Roussel c. Caisse Desjardins de Sainte-Foy, 2004 CanLII 39113 (QC CA)
13/10/2004 17:46
no. de référence : AZ-50275399
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE
QUÉBEC
N° :
200-09-004595-036
(200-05-013379-008)
DATE :
13 octobre 2004
CORAM:
LES HONORABLES
JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.
THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.
LOUIS ROCHETTE J.C.A.
LUC ROUSSEL
SUZANNE L'ALLIER
APPELANTS - demandeurs
c.
CAISSE DESJARDINS DE SAINTE-FOY
INTIMÉE - défenderesse
ARRÊT
[1] LA COUR ; - Statuant sur l’appel d’un jugement rendu le 24 juillet 2003 par la Cour supérieure, district de Québec ( l’honorable Frank Barakett ), rejetant l’action en annulation d’une vente immobilière de l’appelant ;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré ;
[3] Pour les motifs ci-annexés du juge Baudouin, auxquels souscrivent les juges Rousseau-Houle et Rochette ;
[4] REJETTE le pourvoi avec dépens.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.
THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.
LOUIS ROCHETTE J.C.A.
Me Pierre Linteau
Gaulin, Linteau
Pour les appelants
Me Bernard Vachon
Langlois, Kronström
Pour l'intimée
Date d’audience :
28 septembre 2004.
MOTIFS DU JUGE BAUDOUIN
I LES FAITS
[5] L'intimée, la Caisse Desjardins de Sainte-Foy, reprend en paiement un immeuble à Québec et le met en vente dans l'espoir de récupérer au moins une partie du prêt hypothécaire qu'elle avait consenti à son propriétaire.
[6] L'immeuble est en mauvais état. L'appelant Luc Roussel, entrepreneur, fait une offre d'achat à l'intimée pour 28 000 $. Cette première offre contient une clause 6.1. intitulée « Déclarations et obligations du vendeur » qui se lit, dans les parties qui nous intéressent, de la façon suivante :
DÉCLARATIONS: le Vendeur déclare à moins de stipulations contraires ci-après :
a) n'avoir connaissance d'aucun facteur se rapportant à l'immeuble, susceptible de façon significative d'en diminuer la valeur ou les revenus ou d'en augmenter les dépenses.
……….
h) l'immeuble est conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l'environnement.
……….
i) autres déclarations : cet immeuble est vendu sans garantie légale.
[7] Les deux parties entrent en négociation par l'intermédiaire de leurs agents d'immeubles respectifs et s'échangent des contre-propositions qui finissent par aboutir. L'appelant se porte acquéreur de l'immeuble pour 30 000 $.
[8] La dernière contre-proposition sur laquelle les parties se sont finalement entendues, celle du 23 novembre 1998, réitère que l'immeuble est vendu sans garantie légale, que toutes les autres conditions de l'offre originale demeurent inchangées. Cependant, après consultation de son contentieux, le représentant de l'intimée ajoute les mots «…aux risques et périls des acquéreurs » à la mention que la vente est faite sans garantie légale.
[9] Le contrat notarié signé le 18 décembre 1998 reprend les termes de la promesse et contient deux clauses qu'il est nécessaire de citer ici au long :
IV – GARANTIE
L'Acheteur achète à ses risques et périls et s'oblige à prendre le bien immeuble dans l'état dans lequel il se trouve, déclarant l'avoir examiné et en être satisfait et déclarant renoncer expressément à toute garantie légale de qualité (vices cachés). Le cas échéant, cette exemption de garantie s'appliquera tant à l'immeuble en général qu'à l'égard des installations septiques, du débit et de la qualité de l'eau et des autres biens vendus et compris dans le prix de vente.
XI – DÉCLARATION RELATIVE À L'AVANT-CONTRAT
Cette vente est faite en exécution d'une promesse d'achat du 19 novembre 1998 et d'une contre-proposition du 23 novembre 1998 acceptée le même jour. Sauf incompatibilité, les parties confirment les ententes qui y sont contenues mais non reproduites aux présentes.
[10] Les appelants, dès la prise de possession, entreprennent des travaux de rénovation, mais découvrent, lors de l'excavation des fondations, que le terrain est pollué par des hydrocarbures qui se sont infiltrés dans la nappe phréatique. L'évaluation municipale qui était de 121 000 $ tombe à 200 $. L’immeuble peut encore servir à la destination prévue par l’appelant ( sa rénovation et sa transformation en logements d’habitation ). Toutefois, les coûts de confection d’un plancher de béton telle que conseillée par l’experte en décontamination des sols sont élevés et le prêt hypothécaire qu’il sollicitait lui a été refusé.
[11] Ils se pourvoient contre l'intimée, demandant l'annulation de la vente, le remboursement du prix payé et des dommages-intérêts.
II. LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[12] La Cour supérieure, après une analyse détaillée de la trame factuelle du dossier, conclut que l'action doit être rejetée au motif que les stipulations selon lesquelles la vente était faite sans garantie et aux risques et périls de l'acheteur doivent avoir plein effet.
[13] Le premier juge conclut également que la vente n'a pas été faite par un vendeur professionnel, mais que les acheteurs, eux, peuvent être qualifiés comme tels puisqu'ils ont fait, par le passé, ce genre d'opération à quelque six reprises, soit acheter à rabais des immeubles, pour ensuite les rénover.
[14] Il écarte avec raison toute suggestion de dol de la part de l'intimée.
III. LE POURVOI
[15] Les appelants soulèvent d'abord une série de ce qu'ils appellent des erreurs du juge de première instance quant à l'appréciation des faits révélés par la preuve. Je rappelle, sur ce premier point, qu'il n'est pas de notre rôle de refaire le procès et que nous ne devons intervenir dans l'évaluation ou les conclusions du juge de première instance qu'en présence d'une erreur déterminante. Ce n'est pas le cas ici.
[16] Les appelants plaident ensuite des erreurs de droit qu'il importe donc d'examiner.
[17] J'écarterai d'entrée de jeu l'argument selon lequel l'intimée devait être considérée comme un vendeur professionnel au sens de l'article 1729 C.c.Q. et donc qu'elle devait être présumée connaître l'existence du vice affectant l'immeuble.
[18] Une institution bancaire œuvre dans le domaine des services financiers. Elle ne fait pas profession de vendre des immeubles. Lorsqu'elle le fait, cette vente n'est qu'un pur et simple accessoire à la réalisation des garanties données sur les prêts qu'elle consent. Le terme « vendeur professionnel » doit s'entendre de «…la personne qui a pour occupation habituelle la vente des biens…[1].» On notera que le législateur, dans le nouveau Code civil, a opposé le vendeur ordinaire au vendeur « professionnel » et non au vendeur « spécialisé », notion retenue en jurisprudence sous le régime du Code civil du Bas-Canada[2].
[19] On consultera à cet égard l'arrêt de notre Cour dans Petro Canada c. Maltais Construction Inc.[3]. Cet arrêt, qui mettait en cause la vente d'un immeuble par un garagiste, distributeur d'essence, a permis à notre Cour de conclure que même si une vente d'un terrain pouvait être faite de temps en temps, c'était (comme c'est le cas ici) dans un contexte où ce garagiste voulait s'en départir et que cet acte ne constituait donc pas pour lui une opération commerciale usuelle.
[20] Je suis aussi d'accord avec le juge de première instance que le mot «immeuble» utilisé dans l'acte de vente et dans la promesse doit s'entendre non seulement de la bâtisse mais aussi, bien évidemment, du terrain. Celui-ci était donc également visé par l'exclusion de garantie.
A. La limitation de droit public
[21] Les appelants plaident que la violation de la Loi sur la qualité de l'environnement, L.R.Q., c. Q-2, constitue une limitation d'ordre public dont le vendeur, en conséquence, doit se porter de toute façon garant.
[22] L’article 1725 C.c.Q. dispose que :
Le vendeur d’un immeuble se porte garant envers l’acheteur de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent le bien et qui échappent au droit commun de la propriété.
Le vendeur n’est pas tenu à cette garantie lorsqu’il a dénoncé ces limitations à l’acheteur lors de la vente, lorsqu’un acheteur prudent et diligent aurait pu les découvrir par la nature, la situation et l’utilisation des lieux ou lorsqu’elles ont fait l’objet d’une inscription au bureau de la publicité des droits.
[23] Ce texte codifie la jurisprudence acquise sous le régime du Code civil du Bas-Canada[4] et touche l’ensemble des limitations de droit public qui affectent le bien vendu, par exemple, la Loi sur les biens culturels, L.R.Q., c. B-4[5], ou encore celles de la Loi sur la sécurité dans les édifices publics, L.R.Q., c. S-3[6].
[24] En l’espèce, au moment de la vente, l’immeuble était bel et bien conforme au règlement et à la loi pour la raison suivante. En 1998, il n’existait à cet égard qu’une simple « Politique gouvernementale »[7] qui n’avait ni force de loi ni valeur légale[8] et qui donc ne peut correspondre à une limitation de droit public au sens qu’il faut donner à ce terme. Ce n’est, en effet, que le 26 février 2003 que le règlement sur la réhabilitation des terrains fut adopté[9]. Les appelants ont alors dû inscrire au Bureau de la publicité des droits leur immeuble sur la liste des immeubles contaminés.
[25] La déclaration contenue dans la promesse d’achat du 19 novembre 1999 était donc exacte lorsqu’elle énonçait que l’immeuble était conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement.
B. L'exclusion de la garantie
[26] L'article 1732 C.c.Q., qui reflète le principe de la liberté contractuelle, dispose que :
Les parties peuvent dans leur contrat ajouter aux obligations de la garantie légale, en diminuer les effets ou l'exclure entièrement, mais le vendeur ne peut en aucun cas se dégager de ses faits personnels.
[27] Pour sa part l'article 1733 C.c.Q. constitue une exception à cette règle générale qui permet au vendeur d'exclure entièrement la garantie légale lorsqu'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.
[28] Exception à cette exception, le dernier alinéa du même texte dispose que :
Cette règle reçoit exception lorsque l'acheteur achète à ses risques et périls d'un vendeur non professionnel.
[29] On consultera à ce sujet, en doctrine, l'ouvrage de J. EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois[10] et, en jurisprudence, l'arrêt récent de notre Cour dans Garage Robert inc. c. 2426-9888 Québec inc.[11].
[30] En l'espèce, rappelons-le, la vente a été faite par un vendeur non professionnel, sans garantie légale et aux risques et périls de l'acheteur.
[31] La lecture de l'ensemble de la preuve documentaire et des extraits de témoignages au dossier montre, me semble-t-il, le portrait suivant. Les appelants ont, avec raison lorsqu'ils ont négocié, flairé une bonne affaire, soit obtenir, pour quelques dizaines de milliers de dollars, un immeuble évalué à plus de 100 000 $. Ils ont inspecté l'immeuble, s'en sont déclarés satisfaits, mais, par ailleurs, ont omis de procéder à un examen environnemental spécialisé. Enfin, de son côté, l'intimée, qui connaissait le mauvais état de la bâtisse tout en ignorant l'existence du vice, voulait se débarrasser de l'immeuble mais, en aucun cas et pour aucune considération, accepter de garantir celui-ci de quelque façon que ce soit.
[32] Je conclus donc, sur ce point, que l'exclusion de la garantie est valable, que l'entente des parties est claire et n'est donc pas sujette à interprétation et, qu'en conséquence, les acheteurs doivent, malheureusement pour eux, assumer les risques de cette entreprise.
C. L'erreur
[33] Les appelants plaident enfin l'erreur. Il ne peut évidemment s'agir ici que d'une erreur simple, puisque la bonne foi de l'intimée n'est pas en cause.
[34] L'article 1400 C.c.Q. dispose :
L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'entre elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou encore sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement. L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
[35] Bien évidemment, il ne peut s'agir ici ni d'une erreur vu la nature du contrat ni d'une erreur sur l'objet de la prestation.
[36] Le troisième cas d'erreur (erreur sur un élément essentiel) comme le signalent tous les auteurs[12], est l'équivalent de ce qui était connu sous le régime du Code civil du Bas-Canada comme l'erreur sur la considération principale du contrat ou sur les qualités substantielles de l'objet. Elle se distingue de l'erreur sur le simple motif.
[37] Il n'y a pas de doute qu'en l'espèce, l'erreur des appelants a été déterminante. Il est clair que ceux-ci n'auraient jamais acheté s'ils avaient connu la qualité du terrain. Toutefois toute erreur, même déterminante, n'est pas cause de nullité ; encore faut-il qu'elle porte sur un élément essentiel du contrat, la considération principale.
[38] Or ici, à mon avis, la considération principale des appelants, au moment de la conclusion de l'engagement, était le très faible coût d'achat de l'immeuble, ce qui les a poussés d'ailleurs à accepter d'acheter sans garantie et à leurs risques et périls. Ils achetaient, en effet, pour 30 000 $ un immeuble valant 120 000 $. L’erreur est une erreur économique qui n’est pas un cas d’annulation.
[39] La situation n'est donc pas la même que dans l'arrêt Montpetit c. St-Jean[13], puisque dans celui-ci il existait une condition formelle que le règlement municipal permettrait l'édification d'une maison. L'erreur portait alors sur la considération principale, par ailleurs bien exprimée dans l'engagement.
[40] Je suis donc d'avis, pour ces raisons, que le pourvoi doit échouer et doit être rejeté avec dépens.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN J.C.A.
[1] Commentaires du Ministre de la Justice : Code civil du Québec, Québec, 1993, Tome 1, p. 1079.
[2] Art. 1527 C.c.B.C. ; Société d’habitation et de développement de Montréal c. Bergeron, 1996 CanLII 5767 (QC CA), [1996] R.J.Q. 2088 p. 2094 et s.
[3] Petro Canada c. Maltais Construction Inc., J.E. 2003-437.
[4] T. ROUSSEAU-HOULE, « Les récents développements dans le droit de la vente et du louage de choses au Québec », (1985) 15 R.D.U.S. 307 p. 354 et s.
[5] 85831 Canada Ltd. C. Bitton, [1991] R.D.I. 488 (C.S.).
[6] Girard c. Doyon, 1999 CanLII 13353 (QC CA), J.E. 99-1959 (C.A. ; aussi, Immeubles Maude inc. c. Farazli, [1991] R.D.I. 616 (C.A.).
[7] Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés, Sainte-Foy, Publications du Québec, 1999.
[8] S. LAVALLÉE, La réhabilitation des terrains contaminés et le droit québécois : un droit négocié, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 262 et s.
[9] Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains, D-216-2003, G.O. II, p. 441 ; Ville de St-Jean sur Richelieu c. Baldo Lumina Ltd., J.E. 2003-1852 (C.S.).
[10] Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 1998, p. 125 et s., nos 290 et s.
[11] 2001 CanLII 9967 (QC CA), [2001] R.J.Q. 865 (C.A.).
[12] J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, Théorie des obligations, 4e éd. Montréal, Éditions Thémis, 2001, nos 78 et s., p. 157 et s ; D. LLUELLES et B. MOORE, Droit québécois des obligations, vol. 1 Montréal, Éditions Thémis, 1998, nos 536 et s., p. 281 et s. ; V. KARIM, Les obligations, 2e éd., vol. 1, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2002, p. 172 et s.
[13] [1996] R.D.I. 1 (C.A.).