Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Gosselin c. Charest, 2017 QCCS 35

09/01/2017 16:40

no. de référence : 460-17-001888-148

Gosselin c. Charest

2017 QCCS 35

JP-2304

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

N° :

460-17-001888-148

DATE :

9 janvier 2017

______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S.

______________________________________________________________________

JEAN-GUY GOSSELIN

et

MARIE-JOSÉE ST-AMOUR

et

X

Demandeurs

c.

CAROLINE CHAREST

et

KISITO BESSETTE

Défendeurs

______________________________________________________________________

JUGEMENT

______________________________________________________________________







l’aperçu

[1] Les demandeurs, un couple marié et leur fille requièrent qu’il soit ordonné aux défendeurs qu’ils cessent de véhiculer des propos diffamatoires à leur égard. De plus, ils leur réclament des dommages compensatoires et punitifs pour atteinte à leur vie privée, à leur intégrité et à leur réputation.

[2] Croyant sincèrement que la vie du demandeur était en danger puisque sa femme voulait l’assassiner, la défenderesse, souhaitant à tout prix le protéger ainsi que sa fille, s’investit avec acharnement dans la recherche d’éléments de preuve, collige multiples informations qu’elle soumet par la suite aux autorités policières.

[3] Aussi, toujours devant cette croyance sincère que la jeune demanderesse subissait des sévices corporels et des attouchements sexuels de la part de ses parents, la défenderesse prépare également un dossier qu’elle remet à la Direction de la protection de la jeunesse (« DPJ »).

[4] La Sûreté municipale de la localité des demandeurs, la Sûreté du Québec de cette même région et la DPJ procèdent à une enquête, incluant des rencontres avec la défenderesse.

[5] Rapidement, les autorités concluent non seulement qu’il n’y a pas matière à pousser davantage l’enquête, mais que la défenderesse tient des propos incohérents et que l’histoire racontée n’a aucun sens.

[6] En plus des nombreux comportements tout à fait incohérents, incompréhensibles, voire parfois loufoques, une évaluation psychiatrique révèle qu’à l’époque pertinente, la défenderesse présente un délire paranoïde avec éléments de persécution. Aussi, son autocritique est pauvre et son jugement est altéré par des aspects psychotiques.

[7] Bien que les faits et gestes de la défenderesse soient fautifs et que cela cause des dommages aux demandeurs, elle ne saurait être tenue responsable civilement puisqu’au moment des événements, elle ne dispose pas de facultés mentales suffisantes pour lui permettre d’apprécier ou de prévoir les conséquences de ses actes.

[8] Quant au défendeur, son conjoint, non seulement il n’a pas participé directement ni même indirectement dans le projet de la défenderesse, mais il a à plusieurs reprises tenté de la convaincre de mettre fin à celui-ci et de consulter un professionnel de la santé.

[9] On ne peut lui reprocher de ne pas être intervenu autrement et de ne pas avoir pris d’autres mesures pour arrêter son épouse dans l’élaboration de son projet compte tenu de la situation personnelle et familiale difficile qu’il vivait.

le contexte

[10] La demanderesse, Marie-Josée St-Amour (ci-après : St-Amour[1]) et le demandeur Jean-Guy Gosselin (ci-après : Gosselin) sont mariés.

[11] La défenderesse Caroline Charest (ci-après : Charest) et le défendeur Kisito Bessette (ci-après : Bessette) sont conjoints de fait et ont six enfants.

[12] En 2006, St-Amour et Gosselin deviennent les parents adoptifs de la demanderesse X (ci-après : X qui a alors 16 mois. Elle présente des problèmes de santé à son arrivée au Canada, en plus d’accuser un retard dans son développement.

[13] St-Amour et Gosselin font des démarches afin que les professionnels de la santé prennent en charge X pour que les problèmes identifiés soient traités diligemment.

[14] Dans le cadre des rencontres avec l’un de ces professionnels, on leur suggère, pour faciliter l’intégration et le développement de X, de prendre contact avec Charest qui est aussi mère d’une jeune enfant d’origine chinoise, en plus d’être une éducatrice dans le milieu des garderies.

[15] Commence alors une relation personnelle entre les parties, laquelle met davantage en évidence les liens entre les enfants que les parents. La fille des défendeurs et X deviennent d’ailleurs rapidement de bonnes amies.

[16] Voyant que X présente des difficultés d’apprentissage, Gosselin et St-Amour retiennent les services de Charest pour qu’elle aide X à développer ses compétences et commencer l’école sans accuser un trop grand retard sur ses amis de classe. St-Amour et Gosselin sont très satisfaits des services de Charest.

[17] À un certain moment, la relation entre les parties se détériore. Le fait que St-Amour et Gosselin cessent d’avoir recours aux services professionnels de Charest crée un froid. Aussi, Charest est en désaccord avec les choix faits par St-Amour et Gosselin quant à la garderie et l’école choisies pour X.

[18] La tension devient vite palpable. St-Amour et Gosselin décident de prendre leurs distances. Les contacts diminuent et même deviennent absents, ce qui affecte Charest au plus haut point, elle qui aime X comme si elle était sa propre fille et qui voit sa fille perdre une bonne amie.

[19] Pour la période du 25 juin au 25 août 2013, Charest est mise en arrêt complet de travail par son médecin traitant. Elle reprend le travail à raison de 20 heures / semaine à compter du 25 août, puis revient à temps complet à l’automne suivant. Les diagnostics établis par le médecin traitant en sont de « troubles de l’adaptation avec humeur anxieuse, d’attaques de panique, de TDAH, de TAG avec fond d’angoisse persistant versus un TDA moins sévère ».[2]

[20] À l’été 2013, un médicament appelé Dexedrine est prescrit à Charest pour résoudre ses problèmes de santé. La dose de départ de cette médication est par la suite augmentée le 7 octobre 2013.

[21] Le 4 novembre 2013, Charest rencontre l’agent de police Sylvain D’Amours de la Sûreté municipale de Bromont. Elle l’informe qu’elle est la marraine d’une enfant qui serait maltraitée par ses parents. Elle s’inquiète de la sécurité et du développement de cette enfant. Elle souhaite connaître les démarches pour soumettre cette information à la DPJ. Après avoir été informée par l’agent des diverses avenues possibles, Charest quitte, sans plus.

[22] Le 14 décembre 2013, Charest sollicite de nouveau une rencontre avec un agent de la Sûreté municipale de Bromont et, cette fois-ci, elle voit Lyne Riendeau. La rencontre dure quatre heures. Charest remet à l’agent un dossier complet, soit un livre contenant multiples informations, clé USB, photos. Aussi, l’agent prend une déclaration de Charest. Tous ces éléments sont en lien avec le fait que X est maltraitée par ses parents, que son développement est compromis, qu’elle est victime d’attouchements sexuels de la part de ses parents. Aussi, Charest ajoute que St-Amour pourrait empoisonner son mari.

[23] L’agent Riendeau fait suivre le dossier à la DPJ le 15 décembre 2013.

[24] À la mi-janvier 2014, Charest communique avec la directrice de l’école que fréquente X. Elle lui tient les mêmes propos que ceux tenus aux autorités policières.

[25] Le 17 janvier 2014, Charest se rend, cette fois-ci, rencontrer un agent de la Sûreté du Québec à Dunham. Elle relate encore une fois l’histoire, remet multiples documents et photos. Dans la même journée, elle rencontre Gosselin qui est seul. Elle lui dit qu’il est en danger, que sa femme a mis un contrat sur sa tête, que la police est au courant, ainsi que la DPJ qui verra à s’occuper de X.

[26] Le lendemain, sachant que Gosselin est toujours seul à son domicile et croyant qu’il est dans le besoin, puisqu’exploité et abandonné par sa femme, Charest se rend lui porter un sac de nourriture, ce qu’il refuse de prendre.

[27] La journée suivante, le 19 janvier 2014, Charest croise St-Amour et X dans un club vidéo. Devant les gens présents, elle regarde St-Amour et lui dit « tu vas être arrêtée par la police, la police enquête sur toi et ton mari »; Charest prend X par l’arrière, l’enveloppe dans ses bras et lui dit « je suis ta marraine, je t’aime, tu es en danger ». Gosselin et St-Amour sont sous le choc. Ils ne comprennent pas ce qui se passe, eux qui ont maintenant à répondre aux autorités policières.

[28] Le 23 janvier 2014, ils signifient à Charest une mise en demeure l’enjoignant de cesser de véhiculer des propos diffamatoires et mensongers à leur égard.

[29] Le 1er février 2014, au restaurant McDonald’s de Granby, Charest voit X, s’en approche, lui adresse la parole comme suit : « X, regarde-moi dans les yeux, tu sais que tu es en danger, car tes parents vont se faire arrêter par la police », ce qui inquiète vivement la petite X.

[30] Le 13 février 2014, à la demande de Gosselin et St-Amour, la Cour supérieure prononce une injonction interlocutoire provisoire dont les conclusions sont les suivantes :

« (…)

ORDONNE aux défendeurs de cesser immédiatement de véhiculer tout propos dénigrant à l’égard, en relation ou ayant trait aux demandeurs, et ce, auprès de qui que ce soit, sauf leur procureur, et par quelque moyen que ce soit, incluant les médias sociaux;

DÉCLARE que la présente ordonnance sera valide et en vigueur jusqu’au 19 février 2014 à 17h00;

DISPENSE les demandeurs de fournir caution;

REPORTE l’audition de la demande interlocutoire au 19 février 2014, au Palais de Justice de Granby, à 9h00;

(…) »

[31] Le 18 février 2014, l’ordonnance d’injonction provisoire prononcée le 13 février 2014 est prolongée jusqu’au prononcé d’une injonction interlocutoire laquelle n’a finalement pas été présentée.

[32] Le 22 mars 2014, Charest est examinée en urgence au Centre hospitalier de Granby. Le docteur Bourget conclut à un « trouble délirant paranoïde sans évidence de décompensation affective ni de dangerosité grave immédiate ». Une médication est prescrite. Charest se soumet à un suivi médical, bien qu’elle soit convaincue ne pas être malade.

[33] Le 11 septembre 2014, elle est évaluée par le psychiatre Jean L’Espérance qui confirme un délire en rapport avec les demandeurs, ajuste la médication, fait de la psychoéducation concernant la psychopathologie majeure de la lignée psychotique présentée sous Dexedrine. Charest poursuit ses suivis médicaux et ses traitements comme le suggèrent les professionnels.

[34] Gosselin et St-Amour requièrent du Tribunal qu’il ordonne à Charest et Bessette de cesser de tenir des propos diffamatoires à leur égard. De plus, ils réclament des dommages compensatoires pour l’atteinte à leur réputation, à leur vie privée, à leur intégrité ainsi que des dommages punitifs puisqu’ils prétendent que Charest et Bessette ont agi de façon intentionnelle.

[35] Charest, bien qu’elle reconnaisse les manquements qu’on lui reproche, avance qu’en raison de sa maladie, elle n’était pas capable de faire la différence entre le bien et le mal, ne disposant pas à cette époque de facultés mentales suffisantes pour lui permettre d’apprécier ou prévoir les conséquences de ses gestes.

[36] Bessette nie avoir participé au projet de sa conjointe. Il ajoute n’avoir personnellement rien à voir avec les démarches orchestrées par celle-ci ni avoir lui-même prononcé les propos mensongers ou diffamatoires à l’égard de Gosselin et St-Amour. Il mentionne également être lui-même une victime dans toute cette histoire, avoir été impuissant et incapable d’arrêter sa conjointe dans l’élaboration et la mise en œuvre de son projet, étant manipulé et induit en erreur par celle-ci en plus d’être à cette période grandement affecté psychologiquement.

l’analyse et la discussion

Le droit applicable

[37] Les dispositions pertinentes à la solution du litige sont les suivantes :

Code civil du Québec

« 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

1611 Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et qu'il est susceptible d'être évalué.

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.»

Charte des droits et libertés de la personne

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[38] Chacun des défendeurs proposant ses propres moyens de défense, le Tribunal analysera la responsabilité de chacun d’eux individuellement.

Responsabilité de Charest

- Faute

[39] Une personne prudente, diligente et raisonnable ne se lance aucunement et encore moins avec acharnement dans une mission ayant ultimement comme conséquence l’anéantissement d’une famille sans avoir le bénéfice d’un minimum d’éléments factuels de ce qu’elle avance.

[40] La thèse de l’assassinat de Gosselin et celle de mauvais traitements et attouchements sexuels de Gosselin et St-Amour sur leur fille ne sont aucunement fondées ou soutenues par quelque élément de preuve ou indice que ce soit. Ces thèses ne sont que le fruit de l’imagination et de pures spéculations de Charest. À l’instruction, elle reconnaît que ce qu’elle avance à l’époque n’est pas fondé et aussi totalement incohérent, absurde, voire irréaliste.

[41] Le fait que Charest véhicule des propos tels que St-Amour voulait la mort de son mari, que ces derniers maltraitaient leur fille X, se prêtaient à des attouchements sexuels sur elle ainsi que sur sa propre fille, et ce, en l’absence de tout élément de preuve si mince soit il constitue sans l’ombre d’un doute un comportement qui déroge aux règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à la défenderesse[3].

[42] De même, le fait d’avoir colligé et communiqué aux autorités policières et à la DPJ des informations totalement fausses de cette nature est également un comportement inacceptable, qui en principe engage la responsabilité civile de celui qui l’exerce.

[43] Point n’est besoin d’étoffer davantage sur cette question.

- Faculté de discernement

[44] L’article 1457 al. 2 du Code civil du Québec[4] pose comme condition première à la responsabilité extracontractuelle, la faculté de discernement, condition que le législateur québécois entend donc séparer de la faute[5].

[45] Pour être responsable civilement et obligé de réparer le dommage causé à autrui, il faut que l’agent ait été doué de raison, c’est-à-dire apte à se rendre compte de la nature de l’acte qu’il posait, de sa portée et de ses conséquences possibles[6].

[46] Ainsi, un comportement qui, chez un individu normal, serait considéré comme fautif et donc retenu contre lui ne l’est pas lorsqu’il émane d’une personne qui, au moment où elle a posé l’acte entraînant le préjudice, était privée de sa raison d’une manière temporaire ou permanente[7].

[47] La faculté d’apprécier les conséquences de ses actes se révèle donc être une condition d’existence même de la faute et partant, de la responsabilité de son fait personnel[8].

[48] Dans une instance donnée, il appartient au juge du fond de déterminer si la personne poursuivie était ou non douée de raison. En tout état de cause, il s’agit là d’une question de fait[9].

[49] Qu’en est-il en l’espèce?

[50] À l’été 2013, Charest est mise en arrêt de travail pour des raisons médicales. Des diagnostics de troubles d’adaptation avec humeur anxieuse, d’attaques de panique, de TDAH, de TAG avec fond d’angoisse persistant sont établis. Charest est épuisée, anxieuse, mais cela n’est rien pour altérer de façon significative ses facultés mentales, sa capacité d’analyse et son jugement.

[51] Elle est traitée par la prise d’une médication, la Dexedrine (10 mg), qui a comme effet de la calmer, de la recentrer et de favoriser la concentration. L’effet recherché n’est pas concluant. Charest a toujours des difficultés de concentration, entre autres, au volant de son véhicule automobile et, dira-t-elle, « elle a la tête dans les nuages ».

[52] Le 7 octobre 2013, la dose de départ de la Dexedrine est augmentée à 20 mg. Comme nous le verrons plus loin, la prise de ce médicament est l’élément déclencheur d’une psychose chez Charest qui l’amènera à regret à se comporter comme elle l’a fait à l’égard de St-Amour et Gosselin.

[53] Dans les semaines et les mois qui suivent, on observe chez Charest des comportements incohérents, incompréhensibles, voire parfois loufoques. Les faits et circonstances prouvés quant à ces comportements sont notamment les suivants :

- À la fin du mois d’août 2013, Charest est très fatiguée, anxieuse et est constamment dans ses pensées;

- Elle travaille de septembre au 25 octobre 2013, en matinée et doit se coucher en après-midi;

- Le 25 octobre 2013, elle insiste pour reprendre le travail à temps complet puisqu’elle a besoin d’argent. Elle est très préoccupée, obsessive dans ses pensées;

- En octobre 2013, sa sœur et son employeur, Geneviève Charest, reçoit une plainte d’un parent qui dit qu’elle a des moments d’absence à son travail. « Elle est là physiquement, mais ne réagit pas »;

- En novembre 2013, Charest appelle sa sœur Geneviève pour lui dire que l’école Montessori a été défoncée la nuit. Cette dernière se rend sur les lieux et ne voit aucune trace d’effraction. Charest pointe une petite égratignure sur la porte, à côté de la poignée. Dans les faits, il n’y a pas eu d’introduction par effraction, mais Charest en est fermement convaincue. Elle ajoute qu’il y a sûrement quelqu’un qui est entré pour mettre des caméras;

- Charest a peur suite à la prétendue entrée par effraction; elle est nerveuse et dit à sa sœur Geneviève, qui lui mentionne qu’il n’y a pas eu d’introduction par effraction, « tu vas voir »;

- En novembre ou décembre 2013, lors d’un déplacement de Bromont à Québec, un accident de la route survient, impliquant des véhicules qui précèdent celui de Charest et Bessette. La circulation est ralentie et doit être détournée. Charest est alors convaincue qu’il s’agit d’un coup monté, « cela est pour la tester »;

- En décembre 2013, Charest dit à sa sœur Geneviève qu’un pick-up noir passe chez elle et qu’elle a la preuve maintenant qu’elle est sous surveillance. Elle et sa famille seraient prises en photo;

- Toujours en décembre 2013, Charest est convaincue qu’il y a des caméras dans la garderie. Elle se sent surveillée et elle met à l’ordre les employés de la garderie puisqu’elle est convaincue qu’ils sont sous surveillance. Il ne faut donc pas qu’ils contreviennent à quelque règlement que ce soit;

- Charest devient très méfiante à l’égard de sa sœur Geneviève;

- Le 25 décembre 2013, Geneviève se rend chez Charest pour lui souhaiter joyeux Noël. Bien qu’il soit près de midi, les membres de la famille Charest sont en pyjama, tristes; ils ne font rien. Charest est à l’ordinateur depuis tôt le matin et personne n’a le droit de la déranger;

- À la mi-janvier 2014, Geneviève invite Charest chez elle. Elle veut comprendre ce qui se passe. Lorsque Charest arrive, elle lui dit : « j’espère que tu ne penses pas que je fais de la paranoïa, car tu ne connais rien à mon histoire ». Elle ajoute : « c’est un gros dossier sous enquête, c’est très gros ce qui se passe ». Elle poursuit en disant « madame St-Amour et elle qui ont toutes deux sevré un antidépresseur, sont sous surveillance, car les gens tentent de leur faire passer des tests pour voir laquelle des deux est la plus malade »;

- Charest communique à plusieurs reprises à l’automne-hiver 2013-2014 avec Mme Claire Beaulac, une amie de St-Amour, d’abord pour lui demander des photos de X, ensuite pour lui faire part que St-Amour voulait assassiner son mari, que celui-ci était découragé et pleurait souvent, que St-Amour voulait l’argent de son mari. Madame Beaulac mentionne que Charest lui disait beaucoup de choses qui n’avaient pas d’allure comme le fait que X se soit jetée dans ses bras au restaurant East Side Mario’s et dit « sauve-moi », et

- Fin février 2014, Charest dit à sa sœur Geneviève qu’elle travaille pour la cause de Gosselin avec une travailleuse sociale. Gosselin est installé dans un bâtiment en face de la garderie et prend des photos.

[54] Charest croit sincèrement et fermement que Gosselin et St-Amour maltraitent leur fille, se livrent à des attouchements sexuels sur elle et que St-Amour veut faire assassiner son mari.

[55] Charest se déplace à diverses reprises pour rencontrer des agents de police, communique avec les représentants de la DPJ, la directrice de l’école fréquentée par X, un parent[10] d’enfants qui fréquentent X et des amis de St-Amour et Gosselin[11].

[56] Aussi, il y a la visite chez Gosselin le mercredi 17 janvier 2014 lors de laquelle Charest lui dit qu’il est en danger et que sa femme a mis un contrat sur sa tête. Également; la rencontre fortuite au club vidéo lors de laquelle elle dit à X qu’elle est en danger parce que ses parents vont se faire arrêter par la police et celle au McDonald’s où elle réitère à X qu’elle est en danger.

[57] Charest a une fixation, une obsession. Elle n’a qu’une chose dans la tête, sauver la petite X et l’accueillir chez elle.

[58] La simple lecture du dossier[12] préparé par Charest pour appuyer ses croyances erronées est une démonstration éloquente que celle-ci vivait une réalité bien différente de celle existante. Elle s’est montée une histoire tout à fait rocambolesque, était fermement convaincue qu’elle était investie d’une mission de sauvetage, elle devait intervenir afin de protéger Gosselin et sa fille contre St-Amour qui, à ses yeux, était une femme qui voulait la mort de son mari au bénéfice de son argent.

[59] Et que dire des courriels[13] que Charest communique à Gosselin durant la période pertinente. Une simple lecture de ceux-ci nous convainc qu’ils émanent d’une personne ayant des problèmes de santé mentale.

[60] Afin de plus amplement appuyer ce moyen de défense, Charest fait entendre l’expert psychiatre Caroline Proteau. Celle-ci a été mandatée plusieurs mois après les événements donnant lieu au présent recours. Elle n’a pas évalué Charest, mais a plutôt pris connaissance et analysé l’ensemble des rapports ayant fait suite aux interventions des professionnels de la santé pour la période de juin 2013 à octobre 2014.

[61] Gosselin et St-Amour avancent que le rapport de l’expert Proteau comporte des erreurs importantes et que cela démontre la négligence dans le travail de l’expert et en conséquence, son rapport n’est pas fiable.

[62] D’abord, les inexactitudes, au nombre de trois, consistent en une erreur de nom, de date quant au début de la prise d’un médicament ainsi que de l’indication fausse quant au nom d’un médicament.

[63] L’expert Proteau a, au tout début de son témoignage, attiré l’attention du soussigné sur les erreurs en question et y a apporté les corrections nécessaires qui, somme toute, n’ont aucun impact quant à son opinion.

[64] Il est vrai que le rapport écrit n’est pas parfait, mais les erreurs sont de loin de l’importance qu’avancent Gosselin et St-Amour quant à la conclusion de celui-ci.

[65] Aussi, l’expert Proteau témoigne longuement lors de l’instruction. Au-delà du rapport écrit, elle explique en détail les problèmes de santé mentale de Charest à l’époque pertinente, la nature et les effets des médicaments consommés. Elle expose également les différents diagnostics des médecins qui ont traité ou été consultés par Charest en plus d’exprimer son opinion quant à l’évolution de sa santé mentale.

[66] L’expert Proteau démontre une excellente maîtrise du dossier de Charest, une bonne compréhension des différents rapports médicaux consultés et son témoignage, convivial et complet, aide grandement le Tribunal à saisir les concepts médicaux abordés.

[67] Contrairement à ce qu’avancent Gosselin et St-Amour, le Tribunal estime fiable et utile l’information communiquée par l’expert Proteau.

[68] Cette information permet au Tribunal de comprendre l’état d’esprit qui anime Charest à cette époque. Aussi, elle permet de faire la lumière sur l’évolution de la maladie mentale, l’élément déclencheur de la psychose soit la prise d’un médicament appelé Dexedrine.

[69] Charest était fragile psychologiquement, voire prédisposée à la survenance d’une psychose. De plus, la prise de la Dexedrine, médicament contre-indiqué pour celle-ci, a développé le délire paranoïde que l’on connaît avec les conséquences qui s’ensuivirent.

[70] Le Tribunal partage entièrement la conclusion de l’expert Proteau qu’à partir de l’automne 2013 jusqu’à avril 2014, Charest présentait un délire paranoïde (psychose), que pendant ce délire elle ne pouvait pas faire la différence entre le bien et le mal. En conséquence, elle ne disposait pas de facultés mentales suffisantes pour lui permettre d’apprécier ou prévoir les conséquences de ses actes.

[71] Par ailleurs, Gosselin et St-Amour prétendent que Charest s’est elle-même placée dans cette fâcheuse situation puisqu’elle n’aurait pas suivi les prescriptions des professionnels consultés. Elle aurait doublé sa dose de Dexedrine à l’automne 2013 sans autorisation puis poursuivi la prise de ce médicament malgré un avis contraire du docteur Auger après le 2 avril 2014.

[72] D’abord, en ce qui concerne la période post-avril 2014, peu importe si dans les faits Charest a continué à prendre ce médicament, cela n’est pas pertinent puisque les éléments à la base du présent recours sont tous survenus avant cette date.

[73] En ce qui concerne le fait qu’elle aurait seule décidé de prendre une quantité double de la Dexedrine en octobre 2013, ce n’est pas ce que la preuve démontre. Charest témoigne être retournée voir son médecin, docteur Racine, pour l’informer de l’absence d’effet de la dose de 10 mg de la Dexedrine. C’est avec son autorisation qu’elle augmente la dose à 20 mg. D’ailleurs, il en est fait mention dans les notes du docteur Racine rapportées dans le rapport de l’expert Proteau D-1.

[74] Cet argument qui consiste à imputer une faute à Charest ne peut réussir.

[75] Enfin, Gosselin et St-Amour avancent que Charest n’a pas rempli son fardeau de la preuve puisqu’il existe une preuve contraire.

[76] D’abord, sur la question du fardeau de la preuve, il revient effectivement à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention[14].

[77] Le fardeau de preuve en matière de responsabilité civile est celui de la prépondérance des probabilités et non de la certitude ou de la preuve hors de tout doute raisonnable : « c’est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c’est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établie. »[15]

[78] Il est vrai que les policiers Sylvain D’Amours et Lyne Riendeau ne détectent pas lors de leur rencontre avec Charest que cette dernière souffre d’un problème de santé mentale. Il faut dire que Charest rencontre le policier D’Amours le 4 novembre 2013, soit au début de la période critique. Il est possible qu’il ne s’aperçoive de rien d’autant plus que la rencontre ne vise qu’à obtenir des informations générales sur le déroulement du processus de plaintes à la DPJ.

[79] L’agent Lyne Riendeau rencontre Charest le 14 décembre 2013. Bien qu’elle mentionne n’avoir rien vu de « bizarre », elle ajoute que Charest parle beaucoup et avec une grande certitude.

[80] L’agent Mélanie Gagné rencontre Charest le 17 janvier 2014. D’entrée de jeu, lors de son témoignage, elle mentionne ne pas avoir pris de déclaration de Charest, car dès le départ elle voit bien qu’elle a un problème de santé mentale.

[81] Le moins que l’on puisse dire est que les témoignages de ces trois policiers sont loin de soutenir la thèse qu’avancent Gosselin et St-Amour selon laquelle Charest est saine d’esprit lors de ces rencontres.

[82] S’il est vrai que l’on ne peut avoir l’assurance ou la certitude que Charest était sous l’influence d’un délire paranoïde, il est cependant plus probable que moins, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que celle-ci l’était au moment des événements ayant donné lieu au présent litige.

[83] En ce sens, Charest a satisfait à son fardeau de prouver qu’au moment des incidents reprochés, elle n’a pu commettre une faute civile puisqu’elle n’était pas douée de raison au sens de l’article 1457, al. 2 C.c.Q : « La personne privée de raison, et donc dans l’impossibilité de juger des actes qu’elle pose et de leurs conséquences, ne peut être tenue responsable du préjudice qu’elle cause. »[16]

[84] Cela dit, le Tribunal est d’avis que Charest, bien qu’elle ait posé des gestes fautifs et tenus des propos diffamatoires ne peut être tenue civilement responsable des dommages qu’elle a causés.

Responsabilité de Bessette

- Faute

[85] Charest et Bessette sont conjoints de fait depuis 2008. Ils ont six enfants dont quatre sont issus de leur union. Au moment des faits pertinents (automne-hiver 2013-2014) cinq des six enfants, tous âgés de 12 ans et moins, vivent chez eux. Le moins que l’on puisse dire est que la tâche domestique est lourde d’autant plus qu’ils occupent un emploi à l’extérieur.

[86] À l’été 2013, Charest est mise en arrêt de travail pour épuisement. Elle reprend à raison de 20 heures / semaine à compter de septembre 2013 et, bien qu’elle ne soit pas vraiment prête à s’impliquer à temps plein, elle le fait à compter du 25 octobre 2013 puisque la famille a besoin d’argent.

[87] Des travaux de rénovation du sous-sol ont cours toujours à cette période de sorte que sur plusieurs semaines, Charest et Bessette et leurs cinq enfants couchent tous dans la même chambre.

[88] Comble de malheur, Charest développe les problèmes de santé mentale que l’on connaît. Elle devient obsessive, compulsive, s’occupe de moins en moins des enfants pour s’investir dans sa mission de sauver Gosselin et sa fille, ce qui augmente significativement la tâche de travail de Bessette.

[89] La preuve démontre qu’à compter de la mi-octobre, début novembre 2013, Charest se lance dans divers projets avec une grande détermination, intensité voire obsession. Il y a d’abord un projet qui consiste à préparer un document pour une institution collégiale. Ensuite, c’est le dossier qui concerne Gosselin et St-Amour.

[90] Charest s’isole de la famille, se concentre totalement à ses projets, monopolise l’espace réservé jusque-là à la famille telle la cuisine. Elle convertit une chambre à coucher en bureau où elle passera d’innombrables heures à produire des textes et documents. Bessette s’oppose à maintes reprises à ce que fait Charest, ce qui crée de nombreux conflits, chicanes, déceptions avec stress et anxiété pour la famille.

[91] Lors de la journée de Noël 2013, les membres de la famille sont tristes, ils ne fêtent pas, il n’y a pas de projets sauf pour Charest qui passe la journée à travailler au montage des éléments du dossier de Gosselin et St-Amour.

[92] Bessette est épuisé physiquement et psychologiquement. Chaque fois que Charest lui parle du dossier en lien avec Gosselin et St-Amour, il l’arrête, lui dit de cesser cela, de lâcher prise. Elle cesse de lui en parler, se renferme sur elle-même et poursuit son travail de soir et même de nuit puisqu’elle ne dort, à cette époque, que 2-3 heures par nuit.

[93] Bessette ne voit pas véritablement les documents que Charest produit ni n’est au courant de ses démarches auprès des autorités policières, la DPJ ou auprès de diverses personnes de l’entourage de Gosselin et St-Amour avant qu’elle ne les accomplisse. Il ne rencontre pas les enquêteurs de police ni les représentants de la DPJ. Il ne participe d’aucune façon à la recherche d’éléments de preuve, l’analyse de ceux-ci ou la rédaction des documents.

[94] Il n’est pas présent au commerce du club vidéo lorsque Charest rencontre St-Amour et où elle lui aurait dit devant des gens présents : « tu vas être arrêtée, enquêtée toi pis ton mari » puis prend X par le cou, s’adresse à elle et lui dit : « je suis ta marraine, je t’aime, tu es en danger ».[17]

[95] Il n’accompagne pas Charest lorsqu’elle va chez Gosselin le 17 janvier 2014 pour lui dire qu’il est en danger, que sa femme a mis un contrat sur sa tête. D’ailleurs, il ne sait pas que celle-ci s’y est rendue. Pour la deuxième visite chez Gosselin le lendemain, tout ce qu’il sait est que Charest va porter de la nourriture à Gosselin, car il n’aurait pas de véhicule pour aller à l’épicerie.

[96] Aussi, Bessette ne participe d’aucune façon à la communication que Charest aurait eue avec Mme Borduas, directrice de l’école La Buissonniaire que fréquente X pour l’année scolaire 2013-2014.

[97] Bessette est tout à fait contre ce que fait sa conjointe. Il travaille à temps plein, gère la famille, les conflits et les engueulades avec elle, ce qui le place dans une situation extrêmement difficile, voire catastrophique. Il est en état de panique.

[98] En mars 2015, il se rend d’urgence à l’hôpital étant pris d’une crise de panique.

[99] Cela étant dit, Bessette a-t-il commis une faute en lien avec les dommages subis par Gosselin et St-Amour?

[100] Le Tribunal ne le croit pas. D’abord, rien dans la preuve n’établit une participation quelconque de Bessette dans l’élaboration du dossier qui concerne St-Amour et Gosselin. Encore moins en ce qui a trait à la présentation de ce dossier aux autorités policières, la DPJ ou à quelque autre personne que ce soit.

[101] Aussi, la preuve démontre clairement que Bessette non seulement s’oppose à ce que fait Charest, mais tente tant bien que mal de l’arrêter, la dissuader. Lors de l’instruction, Bessette affirme que Charest était comme un « bull ; il n’y avait rien pour l’arrêter ».

[102] Il y a bien sûr une lettre (P-4 en liasse) sur laquelle apparaît la signature de Bessette. Or, les circonstances ayant entouré la signature de cette lettre par lui démontrent qu’il en a été forcé par Charest, après de nombreuses engueulades. Comme la lettre est peu explicite et ne consiste qu’en une offre de Charest et Bessette faite à la DPJ d’accueillir X si besoin est, Bessette capitule, y appose sa signature et comme il le déclara, « il achète la paix ».

[103] Dans les circonstances, le Tribunal ne voit pas dans ce geste de Bessette une participation à la mission de Charest, ni même une approbation quelconque.

[104] Gosselin et St-Amour avancent que si Bessette les avait prévenus ainsi que les autorités policières et la DPJ de ce que s’apprêtait à faire Charest, ils auraient pu réagir et désamorcer sa manœuvre.

[105] Effectivement, ils ont raison.

[106] Cela dit, il faut résister de conclure vitement à une faute de Bessette en raison qu’il ne soit pas intervenu comme suggéré par St-Amour et Gosselin. Il est toujours plus facile, alors que les événements se sont produits, après une analyse à froid de ceux-ci, une fois pris un certain recul, de condamner le comportement d’une personne. Aux fins de la détermination de la faute, il faut analyser la conduite d’une personne (ses faits et gestes ou l’omission d’une intervention quelconque) en tenant compte des circonstances dans lesquelles elle se trouve au moment des événements[18].

[107] Le critère n’est pas celui de la super personne diligente, prudente et raisonnable, celle qui prévoit tout et qui est en mesure de contrecarrer tout événement malheureux. Chercher la faute revient plutôt à comparer la conduite de l’agent à une personne normalement prudente et diligente, douée d’une intelligence et d’un jugement ordinaire[19].

[108] Au moment de la période pertinente, Bessette se trouve dans une situation difficile. Il doit accomplir son travail, s’occuper de ses cinq jeunes enfants, des travaux de rénovation de la maison, en plus de vivre conflit par-dessus conflit avec Charest avec qui une communication sur une base raisonnable n’est plus possible.

[109] La famille vit dans l’exiguïté, les cinq enfants et les défendeurs dorment dans la même chambre, l’épuisement gagne le défendeur ce qui menace sa santé psychologique au point où il doit se rendre d’urgence à l’hôpital en raison d’une crise de panique.

[110] Bessette a tout fait pour convaincre Charest de cesser les démarches, lâcher prise, mais en vain.

[111] Le Tribunal estime, dans les circonstances, qu’il s’est comporté en personne prudente, diligence et raisonnable et on ne peut lui exiger davantage que ce qu’il a fait.

[112] La réclamation de Gosselin et St-Amour à l’égard de Bessette doit échouer.

dommages

[113] Il est utile que le Tribunal se prononce sur les dommages bien qu’il conclut à l’absence de responsabilité civile de Charest et Bessette, si ce n’est que pour vider l’ensemble des questions en litige au cas où Gosselin et St-Amour se pourvoiraient en appel de cette décision.

- Dommages compensatoires

Atteinte à la réputation

[114] Gosselin et St-Amour réclament chacun la somme de 25 000 $ pour atteinte à leur réputation.

[115] La quantification du montant approprié pour la compensation du préjudice découlant de la diffamation ou de l’injure demeure une étape difficile, qui fait appel à des paramètres imprécis laissant une bonne marge de manœuvre au juge du procès. Comme le mentionne souvent la doctrine et la jurisprudence, le préjudice moral n’est pas aisément monnayable[20].

[116] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore mentionnent plus particulièrement ce qui suit [21]:

« 1-601 – Généralités – La notion de diffamation a généré un important contentieux. Toute atteinte illicite à la réputation constitue une faute qui, si la preuve la soutient, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire. L’évaluation du dommage, surtout en ce qui a trait aux dommages-intérêts non pécuniaires, présente plusieurs difficultés.

(…)

1-605 – Dommages-intérêts non pécuniaires – La plupart du temps cependant, l’essentiel de la réclamation est constitué des dommages moraux éprouvés par la victime. Il s’agit alors de compenser l’atteinte à sa réputation et de chercher à réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont elle a fait l’objet. Les sommes accordées par les tribunaux varient selon les espèces. Parfois ils n’octroient qu’une compensation symbolique pour souligner la sanction de la diffamation, notamment lorsqu’ils estiment que le fait allégué était vrai, mais qu’il y a quand même eu faute dans sa publication. Comme le constatait la Cour d’appel, la jurisprudence récente a tendance à se montrer plus généreuse. La cour mentionne également que les précédents en la matière peuvent servir de guide afin de ne pas transformer les recours en " sorte de loterie ". Lorsque l’attaque est intentionnelle, on peut également y ajouter les dommages punitifs. »

[117] La juge Marie St-Pierre, alors qu’elle est à la Cour supérieure, suggère l’application des huit critères suivants pour déterminer le dommage résultant d’un acte diffamatoire[22] :

« [263] Huit critères guident le Tribunal dans l’évaluation de la réclamation et du quantum à accorder : (1) la gravité intrinsèque de l’acte, (2) sa portée particulière sur celui ou celle qui en a été la victime, (3) l’importance de la diffusion, (4) l’identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que l’écrit a provoqués chez ces personnes, (5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime par comparaison à son statut antérieur, (6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie, (7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes et, finalement, (8) les circonstances extérieures qui, de toute façon et indépendamment de l’acte fautif, constituent des causes probables du préjudice allégué ou de partie de ce préjudice. »

[118] Les gestes posés par Charest, les propos qu’elle a tenus à l’endroit de St-Amour et Gosselin sont hautement diffamatoires[23] et dommageables, voire destructeurs. Que de pire que de se voir taxer de vouloir assassiner son mari, de maltraiter et d’abuser physiquement et sexuellement de son enfant.

[119] Même si une décision judiciaire affirme que tel n’est pas le cas, que cette histoire résulte que de l’imagination de Charest qui de surcroît, souffre de problèmes de santé mentale, il demeure que les événements invoqués laissent des traces dans la communauté.

[120] Gosselin et St-Amour affirment se sentir jugés par leurs voisins, les gens qu’ils côtoyaient dans le cadre de leurs activités ou celles de la famille, qu’elles soient sociales ou sportives. Aussi, certaines personnes ne leur adressent plus la parole ou ne les saluent tout simplement plus.

[121] Malgré ce qu’ils affirment, le Tribunal constate que la preuve à cet égard est plutôt mince. À l’exception de quelques personnes seulement, qui sont soit de bonnes connaissances de St-Amour et Gosselin ou des amis, force est de constater que les demandeurs n’ont pas véritablement établi ce qu’ils avancent en termes d’ampleur de la diffusion.

[122] Il y a bien sûr certains intervenants de la DPJ, des agents de police et la directrice de l’école fréquentée par X qui ont reçu les propos diffamatoires. Ces personnes, de par leurs fonctions, sont soumises à la règle de la confidentialité de sorte qu’il y a peu de risque qu’il y ait propagation de l’information. Aussi, la preuve démontre que ces mêmes personnes ne croient aucunement l’histoire racontée par Charest. Au contraire, elles ont même participé à y mettre un terme.

[123] Heureusement, toute cette histoire ne dure que quelques mois puis les propos cessent dès le mois de février 2014, à compter de la signification des procédures judiciaires.

[124] Vu ce qui précède, le Tribunal estime que la somme de 15 000 $ pour chacun des demandeurs est justifiée et raisonnable pour réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont ils ont fait l’objet.

Atteinte à la vie privée

[125] Les trois demandeurs réclament chacun 10 000 $ pour l’atteinte à leur vie privée.

[126] Contrairement à ce que prétendent Charest et Bessette, il s’agit d’un poste de dommages distinct du précédent qui ne vise qu’à réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont ont fait l’objet les demandeurs[24]. Les faits et les circonstances prouvés démontrent largement une atteinte à leur vie privée.

[127] Charest a véhiculé des propos visant particulièrement la vie de famille des demandeurs. Elle s’est attaquée à leur milieu intime, à la cellule familiale, bref à ce qui est pour les demandeurs grandement précieux.

[128] Le Tribunal estime qu’une somme de 5 000 $ pour chacun des parents et de 2 500 $ pour leur fille est juste et raisonnable pour l’atteinte à leur vie privée.

Atteinte à l’intégrité

[129] Le Tribunal estime que ce poste de réclamation fait double emploi avec les deux postes précédents. Aucune somme n’est donc allouée de façon autonome pour l’atteinte à l’intégrité.

Troubles, ennuis et inconvénients

[130] Les trois demandeurs réclament au total 10 000 $ à ce titre.

[131] Le Tribunal estime ce poste de dommages distinct de celui visant l’atteinte à la réputation et l’atteinte à la vie privée.

[132] Les rencontres et les communications avec les autorités policières, la DPJ ou la directrice de l’école que fréquentait X ont apporté son lot d’ennuis et d’inconvénients sans compter les très nombreuses discussions entre Gosselin et St-Amour visant à faire la lumière sur toutes les allégations de Charest.

[133] Aussi, en ce qui concerne X, la preuve démontre qu’elle a été malgré elle impliquée dans toute cette histoire et a vécu du stress, de l’anxiété et l’inquiétude de perdre ses parents.

[134] Il y a eu l’épisode du club vidéo à Bromont où elle est témoin des propos tenus par Charest à l’égard de sa mère voulant qu’elle et son père allaient être arrêtés et emprisonnés. Lors de ce même événement, Charest l’a prise par le cou, lui a dit qu’elle était en danger.

[135] La rencontre au McDonald’s de Granby où Charest provoque également de vives inquiétudes pour X lorsqu’elle s’en approche, lui dit de la regarder dans les yeux et lui mentionne qu’elle est en danger. Tout cela sans compter qu’elle est témoin du tiraillement, des chicanes et de la tension qui existent entre ses parents. Elle a 8 ans au moment des événements et n’est pas en mesure d’apprécier les conséquences de ces événements.

[136] En ce qui concerne Gosselin et St-Amour, le premier témoigne que se faire dire que sa femme avait mis un contrat sur sa tête, bien qu’il ne le croie pas, laisse tout de même un doute. Madame, de son côté, affirme que la pire insulte de sa vie aura été la question posée par son mari à savoir si elle l’avait fait. La confiance, élément déterminant dans un couple, est ébranlée. Le verre de cristal est fissuré. La discussion entre monsieur et madame à ce sujet a tourné en une violente prise de bec ayant même nécessité une présence policière.

[137] St-Amour et Gosselin sont blessés; ils ont honte d’être associés à des parents agresseurs et pour madame, à une femme qui souhaite se débarrasser de son mari. Ils souffrent de toute cette situation, eux pour qui leur fille est une source incommensurable de bonheur et qui ont toujours agi dans son plus grand intérêt au détriment parfois du leur.

[138] Le Tribunal estime que la somme de 10 000 $ réclamée par les trois demandeurs n’est pas exagérée dans les circonstances.

Dommages moraux

[139] Le Tribunal est d’avis que ce poste de dommages fait double emploi avec les précédents. Il ne saurait faire l’objet d’un poste autonome en soi.

Dommages punitifs

[140] Même si le Tribunal avait retenu une faute quelconque de Charest et/ou Bessette, la preuve est loin de démontrer une intention malicieuse ou un désir ou une volonté de causer des conséquences de leur faute. Même si leurs comportements avaient été fautifs et illicites, leur intention n’était rien d’autre que de protéger X, rien de la nature d’une faute intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[25].

demande d’injonction permanente

[141] Une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire est prononcée le 13 février 2014 puis prolongée le 18 février 2014 jusqu’au prononcé d’une injonction interlocutoire, ce qui n’a finalement pas eu lieu puisque le 5 mars 2014, les parties reportent la demande sine die.

[142] St-Amour et Gosselin ne voyaient probablement pas l’utilité de présenter la demande en injonction interlocutoire puisque Charest a complètement cessé de tenir des propos diffamatoires à l’égard de ceux-ci suite aux jugements rendus au stade interlocutoire provisoire.

[143] Étant donné l’absence de propos diffamatoires à l’égard des demandeurs depuis février 2014, les circonstances particulières de l’affaire quant au fait que ces propos ont été tenus alors que Charest souffrait de problèmes de santé mentale, ce qui n’est aujourd’hui plus le cas, le Tribunal estime que l’ordonnance recherchée par les demandeurs n’est plus pertinente.

[144] En conséquence, le Tribunal ne donnera pas suite à la demande visant l’ordonnance en injonction.

frais de justice

[145] Le Tribunal estime qu’il serait injuste de faire supporter les frais de justice par St-Amour et Gosselin. Leurs demandes étaient sincères, sérieuses et en partie fondées n’eût été la démonstration par Charest de son état d’insanité d’esprit au moment des gestes fautifs qu’elle a posés.

[146] St-Amour et Gosselin ont été blessés et ils le sont toujours en raison de la situation provoquée par Charest. Cela a engendré des frais juridiques importants pour eux afin de faire valoir leurs droits dont l’un visant l’obtention d’une ordonnance d’injonction contre Charest et Bessette. Usant de sa discrétion, le Tribunal rejettera la demande introductive d’instance sans frais de justice.

[147] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[148] REJETTE la demande introductive d’instance amendée en injonction provisoire, interlocutoire et permanente ainsi que les réclamations de dommages et intérêts pour atteinte à la réputation et autres préjudices.

[149] LE TOUT sans frais de justice.

__________________________________

SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S.

Maître Robert Jodoin

Maître Kevin Lampron

(Jodoin & Associés société d'avocats s.a)

Procureurs des demandeurs

Maître Dominique Lavin

(Yulex, avocats et stratèges, s.e.n.c.r.l.)

Procureurs des défendeurs

Dates d’audience :

19, 20, 21 avril et 17 et 18 novembre 2016



[1] L’utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucun manque de courtoisie à l’égard des personnes concernées.

[2] Pièce D-1 (rapport de l’expert Proteau).

[3] C.c.Q., art. 1457.

[4] « Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel. »

[5] Jean-Louis baudouin, Patrice deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 1-103, p. 85; Karim vincent, Les obligations, 4e éd., vol. 1, « Conditions de la responsabilité », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015; L’Heureux c. Lapalme 2002 CanLII 23697 (QC CQ), 2002 CanLII 23697 (QC CS); Groupe Estrie-Richelieu c. Morneau, 2003 CanLII 568 (QC CS).

[6] Id., J.P. c. M.C., 2013 QCCQ 4050 (CanLII); Bellefleur c. Gobeil, 2003 CanLII 19918 (QC CQ); Guertin c. Guertin, 2004 CanLII 12340 (QC CQ).

[7] baudouin, préc.. note 5.

[8] Id., par. 1-99, p. 82.

[9] L’Heureux, préc. note 5; par. 42; Groupe Estrie-Richelieu, préc. note 5, par. 13

[10] Monsieur Martin Blair.

[11] Madame Ruth Mentis et Claire Beaulac.

[12] Pièce P-11 (copie du dossier de la Sûreté municipale de Bromont)- sous scellés.

[13] Pièce P-3 (en liasse).

[14] C.c.Q., art. 2803.

[15] Parent c. Lapointe, [1952) 1952 CanLII 1 (SCC), 1 R.C.S. 376.

[16] baudouin, préc. note 5, par. 1-112, p. 90.

[17] Témoignages des demanderesses St-Amour et X.

[18] C.c.Q., art. 1457 : « Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. »

[19] Baudouin, préc. note 5, par. 1-192, p. 172.

[20] Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et la vidéo, 2009 QCCA 2201 (CanLII), par. 69, (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 2011-03-10, 33535).

[21] Jean-Louis baudouin, Patrice deslauriers, Benoît moore, La responsabilité civile, 8e éd. vol. 1, « Principes généraux », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.

[22] Graf c. Duhaime, 2003 CanLII 54143 (QC CS).

[23] Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85 (CanLII), [2002] 4 R.C.S. 663.

[24] Raymond c. Coursol, 2015 QCCQ 10445 (CanLII).

[25] RLRQ, c. C-12.