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Embouteillage Coca-Cola ltée

no. de référence : 289029-64-0605

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES





Laval


18 juillet 2008



Région :


Saint-Jérôme



Dossier :


289029-64-0605



Dossier CSST :


125316620



Commissaire :


Me Daniel Martin



______________________________________________________________________








Embouteillage Coca-Cola ltée




Partie requérante















______________________________________________________________________



DÉCISION

______________________________________________________________________



[1] Le 8 mai 2006, Embouteillage Coca-Cola ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 avril 2006, à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue initialement le 12 décembre 2005 et déclare que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie le 17 décembre 2003 par monsieur Steeven Dufour (le travailleur) doit être imputé à l’employeur.

[3] L’audience s’est tenue à Saint-Jérôme le 10 juillet 2008 en présence de la procureure de l’employeur.



L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur le 17 décembre 2003 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[5] Le 17 décembre 2003 le travailleur décède lors d’un accident du travail qui survient alors qu’il occupe un emploi de représentant des ventes chez son employeur, une compagnie d’embouteillage.

[6] Les circonstances de cet accident du travail sont résumées comme suit dans le rapport enquête de collision de la Sûreté du Québec :

Le 17 décembre 2003 vers 19h00 avait lieu un accident impliquant 2 véhicules routiers dans la Municipalité de Rivière-Rouge.



La chaussée était glissante et enneigée et, dans une courbe située à environ 820 mètres au nord du Rang 5 à Ste-Véronique, un train routier (en direction sud) et une vannette (en direction nord) se sont croisés et une collision a suivi, entraînant la mort du conducteur de la vannette



Étant donné l’état de la chaussé (glissante) et les conditions climatiques (neige abondante), il était hasardeux de circuler sur la route.



Une vitesse non adéquate en rapport avec la situation climatique, et la visibilité presque nulle causée par la rafale provoquée par le train routier, ont sûrement perturbé la conduite de la vannette qui est entrée en collision avec le train routier, entraînant dans la mort le conducteur de la vannette.

[sic]





[7] Dans son rapport la Sûreté du Québec ne constate aucune infraction et décrit la cause de la collision comme étant une perte de contrôle due aux conditions climatiques.

[8] Le rapport contient une déclaration du conducteur du train routier qui souligne que lors de l’accident il circulait à une vitesse de 70 à 75 kilomètres à l’heure dans les plats et ralentissait dans les courbes. Il connaissait bien la route. En entrant dans le détour il a appuyé tranquillement sur les freins parce qu’il savait que c’était coulant. Il confirme avoir rencontré quelqu’un et que le véhicule circulait correctement. Il n’a rien noté d’anormal. En même temps qu’il a relâché les freins, il a ressenti une petite relâche ce qui lui a apparu normal. Il n’a jamais pensé avoir frappé quelqu’un. Il a continué sa route.

[9] Ce n’est qu’au moment où il est arrivé à une intersection où il y a des lumières qu’il a vu qu’il y avait une poche dans son chargement et des «strappes» qui battaient au vent. Il est donc arrêté dans la cour du moulin pour vérifier ce qui se passait. C’est à cette occasion qu’il a noté les dommages faits à son camion.

[10] Le rapport contient également une déclaration du supérieur immédiat du travailleur. Dans sa déclaration, il mentionne que le jour de l’accident le travailleur avait décidé de faire deux journées en une, étant parti de chez lui vers 6 h. Normalement pendant cette journée il couvre le territoire de Ste-Véronique à Nominingue alors que ce jour-là il a englobé L’Annonciation et Labelle. Il a fait cela afin d’être en congé le lendemain et c’est ce qui explique sa présence sur la route à une heure plus avancée qu’en temps habituel. Le travailleur a communiqué avec lui vers 17 h pour lui dire qu’il lui restait quelques clients à faire à L’Annonciation. Il a alors mentionné au travailleur d’être prudent car il ne faisait pas beau.

[11] Un enquêteur en collision de la Sûreté du Québec, monsieur André Doucet, a également rédigé un rapport sur cet accident après avoir s’être rendu sur les lieux à 20 h 54 le jour même soit sur la route 117 nord. Il note que cette route est enneigée et glissante malgré le travail du ministère des Transports. Il constate que la collision est survenue entre deux courbes. Pour le tracteur routier, la courbe était descendante, et pour la mini-fourgonnette elle était ascendante. Une seule voie était ouverte vers le sud et deux voies pour le nord. Après avoir inspecté les lieux et les véhicules, il conclut ce qui suit :

Coint d’impact



La condition de la chaussée n’a pas aidé à avoir une bonne maîtrise de la voiture. Selon les points de dégagement, le tracteur était sur sa voie lors du dégagement. La visibilité était réduite par la neige abondante qui tombait, et le brouillard que le mastodonte a provoqué en circulant n’a pas aidé le conducteur de la mini-fourgonnette à garder sa voie.





[12] Le 15 décembre 2004, l’employeur demande à la CSST un transfert des coûts reliés à cet accident du travail. Il invoque que cet accident est attribuable à un tiers et invoque l’application du 2e alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[13] À l’appui de sa demande l’employeur dépose une opinion d’un ingénieur qui a analysé l’ensemble des documents entourant le fait accidentel. Il convient de citer un extrait de ses conclusions :

It is also our opinion that given the direction of the downhill curve facing the tractor trailer, the reported icy and slippery condition of the roadway, and the propensity for the multi-articulated B-train to offtrack into the northbound lane, there would be an increased risk that the rear of the last trailer would cross the centre line rather than the Chevrolet entering the northbuond lane.



It is finally our opinion that the reported severe weather conditions and the slippery condition in effect at the time of this accident were likely the most significant factor in its cause.



[14] La CSST refuse cette demande. Après analyse des circonstances de l’accident elle conclut que le tiers n’est pas majoritairement responsable de celui-ci. Elle ajoute qu’il n’est pas injuste que l’employeur assume le coût de cet accident puisqu’il fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par son entreprise.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[15] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert des coûts en raison d’un accident attribuable à un tiers en vertu de l’article 326 de la loi :

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.



Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.



L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.





[16] Il importe de souligner qu’en vertu de la règle générale d’imputation le coût d’une lésion professionnelle est imputé au dossier financier de l’employeur.

[17] L’employeur demande donc que soit appliquée l’exception prévue à l’article 326, à savoir que l’accident est attribuable à un tiers. Il lui appartient alors de soumettre une preuve prépondérante de l’existence des conditions d’ouverture à une telle exception.

[18] La représentante de l’employeur soumet que malgré les mauvaises conditions climatiques, le train routier est majoritairement responsable de l’accident. Elle ajoute que le travailleur et son employeur n’avaient aucun contrôle sur la situation qui a engendré l’accident. Elle estime d’ailleurs que l’employeur n’a pas l’obligation d’établir le degré de responsabilité du tiers[2]. Il suffit pour l’employeur de démontrer qu’un tiers est impliqué dans l’accident afin qu’un transfert des coûts puisse être accordé[3].

[19] Or, la jurisprudence relativement unanime tant de l’ancienne Commission d’appel en matière de lésions professionnelles que de la Commission des lésions professionnelles conclut plutôt que l’employeur doit démontrer que le tiers est majoritairement responsable de l’accident.

[20] Cette interprétation a été maintenue dans une décision récente de la Commission des lésions professionnelles rendue dans Ministère des transports et CSST[4]. Dans sa décision le tribunal procède à une revue exhaustive et une analyse approfondie de la jurisprudence sur l’application de cette exception à la règle d’imputation. Cette décision a été rendue par une formation de trois commissaires dans le cadre d’un regroupement de plusieurs dossiers.

[21] Il ressort de cette décision que l’employeur qui demande un transfert des coûts d’un accident du travail au motif que cet accident est attribuable à un tiers doit démontrer trois éléments :

-l’accident du travail est «attribuable» à un tiers: ce qui signifie que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais de façon «majoritaire» à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %.



-l’accident du travail est attribuable à un «tiers»: la notion de tiers n’est pas définie à la loi. En recourant aux définitions du dictionnaire et en considérant la nature du régime créé par la loi, exorbitant du droit commun et fondé sur des principes d’assurance et de responsabilité collective, un «tiers» au sens de l’article 326 de la loi est «toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier».



-l’effet «injuste» de l’imputation : la preuve que l’accident du travail est attribuable à un tiers ne suffit pas à justifier une imputation aux autres employeurs. Il faut en démontrer le caractère injuste, suivant l’interprétation très fortement majoritaire de la jurisprudence.

[22] Il convient de citer le passage de cette décision qui fait la revue exhaustive de la jurisprudence sur la notion de «attribuable à un tiers» :

Revue de la jurisprudence sur la notion de attribuable à un tiers



[180] Dans l’affaire Natrel et Marché Duchemin et frères enr.133, la Commission des lésions professionnelles affirme que la notion de « attribuable à » doit s’interpréter, selon la jurisprudence majoritaire, dans le sens d’une contribution majoritaire du tiers par son action ou son omission à la survenance de l’accident du travail.



[181] Dans l’affaire Provigo (Division Max Nouveau concept)134, la commissaire retient qu’un accident est attribuable à un tiers lorsque le tiers est l’auteur ou la cause de cet accident de sorte qu’il a majoritairement contribué aux événements qu’il l’ont entraîné135.



[182] Dans Société de transport de la Communauté Urbaine de Montréal136, la Commission des lésions professionnelles mentionne qu’il ne suffit pas qu’un tiers ait contribué à la survenance d’un accident pour dégager l’employeur de sa responsabilité financière. L’adjectif « attribuable » implique que le tiers est majoritairement responsable des événements sinon le législateur aurait parlé d’un tiers qui est partie à la survenance de ceux-ci137.



[183] Dans l’affaire Autocar Connaisseur inc.138, un chauffeur d’autobus est victime d’un accident du travail quand, en descendant de son autobus, il se blesse à la jambe au moment où il pose le pied sur un couvercle d’égout brisé. Malgré l’absence de preuve démontrant la responsabilité de la Ville de Montréal en tant que propriétaire du couvercle d’égout, la commissaire décide quand même que l’accident subi par le travailleur est attribuable à un tiers. Selon elle, pour déterminer si un accident du travail est attribuable à un tiers, il convient d’appliquer un test de prépondérance de preuve en regard de l’implication du tiers dans la survenance de l’accident sans qu’une preuve de négligence, de faute lourde, de faute délictuelle ou quasi délictuelle ne soit nécessairement apportée. La défectuosité du couvercle d’égout est attribuable à un tiers qui n’est ni le travailleur ni l’employeur et ce, même si on ne peut cerner avec précision son identité.



[184] Dans Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal139, la Commission des lésions professionnelles mentionne que le simple fait qu’un tiers participe d’une quelconque façon à l’arrivée d’un accident est insuffisant pour conclure que cet accident lui est attribuable et il doit en être majoritairement responsable pour permettre à l’employeur d’obtenir le transfert d’imputation. Le rôle de la Commission des lésions professionnelles n’est cependant pas d’établir la responsabilité civile des intervenants ni de rechercher l’existence d’une faute, l’article 25 de la loi stipulant que les droits conférés le sont sans égard à la responsabilité de quiconque. Il faut donc déterminer si le tiers a fourni une participation majoritaire dans la survenance de l’accident du travail140.



[185] Dans l’affaire Casteltina (1987) enr. et Tebessi et autres141, la commissaire rappelle elle aussi que le rôle de la Commission des lésions professionnelles n’est pas d’établir la responsabilité civile ou criminelle de chacun des intervenants mais plutôt de déterminer si le tiers a une participation majoritaire dans la survenance de l’accident du travail concerné.



[186] Dans l’affaire Brasseur Transport inc. et Services de mécanique mobile B.L. inc.142, la Commission des lésions professionnelles indique que dans l’application du 2e alinéa de l’article 326 de la loi, elle n’a pas à rechercher un auteur fautif, responsable d’un accident, mais bien de déterminer si un accident est attribuable à un tiers. La nuance a son importance puisqu’un accident peut être attribuable à un tiers sans que ce dernier n’ait nécessairement commis une faute.



[187] Dans l’affaire Intérim Aide Hunt Personnel143, la commissaire rappelle que le simple fait qu’un tiers participe d’une quelconque façon à l’arrivée d’un accident est insuffisant pour conclure que cet accident lui est attribuable. En effet, le tiers doit être majoritairement « responsable » ou doit avoir majoritairement contribué aux événements qui ont entraîné l’accident. Cependant, cette analyse ne requiert pas le degré de rigidité qui sied à la recherche d’une faute civile. Il y a une distinction entre le rôle dévolu à un tribunal de juridiction civile face à celui de la Commission des lésions professionnelles. L’établissement d’une responsabilité civile, selon la jurisprudence élaborée par les tribunaux civils, irait à l’encontre des dispositions de l’article 25 de la loi.



[188] En résumé, l’interprétation de l’expression « attribuable à » fait l’objet d’une jurisprudence relativement unanime au sein du tribunal. Il faut que la lésion en cause soit majoritairement attribuable au tiers concerné, sans qu’il soit nécessaire de référer à la notion de responsabilité civile. Le tiers doit être la cause de la lésion à plus de 50 % .

_______________________

133 C.L.P. 123564-61-9909 et autres, 9 mai 2000, G. Morin.

134 C.L.P. 130886-64-0002, 6 juillet 2000, C. Racine.

135 Voir aussi Hôpital Sacré-Cœur-de-Montréal et CSST, C.L.P. 248753-61-0411, 10 mai 2005, M. Duranceau; Onan Est du Canada inc, C.L.P. 165658-64-0107, 16 mai 2002, M. Montplaisir; PLM Électrique inc. et Ville de Lachine, C.L.P. 182618-71-0204, 21 novembre 2004, L. Couture; Les Entreprises Éric Dostie inc. et Constructions Marco Lecours, C.L.P. 181190-05-0203, 5 décembre 2002, M. Allard.

136 C.L.P. 152927-62A-0012, 19 juillet 2001, A. Suicco

137 Voir aussi Transport F. Boisvert inc. et Norkraft Quévillon inc., C.L.P. 154046-08-0101, 25 janvier 2002, P. Prégent.

138 C.L.P. 2000 LP-83.

139 [2000] C.L.P. 582

140 Voir aussi Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 151159-72-0011, 2 août 2001, N. Lacroix; Ascenseurs Thiyssen Montenay et Les Établissements de Détention du Québec, C.L.P. 192891 - 31-0210, 23 janvier 2003, J.-L. Rivard; McCallister Sorel inc. et James Richardson International ltée, C.L.P. 191508-62B-0210, 12 novembre 2003, Alain Vaillancourt; Otis Canada inc. et Hôtel Royal William, C.L.P. 207227-31-0305, 7 avril 2004, R. Ouellet; Les Industries Garanties ltée et Divco et autres, C.L.P. 197575-64-0212, 8 septembre 2004, A. Suicco; Club de golf Héritage, C.L.P. 289340-07-0605, 24 novembre 2006, M. Langlois; CSSS de la Vieille Capitale et CSST, C.L.P. 294601-31-0607, 21 mars 2007, H. Thériault; Coopérative des 1001 Corvées, C.L.P. 292188-07-0606, 25 janvier 2008, M. Langlois; Fertek inc. et Ameri Construction ASS. Inc.; Bell Canada, C.L.P. 180605-64-0203, 9 septembre 2002, G. Perreault; Lar Machinerie (1983) inc. et Machinerie Bromer et autres, 185825-02-0206, 2 décembre 2002, A. Gauthier; Structures Derek inc. et CSST, [2003] C.L.P. 210

141 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D Gruffy; voir aussi Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., CLPE 2003LP-15 .

142 152172-62A-0012, 14 mai 2001, L. Vallières.

143 C.L.P. 225545-71-0401, 10 septembre 2004, C. Racine.





[23] Cette interprétation de «majoritairement responsable» a également été maintenue dans des décisions postérieures[5] à la décision rendue dans Ministère des transports et CSST[6].

[24] Le soussigné partage cette analyse et conclut que l’employeur doit établir que l’accident survenu le 17 décembre 2003 est majoritairement attribuable à un tiers, en l’occurrence le conducteur du train routier.

[25] Sur cette question le soussigné a pris en considération toutes les opinions émises au dossier et en conclut que l’accident ne peut être attribuable à plus de 50 % au tiers.

[26] En effet, tant la Sûreté du Québec que l’expert mandaté par l’employeur retiennent les conditions climatiques et les conditions routières comme étant les causes principales de l’accident mortel survenu au travailleur. Dans sa conclusion l’expert de l’employeur conclut ainsi : «(…) the reported severe weather conditions and the slippery condition in effect at the time of this accident were likely the most significant factor in its cause.» (Le souligné est du soussigné).

[27] De plus, même en retenant l’hypothèse soumise par l’expert de l’employeur voulant que le train routier ait pu circuler près du centre de la voie lors de l’impact cela ne démontre pas que le tiers est majoritairement responsable de l’accident. Cette hypothèse n’est d’’ailleurs pas retenue par la Sûreté du Québec car elle considère que le travailleur a pu avoir une perte de contrôle de la camionnette lorsqu’il a rencontré le train routier dans les conditions qui prévalaient à ce moment de la journée.

[28] Sans nier une part de responsabilité du tiers dans la survenance de l’accident, il ne peut être conclu que l’employeur a démontré par une preuve prépondérante que le tiers est majoritairement responsable de ce dernier.

[29] L’employeur ne peut donc se voir accorder un transfert des coûts pour ce motif.

[30] Il reste alors à déterminer si les circonstances de l’accident permettent de conclure que l’employeur serait obéré injustement.

[31] L’employeur soumet qu’il faut donner à cette disposition une interprétation large et libérale[7]. Il estime qu’il n’a pas à faire la preuve d’une situation financière précaire ou de lourde charge financière[8].

[32] Dans une récente décision la Commission des lésions professionnelles[9] conclut, après avoir analysé la jurisprudence, que cette notion d’obérer injustement doit faire l’objet d’une interprétation large et libérale. Le soussigné partage cette conclusion.

[33] Dans le présent dossier, l’employeur invoque plusieurs facteurs, à savoir que le travailleur ne devait pas se trouver sur la route à 19 h et qu’il s’y trouvait parce qu’il avait choisi de faire deux journées en une; les conditions météorologiques et routières extraordinaires; et que l’employeur n’avait ni contrôle ni responsabilité sur l’accident. Enfin, il estime que l’accident est arrivé lors d’une activité secondaire de l’employeur.

[34] Dans la décision S.G.T. 2000 inc. et C.S.S.T.[10], la Commission des lésions professionnelles commente ce premier facteur soulevé par l’employeur, soit le nombre d’heures travaillées par le travailleur le jour de l’accident :

[57] Enfin, même en retenant la thèse selon laquelle le travailleur a dépassé le nombre d’heures de conduite permis, ce qui n’a pas été démontré de façon prépondérante tel que déjà dit, et qu’il a fait preuve de négligence, la Commission des lésions professionnelles estime que cette négligence ne suffit pas pour conclure à une obération injuste.



[58] Dans l’affaire Breakwater Ressources Ltd11 où un travailleur est blessé alors qu’il n’a pas respecté les consignes de sécurité mises en place, la Commission des lésions professionnelles, reprenant le raisonnement tenu dans l’affaire Portes Cascades inc.12, écrit que la recherche d’une négligence autre que la négligence grossière et volontaire ne doit pas servir à obtenir un transfert d’imputation.



[59] La négligence grossière et volontaire s’écarte en effet de la simple négligence ou d’une inadvertance, d’une imprudence. La négligence grossière et volontaire relève davantage de la témérité que d’une simple erreur de jugement.



[60] La Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucune preuve à l’effet que le travailleur a eu une conduite s’apparentant à une négligence grossière et volontaire.



[61] La Commission des lésions professionnelles estime donc que l’employeur n’a pas assumé son fardeau de démontrer de façon prépondérante que l’imputation à son dossier du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur a pour effet de l’obérer injustement. Il doit donc, conformément au premier paragraphe de l’article 326 de la loi, supporter la totalité de ces coûts.

_____________________

11 C.L .P. 263184-08-0505, 22 janvier 2008, P. Prégent

12 C.L.P. 222464-62B-0312, 11 mai 2004, Y. Ostiguy



[35] Tout comme dans cette affaire, le soussigné ne dispose d’aucune preuve prépondérante permettant de conclure à la négligence grossière et volontaire du travailleur. La seule preuve offerte par l’employeur sur cet aspect se limite au fait que le travailleur a choisi de faire ses deux journées de travail en une. Aucune preuve n’a été soumise quant aux conditions d’exercice du travail. Ce seul fait pris isolément ne permet pas de conclure que cela a nécessairement joué un rôle dans la survenance de l’accident.

[36] D’ailleurs cette décision était connue de l’employeur tout comme les conditions météorologiques et rien dans la preuve n’indique que l’employeur soit intervenu auprès du travailleur pour lui recommander de ne pas prendre une telle décision ou encore de ne pas prendre la route. Il est donc difficile de conclure que l’employeur n’avait aucun contrôle sur cette décision.

[37] Sur l’existence de conditions météorologiques et routières extraordinaires le tribunal ne dispose d’aucun rapport météorologique ni rapport détaillé des conditions routières, pas plus que des détails entourant l’évolution desdites conditions au cours de la journée de travail du travailleur.

[38] Les seules informations dont dispose le tribunal sont celles contenues aux rapports de la Sûreté du Québec à savoir que la route était enneigée et glissante.

[39] Enfin l’employeur invoque que le type d’activités exercées par le travailleur à titre de représentant des ventes constitue une activité secondaire. Or, dans la décision Rivières Des Prairies et Arrondissement Pointe-Aux-Trembles[11], la Commission des lésions professionnelles analyse la jurisprudence et conclut que dans de telles circonstances il s’agit de risques reliés aux activités économiques de l’employeur. Le tribunal s’exprime comme suit :

[17] En effet, les déplacements du travailleur en camionnette sur la voie publique sont directement reliés à l’exercice même de son travail, soit celui de chauffeur opérateur au service de la voirie, puisque des déplacements routiers sont nécessaires pour aller effectuer des travaux publics. Il est manifeste de la preuve que la présence du travailleur sur la route découlait de son emploi de chauffeur opérateur chez l’employeur au moment où il a subi son accident du travail le 13 septembre 2004.



[18] C’est effectivement dans le cadre de son travail de chauffeur opérateur, que celui-ci devait effectuer des déplacements en camionnette sur la voie publique pour exécuter ses tâches de travail, ce qui impliquait un risque de subir un accident de la route. Par conséquent, cela faisait partie des risques reliés aux activités économiques exercées par l’employeur. Dans un tel cas, il n’est pas injuste pour ce dernier d’assumer ces risques.



[19] La Commission des lésions professionnelles considère donc que l’activité exercée par le travailleur au moment de la survenance de l’accident du travail, soit le fait pour un chauffeur opérateur de conduire un appareil motorisé (C) sur une voie publique, faisait partie des risques inhérents que doit supporter l’employeur. L’imputation du coût à son dossier financier ne peut, dans un tel cas, constituer une injustice au sens du 2e alinéa de l’article 326 de la loi.



[20] C’est d’ailleurs en ce sens qu’a conclu la Commission des lésions professionnelles voulant que ce type d’accident de circulation sur la voie publique constitue un risque inhérent en regard de l’ensemble des activités économiques exercées par l’employeur dans les causes suivantes :



- Auto Coiteux Montréal ltée, 29 novembre 2006, CLP 291545-61-0606, Lucie Nadeau, commissaire.



- Bowater Pâtes et Papiers Canada inc., 24 novembre 2006, CLP 289362-07-06056, Marie Langlois, commissaire.



- Frito-Lay Canada, 8 août 2006, CLP 287182-04B-0604, Jean-François Clément, commissaire.



[21] Dans tous les cas, il s’agissait d’accidents du travail reconnus au cours desquels des travailleurs avaient été impliqués dans des accidents de circulation attribuables à un tiers. La Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’un commissionnaire devant effectuer des déplacements en automobile pour effectuer ses tâches de travail (dans l’affaire Auto Coiteux Montréal ltée précitée); qu’un vendeur livreur devant conduire son camion chaque jour de façon significative (dans la cause Frito-Lay Canada) ou qu’un mesureur devant se déplacer dans le cadre de ses activités régulières à raison de 10 % de son temps de travail pour rencontrer les clients ( cause Bowater Pâtes et Papiers Canada inc.) étaient dès lors exposés à un accident de la route et que cela faisait partie des risques reliés aux activités économiques exercées par l’employeur. Comme ces activités impliquaient un risque de subir un accident de la route, la Commission des lésions professionnelles concluait qu’il n’était pas injuste pour les employeurs d’assumer ces risques et rejetait les demandes de transfert des coûts.



[22] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles en arrive à la même conclusion en refusant la demande de l’employeur de transfert des coûts découlant de la lésion professionnelle survenue au travailleur le 13 septembre 2004.





[40] Dans le présent dossier, les éléments de preuve soumis quant aux tâches de représentant des ventes exercées par le travailleur permettent de conclure que cela faisait partie des risques reliés aux activités économiques de l’employeur.

[41] À titre de représentant des ventes la preuve révèle que le travailleur avait à se déplacer sur la route dans son secteur ce qui fait en sorte qu’il était exposé aux accidents de la route. Dans ce contexte la Commission des lésions professionnelles ne peut pas conclure que l’employeur serait obéré injustement.

[42] L’employeur n’a donc pas établi par une preuve prépondérante qu’il pouvait bénéficier de l’exception prévue à l’article 326 de la loi. La CSST était donc justifiée de lui imputer de la totalité des coûts de l’accident du travail survenue le 17 décembre 2003.



PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Embouteillage Coca-Cola ltée, l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 avril 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie le 17 décembre 2003 par monsieur Steeven Dufour doit être imputé au dossier de l’employeur.






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Daniel Martin




Commissaire