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Paquet c. Longpré

no. de référence : 200-09-005872-079

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE




QUÉBEC

N° :


200-09-005872-079

(400-05-003828-028)



DATE :


14 juillet 2009





CORAM :


LES HONORABLES


BENOÎT MORIN, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.





GAÉTAN PAQUET

APPELANT – Défendeur

c.



MARIO LONGPRÉ

et

HÉLÈNE AUGER

et

PATRICK LONGPRÉ

INTIMÉS – Demandeurs

et

ANDRÉ AUBRY

MIS EN CAUSE – Défendeur





ARRÊT






[1] LA COUR; – Statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement rendu le 22 janvier 2007 et rectifié le 1er février 2007 par la Cour supérieure, district de Trois-Rivières (l'honorable Louise Moreau), qui a accueilli le recours en dommages des intimés et a condamné solidairement l'appelant (75 %) et le mis en cause (25 %) à leur payer 104 027,57 $, avec les intérêts depuis l'assignation, l'indemnité additionnelle et les dépens;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs de la juge Dutil, auxquels souscrit le juge Morin :

[4] ACCUEILLE le pourvoi avec dépens;

[5] INFIRME en partie le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être prononcé en première instance :

§ ACCUEILLE en partie l'action des intimés avec dépens;

§ CONDAMNE l'appelant à payer aux intimés la somme de 78 020,67 $ avec intérêts depuis l'assignation ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

[6] Pour sa part, pour d'autres motifs, le juge Hilton aurait accueilli le pourvoi, infirmé le jugement de la Cour supérieure et rejeté l'action des intimés, avec dépens.











BENOÎT MORIN, J.C.A.














ALLAN R. HILTON, J.C.A.














JULIE DUTIL, J.C.A.



Me Madeleine Roy

Lavery, de Billy

Pour l'appelant



Me Stéphan Charles-Grenon

BCF, s.e.n.c.r.l.

Pour les intimés



Date d’audience :


29 janvier 2009






MOTIFS DE LA JUGE DUTIL





[7] L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui l'a condamné à payer 75 % des dommages de 104 027,57 $ accordés aux intimés à la suite de blessures subies par Patrick Longpré. Ce dernier a chuté à vélo dans un fossé séparant la propriété de l'appelant et celle du mis en cause André Aubry.

les faits

[8] Le 14 juillet 2000, vers 23 h 30, Patrick Longpré, alors âgé de 15 ans, circule à vélo sur le boulevard St-Louis[1], à Saint-Louis-de-France, en compagnie de deux amis. Il décide de s'arrêter à un dépanneur. Ses copains ne le suivent toutefois pas. Voyant cela et croyant prendre un raccourci, Patrick Longpré poursuit plutôt son chemin en traversant le stationnement de l'immeuble à logements voisin, propriété de l'appelant. Il souhaite se rendre au terrain de minigolf, appartenant au mis en cause Aubry, et, de là, retourner sur le boulevard St-Louis rejoindre ses amis. Entre les deux terrains se trouve un conteneur à déchets de cinq pieds de largeur par quatre pieds de profondeur, appartenant à l'appelant. Plutôt que d'être déposé sur le sol, il repose sur les poteaux de fer au-dessus d'un fossé situé à la limite des terrains de l'appelant et du mis en cause Aubry.

[9] Patrick Longpré traverse donc le stationnement de l'immeuble à logements de l'appelant et perçoit, à environ 18 ou 19 pieds de la limite de ce terrain, qu'il y a une dénivellation avant de parvenir au minigolf. Il estime qu'il s'agit d'une pente en gazon de quelques pieds pouvant être franchie facilement. Ce n'est toutefois pas le cas.

[10] En effet, un fossé de 5 à 6 pieds de profondeur sépare les deux terrains, dans lequel se trouve un cours d'eau municipal. Patrick Longpré fait donc une chute. Il témoigne avoir perdu connaissance. Lorsqu'il revient à lui, il manque de souffle et a de la difficulté à crier pour obtenir de l'aide. Ses amis viennent finalement le secourir et il réussit à se lever péniblement. Il est reconduit en voiture chez l'un d'eux.

[11] Le lendemain, ses parents l'amènent à l'hôpital Cloutier où, après un examen radiologique, on ne constate aucune blessure. Il doit cependant porter un collier cervical pour soulager sa douleur. Trois jours plus tard, il retourne à l'hôpital où on l'informe qu'il n'a rien et qu'il peut enlever le collier cervical. Toutefois, une heure plus tard, l'hôpital communique avec les intimés pour les aviser qu'il y a finalement une fracture, que Patrick Longpré doit remettre le collier cervical et se rendre dès le lendemain au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Il est opéré le 21 février 2001 afin de souder ses vertèbres cervicales. Il doit alors porter son collier cervical pour une période supplémentaire de trois mois.

le jugement de première instance

[12] La juge de première instance constate d'abord que la ligne entre les propriétés de l'appelant et du mis en cause Aubry se trouve dans le fond du fossé. De ce fait, ils sont chacun responsables de l'entretien de chaque côté du fossé.

[13] La juge de première instance rejette l'argument de l'appelant et du mis en cause Aubry fondé sur la théorie de l'intrus, visant à diminuer ou modifier leur responsabilité.

[14] Elle conclut finalement que la configuration du fossé entre les deux terrains représentait un piège pour Patrick Longpré, à cause de la présence d'herbes hautes et du conteneur à déchets de l'appelant posé sur des poteaux de fer invisibles de son stationnement. En outre, les stationnements de l'appelant et du mis en cause Aubry, attenants au minigolf, étaient facilement accessibles sans qu'aucun avertissement s'y trouve.

[15] La juge est toutefois d'avis que l'appelant doit supporter une plus grande part de responsabilité (75 %) que le mis en cause Aubry, et ce, pour les raisons suivantes :

1. Il a modifié la hauteur du terrain par le remplissage qu'il a effectué lors de la construction de l'immeuble à logements.

2. Il a posé le conteneur à déchets de façon à induire quiconque en erreur à partir de son terrain de stationnement.

3. Il n'a pas indiqué la dénivellation, et ce d'aucune façon.

4. Il n'a pas entretenu adéquatement son côté de fossé, cette négligence étant la cause de l'illusion d'optique ainsi créée que le gazon était à la hauteur du pavé.

[16] Elle ne retient aucune responsabilité de la part de Patrick Longpré.

[17] Pour ce qui est des dommages, elle accorde 4 027,57 $ à titre de « coût des soins passés, perte de revenus et pertes économiques passées ». Elle n'alloue toutefois aucune somme pour ce qui est de la perte d'intégrité physique, étant d'avis que la preuve factuelle ne permet pas de la déterminer à l'heure actuelle. En ce qui a trait aux pertes non pécuniaires, la juge octroie 100 000 $ pour douleurs, souffrances, inconvénients et perte de jouissance de la vie.

[18] Finalement, la juge de première instance réserve les droits de Patrick Longpré pour une période de trois ans, en vertu de l'article 1615 C.c.Q.

les questions en litige

[19] L'appelant soulève les questions suivantes :

1. La juge de première instance a-t-elle erré en ne retenant pas la responsabilité de Patrick Longpré?

2. La juge de première instance a-t-elle erré en concluant à la responsabilité de l'appelant?

3. La juge de première instance a-t-elle erré dans l'évaluation des dommages?

4. La juge de première instance a-t-elle erré en réservant les droits de Patrick Longpré pour une période de trois ans en vertu de l'article 1615 C.c.Q.?

5. La juge de première instance a-t-elle erré en partageant la responsabilité entre l'appelant et le mis en cause Aubry dans une proportion de 75 % – 25 %?

l'analyse

Question 1

La juge de première instance a-t-elle erré en ne retenant pas la responsabilité de Patrick Longpré?

[20] L'appelant plaide que Patrick Longpré a fait preuve d'une grande imprudence en s'engageant la nuit sur une propriété privée, sans prendre la précaution de vérifier si le raccourci qu'il désirait emprunter était sans danger.

[21] En outre, il soutient que celui-ci avait constaté que le terrain du mis en cause Aubry, vers lequel il se dirigeait, était à un niveau inférieur au sien. En conséquence, il aurait dû ralentir ou s'arrêter avant de s'engager dans la descente.

[22] L'appelant est d'avis que Patrick Longpré est le seul responsable de ses malheurs.

[23] Les intimés allèguent pour leur part que les éléments retenus dans la preuve permettaient à la juge de première instance de conclure que Patrick Longpré n'a commis aucune faute. Le fossé constituait un piège.

[24] Dans son mémoire, l'appelant plaide que Patrick Longpré était un intrus (trespasser) et que, partant, les intimés avaient le fardeau de prouver une faute volontaire ou une négligence grossière de sa part pour que sa responsabilité soit retenue[2]. Lors de l'audition, l'appelant concède toutefois qu'il n'est pas nécessaire de référer à la notion d'intrus pour décider de l'affaire. Il faut plutôt s'en tenir aux dispositions du Code civil du Québec et plus particulièrement à l'article 1457 C.c.Q. Il continue cependant de prétendre que les intimés devaient démontrer une faute volontaire ou une négligence grossière de sa part pour avoir gain de cause.

[25] L'appelant a raison de reconnaître qu'il n'est pas utile de recourir à la notion d'intrus (trespasser), qui nous vient de la common law, pour trancher le litige. Dans l'arrêt Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd. (Rubis)[3], le juge Beetz explique qu'il s'agit même d'une erreur en droit civil d'invoquer cette notion. Il s'exprime ainsi :

J'ai déjà eu l'occasion de mettre en doute le fait que ces catégories [invitees, trespassers] fassent partie du droit civil: Hamel c. Chartré, [1976] 2 R.C.S. 680 à la p. 688. Si j'entretenais un doute, c'est que pendant au-delà d'une vingtaine d'années, les tribunaux québécois eux-mêmes se sont assez souvent appuyés sur ces concepts en invoquant parfois le motif discutable qu'ils conduisaient au même résultat que le droit civil. Albert Mayrand, plus tard juge de la Cour d'appel fait le dénombrement de ces décisions dans un article remarquable, «A quand le trépas du «trespasser»?», (1961) 21 R. du B. 1 . Voir également : Mignault, « Conservons notre droit civil », (1936-1937) 15 R. du D. 28; Nadeau, «Invitee, licensee et trespasser», (1944) 4 R. du B. 286; Nadeau, « Case and Comment », (1948) 26 R. du B. Can. 728; Antonio Perrault, « La critique des arrêts », (1945) 5 R. du B. 491.

[26] L'appelant a toutefois tort de prétendre que les intimés devaient démontrer une faute volontaire ou une négligence grossière. En effet, il faut plutôt s'en remettre aux règles du droit civil et conclure qu'aucun fardeau particulier ne doit être rencontré dans la présente affaire. Les intimés devaient démontrer que l'appelant a commis une faute et que cette dernière leur a causé des dommages.

[27] Avant d'entreprendre l'analyse, il y a lieu de s'interroger sur la norme de contrôle que doit appliquer notre Cour. La question de l'imputation d'une faute, en l'espèce, est-elle une question mixte de droit et de fait qui impose à la Cour d'appel de ne pas intervenir en l'absence d'une erreur manifeste et déterminante dans l'appréciation de la preuve? Ou s'agit-il de déterminer si la conclusion de la juge découle d'une erreur quant au critère juridique applicable? Dans ce cas, il s'agirait d'une question de droit qui doit être révisée par notre Cour selon la norme de la décision correcte.





[28] La Cour suprême, dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen[4], explique ainsi la distinction :

29 Lorsque la question mixte de fait et de droit en litige est une conclusion de négligence, notre Cour a jugé que les cours d’appel devaient faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion du juge de première instance. Dans l’arrêt Jaegli Enterprises Ltd. c. Taylor, [1981] 2 R.C.S. 2 , p. 4, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a infirmé la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique portant que le juge de première instance avait erronément conclu à la négligence, pour le motif qu’« une cour d’appel commet une erreur lorsqu’elle infirme un jugement de première instance s’il n’y a pas une erreur manifeste et dominante, et si l’interprétation de l’ensemble de la preuve est le seul point en litige » (voir aussi l’arrêt Schreiber Brothers Ltd. c. Currie Products Ltd., [1980] 2 R.C.S. 78 , p. 84).

30 Il convient d’appliquer cette norme de contrôle plus exigeante aux conclusions de négligence, étant donné que de telles conclusions peuvent également être tirées par des jurys en première instance. Si la norme applicable était celle de la décision correcte, il s’ensuivrait que les cours d’appel appliqueraient cette norme pour contrôler même des conclusions de négligence tirées par jurys. Actuellement, il n’y a ouverture à un tel contrôle que si le juge du procès a donné des directives erronées au jury sur le droit applicable. Suivant la règle générale, les tribunaux font montre d’une grande retenue envers les conclusions des jurys dans les procès civils pour négligence :

[traduction] Le principe pertinent a été énoncé dans bon nombre d’arrêts de notre Cour, à savoir qu’il n’y a pas lieu d’écarter le verdict d’un jury parce qu’il va à l’encontre du poids de la preuve, à moins que le verdict en question ne soit nettement déraisonnable et injuste au point de convaincre le tribunal qu’aucun jury examinant la preuve dans son ensemble et agissant de façon judiciaire n’aurait pu le prononcer.

(McCannell c. McLean, [1937] R.C.S. 341, p. 343)

Voir également Dube c. Labar, [1986] 1 R.C.S. 649 , p. 662, et C.N.R. c. Muller, [1934] 1 D.L.R. 768 (C.S.C.). Adopter la norme de la décision correcte aurait pour effet de modifier le droit et de porter atteinte au rôle traditionnel du jury. Par conséquent, le fait d’exiger l’application de la norme de l’« erreur manifeste et dominante » aux fins de contrôle d’une conclusion de négligence tirée par un juge ou un jury consolide les rapports qui doivent exister entre les juridictions d’appel et celles de première instance et respecte la norme de contrôle bien établie qui s’applique aux conclusions de négligence tirées par les jurys.

[…]

33 Par contre, lorsqu’il peut être établi que la conclusion erronée du juge de première instance découle d’une erreur quant à la norme juridique à appliquer, ce facteur touche au rôle de création du droit de la cour d’appel, et une retenue moins élevée s’impose, conformément à la norme de la décision « correcte ». Notre Cour a apporté cette nuance dans l’arrêt St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491 , 2002 CSC 15 , par. 48-49 :

La question qui consiste « à déterminer si les faits satisfont au critère juridique » est une question mixte de droit et de fait ou, en d’autres termes, « la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait » (Southam, par. 35).

Une fois les faits établis sans erreur manifeste et dominante, cette question doit généralement être révisée suivant la norme de la décision correcte puisque la norme de diligence est normative et constitue une question de droit qui relève de la compétence habituelle des tribunaux de première instance et d’appel. [soulignements dans l'original]

[29] Dans l'arrêt St-Jean c. Mercier[5], la Cour suprême indique en outre ceci :

60 Je le répète, en droit de la responsabilité civile délictuelle, l'imputation de la faute est une question mixte de droit et de fait, soit l'application d'un concept juridique à un ensemble de faits. La norme applicable en l'espèce à la question de fait et de droit est celle de la justesse. Il appartient à notre Cour, si elle les juge erronées, de modifier les conclusions de la Cour d'appel sur la faute.

[30] En l'espèce, les constatations factuelles de la juge de première instance ne sont pas contestées, ce sont les conclusions qu'elle en tire au regard de la faute qui posent problèmes. En conséquence, à mon avis, la norme applicable est celle de la justesse.

[31] Alors qu'il est sur le stationnement du dépanneur, Patrick Longpré décide de prendre un raccourci pour rejoindre ses amis. Il circule à vitesse normale et se dirige vers le stationnement de l'immeuble à 6 logements de l'appelant, le long du boulevard St-Louis, lequel peut accueillir 17 voitures.

[32] La preuve indique que Patrick Longpré voulait se rendre jusqu'au terrain du minigolf appartenant au mis en cause Aubry et, de là, rejoindre ses amis sur le boulevard St-Louis. En partant du dépanneur, il voyait un chemin traversant le stationnement vers le terrain du minigolf. L'asphalte au centre du stationnement de l'appelant était en effet d'une couleur plus pâle, en continuité avec celle du dépanneur. Patrick Longpré décrit ainsi ce qu'il voit :

« Q. Et puis quelle était votre intention quand vous vous dirigiez vers le stationnement?

R. Mon intention, moi, c'était de traverser, moi, pareil, je voyais les deux (2) stationnements comme si c'était un chemin, dans le fond, pour aller prendre la sortie du… du mini-put » [soulignement dans l'original]

[33] Le terrain de stationnement est éclairé par un luminaire placé sur le côté du bâtiment.

[34] Lorsque Patrick Longpré arrive à 18 ou 19 pieds de la limite du terrain, il aperçoit ce qui lui semble être une pente en gazon, mais il ne freine pas.

[35] La juge de première instance retient de la preuve que le conteneur à déchets posé sur des poteaux de fer au-dessus du fossé de même que les hautes herbes ont créé une illusion d'optique laissant croire à Patrick Longpré que le terrain plat se poursuivait pour 4 ou 5 pieds de plus et qu'il n'y avait qu'une légère dénivellation entre les deux terrains. Elle s'exprime ainsi :

[11] Il ne voit aucun écriteau, il voit devant lui, au bout du premier stationnement, du gazon, une petite pente et un autre stationnement.

[12] Entre les deux stationnements, à gauche de la trajectoire de Patrick, se trouve un conteneur à déchets de cinq pieds (5') de hauteur par cinq pieds (5') de largeur par quatre pieds (4') de profondeur.

[13] Ce conteneur à déchets n'était pas assis sur le sol, mais suspendu dans le vide et soutenu par des barres de fer.

[14] Les photos déposées sous la cote P-15, numéros 5 et 7, ainsi que les quatre photos déposées sous D-1 par M. Aubry (voir photos P-15, numéros 1 et 4) illustrent très bien l'illusion d'optique créée par ce conteneur à déchets, laissant nettement croire que le terrain du premier stationnement restait plat pour au moins la profondeur de celui-ci, soit au moins quatre à cinq pieds (4' à 5').

[15] Également, la pièce P-15, photos numéros 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9 et 10, démontre clairement que l'herbe haute laisse croire à une légère dénivellation entre les deux terrains et non pas à un fossé de 5 ou 6 pieds.

[16] Alors donc, Patrick aperçoit le fossé trop tard, n'a pas le temps de freiner et se retrouve au fond du fossé.

[36] La juge conclut que l'appelant et le mis en cause Aubry ont contribué à créer un piège pour Patrick Longpré alors que ce dernier n'a aucune responsabilité dans cette affaire.

[37] Avec égards pour la juge de première instance, je suis d'avis que Patrick Longpré ne peut être exonéré de toute responsabilité, et ce, même si je conclus, à la deuxième question, qu'elle a eu raison en décidant que le fossé constituait un piège. En effet, il s'est engagé sur une propriété privée à 23 h 30, alors qu'il faisait noir, malgré un certain éclairage fourni par un luminaire posé sur le bâtiment de l'appelant. Il n'a pas été prudent en empruntant un raccourci qu'il ne connaissait pas. En outre, il aurait dû freiner lorsqu'il a aperçu ce qu'il croyait être une simple pente.

Question 2

La juge de première instance a-t-elle erré en concluant à la responsabilité de l'appelant?

[38] L'appelant plaide qu'il n'est nullement responsable des dommages subis par les intimés. En effet, la configuration des lieux n'était pas dangereuse, selon lui. Il n'avait pas à s'assurer que sa propriété était sécuritaire pour servir de passage à un cycliste.

[39] En outre, selon l'appelant, rien ne laissait croire qu'il était raisonnablement probable que Patrick Longpré traverse le cours d'eau municipal à bicyclette, comme il a tenté de le faire.

[40] Finalement, même si notre Cour retenait qu'il a été fautif ou négligent, l'appelant soutient que la faute commise par Patrick Longpré a rompu le lien de causalité avec les dommages réclamés.

[41] Les intimés soutiennent quant à eux que la juge de première instance n'a pas erré en concluant que l'appelant et le mis en cause Aubry ont créé une situation de fait dangereuse, laquelle constitue un piège.

[42] À mon avis, la juge de première instance a eu raison de conclure que l'appelant est responsable en partie des dommages subis par Patrick Longpré. En effet, bien qu'une dénivellation était visible, rien ne pouvait lui laisser croire qu'il s'agissait d'un fossé profond de 5 ou 6 pieds qui débutait de façon abrupte.

[43] Comme le relate la juge de première instance, le conteneur installé sur des poteaux de fer au-dessus du fossé de même que les herbes hautes donnaient l'illusion d'une pente et non d'un fossé. Il s'agissait d'un piège. L'appelant n'a pris aucune disposition pour indiquer le danger.

[44] La Cour suprême, dans l'arrêt Rubis[6], explique que la notion de piège se retrouve dans le droit civil :

Mais si la catégorie du licensee est propre à la common law, la notion de piège, elle, ne l'est pas et se retrouve en droit civil, non pas comme une catégorie juridique mais comme une des innombrables situations de fait dont la présence est parfois susceptible d'être imputable à la faute du maître des lieux, à son fait ou à sa négligence et d'engager sa responsabilité en vertu de la règle générale énoncée à l'art. 1053 du Code civil. C'est pourquoi l'on voit souvent les tribunaux du Québec se demander si une situation donnée équivaut à un piège afin de décider si le maître des lieux a commis une faute en tolérant cette situation.

L'infinie variété des faits empêche que l'on définisse avec précision ce que c'est qu'un piège. On peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèquement dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché; par exemple une porte ouvrant non pas sur un véritable escalier comme on pouvait s'y attendre mais sur des marches verticales comme celles d'un escabeau : […] Il y a généralement dans l'idée de piège une connotation d'anormalité et de surprise, eu égard à toutes les circonstances; […]

[45] Je conclus que la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en décidant que le fossé, dans les circonstances, constituait un piège.

[46] Bien que l'immeuble de l'appelant soit une propriété privée, cette dernière se trouve dans un quartier commercial, le long d'un boulevard. Le stationnement est de plus situé à l'avant du bâtiment. Il se trouve entre un dépanneur et le terrain du minigolf du mis en cause Aubry. En conséquence, l'appelant aurait dû prévoir que des gens non familiers avec la configuration des lieux étaient susceptibles de se trouver à cet endroit. Il n'était pas imprévisible que des jeunes empruntent ce passage entre les immeubles.

[47] L'appelant est donc en partie responsable des dommages subis par Patrick Longpré.

Question 3

La juge de première instance a-t-elle erré dans l'évaluation des dommages?

[48] L'appelant invoque que la juge de première instance a erré en accordant 100 000 $ à Patrick Longpré au chapitre des pertes non pécuniaires, alors que le plafond fixé par la Cour suprême dans la trilogie[7] est maintenant de 300 000 $ environ.

[49] En outre, il plaide que la juge de première instance a accordé un montant supérieur à celui demandé par Patrick Longpré à ce titre, soit 80 000 $.

[50] Les intimés allèguent quant à eux que les cours d'appel doivent faire preuve d'une grande retenue à cet égard. Ils estiment que la juge de première instance a bien analysé les conséquences de l'accident pour Patrick Longpré. Le montant accordé n'est pas déraisonnable.



[51] En ce qui concerne l'argument de « l'ultra-petita », les intimés soulignent qu'à la suite d'un amendement la demande pour les dommages non pécuniaires s'élevait à 163 000 $.

[52] À mon avis, il n'y a pas lieu d'intervenir sur la question du quantum des dommages. La juge de première instance a bien analysé toutes les conséquences qu'a entraînées l'accident pour Patrick Longpré. Il s'agit d'un jeune homme qui était âgé de 15 ans lors de l'événement et qui fréquentait un programme études-plein air. Elle s'exprime ainsi :

[88] La vie de Patrick a été totalement bouleversée par cet accident. Il avait 15 ans, était en excellente santé, un sportif actif, suivait un programme d'études-plein air qui comblait ses désirs et ses besoins d'activités physiques. Il avait un emploi qui lui procurait 50$ par semaine que ses parents ont dû combler pour ne pas qu'il perde son travail de camelot.

[89] Il était un passionné du hockey avec des attentes fondées de monter de catégorie de hockey. Ces rêves sont maintenant terminés.

[90] Les douleurs et souffrances de Patrick ont été très intenses les premiers mois suivant l'accident et resteront présentes pour le restant de sa vie à un niveau moindre, vu l'opération subie.

[91] La perte de jouissance de la vie pour ce jeune homme est évidente, vu les activités qu'il a dû cesser ou diminuer.

[92] Dans les circonstances, et vu son jeune âge, le Tribunal estime équitable d'accorder à Patrick un montant de 100,000 $ à titre de dommages non pécuniaires.

[93] Tel qu'expliqué par M. le juge Dickson dans l'arrêt Lindal[2] :

"La Cour a adopté la troisième façon d'aborder le problème, soit la conception "fonctionnelle" qui, au lieu de tenter d'évaluer en termes monétaires la perte des agréments de la vie, vise à fixer une indemnité suffisante pour fournir à la victime une consolation raisonnable pour ses malheurs. Il y a indemnisation non parce que les facultés perdues ont une valeur monétaire, mais parce qu'il est possible de se servir d'argent pour substituer d'autres agréments et plaisirs à ceux qu'on a perdus."





Total des dommages

Coût des soins passés, pertes de revenus et pertes économiques passées


4,027.57 $

Pertes non pécuniaires


100,000.00 $

[référence omise]

[53] Je partage l'opinion du juge Letarte, alors juge ad hoc à la Cour d'appel, lorsqu'il mentionne ceci, dans l'arrêt Claude Godin c. Ginette Quintal[8] :

[152] Le devoir de réserve imposé en matière d'interprétation des faits, de la crédibilité des témoins et des thèses des experts s'applique aussi à la détermination du quantum de la réclamation surtout lorsqu'il s'agit de l'estimation des pertes non pécuniaires résultant de douleurs, souffrances et inconvénients, opération qui relève plus d'un exercice philosophique que d'un calcul rigoureux.

[54] La somme de 100 000 $ accordée à Patrick Longpré peut sembler généreuse, mais elle n'est pas déraisonnable. En effet, l'accident a changé sa vie. Il ne peut plus pratiquer les sports comme il le souhaiterait. Il a également souffert de longs mois de façon intense, comme le souligne la juge de première instance, et il devra supporter des douleurs toute sa vie.

Question 4

La juge de première instance a-t-elle erré en réservant les droits de Patrick Longpré pour une période de trois ans en vertu de l'article 1615 C.c.Q.?

[55] L'appelant reproche également à la juge de première instance d'avoir réservé les recours de Patrick Longpré pour une période de trois ans.

[56] La juge traite de cette question sous la rubrique « Perte d'intégrité physique ». Elle s'interroge sur les pertes financières que pourrait subir Patrick Longpré en raison des dommages physiques subis. Elle s'exprime ainsi :

[85] Mais quelles sont les pertes pécuniaires de Patrick?

[86] Nous ne les connaissons pas, car seul l'avenir saura nous le dire, à défaut d'une preuve factuelle que le Tribunal n'a pas encore.

[87] Faute de preuve à cet égard, le Tribunal ne peut que, tel que demandé dans les conclusions de la requête, réserver à Patrick le droit de demander des dommages et intérêts additionnels en réparation de son préjudice corporel.

[57] Un tribunal peut accorder une réserve de recours à une victime dont la condition physique n'est pas stabilisée au moment du jugement, et ce, pour une période maximale de trois ans. L'article 1615 C.c.Q. est ainsi libellé :

1615. Le tribunal, quand il accorde des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice corporel peut, pour une période d'au plus trois ans, réserver au créancier le droit de demander des dommages-intérêts additionnels, lorsqu'il n'est pas possible de déterminer avec une précision suffisante l'évolution de sa condition physique au moment du jugement.

[58] À mon avis, cet article n'autorise pas le tribunal à réserver les recours si ce sont les conséquences économiques dues à cette condition physique qui sont inconnues au moment du procès. En effet, c'est lorsque la condition physique est encore susceptible d'évoluer qu'une réserve de recours peut être prononcée.

[59] En l'espèce, la preuve n'établit nullement que la condition physique de Patrick Longpré n'est pas stabilisée. Ce sont les conséquences financières de sa perte d'intégrité physique qui n'ont pas été prouvées en première instance. Or, la réserve de recours prévue à l'article 1615 C.c.Q. ne peut servir à cette fin[9].

Question 5

La juge de première instance a-t-elle erré en partageant la responsabilité entre l'appelant et le mis en cause Aubry dans une proportion de 75 % – 25 %?

[60] L'appelant plaide finalement que la juge de première instance a erré dans le partage de responsabilité avec le mis en cause Aubry. Il soutient que le partage aurait dû se faire dans une proportion de 50 % – 50 % plutôt que 75 % – 25 %.

[61] Pour les motifs que j'énonce dans un arrêt déposé ce jour dans le dossier 200-09-005877-078, dans lequel le mis en cause Aubry est appelant, j'accueille son pourvoi parce que, à mon avis, il n'est pas responsable des dommages subis par Patrick Longpré.

[62] Il reste donc à déterminer dans quelle proportion la responsabilité doit être partagée entre l'appelant et Patrick Longpré. À la lumière de la preuve, je conclus que l'appelant doit supporter 75 % de la responsabilité et Patrick Longpré 25 %.

[63] En effet, l'appelant est responsable parce que la configuration de son terrain, à sa limite avec celui du mis en cause Aubry, est dangereuse à cause :

1) du remplissage qui y a été effectué;

2) du conteneur à déchets installé sur des poteaux de fer au-dessous du fossé et des hautes herbes qui donnent une illusion d'optique à la personne qui se dirige vers le terrain de son voisin;

3) du défaut d'indiquer le danger.

[64] Cette situation crée une illusion d'optique pour la personne qui se dirige vers le terrain du mis en cause Aubry et constitue un piège. À mon avis, cela entraîne pour l'appelant une plus grande part de responsabilité dans les dommages subis par Patrick Longpré.

[65] Quant à ce dernier, il a été négligent en s'aventurant en terrain inconnu la nuit, sans diminuer de vitesse. Il doit également assumer une partie de la responsabilité.

[66] Sur la question de partage de responsabilité, il y a lieu de préciser en terminant que la juge de première instance a commis une erreur en condamnant conjointement et solidairement l'appelant et le mis en cause à payer respectivement 75 % et 25 % aux intimés. En effet, en vertu de l'article 1480 C.c.Q., cette condamnation ne pouvait être que solidaire. De plus, ce partage ne vaut qu'entre l'appelant et le mis en cause et non à l'égard des intimés.

[67] Pour ces motifs, je propose d'accueillir le pourvoi avec dépens, d'infirmer en partie le jugement de première instance, et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être prononcé en première instance, d'accueillir en partie l'action des intimés avec dépens, de condamner l'appelant à payer aux intimés la somme de 78 020,67 $ avec intérêts depuis l'assignation ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec.








JULIE DUTIL, J.C.A.





MOTIFS DU JUGE HILTON





[68] J'ai pris connaissance des motifs de ma collègue la juge Dutil. Elle propose d'accueillir le pourvoi de Gaétan Paquet à la seule fin de réduire sa responsabilité envers les intimés à 75 % des dommages accordés par la juge de la Cour supérieure. Avec égards, je ne peux souscrire à son opinion. Je suis d'avis que la juge de première instance a erré en droit en concluant à la responsabilité de M. Paquet. Patrick Longpré a été victime d'un malheureux accident entièrement imputable à son imprudence et M. Paquet ne saurait en être tenu responsable.

[69] L'article 1457 C.c.Q. pose le principe qu'une personne douée de raison est responsable de ses actes envers autrui, ce principe s'applique nécessairement envers elle-même[10]. Tel que mentionné par mon collègue le juge Dufresne, alors qu'il était à la Cour supérieure, chacun est le premier assureur de sa propre sécurité et doit se prémunir contre les dangers visibles[11], et j'ajoute, les dangers normaux.

[70] En l'espèce, M. Longpré a eu une conduite fautive. Il s'est engagé à la noirceur en vélo sur un terrain qui lui était inconnu, à une bonne vitesse, sans porter de casque, sans être doté d'éclairage sur sa bicyclette et sans jamais s'être assuré de la configuration du terrain.

[71] Selon son témoignage, près du fossé, il a aperçu une dénivellation. Il a alors présumé qu’il y avait pente gazonnée sur la ligne mitoyenne. Il ne s'est donc pas préoccupé de l'importance de la dénivellation de la pente. Il n'a pas freiné ni ralenti lorsqu’il a atteint la bordure du fossé, et ce, même s'il ne voyait pas entièrement la pente à cause de la noirceur et des herbes hautes. À mon avis, le comportement de M. Longpré dénote une absence de précaution et ne correspond pas à une conduite raisonnablement prudente et diligente.

[72] Les principes applicables en matière d'accident sur la propriété d'autrui sont bien établis. Le propriétaire a le devoir de tenir les lieux dans un état qui soit de nature à protéger raisonnablement les visiteurs. Tel que l'a souligné le juge Forget, alors à la Cour supérieure, dans Monin-Spenard c. Maison Carpediem inc., le propriétaire des lieux n'est cependant pas l'assureur des tiers qui s'y trouvent[12]. Ce dernier n'est également pas tenu de tout prévoir et de tout prévenir[13].

[73] À cet égard, la Cour suprême dans l’arrêt Ouellet c. Cloutier a rappelé qu’une personne raisonnable n’est pas tenue de prévoir tout ce qui est possible, mais bien ce qui est normalement prévisible. Dans cet arrêt, elle devait déterminer si M. Ouellet avait été négligent en permettant à Marcel Cloutier, âgé de 10 ½, de l'aider à battre le grain. Durant cette activité, Marcel s'était fracturé le poignet en tentant d'arrêter la batteuse du tracteur à mains nues. La Cour n'a pas retenu la responsabilité de M. Cloutier et le juge Taschereau a souligné ce qui suit :

Il se peut qu'il était possible qu'un accident semblable arrivât. Mais ce n'est pas là le critère qui doive servir à déterminer s'il y a eu oui ou non négligence. La loi n'exige pas qu'un homme prévoie tout ce qui est possible. On doit se prémunir contre un danger à condition que celui-ci soit assez probable, qu'il entre ainsi dans la catégorie des éventualités normalement prévisibles. Exiger davantage et prétendre que l'homme prudent doive prévoir toute possibilité, quelque vague qu'elle puisse être, rendrait impossible toute activité pratique.[14] [Je souligne]

[74] Dans Five Star Jewellery Co. c. Horovitz[15], notre Cour a statué qu'un bijoutier n'était pas responsable pour le vol de bijoux consignés gratuitement qui avaient été dérobés lors d'un vol à main armée, puisque cet évènement n'était pas prévisible. C'est dans ce contexte que le juge Brossard a indiqué ceci :

Une distinction s'impose entre la possibilité d'un événement et son caractère de prévisibilité. Tout, dans la vie, peut être dit possible, qu'il s'agisse d'un tremblement de terre, d'une explosion, d'un incendie, d'un vol, etc.. Il faut distinguer entre la possibilité et la prévisibilité d'un événement. Cette imprévisibilité comporte un caractère objectif. Comme le soulignent les frères Mazeaud :

Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait imprévisibilité, qu'on soit en face d'un événement qui ne s'est jamais encore produit. Sans doute, la réalisation de tout événement qui n'est pas nouveau peut être prévue; mais il ne s'agit pas de cette prévisibilité générale et abstraite. Un événement est imprévisible, du moment qu'il n'y avait aucune raison particulière de penser que cet événement se produirait [Henri Mazeaud, Léon Mazeaud et Jean Mazeaud, Leçons de droit civil, 3e éd., tome 2, Paris, Éditions Montchrestien, p. 538].[16]

[75] En l'espèce, il s’agit donc de cerner le devoir de sécurité de la défenderesse à l’égard des tiers en gardant à l’esprit que ce devoir consiste à prendre les mesures nécessaires pour empêcher tout accident normalement prévisible[17].

[76] La recherche de la prévisibilité revient indirectement à celle de l'identification de la faute elle-même[18]. En l’instance, la faute alléguée est l’omission de la part de M. Paquet d'avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des tiers sur sa propriété, créant ainsi un piège.

[77] La Cour suprême, sous la plume du juge Beetz, a consacré la notion de piège en droit civil québécois dans l'arrêt Rubis c. Gray Rocks Ltd. En voici la définition :

L'infinie variété des faits empêche que l'on définisse avec précision ce que c'est qu'un piège. On peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèquement dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché […] Il y a généralement dans l'idée de piège une connotation d'anormalité et de surprise, eu égard à toutes les circonstances […].[19] [Je souligne]

[78] Cette notion, telle que développée, implique nécessairement une situation factuelle, qui eu égard à toutes les circonstances, comporte trois caractéristiques : une situation intrinsèquement dangereuse, non apparente et anormale[20]. Qu'en est-il en l'espèce?

[79] Le fossé est intrinsèquement dangereux puisqu’un cours d’eau municipal y coule et qu’il est d’une profondeur de 5 à 6 pieds environ. De plus, à l’époque de l’accident le fossé n’était pas très apparent à la noirceur à cause, entre autres, des herbes hautes le bordant.

[80] Par contre, avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que la présence d'un fossé sur la ligne mitoyenne d’une propriété située dans l'ancienne Paroisse de Saint-Louis-de-France, maintenant une zone rurale de la municipalité de Trois-Rivières, ne peut pas être objectivement qualifiée et considérée comme un fait surprenant, imprévisible ou anormal. Les fossés ne sont pas anormaux dans les zones rurales et agricoles. Ainsi, je ne peux qualifier le fossé de piège.

[81] D'ailleurs, le trajet utilisé par Patrick Longpré le soir du 14 juillet 2000 sur la propriété de M. Paquet ne correspondait pas à un raccourci habituellement emprunté par les tiers et tel que l'a expliqué Patrick, aucun chemin ne liait les propriétés de MM. Paquet et Aubry. Le fossé, situé à la limite du terrain de M. Paquet, est donc un endroit qui n’est généralement pas utilisé par les tiers.

[82] Finalement, Patrick Longpré avait le fardeau de prouver la faute commise par M. Paquet. Il s'agit d'une faute d'omission puisqu'il est allégué que M. Paquet n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des visiteurs et spécifiquement pour empêcher un cycliste de tomber dans le fossé. Il n'était pas suffisant pour Patrick Longpré de faire une affirmation générale à cet égard. Il devait prouver sur une prépondérance de probabilités quelles mesures M. Paquet devait prendre[21]. Or, cette preuve est manquante au dossier.

[83] Selon la juge de première instance, Patrick Longpré n'aurait commis aucune faute, tandis qu'elle dénote dans les agissements de M. Paquet quatre fautes ayant crée un piège :

1. Il a modifié la hauteur du terrain par le remplissage qu'il a effectué lors de la construction de l'immeuble à logements.

2. Il a posé le conteneur à déchets de façon à induire quiconque en erreur à partir de son terrain de stationnement.

3. Il n'a pas indiqué la dénivellation, et ce, d'aucune façon.

4. Il n'a pas entretenu adéquatement son côté de fossé, cette négligence étant la cause de l'illusion d'optique ainsi créée que le gazon était à la hauteur du pavé.

[84] Je suis d'avis que le raisonnement de la juge de première instance est erroné.

[85] D'une part, tel que le soutient M. Paquet, la modification de la hauteur du terrain et l'emplacement du conteneur à déchets ne correspondent pas à des mesures qu'il aurait dû prendre afin de rendre sa propriété plus sécuritaire. En ce sens, on ne peut qualifier objectivement ces faits de fautes.

[86] D'autre part, je suis d'avis que l'absence d'une indication dénonçant le fossé n'est pas une faute puisque, dans ce secteur, il ne représentait pas un fait anormal. Seule une clôture aurait pu empêcher Patrick Longpré d'emprunter ce qu'il croyait être un raccourci. Par contre, imposer une telle obligation aux propriétaires ayant un fossé en bordure de leur terrain en région rurale correspondrait à une obligation onéreuse et est déraisonnable. Qui plus est, une clôture discrète n'aurait probablement pas empêché l'accident fortuit de Patrick Longpré.

[87] Par conséquent, la situation factuelle en l’espèce ne correspond pas à un évènement raisonnablement prévisible pour M. Paquet. En effet, une personne raisonnable ne saurait prévoir et s'assurer que son terrain est sécuritaire pour un cycliste nocturne qui pénètre et traverse sa propriété, et ce, sans s’assurer de la configuration des lieux et particulièrement de l’importance de la dénivellation du fossé marquant la limite de sa propriété. Patrick Longpré doit donc supporter, seul, la responsabilité de son malheureux accident.

[88] Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer le jugement de la Cour supérieure et de rejeter l'action des intimés, avec dépens.








ALLAN R. HILTON, J.C.A.