A c. Les Frères du Sacré-Coeur, 2017 QCCS 34
11/01/2017 15:35
no. de référence : 460-06-000002-165
A c. Les Frères du Sacré-Coeur
2017 QCCS 34
JP-2304
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
BEDFORD
N° :
460-06-000002-165
DATE :
11 janvier 2017
______________________________________________________________________
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S.
______________________________________________________________________
A.
Requérant
c.
LES FRÈRES DU SACRÉ-COEUR
et
ŒUVRES JOSAPHAT-VANIER
et
CORPORATION MAURICE-RATTÉ
et
COLLÈGE MONT-SACRÉ-CŒUR
Intimés
______________________________________________________________________
JUGEMENT
Sur la Demande des intimés pour permission d’interroger le requérant
et de présenter une preuve appropriée
______________________________________________________________________
[1] Le requérant a déposé une « demande modifiée pour autorisation d’intenter une action collective et pour obtention du statut de représentant » (ci-après : la demande d’autorisation) à l’encontre des intimés.
[2] Les intimés requièrent la permission de présenter une preuve appropriée selon l’article 574 du Code de procédure civile qui vise trois éléments :
A) La production de divers documents traitant de l’historique corporatif des intimés, leur mission, des différents propriétaires de l’immeuble situé au 210 Denison est, Granby, propriété de Collège Mont-Sacré-Cœur (ci-après : l’immeuble Mont-Sacré-Cœur), ainsi que les déclarations annuelles de Corporation Maurice-Ratté, 2006, 2007 et 2008;
B) La production des certificats de décès et/ou autres documents établissant le décès de certains Frères identifiés à la demande d’autorisation; et
C) L’interrogatoire du requérant.
[3] Exposons d’abord le contexte de l’affaire.
le contexte
[4] Le requérant demande l’autorisation d’intenter une action collective pour le compte des membres du groupe dont il fait lui-même partie, soit :
« Toute victime d’agression sexuelle subie au Collège Mont-Sacré-Cœur alors que l’école était dirigée par les religieux membres de la Congrégation Les Frères du Sacré-Cœur, incluant le Frère Claude Lebeau (également connu comme le Frère Gatien), le Frère Paul-Émile Blain (également connu comme le Frère Maître), le Frère Louis Raymond (également connu comme Frère Raymond Decelles), le Frère Jean-Guy Roy, le Frère Marjorique Duchesne, le Frère Roch Messier, le Frère Hervé Aubin (également connu comme le Frère Économe), le Frère Georges-Arthur, le Frère Eudes, le Frère Jerry et le Frère Gilles. »
[5] Le requérant allègue avoir été agressé sexuellement de manière systématique par le Frère Claude Lebeau, entre l’âge de 13 et 15 ans, alors qu’il était pensionnaire au Collège Mont-Sacré-Cœur, une école alors dirigée par la congrégation Les Frères du Sacré-Cœur.
[6] Aussi, il n’aurait jamais osé parler de ce qui se passait au collège, à qui que ce soit, vu la honte, la culpabilité, la peur d’être réprimandé et surtout, puisqu’il était convaincu qu’il ne serait jamais cru par ses parents qui vénéraient les Frères et étaient si fiers de leur fils qui fréquentait le collège.
[7] Ces agressions, en plus d’avoir complètement brisé son adolescence, lui auraient créé une problématique de toxicomanie et d’alcoolémie. Il se serait mis à consommer quotidiennement diverses drogues en plus de somnifères pour lui permettre de dormir.
[8] Le requérant avance qu’il souffre toujours aujourd’hui de dépression et d’anxiété, qu’il ne fait pas confiance à autrui, qu’il a une faible estime de lui, qu’il a raté son éducation, qu’il n’a jamais pu devenir un professionnel, qu’il a complètement perdu la foi en Dieu, qu’il n’arrive pas à ressentir de plaisir dans la vie, et ce, en raison de ces agressions commises par le Frère Lebeau.
[9] Le requérant soutient également que d’autres jeunes hommes, alors qu’ils étaient étudiants au collège Mont-Sacré-Cœur entre 1940 et 1980 auraient subi des agressions sexuelles non seulement par le Frère Lebeau, mais par dix autres Frères.
[10] Le requérant recherche une condamnation solidaire des intimés aux dommages que les membres du groupe et lui-même auraient subis en raison des agressions sexuelles. Il est reproché, entre autres, aux intimés d’avoir manqué à leurs devoirs de garde, de surveillance et de protection des élèves. Aussi, leur responsabilité civile est recherchée à titre de commettant ou de mandataire pour les faits fautifs des Frères concernés.
l’analyse et la discussion
Droit applicable
[11] Les règles de droit applicables à la demande d’autorisation (art. 575 C.p.c.) et celles pour permission de présenter une preuve appropriée (art. 574 C.p.c.) sont fort bien présentées par le juge André Provost, j.c.s. dans l’affaire Kramar c. Johnson & Johnson[1] . Elles sont les suivantes :
« [10Pour être autorisée, l’action collective doit satisfaire aux critères énoncés à l’article 575 C.p.c. qui se lit ainsi :
" 575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:
1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;
4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres. "
[11] L’application de ces critères, similaires à ceux contenus à l’article 1003 de l’ancien C.p.c., a donné lieu à une abondante jurisprudence depuis 1979.
[12]En 2013, dans l’affaire Infineon Technologies c. Option Consommateurs[2], la Cour suprême a jugé nécessaire de faire le point sur la question. Elle a ainsi précisé le droit applicable au stade de l’autorisation dans les termes suivants :
" [65] Comme nous pouvons le constater, la terminologie peut varier d’une décision à l’autre. Mais certains principes bien établis d’interprétation et d’application de l’art. 1003 C.p.c. se dégagent de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel. D’abord, comme nous l’avons déjà dit, la procédure d’autorisation ne constitue pas un procès sur le fond, mais plutôt un mécanisme de filtrage. Le requérant n’est pas tenu de démontrer que sa demande sera probablement accueillie. De plus, son obligation de démontrer une « apparence sérieuse de droit », « a good colour of right » ou « a prima facie case » signifie que même si la demande peut, en fait, être ultimement rejetée, le recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable.
[66] Un examen de l’intention du législateur confirme également l’existence de ce seuil peu élevé. Des modifications successives au C.p.c. témoignent clairement de l’intention de la législature du Québec de faciliter l’exercice des recours collectifs. Par exemple, l’art. 1002 C.p.c. exigeait auparavant que le requérant dépose une preuve par affidavit à l’appui de la requête en autorisation, ce qui le soumettait ainsi, comme affiant, à un interrogatoire à l’étape de l’autorisation aux termes de l’art. 93. L’abolition de l’exigence de l’affidavit et les restrictions sévères apportées aux interrogatoires à l’étape de l’autorisation dans la dernière réforme de ces dispositions relatives au recours collectif (L.Q. 2002, ch. 7, art. 150) envoient le message clair qu’il serait déraisonnable d’exiger d’un requérant qu’il établisse plus qu’une cause défendable.
[67] À l’étape de l’autorisation, les faits allégués dans la requête du requérant sont tenus pour avérés. Le fardeau imposé au requérant à cette étape consiste à établir une cause défendable, quoique les allégations de fait ne puissent être « vague[s], générale[s] [ou] imprécise[s] » (voir Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380 (CanLII), par. 44).
[68] Tout examen du fond du litige devrait être laissé à bon droit au juge du procès où la procédure appropriée pourra être suivie pour présenter la preuve et l’apprécier selon la norme de la prépondérance des probabilités."
[Soulignement dans le texte]
[13] L’article 574 C.p.c.[3] accorde au juge le pouvoir discrétionnaire de permettre une preuve appropriée à ce stade. Le jugement prononcé par le juge Clément Gascon (alors qu’il était à la Cour supérieure) dans Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada[4]demeure encore d’actualité concernant les principes qui y sont applicables. Voici les propositions qu’il dégage de son analyse :
" [20] Cela dit, au chapitre du mérite maintenant, le Tribunal retient de la jurisprudence pertinente les sept (7) propositions suivantes comme devant servir de guide dans l'analyse des requêtes formulées par les Banques:
1) puisque, dans le cadre du mécanisme de filtrage et de vérification qui caractérise la requête en autorisation, le juge doit, si les allégations de faits paraissent donner ouverture au droit réclamé, accueillir la requête et autoriser le recours, il n'y aura pas, dans tous les cas, la nécessité d'une preuve;
2) en vertu du nouvel article 1002 C.p.c., le retrait de l'obligation d'un affidavit et la limitation des interrogatoires à ceux qui sont autorisés assouplissent et accélèrent le processus sans pour cela stériliser le rôle du juge, car la loi lui reconnaît la discrétion d'autoriser une preuve pertinente et appropriée dans le cadre du processus d'autorisation;
3) c'est en utilisant sa discrétion, qu'il doit bien sûr exercer judiciairement, que le juge doit apprécier s'il est approprié ou utile d'accorder, dans les circonstances, le droit de présenter une preuve ou de tenir un interrogatoire. Idéalement et en principe, cette preuve et ces interrogatoires se font à l’audience sur la requête en autorisation et non hors cour;
4) pour apprécier s'il est approprié ou utile d'accorder la demande faite, le juge doit s'assurer que la preuve recherchée ou l'interrogatoire demandé permettent de vérifier si les critères de l'article 1003 C.p.c. sont remplis;
5) dans l'évaluation du caractère approprié de cette preuve, le juge doit agir en accord avec les règles de la conduite raisonnable et de la proportionnalité posées aux articles 4.1 et 4.2 C.p.c., de même qu'en accord avec la règle de la pertinence eu égard aux critères de l'article 1003 C.p.c.;
6) le juge doit faire preuve de prudence et ne pas autoriser des moyens de preuve pertinents au mérite puisque, à l'étape de l'autorisation du recours, il doit tenir les allégations de la requête pour avérées sans en vérifier la véracité, ce qui relève du fond. À cette étape de l'autorisation, le fardeau en est un de démonstration et non de preuve;
7) Le fardeau de démontrer le caractère approprié ou utile de la preuve recherchée repose sur les intimés. Aussi, il leur appartient de préciser exactement la teneur et l'objet recherchés par la preuve qu'ils revendiquent et les interrogatoires qu'ils désirent, en reliant leurs demandes aux objectifs de caractère approprié, de pertinence et de prudence déjà décrits.
L'objectif recherché n'est pas de permettre des interrogatoires ou une preuve tous azimuts et sans encadrement, mais plutôt d’autoriser uniquement une preuve et/ou des interrogatoires limités sur des sujets précis bien circonscrits. "
[Soulignement dans le texte]
[14] Certains plaideurs ont tenté d’élargir la portée de ces propositions en s’appuyant sur les commentaires suivants du juge Pelletier, dans Bouchard c. Agropur Coopérative[5] :
" [45] Soit dit en passant, l’affaire à l’étude illustre l’importance que peut parfois revêtir la tenue d’une preuve au stade de la demande d’autorisation. En l’espèce, elle a permis l’ajout de précisions qui se sont révélées utiles à l’examen des conditions fixées par la loi. Dans l’état actuel du droit, alors que le législateur a supprimé l’obligation pour le requérant de fournir une déclaration assermentée, les juges auront souvent intérêt à considérer favorablement les demandes qui leur seront faites de procéder à un ou des interrogatoires. "
[15] Mais en 2012, dans Allstate du Canada, compagnie d’assurances c. Agostino[6], la Cour d’appel réitère la justesse des propos du juge Gascon dans Banque Amex du Canada en rappelant le caractère sommaire de la procédure d’autorisation et la prudence dont les juges doivent faire preuve dans l’exercice de leur discrétion. La juge Bich s’exprime comme suit à ce sujet :
" [35] Il ne faut pas lire dans ce passage de l'arrêt Agropur une répudiation du point de vue qu'exprime la Cour dans l'arrêt Pharmascience et le premier n'invite pas à rouvrir des vannes que le second a voulu fermer. Il s'agit plutôt, en définitive, de choisir une voie mitoyenne, qui, entre la rigidité et la permissivité, est celle de la prudence, une prudence qui s'accorde avec le caractère sommaire de la procédure d'autorisation du recours collectif. "
[Soulignement dans le texte]
[16] L’arrêt Infineon[7] est prononcé l’année suivante. Les juges LeBel et Wagner, s’exprimant pour la Cour, consacrent le seuil peu élevé que doit franchir le représentant au stade de l’autorisation et, en conséquence, l’impact qui en découle sur le fardeau de preuve exigé :
" [94] Toutefois, l’argumentation des appelantes ne tient pas compte de la nature de la procédure d’autorisation du recours collectif. L’intimée n’est pas tenue, en effet, de présenter une preuve absolue de l’allégation, ni même d’établir celle-ci selon la prépondérance des probabilités. À la présente étape, il suffit qu’elle démontre que sa cause est défendable au moyen d’allégations et d’éléments de preuve à l’appui. "
[Soulignement dans le texte]
[17] En somme, il aura fallu dix années suivant la réforme de 2002 abolissant l’exigence de l’affidavit du demandeur au soutien de la demande d’autorisation pour que la Cour suprême précise le cadre de cette étape dite de « filtrage ». La Cour d’appel a d’ailleurs appliqué rigoureusement ses enseignements par la suite[8]. Et le nouveau Code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, n’a apporté aucune modification de fond à ce sujet.
[…]
[21] Tout en étant conscient que le législateur a jugé opportun de conserver au nouveau Code de procédure civile les règles en vigueur depuis le 1er janvier 2003 en ce qui concerne les critères d’autorisation et la preuve appropriée, le Tribunal ne peut faire fi néanmoins des objectifs visant l’« accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile » ainsi que « l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure » clairement exprimés à sa disposition préliminaire.
[22] L’article 18 C.p.c. précise d’ailleurs comme suit le principe de la proportionnalité :
" 18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande. "
Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice. "
[Soulignement dans le texte]
[23] Bref, ces principes doivent être dorénavant reflétés dans les décisions autorisant une preuve appropriée (art. 574 C.p.c.) ou l’exercice d’une action collective (art. 575 C.p.c.).
[24] Reconnaissant que l’intention du législateur en 2003 était de " faciliter l’exercice des recours collectifs " [9], la Cour suprême a abaissé le seuil jusque-là imposé par les tribunaux au regard des critères d’autorisation pour le fixer à la " démonstration d’une cause défendable ".
[25] Le nouveau Code de procédure civile, quant à lui, poursuit l’objectif de simplifier la procédure et de la rendre proportionnée à la finalité de la demande. À ce stade, la finalité de la demande se limite au seuil fixé par la Cour suprême, soit la démonstration d’une cause défendable.
[26] Dans ce contexte, il serait pour le moins paradoxal de permettre une preuve dite " appropriée " qui inclurait plus que ce qui est strictement nécessaire à l’application de ce seuil. »
[12] Analysons maintenant les demandes des intimés.
A) La production de divers documents traitant de l’historique corporatif des intimés, leur mission, des différents propriétaires de l’immeuble situé au 210 Denison est, Granby, propriété de Collège Mont-Sacré-Cœur (ci-après : l’immeuble Mont-Sacré-Cœur), ainsi que les déclarations annuelles de Corporation Maurice-Ratté, 2006, 2007 et 2008
[13] Au soutien de la demande d’autorisation, le requérant communique certains documents traitant de l’historique corporatif des intimés et leur mission (pièces R-1 à R-7, R-9 à R-13), lesquels sont incomplets selon les intimés.
[14] Ils ajoutent qu’il en est ainsi quant aux documents relatifs aux diverses entités ayant détenu à travers le temps l’immeuble Mont-Sacré-Cœur.
[15] Ils souhaitent compléter les allégations de la demande sur ces sujets puisque, disent-ils, elles sont imprécises, incomplètes et ne permettent pas une compréhension minimale complète du litige.
[16] Aussi, ils sont d’avis que les déclarations annuelles de Corporation Maurice-Ratté pour les années 2006 à 2008 inclusivement seront utiles et aideront le Tribunal dans son appréciation du syllogisme juridique qu’avance le requérant à l’égard de cette intimée.
[17] Les intimés proposent que fassent partie de la preuve, lors de l’instruction sur la demande d’autorisation, les documents suivants :
a) Acte pour incorporer les Frères du Sacré-Cœur sanctionné le 24 décembre 1875 (pièce I-1);
b) Loi modifiant la Loi constituant en corporation Les Frères du Sacré-Cœur sanctionnée le 14 juin 2002 (pièce I-2);
c) Lettres patentes de la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Granby du 5 juillet 1962 (pièce I-3);
d) Lettres patentes de la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Rimouski du 25 juillet 1962 (pièce I-4);
e) Acte de vente notarié intervenu le 11 octobre 1962 entre la corporation Les Frères du Sacré-Cœur et la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Rimouski (pièce I-5);
f) Acte de vente notarié intervenu le 28 janvier 1963 entre la corporation Les Frères du Sacré-Cœur et la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Granby (pièce I-6);
g) Lettres patentes de la corporation Collège Mont-Sacré-Cœur du 2 septembre 1987 modifiant l’objet de la corporation (pièce I-7);
h) Lettres patentes de la corporation Œuvres Josaphat-Vanier du 8 juin 2004 (pièce I-8);
i) Lettre patentes de la corporation Corporation Maurice-Ratté du 8 juin 2004 (pièce I-9);
j) En liasse, index aux immeubles pour le Mont-Sacré-Cœur et actes de vente afférents à cet immeuble (pièce I-10); et
k) En liasse, déclarations annuelles de la corporation Corporation Maurice-Ratté pour les années 2006, 2007 et 2008 (pièce I-11).
[18] Le requérant conteste la demande.
[19] Il avance que ces documents ne sont ni nécessaires ni pertinents pour déterminer si les critères d’autorisation de l’article 575 C.p.c. sont rencontrés.
[20] Il ajoute que ce que recherchent les intimés par la mise en preuve de tels documents n’est rien d’autre qu’une tentative de contester la véracité des allégations de la demande d’autorisation, ce qui, selon lui, est interdit à ce stade des procédures.
[21] Un premier constat s’impose.
[22] Le requérant souhaite impliquer à titre de partie défenderesse quatre entités corporatives. Au soutien de sa demande d’autorisation, il ne communique qu’une partie seulement des documents en lien avec la création et la modification de ces entités.
[23] Il est pour le moins curieux que le requérant s’oppose à la mise en preuve des documents suggérés par les intimés puisque ceux-ci complètent tout simplement ceux communiqués par le requérant, ce qui favorise une bonne compréhension non seulement de l’évolution dans le temps des intimés, mais des liens qui les unissent.
[24] Aussi, le Tribunal est d’avis que ces documents, qui sont publics donc accessibles, auraient dû accompagner la demande du requérant afin d’offrir un véritable portrait de l’historique corporatif des intimés et du droit de propriété de l’immeuble Mont-Sacré-Coeur.
[25] Ils sont d’autant utiles et pertinents qu’ils permettront au Tribunal, lors de l’instruction de la demande d’autorisation, de vérifier le syllogisme juridique avancé par le requérant à l’égard de l’ensemble des intimés et de valider si oui ou non le requérant a une apparence sérieuse de droit aux conclusions recherchées à l’endroit de tous les intimés.
[26] Lors de son exercice de filtrage et de vérification, ces documents permettront au Tribunal d’avoir tout l’éclairage nécessaire pour assurer l’efficience de son exercice[10].
[27] Il est vrai que la Cour suprême du Canada[11] énonce qu’il suffise, au stade de l’autorisation, qu’un requérant démontre que sa cause est défendable, soit l’atteinte d’un seuil décrit comme étant « peu élevé ».
[28] Cela dit, l’article 575 C.p.c. n’est pas aboli; le Tribunal doit autoriser la demande d’action collective en vérifiant les quatre critères qui y sont énumérés.
[29] Au risque de nous répéter, ces documents fourniront un éclairage utile en permettant de mieux apprécier le rôle joué et les fonctions exercées par les quatre intimés, dont de Corporation Maurice-Ratté qui, à l’exception d’avoir été propriétaire de l’immeuble Mont-Sacré-Cœur sur une période de deux ans, ne semble pas véritablement impliquée dans la commission des agressions sexuelles.
[30] Enfin, bien que les documents que souhaitent mettre en preuve les intimés ne semblent pas contredire les allégations de la demande d’autorisation, le Tribunal est d’opinion, que si tel était le cas, il serait tout de même possible pour le Tribunal d’en tenir compte.
[31] Plusieurs décisions, contrairement à ce qu’affirme le requérant, autorisent une preuve qui vise à contredire des éléments d’une demande d’autorisation qu’une partie intimée estime invraisemblables, faux ou inexacts et donc, à établir l’absence d’une cause défendable[12].
[32] En résumé, les documents visés par la demande des intimés sont, de l’avis du Tribunal, utiles et pertinents puisqu’ils permettront une compréhension minimale complète du litige. Cette compréhension de l’historique corporatif des intimés et des liens qui les unissent facilitera, entre autres, l’analyse du deuxième critère de l’article 575 C.p.c., soit celui de l’apparence sérieuse de droit.
[33] Le Tribunal autorisera donc la mise en preuve de ces documents lors de l’instruction sur la demande d’autorisation.
B) La production des certificats de décès et/ou autres documents établissant le décès de certains Frères identifiés à la demande d’autorisation
[34] Les intimés souhaitent déposer les certificats de décès et/ou autres documents démontrant que certains Frères mentionnés dans la demande d’autorisation, incluant la description du groupe envisagé par le requérant, sont décédés depuis plus de trois ans.
[35] Ils prétendent que cette preuve est appropriée puisqu’elle a des conséquences au niveau des faits que le Tribunal doit tenir pour avérés dans son examen des critères de l’article 575 C.p.c., plus particulièrement quant à savoir si les demandes soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ainsi que quant à la composition et la description du groupe si l’autorisation est obtenue.
[36] L’article 2926.1 du Code civil du Québec prescrit ce qui suit :
« L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Ce délai est toutefois de 30 ans si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint.
En cas de décès de la victime ou de l’auteur de l’acte, le délai applicable, s’il n’est pas déjà écoulé, est ramené à trois ans et il court à compter du décès. »
[37] Les intimés sont d’avis que le recours de certaines victimes serait prescrit puisque certains Frères identifiés comme étant des agresseurs sont décédés depuis plus de trois ans au moment du dépôt de la demande d’autorisation. Ils ajoutent que le Tribunal ne saurait fonder son examen des questions communes et de l’existence d’un groupe au stade de l’autorisation sur les allégations d’un membre du groupe proposé dont le recours est prescrit.
[38] S’appuyant sur les jugements prononcés au stade de la demande d’autorisation dans les affaires Tremblay et CCSMM[13], le requérant plaide que la présentation d’une telle preuve est interdite au stade de l’autorisation puisqu’il s’agit d’un débat qui doit nécessairement se faire au mérite.
[39] Il a raison lorsqu’il y a lieu de déterminer si un requérant ou un membre du groupe, alors qu’il est à l’extérieur du délai prescrit pour poursuivre, invoque la suspension de la prescription en raison de l’impossibilité d’agir.
[40] Dans un cas où le recours tel que constitué était manifestement prescrit à sa face même, la Cour d’appel n’a pas hésité à rejeter la requête en autorisation[14].
[41] Ici, le texte de l’article 2926.1 al. 2 C.c.Q., semble laisser peu de place à une quelconque analyse de la situation d’une victime dans le contexte où son agresseur est décédé depuis plus de trois ans. En cas de décès de l’auteur de l’agression sexuelle, le délai applicable est ramené à trois ans et il court à compter du décès.
[42] Il y a peu[15] ou pas de décisions répertoriées sur ce sujet. Les débats parlementaires semblent indiquer que l’objectif de la nouvelle disposition est de limiter les recours en telle matière au-delà d’une période de trois ans suivant le décès, soit de la victime ou de l’auteur de l’acte afin de ne pas impliquer les successions de telles personnes dans des recours judiciaires entrepris plus de trois ans après le décès[16].
[43] Force est de constater qu’il y a là une question qui mérite l’attention du Tribunal au moment de l’instruction de la demande d’autorisation puisque dans la mesure où à sa face même le recours serait prescrit quant à certains Frères; il pourrait, entre autres, être approprié de modifier la description du groupe.
[44] Le dépôt des certificats de décès et/ou autres documents établissant le décès d’un des Frères énumérés à la demande d’autorisation est utile et pertinent aux fins de l’exercice de filtrage et de vérification prévu à l’article 575 C.p.c.
C) L’interrogatoire du requérant
[45] Les intimés désirent être autorisés à procéder à un court interrogatoire du requérant avant la tenue de l’instruction sur la demande d’autorisation.
[46] Ils veulent pleinement comprendre et vérifier certaines des allégations de la demande quant à la capacité du requérant d’assurer une représentation adéquate des membres, évaluer si le critère du paragraphe 4 de l’article 575 C.p.c. est satisfait en l’espèce, et mieux saisir la description du groupe envisagé.
[47] Ils ajoutent que les allégations de la demande d’autorisation quant au critère du représentant adéquat constituent des opinions, des conclusions et des affirmations à caractère vague et général et non des allégations de circonstances et de faits précis, particuliers et spécifiques.
[48] Selon les intimés, l’interrogatoire doit être autorisé en l’absence de preuve au soutien des représentations du requérant selon lesquelles il se qualifie à titre de représentant.
[49] Bref, selon eux, les tribunaux permettent un tel interrogatoire afin de préciser les allégations de la demande d’autorisation, s’assurer de la capacité du requérant à bien représenter le groupe. La question du représentant adéquat comporte plusieurs aspects dont le Tribunal doit tenir compte avant de conclure si cette condition est remplie ou non.
[50] Les sujets qu’ils souhaitent aborder lors de l’interrogatoire sont identifiés aux paragraphes 23.a) à 23.p) de la Demande des intimés pour permission d’interroger le requérant et de présenter une preuve appropriée.
[51] Voyons plus précisément de quoi il s’agit.
[52] Pour des fins de commodité, les demandes seront regroupées et traitées en bloc lorsque l’analyse portera sur plus d’un sujet.
23.a) – Les circonstances dans lesquelles il a été appelé à agir comme Requérant et s’il est l’initiateur de l’action collective projetée;
[53] Le Tribunal estime que de connaître les circonstances dans lesquelles le requérant est appelé à agir comme requérant ainsi que de savoir s’il est ou non l’initiateur de l’action collective projetée n’est pas véritablement utile ni même pertinent aux fins de vérifier s’il est et sera ou non un représentant adéquat.
[54] D’abord, il est maintenant établi que les critères que doit rencontrer celui qui demande l’autorisation d’exercer une action collective doivent être interprétés de façon libérale[17]. Aussi, aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement[18].
[55] Que le requérant ait ou non initié le recours n’a peu d’importance. Cependant, le Tribunal doit s’assurer qu’il porte intérêt à la cause et qu’il soit minimalement compétent pour mener l’action collective envisagée à bon port.
[56] À cet égard, la Cour d’appel dans l’affaire Charles[19] s’exprime comme suit :
« [66] Sur ce dernier point, rappelons-le, la loi n'exige pas de la personne qui souhaite entreprendre un recours collectif qu'elle soit une activiste de la cause qu'elle entend défendre, qu'elle s'y consacre quotidiennement avec ardeur, soit constamment dans les premières lignes du combat judiciaire, le supervise dans ses moindres détails ou en tienne étroitement les rênes, que ce soit stratégiquement ou autrement. L’on ne saurait exiger du représentant davantage qu'un intérêt pour l'affaire (au sens familier de ce terme, c'est-à-dire le contraire de l'indifférence), une compréhension générale de ses tenants et aboutissants et, par conséquent, la capacité de prendre, au besoin et en connaissance de cause, les décisions qui s'imposent au bénéfice de l'ensemble du groupe et autrement que dans une perspective égotiste. Il est par ailleurs normal que, tout en portant attention au cheminement du recours, il s'en remette aux avocats qui le représentent, comme le font du reste la plupart des justiciables ordinaires agissant par l'intermédiaire d'un membre du Barreau. »
[57] Pour l’exercice de filtrage et de vérification que doit faire le Tribunal, il n’est pas utile ni pertinent pour celui-ci d’être favorisé d’informations en regard des circonstances dans lesquelles le requérant a été appelé à agir à ce titre ni de savoir s’il a été ou non l’initiateur de l’action collective projetée.
23.b) –Son implication quant au choix de poursuivre les entités Les Frères du Sacré-Cœur, les Œuvres Josaphat-Vanier, la Corporation Maurice-Ratté et le Collège Mont-Sacré-Cœur;
23.c) – Sa connaissance du fondement juridique du recours proposé;
23.f) – Sa capacité à assurer une représentation adéquate des membres et les raisons pour lesquelles il prétend pouvoir être un représentant adéquat des intérêts des membres du groupe proposé;
23.g) – Sa connaissance des enjeux et efforts nécessaires pour agir à titre de représentant dans le cadre d’une éventuelle action collective;
23.h) – Sa disponibilité ainsi que sa capacité à mener à terme le procès au fond et à diriger les démarches à effectuer pour compléter l’exercice de l’action collective et à la gérer convenablement (incluant son état de santé, tant sur le plan physique que psychologique);
23.m) – Les moyens dont le Requérant dispose pour assurer la gestion d’une action collective et les démarches faites et à faire pour obtenir les ressources financières nécessaires pour mener à terme la présente action collective;
23.n) – Les démarches spécifiques entreprises par le Requérant relativement à la Demande pour autorisation;
23.o) – Le sérieux du recours quant aux démarches entreprises ou à entreprendre par le Requérant;
[58] Ces sujets touchent directement la question du représentant adéquat de l’article 575(4) C.p.c.
[59] Le requérant expose dans sa demande modifiée pour autorisation les éléments suivants en relation avec cette question :
« 12.1 Le requérant est disposé à investir le temps et les ressources nécessaires afin d’accomplir toutes les formalités et tâches nécessaires à l’avancement de la présente action collective;
12.2 Le requérant a retenu les services d’avocats possédant une vaste expérience en matière d’actions collectives, notamment contre des institutions religieuses et scolaires pour des cas d’agressions sexuelles perpétrées par des éducateurs et religieux sur des élèves;
12.3 Le requérant s’est pleinement engagé à collaborer avec les avocats soussignés à toutes les étapes du processus et à assurer la transmission d’informations pertinentes afin de voir à l’avancement de l’action collective;
12.4 Bien que le requérant aurait pu choisir d’intenter une action individuelle, il a préféré intenter une action collective afin d’aider les autres victimes qui comme lui vivent avec un lourd secret. Le requérant veut donc donner accès à la justice aux membres du groupe et leur permettre de se manifester de manière confidentielle et dans le respect de leur droit à la dignité de leur personne;
12.4.1 Depuis le dépôt de la demande en autorisation d’intenter une action collective, plusieurs victimes ont remercié le requérant pour son courage et le geste qu’il a posé en décidant d’intenter une action collective pour le bénéfice de tous, au lieu de simplement déposer une poursuite personnelle. Certaines victimes ont même affirmé que le requérant était un héros pour eux;
12.5 Il n’existe aucun conflit d’intérêts entre le requérant et les membres du groupe;
12.6 Le requérant agit de bonne foi et dans l’unique but de faire valoir ses droits et ceux des autres membres; »
[60] Sur la base de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Charles[20], le Tribunal est d’avis, à l’instar des intimés, que les allégations de la demande d’autorisation en lien avec le critère du représentant adéquat sont sommaires, incomplètes sans compter qu’elles constituent des opinions, des conclusions et des affirmations à caractère vague et général et non des allégations de circonstances et de faits précis, particuliers et spécifiques.
[61] Il est donc utile et pertinent que le Tribunal bénéficie de toute information en regard des sujets visés à la présente rubrique pour être en mesure d’apprécier la capacité, l’intérêt ou la compétence du requérant de prendre, au besoin, et en connaissance de cause, les décisions qui s’imposent au bénéfice de l’ensemble du groupe, évidemment en étant supporté par ses procureurs.
[62] Enfin, le Tribunal souligne qu’une demande d’interrogatoire sur cette question de représentant adéquat n’a rien d’exceptionnel[21] et dans certaines circonstances, telles les nôtres, est même souhaitable puisque les intérêts des membres potentiels seront mieux préservés par la tenue de cet interrogatoire que l’inverse sans oublier que le résultat de l’interrogatoire permettra au Tribunal de faire son travail lors de l’autorisation, tout en gardant à l’esprit qu’il ne sera pas question de trancher le mérite du dossier, mais bien d’évaluer les divers critères de l’article 575 C.p.c.[22]
23.d) –Sa connaissance de la situation des membres du groupe proposé, des circonstances spécifiques propres aux autres membres du groupe et sa connaissance du nombre de membres ainsi que la représentativité de sa situation juridique à l’égard des autres membres du groupe proposé;
23.e) – Sa connaissance des faits justifiant le recours des membres du groupe qu’il désire représenter et les initiatives et les démarches du Requérant et les enquêtes factuelles effectuées par ce dernier en ce sens;
23.i) – Les démarches entreprises par le Requérant pour déterminer l’étendue et la composition du groupe et pour le construire ainsi que les tentatives faites et mesures mises en place par le Requérant pour identifier les membres du groupe proposé et entrer en contact avec eux;
23.j) – Le fait de savoir si le Requérant a eu des contacts avec les autres membres du groupe proposé et à quels égards;
23.p) – Les éléments ayant servi de base à la description du groupe qu’il propose.
[63] De l’aveu des procureurs du requérant, ce dernier, outre les informations qu’il reçoit de ceux-ci, ne connaît ni les membres du groupe proposé ni le nombre potentiel. Il n’a tenté aucune démarche d’enquête ni fait de tentative pour joindre une quelconque des victimes. Il n’a donc aucune connaissance personnelle de la situation des membres du groupe proposé.
[64] L’interrogatoire demandé quant à ces sujets n’est donc d’aucune utilité.
[65] Mais il y a plus.
[66] L’action collective envisagée, demandes en dommages et intérêts compensatoires et punitifs en raison d’agressions sexuelles sur des mineurs par des religieux en autorité dans une institution scolaire, rend difficile voire quasi impossibles les échanges, discussions ou rencontres entre le requérant et les victimes et entre les victimes elles-mêmes.
[67] La Cour d’appel non seulement précise que le niveau de recherche que doit effectuer un requérant dépend de la nature du recours qu’il entend entreprendre, mais également reconnaît qu’il n’est pas toujours nécessaire ni pertinent qu’un requérant ait fait enquête personnellement ou ait communiqué directement avec les membres du groupe pour être un représentant adéquat[23].
[68] Naturellement, les victimes contactent d’abord les procureurs du requérant afin de demander des conseils, des avis juridiques, se confiant en toute confidentialité.
[69] Pour les victimes, s’il y a une possibilité que leur identité soit dévoilée, il y a un grand risque qu’elles ne présentent pas de réclamation, ce qui serait contraire à l’objectif social de l’action collective qui est de permettre l’accès à la justice.
[70] Pour preuve, nous n’avons qu’à nous référer à certains passages des jugements dans l’affaire CSSMN[24] et les Rédemptoristes[25]. Que dire davantage que ce qu’exprime le juge Forget, ancien juge à la Cour d’appel, dans son rapport final à l’honorable Claude Bouchard, j.c.s. dans l’affaire précitée (les Rédemptoristes)[26]:
« [17] Je n’annexe pas la liste des noms au présent rapport puisque presque toutes les victimes m’ont demandé avec insistance et persistance de protéger leur identité. Plusieurs des victimes m’ont d’ailleurs déclaré que s’il y avait une possibilité que leur nom soit dévoilé, elles auraient renoncé à présenter une réclamation. Je me suis engagé à leur égard à préserver la plus grande confidentialité. »
[71] Ainsi, il est tout à fait normal, dans ce type d’action collective, que les contacts avec les membres se fassent par l’entremise des avocats du requérant afin qu’ils soient protégés par le secret professionnel. Les victimes n’ont aucune incitative à exposer leur histoire au requérant, qui n’est pas avocat et qui ne peut donc pas les informer de leurs droits.
[72] Il est difficile de faire quelque reproche que ce soit au requérant qui ne fait peu ou pas de vérification ni de démarche d’enquête dans semblables cas, d’autant plus que les agressions sexuelles se sont produites sur plusieurs décennies, que les élèves ayant étudié au Collège du Mont-Sacré-Cœur durant ces années représentent un nombre important de personnes dont il ne connaît pas, pour la plupart, leur identité, encore moins leurs coordonnées.
[73] L’absence de connaissance personnelle du requérant de la situation des membres du groupe proposé, des faits justifiant le recours des membres du groupe qu’il désire représenter, son absence de démarches d’enquête factuelles pour déterminer l’étendue et la composition du groupe et pour le construire, l’absence de tentative faite et même mise en place par le requérant pour identifier les membres du groupe proposé et enfin, l’absence de contacts avec eux n’est pas fatal pour celui qui demande le statut de représentant en matière d’action collective dans le cadre d’une demande de dommages et intérêts en raison d’agressions sexuelles commises sur des étudiants mineurs par des religieux en autorité dans une institution scolaire alors que ces agressions datent de plusieurs années et se seraient produites sur une longue période.
23.k) –Sa capacité à entrer en contact avec les autres membres et à échanger et interagir avec eux, notamment compte tenu de son anonymat;
23.l) – Sa capacité à soutenir les autres membres du groupe envisagé et à faire face à des audiences publiques, notamment vu les allégations de la Demande pour anonymat;
[74] Les intimés veulent interroger le requérant sur sa capacité à entrer en contact, à échanger, à interagir et à soutenir les autres membres du groupe envisagé.
[75] En principe, le représentant, celui qui a une compréhension générale des tenants et aboutissants de l’affaire et, par conséquent, la capacité de prendre, au besoin et en connaissance de cause, les décisions qui s’imposent au bénéfice de l’ensemble du groupe, doit représenter les membres du groupe. Pour ce faire, il doit être identifié, accessible et disponible pour répondre aux interrogations des membres en regard du déroulement des procédures judiciaires, de l’évolution du dossier et autres.
[76] Il est difficile de concevoir le rôle d’un représentant autrement que celui d’une personne, de la personne de référence pour les membres du groupe, celle qui publiquement mène le combat pour tous.
[77] En matière d’action collective menée par une victime d’agressions sexuelles, le Tribunal est d’avis qu’il faut penser autrement.
[78] Il est connu que les victimes d’agressions sexuelles dans de telles circonstances n’en parlent généralement pas à leurs parents ni même à leurs amis au risque de se voir affublées de tous les quolibets et dénigrées auprès des autres élèves. Ajoutée à cela la honte qui les envahit et le sentiment de culpabilité qui accompagne ces gestes auxquels elles ont l’impression d’avoir été associées ou pire, d’y avoir participé[27].
[79] Il faut accepter que les victimes d’agressions sexuelles incluant le représentant d’un groupe en matière d’action collective bénéficient du droit à l’anonymat, à la confidentialité pour ainsi favoriser les dénonciations et la prise de recours visant l’indemnisation de telles victimes.
[80] Aussi, il apparaît tout à fait normal, dans ce type d’action collective, que les contacts avec les membres se fassent par l’entremise des avocats du requérant afin que les communications soient protégées par le secret professionnel. D’ailleurs, en l’espèce, les procureurs du requérant indiquent avoir communiqué avec plus d’une cinquantaine de victimes.
[81] La loi n’exige également pas que le requérant soit un psychologue et en mesure de réconforter ou fournir des conseils de nature thérapeutique aux autres membres. Il ne s’agit pas du rôle d’un représentant d’une action collective.
[82] Ici, l’hon. Charles Ouellet, j.c.s. a expressément autorisé le requérant à utiliser un pseudonyme. Cela est bénéfique pour le requérant et de plus, envoie le message aux autres membres du groupe qu’ils ont le droit d’avoir accès à la justice sans devoir s’inquiéter que leur identité soit dévoilée et que leur secret soit exposé sur la place publique.
[83] Les intimés n’ayant pas contesté cette demande du requérant, ils ne peuvent aujourd’hui interroger le requérant sur son droit à l’anonymat ni prétendre que ce droit est antinomique avec le rôle d’un représentant. Exiger qu’une victime d’agressions sexuelles s’identifie publiquement afin d’agir comme représentant du groupe ferait en sorte que l’article 575(4) C.p.c., un critère purement procédural, vienne primer sur un droit fondamental, ce qui est tout à fait contraire à l’objectif social de l’action collective.
[84] En conséquence, le Tribunal juge inapproprié de permettre l’interrogatoire du requérant sur ces deux sujets.
[85] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[86] AUTORISE les intimés à interroger le requérant sur les points suivants, à savoir :
23.b) –Son implication quant au choix de poursuivre les entités Les Frères du Sacré-Cœur, les Œuvres Josaphat-Vanier, la Corporation Maurice-Ratté et le Collège Mont-Sacré-Cœur;
23.c) – Sa connaissance du fondement juridique du recours proposé;
23.f) – Sa capacité à assurer une représentation adéquate des membres et les raisons pour lesquelles il prétend pouvoir être un représentant adéquat des intérêts des membres du groupe proposé;
23.g) – Sa connaissance des enjeux et efforts nécessaires pour agir à titre de représentant dans le cadre d’une éventuelle action collective;
23.h) – Sa disponibilité ainsi que sa capacité à mener à terme le procès au fond et à diriger les démarches à effectuer pour compléter l’exercice de l’action collective et à la gérer convenablement (incluant son état de santé, tant sur le plan physique que psychologique);
23.m) – Les moyens dont le Requérant dispose pour assurer la gestion d’une action collective et les démarches faites et à faire pour obtenir les ressources financières nécessaires pour mener à terme la présente action collective;
23.n) – Les démarches spécifiques entreprises par le Requérant relativement à la Demande pour autorisation; et
23.o) – Le sérieux du recours quant aux démarches entreprises ou à entreprendre par le Requérant.
[87] ORDONNE que cet interrogatoire d’une durée maximale de 1 h 15 se tienne devant le soussigné, en salle d’audience, au palais de justice de Granby, le 24 février 2017, à compter de 10 h, salle E2.46;
[88] ORDONNE que l’instruction sur la demande modifiée d’autorisation se tienne les 2 et 3 mai 2017, au palais de justice de Granby, à compter de 9 h 30;
[89] PERMET aux intimés de produire la preuve suivante :
a) Acte pour incorporer les Frères du Sacré-Cœur sanctionné le 24 décembre 1875 (pièce I-1);
b) Loi modifiant la Loi constituant en corporation Les Frères du Sacré-Cœur sanctionnée le 14 juin 2002 (pièce I-2);
c) Lettres patentes de la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Granby du 5 juillet 1962 (pièce I-3);
d) Lettres patentes de la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Rimouski du 25 juillet 1962 (pièce I-4);
e) Acte de vente notarié intervenu le 11 octobre 1962 entre la corporation Les Frères du Sacré-Cœur et la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Rimouski (pièce I-5);
f) Acte de vente notarié intervenu le 28 janvier 1963 entre la corporation Les Frères du Sacré-Cœur et la corporation Les Frères du Sacré-Cœur – Granby (pièce I-6);
g) Lettres patentes de la corporation Collège Mont-Sacré-Cœur du 2 septembre 1987 modifiant l’objet de la corporation (pièce I-7);
h) Lettres patentes de la corporation Œuvres Josaphat-Vanier du 8 juin 2004 (pièce I-8);
i) Lettre patentes de la corporation Corporation Maurice-Ratté du 8 juin 2004 (pièce I-9);
j) En liasse, index aux immeubles pour le Mont-Sacré-Cœur et actes de vente afférents à cet immeuble (pièce I-10);
k) En liasse, déclarations annuelles de la corporation Corporation Maurice-Ratté pour les années 2006- 2007 et 2008 (pièce 1-11), et
l) Certificats de décès et/ou autres documents démontrant que certains des Frères mentionnés dans la Demande modifiée pour autorisation et dans la description du groupe envisagé par le Requérant sont décédés depuis plus de 3 ans.
[90] ORDONNE aux intimés de communiquer au Requérant et produire au dossier de la cour les documents ci-devant autorisés et énumérés de a) à l) au plus tard 30 jours précédant l’instruction sur la Demande modifiée d’autorisation;
[91] LE TOUT frais de justice à suivre.
__________________________________
SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S.
Me Robert Kugler
Me Pierre Boivin
Me Olivera Pajani
(Kugler Kandestin)
Procureurs du requérant
Me Éric Simard
Me Stéphanie Lavallée
Mme Marie-Pier Gagnon Nadeau
(Fasken Martineau DuMoulin)
Me Yanick Messier
(Yanick Messier, avocat inc.)
Procureurs des intimés
Date d’audience :
15 décembre 2016
[2] [Dans la citation] 2013 CSC 59 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 600 ; Au même effet : Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 3; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 (CanLII), par. 34-35.
[3] [Dans la citation] « 574. Une personne ne peut exercer l’action collective qu’avec l’autorisation préalable du tribunal. La demande d’autorisation indique les faits qui y donnent ouverture et la nature de l’action et décrit le groupe pour le compte duquel la personne entend agir. Elle est signifiée, avec un avis d’au moins 30 jours de la date de sa présentation, à celui contre qui elle entend exercer l’action collective. La demande d’autorisation ne peut être contestée qu’oralement et le tribunal peut permettre la présentation d’une preuve appropriée. »
[4] [Dans la citation] 2006 QCCS 6290 (CanLII).
[5] [Dans la citation] 2006 QCCA 1342 (CanLII), par. 45.
[6] [Dans la citation] 2012 QCCA 678 (CanLII).
[7] Préc., note 2.
[8] [Dans la citation] Voir, notamment : Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., 2015 QCCA 205 (CanLII); Sibiga, préc. note 2; Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (CanLII).
[9] [Dans la citation] Infineon, préc., note 2, par. 66.
[10] Allstate, préc. note 6.
[11] Infineon. préc. note 2, par. 65.
[12] Option Consommateurs c. Brick Warehouse, l.p., 2011 QCCS 569 (CanLII), par. 32; Allstate, préc. note 6, par. 35; Guidon c. Bayer inc. 2016 QCCS 2195 (CanLII), par. 14-15; Fédération des chambres immobilières du Québec c. DuProprio inc., 2015 QCCS 4074 (CanLII), par. 34; Langevin c. Bouchard, 2011 QCCS 4700 (CanLII), par. 21-22; Option Consommateurs c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2007 QCCS 6497, par. 19.
[13] 2010 QCCS 5945 (CanLII) (Requête en révision d'un jugement accueillie, 2012 QCCS 1288 (CanLII)); 2012 QCCS 1146 (CanLII).
[14] Marineau c. Bell Canada, 2015 QCCA 1519 (CanLII), par. 6.
[15] Proulx c. Desbiens, 2014 QCCS 4117 (CanLII) (Jugement sur une demande en irrecevabilité). Les procureurs des défendeurs dans cette affaire entendent débattre à nouveau de la question de l’application de l’article 2926.1 C.c.Q. lors de l’instruction au fond de l’affaire.
[16] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats - Commission permanente des institutions, « Étude détaillée du projet de loi no 22 – Loi modifiant la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (5) », 7 mai 2013, Vol. 43 No 47, pp. 3,7 et 8.
[17] Infineon, préc. note 2.
[18] Id., par. 149.
[19] Charles, préc., note 8.
[20] Préc. note 8, par. 43.
[21] Option consommateurs c. Banque de Montréal, 2015 QCCS 2778 (CanLII), par. 17.
[22] Asselin c. Fiducie Desjardins, 2014 QCCS 1994 (CanLII), par. 124.
[23] Lévesque, préc. note 8, par. 27.; Sibiga, préc. note 2; Charles, préc. note 8.
[24] Préc, note 13.
[25] Tremblay c. Lavoie, 2014 QCCS 3185 (CanLII).
[26] Tremblay c. Lavoie, C.S. Québec : 200-06-000123-102, hon. André Forget, j.c.s. (adjudicateur) – rapport final de l ‘adjudicateur, 20 août 2015.
[27] Tremblay, préc. note 25, par. 301.