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Dolbec c. Québec (Sous-ministre du Revenu)

no. de référence : 200-80-000371-037 et 200-80-001602-059

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d'appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE


QUÉBEC

LOCALITÉ DE


QUÉBEC

« Chambre civile »

N°:


200-80-000371-037 et 200-80-001602-059



DATE :


21 avril 2009

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE MONSIEUR LE JUGE DANIEL LAVOIE, J.C.Q.

______________________________________________________________________





JOHANNE DOLBEC

Demanderesse

c.

SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

Défendeur



______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________




[1] La demanderesse se pourvoit en appel conformément aux articles 93.1.10 et suivants de la Loi sur le ministère du Revenu[1] de la décision du défendeur qui a rejeté son opposition à l'avis de cotisation émis le 21 septembre 2004 portant le numéro 9670102 par lequel lui sont exigés 292 011,46 $ pour ne pas avoir perçu la taxe de vente entre le 1er juillet 1995 et le 30 septembre 2000. Durant cette période, Johanne Dolbec dirigeait ou était autrement responsable du bar de danseuses nues situé au 915 boulevard Charest Ouest, à Québec, et connu sous le nom Cabaret Lady Mary Ann.

[2] Cette cotisation a annulé celle du 17 juillet 2001 portant le numéro 9670101 et dans laquelle le défendeur lui avait réclamé, pour les mêmes raisons, un total de 471 282,94 $. Conformément à la loi, elle a été annulée par la seconde bien qu'entre les deux, la demanderesse avait logé un appel (200-80-000371-037).

[3] L'avis de cotisation présentement en litige (D-5) réfère à des droits impayés au montant de 171 285,02 $. Ce montant représente la taxe de vente que la demanderesse aurait dû remettre au défendeur alors qu'il est admis qu'elle n'en a payée aucune.

[4] Des accusations de nature pénale ont été portées, l'une relativement à la taxe de vente québécoise et l'autre concernant la taxe fédérale sur les produits et services, selon les informations découlant de D-3[2]. Le 23 octobre 2006, Mme Dolbec reçut comme sentence une amende de 111 000 $ et 44 000 $ dans l'un et l'autre des dossiers. Ces accusations sont en lien avec une corporation identifiée comme 9094-0487 Québec inc.

[5] Cet épisode de nature pénale a d'ailleurs fait l'objet d'un premier jugement interlocutoire rendu par le soussigné le 26 octobre 2007 traitant de la nature et de la portée de la position prise par Mme Dolbec devant l'instance pénale sur le litige civil actuel.

[6] L'appel soulève plusieurs points :

▪ La demanderesse a-t-elle raison de soulever le secret fiscal d'un tiers contribuable, en l'occurrence l'entreprise de sa mère, dont le défendeur a utilisé les données fiscales détenues par lui pour diriger sa propre analyse du chiffre d'affaires de la demanderesse?

▪ Pour chacune des six années concernées par l'avis de cotisation, quels sont les prix de vente des produits alcoolisés et non alcoolisés?

▪ La demanderesse a-t-elle droit à tous les intrants découlant de l'ensemble de ses achats en produits et services?

▪ Quel est le pourcentage attribué, parmi la vente de ces produits, à ce qui a été perdu, remis à titre de gratuité ou accordé en guise de promotion?

▪ Le montant des pénalités de 25 692,75 $ est-il justifié?

▪ Le comportement de délinquance fiscale de la contribuable justifie-t-il de lui imposer des dépens qu'importe l'issue de son appel; alternativement le bien-fondé même partiel de son pourvoi requiert-il dans un tel cas de lui accorder les dépens?

[7] Avant d'examiner les faits, il n'est pas inutile d'indiquer que l'audition a dû être suspendue pendant plusieurs semaines à la demande des procureurs de la demanderesse afin de leur permettre d'examiner en toute transparence l'entièreté de la volumineuse preuve documentaire à laquelle a référé l'enquêteur du défendeur lors de la première partie de son témoignage le 29 septembre 2008. La reprise de l'audition a vu le dépôt de documents qui avaient été saisis dans le cadre de l'enquête policière préalablement au premier avis de cotisation[3]. Les nouveaux documents du défendeur ont donné lieu au dépôt par la demanderesse de sa pièce P-6 qui répertorie exhaustivement, à partir des documents saisis, la liste des chèques de son entreprise durant les six années visées et les relevés des comptes bancaires de son bar. Ce document reproduit aussi les copies des chèques que la demanderesse prétend que le défendeur a omis de considérer.

[8] Ces nouveaux documents D-7 à D-10 et P-6 sont au cœur du litige, soit l'établissement des prix de vente et la reconnaissance par le défendeur du total des intrants (RTI) auxquels Mme Dolbec aurait droit.

les faits

[9] Les faits découlent donc d'une importante preuve documentaire. Ce qui est dû en grande partie par la méthode utilisée par le sous-ministre compte tenu de l'absence de documents internes de l'entreprise de la contribuable. Le ministère a procédé par échantillonnage en ce qui concerne la détermination des prix de vente des produits alcoolisés et non alcoolisés. Il faut dire que les quantités elles-mêmes ne sont pas en litige puisque la demanderesse admet celles établies par le défendeur à partir des renseignements obtenus auprès de ses fournisseurs, soit principalement la Société des alcools du Québec et diverses brasseries.

[10] À deux reprises avant l'émission du premier avis de cotisation, Mme Dolbec a écrit au défendeur qu'il n'existait aucun document interne visant à permettre la fixation du montant des taxes de vente :

[ … ]

Pour l'instant, nous sommes incapables de vous fournir les documents que vous demandez compte tenu que ceux-ci ont été détruits au fur et à mesure.

[ … ][4]





[ … ]

Nous vous avons déjà avisé que l'ensemble des documents demandés n'existe pas ayant été détruits au fur et à mesure.

[ … ][5]

[11] Il a fallu que le défendeur constitue ni plus ni moins un bilan des ventes du bar de Mme Dolbec pour les six années en cause : 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 et une partie de l'année 2000.

[12] Pour l'essentiel, la position de la demanderesse est de prétendre que les prix de vente déterminés par le sous-ministre du Revenu sont très loin de la réalité de son bar. En effet, les premières années ont été marquées par des départs et des ratés commerciaux reliés à la vocation même de l'établissement. Par la suite, elle a été au cœur de la guerre des motards qui a sévi brutalement dans la région de Québec et mis en péril la survie commerciale de son établissement.

[13] De son côté, le défendeur répond que les doléances de Mme Dolbec à ce sujet sont, sinon exagérées, trop éloignées des faits supportés par les renseignements documentés saisis et concernant la période de cinq semaines entre le 28 août 2000 et le 1er octobre 2000. Ces documents (D-7 à D-10) révèlent, lorsqu'ils sont examinés et comparés aux chiffres extrapolés lors de la vérification, une corroboration de leur vraisemblance.

[14] Comme la preuve documentaire occupe une place déterminante, voici l'identification des principales pièces produites :

P-1 : Déclaration « volontaire » de la demanderesse de ses ventes;

* Il s'agit de vente de bières, de spiritueux et de vin seulement.

P-2 : Document de vérification du défendeur daté du 10 avril 2001 relatif à l'ensemble des ventes;

* Outre les ventes de produits alcoolisés, ce tableau inclut des ventes de produits non alcoolisés et la fourniture de services (vestiaire et droits d'entrée).

P-4 : Coupures de journaux de 1996, 1997 et 1998 ayant trait aux déboires de l'établissement de la demanderesse consécutivement à la guerre des motards dans la région de Québec;

P-5 : Publicités dans la région de Québec de bars de danseuses au cours des années 1997 à 2000;

P-6 : En liasse, copies de chèques non considérés pour les fins de la détermination des intrants accordés par le défendeur à la demanderesse lors de la cotisation faisant l'objet de l'appel dans le dossier 200-80-001602-059 :

Onglet 1 : Liste des chèques et des paiements non compilés lors de l'octroi des crédits d'intrants;

* Le contre-interrogatoire de l'enquêteur Guérard révèle qu'à l'exception des quatre premières pages qui se retrouvent sous l'onglet 3, le reste de la liste n'a pas été considéré dans le calcul des intrants accordés à la demanderesse dans le 2e avis de cotisation (525 503,67 $).

Onglet 2 : Liste des chèques accordés lors de l'octroi des crédits d'intrants;

* Il résulte du contre-interrogatoire de l'enquêteur Guérard que les montants des chèques de la liste de l'onglet 3 (3 891 204,54 $) moins ceux de la liste de l'onglet 2 (880 428,80 $) donnent le montant des chèques qui n'a pas été accordé après compilation par le Ministère (3 010 775,74 $).

Onglet 3 : Liste des chèques refusés lors de l'octroi des crédits d'intrants;

* Le contre-interrogatoire de l'enquêteur Guérard révèle que l'onglet trois (3 891 204,54 $) compile non seulement les chèques refusés mais aussi les chèques accordés de la liste de l'onglet 2.

Onglet 4 : Copies des chèques non compilés;

Onglet 5 : Relevés du compte bancaire de Victor Victoria enr.;

Onglet 6 : Relevés du compte bancaire de Cabaret Lady Mary Ann.

D-6 : Tableau sommaire résumant les changements globaux de la nouvelle cotisation;

* Parmi les changements de la cotisation, à la suite de l'enquête, se trouvent les suivants :

▪ crédit de 3 % pour les pertes de la bière en fût :, 14 904,33 $

▪ crédit de 5 % pour l'ensemble des gratuités : 218 503,09 $

▪ intrants accordés (RTI) : 146 226,71 $

D-7 : Sommaire hebdomadaire des ventes et compilation des ventes quotidiennes pour la période du 28 août 2000 au 10 septembre 2000;

D-8 : Sommaire hebdomadaire des ventes et compilation des ventes quotidiennes pour la période du 11 septembre 2000 au 17 septembre 2000;

D-9 : Sommaire hebdomadaire des ventes et compilation des ventes quotidiennes pour la période du 18 septembre 2000 au 24 septembre 2000;

D-10 : Sommaire hebdomadaire des ventes et compilation des ventes quotidiennes pour la période du 25 septembre 2000 au 1er octobre 2000 – rubans de caisse du 23 juillet 1998, du 30 octobre 1998 et du 19 décembre 1998;

D-11 : Tableau des estimations du prix moyen préparé par Claude Guérard (enquêteur);

D-12 : Tableau d'analyse des compilations à partir des Z (rubans) de caisse;

D-13 : Tableau des comparables entre P-2 et D-7 à D-10;

D-14 : Tableau de l'établissement des ventes selon l'analyse des Z (rubans) de caisse;

D-15 : Tableau du calcul du coût moyen par once.

[15] Cinq témoins sont venus raconter les faits. À part le témoignage de la demanderesse qui a longuement repris l'historique de son bar et répondu aux prétentions chiffrées du défendeur, sa mère Christine Dolbec est venue parler de son propre bar de danseuses et indiquer de mémoire les prix des produits alcoolisés qui s'y consommaient au cours des années pertinentes. Ce genre de témoignage a également été rendu par Hérold Soucy, barman de profession.

[16] Comme nous l'avons déjà indiqué, les deux témoins du défendeur ont été le vérificateur Benoît Hamel et l'enquêteur Claude Guérard.

[17] Résumons ces témoignages.

[18] Hérold Soucy se rappelle qu'en 1998, une petite bière en bouteille coûtait environ 3 $ et le fort suivait le prix de la bière dans la région de Québec. Il a travaillé dans les bars gais mais jamais dans l'établissement de la demanderesse même si son bar s'est déjà adressé à une clientèle gaie lorsqu'il opérait sous le nom de Victor Victoria.

[19] Christine Dolbec est la mère de la demanderesse. Elle est tenancière de bar depuis 1968. Elle a pris sa retraite en 2003. Selon elle, dans la région de Québec, le prix des consommations dans les bars de danseuses en 2000 était semblable à celui demandé en 1996. Pour attirer la clientèle de jour, elle devait faire des promotions jusqu'à 19 heures, soit deux consommations pour le prix d'une. Elle parle de sa liste de prix comme étant 3,50 $ pour la bière le jour et 4,50 $, le soir. La bière en fût se situait environ à la moitié du prix d'une bière en bouteille, soit plus ou moins 2 $ le verre. Le fort était vendu au même prix que la bière en bouteille.

[20] Le témoignage de Johanne Dolbec.

[21] C'est depuis 1995 qu'elle est tenancière de bar. Elle a travaillé pour sa mère antérieurement.

[22] L'histoire de son établissement se résume comme suit : en 1995, il s'appelait le Victor Victoria. Il s'agissait d'un bar gai qu'elle a opéré jusqu'en 1997. Elle vendait la bière en bouteille 3 $ et la bière en fût 40 % à 45 % de moins, c'est-à-dire 1,80 $. Elle vendait le fort au même prix.

[23] À partir de 1997 jusqu'en 1998, elle a transformé son établissement en club à 10 $ qui portait le nom de Grand Prix. Elle vendait la bière en bouteille 3,50 $. La majoration demandée pour la bière importée n'était que de 200 %. Quant à celle sur le vin, elle était de 150 %.

[24] En 1999, son établissement est devenu un bar à 5 $ sous le nom de Mary Ann. Elle vend la bière 4 $, prend toujours une majoration sur le prix du vin à 200 % mais réalise une augmentation du prix des spiritueux allant jusqu'à 400 %.

[25] À la fin de 1999, l'établissement change encore de nom et redevient un club à 10 $ permettant la danse avec contact sous le nom actuel Lady Mary Ann. Elle constate une véritable recrudescence de clientèle. Ce qui lui permet de vendre la bière en bouteille 4,50 $ et la bière en fût, 3,50 $.

[26] Elle souligne que le prix déterminé par le ministère dans son tableau P-2 est irréaliste en ce qui concerne l'augmentation du prix de la bière qui passerait de 4,35 $ pour les quatre premières années à 4,50 $ pour les deux dernières. Pour des raisons pratiques propres à ce genre d'établissement, le prix de ce produit alcoolisé le plus vendu est généralement fixé par tranche de 0,25 $.

[27] Vu la nature de la clientèle qui fréquente les établissements comme le sien, il n'est pas possible de vendre la bière en fût le même prix que celle en bouteille. Quant au prix du fort, il n'est pas possible non plus de le fixer en majorant à 500 % le prix payé au fournisseur, la Société des alcools du Québec. Surtout que pour attirer la clientèle de jour, elle a dû supporter, pour la majeure partie de cette période, des promotions deux pour un applicables principalement sur la consommation de spiritueux, produit plus important que la bière pendant ces heures d'ouverture.

[28] Quant à la vente du vin, elle fait remarquer que dans un bar de danseuses ou même dans un bar gai, la clientèle n'est pas là pour manger. Ce qui explique que ses ventes de vin et le prix demandé doivent tenir compte de cette réalité. Surtout que la qualité du vin n'est pas celle des grands restaurants.

[29] Et elle fait remarquer la même chose concernant la vente de bière importée.

[30] Au sujet des produits non alcoolisés, elle reconnaît qu'elle vendait des cigares durant toutes ces années alors que les cigarettes ne relevaient pas directement de son entreprise puisqu'elles étaient distribuées par des machines qui étaient la propriété d'autres personnes.

[31] Elle s'en prend aussi aux ventes que lui attribue le ministère sur les services de vestiaire et les prix d'entrée. Aux époques considérées, la forte concurrence ne lui permettait pas de réclamer de tels coûts. Et lorsqu'ils étaient exceptionnellement demandés, les bénéfices allaient directement à la danseuse vedette, la star comme elle l'appelle.

[32] Elle justifie l'absence de documents par l'incendie de son local en 1998 contrairement aux réponses écrites fournies au défendeur dont les extraits reproduits plus haut parlent de destruction au fur et à mesure …

[33] Confrontée en contre-interrogatoire au montant de 7 $ révélé dans les documents saisis (D-7 à D-10) à titre de prix d'entrée, elle explique qu'il s'agit en fait d'un service bar dont le prix se partage entre la serveuse, le portier et la personne préposée à la musique (DJ).

[34] Après avoir entendu le témoignage du vérificateur et celui de l'enquêteur, elle revient témoigner en contre-preuve.

[35] Elle insiste pour se plaindre qu'elle a été victime de la guerre des motards qui a duré de 1996 à 2000. Ce qui signifie qu'elle subissait une lourde concurrence et qu'elle devait attirer sa clientèle par des bons prix et des promotions. Parmi les documents saisis et produits par le sous-ministre devant le Tribunal, se retrouvent des rubans de caisse portant les dates des 23 juillet 1998, 30 octobre 1998 et 19 décembre 1998 (D-10, onglets X, Y, Z et M). Elle conteste le fait que ces rubans concernent son établissement. D'ailleurs, le ministère reconnaît avoir retrouvé ces fameux rubans dans la loge de la danseuse. Ce qui, en soi, rend douteux, d'après elle, leur rattachement à son entreprise.

[36] Le document d'analyse D-14 déposé par l'enquêteur Hamel établissant la comparaison, notamment, de la bière en fût vendue au cours des cinq semaines des mois d'août et septembre 2000 avec les ventes qui lui ont été attribuées au moment du deuxième avis de cotisation est erronée parce que, dans chaque cas, cette comparaison se fonde sur la vente de pots de 1 700 ml alors qu'un pot de bière a une contenance de 60 oz, ou 2 litres, ou 2 000 ml. Elle a donc refait les calculs à partir des chiffres du ministère. Elle arrive ainsi non pas à des ventes de bière en fût, en 2000, de 250 185 $ mais à plus ou moins 225 000 $. De plus, elle revient sur son premier témoignage et elle affirme qu'en 2000, un verre de bière se vendait 2 $, plus ou moins.

[37] Quant à la vente du vin en 2000, elle a refait les calculs apparaissant au document d'analyse du ministère D-14 à partir du prix d'achat auprès de la Société des alcools du Québec d'un pichet de vin contenant 20 litres. Un tel pichet donne, selon elle, 66.67 verres de 300 ml. Son coût serait ainsi de 2,17 $ le verre alors qu'elle le vendait, selon les documents saisis, 4, 78 $. Ce qui signifie une majoration d'environ 200 %.

[38] Contre-interrogée à nouveau relativement à son document P-6 où elle réclame des crédits additionnels pour des intrants parce que le ministère n'aurait pas considéré des chèques totalisant 525 503,67 $ de 1995 à 2000, elle explique qu'au cours de ces six années, son entreprise était en fait déficitaire. Elle devait supporter des achats de biens et de services beaucoup supérieurs au total des ventes qu'elle déclare volontairement dans son document P-1. Selon elle, un héritage de 200 000 $ et des emprunts permettent de comprendre qu'elle a résisté à la déconfiture.

[39] Aussi, suivant son contre-interrogatoire, elle doit reconnaître que ses calculs relativement à la vente de vin sont faussés étant donné qu'un verre de vin a une contenance de 125 ml et non pas 300 ml comme elle le soutenait plus tôt.

[40] Le vérificateur Benoît Hamel.

[41] C'est le 15 août 2000 qu'il a rencontré la première fois Johanne Dolbec. Elle n'a pas coopéré et disait ignorer où étaient les livres de comptabilité. Il y eut une deuxième rencontre le 12 septembre de la même année suivie de ses réponses écrites aux demandes péremptoires qui lui avaient été adressées (D-1 et D-2).

[42] Il a donc été forcé de s'adresser aux fournisseurs de bière et à la Société des alcools du Québec pour réussir à découvrir le chiffre d'affaires de l'entreprise, principalement la quantité des ventes.

[43] Il reconnaît la véracité du récit historique raconté par la contribuable relativement à son établissement et aux activités des bars qu'elle a opérés sous différents noms. Il n'a toutefois pas tenu compte de la nature particulière du bar pour fixer les prix. Il n'a pas non plus tenu compte de l'existence de promotions de type deux pour un même si Mme Dolbec, dans sa déclaration volontaire P-1, soustrait de ses ventes de bière un pourcentage substantiel allant de 5 % à 20 %.

[44] Au moment de la première cotisation et avant l'enquête de son collègue Claude Guérard, il n'avait pas accordé de crédits pour tenir compte des pertes ou des gratuités contrairement à la position de la contribuable qui s'en accorde 5 % dans sa déclaration volontaire P-1. Mais après l'enquête de nature pénale, il a réajusté son approche et a reconnu 3 % de pertes sur la bière en fût et des gratuités équivalant à 5 % du total des ventes, comme en témoigne le document D-6 qui est à l'origine du deuxième avis de cotisation.



[45] Il explique que les consommations identifiées comme étant des shooters dans son tableau d'analyse du 10 avril 2001 (D-2) sont en réalité des boissons alcoolisées. Selon l'expérience des bars qu'il a vérifiés au cours de sa carrière, ce genre de consommation est principalement vendu en soirée et représente environ ½ once de différents alcools qu'une barmaid vend directement sur le plancher. Lorsqu'il est contre-interrogé à ce sujet, il reconnaît qu'il s'agit réellement de spiritueux fournis par la Société des alcools du Québec et qu'ils font partie des achats dénombrés par lui à ce titre dans son document P-2.

[46] Concernant les ventes de cigarettes, il a présumé qu'elles étaient rattachées directement à l'entreprise de Mme Dolbec bien qu'il justifie le contraire après avoir entendu le témoignage de cette dernière. Il en est de même de ce qu'il a identifié dans son document P-2 à titre de service de vestiaire. Il accepte à cet égard les explications de la contribuable à l'effet qu'elle n'a pas bénéficié de l'argent attitré à ce service.

[47] Lorsqu'il a été réentendu le 18 décembre 2008 après l'ajournement, il extrapole le chiffre d'affaires de l'entreprise à partir des données apparaissant dans les documents saisis au sujet des cinq semaines comprises entre le 28 août et le 1er octobre 2000 : soit un chiffre d'affaires annuel de 1 645 214 $. Ce qui produirait pour les années de sa vérification un chiffre d'affaires total de plus de 8 000 000 $ en incluant les taxes perçues par la demanderesse ou de 7 000 000 $ en revenus.

[48] L'enquêteur Claude Guérard explique qu'à cause de la nature intransigeante de la preuve à établir devant l'instance pénale, il a dû accorder tout ce qui était susceptible de l'être à titre de déductions d'entreprise. C'est ainsi que, contrairement à son collègue vérificateur avant lui, il a reconnu 146 226,71 $ d'intrants malgré l'absence de toute documentation statutaire ou réglementaire. Pour les mêmes raisons, il a reconnu 3 % en pertes sur les ventes de bière en fût et 5 % en gratuités sur l'ensemble des ventes de produits alcoolisés.

[49] Concernant les rubans de caisse non identifiés à l'établissement de la contribuable et portant les dates des 23 juillet, 30 octobre et 19 décembre 1998 qui ont été reproduits sous les onglets X, Y, Z et M du volume D-10, il reconnaît qu'ils ont été saisis dans la loge de la vedette, comme l'explique la demanderesse. Contrairement aux rubans de caisse des cinq semaines des mois d'août, septembre et octobre 2000 reproduits dans les documents D-7 à D-10, ils lui ont été attribués même si le nom Cabaret Lady Mary Ann n'y apparaît pas.

[50] Il affirme, sans être contredit, que le montant des taxes de vente qui apparaît sur les rubans de caisse identifiés au nom de l'entreprise de la demanderesse durant cette dernière période révèle que des taxes ont été perçues malgré qu'aucune n'a été remise au ministère.



le droit

[51] La solution juridique des points en litige concernant la fixation des prix de vente, des intrants et des pertes, gratuités et promotions soulève la problématique du fardeau et de la nature de la preuve pour le contribuable.

[52] Le sous-ministre du Revenu peut recourir à tous moyens légaux pour établir une cotisation. Ce qui s'explique par notre système fiscal fondé sur l'autocotisation et l'obligation de déclarer ses revenus et, en matière de taxe de vente, le résultat des ventes.

[53] À cause de la présomption légale de validité qui est rattachée à la cotisation imposée par le ministère, c'est au contribuable qui se pourvoit en appel de démontrer que la méthode d'analyse fondant la cotisation manque de fiabilité :

[…]

En l'espèce, à cause de la présomption légale de validité attachée à la cotisation de l'intimé, il appartenait à l'appelante de démontrer que la méthode utilisée pour l'établir n'était pas fiable ou, si elle l'était en soi, que les conditions requises pour sa fiabilité n'ont pas été observées.

[…][6]

[54] Deux arrêts rendus la même année par la Cour d'appel du Québec nous guident : Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Valentini, St-Georges c. Québec (Sous-ministre du Revenu).

[55] L'affaire Valentini rappelle :

[ … ] En effet, il n'existe aucune règle interdisant de considérer comme prépondérant un témoignage qui n'est pas appuyé d'éléments d'information indépendants susceptibles de le confirmer. [ … ] Étant donné que le sous-ministre utilise une méthode estimative, la preuve requise de l'intimé doit être appréciée en conséquence. [ … ][7]

[56] Dans l'arrêt St-Georges, on écrit :

[ 9] Dans 9027-5967 Québec inc. (Sous-Ministre du Revenu), J.E. 2007-223 (C.A.), la Cour rappelle les conséquences de cette présomption sur le fardeau de la preuve, aux paragr. 13 et 14 :

[13] Dans l'arrêt Durand c. Québec (sous-ministre du Revenu), la Cour a réitéré les règles relatives à la présomption de validité de la cotisation fiscale et des fardeaux de preuve qui en découlent. Reprenant les principes énoncés par la Cour suprême dans Hickman Motors Ltd c. Canada, la Cour dit :

- La cotisation fiscale jouit d'une présomption de validité (art. 1014 Loi sur les impôts), qui peut être repoussée par le contribuable.

- Le fardeau initial du contribuable consiste à « démolir » l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie.

- Lorsque le contribuable présente une telle preuve, il y a renversement du fardeau de la preuve.

- Le fisc doit alors réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption.

[14] Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu'à preuve du contraire. Dans Stewart c. M.R.N., le juge Cain mentionne qu' « une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé ». [8]

Nos soulignements

[57] Comme nous le verrons maintenant, Mme Dolbec a réussi à démolir en partie la présomption favorable au défendeur. La faiblesse de la réponse du ministère est de se fonder sur un échantillon de prix de cinq semaines d'opération, en août, septembre et octobre 2000, tout en admettant la véracité de l'historique du bar et de sa spécificité comme bar de danseuses nues.

analyse

1. le secret fiscal

[58] Le procureur de la demanderesse s'est opposé à la partie du témoignage du vérificateur Hamel qui expliquait avoir utilisé les données fiscales de Christine Dolbec, la mère de la demanderesse, en vue d'établir des indices de probité des prix de vente du Cabaret Lady Mary Ann. Il invoque le secret fiscal dû à tout contribuable non partie à une procédure. Cette opposition à la preuve ayant été placée en réserve, il y a lieu maintenant d'en disposer de façon sommaire.

[59] La demanderesse a fait témoigner sa mère, Christine Dolbec, qui a opéré un établissement similaire au sien dans la région de Québec à la même époque. Comme nous l'avons déjà vu, Mme Dolbec, mère, a témoigné sommairement sur les prix de vente des boissons alcoolisées. Elle n'a pas été contre-interrogée sur ses dossiers fiscaux ou les rapports comptables qu'elle possède encore mais qu'elle n'avait pas apportés avec elle en l'absence d'une assignation à cet effet.

[60] Lorsque le vérificateur du défendeur a témoigné, Benoît Hamel a affirmé avoir consulté les dossiers fiscaux de la mère de la contribuable. Ce qui a provoqué l'opposition du procureur de la demanderesse fondée sur le secret fiscal de Mme Christine Dolbec qui n'a jamais consenti à voir ses données personnelles servir d'éléments de vérification indirects au détriment de la demanderesse.

[61] Subséquemment, le témoignage du vérificateur Hamel ne s'est pas poursuivi sur les éléments fiscaux de Mme Christine Dolbec. Si bien que l'ensemble de la preuve ne contient qu'un mince élément rattaché à cette tierce personne non partie aux procédures, soit l'identification par le vérificateur de ses données fiscales personnelles parmi son échantillonnage qui comprend tout au plus cinq comparables : deux dans Charlevoix, un dans Portneuf, un au centre-ville de Québec sur la rue Cartier et le bar de danseuses appartenant à Mme Christine Dolbec appelé l'Entre Nous. Le reste de l'échantillon est constitué de renseignements généraux et de nature statistique provenant d'un collègue de travail du vérificateur.

[62] Ce contexte donne en fait une mesure très limitée à l'objection formulée au nom du secret fiscal.

[63] Le paragraphe b) de l'article 69.0.0.6 et le paragraphe a) de l'article 69.0.0.7 de la Loi sur le ministère du Revenu semblent accorder le pouvoir au vérificateur de consulter les données fiscales qui se trouvent dans le dossier d'un tiers :

69.0.0.6. Au sein du ministère du Revenu, un renseignement contenu dans un dossier fiscal n'est accessible, sans le consentement de la personne concernée, que dans les cas et aux conditions qui suivent :

[…]

b) à un fonctionnaire ou à un employé du ministère du Revenu qui a qualité pour recevoir le renseignement lorsque celui-ci est nécessaire à l'exercice de ses fonctions.

69.0.0.7. Un renseignement contenu dans un dossier fiscal ne peut être utilisé au sein du ministère du Revenu, sans le consentement de la personne concernée, que pour les fins suivantes :

a) l'application ou l'exécution d'une loi fiscale; […]







[64] Par ailleurs, même si la question du secret fiscal ne s'est pas soulevée au moment du contre-interrogatoire du témoin Christine Dolbec à qui on aurait pu opposer ses propres renseignements fiscaux, il n'en demeure pas moins qu'elle s'est trouvée à renoncer, ni plus ni moins, à ce droit en venant témoigner à la demande de sa fille. Sans que nous ayons à le trancher de façon absolue, il appert que la règle[9] voulant qu'un document susceptible d'être considéré privilégié ne l'est plus lorsque le témoin en parle pourrait servir de solution.

[65] Pour ces motifs, nous rejetons l'objection telle que formulée.

2. les prix de vente

[66] Les pièces P-1 et P-2 supportent de manière chiffrée les positions des parties avant le début de l'audition. L'intérêt de ces deux tableaux justifie de les reproduire tel quel.

[67] Commençons par la pièce P-2 qui sert de fondement à l'avis de cotisation du défendeur :

ACHATS/VENTES




1995.07.01

1995.12.31


1996.01.01

1996.12.31


1997.01.01

1997.12.31


1998.01.01

1998.12.31


1999.01.01

1999.12.31


2000.01.01

2000.07.31



























CAISSE DE 24 341 ML:



















ACHATS MOLSON






















623


997


2161


2116


2030


2443




ACHATS LABATT






















731


1170


2549


2700


2834


2358



























TOTAL

























1354


2167


4710


4816


4864


4801







24


24


24


24


24


24



























NBRS DE 341 ML






















32496


52008


113040


115584


116736


115224
























PRIX UN. MOYEN






















4.35 $


4.35 $


4.35 $


4.35 $


4.50 $


4.50 $



























VENTES ÉTABLIES






















141 357.60$


226 234.80$


491 724.00$


502 790.40$


525 312.00$


518 508.00$


















































BARILS 58.6 L.






















8


34


101


91


118


221



























ACHATS LABATT

ML/BARIL






















58600


58600


58600


58600


58600


58600



























TOTAL EN ML






















468800


1992400


5918600


5332600


6914800


12950600



























1 VERRE = 300 ML






















300


300


300


300


300


300



























NBR DE VERRE






















1563


6641


19729


17775


23049


43169



























PRIX UN. MOYEN






















4.35 $


4.35 $


4.35 $


4.35 $


4.50 $


4.50 $



























VENTES ÉTABLIES FÛT






















6 799.05$


28 888.35$


85 821.15$


77 321.25$


103 720.50$


194 260.50$












































TOTAL BIÈRES ÉTABLIE



















148 156.65$


255 123.15$


577 545.15$


580 111.65$


629 032.50$


712 768.50$


















































ACHATS SPIRITUEUX






















6 378.00$


16 195.00$


35 331.00$


30 585.00$


32 051.00$


21 942.00$



























MAJORATION MOYENNE



















500.00%


500.00%


500.00%


500.00%


500.00%


500.00%



























SPIRITUEUX ÉTABLIS






















31 890.00$


80 975.00$


176 655.00$


152 925.00$


160 255.00$


109 710.00$



























ACHATS VINS






















1 822.00$


4 627.00$


10 142.00$


8 193.00$


16 233.00$


12 204.00$



























MAJORATION MOYENNE



















300.00%


300.00%


300.00%


300.00%


300.00%


300.00%



























VINS ÉTABLIS






















5 466.00$


13 881.00$


30 426.00$


24 579.00$


48 699.00$


36 612.00$



























BIÈRES IMPORTÉES






















911.00$


2 314.00$


5 567.00$


4 449.00$


892.00$


0.00$



























MAJORATION MOYENNE



















325.00%


325.00%


325.00%


325.00%


325.00%


325.00%



























BIÈRES IMP. ÉTABLIES






















2 960.75$


7 520.50$


18 092.75$


14 459.25$


2 899.00$


0.00$


















































VENTES ÉTABLIES

BOISSONS ALCOOLISÉES



















188 473.40$


357 499.65$


802 718.90$


772 074.90$


840 885.50$


859 090.50$















































LIQUEURS






















3.00%


3.00%


3.00%


3.00%


3.00%


3.00%



























LIQUEURS ÉTABLIES






















5 654.20$


10 724.99$


24 081.57$


23 162.25$


25 226.56$


25 772.72$



























CIGARETTES & CIGARES



















1.00%


1.00%


1.00%


1.00%


2.00%


2.00%



























CIGARETTES ÉTABLIES



















1 884.73$


3 575.00$


8 027.19$


7 720.75$


16 817.71$


17 181.81$



























DIVERS :

JUS, CAFÉ, ETC.






















4.00%


4.00%


4.00%


4.00%


4.00%


4.00%



























DIVERS ÉTABLIS






















7 538.94$


14 299.99$


32 108.76$


30 883.00$


33 635.42$


34 363.62$



























SHOOTERS



















5.00%


5.00%


5.00%


5.00%


5.00%


5.00%



























SHOOTERS ÉTABLIS






















9 423.67$


17 874.98$


40 135.94$


38 603.74$


42 044.28$


42 954.53$



























VESTIAIRE/DROIT ENTR.

$30./CLIENT X 4 MOIS



















4 732.78$


4 488.61$


10 078.58$


9 693.83$


10 651.22$


10 881.81$





























































REVENUS TOTAUX ÉTABLIS



















217 707.72$


408 463.21$


917 150.94$


882 138.47$


969 260.69$


990 244.98$



























TPS ÉTABLIES






















15 239.54$


28 592.42$


64 200.57$


61 749.69$


67 848.25$


69 317.15$



























TPS DÉCLARÉES






















0.00$


0.00$


0.00$


0.00$


0.00$


0.00$



























TPS DUES






















15 239.54$


28 592.42$


64 200.57$


61 749.69$


67 848.25$


69 317.15$















































TVQ ÉTABLIES






















15 141.57$


28 408.62$


63 787.85$


70 791.61$


77 783.17$


79 467.16$



























TVQ DÉCLARÉES






















0.00$


0.00$


0.00$


0.00$


0.00$


0.00$



























TVQ DUES






















15 141.57$


28 408.62$


63 787.85$


70 791.61$


77 783.17$


79 467.16$

























[68] La demanderesse a volontairement proposé ses chiffres en déposant le tableau P-1 :




1995


1996


1997


1998


1999


2000




Items













































Bières vendues






















32496


52008


113040


115584


116736


115224



























Prix de vente






















3,00 $


3,00 $


3,50 $


3,50 $


4,00 $


4,50 $



























Ventes totales






















97 488,00 $


156 024,00 $


395 640,00 $


404 544,00 $


466 944,00 $


518 508,00 $



























Nombre verre fût






















1563


6641


19729


17775


23049


43169



























Prix de vente






















2,50 $


2,50 $


3,00 $


3,00 $


3,50 $


4,00 $



























Ventes totales






















3 907,50 $


16 602,50 $


59 187,00 $


53 325,00 $


80 671,50 $


172 676,00 $



























Total ventes de bières






















101 395,50 $


172 626,50 $


454 827,00 $


457 869,00 $


547 615,50 $


691 184,00 $



























Après promotions






















96 325,73 $


155 363,85 $


409 344,30 $


366 295,20 $


438 092,40 $


552 947,20 $



























Achats spiritueux






















6 378,00 $


16 195,00 $


35 331,00 $


30 585,00 $


32 051,00 $


21 942,00 $



























Majoration






















200,00%


200,00%


200,00%


200,00%


400,00%


400,00%



























Ventes spiritueux






















12 756,00 $


32 390,00 $


70 662,00 $


61 170,00 $


128 204,00 $


87 768,00 $



























Après promotions






















12 756,00 $


32 390,00 $


70 662,00 $


58 111,50 $


102 563,20 $


70 214,40 $



























Achat vins






















1 822,00 $


4 627,00 $


10 142,00 $


8 193,00 $


16 233,00 $


12 204,00 $



























Majoration






















150,00%


150,00%


150,00%


150,00%


200,00%


200,00%



























Ventes vins






















2 733,00 $


6 940,50 $


15 213,00 $


12 289,50 $


32 466,00 $


24 408,00 $



























Achats bières imp.






















911,00 $


2 314,00 $


5 567,00 $


4 449,00 $


892,00 $


- $



























Majoration






















200%


200%


200%


200%


200%


200%



























Ventes bières imp.






















1 822,00 $


4 628,00 $


11 134,00 $


8 898,00 $


1 784,00 $


- $



























TOTAL DES VENTES






















113 636,73 $


199 322,35 $


506 353,30 $


445 594,20 $


574 905,60 $


647 569,60 $



























Perte et gratuité (5%)






















107 954,89 $


189 356,23 $


481 035,64 $


423 314,49 $


546 160,32 $


615 191,12 $















































TPS PERÇUE






















7 556,84 $


13 254,94 $


33 672,49 $


29 632,01 $


38 231,22 $


43 063,38 $



























TVQ PERÇUE






















7 508,26 $


13 169,73 $


33 456,03 $


33 970,99 $


43 829,37 $


49 369,09 $



























TPS PERÇUE PÉRIODE



















165 410,89 $





INTRANTS


136 000,00 $










TVQ PERÇUE PÉRIODE



















181 303,46 $





INTRANTS


146 226,71 $

































NET TPS



















29 410,89 $



















NET TVQ



















35 076,75 $

































































Année


1995


1996


1997


1998


1999


2000



























TVQ PERÇUE



















7 508,26 $


13 169,73 $


33 456,03 $


33 970,99 $


43 829,37 $


49 369,09 $



























CTI



















8 510,75 $


18 438,83 $


31 858,30 $


37 630,78 $


28 902,34 $


20 885,71 $



























À REMETTRE



















1 002,49 $-


5 269,10 $-


1 597,73 $


3 659,79 $-


14 927,03 $


28 483,38 $


[69] Au stade des plaidoiries, c'est-à-dire après avoir présenté sa propre preuve et entendu celle du défendeur, la demanderesse a proposé une nouvelle avenue quant aux différents prix de vente de ses produits alcoolisés et non alcoolisés. Les montants suivants ont donc été consignés au procès-verbal :




bière


fût


bière importée


spiritueux


vin

1995




P.-V.


3,00


( - 40 %) = 1,80


200 %


300 %


200 %

1996




P.-V.


3,00


( - 40 %) = 1,80


200 %


300 %


200 %

1997




P.-V.


3,50


( - 40 %) = 2,10


200 %


300 %


200 %

1998




P.-V.


3,50


( - 40 %) = 2,10


200 %


300 %


200 %

1999




P.-V.


4,24


( - 40 %) = 2,54


200 %


500 %


200 %

2000




P.-V.


4,24


( - 40 %) = 2,54


200 %


500 %


200 %

[70] Ce sont donc ces trois approches exprimées, d'une part, avant l'audition et, d'autre part, dans le cadre des plaidoiries, qui constituent les éléments litigieux à trancher en ce qui concerne les produits alcoolisés.

▪ produits alcoolisés

[71] Pour plus de clarté, il est apparu nécessaire de confectionner un tableau résumé des trois positions relatives aux prix de vente des produits alcoolisés selon les pièces P-1 et P-2 ainsi que du procès-verbal du 18 décembre 2008.

[72] Nous intitulons ce tableau tableau résumé numéro 1 :




bière


fût


bière importée


spiritueux


vin

1995




P-1


3,00


2,50


200 %


200 %


150 %

P-2


4,35


4,35


325 %


500 %


300 %

P.-V.


3,00


( - 40 %) = 1,80


200 %


300 %


200 %

1996




P-1


3,00


2,50


200 %


200 %


150 %

P-2


4,35


4,35


325 %


500 %


300 %

P.-V.


3,00


( - 40 %) = 1,80


200 %


300 %


200 %

1997




P-1


3,50


3,00


200 %


200 %


150 %

P-2


4,35


4,35


325 %


500 %


300 %

P.-V.


3,50


( - 40 %) = 2,10


200 %


300 %


200 %

1998




P-1


3,50


3,00


200 %


200 %


150 %

P-2


4,35


4,35


325 %


500 %


300 %

P.-V.


3,50


( - 40 %) = 2,10


200 %


300 %


200 %

1999




P-1


4,00


3,50


200 %


400 %


200 %

P-2


4,50


4,50


325 %


500 %


300 %

P.-V.


4,24


( - 40 %) = 2,54


200 %


500 %


200 %

2000




P-1


4,50


4,00


200 %


400 %


200 %

P-2


4,50


4,50


325 %


500 %


300 %

P.-V.


4,24


( - 40 %) = 2,54


200 %


500 %


200 %

[73] Des constatations préliminaires font réaliser un écart substantiel quant aux ventes de bière embouteillée et en fût ainsi qu'un écart éloquent relativement au prix de vente des spiritueux au cours des années 1995 à 1998 :




années


écart

(P-2 vs p.v.)


écart %

bière


1995-1996


1,35 $


45 %




1997-1998


0,85 $


24 %




1999-2000


0,26 $


6 %



fût


1995-1996


2,55 $


142 %




1997-1998


2,25 $


107 %




1999-2000


1,96 $


77 %



bière importée


toutes les années


200 % vs 325 %






spiritueux


1995-1996-1997-1998


300 % vs 500 %







1999-2000


0






vin


toutes les années


200 % vs 300 %




[74] Les tableaux préparés par les deux témoins du défendeur et qui ont fait l'objet d'une présentation élaborée, soit les documents D-11 à D-15, découlent des documents appartenant à l'entreprise de la demanderesse qui ont été saisis dans le local du boulevard Charest. Comme nous l'avons déjà indiqué, ces documents constituent quatre volumes (D-7 à D-10) dans lesquels sont rassemblés pour chacune des cinq semaines comprises entre le 28 août et le 1er octobre 2000, un bilan hebdomadaire et des rapports journaliers accompagnés des rubans de caisse au nom de Cabaret Lady Mary Ann. Chacun des registres quotidiens comporte deux parties pour tenir compte des activités commerciales durant le jour et celles durant le soir.

[75] De plus, le cahier D-10 est complété par des rubans de caisse non identifiés portant les dates des 23 juillet, 30 octobre et 19 décembre 1998.

[76] Il s'agit donc d'un échantillon de cinq semaines seulement.

[77] Sont-ce là des indices suffisamment probants pour justifier les prix de vente déterminés par le défendeur pour la totalité des six années en cause? Cet échantillon limité dans le temps permet-il à l'avis de cotisation fiscale du défendeur de se maintenir rattaché à la présomption de validité après les explications de la demanderesse portant sur l'historique de son établissement et sa spécificité comme bar de danseuses nues? S'il y a eu renversement du fardeau de la preuve vers le défendeur, celui-ci peut-il justifier qu'une preuve prépondérante existe du fait de la découverte des semainiers et des registres journaliers de ces cinq semaines?

[78] Pour répondre à ces questions, il faut tenir compte de ce qui suit.

[79] Même si Johanne Dolbec est loin d'être une contribuable exemplaire et que le procureur du défendeur peut être justifié de la qualifier de délinquante fiscale, elle ne perd toutefois pas à nos yeux toute crédibilité comme le serait un témoin taré. Elle nous paraît être une femme d'affaires accomplie dans le type de commerce qu'elle exploite et fort connaissante de ce milieu particulier. En dépit d'une intelligence vive qui l'amène à raconter l'histoire de son établissement avec perspicacité, elle peut aussi à l'occasion tourner les coins ronds dans ses explications. Par exemple, elle finit par admettre en contre-interrogatoire qu'un verre de vin contient 125 ml et non pas 300 comme elle le prétendait dans son analyse du prix de revient d'un pichet de vin acheté de la Société des alcools. Il en va de même de ses réponses floues et évidemment non documentées voulant que durant la majeure partie de la période visée par la cotisation, son entreprise restait déficitaire mais réussissait quand même à survivre grâce à des emprunts et à un héritage personnel… Comme nous le verrons plus loin au sujet des intrants, l'ordre de grandeur des sommes impliquées rend peu vraisemblable un tel renflouement financier sur une période aussi longue… Mais quoiqu'il en soit de ces faiblesses de son témoignage, Mme Dolbec a convaincu le Tribunal, à l'instar des témoins du défendeur, qu'au cours de cette période son entreprise était au cœur d'une guerre de motards qui rendait la concurrence féroce, obligeant son établissement à promouvoir son existence grâce principalement à des attraits publicitaires. Par ailleurs, la nature même de l'entreprise, soit un bar de danseuses nues, compromet la qualité des comparaisons avec d'autres bars comme le vérificateur Hamel le reconnaît. Le témoignage rendu par la demanderesse comme celui de ses deux témoins, sa mère et le barman d'expérience Hérold Soucy, permettent de mieux comprendre, au niveau de l'analyse judiciaire, comment est opérée une telle entreprise et surtout dans quel environnement économique ce genre d'entreprise opérait dans la région de Québec dans la dernière moitié de la décennie 1990. Non seulement le Tribunal ne peut pas écarter à cet égard la preuve offerte par la demanderesse mais il doit s'y rattacher pour mieux saisir le contexte d'affaires dans lequel les produits alcoolisés ou non étaient vendus à cette époque.

[80] C'est donc en tenant compte de l'ensemble de la preuve documentaire et testimoniale et après en avoir soupesé les volets les plus réalistes et écarté ceux qui l'étaient moins que nous arrivons à conclure que la vérité de nature fiscale sur les prix de vente se trouve à la fois dans les explications de la demanderesse et dans la présentation documentée du défendeur.

le vin

[81] Ainsi, en ce qui concerne le vin, la proposition de la demanderesse portant que le prix de vente est celui équivalant à 200 % du coût de revient nous paraît le plus probant.

[82] La nature du commerce de la demanderesse fait qu'on n'y sert pas du vin comme on le ferait dans un grand restaurant. Il s'agit de vin de basse qualité plutôt que l'inverse. Quant à la quantité de ces ventes, elle est très inférieure à celle de la bière et des spiritueux comme le révèle la pièce P-2 du défendeur où le total des ventes de vin est de 159 663 $ pour l'ensemble de la période en comparaison du montant de 3 820 742,85 $ qui est celui de toutes les ventes des boissons alcoolisées. Ces totaux n'apparaissent pas sur P-2 mais résultent de l'addition du Tribunal. Il faut ajouter que, contrairement à l'exercice effectué par le défendeur qui a exhaustivement répertorié dans le tableau D-15 tous les produits de spiritueux achetés de la Société des alcools du 28 août au 2 octobre 2000, il n'a proposé aucune analyse à partir des données disponibles de ce fournisseur pour contredire le témoignage de la demanderesse en ce qui concerne la qualité du vin vendu.

[83] Finalement, toujours à l'aide du tableau P-2, nous constatons qu'en comparaison les ventes de la bière domestique et importée totalisent 2 948 669 $ durant cette période. Ce qui représente de loin le produit alcoolisé le plus vendu avant la vente des spiritueux qui totalise, de son côté, 712 410 $.

la bière importée

[84] En ce qui concerne les ventes de bière importée, nous concluons que la proposition de la demanderesse de majorer de 200 % son coût de revient est bien fondée pour les mêmes raisons. En effet, à l'instar du vin, il nous paraît plus vraisemblable que la clientèle qui fréquentait l'établissement du boulevard Charest au cours de cette période s'intéressait bien davantage à la bière domestique qu'à la bière importée. Si la demanderesse en vendait, c'était pour accommoder la clientèle qui en commandait à l'occasion.

les spiritueux

[85] Les prix de vente des spiritueux pour les années 1999 et 2000 font l'objet d'un consensus, soit une majoration de 500 %. Le litige demeure pour les quatre années entre 1995 et 1998. La demanderesse propose 300 % de majoration alors que le défendeur s'en tient à 500 % comme pour les années 1999 et 2000. L'historique de l'établissement rattachée principalement à la guerre des motards nous amène à conclure que la majoration de 300 % est plus réaliste. Ce taux s'inscrit aussi mieux dans le cadre d'une entreprise qui est en évolution et qui cherche aussi sa vocation. Il ne faut donc pas perdre de vue que de 1995 à 1998, ce bar est exploité sous un autre nom, soit Victor Victoria et Grand Prix, tout en passant d'un bar gai à un club à 10 $.

la bière en bouteille

[86] Pour les années 1999 et 2000, un écart de 26 ¢ sépare la position du défendeur au moment où il a émis son avis de cotisation et le prix proposé par le procureur de la demanderesse dans sa plaidoirie. Le témoin Guérard arrive à un prix de 4,24 $, à l'instar de la position finale de la demanderesse, dans son tableau D-11 où il analyse les ventes de bière en bouteille au cours des cinq semaines des mois d'août et septembre 2000. Le Tribunal conclut que le prix de vente réel est de 4,25 $, conformément au témoignage de Mme Dolbec qui explique les avantages de fixer le prix de la bière en arrondissant au 25 ¢ près.

[87] Concernant les années 1995, 1996, 1997 et 1998, le Tribunal conclut que les prix, selon la preuve entendue, doivent se situer à 3,50 $ pour la bière en bouteille. C'est d'ailleurs le prix proposé par la demanderesse pour les années 1997 et 1998. Il nous paraît plus réaliste d'étendre ce prix aux deux premières années 1995 et 1996 afin de correspondre mieux à la phase d'évolution de l'entreprise comme nous l'avons déjà expliqué.

la bière en fût

[88] Quant à la bière en fût, la preuve nettement prépondérante nous révèle l'existence d'un écart avec le prix de vente de la bière en bouteille. Le tableau D-11 du témoin Guérard situe l'écart à presque 1 $, soit 4,24 $ versus 3,26 $. Dans sa proposition finale, la demanderesse plaide que le prix de la bière en fût doit se situer à moins de 40 % de celui de la bière en bouteille. Selon le tableau résumé numéro 1, nous avons calculé que cette position fixerait le prix du verre de bière à 1,80 $ pour 1995 et 1996, 2,10 $ pour 1997 et 1998 et 2,54 $ pour 1999 et 2000.



[89] Nous sommes d'avis que le prix de vente de ce produit alcoolisé doit s'établir en tenant compte de la justesse du taux régressif proposé, plus ou moins, tout en arrondissant le prix pour le maintenir avec un diviseur de 25 ¢. Ainsi, le prix de vente de la bière en fût pour 1995, 1996, 1997 et 1998 doit s'établir à 2,25 $ alors que pour les années 1999 et 2000, il doit être de 2,75 $.

[90] Ce qui représente une différence de prix entre la bière en bouteille et la bière en fût de 1,25 $ pour les quatre premières années et de 1,50 $ pour les deux dernières années de la période fiscale en litige.

[91] Pour plus de clarté, voici le tableau résumé numéro 2 qui reconstitue les prix de vente des produits alcoolisés déterminés par le présent jugement :




bière


fût


bière importée


spiritueux


vin

1995


3,50


2,25


200 %


300 %


200%

1996


3,50


2,25


200 %


300 %


200 %

1997


3,50


2,25


200 %


300 %


200 %

1998


3,50


2,25


200 %


300 %


200 %

1999


4,25


2,75


200 %


500 %


200 %

2000


4,25


2,75


200 %


500 %


200 %

[92] Ces prix représentent mieux, selon la preuve, l'extrapolation de la réalité historique de l'entreprise commandée par l'existence de données chiffrées réelles, mais incomplètes et imprécises. Il s'agit certes encore d'un résultat imparfait mais, à notre humble point de vue, une résultante plus fiable bâtie à partir des explications non contestées de la contribuable.

[93] En cherchant à corroborer le montant des ventes totales établi dès le 10 avril 2001 dans le document P-2 ayant servi à l'avis de cotisation, le témoin Hamel a préparé le tableau D-14 intitulé établissement des ventes selon l'analyse des Z de caisse. Il y incorpore les prix moyens obtenus des ventes de bière au cours des cinq semaines de la fin de la période fiscale de l'année 2000 à chacune des années antérieures jusqu'au 1er juillet 1995. Il fait de même pour les ventes de bière en fût et de spiritueux. Ceci lui permet de conclure à la similitude des totaux des ventes, soit le chiffre d'affaires de la demanderesse, que ce soit à partir du document P-2 confectionné en 2001 à même les données des fournisseurs et les renseignements internes du ministère ou à partir de l'échantillonnage des cinq semaines tel que documenté dans les cahiers D-7 à D-10.



[94] Avec égards, cette prétendue corroboration n'existe pas parce que les prix de 4,24 $ et 4,09 $ pour la bière en bouteille indiqués dans ce tableau sont ceux de l'échantillon qui ne couvre que cinq semaines sur les six années en litige. De plus, ces prix de 4,24 $ et 4,09 $ sont si près des prix de 4,35 $ et 4,50 $ déterminés autrement qu'ils ne peuvent logiquement que conclure semblablement. Il en va ainsi de la majoration moyenne pour la vente des spiritueux que le tableau D-14 fixe à 600 % et 635 % alors que la pièce P-2 parle d'une majoration unique de 500 %.

[95] Encore une fois, comme nous l'avons déjà souligné, l'échantillon D-7 à D-10 est non seulement trop parcellaire mais il ignore l'historique réelle de l'établissement.

[96] L'exercice judiciaire consiste à moduler l'effet de la présomption de validité de la cotisation du ministère à partir des éléments probants fournis tant par la contribuable, ses témoins et ses documents que par les explications du vérificateur et de l'enquêteur qui ont été forcés d'avoir recours, en l'absence de toute documentation comptable du mandataire, à une méthode de nature approximative. Le résultat auquel nous arrivons nous paraît moins aléatoire et mieux représentatif des particularités de l'environnement économique dans lequel l'entreprise de la demanderesse a évolué et a opéré pendant les six années de la période fiscale en litige.

▪ produits non alcoolisés et « shooters »

[97] Concernant les shooters, les témoins du défendeur reconnaissent que les ventes de ce produit ont été compilées en double. Leur tableau D-13 confirme cette conclusion. Il y a donc lieu de soustraire ces ventes, à titre de produits séparés, de celles des spiritueux.

[98] Au sujet de la vente des liqueurs douces, des cafés et des jus, la demanderesse admet que la pièce P-2 est exacte à ce sujet. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir.

[99] La vente de cigarettes n'est pas une activité commerciale rattachée à la demanderesse puisque ces produits sont distribués automatiquement par des machines qui n'étaient pas sa propriété. D'ailleurs, l'enregistrement de telles distributrices permet au défendeur d'avoir une connaissance suffisante du véritable mandataire responsable de telles ventes. Il faut donc soustraire les ventes attitrées à ce produit.

[100] Il en va toutefois autrement de la vente des cigares. La demanderesse admet qu'elle en vendait dans son établissement. Selon le tableau D-13, ces ventes représentaient 1.6 % de son chiffre d'affaires alors que le document P-2 parle de 1.5 %. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir.

[101] Au sujet des services rattachés au vestiaire et aux droits d'entrée, les explications de la demanderesse sont dans l'ensemble, à ce sujet, vraisemblables. Elles sont préférables aux extrapolations avancées par les témoins du défendeur. Surtout que l'écart est très important dans le tableau D-13. Dans le document P-2 ayant servi à l'avis de cotisation, ces ventes de services représenteraient 1.3 % des ventes des produits alcoolisés alors qu'ils représenteraient en 2000, selon les documents D-7 à D-10, 15,4 % et 6,6 % pour un total de 22 %. Cela fait ressortir le manque de fiabilité de ces données et justifie le Tribunal de donner à la demanderesse le crédit de ses explications que l'argent perçu à l'entrée ne lui bénéficiait pas mais était plutôt l'apanage de la vedette, du portier, des serveuses et du disc-jockey. Il y a donc lieu de soustraire ces services de la cotisation.

[102] Pour conclure sur les prix de vente des produits et services de l'établissement de la contribuable, répondons finalement à l'argument du procureur du défendeur qu'en plaidant coupable aux accusations portées contre elle, la demanderesse s'est trouvée à admettre les montants qui apparaissent aujourd'hui au tableau D-6, c'est-à-dire les montants de la première cotisation défalqués d'une perte de 3 % sur la vente de la bière en fût, d'une perte de 5 % à titre de gratuité et sur la reconnaissance d'un montant de 146 226,71 $ comme intrants. Plus précisément, D-6 met en exergue le montant de 4 151 558,61 $ représentant le total des ventes par rapport à celui de la proposition faite par la demanderesse avant l'audition où il est question de ventes totalisant 2 487 381,78 $ (P-1).

[103] En tout respect, le Tribunal ne partage pas cette opinion. La raison juridique veut que le plaidoyer de culpabilité et/ou la déclaration de culpabilité de la demanderesse n'équivaut pas à admettre l'exactitude des chiffres sur lesquels l'accusation se fonde. Tout au plus, elle équivaut à une admission de son inconduite fiscale alors que le débat devant nous ne porte plus sur ce volet du dossier et s'intéresse strictement à la quotité de la dette fiscale de Mme Dolbec.

3. les intrants

[104] La preuve nous révèle qu'un total de 525 503,67 $ de chèques émanant de l'entreprise de la demanderesse n'a pas été compilé par le défendeur[10].

[105] Le procureur du défendeur plaide la prescription de quatre ans prévue à l'article 431 de la Loi sur la taxe de vente du Québec[11]. Cet argument doit être écarté pour deux raisons. Premièrement, le défendeur en a déjà reconnu dans son avis de cotisation, renonçant ainsi à son droit extinctif même en l'absence du respect des formalités par la demanderesse telles que prescrites par les règlements l'obligeant à tenir les registres appropriés[12]. Deuxièmement, la prescription a été interrompue[13] par l'opposition et l'appel de la demanderesse dans le dossier 200-80-000371-037 déposés les 6 septembre 2001 et 17 mars 2003 respectivement, le délai entre les deux dates s'expliquant par les atermoiements du défendeur à répondre à l'avis d'opposition de la contribuable. Le fait non contesté que le défendeur devait calculer les intrants pour obtenir un montant de taxe net exigible devant l'instance pénale n'est pas suffisant pour empêcher le ministère de considérer, au bénéfice de la contribuable, tous les crédits auxquels elle a droit. La simple équité fiscale nous paraît le commander.

[106] Dans le document P-6 où la demanderesse répertorie la liste des chèques détenus par le défendeur à la suite de la saisie, elle indique à l'onglet 1 qu'un montant de 525 503,67 $ en paiement par chèques sur divers achats n'a pas été considéré par le ministère. Parmi ce montant, les années 1999 et 2000 sont significatives et représentent les sommes non considérées les plus considérables, soit 173 920,97 $ et 240 637,76 $ en achats.

[107] En comparaison, nous retrouvons sous l'onglet 2, la liste des chèques représentant des achats acceptés par le ministère et permettant d'accorder des remboursements de taxes sur les intrants. Ainsi, un montant de 57 232,61 $ a été reconnu à titre d'intrants pour des achats totalisant 880 428,80 $.

[108] Or, dans ce tableau, les années 1999 et 2000 représentent les plus petits montants de cette compilation, à l'inverse du total des achats pour ces deux années faisant partie des documents non considérés par le défendeur.

[109] Selon nous, la prise en compte des chèques répertoriés sur les listes formant l'onglet 1 de P-6 est pleinement justifiée dans la mesure où la preuve révèle que les années 1999 et 2000 sont les meilleures parmi les six couvrant la période en litige.

4. les pertes, gratuités et promotions

[110] Dans son document D-6, l'enquêteur Claude Guérard accorde 3 % de perte sur la bière en fût et 5 % en moins sur le chiffre d'affaires pour tenir compte des promotions. Ces crédits ont justifié l'émission du deuxième avis de cotisation.

[111] La demanderesse prétend dans son document déclaratif P-1 avoir droit à des crédits plus considérables. Ainsi, sur la bière domestique, elle propose un crédit variant de 5 % à 20 % : 1995 = 5 %; 1996 et 1997 = 10 %, 1998, 1999 et 2000 = 20 %.

[112] Sur les spiritueux, elle demande aussi des crédits de 5 % à 20 % : 1998 = 5%, 1999 et 2000 = 20 %.

[113] Au surplus elle prétend avoir droit à 5 % en perte et en gratuité sur le total des ventes de produits alcoolisés.

[114] Dans son témoignage, l'enquêteur Hamel parle avec raison de dédoublement dans l'approche de la demanderesse.

[115] La perte de 5 % accordée sur la bière en fût seulement nous paraît plus réaliste compte tenu de la nature du produit mousseux. De plus, le Tribunal estime plus fiable d'établir une fourchette de prix qui colle à la réalité historique de l'établissement que de privilégier une approche plus généreuse au niveau des promotions. D'ailleurs, la nature même de la taxe, soit une charge fiscale découlant de la vente, se rattache à notre avis beaucoup mieux à cette approche d'analyse qu'à celle, beaucoup plus aléatoire, consistant à établir un pourcentage atteignant 20 % du total des ventes tout en variant à des taux de 0 %, 5 % et 10 % comme proposé par la contribuable.

[116] En conclusion sur ce point, le Tribunal maintient la détermination arrêtée par le sous-ministre soit d'accorder seulement 5 % en perte pour la bière en fût et 5 % en promotion sur l'entièreté des ventes de l'établissement, incluant les ventes des produits non alcoolisés.

5. les pénalités

[117] Elles ont été imposées en vertu de l'article 59.2 de la Loi sur le ministère du Revenu du Québec[14]. La jurisprudence est claire à l'effet que le Tribunal n'a pas le pouvoir d'y toucher étant donné qu'elle est de nature administrative à l'instar des intérêts sur les droits payables par tout contribuable[15].

6. les dépens

[118] La suggestion du procureur du défendeur à l'effet que la demanderesse devrait être condamnée aux dépens même si elle devait avoir gain de cause, totalement ou partiellement, n'est pas justifiée. Sa conduite fiscale a déjà été sanctionnée devant l'instance pénale. Elle l'est devant nous par l'imposition des pénalités et les intérêts sur la dette qu'elle doit.

[119] En déposant son appel et en concentrant le litige sur les prix de vente de ses produits, Mme Dolbec n'a fait qu'exercer ses droits comme tout autre justiciable.

[120] La solution consiste en l'espèce à n'accorder aucuns dépens vu le sort mitigé de l'appel.

conclusions

[121] Il y a donc lieu de déférer au sous-ministre du Revenu son avis de cotisation et le dossier qui s'y rattache afin qu'il puisse établir une nouvelle cotisation selon les paramètres suivants :

1) Retenir comme prix de vente des produits alcoolisés les montants apparaissant au tableau résumé numéro 2;

2) Supprimer les ventes des shooters, cigarettes, vestiaires et droits d'entrée;

3) Maintenir les ventes de :

▪ liqueurs douces, cafés et jus à 3 % et 4 % des ventes totales des produits alcoolisés;

▪ cigares à 1 % de ces ventes;

4) Considérer et accorder, le cas échéant, des intrants (RTI) sur les achats de biens et de services apparaissant aux documents répertoriés à l'onglet 1 de la pièce P-6;

5) Maintenir le pourcentage des crédits reconnu à la pièce D-6 soit :

▪ 5 % de perte pour la bière en fût;

▪ 5 % de promotion sur l'ensemble des ventes de l'établissement, incluant les ventes de produits non alcoolisés;

6) Maintenir les pénalités administratives de l'article 59.2 de la Loi sur le ministère du Revenu[16].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la demande;

ANNULE l'avis de cotisation du 21 septembre 2004, numéro 9670102;

DÉFÈRE le dossier au sous-ministre afin qu'une nouvelle cotisation soit établie en tenant compte des conclusions du présent jugement;

SANS FRAIS.




__________________________________

DANIEL LAVOIE

Me William Noonan et Me Frédéric Desgagné, casier no 2

HICKSON NOONAN

Procureurs de la demanderesse



Me Michel Morel, casier no 129

VEILLETTE LARIVIÈRE

Procureurs du défendeur



Dates d’audience :


29 et 30 septembre, 17 et 18 décembre 2008