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Boisaco inc. (Unisaco) et Transport Claude Guérin inc.

no. de référence : 305512-02-0612 - 344959-09-0804

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES





Québec


25 février 2009



Région :


Saguenay–Lac-Saint-Jean



Dossiers :


305512-02-0612 344959-09-0804



Dossier CSST :


129900890 129870929



Commissaire :


Monique Lamarre, juge administratif

______________________________________________________________________








Boisaco inc. (Unisaco)




Partie requérante









et









Transport Claude Guérin inc.




Partie intéressée





______________________________________________________________________



DÉCISION

______________________________________________________________________





Dossier 305512-02-0612

[1] Le 7 décembre 2006, la compagnie Boisaco inc. (Unisaco) (l’employeur ou Boisaco) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 septembre 2006 et déclare que le coût des prestations découlant de la lésion professionnelle subie par monsieur Daniel Boudreault, le 23 mai 2006, doit être imputé en totalité au dossier financier de l’employeur.

Dossier 344959-09-0804

[3] Le 8 avril 2008, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 3 avril 2008, à la suite d’une révision administrative.

[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 août 2006 et déclare que le coût des prestations découlant de la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Dion, le 23 mai 2006, doit être imputé en totalité au dossier financier de l’employeur.

[5] Une audience se tient à ville de Saguenay le 27 octobre 2008 en présence d’un représentant de l’employeur assisté d’un avocat. Une preuve commune est produite dans les deux dossiers puisqu’ils ont comme origine le même événement accidentel.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossiers 305512-02-0612 et 344959-09-0804

[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’imputation du coût des prestations versées dans chacun de ses dossiers soit transférée aux employeurs de toutes les unités ou à l’unité de l’employeur du tiers responsable.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7] La preuve démontre que monsieur Boudreault est technicien forestier pour l’employeur depuis le mois de juin 2004. Il travaille en équipe avec monsieur Dion qui est assistant technicien forestier. Pour ce dernier, il s’agit d’un emploi d’été comme étudiant. Au moment de l’accident, il en est à sa troisième saison. Monsieur Boudreault est le chef d’équipe. Le lundi matin, ils quittent chacun leur résidence respective pour se rendre au chantier forestier. Le trajet dure environ trois heures. Durant la semaine, ils habitent dans un camp qui est mis à leur disposition par l’employeur puisque c’est trop loin pour voyager de leur résidence au travail matin et soir.

[8] Dans le cadre de leur travail, messieurs Boudreault et Dion sont appelés à faire l’inventaire et de l’échantillonnage avant et après la récolte des arbres qui sont coupés à l’usine de sciage. Ces tâches consistent notamment à faire l’inventaire de la machinerie, mesurer les souches restantes, vérifier si le volume de coupe a été respecté et évaluer le bois restant en fonction de la machine utilisée. Pour se faire, ils doivent se déplacer sur des chemins forestiers qui appartiennent à la Couronne, mais dont l’entretien est assuré par trois compagnies forestières, dont l’employeur, qui exploite des terrains octroyés par le gouvernement pour la coupe du bois.

[9] Le véhicule utilisé par les deux travailleurs est une camionnette de type « Pick up » qui appartient à monsieur Boudreault qui reçoit une compensation monétaire par l’employeur pour son utilisation. Les grands déplacements se font surtout le matin et le soir pour se déplacer du camp au chantier forestier sur des distances variant généralement entre 30 et 50 kilomètres. Durant la journée, ils peuvent également se déplacer en véhicule, mais généralement dans le même secteur sur de courtes distances.

[10] La vitesse maximale prévue sur les chemins forestiers est de 70 km/h. Les utilisateurs des chemins forestiers doivent s’annoncer, par radio de type « CB » sur une fréquence prédéterminée pour indiquer à quel kilomètre de la route ils sont rendus. Monsieur Dion, qui témoigne à l’audience, indique que ces mesures sont d’abord destinées aux camions de transport du bois qui roulent souvent dans le milieu du chemin pour éviter les bords qui sont parfois effrités. Lorsque le camion rencontre un autre véhicule, ils ont le temps de se tasser pour éviter les accrochages. Ce système de communication est généralement utilisé par tous les travailleurs forestiers qui se déplacent sur les chemins en forêt. Monsieur Dion indique que monsieur Boudreault et lui s’annonçaient toutes les deux minutes. Dans le cadre d’une déclaration écrite jointe au rapport de police, monsieur Dion précise également que, parfois, lorsque deux personnes parlent en même temps sur le « CB », le message ne passe pas.

[11] Il ressort de la preuve testimoniale et documentaire que, le 23 mai 2006, messieurs Dion et Boudreault travaillent toute la journée au même territoire de coupe situé à 25 kilomètres environ du camp. Vers 16 h 30, ils quittent le territoire de coupe pour retourner au camp forestier. Ils sont dans la camionnette de monsieur Boudreault, qui est au volant, alors que monsieur Dion est passager. Lorsqu’ils partent, ils sont au 215e kilomètre et le camp forestier se trouve au 180e kilomètre. À la hauteur du 200e kilomètre, ils s’annoncent à la radio. Ils savent qu’il y a un camion qui s’en vient en sens inverse et qu’il est rendu au 195e kilomètre. À la hauteur du 199e kilomètre, messieurs Boudreault et Dion montent un petit coteau. Ils voient alors apparaître soudainement en haut de ce petit coteau un véhicule arrivant en sens inverse et amorçant sa descente. Il s’agit aussi d’une camionnette de type « Pick up », plus imposant que celui de monsieur Boudreault, qui est conduit par monsieur St-Gelais et qui travaille pour la compagnie Transport Claude Guérin inc.

[12] Dans le cadre de son témoignage, monsieur Dion indique que monsieur St-Gelais roule alors davantage dans le milieu du chemin pour ne pas déraper sur les côtés. Puis, dans sa déclaration écrite, monsieur Dion indique que monsieur St-Gelais a l’air surpris en les voyant et qu’il tente de freiner et fait des gestes comme s’il avait perdu le contrôle de son véhicule. Monsieur Boudreault tente des manœuvres vers la droite pour l’éviter, mais en vain, puisque les deux véhicules se frappent face à face du côté du conducteur. Monsieur Dion déclare que ce collègue et lui ont aperçu le véhicule de monsieur St-Gelais seulement 5 ou 6 secondes avant l’impact étant donné que les deux véhicules arrivaient de part et d’autre du petit coteau. À la question de savoir s’il a eu l’impression que monsieur St-Gelais roulait trop vite, monsieur Dion répond par l’affirmative en spécifiant qu’il ne fait pas de reproche à monsieur St-Gelais, puisque ce sont des chemins forestiers et que celui-ci roulait davantage dans le milieu du chemin pour éviter de déraper sur les rebords.

[13] En outre, il ressort de la preuve soumise que monsieur Boudreault respectait la limite de vitesse de 70 km/h avant l’accident et que monsieur St-Gelais excédait la limite de vitesse. Selon le rapport de la boîte noire de son véhicule, il roulait à une vitesse de 97 km/h, cinq secondes avant l’impact, et elle était rendue à 70 km/h une seconde avant l’impact.

[14] La preuve démontre que monsieur Boudreault est décédé des suites de cet accident alors que monsieur Dion a subi une commotion cérébrale, une fracture au deuxième métatarse gauche, une entorse cervicale, une tendinite à l’épaule gauche et de multiples lacérations.

[15] Le surintendant des opérations forestières de Boisaco témoigne à l’audience. Il déclare que, peu de temps après l’événement, il se rend sur les lieux de l’accident. En voyant les véhicules, il peut voir la force de l’impact. Il remarque de longues traces de freinage laissées par le véhicule de monsieur St-Gelais sur une distance d’une trentaine de mètres environ. Il indique qu’il s’agit du premier accident frontal survenant chez Boisaco. Sur les chemins forestiers, il y a parfois des sorties de route, surtout dans des conditions de neige, et parfois des accrochages mineurs au niveau de passes dangereuses, mais l’employeur n’a jamais connu d’accident aussi grave. Les employés de Boisaco reçoivent tous de l’information concernant l’utilisation sécuritaire de la radio sur les chemins forestiers.

[16] Au début du mois d’août 2006, l’employeur adresse à la CSST une demande de transfert d’imputation des coûts dans les dossiers de messieurs Dion et Boudreault invoquant que l’accident dont ils ont été victimes est attribuable à un tiers. Dans les deux dossiers, la CSST rend des décisions initiales similaires et il en est de même de celles faisant suite aux révisions administratives. Dans les deux cas, la CSST conclut que l’accident est attribuable à un tiers, mais qu’il n’est pas injuste de faire supporter le coût des prestations à l’employeur dans chacun de ces dossiers. Ce sont ces décisions qui sont à l’origine des présents litiges.

[17] L’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit ce qui suit :

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.



Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.



L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.





[18] L’article 326 de la loi prévoit à son premier alinéa, le principe général qui établit que l’employeur est imputé du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par un travailleur, alors qu’il est à son emploi.

[19] L’employeur invoque qu’il a droit à un transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par messieurs Boudreault et Dion puisqu’il est attribuable à un tiers, tel que le prévoit le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Pour se prévaloir de cette exception, l’employeur doit démontrer que l’accident du travail subi par les travailleurs est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui faire supporter le coût des prestations qui en découle. À cet égard, dans une décision récente rendue par une formation de trois commissaires, après avoir fait une analyse minutieuse de la jurisprudence, la Commission des lésions professionnelles a confirmé la position déjà fortement majoritaire du tribunal selon laquelle le critère d’injustice est un critère distinct qui doit être apprécié indépendamment de la notion de la faute d’un tiers[2].

[20] Dans le présent cas, la preuve prépondérante démontre que l’accident est attribuable à un tiers, soit monsieur St-Gelais qui travaille pour l’employeur Transport Claude Guérin inc. La CSST a également retenu que l’accident était attribuable à un tiers, il n’y a donc pas lieu de revenir sur cette question. Il reste à déterminer s’il est injuste de faire supporter à l’employeur, le coût des prestations qui découle de cet accident.

[21] Dans l’affaire précitée de Ministère des Transports, après une analyse minutieuse de la question, la Commission des lésions professionnelles rappelle que pour déterminer s’il est injuste de faire supporter le coût des prestations à l’employeur, il est approprié d’examiner si l’accident du travail subi par le travailleur fait partie des risques inhérents des activités économiques de l’employeur. Cependant, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste. À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles retient que, dans de telles circonstances, on viendrait ainsi inclure dans l’expérience de l’employeur le fruit d’événements qui n’ont pas de rapport avec la réalité de l’entreprise, telle que traduite notamment par la description de l’unité dans laquelle il est classé et les risques inhérents qu’elle engendre.

[22] Ainsi, toujours dans la cause précitée, après avoir analysé une abondante jurisprudence, la Commission des lésions professionnelles retient que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert de coûts. Elle indique que le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine de l’accident du travail s’apprécie à la lumière du contexte particulier de chaque cas. À ce propos, elle retient que plusieurs facteurs peuvent être pris en considération pour déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers soit :

[339] (…)



- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;



- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;



- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.



[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.







[23] Ainsi, l’employeur doit démontrer, à la lumière de ces critères, qu’il est injuste de lui faire supporter les coûts de l’accident survenu le 23 mai 2006. L’employeur reprend un à un ces trois critères.

[24] Dans un premier temps, tel que le soutient l’employeur, la Commission des lésions professionnelles retient que les déplacements en forêt ne sont pas l’activité principale de messieurs Boudreault et Dion. Cependant, lorsqu’ils prennent la route, ils sont soumis aux risques d’accidents routiers sur des chemins forestiers qui exigent même l’imposition de règles particulières, étant donné justement les risques particuliers de tels accidents considérant la configuration de tels chemins.

[25] Le tribunal estime que les accidents de la route sur des chemins forestiers font partie des risques inhérents à l’ensemble des activités d’exploitation forestière de l’employeur. Dans le cadre de cette activité économique, l’employeur embauche des techniciens forestiers pour faire l’inventaire et de l’échantillonnage sur les chantiers de coupe. Pour s’y rendre, ils n’ont d’autre choix que de se déplacer régulièrement en véhicule sur les chemins forestiers entre le camp et les chantiers de coupes, ou entre les différents chantiers ou même à l’intérieur d’un même secteur de coupe. D’ailleurs, une allocation est payée par l’employeur aux travailleurs pour ces différents déplacements et, lors de ceux-ci, les techniciens forestiers sont soumis aux mêmes règles de sécurité particulières auxquelles sont soumis les camionneurs effectuant le transport du bois.

[26] En outre, dans l’affaire Commission scolaire des Affluents[3], la Commission des lésions professionnelles était saisie d’une demande de transfert d’imputation des coûts en raison de la faute d’un tiers alors qu’une enseignante travaillant pour l’employeur a été impliquée dans un accident d’automobile lors d’un déplacement pour se rendre au lieu de stage d’une étudiante sous sa supervision. Bien que les déplacements en voiture constituaient une tâche accessoire de la supervision de stages, la Commission des lésions professionnelles a considéré que l’accident de la route faisait partie des risques inhérents des activités de l’employeur.

[27] Il en est de même dans l’affaire Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Bas-Saint-Laurent[4] où une éducatrice spécialisée dont une des tâches accessoires est de conduire et d’accompagner des bénéficiaires lors de certaines activités communautaires et sociales ou lors de consultations professionnelles. Dans ce cas, la Commission des lésions professionnelles a retenu que, en tenant compte de la mission de l’employeur et des déplacements en automobile qu’elle implique, le risque qu’un accident de la route survienne à un de ses employés fait partie des risques inhérents à ses activités.

[28] Il en est de même dans le présent cas. Les techniciens forestiers n’ont d’autre choix que de se déplacer sur les chemins forestiers pour exécuter l’inventaire des lieux de coupe ce qui fait partie des activités intégrantes de l’employeur. Ainsi, les accidents de la route sur des chemins forestiers font partie des risques inhérents aux activités exercées par l’employeur.

[29] Cependant, la Commission des lésions professionnelles a reconnu que même si un accident fait partie des risques reliés aux activités de l’employeur, il peut être injuste d’en imputer l’employeur lorsque l’accident survient dans des circonstances extraordinaires, exceptionnelles, rares ou inusitées[5].

[30] À ce sujet, l’employeur soutient que l’accident est inusité et exceptionnel en ce que le tiers a commis un excès de vitesse sur un chemin forestier dont la limite maximale est 70 km/h et qu’il roulait au milieu de la route entraînant une collision frontale. En somme, il soumet que l’accident survenu le 23 mai 2006 est exceptionnel et inusité parce qu’il survient sur un chemin forestier. Or, la Commission des lésions professionnelles croit le contraire c’est-à-dire qu’il n’est pas exceptionnel et inusité justement parce qu’il survient sur un chemin forestier et que de tels déplacements font partie des activités exercées par l’employeur.

[31] En outre, l’employeur soutient que, en roulant à 97 km/h, cinq secondes avant l’impact, le tiers contrevenait au Code de la sécurité routière[6], puisque la limite de vitesse permise sur les chemins forestiers est de 70 km/h. L’employeur soumet des décisions antérieures[7] de la Commission des lésions professionnelles où elle a décidé qu’un accident survenu dans un contexte où le tiers a contrevenu au Code de sécurité routière, comportait un caractère exceptionnel ou inusité.

[32] D’abord, il y a lieu de préciser que deux des décisions[8] soumises par l’employeur traitent d’accidents de la route survenus dans un contexte où le tiers avait les facultés affaiblies. Tel que le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Société de transport de l’Outaouais[9], il y a lieu de distinguer de telles circonstances où le tiers responsable a commis un acte criminel sérieux d’une contravention au Code de la sécurité routière, comme le fait de passer sur une lumière rouge. D’autre part, la Commission des lésions professionnelles a aussi maintes fois décidé que des contraventions au Code de la sécurité routière ne correspondent pas nécessairement à une situation exceptionnelle ou inusitée, par exemple le fait de passer sur un feu rouge ou ne pas faire un arrêt obligatoire.[10]

[33] Or, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas qu’il en soit autrement pour l’excès de vitesse commis par le tiers en l’espèce. Il s’agit d’un manquement grave au Code de sécurité routière. Cependant, tout conducteur d’un véhicule automobile, que ce soit sur la voie publique ou sur un chemin forestier, est soumis à des risques d’avoir un accident de la route dû à un excès de vitesse[11]. De plus, dans le présent cas, la preuve soumise ne démontre pas que l’excès de vitesse constitue un acte criminel.

[34] D’autre part, l’employeur soumet également que les circonstances entourant l’accident étaient exceptionnelles et inusitées en ce que le tiers circulait au milieu de la route et a fait un face à face avec messieurs Boudreault et Dion. En outre, il soumet la décision rendue dans l’affaire Créations Madero et CSST[12]. Dans cette décision, il s’agit d’un camionneur qui transportait des billes de bois sur la route « 117 » près de l’Annonciation. Il roulait dans sa voie normale de circulation lorsque le véhicule du tiers venant en sens inverse a franchi la ligne médiane pour foncer sur lui et le frapper de plein fouet.

[35] La Commission des lésions professionnelles a également déjà considéré dans Société de transport de Laval[13] qu’un accident survenu dans un contexte où le tiers effectue un virage en demi-tour, alors qu’il circule sur un pont, pour venir couper la voie réservée aux autobus et finalement frapper un autobus de plein fouet, avait un caractère exceptionnel. Notamment, dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles considère que le geste avait été posé de manière volontaire ce qui se démarque de certaines circonstances purement accidentelles, exceptionnelles et inusitées.

[36] Or, dans le présent cas, il s’agit également d’une situation où le tiers ne circule pas de son côté de la route lorsqu’il percute la voiture venant en sens inverse. Cependant, le tribunal est d’avis que le présent accident survient dans un tout autre contexte. Il ne s’agit pas d’un accident survenant sur la voie publique, mais bien sur un chemin forestier. La preuve prépondérante démontre qu’il n’est pas inhabituel pour les travailleurs forestiers de circuler au centre de la route en raison des bords de chemin qui sont parfois effrités, surtout au printemps à cause du dégel, comme c’est le cas en l’espèce puisque l’accident survient au mois de mai. C’est d’ailleurs pour cette raison et, considérant la configuration des chemins forestiers, que des règles de communication par radio « CB » sont établies, soit pour permettre aux conducteurs des véhicules de s’annoncer et d’éviter les accrochages.

[37] Par ailleurs, le témoignage spontané de monsieur Dion est très révélateur sur le fait que l’accident n’est pas survenu dans des circonstances inhabituelles et inusitées. En effet, lorsqu’il déclare ne pas faire de reproche à monsieur St-Gelais quant à la survenance de l’accident, il ressort de son témoignage qu’il n’était pas inusité que celui-ci circule au milieu de la route puisqu’il voulait éviter les bords de chemin. Dans le même ordre d’idée, la Commission des lésions professionnelles estime que le fait que le véhicule du tiers a surgi de l’autre côté d’un petit coteau ne constitue pas un piège ni un guet-apens pour l’employeur puisque ce type de configuration routière n’est pas inhabituel en forêt.

[38] L’employeur soumet également que l’on ne peut faire abstraction des conséquences de l’accident dans l’évaluation du caractère rare, inusité et exceptionnel de l’événement. En l’occurrence, il soumet qu’il s’agit d’un accident frontal très violent qui a, en outre, entraîné le décès de monsieur Boudreault. À ce sujet, il soumet que, dans l’affaire précitée Créations Madero et CSST, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte des conséquences de la collision pour conclure au caractère exceptionnel de l’accident.

[39] D’une part, le tribunal est d’avis que cette affaire concerne un cas très particulier. Notamment, la lésion professionnelle pour laquelle l’employeur demandait un partage de coût est un stress post-traumatique entraîné non pas seulement par la collision, mais également par l’ensemble des événements ayant suivi, soit l’incendie des véhicules et le fait pour le travailleur d’avoir tenté de secourir, en vain, des flammes une conductrice décapitée.

[40] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles est plutôt d’avis, comme elle l’a également décidé dans le passé, que la gravité de l’impact ou les conséquences inusitées d’un accident ne permettent pas de conclure au caractère injuste de l’imputation. En outre, elle a retenu qu’un accident de la route qu’il soit violent ou mineur ne change pas la nature de celui-ci et demeure un accident de la route qui fait partie des risques inhérents des activités de l’employeur[14].

[41] Finalement, l’employeur soutient que les déplacements sur les chemins forestiers ne constituent qu’une activité secondaire des tâches de messieurs Dion et Boudreault, ce qui implique des probabilités limitées d’accidents de la route. De plus, un représentant de l’employeur, qui témoigne à l’audience, déclare que, de tels accidents sont rares sur les chemins forestiers. Selon lui, il survient davantage d’accidents sur la voie publique que sur les chemins forestiers. Il déclare que c’est la première fois qu’il survient un accident d’une telle importance chez Boisaco. Il affirme que les règles de sécurité sont généralement respectées par les entrepreneurs forestiers et que, chez Boisaco, les employés sont bien informés de l’utilisation sécuritaire des systèmes de communication « CB ».

[42] Or, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas ces arguments de l’employeur. Tel que déjà mentionné précédemment, bien que les déplacements en forêt ne soient pas l’activité principale de messieurs Boudreault et Dion, ils n’ont pas le choix de prendre leur véhicule pour leur déplacement. Or, lorsqu’ils prennent la route, ils sont soumis aux risques d’accidents routiers sur des chemins forestiers. Leurs véhicules doivent être munis d’un système de communication de radio « CB » et ils doivent respecter les règles particulières imposées à cet égard étant donné justement les risques plus grands d’accidents sur de tels chemins.

[43] Par ailleurs, quant à la fréquence limitée d’accidents sur des chemins forestiers, la preuve soumise par l’employeur n’est pas précise et elle est peu convaincante. La Commission des lésions professionnelles retient que ce n’est pas parce qu’un tel accident d’une telle ampleur est arrivé à peu de reprises que les risques d’accident ne sont pas élevés. La preuve prépondérante démontre plutôt que les risques d’accident sont importants compte tenu de la configuration particulière des chemins forestiers qui exigent l’imposition de règles particulières de sécurité. Ainsi, tel qu’il a été décidé dans l’affaire Ambulances St-Amour de Lanaudière enr.[15], le tribunal est d’avis que ce n’est pas parce que de tels accidents sont arrivés à peu de reprises que cela revêt pour autant un caractère exceptionnel, inusité ou rare qui permettrait le transfert du coût des prestations.

[44] De plus, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que, même si des mesures sont prises pour diminuer les risques d’accident de la route comme, dans le présent cas, le fait qu’il existe des règles de communication par « CB » ou que la vitesse soit limitée à 70 km/h sur des chemins forestiers, cela ne fait pas disparaître les risques d’accident au moment où ils prennent la route. Notamment, il ressort de la déclaration écrite faite par monsieur Dion aux policiers que le système de communication n’est pas infaillible puisqu’il arrive que la communication ne passe pas lorsque deux personnes parlent en même temps sur la radio « CB ».

[45] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’accident routier subi par messieurs Dion et Boudreault est inhérent aux risques des activités exercées par l’employeur et qu’il n’est pas injuste de lui en imputer les coûts.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 305512-02-0612

REJETTE la requête de Boisaco inc. (Unisaco), l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 novembre 2006, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie le 23 mai 2006 par monsieur Daniel Boudreault, le travailleur, doit être imputé au dossier de l’employeur.

Dossier 344959-09-0804

REJETTE la requête de Boisaco inc. (Unisaco), l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 avril 2008, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie le 23 mai 2006 par monsieur Alain Dion, le travailleur, doit être imputé au dossier de l’employeur.











Monique Lamarre









Me Michel Sansfaçon

MUTUELLE DE PRÉVENTION (ASSIFQ)

Procureur de la partie requérante