Taillefer c. Cinar Corporation
no. de référence : 500-09-018974-089
Taillefer c. Cinar Corporation2009 QCCA 850
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE
MONTRÉAL
N° :
500-09-018663-088
500-09-018664-086
500-09-018665-083
500-09-018974-089
(500-17-031306-064)
DATE :
Le 30 avril 2009
CORAM :
LES HONORABLES
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
PAUL VÉZINA, J.C.A.
LISE CÔTÉ, J.C.A.
FRANÇOIS TAILLEFER,
JEAN-GUY LACHANCE,
JEAN-MARC PAQUETTE,
PIERRE LAMARCHE,
FRANÇOIS CANTIN,
CHARLES PAQUETTE,
PAQUETTE ET ASSOCIÉS, HUISSIERS EN JUSTICE, s.e.n.c. et
ANDRÉ PERRON
APPELANTS – requérants
c.
CINAR CORPORATION,
CINAR PRODUCTIONS (2004) INC. et
ANIMATION CO0KIE JAR INC.
INTIMÉES – intimées
(500-09-018663-088, 500-09-018665-083 et 500-09-018974-089)
Et
ADR CAPITAL INC.
INTIMÉE – intimée
(500-09-018664-086)
Et
RONALD WEINBERG
MIS EN CAUSE – intimé
Et
SYNDIC DE LA CHAMBRE DES HUISSIERS DE JUSTICE DE QUÉBEC,
L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE MONTRÉAL et
L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE STANSTEAD
MIS EN CAUSE – mis en cause
et
BANQUE NATIONALE DU CANADA,
FINANCIÈRE BANQUE NATIONALE,
GROUPE ENCON INC.,
AVIVA INSURANCE COMPANY OF CANADA et
CONTINENTAL CASUALTY COMPANY
Tierces-saisies
ARRÊT
[1] LA COUR : - Statuant sur les appels de quatre jugements de la Cour Supérieure, district de Montréal, rendus les 17 et 25 avril 2008, 7 mai 2008 et 1er août 2008, par l'honorable Jean-Yves Lalonde, dans le cadre de l’exécution d’un jugement préalable ordonnant la « vente sous contrôle de justice » de deux immeubles;
[2] Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges Brossard et Côté :
[3] AUTORISE le dépôt par les Intimés du jugement ontarien du 22 juillet 2008;
[4] REJETTE, avec dépens, les quatre appels.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
PAUL VÉZINA, J.C.A.
LISE CÔTÉ, J.C.A.
Me Pierre Fournier
Fournier avocats inc. et
Me Guy Pépin, avocat conseil
Bélanger, Sauvé
Pour les appelants François Taillefer et autres
Me Mark Shrager et
Me Cara Cameron
Davies, Ward, Phillips & Vineberg
Pour les intimées Cinar Corporation, Cinar Productions (2004) inc. et
Animation Cookie Jar inc.
Me Donald N. Kattan
Péloquin, Kattan
Pour l’intimée ADR Capital inc.
Me Jean Lozeau (absent)
Joli-Cœur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St-Pierre
Pour le mis en cause Ronald Weinberg
Date d’audience :
19 janvier 2009
MOTIFS DU JUGE VÉZINA
[5] Il importe d’abord de situer les quatre jugements attaqués dans la chronologie des événements pour comprendre les problèmes auxquels le juge de première instance (le Juge) était confronté et circonscrire le litige qui divise encore les parties.
* * *
La chronologie
[6] En 2004, l’Intimée ADR Capital inc. (Adr) prête une somme importante au Mis en cause Weinberg avec garantie hypothécaire sur son immeuble[1].
[7] En 2006, vu le défaut de Weinberg, la Cour supérieure rend jugement (le jugement initial) et autorise la vente de l’immeuble sous contrôle de justice, de gré à gré, en précisant :
[15] DESIGNATES as the person authorized to: (i) proceed with the sale of the Immovables, by private agreement; (ii) sign the notarial deed of sale, (iii) prepare the scheme of collocation and the distribution of funds received and (iv) accomplish all other steps relating to the sale of the Immovable Properties, Mr. André Perron, bailiff, or any other bailiff exercising his profession with the firm Paquette & Associates;
[8] Par la suite l’Appelant Perron procède à la vente, en perçoit le prix et le dépose au compte en fidéicommis de la société qui l’emploie, l’Appelante Paquette et associés, huissiers en justice, s.e.n.c. (la Société), qui compte six associés, les autres Appelants.
[9] Le compte en fidéicommis de la Société est à la Banque nationale du Canada (Bnc).
[10] À cette époque, il existe un contentieux entre Weinberg et les Intimées Cinar Corporation, Cinar Productions (2004) inc. et Animation Cookie Jar inc. (Cinar), qui empêche la confection de l’état de collocation pour la distribution du prix de vente.
[11] Comme le débat s’annonce ardu, Adr s’assure auprès de Perron que la somme soit conservée et porte fruits (« earn interest »). Perron confirmera aussi à Cinar qu’il en sera ainsi.
[12] C’est ainsi qu’au début de 2007, après collocation et paiement de quelques créanciers prioritaires, un solde de plus de trois millions de dollars est retiré de la Bnc par la Société et placé par l’intermédiaire de la Financière Banque nationale (Fbn) dans des « Papiers commerciaux adossés à des actifs », les fameux Pcaa.
[13] À l’automne 2007 survient l’effondrement des Pcaa et s’ensuit un jugement, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (L.R.C. 1985, c. C-36), qui suspend toutes les transactions sur ces titres. En conséquence, le placement des Appelants perd de sa valeur et ne peut plus être liquidé.
[14] À la mi-février 2008, le litige entre Cinar et Adr se règle, rendant possible la confection de l’état de collocation et son homologation pour la distribution des deniers à ces créanciers.
[15] Quelques jours plus tard, les Appelants informent Cinar et Adr du problème que leur crée le gel des Pcaa et de leur incapacité conséquente à les payer faute de liquidités. Les créanciers réagissent et adressent plusieurs requêtes au tribunal.
[16] Tout le dossier est confié au Juge afin que l’exécution forcée du jugement initial se poursuive avec célérité conformément aux dispositions expresses du Code de procédure civile :
Art. 564. Les demandes incidentes relatives à l'exécution des jugements sont introduites par requête conformément aux articles 78 et 88. […]
[…]
Art. 576. Toutes procédures incidentes à l'exécution forcée des jugements sont instruites et jugées d'urgence.
[17] Le Juge franchit donc l’étape restante avant la distribution des deniers, soit l’homologation de l’état de collocation des créanciers, dûment préparé par Perron (C.p.c., art. 910.1).
[18] Le 17 avril 2008 – c’est le 1er jugement attaqué –, le Juge accueille la demande de Cinar et :
[13] HOMOLOGUE partiellement les états de collocation […] quant aux réclamations de Cinar […] jusqu’à concurrence de la somme de 588 175,38 $;
[14] ORDONNE à [Perron et à la Société] de distribuer partiellement et payer les réclamations de Cinar prévues aux états de collocation […] jusqu’à concurrence de la somme de 588 175,38$, le ou avant le 25 avril 2008 […]
[19] Puis, le 25 avril – c’est le 2e jugement attaqué – le Juge accueille une demande semblable de Adr :
[14] HOMOLOGUE partiellement les états de collocation […] quant aux réclamations de ADR […] jusqu’à concurrence de la somme de 2 823 030,96 $;
[15] ORDONNE à [Perron et à la Société] de distribuer partiellement et payer les réclamations de ADR prévues aux états de collocation […] jusqu’à concurrence de la somme de 2 823 030,96 $ […] le ou avant le 30 avril 2008 […]
[20] La collocation des deux créanciers et l’homologation ne posent pas problème. Par contre, la conclusion de distribuer et « payer » fera l’objet d’une vive opposition de la part des Appelants selon qui, d’une part, la condamnation[2] n’est pas exécutoire contre tous leurs biens, mais seulement contre les Pcaa détenus par la Société et, d’autre part, elle ne vise que Perron et non la Société.
[21] Au début de mai, Cinar et Adr, considérant au contraire ces ordonnances exécutoires contre tous les Appelants et contre tous leurs biens, procèdent à la saisie-arrêt de divers comptes de la Société entre les mains de la Bnc et de Fbn et auprès des assureurs de celles-ci. De plus, dès le 29 avril, Cinar avait fait inscrire une hypothèque légale sur les immeubles des Appelants.
[22] Le 6 mai, les Appelants réagissent par une requête en annulation des saisies-arrêts.
[23] Le lendemain 7 mai, le Juge entend les parties et – c’est le 3e jugement attaqué – il refuse, à deux exceptions près, l’annulation des saisies des comptes bancaires et de celle auprès des assureurs. Cette décision comporte toutefois une réserve importante :
Sous réserve d’une audition plus élaborée eu égard à l’application de l’article 1341 C.c.Q., le Tribunal est d’avis que pour l’heure les saisies sont bien fondées.
[…]
FIXE l’audition d’une requête pour jugement déclaratoire relative à l’application de l’article 1341 C.c.Q., au 23 mai 2008 devant le soussigné.
[24] La procédure par « requête en jugement déclaratoire relative à l’article 1341 C.c.Q. » a alors fait l’objet d’un accord[3] entre les parties comme étant une voie procédurale opportune pour faire décider si les Appelants avaient respecté leurs obligations relatives à la conservation du prix de vente conformément aux dispositions de cet article 1341.
[25] Le 1er août, – c’est le 4e et principal jugement attaqué – le Juge tranche la question demeurée sous réserve et déclare que les Appelants n’ont pas respecté leurs obligations.
* * *
Le 4e et principal jugement attaqué
[26] Dans une première partie, le Juge précise l’objet du débat :
[35] […] En conséquence de la contestation de Paquette, la question est dorénavant simple : les huissiers ont-ils transgressé les prescriptions impératives de l’article 1341 du Code civil du Québec et du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des huissiers de justice et sur le fonds d’indemnisation de la Chambre des huissiers de justice de Québec?
[27] Le Juge fonde son avis sur les dispositions suivantes du Code civil et du Code de procédure où il souligne certains passages :
[39] Le Tribunal est d’avis qu’une réponse affirmative s’impose à la question. Une lecture combinée des articles 1341 et 1343 C.c.Q. et de l’article 910.3 C.p.c. supporte cette conviction. Un examen attentif des textes de loi s’avère nécessaire :
Code civil du Québec
[…]
1341. L’administrateur peut déposer les sommes d’argent dont il est saisi dans une banque, une caisse d’épargne et de crédit ou un autre établissement financier, si le dépôt est remboursable à vue ou sur un avis d’au plus trente jours.
Il peut aussi les déposer pour un terme plus long si le remboursement du dépôt est pleinement garanti par l’Autorité des marchés financiers; autrement, il ne le peut qu’avec l’autorisation du tribunal, aux conditions que celui-ci détermine.
[…]
1343. L’administrateur qui agit conformément aux dispositions de la présente section est présumé agir prudemment.
L’administrateur qui effectue un placement qu’il n’est pas autorisé à faire est, par ce seul fait et sans autre preuve de faute, responsable des pertes qui en résultent.
[…]
Code de procédure civile
[…]
910.3 Si, trente jours après la notification du projet d'état de collocation, il n'y a pas eu de contestation, la personne qui a dressé le projet doit distribuer le produit de la vente comme il est prévu au projet.
Jusqu'à la distribution, le produit de la vente doit être conservé de la manière prévue à l'article 1341 du Code civil .
[…]
[28] Procédant ensuite à l’analyse de ces dispositions, le Juge retient :
[58] Il faut lire l’auteur Claxton pour comprendre que l’argent déposé à la banque est comme du « cash » alors que les dépôts à terme, qui habituellement rapportent plus d’intérêt sont du « near cash »*. L’article 1341 C.c.Q. prévoit expressément qu’il doit s’agir d’un dépôt, donc d’un dépôt payable à vue ou un dépôt à terme dont le terme maximal doit être de 30 jours.
[voir la note 4]
__________
* John B. CLAXTON, The 1994 Portfolio Investment Code: A New Approach in Fiducies personnelles et successions, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 46, par. 116.
[59] Il coule de source que les banques, les caisses d’épargne et de crédit ou autre établissement financier doivent avoir la capacité légale de recevoir des dépôts, qu’ils soient remboursables à vue ou à terme.
[…]
[61] Le second paragraphe de l’article 1341 C.c.Q. prévoit la possibilité pour l’administrateur de déposer l’argent pour un plus long terme que 30 jours si le remboursement est pleinement garanti par l’Autorité des marchés financiers. Autrement, il ne le peut qu’avec l’autorisation du Tribunal.
[…] [voir la note 4]
[63] Aussi, faut-il comprendre qu’en l’instance, l’argent transféré de la BNC à FBN le fut aux fins de placement et non de dépôt, ce qui en soi est contraire à l’esprit et la lettre du premier paragraphe de l’article 1341 C.c.Q. Puis, il faut aussi noter que les placements auprès de la FBN le sont pour une période de plus de 30 jours, sans garantie de l’Autorité des marchés financiers et sans autorisation du Tribunal, contrairement au deuxième alinéa de l’article 1341 C.c.Q.
[64] Par surcroît, FBN, bien qu’elle puisse être considérée comme une institution financière dans l’acceptation populaire du terme, n’en est pas moins une maison de courtage, non autorisée à recevoir des dépôts d’argent ou à en solliciter du public.
[…]
[67] Même si à l’époque des transferts de fonds à FBN le placement dans le papier commercial était considéré comme un investissement « near cash » ou qu’il était considéré R-1 (high) dans le « rating scale » du marché, il demeure qu’aucun des trusts (Whitehall, Aria, Apsley) n’était autorisé à recevoir ou solliciter des dépôts d’argent au Québec, pas plus que ne l’était FBN.
Pour conclure :
[69] Nul doute que le législateur en rédigeant l’article 1341 C.c.Q. n’avait pas en tête qu’un administrateur investi d’un devoir de simple administration puisse placer l’argent dont il est saisi dans des placements comportant le niveau de risque, aussi minime fut-il à l’époque pertinente, que pouvait comporter le papier commercial.
[…]
[74] Ce n’est pas aux créanciers de Weinberg de supporter l’effondrement du marché secondaire ou primaire du papier commercial. Le législateur l’a spécifiquement prévu à l’article 1343 C.c.Q.[4]
[29] Le Juge analyse ensuite « les normes réglementaires sur la comptabilité en fidéicommis des huissiers de justice[5] » dont les dispositions suivantes :
Art. 6. L'huissier doit, dès que possible, déposer dans un compte général en fidéicommis ouvert à son nom dans une institution financière autorisée à recevoir des dépôts, toute somme d'argent ou effet de commerce perçu pour le compte d'autrui ou qui lui est remis à titre d'avance ou qui lui est fourni comme garantie en sa qualité d'officier saisissant.
[…]
Art. 9. L’huissier ne doit retirer du compte général en fidéicommis que l’argent à remettre à une partie et l’argent qui est transféré directement dans un compte spécial en fidéicommis conformément à l’article 11.
[…]
Art. 11. Lorsque les parties le requièrent, ou à la suite d’un ordre du tribunal, les sommes d’argent peuvent être déposées ou transférées dans un compte spécial en fidéicommis, en y indiquant le nom des parties pour lesquelles le compte est ainsi ouvert. L’article 8 du présent règlement s’applique à l’ouverture d’un tel compte.
[30] Le Juge retient que le règlement va dans le même sens que l’article 1341 du C.c.Q. et que la même conclusion de non-respect s’impose dans les deux cas. Il écrit :
[77] L’huissier ne doit retirer du compte général en fidéicommis que l’argent à remettre à une partie et l’argent qui est transféré dans un compte spécial, conformément à l’article 11 du même Règlement.
[…]
[79] Percevant des sommes d’argent, l’huissier n’a aucune autre alternative que de les déposer dans une institution autorisée à recevoir des dépôts. Encore là, faut-il le préciser à nouveau, FBN n’est pas l’une de ces institutions autorisées à recevoir ou solliciter des dépôts d’argent du public.
[80] Ce n’est que lorsque les parties le requièrent, ou à la suite d’un ordre du Tribunal, que les sommes d’argent perçues peuvent être déposées ou transférées dans un compte spécial en fidéicommis. En l’instance, il n’y a eu aucune demande particulière des parties d’ouvrir un compte spécial. Aucun ordre du Tribunal ne l’a autorisé. Tout au plus, les avocats de ADR Capital ont souhaité que le produit de la vente rapporte des intérêts.
[81] À raison, les avocats des huissiers ont soutenu à l’audience qu’une digression au Règlement ne constitue pas nécessairement une faute civile. Mais elle peut en être une, tout dépend du contexte.
[31] Et le Juge de conclure formellement dans le dispositif du jugement :
[86] DECLARE that Respondents did not conserve the proceeds of sale referred to in the Schemes of Collocations (Exhibits R-2 and R-3 to Petionners’ motion) in accordance with the applicable provisions of law, namely article 910.3 C.C.P., article 1341 C.C.Q. and ss. 6 and following of the Regulation Respecting Trust Accounts by Bailiffs and the Indemnity Fund of the Chambre des huissiers de justice du Québec, R.Q. c. C-26, r. 98.1.2; *
_____________
* Pour éviter toute distorsion de langage, le dispositif sera rendu en anglais, selon les conclusions de la requête.
[32] Cette conclusion du non-respect de leurs obligations n’est pas attaquée par les Appelants. L’eût-elle été qu’elle aurait été confirmée. La démonstration du Juge est convaincante : la loi ne permettait pas aux Appelants de placer la somme à conserver dans les Pcaa.
* * *
La thèse des Appelants
[33] La thèse des Appelants est que la conclusion des jugements d’homologation – les 1er et 2e – leur ordonnant de distribuer et « payer » aux créanciers les sommes colloquées doit « s’interpréter comme ne s’appliquant qu’à la distribution des produits des ventes des propriétés de Weinberg ». Et encore : « … [le Juge] ne pouvait conclure à l’obligation personnelle de [la Société] personnellement [sic] de payer à Cinar le produit des ventes en justice ».
[34] Les Appelants soutiennent que l’obligation de distribuer et « payer » et la condamnation du jugement qui la sanctionne sont « non personnelles », c’est-à-dire non exécutoires contre leurs biens propres, mais faut-il comprendre, seulement contre les biens détenus en fidéicommis pour les créanciers en faveur de qui la condamnation est prononcée.
[35] En quelque sorte, Adr et Cinar n’ont de droit que sur les Pcaa, et par la force des choses, seulement lorsqu’ils seront liquidés et à hauteur de leur valeur le temps venu.
[36] Pourtant l’état de collocation préparé en février 2007 par les Appelants, après l’effondrement des Pcaa, illustre bien que leur obligation demeure celle de payer diverses sommes et non de partager les Pcaa qui y ont été substitués :
…nous, huissiers, distribuerons le produit de la vente trente (30) jours après cette notification, le tout en vertu de l’article 910.2 et 910.3 C.p.c…
Produit de la vente
2 800 000,00 $
[…]
3) À Cinar […] :
[…]
69 773,78 $
[37] Selon cette logique, si les créanciers veulent plus qu’une condamnation qui soit exécutoire contre tous les biens des Appelants, ils doivent procéder par une action en dommages-intérêts contre eux. Et ce, bien sûr, avec le fardeau de prouver la faute, le dommage et le lien de causalité et en suivant la procédure ordinaire, avec les appels en garantie déjà annoncés par les Appelants contre leur assureur et contre la Bnc et la Fbn. Tout un nouveau procès.
[38] Les Appelants vont jusqu’à soutenir dans leur exposé qu’ils auront alors le droit de contester la qualité de créancier de Cinar « puisque le préjudice hypothétique de Cinar dépendra de la preuve de ce qui lui était dû par Weinberg ». Étonnant (!) que la personne désignée pour vendre sous contrôle de justice les biens d’un débiteur puisse refuser de remettre le prix de vente aux créanciers en contestant leur qualité reconnue par le jugement d’homologation.
[39] Notons au passage que l’obligation des Appelants s’apparente étroitement à celle du dépositaire à qui le Code civil interdit « d’exiger du déposant la preuve qu'il est propriétaire du bien déposé; il ne peut l'exiger, non plus, de la personne à qui le bien doit être restitué » (Art. 2284).
[40] Les Appelants plaident aussi que le jugement initial ne visait que Perron et non la Société et ses associés; en conséquence seul celui-là doit aujourd’hui payer les créanciers et la condamnation de ce faire adressée aux sept autres Appelants doit être cassée.
L’analyse
[41] À mon avis, les Appelants ont tort.
[42] Mon analyse se divise en quatre points :
a) la source de l’obligation des Appelants de payer les créanciers;
b) « De l’impossibilité d’exécuter l’obligation »;
c) la preuve nouvelle soumise par Adr et Cinar;
d) la Société et les associés sont visés par l’ordre de payer.
* * *
a) La source de l’obligation des Appelants de payer les créanciers
[43] C’est une évidence que celui qui perçoit pour autrui doit lui remettre ce qu’il a reçu pour lui. L’administrateur du bien d’autrui doit remettre « tout ce qu’il a reçu dans l’exécution de ses fonctions, même si ce qu’il a reçu n’était pas dû au bénéficiaire » (C.c.Q., art.1366). Le mandataire « est tenu de remettre au mandant tout ce qu’il a reçu » (C.c.Q., art. 2184). Il en est de même du dépositaire qui est tenu de « restituer au déposant le bien déposé », ou la chose reçue « en remplacement » de ce bien, y compris « les fruits et revenus perçus » (C.c.Q., art. 2285, 2286 et 2287).
[44] La réception du prix d’une « vente sous contrôle de justice » crée ipso facto l’obligation de le distribuer aux créanciers suivant l’ordre de collocation à venir. La distribution est le but de l’exercice, elle est d’ailleurs expressément prévue au jugement initial.
[45] C’est là le fondement du droit de Cinar et d’Adr d’exiger paiement des Appelants, lequel n’a rien à voir avec le fait qu’ils auraient commis une faute professionnelle par le placement du prix de vente en Pcaa.
[46] Il en est autrement des sommes additionnelles auxquelles Cinar et Adr prétendent avoir droit. Les conclusions de leurs requêtes pour homologation prévoient de « réserver leur droit à l’intérêt » et de « réserver leur recours en dommages-intérêts ». Une fois payées les sommes colloquées, les Appelants seront dégagés de leur obligation première, mais peut-être sont-ils responsables d’une obligation plus étendue, fondée sur la responsabilité civile, c’est un autre débat.
[47] Ajoutons que distribuer c’est payer. Ainsi, le Code de procédure prévoit que, s’il n’y a qu’un seul créancier, « l’officier-saisissant paie au créancier les sommes d’argent saisies… » (art. 613) et s’il y en a plusieurs, il « procède à la distribution des sommes d’argent » (art. 614). La « distribution des deniers » est une expression vieillie mais elle a toujours signifié que les créanciers étaient enfin payés. La redondance n’était toutefois pas inutile dans les jugements attaqués, compte tenu de l’argument sémantique des Appelants.
[48] À mon avis, les 1er et 2e jugements attaqués qui ordonnent aux Appelants de « payer » les créanciers colloqués sont bien fondés.
[49] Selon les Appelants, cette condamnation n’est pas exécutoire sur leurs biens propres, mais seulement sur le produit de la vente, et donc ici, sur les Pcaa et sur nul autre bien des Appelants. C’est leur thèse d’une obligation « non personnelle ».
[50] Cette façon de voir est à mon avis erronée. Il n’y a pas de raison de limiter ainsi la portée du jugement.
[51] Un – les Appelants ne sont pas des représentants ou des mandataires qui n’engagent que leur représenté ou leur mandant par leurs actes accomplis ès qualités. Ici les Appelants ont agi certes au bénéfice des créanciers, mais non en leurs noms; en acceptant de procéder à la vente sous contrôle de justice, ils se sont engagés eux-mêmes et la condamnation ne vise personne d’autre.
[52] Deux – bien que les sommes reçues soient déposées en fidéicommis, il n’y a tout de même pas eu création d’une fiducie – « un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du contribuant, du fiduciaire ou du bénéficiaire » (C.c.Q., art. 1261) –, auquel cas le jugement n’aurait été exécutoire que contre les biens de celle-ci.
[53] Trois – la Loi sur les huissiers ne crée pas d’immunité en faveur des huissiers ni ne limite les droits de leurs créanciers d’exécuter les jugements prononcés contre eux.
[54] Quatre – il n’existe pas en droit de distinction entre deux catégories d’obligation, la première dite « personnelle » et la seconde « non personnelle » – suivant le vocabulaire des Appelants – différentes de nature, de sorte que les premières soient exécutoires contre tous les biens de l’obligé et les secondes contre certains biens seulement, sauf peut-être l’exception contractuelle qui suit l’énoncé du principe général dans la disposition suivante du Code civil :
Art. 2645. Quiconque est obligé personnellement[[6]] est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens meubles et immeubles, présents et à venir, à l'exception de ceux qui sont insaisissables et de ceux qui font l'objet d'une division de patrimoine permise par la loi.
Toutefois, le débiteur peut convenir avec son créancier qu'il ne sera tenu de remplir son engagement que sur les biens qu'ils désignent.
[55] L’obligation des Appelants de payer les créanciers colloqués constitue une obligation ordinaire, une obligation à laquelle ils sont tenus sur tous leurs biens selon l’article 2644 C.p.c. :
Art. 2644. Les biens du débiteur sont affectés à l'exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.
[56] Le jugement qui condamne les Appelants à payer vient sanctionner cette obligation et s’inscrit dans le cadre de la procédure sommaire et rapide – par requête entendue d’urgence – prévue aux articles 564 et 576 C.p.c. déjà cités ci-dessus.
[57] Il est impensable que la personne désignée pour une vente sous contrôle de justice ne puisse être contrainte à payer les créanciers colloqués que par une nouvelle action de leur part, intentée et menée selon la procédure ordinaire, comme si le jugement initial et le jugement d’homologation n’existaient pas et qu’il faille tout reprendre à zéro.
[58] En matière d’exécution de jugement, en faillite ou dans les cas d’arrangement avec les créanciers, le tribunal joue un rôle proactif pour que les choses se déroulent rondement et sans délai indu. L’expression « vente sous contrôle de justice » dit bien ce qu’elle veut dire.
[59] La condamnation à payer était fondée et Adr et Cinar pouvaient en forcer l’exécution. C’est donc avec raison que le Juge a confirmé la validité des saisies-arrêts par le 3e jugement :
Sauf et à l’exception des comptes de banque en fidéicommis, la requérante n’a pas convaincu le Tribunal des motifs justifiant la cassation ou l’annulation des saisies-arrêts pratiquées à la Banque nationale du Canada et auprès des assureurs des huissiers.
[60] Adr et Cinar ont toutefois agi avec précipitation en ne respectant pas les délais du Code de procédure pour l’exécution forcée des jugements :
Art. 568. Le jugement qui condamne à payer une somme d’argent n’est pas exécutoire avant l’expiration du délai d’appel; s’il n’est pas susceptible d’appel ou a été rendu par défaut de comparaître ou de plaider, il devient exécutoire après l’expiration de dix jours à compter de sa date.
[…]
[61] Le Juge a cependant pallié cette absence de délai en tempérant son jugement pour permettre aux Appelants de se faire entendre avant d’être contraints de payer, tel qu’expliqué ci-après.
* * *
b) « De l’impossibilité d’exécuter l’obligation »
[62] En effet, dans le même jugement, le Juge a exprimé une réserve relative à l’obligation de payer des Appelants. Elle fait suite à l’alinéa cité ci-dessus :
Sous réserve d’une audition plus élaborée eu égard à l’application de l’article 1341 C.c.Q., le Tribunal est d’avis que pour l’heure les saisies sont bien fondées.
[63] Le débat sur cette réserve a donné le 4e et principal jugement attaqué.
[64] Rappelons l’obligation de la personne désignée relative à la conservation du prix de vente, qui se trouve à la section « des règles particulières à la vente sous contrôle de justice » du Code de procédure civile, avec renvoi au Code civil :
C.p.c.: Art. 910.3. Si, 30 jours après la notification du projet d'état de collocation, il n'y a pas eu de contestation, la personne qui a dressé le projet doit distribuer le produit de la vente comme il est prévu au projet.
Jusqu'à la distribution, le produit de la vente doit être conservé de la manière prévue à l'article 1341 du Code civil.
[…]
C.c.Q. : Art. 1341. L'administrateur peut déposer les sommes d'argent dont il est saisi dans une banque, une caisse d'épargne et de crédit ou un autre établissement financier, si le dépôt est remboursable à vue ou sur un avis d'au plus 30 jours.
Il peut aussi les déposer pour un terme plus long si le remboursement du dépôt est pleinement garanti par l'Autorité des marchés financiers; autrement, il ne le peut qu'avec l'autorisation du tribunal, aux conditions que celui-ci détermine.
[65] Le lien entre la requête en annulation des saisies et l’article 1341 C.c.Q. est à la section V du Chapitre « De l’extinction de l’obligation » qui traite « De l’impossibilité d’exécuter l’obligation » et qui édicte la règle :
Art. 1693 : Lorsqu'une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d'une force majeure et avant qu'il soit en demeure, il est libéré de cette obligation; il en est également libéré, lors même qu'il était en demeure, lorsque le créancier n'aurait pu, de toute façon, bénéficier de l'exécution de l'obligation en raison de cette force majeure; à moins que, dans l'un et l'autre cas, le débiteur ne se soit expressément chargé des cas de force majeure.
La preuve d'une force majeure incombe au débiteur.
[66] L’obligation de payer sanctionnée par les 2e et 3e jugements s’est-elle éteinte par l’impossibilité pour les Appelants de l’exécuter, comme ils l’allèguent dans leur requête :
13. Depuis le 17 mars 2008, une ordonnance de la Cour supérieure de l’Ontario, en vertu de la Loi sur les Arrangements avec les Créanciers des Compagnies, empêche toute transaction sur ce papier commercial [les Pcaa] et tout retrait de la somme investie, tel qu’il appert de la copie de l’ordonnance rendue, […]
14. Invoquant cette ordonnance, Banque Nationale du Canada et Financière Banque Nationale refusent de remettre ces sommes dans le compte en fidéicommis de Paquette et Associés;
[…]
18. Les requérants sont dans l’impossibilité en faits et en droit de remettre les sommes prévues aux états de collocation à Cinar et ADR Capital inc.;
[67] Bien sûr, les Appelants sont en un sens incapables de payer depuis le gel des Pcaa. Mais pour que cette impossibilité équivaille à force majeure et les libère de leur obligation, encore faut-il qu’ils ne soient aucunement les artisans de leur propre malheur. Je m’explique.
[68] Dans les échanges à l’audience, l’hypothèse a été invoquée d’un huissier qui reçoit trois cent dollars comptant d’un débiteur et qui sur le chemin du retour se fait assommer et dépouiller? doit-il en outre payer cette somme de sa poche?
[69] Le bon sens nous incite à répondre par la négative et le Code civil le prévoit par la règle ci-dessus citée de l’impossibilité d’exécuter l’obligation.
[70] Les Appelants sont-ils dans la même situation que le pauvre huissier? ont-ils été assommés et dépouillés par le désastre des Pcaa? peuvent-ils invoquer la force majeure pour ne pas avoir à payer les créanciers Intimés?
[71] « Force majeure » ou plus précisément une « cause étrangère qui présente les mêmes caractéristiques »[7] :
2737. Assimilation de la cause étrangère. L’article [1470 C.c.Q.] étend les effets de la force majeure à la cause étrangère qui présente les mêmes caractéristiques d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. La cause étrangère inclut essentiellement l’intervention d’une tierce personne ou du créancier de l’obligation inexécutée.
[72] Traitant des caractéristiques d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure, ces auteurs y ajoutent aussi l’extériorité[8] :
2735. Extériorité. Si la définition législative de la force majeure se limite aux exigences d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, la doctrine soutient que la force majeure doit aussi être un événement extérieur. Par la nécessité de cette extériorité, on entend s’assurer de l’absence de tout contrôle du débiteur sur l’événement à l’origine de l’impossibilité d’exécution. […]
2736. […] l’extériorité consiste alors dans la non-participation du débiteur à la survenance de l’événement – indépendant donc de sa volonté*. Le critère d’extériorité est alors lié au manque de contrôle sur l’événement et à ses conséquences. En ce sens, il n’est assurément qu’un facteur de l’irrésistibilité ou de l’inévitabilité.
[Mon soulignement]
______________
* Antonmattei (1992), no 49, p. 59. Voir l’article 79 de la Convention de Vienne, qui dispose : « Une partie n’est pas responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté […]
[73] Pour réussir à être libérés de leur obligation et faire annuler les saisies-arrêts, les Appelants devaient démontrer leur « non-participation à la survenance de l’événement », ce qui n’est pas le cas, vu leur implication par le placement non autorisé.
[74] L’argument de l’impossibilité d’exécuter rejeté, la réserve exprimée au 3e jugement disparaît, les Appelants demeurent condamnés à payer et les saisies sont valables. On est dans la même situation que celle prévue par le dernier alinéa de l’article 1343 C.c.Q.[9] qui rend l’administrateur du bien d’autrui responsable de la perte occasionnée par le « seul fait » d’un placement non autorisé.
c) La preuve nouvelle soumise par Adr et Cinar
[75] Adr et Cinar demandent l’autorisation de déposer une preuve nouvelle qui touche à la question de l’impossibilité d’exécuter, soit une décision du juge ontarien en charge du dossier des Pcaa dans le cadre de la Loi sur les arrangements, celui qui a rendu le jugement invoqué par les Appelants dans leur requête en annulation des saisies-arrêts :
13. Depuis le 17 mars 2008, une ordonnance de la Cour supérieure de l’Ontario, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, empêche toute transaction sur ce papier commercial et tout retrait de la somme investie, tel qu’il appert de la copie de l’ordonnance rendue…
[76] Dans cette décision ultérieure, le juge précise la portée de son ordonnance sur les Pcaa par rapport aux droits des parties. La décision est courte et éclairante, il est opportun d’en reproduire ici un extrait :
[3] In February 2008, when the contestations were settled and the moving parties [Adr et Cinar] sought payment of the sums owed to them held by the bailiff [Appelants], they were advised that the sums could not be paid as the ABCP that was purchased could not be liquidated.
[4] The position of the bailiff before this Court is that the Release granted as part of the Sanction Order should extend to the claims of the moving parties on this motion.
[…]
[9] Ms. Waddell for [Cinar and Adr] submits that in context, the moving parties cannot be considered investors in the ABCP market in Canada. Neither Cinar nor ADR purchased ABCP notes. Whether the bailiff is a party entitled to do so is properly a matter of the Quebec Court.
[10] I agree with the submissions of Ms. Waddell. The parties who bargained for ABCP releases are those who could be sued by Noteholders. Since neither Cinar nor ADR bought notes nor had any dealings with National Bank Financial, it would be inequitable, to say the least, that they are precluded from pursuing a claim against the bailiff for failure to pay over amounts owing on a Court-ordered process.
[77] Les Appelants qui invoquaient le bénéfice de la « Release granted as part of the Sanction Order », comme il est mentionné au paragraphe 4 ci-dessus cité ne l’invoquent plus. Ils n’opposent pas vraiment de moyen au dépôt de la preuve nouvelle sinon qu’elle serait inutile ou non pertinente.
[78] Trop fort, casse pas. La preuve nouvelle élimine toute ambiguïté sur le fait que le gel des Pcaa ne modifie en rien le droit des créanciers d’être payés par les Appelants.
* * *
d) La Société et les associés sont visés par l’ordre de payer
[79] Le second moyen des Appelants est que le jugement initial qui ordonne la vente sous contrôle de justice ne vise que l’huissier Perron et non la Société, il serait donc le seul obligé à distribuer et « payer ».
[80] Ce moyen ne tient pas la route. L’ordre était aussi adressé à la Société, laquelle a activement participé à son exécution. C’est même la Société qui a décidé du placement en Pcaa.
[81] Le jugement initial ordonnait le délaissement de l’immeuble et précisait quant à sa vente :
[15] DESIGNATES as the person authorized to: (i) proceed with the sale of the Immovables, by private agreement; (ii) sign the notarial deed of sale, (iii) prepare the scheme of collocation and the distribution of funds received and (iv) accomplish all other steps relating to the sale of the Immovable Properties, Mr. André Perron, bailiff, or any other bailiff exercising his profession with the firm Paquette & Associates;
[82] Notons que parmi les « all other steps » se trouve celui de la conservation du prix de vente (C.p.c., art. 910.3) si la distribution tarde.
[83] Le jugement fixe en outre les diverses modalités de la vente, dont la suivante qui implique directement la Société :
[18] DECLARES that the sales shall be made by notarial deed, without legal warranty and for cash at the minimum prices stipulated herein below and further subject to the following conditions of sale:
[…]
The transfer of the Immovable Properties will not take place until the sales price and all applicable taxes have been paid in their entirety to Paquette & Associates in Trust and the Purchaser shall only take possession of the Immovable Properties at such time;
[…]
[84] Adr et Cinar expliquent la désignation d’un huissier en particulier – « … Mr. André Perron, bailiff… » – par le fait que la Société n’a pas de personnalité juridique et ne peut donc signer un contrat. Sans vider le point, l’argument paraît valable et la prudence commandait cette précaution suggérée par les créanciers et acceptée par le Juge.
[85] Puis le prix de vente est déposé dans le compte en fidéicommis de la Société qui, dès lors, doit en assurer la conservation.
[86] Le lien intime entre la Société et son employé Perron est reflété par l’exception à l’obligation faite à celui-ci d’ouvrir son propre compte en fidéicommis :
6. L’huissier doit, dès que possible, déposer dans un compte général en fidéicommis ouvert à son nom dans une institution financière autorisée à recevoir des dépôts, toute somme d’argent ou effet de commerce perçu pour le compte d’autrui ou qui lui est remis à titre d’avance ou qui lui est fourni comme garantie en sa qualité d’officier saisissant.
Toutefois, le premier alinéa ne s'applique pas:
1° […]
2° à un huissier qui remet les sommes perçues ou prélevées à la société d'huissiers où il exerce ses fonctions.
[87] Par la suite, la Société est maître de la situation et, encore une fois, c’est elle qui opte pour le placement en Pcaa.
[88] La Société est encore impliquée dans la préparation de l’état de collocation fait en son nom :
Nous, huissiers de justice, demandons […] S’il n’y a eu aucune contestation […] nous huissiers, distribuerons le produit de la vente trente (30) jours après cette notification, le tout en vertu de l’article 910.2 et 910.3 C.p.c.
et signé :
André Perron
Huissier instrumentaire
Étude Paquette & Associés, s.e.n.c.
[89] Dans leur requête en annulation des saisies-arrêts, où tous les Appelants sont requérants, ils reconnaissent les faits :
7. … les sommes ont été gardées par [la Société].
8. … [la Société a] placé les sommes… pour que de l’intérêt soit accumulé…
[…]
14. [Le jugement d’homologation ordonne] aux requérants de distribuer et payer les sommes prévues aux états de collocation…
[…]
17. …les requérants ont entrepris des démarches pour respecter l’ordonnance…
18. Les requérants sont dans l’impossibilité en faits et en droit de remettre les sommes prévues aux états de collocation…
[90] Notons que les Appelants paraissent bien acquiescer aux deux jugements d’homologation en reconnaissant avoir « entrepris des démarches pour [les] respecter », malgré leur requête subséquente fondée sur l’impossibilité de les exécuter.
[91] À mon avis, la Société est visée directement par le jugement initial de vente sous contrôle de justice, tout au moins pour la conservation du prix de vente et sa distribution, soit les obligations sanctionnées par les 1er et 2e jugements attaqués dont l’exécution forcée est confirmée par le 3e.
[92] La Société étant obligée, les associés le sont également selon les modalités d’exécution du Code civil, que le Juge pourra être appelé à appliquer éventuellement :
Art. 2221 À l'égard des tiers, les associés sont tenus conjointement des obligations de la société; mais ils en sont tenus solidairement si les obligations ont été contractées pour le service ou l'exploitation d'une entreprise de la société.
Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement contre un associé qu'après avoir, au préalable, discuté les biens de la société; même alors, les biens de l'associé ne sont affectés au paiement des créanciers de la société qu'après paiement de ses propres créanciers.
* * *
En résumé
[93] Le jugement initial – depuis longtemps irrévocable – comprenait déjà l’ordre de distribuer le prix de vente une fois la collocation des créanciers homologuée.
[94] Les 1er et 2e jugements attaqués étaient nécessaires pour l’homologation de l’état de collocation. La condamnation à « payer » les créanciers colloqués rappelle et actualise l’obligation inhérente à la réception du prix de vente.
[95] La condamnation est adressée à tous les Appelants, à Perron comme à la Société et aux associés qui la composent.
[96] Les obligations de la personne désignée pour procéder à une vente sous contrôle de justice, comme celles de l’administrateur du bien d’autrui, constituent des obligations ordinaires et non des obligations « non personnelles » au sens de la thèse des Appelants. Le jugement qui les sanctionne est exécutoire, comme tout jugement, sur tous les biens du défendeur condamné.
[97] L’extinction de l’obligation pour cause d’impossibilité de l’exécuter en raison d’une force majeure ne trouve pas application ici du fait de la participation des Appelants à la survenance de l’événement.
[98] En conséquence, le Juge a eu raison de refuser l’annulation des saisies-arrêts – les 3e et 4e jugements – qui doivent suivre leur cours.
[99] À mon avis, les quatre jugements attaqués sont bien fondés et les quatre appels doivent être rejetés, avec dépens.
[100] Le débat avec l’assureur des Appelants reste à faire. Le gel inattendu des Pcaa constitue-t-il un sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur? La contestation de la saisie-arrêt pratiquée entre leurs mains permettra de trancher la question dans le cadre de l’exécution des jugements, selon la procédure d’urgence qui est de règle en pareille matière (C.p.c., art. 564 et 576).
[101] Le Juge a aussi noté la bonne foi des Appelants, avec raison :
[83] Bien sûr, la situation inattendue générée par l’effondrement du marché lié au papier commercial suscite l’empathie et la sympathie du Tribunal envers les huissiers. Toutefois, un fait demeure incontournable et évident, ceux-ci, malgré leur bonne foi, ont transgressé la disposition impérative de l’article 1341 C.c.Q. […]
[102] Les Appelants sont parmi les nombreuses victimes d’une « situation qui a permis à un placement jugé aussi sûr que des obligations gouvernementales et mal compris de devenir impossible à liquider »[10].
[103] Je suis d’avis d’autoriser le dépôt par les Intimés du jugement ontarien du 22 juillet 2008 et de rejeter, avec dépens, les quatre appels.
PAUL VÉZINA, J.C.A.
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[1] Pour alléger le texte, je traite de « son immeuble » bien qu’il y en eût deux.
[2] Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 8e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2000 : « Condamnation : … toute décision de justice faisant obligation à un plaideur de verser une somme d’argent… ».
[3] Voir le jugement du 1er août : « [34] Lors de la première audience, celle du 23 mai 2008, les huissiers ont aussi présenté un moyen d’irrecevabilité qui fut rejeté séance tenante. Paquette n’a pas interjeté appel de ce jugement. À lire la transcription, on en comprend que les huissiers étaient même d’accord avec le principe d’une requête pour jugement déclaratoire. »
[4] Les énoncés aux paragraphes 58 et 61 ci-dessus cités restreignent quelque peu l’interprétation de l’article 1341 dont chacun des alinéas permet un dépôt de plus de 30 jours pourvu qu’il soit « remboursable sur un avis d’au plus trente jours » sinon, pourvu que le « remboursement en soit pleinement garanti par l’Autorité des marchés financiers ». La nuance est toutefois sans conséquence ici.
[5] Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des huissiers de justice et sur le fonds d’indemnisation de la Chambre des huissiers de justice du Québec, c. C-26, r. 98.1.2.
[6] « Personnellement » par opposition à « réellement », sans rapport avec l’obligation dite « non personnelle » selon la thèse des Appelants.
[7] Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Les Éditions Thémis inc., 2006.
[8] Ibid.
[9] C.c.Q., « Art. 1343. L'administrateur qui agit conformément aux dispositions de la présente section est présumé agir prudemment.
L'administrateur qui effectue un placement qu'il n'est pas autorisé à faire est, par ce seul fait et sans autre preuve de faute, responsable des pertes qui en résultent. »
[10] LaPresseAffaire.com, 12 janvier 2009, 12 h 55, Avec Bloomberg, citant l’avocat Purdy Crawford qui a dirigé le Comité spécial sur la restructuration des Pcaa.