puisque c'est au moment de l'injection test, jusqu'à 13 h 30 où il «entrouvre l'œil gauche à l'appel fort», qu'a-t-il ressenti, qu'a-t-il éprouvé?

[322] Il a certes ressenti de la douleur car selon le Dr Hébert il a dit «Aie! ça chauffe dans l'œil droit».

[323] A-t-il à ce moment éprouvé du stress, de l'anxiété? On peut le présumer! Combien de temps? On l'ignore!

[324] Toutefois, étant donné que la preuve démontre que M. L... pouvait dans une certaine mesure avoir conscience puisqu'il répondait à des demandes spécifiques, le montant de 20 000 $ sera accordé.

Les dommages non pécuniaires de Mme S...

[325] La requête introductive d'instance regroupe sous le titre des dommages non pécuniaires les éléments suivants: «solatium doloris, soit le chagrin, la douleur, la perte de son conjoint, la perte de support moral, la perte de compagnonnage, la perte d'affection, des conseils et de l'amour de son époux, le choc lié au décès soudain et tragique de son époux, la frustration à l'égard d'un décès qui aurait pu être évité».

[326] Dans son rapport d'expertise psychiatrique daté du 12 février 2007 (Pièce P-50), le Dr Jean-Pierre Bernatchez, témoin expert de la partie demanderesse, résume ainsi les propos de Mme S...:

«Mme S... rapporte que la famille venait de passer deux mois difficiles à la suite d'un accident de voiture sérieux de leur fils aîné. Toute la famille y compris elle-même et son mari avaient ressenti beaucoup de stress en raison de la crainte qu'il ne demeure avec des séquelles et il avait été finalement transféré en réadaptation au Centre François-Charon.

Lorsque Madame est venue voir son mari à l'hôpital de l'Enfant-Jésus, elle avait rencontré par hasard aux soins intensifs, l'intensiviste qui s'était occupé de son fils quelque temps auparavant et celui-ci l'avait sécurisée et rassurée quant à l'angiographie cérébrale que devait passer son mari. Madame dira qu'elle se sentait confiante, convaincue qu'elle était que des gens compétents s'occupaient de son mari. Elle avait donc quitté son mari la veille de l'angiographie en lui disant qu'elle reviendrait le voir le lendemain après-midi, l'examen étant cédulé le lendemain matin.

En toute tranquillité d'esprit durant la matinée du 8 septembre, Madame dit être allée travailler à faire la comptabilité pour l'entreprise de son frère comme elle le faisait assez régulièrement et en début d'après-midi est venue à l'hôpital de l'Enfant-Jésus pour voir son mari en lui apportant des effets personnels.

En arrivant, elle dit qu'elle a eu le temps d'entrevoir son mari durant quelques secondes inconscient et “branché aux appareils”. Immédiatement, une infirmière l'a amenée dans un bureau où elle a rencontré la neurochirurgienne, Dre Milot, et l'intensiviste qu'elle connaissait bien. On lui a dit qu'on avait essayé de la rejoindre en matinée et on lui a par la suite expliqué ce qui était arrivé. Madame se souvient avoir été littéralement “assommée” et, incapable de croire ce qu'on lui annonçait, avoir demandé à l'intensiviste si cela était bien vrai. Celui-ci a de nouveau confirmé la réalité de ce qui était arrivé ajoutant qu'on avait essayé de la rejoindre toute la matinée pour obtenir son autorisation de procéder à une craniotomie pour décompression. Madame a accepté que l'on procède immédiatement à cette chirurgie. Elle ajoute avoir été informée à ce moment que de toute façon, dans le meilleur des cas, son mari demeurerait avec une hémiplégie gauche complète.»

[327] À la suite de son analyse, le Dr Bernatchez est d'opinion que:

«Le décès de son mari dans les circonstances que l'on connaît a été pour elle une situation traumatisante au plan psychique et affectif. Il est certain que les circonstances particulières de la situation ont eu sur elle un impact particulier qui lui a rendu encore davantage inacceptable la séparation avec son mari.

La présente évaluation a d'ailleurs démontré justement que cette séparation n'est pas encore faite ni acceptée au plan psychique et affectif et que l'évolution du deuil a été retardée, celui-ci n'étant pas encore fait. Nous sommes donc ici en présence d'une pathologie de la réaction de deuil, c'est-à-dire un deuil retardé.

Selon le DSMIV, un tel genre de problématique, tel que dans le cas de Madame, relève de la catégorie diagnostique du trouble de l'adaptation non spécifié: chronique.

Au cours de la première année qui a suivi le décès, il m'apparaît que l'intensité du trouble a été d'un niveau modéré. Actuellement, il est évalué comme étant d'un niveau léger, mais toujours présent.»

[328] Au cours de son témoignage à l'audience, le Dr Bernatchez, qui entre autres a exercé sa profession douze ans à la Maison Michel Sarazin, définit le deuil comme étant «le processus par lequel l'on défait le lien» qui nous unissait à une personne. Le deuil normal étant de six mois à un an.

[329] Selon son opinion, la situation de Mme S... résulte du fait que la perte de son époux dans les circonstances décrites précédemment n'est pas encore acceptée. Alors, le deuil ne peut commencer, quoiqu'il constate actuellement un début de cheminement.

[330] M. L... est décédé à 46 ans, alors que Mme S... était âgée de 44 ans.

[331] Nés dans le même village, à Sainte-Marguerite, Mme S... et M. L... se sont connus très jeunes. Ils se sont fréquentés pendant cinq ans avant de se marier le 21 mai 1983.

[332] Ils ont eu deux fils qu'ils ont désirés. Le premier, Lu..., né le 7 mars 1985, et le second, F..., né le […] 1987.

[333] Mme S... témoigne que son mariage l'a toujours comblée et que son époux, qu'elle décrit un «garçon sérieux», se préoccupait d'elle.

[334] Elle dit qu'ils formaient «un couple amoureux».

[335] Toutes les décisions importantes étaient prises ensemble.

[336] Mme S... a aussi perdu son père, décédé le 27 décembre 2005. Elle a vécu très difficilement cette épreuve, ne pouvant bénéficier du soutien moral de son époux.

[337] Madame Fr... S..., sœur de Mme S..., témoignant au sujet de cette période, dit de celle-ci:«Elle s'est effondrée».

[338] S'exprimant à l'audience, Mme S... déclare qu'elle commence à songer à la mise en terre des cendres de son époux, étant absolument incapable de s'en départir jusqu'à maintenant.

[339] Elle dit que depuis le décès de son époux, elle a vécu au jour le jour.

[340] Il est très intéressant de relire les notes de M. le juge Dickson de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Andrews c. Grand & Toy Alberta ltd au sujet des pertes non pécuniaires. Il écrit entre autres:

«Mais cette réparation diffère qualitativement de l'indemnisation des pertes pécuniaires. Le bonheur et la vie n'ont pas de prix. L'évaluation monétaire des pertes non pécuniaires est plus un exercice philosophique et social qu'un exercice juridique ou logique. L'indemnité doit être équitable et raisonnable, l'équité étant mesurée à l'aide des décisions antérieures; mais l'indemnité est aussi nécessairement arbitraire ou conventionnelle. Le préjudice n'est pas intégralement réparable en argent. […]

Le fait est qu'on ne peut mesurer objectivement, en termes monétaires, les pertes non pécuniaires comme la souffrance physique et morale et la perte des agréments de la vie. […]

Dans ce domaine, la modération est nettement de mise. Comme l'a souligné un commentateur anglais, il y a trois façons d'aborder le problème des pertes non pécuniaires. […]

La troisième, l'approche “fonctionnelle”, adopte le point de vue individuel de la deuxième approche, mais au lieu de tenter d'évaluer en termes monétaires la perte des agréments de la vie, elle vise à fixer une indemnité suffisante pour fournir à la victime “une consolation raisonnable pour ses malheurs”. Le terme “consolation” n'a pas ici le sens de sympathie, mais il désigne plutôt certains moyens matériels de rendre la vie de la victime plus supportable. À mon avis, cette dernière conception est la plus valable en ce qu'elle justifie l'indemnisation monétaire de pertes non pécuniaires, comme la perte des agréments de la vie, les souffrances physiques et morales et la diminution de l'espérance de vie. L'argent servira donc à compenser, de la seule manière possible, la perte subie, puisqu'il faut accepter le fait que cette perte ne peut en aucune façon être réparée directement. […]

Quelle que soit l'approche théorique, les indemnités sont encore très arbitraires ou conventionnelles. […]

Cela ne signifie pas, à mon avis, que les tribunaux ne doivent pas considérer la situation individuelle de la victime, bien au contraire, puisqu'ils doivent déterminer ce qui a été perdu. […]

Des cas comme la présente affaire permettent à la Cour de fixer un plafond approximatif aux indemnités. On peut difficilement imaginer des pertes plus considérables que celles qu'a subies le jeune Andrews. […]

Il ne devrait pas y avoir de trop grandes disparités dans les indemnités accordées au Canada. Tous les Canadiens, où qu'ils résident, ont droit à une indemnisation à peu près équivalente pour des pertes non pécuniaires semblables. Toute variation dans l'indemnisation doit être fonction du cas particulier de la victime, ce qu'elle a perdu d'agréments de la vie et ce qui peut compenser cette perte, mais cette variation ne doit pas dépendre uniquement de la province dans laquelle elle réside.

[…]

La coutume est de ne fixer qu'un seul montant pour toutes les pertes non pécuniaires, y compris la douleur et les souffrances, la perte des agréments de la vie et la diminution de l'espérance de vie. Cette pratique est fort sage. Bien que ces éléments soient théoriquement distincts, ils se chevauchent et, en pratique, se confondent. La souffrance est sans aucun doute une perte d'agréments de la vie. Une diminution de l'espérance de vie est nécessairement la perte des agréments de la vie pour toutes les années perdues, et constitue certainement de ce fait même une source de souffrances morales. En outre, ces préjudices sont tous irréparables. Tout cela justifie l'allocation d'un montant unique pour toutes les pertes non pécuniaires.

[…]

Je suis d'avis que dans le cas d'un jeune adulte devenu tétraplégique, comme Andrews, la somme de $100,000 représente une indemnisation convenable. Sauf circonstances exceptionnelles, ce montant doit être considéré comme un plafond au chapitre des pertes non pécuniaires, dans les cas de ce genre.»[22]

[341] Dans la mesure où les principes énoncés dans cette réflexion demeurent, l'on doit tenter de déterminer un montant «équitable et raisonnable» eu égard aux circonstances et la situation personnelle de Mme S....

[342] Il n'est pas ici question de limitation fonctionnelle. Les pertes non pécuniaires visent à compenser le «solatium doloris», soit le chagrin et la douleur résultant de la perte d'un être cher. Elles comprennent également la perte de support moral, de compagnonnage et d'affection.

[343] Entre aussi en considération, notamment les circonstances tout à fait inattendues du décès, l'âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès.

[344] Dans l'arrêt Gosset de la Cour suprême du Canada, madame la juge L'Heureux-Dubé rappelle à propos:

«Puisque la compensation monétaire, quelle qu'elle soit, n'atténuera pas la douleur du parent, le chiffre sera nécessairement arbitraire dans une grande mesure.»[23]

[345] La valeur totale de l'indemnité pour pertes non pécuniaires se situait aux alentours de 315 000 $ au mois de janvier 2007.

[346] L'on doit ici prendre en considération le choc provoqué par les circonstances exceptionnelles du décès inattendu et prématuré de M. L... chez Mme S..., son témoignage à l'audience à l'égard de ce qu'elle a éprouvé et de ce qu'elle éprouve encore aujourd'hui, notamment la difficulté de traverser le deuil et les conséquences qui en résultent sur sa vie de tous les jours. En conséquence, un montant de 150 000 $ pour les pertes non pécuniaires, soit près de la moitié de l'indemnité totale, paraît «équitable et raisonnable» dans ces circonstances particulières.

Les dommages non pécuniaires des enfants Lu... et F...

[347] Au décès de leur père, Lu... était âgé de 19 ans et F... était âgé de 16 ans. Leurs témoignages, très éloquents, démontrent que chacun d'eux entretenait avec leur père une relation filiale affectueuse et très harmonieuse. Ils entrevoyaient l'avenir de façon agréable et prometteur.

[348] Dans le cas de Lu..., le choc a été d'autant plus brutal qu'il a cru un certain temps que les conséquences de son grave accident d'automobile survenu le 17 juillet 2004 pouvaient être la cause des problèmes de santé à l'origine de l'hospitalisation de son père.

[349] Prenant en considération les propos de la Cour suprême du Canada énoncés précédemment, le montant de 50 000 $ par enfant pour les pertes non pécuniaires est «équitable et raisonnable» dans les circonstances.

Les honoraires extrajudiciaires

[350] Les demandeurs réclament le remboursement des honoraires extrajudiciaires, soit 25% du montant de l'indemnité accordée à titre de dommages-intérêts.

[351] La réclamation repose sur deux aspects. Le premier c'est que les défendeurs ont, aux termes de leurs défenses, toujours nié leur responsabilité jusqu'à tout récemment. En effet, ce n'est que le 15 septembre 2008 que le Centre hospitalier affilié Universitaire de Québec et M. Tremblay ont reconnu une faute.

[352] Le second, c'est qu'ils ne sont pas parties au litige entre les défendeurs, soit le Dr Hébert et le Centre hospitalier, litige qu'ils qualifient d'institutionnel.

[353] En résumé, seule la détermination du montant de l'indemnité aurait dû faire l'objet du litige.

[354] Selon la Cour d'appel, «la seule indemnisation possible du plaideur victorieux passe par les règles de la responsabilité civile». Et «Seul l'abus du droit d'ester en justice peut être sanctionné par l'octroi de tels dommages»[24].

[355] Étant donné les conclusions portant sur la responsabilité, l'on ne peut certes pas affirmer que Mme Savard et le Dr Hébert ont abusé de leur droit d'ester en justice.

[356] Quant au litige entre les défendeurs, il y a lieu de rappeler que dès leur mise en demeure du 23 mai 2006, les demandeurs ont interpellé le Centre hospitalier, M. Tremblay et le Dr Hébert, recherchant contre eux une responsabilité solidaire.

[357] La demande de remboursement des honoraires extrajudiciaires ne peut être accueillie.

* * *

[358] L'article 1478 C.c.Q. prévoit que «Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective».

[359] Et, l'article 469 du Code de procédure civile précise que lorsque le jugement «prononce une condamnation solidaire contre les personnes responsables d'un préjudice, il détermine, pour valoir entre elles seulement, la part de chacune dans la condamnation, si la preuve permet de l'établir».

[360] Le Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, et M. Robert Tremblay ont admis leur responsabilité.

[361] Le jugement reconnaît que le Dr Hébert est également responsable. Cette responsabilité repose sur le fait que le Dr Hébert avait l'obligation de prévoir une démarche qui lui assurait, avant de faire l'injection, une connaissance personnelle du contenu de la seringue.

[362] La seule absence d'indice qui aurait pu éveiller un doute ou un soupçon n'est pas suffisante. La démarche visant la préparation du plateau technique au sujet de laquelle le Dr Hébert pouvait et aurait dû donner son avis devait être telle que lorsqu'il aspire le produit du potin de 250 cc avec la seringue de 10 cc, il sait personnellement qu'il aspire le produit de contraste.

[363] Toutefois, étant donné les circonstances que la preuve démontre au sujet de l'organisation du travail et de l'élaboration des protocoles, il y a lieu que M. Tremblay supporte 75% de la responsabilité pour avoir posé le geste d'avoir versé de l'alcool isopropylique dans le potin de 250 cc, et que le Dr Hébert supporte 25% de la responsabilité pour avoir omis de prendre les dispositions qui auraient pu lui donner l'assurance au sujet du contenu de la seringue avant de faire l'injection. Cette conclusion ne vaut, bien entendu, qu'entre les défendeurs seulement.

[364] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[365] ACCUEILLE l'action de la demanderesse, madame L... S... personnellement et ès qualités d'héritière à son époux, monsieur P... L..., et des demandeurs, messieurs Lu... L... et F... L..., contre les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert;

[366] CONDAMNE les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert, solidairement, à payer à madame L... S... la somme de 520 293 $ à titre de perte de soutien financier, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 1er septembre 2007;

[367] CONDAMNE les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert, solidairement, à payer à madame L... S..., la somme de 35 193,46 $ (2 739,46 $ + 25 000 $ + 7 454 $) à titre de pertes pécuniaires, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de l'action;

[368] CONDAMNE les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert, solidairement, à payer à madame L... S..., personnellement et ès qualités d'héritière aux droits de son époux, monsieur P... L..., la somme de 170 000 $ (20 000 $ + 150 000 $) à titre de pertes non pécuniaires, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de l'action;

[369] CONDAMNE les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert, solidairement, à payer à monsieur Lu... L... la somme de 50 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de l'action;

[370] CONDAMNE les défendeurs, Centre hospitalier affilié universitaire de Québec – Hôpital de l'Enfant-Jésus, monsieur Robert Tremblay et le docteur Mario Hébert, solidairement, à payer à monsieur F... L... la somme de 50 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 17 janvier 2007, date de la signification de l'action;

[371] LE TOUT, avec dépens incluant les honoraires et déboursés des experts pour la préparation de leur rapport, leur assistance au procès et le coût de leur hébergement;

[372] ACCUEILLE la défense de la défenderesse, madame Christine Savard;

[373] REJETTE l'action des demandeurs à son égard;

[374] LE TOUT, sans frais.










BERNARD GODBOUT, j.c.s.