Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

C.R. c. Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, 2017 QCCA 328

17/01/2017 17:30

no. de référence : 200-09-009415-164

C.R. c. Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent

2017 QCCA 328

COUR D’APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

QUÉBEC

N° :

200-09-009415-164

(100-17-001789-165)

DATE :

17 février 2017

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

C… R…

APPELANT – Défendeur

c.

CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU BAS‑SAINT‑LAURENT

INTIMÉ – Demandeur

et

LE CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE – Mis en cause

ARRÊT






[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 29 novembre 2016 par la Cour supérieure du district de Rimouski (l’honorable Nicole Tremblay), qui l’a déclaré inapte à consentir aux soins médicaux requis par son état et qui a autorisé l’intimé à lui administrer un plan de traitement et à l’héberger à cette fin, et ce, pour une durée de trente-six mois, malgré son refus et contre son gré[1].

1. Les faits et les procédures

[2] L’appelant est un homme de 57 ans, célibataire et sans enfant. Il est atteint d’un trouble schizo-affectif et d’un trouble obsessionnel-compulsif. Depuis le début de la vingtaine, il a été hospitalisé en psychiatrie à de multiples reprises et dans plusieurs provinces du Canada.

[3] Au Québec, il a été hospitalisé au moins deux fois en 1996, deux fois en 2001, deux fois en 2003, trois fois en 2004 et deux fois en 2005 pour des durées variant entre 11 et 43 jours. En général, il était conduit à un établissement hospitalier par la police à la suite de comportements bizarres et troublant l’ordre public[2]. En 2016, il a été hospitalisé à deux reprises à Gaspé et cinq fois à Rimouski à la suite de comportements perturbateurs.

[4] Jusqu’au 7 octobre 2016, il vit seul en appartement à Ville A. En raison de son inobservance médicamenteuse, son état se détériore. Le 7 octobre 2016, l’intimé obtient de la Cour supérieure une première ordonnance de soins et d’hébergement valable pour une période de trois ans. Cette ordonnance autorise l’intimé à administrer à l’appelant l’antipsychotique Latuda, l’antidépresseur Anafranil ainsi que la médication jugée appropriée afin d’atténuer ou de combattre les effets secondaires de ces médicaments[3]. À compter du 17 octobre 2016, l’appelant réside au centre de ressources Mon Parcours de Mont-Joli.

[5] À la suite de cette première ordonnance de traitement, l’appelant reçoit l’Anafranil jusqu’à une dose de 150 mg et le Latuda jusqu’à une dose de 120 mg[4].

[6] Le traitement pharmacologique administré ne donne toutefois pas le résultat escompté et l’appelant présente « […] une détérioration du tableau sur une mode de manie »[5]. Il tient des propos à caractère sexuel sur les jeunes femmes autour de lui. De plus, il souffre d’insomnie sévère, il est agité et un peu agressif. Il est trop agité pour demeurer à Mon Parcours et il est hospitalisé du 28 octobre au 23 novembre 2016[6]. Il retourne ensuite dans le milieu d’hébergement Mon Parcours.

[7] Le 17 novembre 2016, l’intimé présente une nouvelle demande d’autorisation de soins et d’hébergement afin de pouvoir traiter l’appelant avec une médication différente parce que son état de santé s’est détérioré.

[8] Le 28 novembre 2016, la juge de première instance tient une audience au cours de laquelle elle entend la psychiatre Manon Charneau ainsi que l’appelant. Le lendemain, 29 novembre 2016, la juge accueille la demande et délivre l’ordonnance demandée. Elle ordonne également l’exécution immédiate de son jugement, malgré le délai d’appel de cinq jours prévu à l’article 361 al. 2 C.p.c.

2. Le jugement entrepris

[9] Après avoir énoncé les faits et fait état du rapport psychiatrique de la Dre Charneau et de la teneur de son témoignage, la juge de première instance détermine que l’appelant est inapte à consentir aux soins de santé et qu’il refuse systématiquement la médication proposée. Elle fait le constat qu’il nie la maladie l’affectant et ne comprend pas les bénéfices des traitements présentés par rapport aux effets secondaires[7].

[10] La juge expose ensuite le plan de soins proposé par l’intimé, notamment les traitements alternatifs recherchés dans l’éventualité où le plan initial serait inefficace :

[22] En raison de l’état de santé de monsieur R..., le demandeur, par l’entremise de la Dre Manon Charneau, psychiatre, requiert de pouvoir traiter le trouble schizo-affectif et le trouble obsessionnel compulsif de monsieur R... avec une médication appropriée, soit un antipsychotique différent ainsi que par des antidépresseurs et un stabilisateur de l’humeur.

[...]

[39] Dre Manon Charneau, psychiatre traitante actuelle de monsieur R..., propose le plan de soins suivants et ce, pour une durée de trois (3) ans :

o En lui administrant par voies injectables ou orale la médication requise pour diminuer et stabiliser ses symptômes de manie, soit de l’acide valproïque;

o Dans l’éventualité où le défendeur n’a pas de réponse ou a des symptômes persistants de manie, l’autorisation d’utiliser d’autres antidépresseurs, soit le Prozac ou le Cipralex;

o Dans l’éventualité où le défendeur présente une amélioration partielle avec les antidépresseurs précités, l’autorisation d’utiliser un potentialisateur, soit le Mémantine, un antagoniste NMDA, le Topiramate, un anticonvulsivant, le Pindolol, un antihypertenseur;

o Pour ce qui est du trouble schizo-affectif, cesser le Latuda ce médicament n’étant pas efficace;

o Elle demande donc l’autorisation de traiter le défendeur avec un antipsychotique par injection, soit de l’Abilify Maintena et de l’Abilify en comprimés pour dix semaines, le temps que l’Abilify Maintena agisse;

o Étant donné le délai de réponse de l’Abilify Maintena, elle demande l’autorisation d’utiliser un autre antipsychotique par injection, soit le Clopixol Acuphase afin de contrôler les symptômes d’agitation et de manie en lien avec le trouble schizo-affectif du défendeur;

o Dans l’éventualité où ces antipsychotiques s’avèrent inefficaces ou sont mal tolérés, elle demande l’autorisation d’utiliser l’Invega Sustenna pour douze semaines;

o Dans l’éventualité où ces antipsychotiques s’avèrent inefficaces, elle demande l’autorisation d’utiliser la Clozapine qui est recommandée dans le traitement du trouble schizo-affectif réfractaire;

[40] Cette médication et ces substituts en cas de non-réponse de monsieur R... s’avèrent nécessaires pour répondre aux différents problèmes de santé de monsieur R...[8]

[11] Comme on le voit, la juge estime que les soins ainsi proposés pour l’appelant s’avèrent nécessaires. Elle signale cependant que seule la première proposition de médicaments a été expliquée à l’appelant et non les plans de traitements alternatifs puisqu’il les refuse. Elle note toutefois que les informations pertinentes détaillées relatives à ces traitements de rechange ont été présentées à l’audience en présence de l’appelant[9]. Elle détermine que les effets bénéfiques du traitement excèdent largement les effets secondaires possibles[10].

[12] La juge conclut enfin que la durée de l’ordonnance à être rendue devrait être de trois ans, ce qui permettra à la psychiatre de venir en aide à l’appelant alors que ce dernier néglige de prendre ses médicaments[11]. Elle accueille dans son intégralité l’ordonnance demandée[12].

3. L’analyse

[13] La lecture du jugement de première instance fait bien voir que la juge a suivi les paramètres de la grille d’analyse énoncée par la Cour d’appel et qui s’appliquent à toute demande d’autorisation de soins présentée aux termes de l’article 16 C.c.Q. à l’égard d’un majeur inapte[13].

[14] L’appelant soulève trois moyens d’appel. La juge de première instance aurait d’abord accordé l’autorisation d’administrer un traitement pharmacologique trop large, contrevenant ainsi aux critères des articles 12 et 16 C.c.Q. En deuxième lieu, elle aurait prononcé une ordonnance d’une durée de trois ans sans s’assurer que cette durée est la plus courte qui puisse raisonnablement être envisagée. Enfin, elle aurait erré en prononçant l’exécution immédiate du jugement.

3.1 Le plan de traitement

[15] Au soutien de son premier moyen, l’appelant plaide d’abord que la juge ne pouvait conclure à son refus de prendre la médication sans préalablement s’assurer qu’il avait obtenu toutes les informations nécessaires à une prise de décision libre et éclairée.

[16] Or, de l’aveu de la Dre Charneau, seul le plan de traitement initial avait été envisagé et discuté avec l’appelant. Elle ne lui avait pas donné d’explications sur les médicaments envisagés en deuxième et troisième lieu si les premiers s’avéraient inefficaces.

[17] L’appelant fait valoir que la juge a manifestement erré en affirmant, comme elle l’a fait, que les explications fournies par la psychiatre durant l’audience étaient suffisantes pour satisfaire aux exigences applicables. Selon lui, l’ensemble du plan de traitement n’ayant pas été discuté avec lui, il ne pouvait y avoir un refus catégorique de sa part.

[18] Ce moyen doit être rejeté. Dans le contexte de l’alliance thérapeutique et des devoirs du médecin traitant, il est souhaitable que ce dernier fournisse au patient les explications les plus complètes possible, tout particulièrement quant aux effets secondaires des médicaments proposés. En l’espèce, cependant, la juge de première instance pouvait tout de même retenir que les explications fournies à l’audience étaient de nature à satisfaire aux exigences et conclure au refus catégorique de la part de l’appelant.

[19] D’une part, à l’audience, l’échange suivant entre la juge et la représentante de l’appelant, et malgré l’intervention de ce dernier, tend plutôt à démontrer que les explications données à l’audience par la psychiatre étaient considérées adéquates :

THE COURT :

It’s the best place here to make sure that all the explanations have been given to him. Can you tell me today that Dr. Charneau didn’t give all explications about all medications and all the second effects?

Ms. SARAH THIBAULT

for the Defense :

Yes, I know that she…

Mr. C. R. :

She did not.

Ms. SARAH THIBAULT

for the Defense :

No. No. I know that she did that, but I think, I think my client’s right needs to be reconsidered, and if we… If we think about giving, like, medication that have like sever side-effects, I think it’s going to take the time to check if it’s really necessary there. […][14]

[20] D’autre part, si l’appelant estimait qu’il devait s’informer davantage sur la nature, l’utilité et les effets secondaires de la médication alternative envisagée en cas d’inefficacité du traitement initial, il aurait pu, par sa représentante, demander une remise de l’audience, ce qui n’a pas été fait. La Cour a rappelé que, dans le cas d’une demande de remise de ce type, la discrétion doit être exercée judiciairement. Le refus d’une demande de remise visant à obtenir de l’information médicale ne peut se fonder sur un seul motif d’efficacité administrative pour éviter à l’avocat de l’établissement, au psychiatre et aux autres préposés de se présenter de nouveau à une date ultérieure, au détriment des droits du patient[15].

[21] Enfin, même en tenant pour acquis que les informations sur la médication de remplacement auraient été incomplètes, la juge pouvait quand même inférer de la preuve que le refus de traitement de l’appelant était sans ambiguïté[16]. Comme le révèle l’extrait suivant du témoignage de la Dre Charneau, toute discussion de médication avec l’appelant est vouée à l’échec :

Q. Okay. Has the defendant presented a categorical refusal of new medication, or longer staying in the hospital?

A. Yes. Like I said, when he was... when I made him know that he didn’t have to take the other medication I was giving him, he said that... he refused. And even after that I went to see him, like three times a week, and tried to talk to him about the medication, and he said that... he still maintained that he didn’t want to get the medication.

Q. Okay. And how do you conclude that he is incapable of giving consent?

A. Okay. Well, this is quite easy. For Mr. R., really for him, he doesn’t have any... any disease. He... He’s not able to recognize the strange behaviour that he has, the impact on the community. So he doesn’t... he cannot talk about the symptoms of his disease. Likewise, because of that he cannot talk about the treatment, the option of treatment for this kind of disease, the side-effects, the side-effects of not being treated. And this is because of his disease.[17]

[22] Toujours au soutien de ce premier moyen, l’appelant fait également valoir que la juge ne pouvait pas autoriser à l’avance un plan de traitement à titre purement préventif, au cas où le plan soumis s’avérait inefficace. Rappelant qu’une ordonnance de soins est une violation des droits fondamentaux, l’appelant explique que le jugement entrepris autorise les médecins à lui administrer tellement d’antipsychotiques que cela équivaut à leur donner le droit d’administrer n’importe quel médicament sans contrôle judiciaire.

[23] L’appelant reconnaît que le plan initial est requis par son état de santé, mais il avance que ce n’est pas le cas pour les médicaments alternatifs. Le fait pour les médecins de devoir se présenter à nouveau devant le tribunal est dans l’intérêt du patient, soutient-il. Conséquemment, en décidant comme elle l’a fait, la juge de première instance ne s’est pas acquittée du rôle que lui confie le législateur et sa décision favorise seulement l’intimé pour sa seule commodité.

[24] L’argument est sérieux et il se fonde sur l’arrêt F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria)[18]. Il a d’ailleurs été retenu au bénéfice de l’appelant dans le jugement du 7 octobre 2016[19].

[25] La Cour est d’avis que, en l’espèce, l’argument ne peut être retenu. Dans l’arrêt F.D., la preuve révélait que l’administration de psychotiques n’était ni requise, ni indiquée, ni bénéfique pour l’appelant et qu’elle s’inscrivait à l’intérieur d’une démarche essentiellement préventive « au cas où »[20].

[26] De plus, dans le jugement du 7 octobre 2016, le juge Beaupré a considéré que l’historique médical de l’appelant ne permettait aucunement de démontrer que les médicaments Latuda et Anafranil s’avéreraient inefficaces au point d’autoriser, à titre préventif, des médicaments injectables. Quant à la clozapine, aux effets secondaires non négligeables, elle était proposée dans l’éventualité où l’appelant aurait développé une maladie réfractaire à la médication. Le juge Beaupré a refusé d’accorder les conclusions afférentes à cette « demande préventive »[21].

[27] Depuis, la situation a changé et la preuve démontre qu’il ne s’agit pas de donner « un chèque en blanc judiciaire »[22] quant à la médication autorisée. Le Rapport de la psychiatre et son témoignage à l’audience en Cour supérieure font voir que l’appelant souffre à la fois d’un trouble schizo-affectif et d’un trouble obsessionnel-compulsif. De plus, sa maladie est réfractaire ainsi que le démontre l’inefficacité du traitement autorisé le 7 octobre 2016 par le juge Beaupré. Enfin, si l’appelant accepte plus ou moins la prise des médicaments visés par une ordonnance, il refuse catégoriquement de prendre toute médication alternative dès qu’il apprend que cette médication n’est pas nommée à l’ordonnance[23].

[28] Il y a une différence entre une autorisation purement préventive et, comme en l’espèce, la présentation d’un plan de soins complet qui inclut les alternatives appropriées selon l’évolution de la situation. Le dossier de l’appelant à l’hôpital de Rimouski révèle, comme il le reconnaît lui-même, l’inefficacité de la médication déjà autorisée le 7 octobre 2016. La difficulté est de trouver quel médicament s’avère le plus indiqué pour le patient. Cette difficulté est augmentée du fait que le médecin traitant ne sait pas si l’appelant a déjà reçu certains médicaments dans le passé, par exemple l’acide valproïque, puisqu’il a refusé l’accès à ses dossiers médicaux. D’où la nécessité d’essais et d’ajustements et de propositions de traitements subsidiaires que la Cour supérieure pouvait dès maintenant autoriser puisqu’elle avait en main tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’exercer sa responsabilité de contrôler le plan de soins.

3.2 La durée de l’ordonnance

[29] Par son second moyen, l’appelant s’attaque à la durée de l’ordonnance prononcée en première instance. Il souligne, comme l’a fait notre Cour dans son arrêt D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides[24], qu’une ordonnance de soins, parce qu’elle est privative de liberté et attente nécessairement à l’intégrité de la personne, équivaut à une ordonnance d’incarcération. Il propose que la juge doive nécessairement envisager la durée la plus courte possible.

[30] Il est utile de citer le passage de cet arrêt D.A. sur lequel l’appelant fonde ce moyen d’appel :

[29] Enfin, qu’en est-il de la durée du traitement proposé, c’est-à-dire trois ans?

[30] La Cour, s’en remettant aux affaires dont elle est occasionnellement saisie et à la jurisprudence en général, croit observer que les milieux psychiatriques affichent une certaine préférence pour des traitements d’une durée (minimale) de trois ans. Or, il n’est pas inutile de dire que, du point de vue juridique, il ne saurait, en cette matière, être question d’un tel standard, la durée des soins proposés requérant toujours une évaluation particulière et individualisée. Il faut réaliser en effet qu’une ordonnance de soins, parce qu’elle est privative de liberté et attente nécessairement à l’intégrité de la personne, est assimilable à une ordonnance d’incarcération. Sa durée ne peut donc être fixée autrement que de manière personnalisée.

[31] Certes, une ordonnance de longue durée peut être requise par l’état de la personne, mais il est impératif de comprendre qu’en pareille matière, alors qu’il s’agit de forcer un traitement, l’on devrait s’en tenir à la durée la plus courte qui est raisonnablement envisageable sans neutraliser le traitement lui-même. À cela, certains seraient peut-être tentés de rétorquer que c’est la considération du caractère bénéfique du traitement qui devrait toujours l’emporter dans l’exercice de détermination de la durée de l’ordonnance de soins. L’on répondra alors qu’il doit en être tenu compte, bien sûr, mais que le souci de la liberté et de la volonté de l’individu n’est pas moins important, au contraire. Le principe est celui de la liberté et de la volonté; c’est par exception qu’on imposera des soins et cette exception doit être traitée comme telle, c’est-à-dire de façon restrictive.[25]

[Renvoi omis]

[31] On remarquera que la Cour n’y parle pas de la durée la plus courte possible, mais plutôt de « […] la durée la plus courte qui est raisonnablement envisageable » et que dans la grille d’analyse énoncée dans l’arrêt F.D., la Cour utilise l’expression « que pour la période suffisante pour s’assurer que le traitement produise les effets bénéfiques escomptés »[26]. Il importe de garder ces nuances à l’esprit dans l’évaluation de la preuve sur cette question.

[32] Pour l’appelant, en effet, la durée de trois ans accordée n’est pas étayée par la preuve. Selon lui, une période de douze semaines est requise pour s’assurer de l’efficacité du plan de traitement initial, ce qui est bien en deçà des trois ans accordés. De plus, les périodes de temps requises pour s’assurer de l’efficacité de la médication ne sont que des hypothèses puisqu’il est impossible de déterminer comment l’appelant réagira à chaque molécule.

[33] La Cour est d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’intervenir sur la durée de l’ordonnance. La maladie de l’appelant dure depuis plus de vingt-cinq ans. Elle est complexe au point de justifier le remplacement de son médecin traitant par une spécialiste qui a préparé un nouveau programme de soins. Ce plan tient notamment compte du caractère réfractaire de la maladie et de la difficulté à développer chez l’appelant une assiduité à la prise de sa médication.

[34] Dans son Rapport[27] ainsi que lors de son témoignage à l’audience, la psychiatre Charneau explique que l’appelant souffre bel et bien d’une maladie réfractaire alors que dans le jugement du 7 octobre 2016 ce n’était encore qu’une condition « future »[28]. Elle justifie sa recommandation d’une ordonnance d’une durée de trois ans en signalant que douze semaines sont nécessaires pour vérifier l’efficacité de la première médication proposée, douze semaines également pour la molécule alternative alors qu’il faut compter six mois pour la clozapine.

[35] Deux psychiatres se sont prononcés sur la question et ont conclu que, pour mettre fin à vingt-cinq ans d’errance de l’appelant et lui permettre éventuellement de vivre de façon autonome à Ville A comme il le désire, un plan de traitement s’échelonnant sur trois ans était requis. Le 7 octobre 2016, le juge Beaupré a retenu qu’une durée de trois ans était indiquée et son jugement n’a pas été porté en appel. Un mois et demi plus tard, alors que la situation de l’appelant s’était détériorée, sa collègue a fait de même. La Cour ne peut voir ici d’erreur justifiant son intervention. Sans abandonner la nécessaire vigilance à protéger les droits de l’appelant, il y a lieu en l’espèce de faire confiance au corps médical.

[36] Cela dit, dans le respect du droit de l’appelant d’être informé de l’évolution de sa situation en cours de route, la Cour rappelle la conclusion [69] du jugement entrepris qui demande à tout médecin traitant de l’appelant de soumettre, tous les six mois, un rapport écrit au conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de l’intimé et d’en remettre une copie conforme à l’appelant, ainsi que la conclusion [70] qui ordonne à l’intimé de porter à la connaissance du Tribunal tout conflit ou toute divergence d’opinions entre le CMDP et le médecin traitant. Sans entraver la démarche thérapeutique de l’équipe soignante, ces exigences offrent un mécanisme de transparence essentiel et de nature à permettre à l’appelant ou à un autre intéressé, le cas échéant, de se prévaloir du recours en révision d’ordonnance prévu à l’article 322 C.p.c.

3.3 L’exécution immédiate

[37] Par son troisième moyen, l’appelant conteste l’exécution immédiate de l’ordonnance prononcée par la Cour supérieure[29]. Il invoque notamment le récent jugement rendu par le juge Rancourt de la Cour supérieure dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. M.M.[30].

[38] Saisi d’une demande d’ordonnance de soins, le juge Rancourt a refusé de rendre son jugement exécutoire, malgré le délai d’appel de cinq jours de l’article 361 al. 2 C.p.c. Un jugement devient normalement exécutoire à l’expiration du délai d’appel, à moins que la loi n’en prévoie autrement, comme c’est le cas pour l’ordonnance de garde en établissement selon l’article 397 C.p.c.

[39] Le juge Rancourt signale cependant que cet article 397 C.p.c. n’attribue pas au jugement qui accueille une demande d’autorisation touchant l’intégrité d’une personne un caractère immédiatement exécutoire. Sans une conclusion spécifique demandant que le jugement soit exécutoire immédiatement et sans la preuve d’un risque grave et imminent à la santé du défendeur, le tribunal ne peut déclarer que le jugement est immédiatement exécutoire. De plus, le jugement qui accueille une demande d’autorisation qui touche l’intégrité d’une personne n’entre pas dans l’une des catégories de jugement énumérées à l’article 660 C.p.c. Ce jugement n’est donc pas susceptible d’exécution provisoire de plein droit. Le demandeur doit donc établir que la décision du défendeur de faire appel risque de causer à ce dernier un préjudice sérieux ou irréparable[31].

[40] La Cour est en accord avec l’interprétation du juge Rancourt. En matière d’ordonnance de soins, l’exécution immédiate doit être demandée de façon expresse et le respect de la dignité des patients requiert qu’il y a lieu, chaque fois, d’exiger la preuve d’un risque grave et imminent à la santé du patient avant de la prononcer. Il ne saurait s’agir d’un automatisme et la vigilance s’impose à l’égard de tout projet de jugement préparé à l’avance susceptible de comporter une conclusion d’exécution immédiate de l’ordonnance sollicitée du tribunal.

[41] En l’espèce, toutefois, la Cour est d’avis que ce moyen n’est pas fondé. D’une part, à l’audience en Cour supérieure, la Dre Charneau a expliqué pourquoi elle estimait nécessaire que l’ordonnance demandée soit immédiatement exécutée. Elle a exprimé le regret de n’avoir pu administrer à l’appelant la nouvelle médication dès le mois d’octobre 2016 alors qu’il était hospitalisé. Tout retard dans l’administration de cette médication est susceptible de rendre le patient plus réfractaire au plan de traitement.

[42] D’autre part, après avoir déposé sa déclaration d’appel, l’appelant a demandé à un juge de la Cour de suspendre l’exécution provisoire du jugement entrepris. Cette requête a fait l’objet d’une audience par conférence téléphonique le 12 décembre 2016 et elle a été rejetée par la juge Bélanger[32]. À l’audience devant nous, l’avocate de l’appelant a reconnu qu’elle n’avait pas vraiment de motif justifiant la suspension de l’application immédiate du premier plan de traitement proposé par l’intimé et la Dre Charneau. En ce sens, le troisième moyen de l’appelant apparaît plus théorique que réel.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[43] REJETTE l’appel, sans frais de justice.

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

Me Corinne Lestage

Michaud, Joncas

Pour l’appelant

Me Guillaume Dallaire

Avocats BSL inc.

Pour l’intimé

Date d’audience :

27 janvier 2017



[1] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. C.R., C.S. Rimouski, no 100-17-001789-165, 29 novembre 2016, j. N. Tremblay.

[2] Rapport d’évaluation psychiatrique de la Dre Manon Charneau, psychiatre, 11 novembre 2016, pièce P-1, p. 1 de 6 [ci-après cité : Rapport].

[3] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. C.R., C.S. Rimouski, no 100-17-001789-165, 7 octobre 2016, j. M. Beaupré.

[4] Rapport, supra, note 2, p. 3 de 6.

[5] Ibid.

[6] Ibid. et témoignage de la Dre Manon Charneau.

[7] Jugement entrepris, supra, note 1, par. 32-38.

[8] Ibid., par. 22, 39 et 40.

[9] Ibid., par. 42-44.

[10] Ibid., par. 49.

[11] Ibid., par. 51-55.

[12] Ibid., par. 57-73.

[13] Pour un énoncé de cette grille d’analyse, voir F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139 (CanLII), par. 54 et les autorités citées aux notes 38-48.

[14] Plaidoirie de la défense, 28 novembre 2016, p. 84-85 de la transcription.

[15] F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), supra, note 13, par. 33.

[16] E. Deleury et D. Goubeau, Le droit des personnes physiques, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 133, p. 153.

[17] Témoignage de la Dre Manon Charneau, le 28 novembre 2016, p. 36 et 37 de la transcription.

[18] Supra, note 13, voir en particulier les par. 21 et 57-60.

[19] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. C.R., supra, note 3, par. 51-61.

[20] F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), supra, note 13, par. 21 et 57.

[21] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. C.R., supra, note 3, par. 58 et 61.

[22] Ibid., par. 51.

[23] Rapport, supra, note 2, p. 4 de 6 et témoignage de la Dre Manon Charneau.

[24] D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2016 QCCA 1734 (CanLII).

[25] Ibid., par. 29-31.

[26] F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), supra, note 13, par. 54.

[27] Rapport, supra, note 2, p. 4 de 6.

[28] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. C.R., supra, note 3, par. 58 et 61.

[29] Ibid., par. 67 et 68.

[30] Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent c. M.M., 2016 QCCS 5772 (CanLII).

[31] Ibid., par. 70-79.

[32] C.R. c. Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas St-Laurent, 2016 QCCA 2061 (CanLII).