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Québec (Procureur général) c. St-Pierre

no. de référence : 200-10-002288-087

COUR D’APPEL



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE




QUÉBEC

N° :


200-10-002288-087

(250-01-015588-071) (250-01-015589-079) (250-01-015592-073)

(250-01-015593-071) (250-01-015594-079) (250-01-015790-073)

(250-01-015826-075) (250-01-015831-075) (250-01-015860-074)

(250-01-016094-079) (250-01-016199-076) (250-01-016223-074)

(250-01-016345-075) (250-01-016351-073) (250-01-016372-079)

(250-01-016582-073) (250-01-015924-078) (250-01-015978-074)



DATE :


Le 22 juillet 2009





CORAM :


LES HONORABLES


ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.





PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT – Intimé

c.



JEAN ST-PIERRE

JACQUES SYLVAIN

STEVE SYLVAIN

GINO NADEAU

DANIEL ROY

ÉRIC LÉVESQUE

CHRISTIAN LAVOIE

PETER GAGNON

STEEVE OUELLET

JACQUES GAGNÉ

JASMIN PELLETIER

MÉLANIE DESCHÊNES

RÉJEAN BOSSÉ

LILIANNE BLAIS

JEAN-GUY ASSELIN

DENIS DUBÉ

GILBERT NADEAU

INTIMÉS – Requérants – Accusés





ARRÊT






[1] LA COUR; - Statuant sur l'appel de trois jugements prononcés le 28 août 2008 par l'honorable Gérald Laforest (Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Kamouraska) qui a accueilli les requêtes des intimés et a suspendu les procédures afin que l'appelant leur assure les services d'un avocat rémunéré par l'État;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Brossard et Hilton;

[4] DÉCLARE sans objet la requête de Jean-St-Pierre et REJETTE l'appel.













ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.














ALLAN R. HILTON, J.C.A.














FRANÇOIS DOYON, J.C.A.



Me Pascal Painchaud

Me Jean-François Paré

Me Philippe Vallières-Roland

Chamberland, Gagnon

Pour l'appelant Procureur général du Québec



Me Lida Sara Nouraie

Desrosiers, Turcotte, Joncas Massicotte

Pour l'intimé Jean St-Pierre



Me Guy Quirion

Pour les intimés Jacques Sylvain, Steve Sylvain, Gino Nadeau et Daniel Roy



Me Roland Roy

Pour l'intimé Éric Lévesque



Me Yves Desaulniers

Desaulniers, Ouellet

Pour l'intimé Christian Lavoie



Me Martial Fillion

Pour l'intimé Peter Gagnon



Me Walid Hijazi

Desrosiers, Turcotte, Joncas Massicotte

Pour l'intimé Steeve Ouellet



Me Véronique Robert-Blanchard

Roy et Robert, avocats

Pour l'intimé Jacques Gagné



Me Jocelyn Grenon

Bachand, Grenon, Avocats

Pour l'intimé Jasmin Pelletier



Me Bruno-Gabriel Vargas

Pour l'intimée Mélanie Deschênes



Me Éric Coulombe

Pariseau Olivier

Pour l'intimé Réjean Bossé



Me Lise Rochefort

Pour l'intimée Lilianne Blais



Me Richard Gosselin

Gaulin, Croteau, Gosselin, Daigle et associés

Pour l'intimé Jean-Guy Asselin



Me Jacqueline Anciaes

Pour l'intimé Gilbert Nadeau



Date d’audience :


Le 12 mai 2009










MOTIFS DU JUGE DOYON





[5] Selon la théorie de la poursuite, une vaste opération policière a permis le démantèlement d’un réseau de trafiquants de stupéfiants qui opéraient dans plusieurs régions du Québec et au Nouveau-Brunswick. Le 23 mai 2007, 110 personnes ont été arrêtées, dont les 17 intimés.

[6] Ces derniers ont présenté au juge de première instance, qui présidera le procès, trois requêtes de type Rowbotham, du nom de l'arrêt prononcé par la Cour d'appel d'Ontario, R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1, en vue de forcer l'État à défrayer les honoraires de leurs avocats. L'une des requêtes a été présentée par Mélanie Deschênes, l'autre par Christian Lavoie et la troisième par les quinze autres intimés. Ils recherchaient tous la « suspension d'instance » et la « majoration des honoraires versés par l'État » en se fondant sur les articles 7, 10, 11 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Le juge de première instance a accueilli en partie ces requêtes, a suspendu les procédures et a ordonné à l'appelant, entre-temps, « d'assurer aux [intimés] les services d'un avocat rémunéré par l'État ».

[7] L'appelant a été autorisé à se pourvoir contre ces trois jugements.
Le contexte

[8] Les techniques d’enquête utilisées par les policiers dans le présent dossier sont multiples : agents civils d’infiltration, agents doubles, écoute électronique, surveillance physique (filature) et perquisitions. Certains des intimés auraient aussi fait des déclarations à la suite de leur arrestation.

[9] Le volume de conversations téléphoniques interceptées est considérable, s’agissant de plus de 100 000 entretiens reproduits sur 250 cédéroms (un tri pour fin de présentation de la preuve a cependant réduit à 1 818 le nombre de conversations retenues). Un programme informatique a été confectionné afin de permettre de retracer plus facilement les conversations qui sont pertinentes à un accusé ou à un autre.

[10] Une dénonciation conjointe a été portée contre 56 accusés, dont 15 des intimés. De plus, des dénonciations distinctes ont été déposées contre Steeve Ouellet et Denis Dubé, alors que des dénonciations supplémentaires ont également été portées contre plusieurs des autres intimés.

[11] Les principales accusations sont : complot, trafic de stupéfiants, trafic de stupéfiants au profit, en association ou sous la direction d’une organisation criminelle, production de stupéfiants et possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic.

[12] Tous les intimés ont reçu une attestation d'admissibilité au régime de l'aide juridique, mais trois d'entre eux devront toutefois verser une contribution pour y avoir droit.

[13] Il appert qu'aucun avocat permanent oeuvrant au sein des Centres communautaires juridiques limitrophes à la région où se tiendra le procès n'est disponible pour représenter les intimés. Ces derniers ont donc été dans l'obligation de rechercher les services d'avocats de pratique privée qui pourraient les représenter au tarif prévu à la Loi sur l’aide juridique, L.R.Q., c. A-14 (la L.a.j.). Aucun n'a accepté.

[14] C'est dans ce contexte que les intimés ont présenté leurs requêtes.
Les jugements

[15] Le juge de première instance a prononcé trois jugements puisque trois requêtes avaient été débattues devant lui.

[16] Le premier porte sur la requête conjointe présentée par les quinze intimés et les deux autres concernent les requêtes de Mme Deschênes et M. Lavoie. Je débuterai par le premier puisque les deux autres sont essentiellement similaires.

[17] Quoiqu'il ait permis à la poursuite de présenter une preuve susceptible de contester l'état d'indigence dont se réclamaient les intimés, état qui doit être établi dans le cadre d'un tel débat, le juge de première instance a conclu que leur admissibilité à l'aide juridique créait une présomption irréfragable que la poursuite ne pouvait contrer. Il s'exprime ainsi :

Dans le cas présent, les requérants sont tous déclarés admissibles à l'aide juridique. Comme le mentionne la Cour d’appel, le tribunal n’est pas compétent pour se substituer au décideur aux termes de la Loi sur l’aide juridique et infirmer sa décision. Ainsi, l’état d’indigence des requérants est démontré.

[18] Dans cet extrait du jugement, le juge renvoie à l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans Québec (Procureur général) c. R.C. (2003), 13 C.R. (6th) 1, (ci-après R.C.), dont il citera plusieurs extraits.

[19] Le juge retient ensuite de la preuve qu’aucun avocat contacté par les intimés n’a accepté de les représenter au tarif de l’aide juridique. Il ajoute qu’aucun avocat permanent des Centres communautaires juridiques du Bas-St-Laurent-Gaspésie, de Québec et de la Côte-Nord n’est disponible pour représenter adéquatement les intimés. Cela démontre, à son avis, que le régime d’aide juridique ne peut répondre à leurs besoins particuliers.

[20] Il continue en constatant que le procès sera complexe en raison de la nature, du nombre et de la diversité des accusations, de la preuve que la poursuite entend présenter, du nombre d’accusés et des chefs d’accusation conjoints impliquant plusieurs d'entre eux. En outre, il précise que la nature des accusations et les peines sérieuses qui peuvent résulter de verdicts de culpabilité démontrent l'importance des intérêts en jeu. À son avis, il s’agit d’un cas « où il saute aux yeux que l’importance et la complexité de la cause ne permettent pas à un avocat raisonnablement compétent d’accepter un mandat d’aide juridique au tarif prévu à la réglementation ».

[21] Il termine en soulignant que les intimés ont un degré d’instruction variant du niveau de secondaire I à celui de secondaire V et qu’ils n’ont pas de connaissances du système judiciaire. Il ajoute que l’intimé Réjean Bossé croit, si cela est nécessaire, être en mesure de se défendre seul, mais il rejette cette hypothèse, au motif que la définition qu’il donne du gangstérisme le convainc qu’il n’a pas les connaissances requises et au motif que l'ensemble de la preuve établit qu'il n'est pas apte à assurer sa propre défense. Il ordonne donc la suspension des procédures en attendant que la question des honoraires soit réglée.

[22] En ce qui a trait à la requête de Mme Deschênes, le juge rappelle d'abord ne pas avoir le pouvoir de majorer les honoraires des avocats, contrairement à ce que suggère le titre de la requête. Cette remarque s'applique évidemment aux deux autres requêtes. Il prononce ensuite une ordonnance identique à la précédente, tout en précisant que Mme Deschênes a fait des études collégiales, ce qui ne change toutefois en rien sa conclusion selon laquelle les circonstances sont telles que l'État devra payer les honoraires de son avocat.

[23] Le résultat est le même en ce qui concerne M. Lavoie qui, comme tous les autres, n'a aucune connaissance en droit.
Les moyens d'appel

[24] L’appelant, qui demande à la Cour d’infirmer les trois jugements et de rejeter toutes les requêtes, soulève les moyens d'appel suivants :

1. Est-ce que le juge de première instance a erré en décidant que l’admissibilité au régime d’aide juridique des intimés équivaut à la démonstration de leur indigence aux fins d’une requête de type Rowbotham?

2. Dans le cas des intimés Christian Lavoie, Jean St-Pierre, Jacques Sylvain et Steve Sylvain, est-ce que le juge de première instance a erré en concluant qu’il y avait une violation appréhendée de leur droit à un procès équitable alors que la preuve a clairement démontré qu’ils étaient déjà représentés par avocat dans le cadre du présent dossier?

3. Est-ce que le juge de première instance a erré en concluant que les démarches effectuées par les intimés pour se trouver un avocat de pratique privée raisonnablement compétent au tarif de la Loi sur l’aide juridique étaient suffisantes dans les circonstances?

4. Est-ce que le juge de première instance a erré en refusant, au stade de l’analyse de la complexité des dossiers, de particulariser les dossiers des intimés?

[25] À ces quatre griefs, s'ajoute la nécessité d'appliquer les principes légaux à la situation de chacun des intimés. Voyons ce qu'il en est.
L'état d'indigence et le droit de la poursuite de le contester nonobstant l'attestation d'admissibilité à l'aide juridique
Le point de vue des parties

[26] L’appelant plaide que le juge de première instance a erré en omettant de distinguer le droit d’être représenté par un avocat rémunéré par l’État en vertu de la L.a.j. et le droit constitutionnel à un procès équitable qui peut, parfois, forcer l'État à défrayer les honoraires d'un avocat. Le juge aurait alors mal interprété les propos de la Cour dans R.C. relativement à l’absence de compétence pour un tribunal de se substituer au décideur de la L.a.j. De surcroît, l’appelant est d’avis que l'attestation d’admissibilité à l’aide juridique est insuffisante pour démontrer l'état d’indigence d'un accusé.

[27] Ensuite, l’appelant prétend que quatre des intimés ont dissimulé des biens dont la valeur serait telle que leur état d'indigence devrait, de toute façon, être remis en question. Il s'agit de Jean-Guy Asselin, Gilbert Nadeau, Jean St-Pierre et Steve Sylvain.

[28] Les intimés répliquent que le juge s’est correctement dirigé en droit. Selon eux, R.C. ne décide aucunement qu’un prévenu admissible à l’aide juridique doit présenter une quelconque preuve additionnelle quant à son état d’indigence. Ils soutiennent que la position de l’appelant invite à un dédoublement inutile de l’analyse de l’état d’indigence et que, si l’appelant voulait contester leur admissibilité à l’aide juridique et soumettre des éléments de preuve, il devait présenter une demande de révision aux autorités compétentes en vertu de la L.a.j. Ils ajoutent que R.C. a toujours été interprété comme l'a fait le juge de première instance, c’est-à-dire que l'attestation d’admissibilité à l’aide juridique fait preuve de l’état d’indigence du requérant qui présente une requête de type Rowbotham.
Le droit applicable

[29] L’objectif poursuivi par le régime d’aide juridique est inscrit à l’art. 3.1 L.a.j. :

Le régime d’aide juridique institué par la présente loi a pour objet de permettre aux personnes financièrement admissibles de bénéficier, dans la mesure prévue par la présente loi et les règlements, de services juridiques.

[30] L’aide juridique est accordée gratuitement ou moyennant une contribution financière du bénéficiaire, et ce, selon les limites prévues par l’art. 20 du Règlement sur l’aide juridique, c. A-14, r.0.2.

[31] Cette protection assure aux personnes démunies financièrement le droit à un avocat rémunéré par l’État, dans la mesure où elles satisfont aux critères légaux et réglementaires promulgués par l'État. Or, malgré l’existence de ce régime, il peut néanmoins surgir des situations où il s’avérera insuffisant pour assurer le respect des droits constitutionnels d’un accusé. C'est alors que la Charte entre en jeu.

[32] Bien que le droit à un avocat rémunéré par l’État ne soit pas explicitement mentionné à la Charte, il est néanmoins protégé dans certains cas par les art. 7 et 11d), lesquels prévoient que :

7. [Vie, liberté et sécurité] Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

11. [Affaires criminelles ou pénales] Tout inculpé a le droit :

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable; […]

[33] C’est d’ailleurs ce que le juge Rothman écrit dans R. c. Sechon (1995), 104 C.C.C. (3d) 554 (C.A. Qué.):

30 I am therefore satisfied that, although the right to counsel is not constitutionally guaranteed in express terms under the Charter, where the length or complexity of the proceedings or the circumstances of the accused are such that the accused would not obtain a fair trial without the assistance of counsel, counsel must be provided for him if he does not himself have the means to retain counsel. And where an accused, for whatever reason, is not represented by counsel at his trial, it is clear, as well, that the trial judge has a duty to provide reasonable assistance to the accused in the presentation of evidence and in putting his defences before the court.

[34] À l’occasion de R.C., la Cour s’est penchée sur le fondement du droit à un avocat rémunéré par l’État tel qu'il est protégé par la Charte :

110 D'entrée de jeu, une distinction s'impose entre (1) le droit d'être représenté par un avocat loyal et compétent, (2) le droit d'être représenté par l'avocat de son choix, (3) le droit statutaire d'être représenté par un avocat aux frais de l'État et (4) le droit constitutionnel d'être représenté par un avocat aux frais de l'État.

113 Le droit d'un prévenu indigent d'être représenté par un avocat rémunéré par l'État doit être considéré sous deux angles. Au Québec, la LAJ permet à une personne indigente de bénéficier de services juridiques lorsqu'elle est jugée admissible par l'autorité compétente. Dans cette éventualité, la LAJ prévoit que le bénéficiaire a le choix entre les services d'un avocat permanent à l'emploi d'un centre régional et ceux d'un avocat de pratique privée. En ce sens, la personne démunie jouit d'un droit statutaire à l'avocat de son choix, rémunéré par l'État. Cependant, ce droit n'est pas absolu. Il est sujet à certaines conditions énoncées à la LAJ qui peut nier ou restreindre ce droit. À titre d'exemple, le service professionnel requis peut être spécifiquement exclu; l'admissibilité de la personne démunie peut être refusée ou acceptée moyennant une contribution de sa part; le tarif des honoraires prévu par la LAJ et par le Règlement sur le tarif peut être jugé insuffisant par l'avocat de pratique privée retenu par le bénéficiaire.

114 Sous l'angle plus spécifique des pourvois dont la Cour est saisie, le droit constitutionnel du prévenu indigent de réclamer, à titre de réparation au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, une aide juridique distincte de celle de la LAJ, prend toute son importance. Dans ce contexte, le droit statutaire du prévenu à une aide juridique, selon les termes de la LAJ, doit être distingué de son droit constitutionnel d'être représenté par un avocat rémunéré par l'État, lequel est assujetti aux conditions examinées ci-après.

117 Dans la mesure où un procès pénal sur des infractions sérieuses met en péril, dans le contexte de l'article 7 de la Charte, la liberté et la sécurité psychologique du prévenu, il y a atteinte aux principes de justice fondamentale si ce dernier ne peut pas obtenir un procès équitable. Le droit à un procès équitable constitue un principe de justice fondamentale qui est spécifiquement garanti par l'article 11 d) de la Charte.

119 Un autre aspect des enjeux, non négligeable, concerne l'impact social du défaut de représentation adéquate et il mérite d'être souligné. Les coûts économiques et sociaux qu'engendre la tenue d'un nouveau procès, ordonné en raison d'une brèche dans le respect des garanties fondamentales, sont largement supérieurs à ceux qui sont requis pour assurer au prévenu un procès juste et équitable en première instance.

120 Comme la Charte n'impose pas à l'État une obligation constitutionnelle positive de fournir des services juridiques, il s'agit de déterminer dans quels cas il s'avère nécessaire, pour assurer la tenue d'un procès équitable, que le gouvernement rémunère les services d'avocat. Cette obligation se limite aux seules affaires pour lesquelles la représentation est essentielle à l'équité du procès. Il ne s'agit donc pas d'un droit constitutionnel absolu ou général, mais plutôt d'un droit limité dont l'existence est déterminée par les circonstances de l'espèce. C'est le principe qui se dégage de l'ensemble de la jurisprudence et qui a été réaffirmé dans Nouveau-Brunswick (ministre de la Santé) c. G(J). Dans cet arrêt, la Cour suprême a pris soin de souligner que l'article 7 de la Charte ne doit pas être interprété comme une disposition qui accorde le droit absolu à des services professionnels rémunérés par l'État dans tous les cas où la liberté et la sécurité d'une personne sont en jeu ou lorsque celle-ci n'a pas les moyens de payer les services d'un avocat.

121 Comme le juge en chef Lamer l'a précisé dans cette même affaire, l'absence de mention expresse d'un droit aux services d'un avocat rémunéré par l'État à l'alinéa 10b) de la Charte, qui garantit à une personne détenue ou arrêtée le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, n'empêche pas la reconnaissance d'un droit constitutionnel relatif ou limité à des services juridiques lorsque cela est essentiel à la sauvegarde de l'équité du procès. Pour le juge en chef Lamer, cette omission signifie tout au plus qu'il faut éviter d'interpréter l'article 7 de la Charte comme une disposition qui confère au prévenu le droit absolu aux services d'un avocat rémunéré par l'État.

[Je souligne. Références omises.]

[35] Ainsi, lorsqu’un prévenu appréhende une atteinte à ses droits de présenter une défense pleine et entière et d'être jugé en conformité avec les principes de justice fondamentale (art. 7 de la Charte) et de bénéficier d’un procès équitable (art. 11d) de la Charte), il peut, dans le cadre d'une requête de type Robowtham, demander au tribunal, d'une part, de constater que ses droits sont brimés et, d'autre part, de lui accorder une réparation appropriée en vertu du paragr. 24 (1) de la Charte qui édicte que :

24. (1) [Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés] Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[36] Les deux régimes ont des objectifs différents. Le mécanisme provincial d’aide juridique a pour objet d’offrir des services juridiques gratuits, ou moyennant une contribution, en fonction de critères d’admissibilité prédéterminés, tandis que le mécanisme constitutionnel vise à assurer le respect des droits constitutionnels d’un prévenu. Toujours dans R.C., la Cour souligne cette différence :

147 Dans cette perspective, il est juste d'affirmer que le droit constitutionnel, au sens défini ci-haut, joue un rôle supplétif et vise à pallier les carences de certains régimes d'aide juridique lorsque celles-ci sont telles qu'elles empêchent la tenue d'une audience équitable.

[37] La professeure Anne-Marie Boisvert a aussi écrit que « [l]e tarif de l’aide juridique au Québec a peut-être été négocié entre le gouvernement et le Barreau du Québec, mais ce n’est pas une garantie de constitutionnalité en matière criminelle » : R. c. Beauchamp – Annotation (2004), 50 C.R. (5th) 111; voir également R.C., au paragr. 143.

[38] En outre, les deux mécanismes de protection opèrent différemment.

[39] D’abord, sur le plan de la compétence, c’est le directeur général qui, en vertu de l’art. 65 de la L.a.j., étudie la demande d'aide juridique et rend une décision. Celle-ci est de nature administrative. Par contre, lors de l’examen constitutionnel, c’est le juge du procès qui est compétent : R. c. Mills, [1986] 1 R.C.S. 863 . La décision alors rendue est de nature judiciaire.

[40] Ensuite, les deux régimes diffèrent aussi quant aux critères qui les caractérisent. En effet, l'art. 64 de la L.a.j. prévoit que :

Le requérant doit, conformément aux règlements, exposer sa situation financière et, selon ce que prévoient les règlements, celle de sa famille et établir les faits sur lesquels se fonde la demande.

Il doit fournir ou veiller à ce que soient fournis tous les renseignements et documents déterminés par règlement et qui sont nécessaires à l’établissement et à la vérification de son admissibilité à l’aide juridique et à l’établissement, s’il en est, de la contribution exigible.

Le directeur général ou un membre de son personnel qu’il désigne à cette fin peut, dans le cadre d’une vérification, exiger de toute personne tout renseignement ou document relatif à l’admissibilité financière à l’aide juridique d’un requérant, examiner ces documents et en tirer copie. Toute personne à qui une telle demande est faite est tenue de s’y conformer.

[41] Les articles 34 à 34.2 du Règlement sur l’aide juridique précisent les composantes de la situation financière du requérant qui sont examinées :

34. Les revenus du requérant et des autres personnes dont la situation financière est considérée en vertu du présent règlement, sont établis, pour l’année d’imposition qui précède la date de la demande d’aide juridique, au moyen de la déclaration fiscale, pour cette année, des personnes concernées et de l’avis de cotisation s’y rapportant. À défaut de produire ces documents, le requérant doit fournir un état de ces revenus.

Lorsque l’admissibilité est établie en considérant les revenus estimés pour l’année d’imposition au cours de laquelle la demande d’aide est présentée, ces revenus sont établis par la production d’un état des revenus du requérant et de ceux des autres personnes dont la situation financière est considérée.

34.1. Le requérant doit, dans la mesure prévue par le présent règlement, produire avec sa demande un état des actifs, incluant les biens et les liquidités, qu’il possède à la date de la demande ainsi qu’un état de ses dettes.

Le requérant doit également produire un état des actifs, incluant les biens et les liquidités, possédés à la date de la demande d’aide juridique par les autres personnes dont la situation financière est considérée, ainsi qu’un état de leurs dettes.

34.2. Le requérant doit fournir les documents à l’appui de ses revenus, de ses actifs et de ses dettes et joindre à sa demande son autorisation écrite à ce que le centre d’aide juridique vérifie ces données auprès des autorités, fiscales concernées, d’une institution financière, d’un organisme, d’un établissement d’enseignement, d’un ministère ou d’un employeur.

Le requérant doit également fournir les documents à l’appui des revenus, des actifs et des dettes des autres personnes dont la situation financière est considérée. À défaut, ces autres personnes doivent joindre à la demande leur autorisation écrite à ce que le centre d’aide juridique vérifie ces données auprès des autorités fiscales concernées, d’une institution financière, d’un organisme, d’un établissement d’enseignement, d’un ministère ou d’un employeur.

[Je souligne.]

[42] Pour être admissible, gratuitement ou moyennant contribution, la situation financière d’un requérant ne doit pas dépasser les montants indiqués dans le même Règlement.

[43] Cela étant précisé, il convient maintenant d’examiner les règles applicables à une requête de type Rowbotham. L’arrêt R.C. les expose en détail. Le prévenu doit d’abord démontrer que la question de son admissibilité à l’aide juridique a déjà fait l’objet d’une décision. Deux hypothèses peuvent alors être envisagées : le requérant a été déclaré inadmissible à l’aide juridique ou encore il a été déclaré admissible, mais le régime d’aide juridique ne permet pas de répondre aux exigences de sa situation particulière. Dans les deux cas, pour donner ouverture à une réparation en vertu du paragr. 24 (1) de la Charte, le prévenu doit démontrer : (1) son état d’indigence et (2) la nécessité qu’il soit représenté par un avocat pour assurer l’équité de son procès.

[44] L’arrêt R.C. envisage toutefois les deux situations de façon séparée. La Cour s’attarde dans un premier temps au cas où le prévenu a été déclaré inadmissible à l’aide juridique :

130 À cette étape, le requérant doit établir qu'il a agi avec diligence, qu'il s'est vu refuser l'aide juridique et qu'il présente un état d'indigence qui l'empêche de retenir les services d'un avocat. Il incombe au requérant de démontrer qu'il a "épuisé toutes les possibilités" que la LAJ lui offre, notamment le recours en révision, sinon sa requête est prématurée et elle doit être ajournée.

131 Notons que le tribunal n'est pas compétent pour se substituer au décideur, aux termes de la LAJ et renverser sa décision. Ce n'est que dans les situations où la validité constitutionnelle de la LAJ, d'un règlement ou de l'une de leurs dispositions, ou encore lorsque la contravention à la Charte résulte d'un décideur à qui on a délégué son application, comme ce fut le cas dans N.-B. (Min. de la Santé), précité, que le tribunal peut annuler une décision de refuser l'aide juridique, par le biais de l'article 52 de la Charte et non pas dans le cadre d'une requête de "type Rowbotham".

132 Lorsque le requérant ne peut bénéficier de l'aide juridique, mais qu'il requiert par ailleurs que l'État défraie les coûts des services d'un avocat, il doit démontrer, en premier lieu, son indigence face aux coûts estimés des services juridiques reliés à son procès. Les critères décrits à la LAJ - revenus, actifs, liquidités - pourront être pris en considération, mais d'autres éléments devront l'être également. Ainsi, la question suivante doit être analysée : le requérant a-t-il la capacité de payer les honoraires professionnels requis compte tenu de ses actifs, de ses revenus, de sa capacité d'emprunt et de toutes les autres ressources disponibles? Il devient alors pertinent de savoir si le requérant a un conjoint, des enfants ou d'autres parents afin d'apprécier ses responsabilités financières envers sa famille et de vérifier s'il peut obtenir une aide de ses proches.

[45] Dans un deuxième temps, la Cour examine la situation où le requérant a été déclaré admissible à l’aide juridique, mais où il invoque que ce régime ne permet pas de répondre aux exigences propres à sa situation. Voici ce que la Cour en dit :

138 Selon la LAJ, le requérant déclaré admissible se voit offrir le choix de retenir les services d'un avocat permanent de l'aide juridique ou ceux d'un avocat de pratique privée, à la condition que ce dernier accepte le tarif de l'aide juridique. Avant que le requérant puisse protester contre l'insuffisance des honoraires prévus au tarif, dans l'hypothèse où il fait valoir qu'aucun avocat de son choix n'accepte ledit tarif, il doit convaincre le tribunal qu'aucun des avocats permanents de l'aide juridique ne peut le représenter adéquatement. En effet, dans la perspective où le requérant indigent réclame une protection constitutionnelle, il doit satisfaire le tribunal qu'il a épuisé toutes les possibilités.

142 Dans la situation où aucun avocat permanent de l'aide juridique ne peut représenter un prévenu, ce dernier doit alors recourir aux services d'un avocat de pratique privée. On peut raisonnablement concevoir des cas où le régime d'aide juridique en vigueur ne répond pas aux besoins exceptionnels d'une affaire. Ce fut le cas dans l'affaire Rowbotham, précitée, dans laquelle il a été démontré que le tarif des honoraires ne répondait pas à la norme constitutionnelle, c'est-à-dire que le tarif ne permettait pas au requérant, dans ce cas précis, de jouir d'une représentation adéquate et équitable. Par contre, dans R. c. Cai, la Cour d'appel d'Alberta a conclu qu'il avait plutôt été démontré que le tarif de l'aide juridique applicable dans cette province, jugé raisonnable, ne permettait pas d'anticiper une violation du droit du prévenu à un procès équitable.

143 Ce qu'il faut retenir ici, c'est que le tarif d'aide juridique ne correspond pas nécessairement à un tarif qui assure la protection du droit constitutionnel. Il est évident que ce tarif n'a pas été conçu pour tous les types d'instance, comme ces "mégaprocès" où des éléments particuliers et inusités, généralement absents des procès réguliers, doivent recevoir une attention particulière.

[Je souligne. Références omises]
L'application à l'espèce

[46] À la lumière de ces extraits, je suis d’avis, en toute déférence, que le juge de première instance a erré dans son interprétation de l’arrêt R.C. En effet, l'extrait qu'il cite au soutien de sa conclusion, selon laquelle le tribunal ne peut se substituer au décideur de la L.a.j et renverser sa décision, tire son origine du paragr. 131 de l'arrêt et s'applique donc au cas où le prévenu a été déclaré inadmissible à l'aide juridique, ce qui n'est pas la situation en l'espèce. Cet extrait signifie plutôt que le tribunal n’agit pas en révision de la décision administrative rendue conformément à la L.a.j. et qu’il n’a pas la compétence de déclarer un prévenu admissible à l’aide juridique alors que le décideur en a décidé autrement : R. v. Peterman (2004), 185 C.C.C. (3d) 352 (Ont. C.A.), au paragr. 22. D'ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler que, dans R.C., comme l'exprime la Cour au paragr. 185, la capacité financière des prévenus n'était pas contestée par le Procureur général, de sorte que la Cour n'a pas abordé directement la question qui est soulevée ici :

185 […] L’état d’indigence des intimés est un fait acquis qui découle d’une décision prise par l’autorité compétente des services d’aide juridique, laquelle n’a, d’aucune façon, été questionnée par les parties. En conséquence, la Cour n’est pas saisie de cette question.

[47] De plus, dans R.C., le juge de première instance (en réalité il y en avait plusieurs puisque la Cour a entendu un appel portant sur plusieurs jugements) avait lui-même fixé le tarif suivant lequel devaient être calculés les honoraires des avocats aux fins de paiement par la Commission des services juridiques. Comme le souligne l'appelant dans son exposé :

C'est dans ce contexte que cette Cour a précisé qu'un tribunal n'était pas compétent, dans le cadre d'une requête de type Rowbotham, de se substituer au décideur aux termes de la LAJ pour annuler une décision de refuser l'aide juridique.

[48] Par ailleurs, le tribunal n’est pas davantage compétent pour infirmer la décision du décideur qui a déclaré un prévenu admissible et ainsi statuer que ce prévenu est inadmissible à l’aide juridique. Cela s’explique par les compétences distinctes conférées au décideur et au tribunal et, comme je l’ai exposé précédemment, par les objectifs différents que poursuivent les deux régimes.

[49] Cela dit, les deux régimes ne sont pas totalement étanches, puisque la décision du décideur, lorsqu’elle est favorable au requérant, demeure un élément important de l'analyse d’une requête de type Rowbotham par le tribunal. En effet, lorsqu’une attestation d’admissibilité à l’aide juridique est délivrée, cela peut sûrement amener le tribunal à présumer l’état d’indigence du requérant. Il ne peut toutefois s'agir que d’une présomption de fait et non d’une présomption légale, avec les conséquences que cela implique. Je m'explique.

[50] D'une part, rien dans la loi, qu'il s'agisse de la L.a.j. ou d'une autre disposition législative, ne permet d'affirmer que l'attestation d'admissibilité à l'aide juridique constitue une présomption irréfragable d'indigence dans le contexte d'une requête de type Rowbotham, comme semble l'avoir cru le juge de première instance. L'on ne peut conclure que cette attestation d'admissibilité constitue un empêchement dirimant à la possibilité, pour le procureur général, de contester l'état d'indigence dont se réclame le prévenu.

[51] D'autre part, rien ne justifie non plus d'ignorer totalement cet état de fait que constitue l'attestation d'admissibilité. À cet égard, je crois que les propos que tenait le juge Cromwell, alors à la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, dans R. c. Assoun, [2002] N.S.J. No 174 (N.S. C.A.), peuvent s'appliquer ici avec les adaptations de circonstances même si, dans cette affaire, l'aide juridique avait été refusée au prévenu, à cause de ses moyens financiers, dans le cadre d'une requête présentée sous l'art. 684 C.cr. :

44 The serious question for decision, therefore, relates to the second condition set out in s. 684, that is, whether Mr. Assoun has met the burden of satisfying me that he "... has not sufficient means to obtain legal assistance."

45 In this case, one of the reasons for refusal of legal aid is that the Commission has concluded that Mr. Assoun is not financially eligible for receipt of Legal Aid services.

47 It was held in R. v. Rowbotham et al (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (Ont. C.A.) at 69, in the context of a Charter application for appointment of counsel at trial, that the finding of the Legal Aid authorities on the question of financial means is entitled to great respect. In my view, this is also the case on applications under s. 684. Legal Aid's decision will often be based on material that could only come before the Court if the applicant waives any claim for privilege over information supplied to Legal Aid or to counsel assisting on the s. 684 application. Moreover, as a number of cases have pointed out, the primary obligation to assist those who require counsel, but who lack the means to retain counsel, rests with Legal Aid and the Court's power to appoint counsel should be read together with and in light of that obligation […].

48 The power to assign counsel is discretionary; s. 684 states that the court of appeal or a judge may assign counsel. In exercising that discretion, the judge ought to take into account the appropriate degree of deference owed to Legal Aid's decision to refuse state-funded counsel on the grounds of financial ineligibility.

49 However, in my view, Legal Aid's determination on the issue of financial eligibility is not, and cannot be, conclusive of the issue under section 684 of whether the applicant lacks sufficient means to obtain legal assistance for the appeal. The Court considering the assignment of counsel is not sitting on appeal from the Legal Aid decision and must make its own assessment of the relevant criteria on the record before the Court. There will be circumstances in which a judge, after examination of the means of the applicant, will be satisfied that the applicant does not have the means to obtain legal assistance.

[Je souligne.]

[52] En d'autres termes, selon les arrêts Rowbotham et Assoun, la décision des autorités administratives de refuser l'aide juridique, que ce soit dans le contexte d'une requête de type Rowbotham ou dans celui d'une requête présentée en vertu de l'art. 684 C.cr., mérite déférence. Par contre, les deux arrêts font également valoir que cette décision ne peut avoir de caractère définitif en ce qui concerne la décision du tribunal d'ordonner ou pas à l'État de défrayer les honoraires d'un avocat conformément à la Charte. J'estime, pour les motifs qui suivent, que ce raisonnement doit également s'appliquer aux cas où l'aide juridique a été accordée.

[53] Le décideur de l'aide juridique doit prendre en considération nombre de facteurs dont le tribunal pourrait également tenir compte. Je pense notamment aux revenus du prévenu, à ses actifs et à ses dettes, et, parfois, à la situation financière de membres de sa famille. Dans ces circonstances, il serait totalement inefficace et stérile d'ignorer l'attestation d'admissibilité puisque l'on forcerait le prévenu à recommencer un exercice similaire devant le tribunal. Des considérations pratiques militent donc en faveur de la reconnaissance que l'attestation d'admissibilité doit être prise en considération par le tribunal. De plus, la documentation qui est exigée par le Règlement sur l’aide juridique, et les seuils établis par ce règlement au-delà desquels le prévenu n'est plus admissible, de même que la déférence requise à l'endroit de la décision, m'incitent à croire que l'attestation d'admissibilité peut constituer une démonstration d'indigence au sens que lui donne la jurisprudence dans le contexte d'une requête de type Rowbotham. C'est la raison pour laquelle je suis d'avis que l'attestation d'admissibilité constitue une forme de présomption de fait qui, comme toutes les présomptions de cette nature, n'a pas de caractère obligatoire et est laissée à l'appréciation du juge des faits. Cela est d'ailleurs conforme au paragr. 185 de R.C., cité plus haut, alors que la Cour concluait que « [l]’état d’indigence des intimés est un fait acquis qui découle d’une décision prise par l’autorité compétente des services d’aide juridique », sans toutefois affirmer que le poursuivant ne pourrait jamais contester une telle conclusion d'indigence devant le tribunal puisque la Cour n'était « pas saisie de cette question ».

[54] Je ne retiens donc pas l'argument de l'appelant qui plaide que « la simple présentation par le requérant d’une preuve démontrant son admissibilité à l’aide juridique ne suffira pas pour qu’un tribunal puisse valablement conclure à son incapacité financière à assumer les frais de sa représentation par avocat ». Au contraire, dans la majorité des cas, cela suffira à moins que le poursuivant repousse la présomption de fait que cette preuve est susceptible de créer dans l’esprit du juge. Autrement, le juge tirera généralement de la preuve de l'attestation d’admissibilité la conclusion qui s'impose, à savoir l'état d’indigence.

[55] À cet égard, même si le régime d'aide juridique en vigueur au Nouveau-Brunswick n'est pas identique à celui du Québec, il me semble que ce qu'écrit le juge Robertson, dans R. v. Osborne (2003), 181 C.C.C. (3d) 108 (N.B.C.A.), supporte mon opinion :

8 The fact that the respondent qualified for legal aid is evidence that he lacks the financial resources to retain counsel. The Crown does not challenge this presumption. […]

[56] De même, depuis R.C., des tribunaux de première instance ont également conclu que l’attestation d'admissibilité à l’aide juridique crée une présomption d’indigence ou encore constitue une preuve suffisante d’indigence.

[57] Ainsi, dans Deraspe et al. c. R., [2007] J.Q. no 1584 (C.Q. crim. & pén.), le juge Jean-Paul Decoste écrit :

14 Nous nous abstiendrons de faire l’analyse de la situation d’indigence de chacun d’eux puisque nous présumons qu’elle a déjà été faite par la direction du bureau d’aide juridique de Baie-Comeau qui les a tous déclarés admissibles à l’aide juridique avec ou sans volet contributif.

[58] Le juge Richard Côté partage ce point de vue dans Bergeron c. Québec (P.G.), [2007] J.Q. no 3105 (C.Q. crim. & pén.) :

16 Tous les accusés ont été déclarés admissibles à l'aide juridique, de telle sorte que leur état d'indigence a déjà été établi. D'ailleurs, cette question n’est pas contestée par le poursuivant.

[59] Il en est de même dans Anderson c. R., [2007] J.Q. no 11373 (C.S.Qué.), au paragr. 25; Sirois c. R., [2008] J.Q. no 14641 (C.Q. crim. & pén.), au paragr. 14; Tremblay c. R., [2008] J.Q. no 2457 (C.Q. crim. & pén.), au paragr. 10; R. c. Hurtado, [2009] J.Q. n° 1974 (C.Q. crim. & pén.), au paragr. 39.

[60] Il est vrai que, dans Anderson, le juge Yves Tardif a semblé estimer qu'il s'agit d'une présomption irréfragable. En toute déférence, je suis d’avis, comme je l’ai mentionné précédemment, qu’il faut se garder d’ériger une telle présomption et plutôt laisser au tribunal la faculté de tenir compte d'une présomption de fait. Il n’est d’ailleurs pas question, dans une requête de type Rowbotham, de contredire les conclusions de l'autorité compétente de l'aide juridique, mais plutôt de s’assurer de répondre aux exigences constitutionnelles en procédant à un examen qui peut parfois être différent. Il ne faut pas oublier, par exemple, que le poursuivant possède des pouvoirs d'enquête que n'a pas l'aide juridique. Je trouverais inacceptable de prohiber toute preuve par le poursuivant ou le procureur général qui peuvent être en possession d'informations que n'a peut-être pas l'aide juridique, notamment s'il peut être démontré que le prévenu a dissimulé certains biens. De plus, les objectifs et critères retenus par l'aide juridique ne se concilient pas nécessairement, dans tous les cas, avec ceux que le tribunal doit évaluer à l'occasion d'une requête de type Rowbotham, de sorte que le tribunal pourrait, dans certains cas, conclure qu'il n'y a pas indigence malgré l'attestation d'admissibilité. Cela reflète d'ailleurs les distinctions qui existent entre les deux régimes.

[61] Enfin, j'aurais beaucoup de difficulté à conclure qu'un tribunal, agissant en matière criminelle et veillant au respect de droits conférés par la Charte, verrait sa compétence limitée par une décision administrative rendue en vertu d'une loi québécoise.

[62] Avant de terminer, je ne peux retenir l'hypothèse qui a été évoquée et qui limiterait l'intervention du poursuivant ou du procureur général à une contestation de la décision de l'aide juridique en utilisant la procédure de révision devant l'organisme. Cela serait source d'autres délais et ne répondrait adéquatement ni aux différences entre les deux régimes ni à la nécessité de préserver la compétence du tribunal présidant une procédure de nature criminelle. Je rejetterais donc cette hypothèse.

[63] Je ne peux non plus retenir la proposition de l'appelant selon qui, conformément au paragr. 132 de R.C., le requérant doit toujours démontrer devant le tribunal « son incapacité de payer les honoraires professionnels requis […] ». D'une part, le paragr. 132 auquel nous renvoie l'appelant envisage plutôt la situation où le prévenu est inadmissible à l'aide juridique, ce qui est fort différent du présent pourvoi. D'autre part, si la proposition de l'appelant signifie que le prévenu doit refaire, devant le tribunal, l'exercice qu'il a déjà fait devant l'autorité compétente de l'aide juridique, je répète qu'il s'agirait d'un exercice inutile et que la production de l'attestation d'admissibilité permettra, dans bien des cas, de régler la question de son incapacité financière et de son indigence.

[64] En conclusion, je suis d'avis que l'attestation d'admissibilité à l'aide juridique constitue une présomption de fait de l'état d'indigence du prévenu, présomption qui ne peut toutefois s'apparenter à une présomption légale irréfragable, comme l'a fait le juge de première instance. Pour cette raison, je conclus qu'il a erré en concluant que le tribunal est nécessairement lié par la décision du décideur aux termes de la L.a.j. lorsqu'il est question de l'état d'indigence d'un requérant dans le cadre d'une requête de type Rowbotham. Cela étant, il me faut maintenant examiner l'effet de cette erreur sur son jugement.
La violation appréhendée du droit à un procès équitable alors que certains intimés étaient déjà représentés par avocat

[65] La plupart des intimés sont représentés par des avocats qui ont accepté de le faire uniquement aux fins des requêtes de type Rowbotham. En réalité, ils ont comparu pour eux conditionnellement à ce que les requêtes soient accueillies. Dans cette dernière hypothèse, ils les représenteront au cours du procès; dans le cas contraire, ils ne les représenteront plus. L'appelant n'en tire aucun argument.

[66] Par contre, l’appelant souligne que les intimés Jean St-Pierre, Christian Lavoie, Steve Sylvain et Jacques Sylvain sont représentés par des avocats qui, dans le cadre d'un mandat décerné par l'aide juridique, ont comparu et agi pour eux sans réserve et sans condition, et ce, avant même la présentation des requêtes. L'appelant prétend que, dans ces circonstances, il est inexact de dire qu'il y a une violation appréhendée du droit à un procès équitable, puisque les intimés ont déjà un avocat qui n'a pas été autorisé à cesser d'occuper. Il n'y aurait donc aucune preuve de violation du droit à un procès équitable dans le cas de ces quatre intimés.

[67] Les intimés répliquent que la prétention de l’appelant, si elle était retenue, aurait pour effet de créer des délais et des difficultés de procédure alors que cela doit être évité dans le cadre de l’examen d’une réparation en vertu du paragr. 24 (1) de la Charte. Ils ajoutent que la simple présentation d’une requête de type Rowbotham par leurs avocats est une preuve évidente que ceux-ci n’acceptent pas de les représenter au tarif de l’aide juridique. Finalement, ils plaident que si les requêtes devaient être rejetées pour ce motif, il est manifeste que les avocats feraient une demande pour cesser d’occuper, pour ensuite présenter de nouveau une requête.

[68] Voyons ce qu'il en est pour chacun des quatre intimés.

[69] Steve Sylvain et Jacques Sylvain étaient représentés par Me Yves Tétreault. Au début des procédures, en 2007, ils payaient les frais reliés à leur défense et ce n’est qu’en 2008 qu’ils ont été déclarés admissibles à l’aide juridique. Or, à ce moment, Me Tétreault avait déjà comparu sans condition, puisqu’au début les intimés avaient la capacité de payer ses honoraires. Me Tétreault a d’ailleurs expliqué la situation au juge de première instance, tout en précisant que, s'il avait su que ses clients deviendraient plus tard admissibles à l’aide juridique, il aurait comparu conditionnellement à ce qu'une requête de type Rowbotham soit accueillie.

[70] Quant à Jean St-Pierre, la situation est plus complexe. C’est Me Lucie Joncas qui, le 3 octobre 2007, a comparu au dossier, sans qu'un mandat d'aide juridique soit délivré à son nom. Par la suite, Me Joncas a été représentée par Me Lida Sara Nouraie (une avocate de son bureau), sans toutefois que cette dernière comparaisse formellement au nom de l'intimé, et ce, même si un mandat d’aide juridique a été émis à son nom le 27 novembre 2007. De plus, M. St-Pierre a dit au juge de première instance, le 8 juillet 2008, dans le cadre de l'audition de la requête, que Me Joncas n’était plus son avocate et que c'était maintenant Me Nouraie qui le représentait. Cette dernière estime donc qu’elle ne pouvait présenter une requête pour cesser d’occuper, puisqu’elle n’avait jamais comparu formellement au dossier de la Cour, ajoutant qu'elle n'accepterait pas de représenter M. St-Pierre au tarif de l'aide juridique.

[71] Finalement, concernant Christian Lavoie, il est représenté par Me Yves Desaulniers depuis mars 2007. Le 11 juillet 2008, un mandat d’aide juridique a été délivré à Me Desaulniers. Le 23 juillet 2008, Me Desaulniers a présenté une requête pour cesser d’occuper, laquelle a par la suite été rayée. L’appelant a plaidé en première instance que la requête de type Rowbotham de M. Lavoie ressemblait à une tentative de majoration des honoraires de Me Desaulniers. Ce dernier a pour sa part mentionné au juge de première instance qu’il ne pouvait plus continuer d’agir au tarif de l’aide juridique.

[72] L'appelant se fonde sur certains jugements qui ont refusé d'accueillir des requêtes de type Rowbotham lorsqu'un prévenu était représenté par un avocat, au motif qu'il n'y avait pas alors de violation appréhendée des droits du prévenu.

[73] L’appelant prend en outre appui sur l’arrêt R.C., précité, où il est écrit :

126 Lorsqu'un prévenu est admissible à l'aide juridique et que l'avocat de son choix a accepté le mandat ou encore qu'il est défendu par un avocat permanent du réseau, il se prévaut du droit statutaire que lui accorde la LAJ. L'exercice du droit constitutionnel à un avocat rémunéré par l'État n'est donc pas en cause dans ces situations.

[Je souligne.]

[74] Dans les lignes qui suivent, j’exposerai les raisons pour lesquelles je suis d’opinion que l’interprétation de R.C. faite par l’appelant, ainsi que la jurisprudence qu’il cite, sont, avec beaucoup d’égards, incompatibles avec l’approche préconisée dans R.C.

[75] En premier lieu, il faut garder à l’esprit que, dans le cadre d’une requête de type Rowbotham, il faut faire la preuve d’une violation appréhendée (et non pas d’une violation effective) à un procès équitable. Cette preuve doit être analysée de façon contextuelle.

[76] En deuxième lieu, l'argument de l’appelant s’inscrit dans une vision très procédurale du droit. Une telle approche doit pourtant être évitée en matière de réparation constitutionnelle, puisqu’il faut se garder de créer des délais et des difficultés procédurales : R. c. Mills, précité, aux p. 882 et 953. Dans R.C., précité, la Cour écrit, au paragr. 160 :

Selon les enseignements de la Cour suprême, le paragraphe 24(1) de la Charte offre une réparation «directe» qui doit pouvoir s'obtenir facilement, dans le sens où le droit constitutionnel ne doit pas être «étouffé dans les délais et les difficultés de procédure».

[Référence omise.]

[77] Il me semble que la position de l’appelant a pour effet d’entraîner des délais et des difficultés inutiles puisque, si la requête de type Rowbotham est rejetée parce que les avocats n’ont pas comparu conditionnellement, ceux-ci vont sûrement présenter une requête pour cesser d’occuper.

[78] Généralement, une telle requête, présentée uniquement pour des raisons liées aux honoraires professionnels, ne sera accueillie que si elle ne cause de préjudice ni à l’accusé ni à l’administration de la justice : R. c. M.B.D. (2003), 179 C.C.C. (3d) 174 (Man. C.A.). Par conséquent, dans la mesure où la requête est faite avant le début du procès (comme c'est le cas ici), il faut envisager la possibilité que l’avocat soit autorisé à se retirer du dossier puisque cela ne causerait vraisemblablement pas de préjudice au prévenu ou à l'administration de la justice. Si tel était le cas, ceci entraînerait de nouveaux délais pour permettre à l’accusé de se constituer un nouveau procureur. De surcroît, il est presque assuré que la requête serait de nouveau présentée après que l’accusé aurait en vain tenté de trouver un avocat qui accepterait de la représenter au tarif de l'aide juridique. D'ailleurs, la preuve faite en première instance, sur laquelle je reviendrai, démontre amplement qu'une telle recherche serait, en pratique, vouée à l'échec. Vu les circonstances de l'espèce, l’administration de la justice serait bien mal servie par un tel scénario et il me paraît inutile d’ériger en règle la nécessité que les avocats comparaissent dans tous les cas conditionnellement à ce qu'une requête de type Rowbotham soit accueillie.

[79] En troisième lieu, l’arrêt R.C. souligne quelle est l'essence de la question à trancher :

142 Dans la situation où aucun avocat permanent de l'aide juridique ne peut représenter un prévenu, ce dernier doit alors recourir aux services d'un avocat de pratique privée. On peut raisonnablement concevoir des cas où le régime d'aide juridique en vigueur ne répond pas aux besoins exceptionnels d'une affaire.

145 […] Son rôle [le tribunal] se limite à vérifier si le requérant peut jouir d’un procès équitable en étant représenté par un avocat rémunéré au tarif de l’aide juridique, compte tenu de tous les autres éléments pertinents qui auront été précisés.

[Je souligne.]

[80] C’est également l'opinion du juge Rosenberg, dans Peterman, précité, au paragr. 25 :

[…] Her [la juge de première instance] focus had to be on whether the respondent’s right to a fair trial was imperilled because of the conditions under which he was being defended.

[81] Or, ici, les faits sous-jacents au droit des quatre intimés à un procès équitable et les circonstances du dossier me convainquent qu'il n'y a pas lieu de suivre l'approche préconisée par l'appelant. Je suis d’avis qu’exiger que les avocats aient comparu de façon conditionnelle ou encore qu'ils se soient d'abord retirés du dossier opère un transfert de l’examen du droit à un procès équitable à un examen du droit à l’avocat. La position de l'appelant consiste essentiellement à examiner l'existence d’une violation au droit à l’avocat plutôt que l'existence d'une violation au droit à un procès équitable. La question centrale est de déterminer si le tarif de l’aide juridique, dans une affaire donnée, permet de remplir les exigences constitutionnelles reliées à l’équité du procès. Ainsi, que l’avocat ait comparu conditionnellement ou non n’est pas en soi un facteur déterminant, car l’examen doit être contextuel et centré sur toutes les caractéristiques de l’affaire : temps de préparation du procès, nature et ampleur de la preuve, complexité et nature des accusations, nombre d’accusés, durée du procès, etc. Cet extrait de R.C. exprime bien cette idée :

185 […] Lorsque le droit constitutionnel est en cause, le tarif d'aide juridique, qui prévoit des honoraires de 500 $ pour la préparation d'un procès, ne respecte pas l'obligation constitutionnelle du Procureur général dans le cas de "mégaprocès" puisque la préparation d'un procès d'une telle envergure exige que l'on y consacre une période de temps appréciable. En conséquence, les honoraires de 500 $ sont très largement en deçà d'un seuil acceptable pour un procès de cette importance.

[82] En l’espèce, le fait que les avocats des quatre intimés n'ont pas comparu conditionnellement peut être un facteur pertinent, mais il doit être considéré au même titre que les autres.

[83] Je suis donc d’opinion que le juge de première instance n’a pas erré et je suggère de rejeter ce moyen d’appel.
Les démarches entreprises par les intimés dans la recherche d'un avocat étaient-elles suffisantes?

[84] L’appelant prétend que le juge de première instance a erré en jugeant suffisantes les démarches des intimés pour trouver un avocat de pratique privée acceptant de les représenter au tarif de l'aide juridique. Il plaide que le texte de la lettre sollicitant les services d'un avocat, qu'ils ont fait parvenir à plusieurs membres du Barreau, est déficient, puisqu’il ne tient pas compte des particularités propres à chaque intimé et qu’il ne correspond pas à la situation qui leur est propre. Il soutient que, dans certains cas, la lettre fait état d'un degré de complexité qui n'a rien à voir avec la réalité. Bref, aux yeux de l'appelant, ces démarches ne pouvaient être couronnées de succès puisque tout avocat aurait eu la nette impression que l'affaire est beaucoup plus complexe qu'elle ne l'est réellement. En définitive, aucun avocat ne pouvait accepter le mandat, non pas à cause de sa complexité, mais plutôt à cause du tableau biaisé dépeint par les intimés.

[85] Ceux-ci soutiennent qu’il s’agit d’une question de fait et que le juge n’a commis aucune erreur. Ils sont d’avis que la preuve faite en première instance démontre amplement qu’aucun avocat de pratique privée n’accepterait un tel mandat. Ils répètent que leur démarche était honnête et décrivait fidèlement la situation. Ils soulignent avoir expédié bon nombre de demandes à plusieurs avocats, sans succès. Ainsi, 97 avocats ont été sollicités, dont 22 des régions du Bas St-Laurent, de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine, ce qui, selon eux, serait un cas unique dans l'histoire judiciaire québécoise. En outre, l’appelant ne leur a pas suggéré d’avocat qui accepterait un tel mandat.
L’état du droit et l’application à l’espèce

[86] La question soulevée par l’appelant est d'abord une question de fait. Il faut donc faire preuve de déférence et de retenue à l’égard des conclusions du juge de première instance.

[87] Il est acquis qu'aucun avocat permanent de l’aide juridique n’était disponible pour représenter les intimés. Ceux-ci ont tous effectué un certain nombre de démarches pour retenir les services d'un avocat de pratique privée, démarches qui se sont toutes avérées infructueuses. Je précise d'ailleurs que, outre l'envoi de nombreuses lettres, plusieurs intimés ont téléphoné directement à des avocats qui ont néanmoins refusé d’agir au tarif de l’aide juridique (en réalité, tous l’ont fait, sauf Éric Lévesque, Mélanie Deschênes, Steve Sylvain, Daniel Roy, Jasmin Pelletier et Christian Lavoie.).

[88] Dans son jugement, le juge de première instance mentionne :

Comme le dit la Cour d’appel dans l’arrêt R.C., il s’agit d’un cas où il saute aux yeux que la complexité de la cause ne permet pas à un avocat raisonnablement compétent d’accepter un mandat d’aide juridique au tarif prévu à la réglementation. Le tarif de l’aide juridique apparaît insuffisant dans les longs procès complexes impliquant plusieurs accusés.

[89] Le passage R.C. auquel renvoie le juge est le suivant :

146 Revenons à la question du coût des services juridiques à l'égard desquels certains des critères applicables ont été précisés antérieurement. Dans certains cas, il saute aux yeux que l'importance et la complexité de la cause ne permettent pas à un avocat raisonnablement compétent d'accepter un mandat d'aide juridique au tarif prévu à la réglementation; dans d'autres cas, il revient au requérant d'en faire une démonstration convaincante, notamment en comparant le tarif de l'aide juridique et les standards raisonnables de la pratique privée.

[90] L'appelant ne démontre aucune erreur à ce sujet puisque le juge de première instance pouvait, à bon droit, en tenant compte des démarches des intimés et des réponses des avocats, conclure qu’il s’agit d’un cas où il saute effectivement aux yeux que le tarif de l'aide juridique est insuffisant en raison de la complexité et de la durée de la cause.

[91] L’appelant reproche aux intimés de ne pas avoir contacté des avocats pratiquant dans leur région. Cette prétention pourrait prendre appui sur l'arrêt Peterman, précité, où le juge Rosenberg a considéré que l’absence de preuve selon laquelle aucun avocat local n’était disponible était un des facteurs qui faisaient échec à la demande. Or, les faits de cet arrêt, qui se distinguent du cas sous étude, ne permettent pas de retenir cet argument. D’abord, il s’agissait d’une requête de type Fisher (qui recherche la majoration des honoraires fixés par le régime d’aide juridique). Ensuite, il y a d'autres différences factuelles significatives : Peterman était le seul accusé dans cette affaire, il était admissible à l'aide juridique et il avait choisi de retenir les services d’un avocat résidant à l’extérieur de la région. Il n’avait fait aucune autre démarche pour retenir les services d'un autre avocat, local ou non. Dans un tel contexte, l'opinion du juge Rosenberg ne supporte pas la prétention de l'appelant.

[92] De plus, il convient de souligner que les trois requêtes présentées par les dix-sept intimés ont été entendues conjointement par le juge de première instance. Ainsi, même si certains des intimés n’ont pas contacté d’avocat pratiquant dans le district de Kamouraska, d’autres l’ont fait et ont essuyé un refus. Rien ne permet de croire que la réponse aurait été différente si tous les intimés avaient communiqué avec eux. Plusieurs avocats de la région métropolitaine ont été contactés, mais d’autres pratiquant dans d’autres régions ont également été sollicités comme, par exemple, Québec, Matane, Rimouski, Chandler et Rivière-du-Loup (pour ne nommer que celles-là). Aucun n'a accepté. Au regard de l’ensemble de la preuve, le juge pouvait raisonnablement estimer qu’il s’agit d’un cas où manifestement aucun avocat n’accepterait de représenter les intimés au tarif de l’aide juridique.

[93] Par ailleurs, il ne s’agit pas de fixer un nombre prédéterminé d’avocats à contacter pour satisfaire le fardeau de la preuve. Comme il est mentionné au paragr. 158 de R.C., l’analyse faite par le tribunal doit être contextuelle. Ainsi, le juge n’avait pas à déterminer si, par exemple, le fait d’avoir envoyé quatre lettres était suffisant ou non. Il se devait plutôt de déterminer si, dans le contexte particulier de l’affaire, les démarches entreprises par les intimés étaient suffisantes et raisonnables. C'est ce qu'il a fait et je ne vois pas d’erreur dans son analyse.
Le juge de première instance a-t-il suffisamment individualisé l'analyse de la complexité du dossier en rapport avec la situation de chacun des intimés?

[94] Selon l’appelant, le juge a erré en examinant le dossier dans son ensemble, c’est-à-dire en considérant toute la preuve amassée contre l’ensemble des 110 accusés, plutôt qu'en examinant la preuve et sa complexité au regard de chacun des intimés. Il est également d’avis que le juge aurait dû tenir compte de l'existence d'un programme informatique qui facilite le traitement de la preuve en permettant de retrouver facilement l’information concernant un intimé en particulier au point où l'aide d'un avocat n'est pas essentielle. Finalement, il plaide que le juge a omis de considérer la durée relativement courte du procès de certains intimés et qu’il n’a pas pris en compte la situation particulière de Steeve Ouellet et de Denis Dubé, qui ne sont pas visés par la dénonciation conjointe.

[95] Les intimés répondent que l’appelant soulève une question de fait à l'égard de laquelle le juge n’a pas commis d’erreur. Ils ajoutent que tous les intimés, sauf Jacques Sylvain, font face à une preuve d’écoute électronique qui est régie par des règles d’admissibilité strictes et qui exige un examen approfondi de la part de l'avocat de la défense, notamment en considérant la possibilité de requêtes de type Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421 . Ils ajoutent que certains d’entre eux n’étant pas visés par l’autorisation d’intercepter les communications privées (Liliane Blais, Denis Dubé, Jacques Gagné et Steve Sylvain), leurs avocats devront envisager la possibilité de présenter une requête de type Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148 . Ils plaident également que dans l'hypothèse où de telles requêtes étaient présentées, la prétention de l’appelant quant à la courte durée de certains procès serait nécessairement erronée. Ils invoquent aussi les difficultés inhérentes à la preuve d'accusations de complot et de gangstérisme de même que la possibilité d'une défense d’entrapment pour les intimés moins impliqués comme Jacques Sylvain.

[96] Il est bon de rappeler que la poursuite a joint plusieurs des accusés (notamment quinze des dix-sept intimés) et plusieurs chefs d'accusation dans une seule dénonciation. En outre, même si d'autres accusations font l'objet de dénonciations distinctes, la poursuite a toujours procédé conjointement en réunissant toutes les dénonciations, notamment à l'enquête préliminaire. Je souligne également que les accusés ont choisi, selon les dispositions de l'article 561 C.cr., d'être jugés par un juge de la cour provinciale, de sorte qu'ils doivent être jugés sur la dénonciation qui a servi aux fins de l'enquête préliminaire. Ce n'est qu'au stade des requêtes de type Rowbotham que la poursuite a évoqué la possibilité de séparer les procès, ce que le juge a refusé de considérer vu que la question demeurait hypothétique et que les procès n'étaient toujours pas séparés.

[97] En appel, le procureur général insiste maintenant sur la durée plus courte des procès impliquant six intimés, ce qui, selon lui, démontre que le juge a erré dans son évaluation de la complexité de l'affaire. Eu égard au type de preuve que la poursuite entend présenter, l'appelant précise ainsi la durée anticipée de ces procès : Jacques Gagné, une journée; Mélanie Deschênes, Jacques Sylvain, Steve Sylvain et Steeve Ouellet, deux jours; Denis Dubé, deux ou trois jours.

[98] Même si les procès étaient séparés, je suis d'avis que l'appelant a tort en évaluant de la sorte la durée des procès. Comme le plaident les intimés, l'interception de communications privées implique nécessairement l'examen de multiples conversations même si certains intimés n'ont pris part qu'à quelques-unes. Il vaut de rappeler que la théorie des actes manifestes, en matière de complot, permet de retenir contre tous les coconspirateurs les paroles prononcées par l'un d'eux dans la poursuite du but commun. Une préparation adéquate exige donc, de la part de l'avocat, une analyse qui peut dépasser amplement les seules conversations impliquant directement son client. De plus, l'évaluation de l'appelant ne tient aucunement compte des requêtes et contre-interrogatoires prévisibles en la matière. Bref, il me semble que cette évaluation banalise indûment la complexité de la préparation et de la participation d'un avocat à un tel procès.

[99] Par ailleurs, l'on reproche à Jacques Gagné, par exemple, un complot de trafic de cocaïne impliquant quinze coconspirateurs qui aurait duré quelque neuf mois. Comment croire que la preuve de la surveillance physique, des six conversations de M. Gagné qui ont été interceptées et de deux perquisitions, sans compter, le cas échéant, la preuve de la défense, ne prendra qu'une journée?

[100] La durée invoquée par l'appelant n'est pas davantage réaliste dans les autres cas. Pour Mélanie Deschênes, il y a deux complots (trafic et production) d'une durée d'un an impliquant une trentaine de coconspirateurs et nécessitant la preuve d'une déclaration, de la surveillance physique, de sept conversations et de deux perquisitions. En ce qui concerne Jacques et Steve Sylvain, l'on parle de trafic de cocaïne sur une période de neuf mois et d'autres infractions requérant, dans le cadre d'un procès conjoint, la preuve de déclarations, de rencontres avec un agent d'infiltration, d'une perquisition et d'une conversation interceptée. Steeve Ouellet est accusé de diverses infractions dont la preuve consiste en quinze conversations téléphoniques, une perquisition et une rencontre avec un agent d'infiltration. Dans ce contexte, l'appelant ne me convainc pas de la justesse de son évaluation.

[101] Enfin, Denis Dubé (qui a plaidé coupable depuis) faisait face à deux accusations de complots et à une autre de gangstérisme nécessitant la preuve de huit surveillances physiques, de soixante-dix-neuf conversations et de deux perquisitions. Pourtant, l'appelant prétend toujours que deux ou trois jours auraient suffi pour compléter ce procès. Cette prétention n'est pas raisonnable.

[102] Dans R.C., la Cour écrit, au paragr. 152, :

La question à se poser est celle de déterminer si l’instance est à ce point complexe qu’elle nécessite l’assistance d’un avocat pour garantir un procès équitable.

[103] L'appelant ne démontre aucune erreur dans la conclusion du juge de première instance lorsqu'il affirme qu’il s’agit d’une affaire dont la complexité est évidente. Comme je l'ai mentionné, le volume de preuve recueillie est considérable et plusieurs techniques d’enquête ont été utilisées. Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’une affaire simple, contrairement par exemple à R. c. Sechon, précité, alors que le juge Rothman mentionne que le procès d’une durée d’environ trois heures avait été équitable même si l’accusé n’était pas représenté par avocat, puisqu’il s’agissait essentiellement d’une question de crédibilité relativement à deux chefs d’accusation assez simples d’avoir fait une fausse déclaration à un agent de la paix.

[104] Le poursuivant est maître des accusations. Il ne peut toutefois porter une panoplie d'accusations dont la complexité est établie contre une multitude d'accusés sans encourir les conséquences d'un tel choix. Ici, le résultat de l'analyse contextuelle à laquelle s'est à bon droit astreint le juge de première instance l'a mené à une conclusion raisonnable, fondée sur la preuve, à l'égard de laquelle l'appelant ne démontre ni erreur de droit ni erreur de fait manifeste et dominante. La complexité d'un dossier est d'abord et avant tout une question de fait et les conclusions du juge de première instance méritent donc toute la déférence reconnue en matière d'évaluation de la preuve. Je conclus que ce moyen d'appel ne peut être retenu.
L'application à l'espèce

[105] La dernière question consiste à déterminer s'il y a lieu d'accueillir le pourvoi étant donné l'erreur de droit commise par le juge de première instance au regard de l'effet de l'attestation d'admissibilité à l'aide juridique sur la preuve de l'indigence. À mon avis, il n'y a pas lieu de l'accueillir puisque l'erreur n'a eu aucun impact véritable.

[106] Comme je l'ai dit, la poursuite n'a pas été brimée dans la présentation de sa preuve. Elle a pu interroger et contre-interroger tous les intimés et a été en mesure de présenter la preuve qui lui semblait pertinente à la contestation de l'état d'indigence de ces derniers. L'appelant a d'ailleurs indiqué lors de l'audience en appel que, à toutes fins utiles, les seuls aspects nouveaux qui pourraient être examinés sont la capacité d'emprunt des intimés en vue de défrayer les honoraires de leurs avocats et la possibilité d'emprunter la somme à leurs proches. Ni l'un ni l'autre ne justifient d'accueillir l'appel.

[107] Comme a répondu Gino Nadeau à l'avocat de la poursuite qui lui demandait s'il avait vérifié sa capacité d'emprunt :

Si j'ai vérifié? C'est sûr que je peux pas emprunter à partir de la prison. […] Non, je l'ai pas vérifié.

[108] Il va de soi que la nature des accusations, conjuguée au statut de détenu en attente de procès, aurait rendu totalement illusoire la possibilité que M. Nadeau ait pu emprunter la somme requise. Cette conclusion s'applique tout autant aux autres intimés qui sont détenus, soit MM. Jean-Guy Asselin, Réjean Bossé, Éric Lévesque, Jasmin Pelletier et Daniel Roy, d'autant que M. Bossé, au moment des requêtes, était en faillite, que M. Pelletier avait de nombreuses dettes et avait vu ses biens saisis par le ministère du Revenu, que les parents de M. Lévesque lui avaient déjà indiqué qu'ils ne voulaient pas s'engager de la sorte, et que les biens de M. Asselin étaient également saisis par le ministère du Revenu.

[109] La preuve me convainc tout autant que les autres intimés sont dans un état d'indigence tel que, conformément à la jurisprudence, force est de conclure qu'ils n'ont pas, confrontés à un dossier d'une telle complexité, la capacité financière pour payer les honoraires d'un avocat sans lequel le procès deviendrait inéquitable. Je souligne au passage que, au moment des requêtes :

Jean St-Pierre, dont les biens étaient aussi saisis, avait, au début des procédures, payé les honoraires d'un avocat avant de cesser plus tard de le faire, faute de moyens financiers;

Les avoirs de Liliane Blais étaient également été saisis;

Denis Dubé n'avait pas de revenus et sa mère était sans emploi;

Mélanie Deschênes avait un taux d'endettement élevé de sorte que même si elle avait réussi à emprunter (ce qui, je le répète, serait fort surprenant vu la nature des accusations), elle n'aurait vraisemblablement pu obtenir une somme suffisante;

Jacques Sylvain était tout autant endetté;

Steve Sylvain détenait une hypothèque de 100 000 $ qu'il remboursait difficilement;

Gilbert Nadeau avait aussi une hypothèque et son épouse, qui remboursait ses cartes de crédit, refusait de débourser quelque somme d'argent pour assurer sa défense;

Christian Lavoie avait des dettes et avait perdu son emploi.

[110] Je ne prétends pas résumer ainsi l'entièreté de la situation financière des intimés. D'ailleurs, quatre d'entre eux (Denis Dubé, Christian Lavoie, Gilbert Nadeau et Gino Nadeau) ont plaidé coupables depuis, de sorte que la question est devenue théorique à leur égard. Par contre, ces quelques exemples suffisent à me convaincre que, même s'il avait tenu compte de la preuve de la poursuite en ce qui a trait à l'état d'indigence des intimés, le juge de première instance aurait tiré la même conclusion. De plus, l'appelant a eu l'occasion de faire la preuve de l'existence de biens appartenant à Jean-Guy Asselin, Gilbert Nadeau, Jean St-Pierre et Steve Sylvain, de sorte qu'il est inexact de prétendre qu'ils les ont dissimulés aux fins des requêtes. Cette preuve, considérée à la lumière de l'ensemble des circonstances, notamment l'ampleur des saisies réalisées sur leurs biens et l'importance de leurs dettes, ne permet pas de remettre en question leur état d'indigence et la nécessité de pourvoir au paiement des honoraires de leurs avocats pour leur assurer un procès équitable.

[111] Dans ces circonstances, la requête de Jean St-Pierre demandant la permission de présenter une nouvelle preuve portant sur une décision confirmant son admissibilité à l'aide juridique devient sans objet.

[112] Avant de clore, je désire rappeler que la décision d'accueillir une requête de type Robowtham n'est pas sans conséquence et que les présents motifs ne doivent d'aucune façon être compris comme une incitation à interpréter de façon libérale les règles applicables. Le fardeau du requérant est lourd et c'est uniquement dans les cas exceptionnels qu'une telle requête peut être accueillie et que l'instance peut être suspendue jusqu'à ce que l'État satisfasse à son obligation constitutionnelle.

[113] Pour ces motifs, je propose le rejet du pourvoi.








FRANÇOIS DOYON, J.C.A.