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Gavrila c. Canada (Ministre de la Justice)

no. de référence : 500-10-004198-089

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE




MONTRÉAL

N° :


500-10-004198-089





DATE :


LE 30 JUIN 2009





CORAM :


LES HONORABLES


MARC BEAUREGARD, J.C.A.

PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.

LISE CÔTÉ, J.C.A.





TIBERIU GAVRILA

DEMANDEUR – Intéressé

c.



LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

INTIMÉ – Décideur





ARRÊT






[1] LA COUR; – Statuant sur la demande de révision judiciaire à l'encontre de la décision rendue le 2 juillet 2008 par le ministre de la Justice du Canada ordonnant l'extradition du demandeur vers la Roumanie;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs du juge Gendreau, auxquels souscrivent les juges Beauregard et Côté;



[4] REJETTE la demande de révision judiciaire.











MARC BEAUREGARD, J.C.A.














PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.














LISE CÔTÉ, J.C.A.



Me Stéphane Handfield

LAPOINTE & ASSOCIÉS

Avocat du demandeur



Me Christian Jarry

MINISTÈRE DE LA JUSTICE (CANADA)

Avocat de l'intimé



Date d’audience :


14 mai 2009






MOTIFS DU JUGE GENDREAU





[5] Le demandeur (Gavrila), un roumain d'origine Rom[1], recherche la révision de la décision du 2 juillet 2008 du ministre de la Justice du Canada qui ordonnait son extradition dans son pays d'origine pour y purger une peine de 4 ans ½ de prison infligée par une instance de procès et confirmée par l'arrêt d'une cour d'appel.

* * * * *

[6] Gavrila, un homme de 35 ans, est entré au Canada par taxi, le 17 février 2004, à Fort Erie, Ontario. Sans papiers d'identité, il a prétendu les avoir perdus au Portugal, lieu de son embarquement comme passager clandestin à bord d'un navire en route vers les Etats-Unis; il a immédiatement réclamé le statut de réfugié alléguant qu'il avait été persécuté en Roumanie.

[7] Dans un document officiel (Personal Information Form) où il revendique le statut de réfugié au Canada, Gavrila allègue avoir subi des mauvais traitements de la part des citoyens et des policiers roumains en raison de ses origines et de ses activités depuis 1994 à titre de dirigeant d'une association de la défense des Roms dans la ville d'Arad; il y reconnaît aussi avoir purgé, en 1994, 23 des 28 mois de prison d'une peine infligée à la suite d’un vol qu’il affirme n’avoir pas commis. Il reconnaît enfin n’avoir demandé le statut de réfugié dans aucun des pays européens par où il a transité au motif que « […] no European country will grant them (the gypsies) protection[2] ».

[8] La demande d'asile de Gravila étant déclarée recevable par un agent, le dossier est déféré à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) et, le 16 septembre 2004, celle-ci statue en faveur de Gavrila et accueille sa requête.

[9] Par deux notes diplomatiques du 30 mai 2005 et du 17 juillet 2006[3] adressées au gouvernement du Canada, les autorités roumaines réclament aujourd’hui l’extradition de leur ressortissant pour qu’il purge une peine de 4 ans ½ de prison infligée à la suite d’une condamnation pour fabrication de faux. En effet, Gavrila et un complice ont forgé des visas pour permettre à deux personnes d’avoir accès à la zone Schengen; ils ont été payés 1 800 $ US. La fraude fut découverte à l’occasion de l’interception de l’une de ces personnes à la frontière. Accusé, Gavrila ne s’est pas présenté à son procès non plus qu’à l’audience de son appel même s'il résidait encore en Roumanie. Il fut donc condamné in absentia. Il fut néanmoins représenté par avocat, à toute étape des procédures, en première comme en seconde instance. Il a quitté son pays le 18 décembre 2003, soit une semaine après le rejet de son pourvoi, le 11 décembre 2003.

[10] Le 2 novembre 2006, le ministre de la Justice enclenchait la procédure d’extradition en prenant un arrêté introductif d’instance et, le 5 février 2008, Gavrila était incarcéré sur ordre d’un juge de la Cour supérieure jusqu’à son extradition en Roumanie. Cette décision n’est pas attaquée.

[11] Entre le moment de son arrivée au pays et le début de sa détention ordonnée en application de la Loi sur l'extradition, Gavrila a vécu en Alberta, en Ontario et au Québec. Il a, dans chacune de ces provinces, été condamné pour plusieurs actes criminels de vol, de fraude, de possession et usage de documents contrefaits (cartes de crédit), d’entrave à un agent de la paix, etc.[4]. En mai 2005, son épouse l’a rejoint au Canada sans les enfants. Leurs deux fils furent laissés à la garde de leurs grands-parents jusqu’en juillet 2008, date où ils ont retrouvé leurs parents ici. Madame Gavrila est maintenant résidente permanente au Canada depuis décembre 2007. Le 4 mai 2006, elle a donné naissance, au Québec, à un troisième enfant.

Le litige

[12] Gavrila conteste son extradition. À cette fin, son avocat a fait au ministre de la Justice des observations détaillées. Il structure ses arguments autour de cinq thèmes : la portée des décisions de la CISR, le risque de mauvais traitements de la part des policiers roumains en raison des origines Rom de son client, l’impossibilité d’obtenir une révision du verdict et de la peine, le fait que l’extradition est demandée dans le but de punir son client en raison de sa race et de son origine ethnique et enfin le délai écoulé entre la demande d’incarcération et l’arrestation de Gavrila.

[13] Dans sa réponse du 2 juillet 2008, le ministre de la Justice a rejeté tous les arguments du demandeur. Il signale qu’il a, conformément à l’article 40(2) de la Loi sur l'extradition, requis et obtenu les observations de la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (ci-après « ministre de l'Immigration ») puisque Gavrila bénéficie de l’asile au Canada. En second lieu, il indique que la Roumanie a adhéré à l’Union européenne et qu’en conséquence elle a dû répondre aux exigences de l’Union relatives, entre autres, à la primauté du droit et aux garanties de respect et de protection des minorités. Au surplus, du fait de cette adhésion à l’Europe, les citoyens roumains jouissent maintenant des protections et des garanties stipulées à la Convention européenne des droits de l’homme. Il conclut que le demandeur n’a pas relevé son fardeau et ne l’a pas convaincu que l’extradition serait injuste, tyrannique ou contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Troisièmement, le ministre exprime l'avis que l’octroi du statut de réfugié ne fait pas échec à une extradition si celle-ci est par ailleurs justifiée. Quatrièmement, il rappelle que les autorités roumaines l’ont informé que le Code pénal offre, dans certaines circonstances, un droit à un nouveau procès. Enfin, il impute le délai dont Gavrila se plaint, à la nécessité qu'il y a eu d'étudier adéquatement la demande. Il rejette donc toute allégation de motifs illégitimes ou d’abus de procédures.

[14] Insatisfait, Gavrila attaque la décision du ministre par voie de révision judiciaire. Il reprend devant nous les mêmes arguments que ceux avancés dans ses observations au ministre.

ANALYSE

[15] Dans l’arrêt récent Lake c. Canada (ministre de la Justice)[5], la Cour suprême du Canada a rappelé les principes applicables à l’extradition, les normes qui doivent guider le ministre pour statuer à l’occasion de la demande d’un état étranger et les critères d’intervention d’une cour d’appel saisie d’une requête en révision judiciaire de cette décision ministérielle. Le juge LeBel, dont les motifs sont acceptés par la Cour suprême, rappelle d’abord les propos du juge Cory dans l’affaire Idziak[6] selon lesquels la décision du ministre est discrétionnaire, « se situe à l’extrême limite législative du processus décisionnel administratif » et « revêt un caractère essentiellement politique. » Le juge LeBel s’empresse cependant d’ajouter qu’en dépit de ces caractéristiques, la démarche du ministre en vue de déterminer si le fugitif doit être livré à l’état requérant n’est cependant pas absolue : elle est limitée par la Loi sur l'extradition et par la Charte.

[16] À ce propos, il fait remarquer que le ministre doit décider si l’extradition viole la Charte en prenant en compte l’ensemble des facteurs pertinents, dont celui du respect des obligations internationales du Canada. Sur la question de savoir si l’extradition pourrait porter atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte, le juge LeBel écrit :

31 Le ministre est par ailleurs souvent appelé à décider si l'extradition porterait atteinte aux droits garantis par l'art. 7 de la Charte. Il se demande alors si la mesure "choque[rait] la conscience" (Schmidt, p. 522) ou si le fugitif ferait "face à une situation qui est simplement inacceptable" (Allard, p. 572). Dans l'arrêt Schmidt, le juge La Forest a insisté sur la déférence que justifie l'appréciation du ministre :

· Il incombe aux tribunaux de faire respecter la Constitution. Nous parlons néanmoins d'un domaine dans lequel l'exécutif sera vraisemblablement bien mieux renseigné que les tribunaux et dans lequel ces derniers doivent se montrer extrêmement circonspects afin d'éviter toute ingérence indue dans des décisions où il y va de la bonne foi et de l'honneur du Canada dans ses relations avec d'autres états. En un mot, l'intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s'impose réellement. [p. 523]

32 Dans l'arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 , les juges majoritaires de notre Cour ont expliqué qu'il convenait de soupeser les facteurs favorables et défavorables à l'extradition afin de déterminer si, dans les circonstances, la mesure était de nature à "choquer la conscience". Dans l'arrêt États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283 , elle a confirmé la démarche adoptée dans Kindler en précisant toutefois que les mots "choc de la conscience" ne devaient pas "obscurcir la question qui doit être tranchée en bout de ligne, soit celle de savoir si l'extradition est compatible avec les principes de justice fondamentale" (par. 68). Les considérations pertinentes peuvent être propres au fugitif, comme son âge ou sa santé mentale, ou revêtir un caractère général, comme la nature de la peine encourue.

[17] Abordant enfin la question de la norme qui permet à une cour d'appel d'intervenir contre une décision du ministre, le juge LeBel prend résolument position en faveur de la « raisonnabilité » :

34 Notre Cour a confirmé à maintes reprises que la déférence s'imposait à l'endroit de la décision du ministre de prendre ou non un arrêté d'extradition une fois le fugitif incarcéré. Elle doit aujourd'hui déterminer quelle norme de contrôle judiciaire s'applique à l'appréciation ministérielle des droits constitutionnels du fugitif. Cette norme demeure celle de la raisonnabilité, même lorsque le fugitif fait valoir que l'extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que pour assurer le respect de la Charte dans le contexte d'une demande d'extradition, le ministre doit tenir compte de considérations opposées et possède à l'égard de bon nombre de celles-ci une plus grande expertise. L'affirmation selon laquelle les tribunaux n'interviendront que dans les cas exceptionnels où cela "s'impose réellement" traduit bien la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre. La décision ne doit en effet être modifiée que si elle est déraisonnable (Canada c. Schmidt).

[18] En somme, les tribunaux doivent respecter le haut niveau d’expertise du ministre en matière de relations internationales dans un processus d’examen à caractère politique et n’intervenir que si et dans la mesure où la décision ministérielle « choquerait la conscience des canadiens », selon l’expression du juge La Forest dans l’arrêt Kindler[7]. Plus généralement, la Cour suprême nous invite à « déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles[8] » ce qui signifie qu’une cour d’appel doit décider « si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tirer une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits »[9].

[19] C’est donc sous l'éclairage de ces enseignements que j’examinerai les griefs du demandeur contre la décision du ministre.

[20] Gavrila fait grief au ministre de ne pas avoir examiné toute la preuve et d’en avoir fait une évaluation erronée. En réalité, les deux reproches se confondent. J’examinerai donc successivement la portée des décisions de la CISR, les arguments relatifs aux atteintes alléguées à l’article 7 de la Charte et les garanties données par la Roumanie.



Les décisions de la CISR



[21] La CISR a prononcé deux décisions. La première, rendue le 16 septembre 2004, a reconnu au demandeur le statut de réfugié. La seconde, du 18 avril 2007, rejetait la requête de la ministre de l’Immigration en vue du retrait de ce statut, requête au motif que Gavrila avait fait de fausses déclarations à l’occasion de sa demande initiale.

[22] Avant d’aborder le fond de cet argument, j’examinerai l’aspect de la coexistence parallèle de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur l’extradition. En d’autres termes, le principe de non-refoulement d’un individu à qui on a reconnu l’asile fait-il échec à la requête d’un État qui veut qu’on lui remette un fugitif pour qu’il soit jugé ou pour qu’il y purge une peine infligée par suite d’un verdict de culpabilité?

[23] À mon avis, la réponse doit être négative. Certes, la décision de la CISR est-elle un facteur pertinent à l’occasion de l’examen de la demande d’extradition. Toutefois, les deux lois ont des finalités différentes. Au surplus, comme les tribunaux l’ont fait remarquer, non seulement les deux régimes sont-ils distincts, les tests que le ministre et la CISR doivent respectivement appliquer diffèrent de façon importante. C’est ce que mon collègue, le juge Doyon affirme dans Nemeth c. Le ministre de la Justice du Canada[10] :

16 Dans États-Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469 , le juge La Forest rappelle que l'extradition est un outil de coopération important et bien établi entre les pays. Cet objectif ne peut être atteint que si les lois permettent à notre pays de respecter les ententes et traités validement conclus. Par contre, afin d'assurer tout autant le respect des règles protégeant les personnes visées contre les traitements abusifs, l'article 44(1)a) de Loi sur l'extradition prévoit des garanties afin de s'assurer, notamment, qu'une extradition ne sera pas tyrannique ou injuste. Cela constitue, à mon avis, un régime de protection qui, en plus de la Charte canadienne des droits et libertés et des traités applicables, suffit pour que la procédure d'extradition forme un processus distinct des règles protégeant la personne à qui le statut de réfugié a été accordé. En d'autres termes, les demandeurs ne peuvent recourir à la LIPR pour contester leur extradition. La LIPR s'intéresse à l'immigration et à la protection des réfugiés, autrement dit au droit d'être accueilli et protégé par le Canada, alors que la Loi sur l'extradition s'intéresse à la mise en oeuvre de traités en vue de combattre le crime et d'assurer la mise en accusation de personnes qui, autrement, seraient hors de portée des États qui veulent les poursuivre. L'extradition n'a donc rien à voir avec l'admissibilité au Canada. Les objectifs sont différents et c'est à bon droit que les règles diffèrent, mais, dans les deux cas, les individus visés sont protégés, quoique différemment.

[24] Dans Hungary (Republic) c. Horvath[11], la Cour d’appel de l’Ontario était saisie d'une demande de révision de la décision du ministre de la Justice qui avait autorisé l’extradition en Hongrie d’un Rom, lequel avait obtenu asile au Canada, au motif que refoulé, il risquait d’être persécuté. Or Horvath plaidait qu'en accueillant la requête de la Hongrie, le ministre de la Justice détournait le processus de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et renversait ainsi la décision de la CISR. Le juge Rouleau, pour la Cour, décrit ainsi le rôle du ministre par rapport à celui du commissaire :

26 In the extradition process, the risk being assessed is different than the risk assessed in the immigration process. In my view, therefore, the Minister of Justice could quite properly seek input from the Minister of Citizenship and Immigration. This input would be for a purpose different from the assessment made by the PRRA officer. As set out by Minister Nicholson, concerns in the extradition process include "the general availability of protections in the state seeking a person's extradition, particularly as regards the safeguards in their judicial and correctional systems". This information "is entirely relevant to the Justice Minister's executive role in determining whether surrender would be fair. Such information is vital to the proper balancing of the competing interests of Canada's treaty partner with the individual interests of the person sought for extradition."

[...]

28 Third, the test to be applied by the Minister of Justice when assessing risk is different than the test applied by a PRRA officer. The PRRA officer assesses whether there existed "more than a mere possibility of persecution". This does not involve being satisfied on a balance of probability standard. By contrast, the test applied by the Minister of Justice is an assessment on a balance of probability standard. Minister Toews acknowledged this different standard of proof when he referred to this court's decision in United States of Mexico v. Hurley (1997), 116 C.C.C. (3d) 414 (Ont. C.A.). This decision stands for the proposition that the person sought must establish that he will in fact be subjected to the persecution he alleges and that this must be established on the higher standard of a balance of probability.

29 In my view, therefore, the Minister of Citizenship and Immigration's case summary was not intended to overrule or undermine the PRRA officer's decision. Nor did it attempt to show that, since the PRRA officer's assessment, the situation in Hungary had changed such that, if a new PRRA were carried out in accordance with the standard of proof applicable to such assessments, the PRRA officer would conclude that Romas now benefited from improved police and state protection. Rather, the case summary was a risk assessment that acknowledged the PRRA officer's conclusions and provided additional information relevant to the surrender decision that the Minister of Justice was called upon to make. This difference was understood by the Minister of Justice.

[25] En l’espèce, le demandeur prend appui sur la décision du 18 avril 2007, qui avait confirmé son statut de réfugié, pour affirmer dans son mémoire : « Cette décision de la CISR, qui est un tribunal spécialisé, est importante, puisqu’elle s'est prononcée sur les motifs des autorités roumaines afin de demander l’extradition des demandeurs ». Pour plusieurs raisons, cette affirmation est erronée.

[26] D’abord, comme je l’ai écrit, le ministre et la CISR n'ont pas le même rôle et ils appliquent une norme décisionnelle différente. De plus, l'objet et la finalité de la Loi sur l'extradition divergent de ceux de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En second lieu, la prétention du demandeur selon laquelle la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a priorité sur la Loi sur l’extradition est erronée. En effet, selon la jurisprudence déjà citée, rien n'empêche qu'un réfugié soit aussi un fugitif et le ministre de la Justice peut, si les conditions de la Loi sur l'extradition et du traité applicable sont satisfaites, remettre ce réfugié-fugitif à un État le requérant. En d’autres termes, le statut de réfugié ne constitue pas un empêchement juridique à l’application de la Loi sur l’extradition.

[27] Troisièmement, selon l’article 109 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la CISR peut annuler une décision qui a accueilli la demande d’asile que s’il est démontré que le statut a été obtenu sur la foi de déclarations erronées[12]. En l’espèce, Gavrila n’avait pas à son arrivée dévoilé sa condamnation toute récente pour fabrication de faux. Or, la CISR a rejeté la requête au principal motif que le mandat d’arrêt émis par Interpol qui avait pour objet de démontrer cette condamnation cachée aux autorités canadiennes ne contenait pas les empreintes digitales du demandeur et qu’en conséquence le mandat aurait pu « être fabriqué pour nuire et se venger de l’intimé, en raison de ses origines gitanes et ses mauvaises relations avec la police »[13].

[28] Quatrièmement, les conditions d'application de l’autorité de la chose jugée ne trouvent pas application en l'espèce. Cet argument doit donc être rejeté.



L’extradition porterait atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte



[29] Gavrila soutient qu’il risque d’être persécuté s’il revient en Roumanie. Pour fonder sa prétention, il prend appui sur des rapports d’organisme de défense des droits qui font état de la discrimination contre les Roms. Pour relier ses craintes à son cas particulier, il témoigne de diverses exactions dont il aurait été l’objet de la part des policiers roumains et plaide que sa condamnation pour fabrication de faux est fondée sur une preuve fabriquée par les autorités roumaines. Enfin, son épouse raconte avoir été l’objet de menaces policières lors de son dernier voyage dans son pays d’origine et s’être vu refuser le passeport de ses deux enfants demeurés en Roumanie tant que son mari ne se serait pas rendu aux autorités.

[30] Comme Gavrila bénéficie du statut de réfugié, la Loi sur l'extradition oblige le ministre de la Justice à consulter le ministre de l'Immigration avant de prendre l’arrêté[14]. Cette consultation a été faite. Appuyée par un long rapport d’experts de son ministère, la ministre de l'Immigration conclut : « We do not find that there is a serious possibility that Mr. Gavrila personally be subjected to persecution or other personal risk upon surrender to Romania[15] ».

[31] Le ministre de la Justice a conclu dans le même sens. Essentiellement, il a affirmé que la situation des droits et libertés en Roumanie avait évolué pour répondre aux exigences de l'Union européenne. Il écrit :

Je constate qu'afin de devenir membre de l'Union européenne, la Roumanie devait répondre à certaines exigences. Ces dernières comprennent la stabilité des institutions qui garantissent le respect de la démocratie, la primauté du droit, les droits de la personne, le respect et la protection des minorités, ainsi que l'harmonisation de ses lois et de ses institutions à celles de l'Union européenne. De plus, en étant membres de l'Union européenne, les résidents de la Roumanie jouissent de toutes les protections qu'offre la Convention européenne des droits de l'homme.

[32] Ainsi, soutient le ministre, les circonstances ont changé et le contexte qui prévalait avant l'adhésion à l'Europe ne peut servir de guide pour juger des conditions actuelles. Tenant pour acquis le haut niveau de connaissance de l’exécutif en matière de relations internationales, je ne peux me convaincre que cette évaluation est déraisonnable.

[33] Dans son témoignage de février 2008, le demandeur soutient que la preuve qui a conduit au verdict de culpabilité de l’accusation de fabrication de faux visas avait été forgée par les policiers. Toutefois, dans un rapport fait au ministre de la Justice, il est indiqué que Gavrila fut avisé des procédures engagées contre lui[16]. De plus, comme je l’ai déjà signalé, le demandeur était représenté par avocats tant en première instance qu’à l’occasion de l’appel qu’il a interjeté. Pourtant, il n’a pas révélé ce verdict aux autorités canadiennes à son arrivée non plus que cette condamnation avait été fabriquée pour le persécuter.

[34] Madame Gavrila a prétendu dans son témoignage devant la Cour supérieure que, lors d’une visite à un poste de police en Roumanie le 14 janvier 2008, elle avait été « jetée dehors » et qu’on lui avait refusé les passeports de ses deux fils « […] à cause du fait qu’on m’avait menacée qu’ils (les policiers) allaient attraper mon mari[17] ». Or, selon les documents officiels du ministère de l’Immigration, les autorités canadiennes avaient les deux passeports en main dès le 29 janvier 2008, soit 15 jours après que demande en eut été faite et 6 jours après le retour de madame Gavrila au Canada. En réalité les deux enfants étaient admis au Canada à l’été 2008.

[35] À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision du ministre de la Justice au regard de l’application de l’article 7 de la Charte était déraisonnable. À mon sens, pour paraphraser le juge LeBel dans l'arrêt Lake, le ministre « a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits ».





Le procès in absentia et la peine infligée



[36] Le demandeur plaide qu’il lui sera impossible d'obtenir la révision du procès au cours duquel il fut condamné in absentia. Il allègue aussi que la peine de 4 ans ½ de prison qu’on lui a infligée est disproportionnée. Dans sa décision, le ministre informe le demandeur qu'il a eu l’assurance que l'article 522 du Code pénal de la Roumanie permet de demander la reprise du procès. Rien ne justifie de rejeter cette affirmation. Quant à la peine, Gavrila se contente d'affirmer qu'elle est excessive. À ce sujet, je note cependant que le demandeur est décrit comme un récidiviste dans le dossier judiciaire roumain.





Conclusion



[37] Pour tous ces motifs, je propose de rejeter la demande du demandeur.












PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.