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Dumoulin c. Gravel, 2005 CanLII 43582 (QC CS)

no. de référence : 200-05-016891-025



COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
QUÉBEC

N° :
200-05-016891-025

DATE :
17 novembre 2005
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
GEORGES TASCHEREAU, j.c.s.
______________________________________________________________________


NICOLE DUMOULIN, domiciliée et résidant au 6, de la Grève-Gilmour, Lévis, district de Québec, G6V 7P8,
Demanderesse,
c.
RÉMI GRAVEL, faisant affaires sous la raison sociale CLINIQUE DE DENTUROLOGIE RÉMI GRAVEL ET ASS., 5093, boulevard de la Rive-Sud, Lévis, district de Québec, G6W 4Z5,
Défendeur.


______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________

[1] La demanderesse réclame du défendeur une somme de 63 273,07 $ pour résiliation de son contrat de travail.

LES FAITS

[2] En juin 2001, le défendeur a embauché la demanderesse afin de prendre charge du laboratoire de la clinique de denturologie qu’il venait de démarrer. Elle était sa seule employée.

[3] La demanderesse, une technicienne de laboratoire depuis trente ans, avait plus de vingt-deux ans d’expérience dans le travail en laboratoire dentaire, dont dix-sept passés au sein de la même entreprise, l’une des plus importantes de la région métropolitaine de Québec. Elle n’avait cependant aucune expérience dans le développement de la clientèle.

[4] Le contrat, signé le 7 juin 2001, liait les parties pour une durée de trois ans.

[5] Il y était stipulé que la demanderesse aurait droit à un salaire brut de 31 000 $ auquel s’ajouterait une commission représentant 5 % du chiffre d’affaires du laboratoire « commercial ». Les sommes dues à ce titre lui seraient payées le 15 juin et le 15 décembre de chaque année, à compter de décembre 2001.

[6] Il était cependant précisé que cette commission ferait l’objet d’une réévaluation au terme d’une période de trois mois.

[7] Il était enfin prévu que les frais de déplacement et les autres dépenses reliées à la prospection pour le laboratoire « commercial » lui seraient remboursés sur présentation des factures à l’appui.

[8] Ses tâches étaient décrites de la façon suivante :

− Responsable du travail en laboratoire;

− S’assurer que la qualité de travail correspond aux attentes des clients;

− Préparer le travail en fonction de l’agenda;

− Voir au bon fonctionnement du laboratoire;

− Garder l’inventaire à jour;

− Accueil des clients, incluant recevoir les appels et donner les rendez-vous;

− Effectuer les facturations aux clients;

− Effectuer les réparations;

− Répondre aux urgences de réparations et les soirs et les fins de semaine (selon les besoins);

− Recevoir et expédier la marchandise;

− Tenir le laboratoire propre et ordonné;

− Responsable du développement du laboratoire commercial (prospection pour recruter de nouveaux clients).

[9] La demanderesse a en fait commencé à travailler au laboratoire du défendeur le 4 juin 2001.

[10] Le défendeur et sa conjointe ont rencontré la demanderesse le 21 septembre. À cette occasion, le défendeur a reproché à la demanderesse son insubordination, la déficience de sa gestion du temps et, enfin, l’insuffisance de sa prospection, mais n’a aucunement remis en cause la qualité intrinsèque de son travail de technicienne. Il n’a par ailleurs pas été question de réévaluation de la commission afférente aux affaires du laboratoire « commercial », malgré ce qui était prévu au contrat du 7 juin.

[11] Le 21 décembre, en avant-midi, le défendeur a remis deux chèques à la demanderesse : un premier, au montant de 235,01 $, en paiement de la commission à laquelle elle avait droit pour les six premiers mois relativement au laboratoire « commercial » et un second, au montant de 85,20 $, en remboursement de ses frais de déplacement au cours de la même période. La conjointe du défendeur était présente.

[12] Le montant remboursé à la demanderesse pour ses déplacements ne correspondait pas à celui qu’elle avait réclamé. Le défendeur a justifié l’écart en reprochant à la demanderesse d’avoir exagéré sa réclamation : selon sa prétention, elle avait notamment réclamé le coût d’un déplacement distinct pour aller chez chaque client visité au cours d’une même journée, plutôt que le coût de son déplacement global. Il lui a également représenté que le tarif par kilomètre réclamé pour ses déplacements était trop élevé.

[13] Il n’en fallait pas plus pour que le ton monte et que les reproches formulés par le défendeur et sa conjointe à la demanderesse au cours de la rencontre du 21 septembre reviennent à la surface et lui soient réitérés de plus belle.

[14] La discussion a abouti au congédiement de la demanderesse. Le défendeur lui a indiqué de quitter et de ne pas revenir en après-midi et l’a avisée qu’une lettre formelle de congédiement lui parviendrait au cours des jours suivants.

[15] La demanderesse a reçu cette lettre formelle de congédiement le 7 janvier 2002. Datée du 21 décembre 2001, elle énonçait ce qui suit :

Le 21 décembre 2001

Mme Nicole Dumoulin
6, Grève-Gilmour
Lévis, Québec, G6V 7P8

Objet : Congédiement

Madame,

La présente constitue une lettre de congédiement. Cette décision est irréversible et est fondée sur les faits suivants :
1) L’insubordination que vous manifestez envers votre employeur. En effet, nous constatons que vous démontrez une incapacité à tolérer l’autorité de vos supérieurs ce que nous jugeons inacceptable. Par ailleurs, nous ne pouvons accepter votre attitude provocatrice qui, à notre avis, est un manque de respect. Vous argumentez systématiquement à chaque consigne ou tâche qui vous est assignée, ainsi que sur les méthodes de travail exigées. De plus, nous ne pouvons plus avoir confiance que le travail demandé sera accompli, puisque que (sic) vous jugez vous‑même de la pertinence d’exécuter ce qui vous est demandé par votre employeur.
2) Votre inexpérience au niveau de la gestion et planification du travail de laboratoire n’a jamais été comblée depuis votre embauche, ce qui a obligé votre employeur à maintes reprises à executer (sic) lui-même les tâches dont vous êtes responsable.
3) Votre incapacité à accomplir la charge de travail actuelle à l’intérieur de vos heures normales de travail, alors que celle-ci augmentera considérablement au cours des prochains mois.
4) Vous n’avez pas réussi en 6 mois à démontrer votre capacité à développer le laboratoire commercial, ce qui représentait l’une de vos principales tâches de travail.
5) Votre attitude déloyale envers votre employeur, en menaçant à plusieurs reprises de quitter votre emploi pour démarrer votre propre laboratoire commercial.

Compte tenu de ces motifs sérieux, nous avons pris la décision de mettre fin à votre emploi puisque nous considérons que nous vous avons donné toutes les chances possibles depuis votre embauche. Votre congédiement prendra effet le vendredi 21 décembre 2001. Une indemnité compensatrice équivalente à une semaine de salaire vous sera versée à titre de préavis, conformément aux exigences des normes du travail.


Rémi Gravel, denturologiste
Clinique de denturologie Rémi Gravel et Ass.
Laboratoire dentaire Alliance
5093, Boul. de la Rive-Sud
Lévis, Québec G6V 4Z5
Téléphone : (418) 838-1000
Fax : (418) 838-9072


[16] Quelques jours plus tard, la demanderesse a reçu son salaire impayé jusqu’à son congédiement. Au cours de la première quinzaine de janvier, le défendeur lui a également versé une indemnité de 404,42 $ représentant le salaire d’une semaine et une somme de 487,45 $ à titre de paie de vacances.

[17] S’estimant victime d’un abus de droit, la demanderesse, le 15 mars 2002, a mis le défendeur en demeure de lui verser une somme de 95 000 $ à titre de dommages.

[18] Cette mise en demeure étant demeurée sans suite, la demanderesse a signifié la présente action au défendeur le 22 avril 2002.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19] Le litige soulève essentiellement les questions suivantes :

1) Le contrat de travail intervenu entre la demanderesse et le défendeur le 7 juin 2001 a-t-il été résilié pour un motif sérieux par ce dernier?

2) Si la réponse à la question précédente est négative, à quoi la demanderesse peut-elle prétendre?

ANALYSE DE LA PREUVE

A) Le démarrage de l’entreprise du défendeur

[20] Le défendeur est devenu denturologiste en 1995.

[21] Après avoir exercé sa profession deux ans à Granby, il s’est joint en 1997 à Henri Lamontagne, à Lévis, qui, en raison de la maladie, ne pouvait plus suffire seul à la tâche. Le défendeur avait à cet endroit un statut de travailleur autonome. Au début, il partageait le travail avec Henri Lamontagne. À compter de la retraite définitive de ce dernier, le 31 décembre 1998, il servait l’ensemble de la clientèle.

[22] En plus de servir la clientèle d’Henri Lamontagne à cette clinique de Lévis, le défendeur accomplissait des actes professionnels à Sainte-Foy, dans un local loué par Henri Lamontagne et situé dans une clinique dentaire.

[23] À son arrivée à la clinique de monsieur Lamontagne, le défendeur a notamment fait la connaissance de Laurent Guay, qui y travaillait comme technicien de laboratoire depuis une vingtaine d’années.

[24] Henri Lamontagne comptait bien que le défendeur achèterait sa clinique, et ce dernier l’a envisagé. Ne pouvant cependant s’entendre avec monsieur Lamontagne sur un prix et des modalités de paiement, le défendeur a fait une croix sur ce projet au début de 2001 et s’est mis à la recherche d’un local afin d’y démarrer sa propre clinique. Les relations professionnelles entre monsieur Lamontagne et le défendeur ont pris fin après que monsieur Lamontagne a eu vent des démarches du défendeur et qu’au cours d’un entretien provoqué par lui pour en obtenir confirmation, le défendeur l’a informé de sa décision. Lucie Lamontagne, la sœur d’Henri, et qui exploitait déjà une clinique de denturologie à Charny, a pris peu après la relève à celle de son frère à Lévis.

[25] À ce moment, les travaux d’aménagement de la future clinique du défendeur à Lévis étaient en cours, de sorte que le défendeur a dû desservir temporairement sa clientèle au local de Sainte-Foy, qu’il garda à sa charge.

[26] La nouvelle clinique du défendeur à Lévis a ouvert ses portes à la mi-avril.

[27] Le défendeur avait bien cherché à recruter Laurent Guay pour sa nouvelle clinique. Sans succès. Après réflexion, monsieur Guay avait décidé de demeurer à sa clinique de Lucie Lamontagne.

[28] Le défendeur a donc dû tourner les yeux ailleurs. En mai, il a eu une première technicienne dentaire à son emploi. Il n’était pas satisfait de ses services.

[29] Un invité à la réception d’ouverture de la clinique du défendeur, en avril, lui avait mentionné le nom de la demanderesse en lui soulignant qu’elle avait été préposée au montage de prothèses pendant de nombreuses années dans un grand laboratoire dentaire de la région.

[30] La demanderesse avait quitté son emploi au sein de l’entreprise où elle était demeurée si longtemps, mais oeuvrait encore comme technicienne dentaire dans un autre laboratoire. Le défendeur l’a appelée le 26 mai pour solliciter son intérêt et, le cas échéant, une rencontre avec elle. Un rendez-vous a été fixé pour le lundi suivant, 28 mai, en soirée. Il a été question d’embauche dès cette première rencontre. Le lendemain, après négociation de certaines clauses d’un projet de contrat de travail témoin remis par le défendeur à la demanderesse, une entente finale est intervenue et, dès le lundi, 4 juin, avant même la signature du contrat de travail, la demanderesse était au poste. À la fin de la semaine précédente, le défendeur avait remercié la technicienne dentaire auparavant à son emploi.

B) Les tâches de la demanderesse

[31] Le défendeur allègue, au paragraphe 26 de sa défense, que la demanderesse a été embauchée comme employée de laboratoire et avait comme principale responsabilité de développer la clientèle du laboratoire commercial. La demanderesse nie cette allégation au paragraphe 21 de sa réponse et ajoute que sa tâche principale était le travail en laboratoire. Il paraît important d’identifier d’entrée la plus plausible de ces deux versions avant de décider de la justesse de la résiliation du contrat de travail de la demanderesse.

[32] Le défendeur, dès l’organisation de sa future clinique, trouvait intéressant de se dégager du travail en laboratoire afin d’être en mesure d’optimiser son travail de denturologiste. Voilà pourquoi il a cherché sans délai à recruter un technicien ou une technicienne en laboratoire, en commençant par Laurent Guay en février 2001.

[33] Le défendeur, un homme plein d’ambition, avait également comme projet de créer, parallèlement à sa clinique de denturologie, et sous un nom distinct, un laboratoire dentaire qui effectuerait des travaux en sous-traitance pour des dentistes. Il souhaitait que les revenus provenant de ceux-ci lui permettent rapidement de couvrir la rémunération du technicien ou de la technicienne.

[34] Lorsque le défendeur a effectué des démarches pour recruter un technicien, après la décision de Laurent Guay de demeurer à la clinique de Lucie Lamontagne, il a trouvé la partie difficile. De son propre aveu, trente nouveaux techniciens dentaires arrivent sur le marché chaque année, et la plupart travaillent sur des dents véritables. Il est donc difficile, pour un denturologiste, d’en recruter un, et ceci explique peut-être que son appel de candidatures dans la publication de l’Ordre des techniciens dentaires du Québec, dans les premiers mois de 2001, soit demeuré sans résultat. La première technicienne à son emploi, en mai, lui avait en effet été référée par quelqu’un du milieu.

[35] À la fin du mois de mai, comme mentionné précédemment, le défendeur était manifestement insatisfait des services de la technicienne à son emploi, malgré le peu de temps écoulé depuis son embauche. À tort ou à raison, il croyait, d’une part, qu’elle lui volait des choses et, d’autre part, qu’elle avait un problème de consommation d’alcool. Il était donc pressé de dénicher un technicien ou une technicienne dentaire qui ferait l’affaire et ce, sans égard au fait que la technicienne alors à son emploi n’était nullement intéressée au développement de la clientèle du laboratoire commercial.

[36] Un mois et demi après l’ouverture de sa clinique, le défendeur n’était certes pas chaud à l’idée de se retrouver seul, à toutes fins utiles, pour recevoir les clients en clinique à Lévis, continuer de desservir la clientèle au local de Sainte-Foy, fabriquer les prothèses, répondre au téléphone et s’occuper de l’administration. Sa conjointe, alors en congé de maternité, pouvait lui donner un coup de main à la réception et pour le travail d’administration, aux heures de sieste de leur poupon, mais ce support demeurait, à l’évidence, un expédient.

[37] La possibilité de recruter la demanderesse était donc un cadeau du ciel, d’autant plus que lors de la rencontre du 28 mai, qui a été déterminante, cette dernière a fait une très bonne promotion de son expérience en matière de prothèses dentaires. Jamais, toutefois, et il convient de le souligner ici, elle n’a fait état de quelque expérience que ce soit dans le développement de la clientèle.

[38] Sans plus de formalités, le défendeur a jugé que la demanderesse était la candidate idéale, et ses conditions d’emploi ont été négociées et convenues en un tour de main.

[39] Le paragraphe du contrat de travail signé le 7 juin 2001 dans lequel les tâches de la demanderesse sont décrites contient douze items. Les onze premiers ont trait à son travail de technicienne. Seul le dernier, le douzième, vise le développement de la clientèle du laboratoire commercial. Cela donne déjà une idée de l’importance relative de ses tâches de technicienne et de celle relative au développement de la clientèle.

[40] La rémunération dont les parties ont convenu pour la demanderesse en dit également beaucoup à ce sujet. En effet, au laboratoire où la demanderesse travaillait comme technicienne dentaire au moment où le défendeur l’a approchée, elle recevait un salaire de base de 28 000 $ par année auquel s’ajoutait le bénéfice d’avantages sociaux d’un coût annuel de 2 485,60 $ auquel son employeur contribuait pour moitié, soit 1 242,80 $. Considérant que cette contribution de son employeur lui occasionnait un impôt sur le revenu annuel de 291,20 $, il paraît raisonnable de supposer qu’elle était, chez son ancien employeur, dans la même situation que si elle avait reçu un salaire d’environ 29 534 $, sans aucun avantage. Cela étant, le salaire de 31 000 $ convenu entre les parties était supérieur d’un peu moins que 1 500 $ à sa rémunération antérieure. Il était tout à fait dans l’ordre pour un technicien dentaire de l’expérience de la demanderesse, sans plus. L’offre de l’ancien employeur de la demanderesse de lui accorder tout de go une augmentation de salaire pour la retenir, au moment où elle lui a annoncé son départ pour se joindre au défendeur, appuie cette conclusion. Son embauche par Lucie Lamontagne au même salaire de 31 000 $, pour des tâches de technicienne strictement, après la résiliation de son contrat par le défendeur, également.

[41] La commission de 5 % à laquelle la demanderesse avait droit en plus sur le chiffre d’affaires du laboratoire commercial avait pour but de la motiver dans le développement de la clientèle de ce dernier. Vu l’inexpérience totale de la demanderesse à cet égard, le défendeur ne pouvait certes pas raisonnablement s’attendre à des résultat rapides et mirobolants. Ses attentes étaient limitées, et sa déclaration que, connaissant la capacité de Laurent Guay de développer des affaires, il aurait été prêt à lui consentir une commission de 10 % à la même époque atteste de ce fait.

[42] Il est au surplus significatif que même si le contrat de travail de la demanderesse a été conclu pour une période de trois ans, aucun objectif n’a été fixé quant au chiffre d’affaires du laboratoire commercial. Il est vraisemblable que lors de ses tractations avec la demanderesse, le défendeur lui a représenté que la clientèle de la clinique de denturologie ne suffisait pas pour payer son salaire et que le développement du laboratoire commercial s’imposait à cette fin. Cela ne suffit pas. Quand la performance d’une employée dans l’accomplissement d’une tâche est essentielle au point où le défendeur le prétend, on en prévoit expressément les modalités de mesure.

[43] Le tribunal retient donc que le défendeur a embauché la demanderesse principalement comme technicienne dentaire, avec l’espoir intrépide qu’elle serait en mesure de développer le laboratoire commercial. Sa tâche à cet égard n’était certainement pas une condition essentielle du contrat.

C) La résiliation du contrat de travail

[44] L’article 2088 du Code civil du Québec énonce notamment que l’employé est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence. Suivant l’interprétation donnée par la doctrine à cette énonciation, l’employé a comme obligation première d’exécuter le travail suivant les règles de conduite et les méthodes que lui dicte l’employeur et selon ce qui est convenu dans son contrat ou selon les règles d’usage du milieu de travail. En raison du lien de subordination du salarié, il ne pourra refuser d’exécuter un ordre raisonnable provenant de son supérieur, en autant que l’ordre de s’exécuter n’aille pas à l’encontre de l’ordre public et des bonnes mœurs, qu’il ne mette pas en danger sa santé ou sa sécurité ou celles de ses collègues, ou qu’il ne s’agisse pas d’une intrusion de l’employeur dans la vie privée de l’employé protégée par la Charte des droits et libertés de la personne. S’il refuse de façon injustifiée de s’exécuter, il commettra un acte d’insubordination, motif pouvant mener à la résiliation du contrat de travail.[1]

[45] L’employeur, en effet, peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement un contrat de travail. Ce droit est prévu à l’article 2094 C.c.Q.

[46] Me Marie-France Bich, à l’époque professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et aujourd’hui à la Cour d’appel, a défini la notion de « motif sérieux » de la façon suivante :

[…] ; par motif sérieux, on entend une cause se rattachant à l’inexécution ou à la mauvaise exécution, par l’une des parties, des obligations qui lui incombent de par le contrat, selon le standard établi par l’article 1604 C.C.Q. (inexécution grave ou succession de défauts mineurs).[2]

[47] La Cour d’appel a affirmé qu’il n’y a pas de situation mitoyenne. Ou bien un congédiement est justifié, ou bien il ne l’est pas. Le juge n’a pas, comme un arbitre de grief, à examiner la valeur relative des torts de l’employé. À l’égard des circonstances de l’affaire dont il est saisi, si le juge est d’avis que l’employé est fautif, il doit rejeter le recours de ce dernier. Si, au contraire, il croit le congédiement abusif, l’employé doit réussir.[3]

[48] La jurisprudence énonce qu’à moins de circonstances exceptionnelles graves, l’employeur doit donner à un employé la chance de modifier la conduite ou le comportement qu’il lui reproche et l’aviser que s’il ne corrige pas telle ou telle lacune, il sera sujet à sanctions. Ces avis doivent être répétés et les sanctions progressives, allant de la réprimande officielle jusqu’au congédiement, en passant par les suspensions. Dans tout ce processus, la transparence est de mise.

[49] Le fardeau de prouver que le congédiement a été fait pour un motif sérieux incombe à l’employeur.

[50] Rappelons au départ que le défendeur reconnaît d’emblée la qualité intrinsèque du travail technique de la demanderesse. Il n’y a donc pas lieu de s’y attarder.

[51] Quant aux démarches de la demanderesse en vue de développer la clientèle du laboratoire commercial, elles ont été, à l’évidence, limitées. À toutes fins utiles, elles ont commencé après sa rencontre avec le défendeur et sa conjointe, le 21 septembre. À sa défense à l’égard des mois précédents, il faut souligner qu’une période d’adaptation s’imposait à la suite de son embauche. Au-delà de cette excuse, il faut aussi faire remarquer que la demanderesse a été laissée sans support par le défendeur, alors qu’il savait qu’elle n’avait aucune expérience pertinente. Il est trop facile de prétendre, comme la conjointe du défendeur le fait, que la demanderesse était libre d’utiliser les outils qu’elle jugeait à propos. Son inexpérience invitait, à n’en pas douter, un support de son employeur plus soutenu que celui manifesté par le défendeur par la remise à la demanderesse de listes de dentistes et de denturologistes.

[52] Il y a un monde entre le support apporté par le défendeur à la demanderesse pour le développement de la clientèle du laboratoire commercial et la complicité qui s’est rapidement développée au même sujet entre lui et Laurent Guay, qu’il a finalement pu recruter à la suite de la résiliation du contrat de travail de la demanderesse. Ils ont notamment établi conjointement une liste de projections, préparé un projet de lettre de présentation et élaboré une stratégie d’approche. Pourtant, ce dernier avait une expérience pertinente, acquise au cours de ses vingt années passées au laboratoire de la clinique d’Henri Lamontagne.

[53] Les démarches de la demanderesse afin de recruter de la clientèle, après la rencontre du 21 septembre, ont essentiellement eu lieu au cours des quatre semaines qui ont suivi. Comme suite à ses démarches auprès de cinq nouveaux clients que le défendeur n’avait pas déjà recrutés, un a commencé à faire affaires avec le laboratoire.

[54] Un différend est intervenu entre les parties en novembre relativement à la façon de manifester de l’appréciation aux dentistes qui avaient apporté leur clientèle au laboratoire commercial au cours de l’année. La demanderesse souhaitait leur offrir un petit cadeau tandis que le défendeur voulait se limiter à leur envoyer une carte de Noël. Ils n’ont pu s’entendre à l’amiable, et il y a eu une bonne prise de bec entre les deux. Vu le lien de subordination qui existait entre eux, il revenait à la demanderesse de respecter la décision du défendeur, bien sûr. L’incident démontre toutefois que la demanderesse disposait en définitive d’une marge de manœuvre fort réduite dans le choix des outils pour développer la clientèle, malgré la prétention de la conjointe du défendeur.

[55] Au moment de cet incident, le recrutement de nouvelle clientèle avait à toutes fins utiles cessé. Depuis la rencontre du 21 septembre, la situation s’était progressivement détériorée entre les parties, et le climat à la clinique était devenu difficile. Sous le couvert de l’anonymat, le défendeur avait jugé prudent de se mettre à la recherche d’un denturologiste ou d’un technicien dentaire, et avait sollicité des candidatures dans un journal.

[56] Ce climat avait pour cause la profonde incompatibilité qui s’était manifestée entre les parties avec le temps.

[57] En juin 2001, lorsqu’il a rencontré la demanderesse, le défendeur avait devant lui une personne de plus de vingt-deux ans d’expérience dans un laboratoire dentaire, dont dix-sept dans la même entreprise. Il était au courant que l’entreprise où elle avait travaillé le plus clair de son temps comptait 50 à 60 employés et que le travail s’y faisait à la chaîne. Il savait aussi que depuis son départ de cet endroit, cinq ans auparavant, elle en était à son troisième emploi, et songeait à le quitter.

[58] Se joindre à l’entreprise du défendeur consistait à plusieurs égards un nouveau changement substantiel pour la demanderesse. Notamment, elle travaillerait pour la première fois en clinique avec un denturologiste, et serait ainsi appelée à intervenir à chaque étape de la fabrication et de la pose de prothèses dentaires, même si son expérience se situait principalement à l’étape de leur montage. Son adaptation serait donc difficile à la fois pour cette raison et, également, parce qu’elle arrivait avec un lot d’habitudes et de techniques de travail fortement enracinées.

[59] Son nouveau milieu de travail était par ailleurs beaucoup plus intime que ceux auxquels elle avait été habituée. L’entreprise du défendeur était en fait une entreprise familiale, et sa conjointe s’y intéressait autant que lui. Elle a notamment participé à la rencontre du 28 mai, déterminante pour l’embauche de la demanderesse, à celle du 21 septembre, au cours de laquelle son évaluation a été faite et à celle du 21 décembre, lors de son renvoi. En temps normal, elle était également souvent présente au bureau. Qui plus est, les relations entre la demanderesse, d’une part, et le défendeur et sa conjointe, d’autre part, dépassaient la frontière stricte entre le travail et la vie privée. Ainsi, en août, à peine deux mois après son arrivée, la demanderesse a été invitée à leur mariage. Il lui est par ailleurs arrivé de garder l’aîné des enfants du couple et de transporter les deux en automobile. Un tel milieu, même s’il présente des avantages, comporte également des dangers. Les incompatibilités de caractère et de personnalité se révèlent de façon plus flagrante et sont plus difficiles à éradiquer.

[60] Le défendeur n’était pas un homme facile. Henri Lamontagne, chez qui il a travaillé deux ans, souligne qu’il était prompt et qu’il avait de la difficulté à accepter des conseils et ce, sans égard à sa compétence, qu’il reconnaissait. Il ajoute qu’on ne pouvait pas discuter avec lui.

[61] Au cours de ses études, de ses deux ans d’exercice à Granby et des quatre à la clinique d’Henri Lamontagne, le défendeur avait expérimenté et finalement adopté des méthodes de travail différentes de celles auxquelles la demanderesse était habituée. Quoiqu’il revenait au défendeur, en sa qualité de professionnel, de choisir les méthodes qu’il jugeait à propos pour réaliser les ouvrages que ses clients lui confiaient, la demanderesse n’hésitait pas à critiquer ses choix et à favoriser des alternatives qu’elle jugeait préférables. Elle reconnaît même qu’il lui est arrivé de refuser de réaliser des prothèses selon la méthode préconisée par le défendeur. Manifestement, et sans égard au fait que certains commentaires de la demanderesse pouvaient être constructifs, et certains de ses agissements bien intentionnés, le défendeur n’aimait pas cela et lui disait de se mêler de ses affaires et de suivre ses instructions.

[62] Cet antagonisme entre les parties sur le mode de réalisation des prothèses est symptomatique d’un malaise plus général.

[63] Dès l’été, le défendeur a commencé à ressentir de la déception parce que, selon lui, la demanderesse n’était pas toujours disponible aux moments convenus lors de son embauche. Par exemple, il maugréait parce que le lundi, elle insistait pour quitter à 17 heures même s’il restait des clients à la clinique. Il maugréait également parce que le jeudi, même si son travail à Sainte-Foy pouvait retarder son retour à la clinique jusqu’à 17 h 30 ou 18 heures, elle insistait pour quitter à 17 heures, parce qu’elle jouait aux quilles. Pourtant, selon ce qui avait été convenu lors de son embauche, son horaire de travail normal allait de 8 heures à 17 heures, sous réserve de son heure de repas, qu’elle prenait à 13 heures. Sortir de cette plage horaire requérait donc une entente à l’amiable entre les parties même si l’importance de la présence de la demanderesse à la clinique lors des absences du défendeur avait été également reconnue lors de l’embauche.

[64] Le défendeur trouvait également que lorsque la demanderesse s’absentait du travail, elle l’en avisait à la dernière minute. La preuve fait état de trois incidents mais dans deux cas, le défaut de préavis raisonnable peut se justifier : dans un premier, c’était à la suite du décès d’un proche et dans un deuxième, pour une visite chez le médecin à la suite d’une blessure. Dans le troisième, par ailleurs, elle désirait quitter à 16 heures, parce qu’elle avait une activité spéciale à 17 heures. Elle aurait vraisemblablement pu aviser plus tôt, il est vrai.

[65] La demanderesse n’était pas davantage heureuse et trouvait que le défendeur devenait souvent agressif et coléreux et qu’il avait peu de considération pour elle. Elle faisait également valoir plusieurs doléances concernant son lieu de travail. Elle se plaignait notamment de la déficience du système de ventilation et prétendait que lorsqu’elle travaillait avec des monomères, elle subissait des étourdissements. Elle trouvait également que, pour des motifs d’économie, le défendeur restreignait le fonctionnement du système d’air climatisé et ce, en plein été.

[66] Même si le système de ventilation a été jugé adéquat par un inspecteur de la CSST et même si une telle attitude du défendeur paraît peu vraisemblable, puisqu’il travaillait aussi dans les mêmes locaux, ces deux événements attestent que la demanderesse subissait difficilement son environnement de travail.

[67] La demanderesse se plaignait également du fait qu’une marche, à l’extérieur de la bâtisse où se trouvait la clinique, et donnant accès à celle-ci, était non conforme et que les personnes âgées risquaient de s’y blesser. Le défendeur omettant de corriger la situation, elle a pris l’initiative d’une démarche à la CSST. Celle-ci a d’ailleurs abouti à un rapport obligeant à la modification mineure de la marche.

[68] Au-delà de tout, ces doléances, tant celles du défendeur que celles de la demanderesse, dénotent l’effritement de la bonne entente entre les parties à l’été 2001 : l’enthousiasme et la grande complicité du départ, en somme, s’étaient rapidement estompés.

[69] C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la rencontre du 21 septembre entre la demanderesse, le défendeur et sa conjointe afin de dresser un bilan des trois premiers mois d’emploi de la demanderesse. Selon le défendeur, cette rencontre avait pour objet de rappeler à la demanderesse ses obligations en vertu du contrat, et il a été essentiellement question de ses absences sans avis préalable suffisant, de sa difficulté à gérer son temps et de l’absence de nouveaux clients pour le laboratoire commercial. Nul doute, cependant, que les autres doléances du défendeur, ou certaines d’entre elles, ont également fait l’objet d’un rappel. Fondamentalement, en effet, il était insatisfait du travail de la demanderesse, et il en voulait davantage de sa part. L’envol des affaires à sa clinique n’était pas aussi rapide qu’il l’avait escompté et, sur le plan financier, il commençait à appréhender le futur.

[70] Ce qu’il est important de noter, c’est que, au cours de cette rencontre, même si le défendeur et sa conjointe ont dénoncé ses lacunes à la demanderesse, aucun avertissement formel ne lui a été donné, et aucune menace de sanction n’a été évoquée.

[71] Au cours de l’automne, les parties ont continué à travailler ensemble normalement. Quoique le défendeur prétende aujourd’hui que l’attitude de la demanderesse ne s’est pas améliorée et que, selon ce que la preuve révèle, peu de nouveaux clients ont commencé à faire affaires avec le laboratoire commercial, il n’a effectué aucune nouvelle démarche auprès de la demanderesse relativement à son travail. Aucun avertissement, ni verbal ni écrit. Aucune menace de sanction non plus.

[72] Et l’épisode du 21 décembre est arrivé. Ce jour-là, vraisemblablement sous le coup d’une impulsion consécutive à une perte de contrôle sur lui-même, le défendeur a congédié illico la demanderesse. Un différend de quelques dollars, peut-être quelques dizaines, sur la réclamation de la demanderesse au titre de ses frais de déplacement ne justifiait certainement d’aucune façon la peine capitale ainsi imposée par le défendeur. On ne peut certainement pas davantage prétendre qu’il y avait une situation d’urgence.

[73] Il est évident que la plus grande harmonie ne régnait pas à la clinique du défendeur. Le tribunal est cependant loin d’être certain que la demanderesse en était la seule responsable.

[74] Qui plus est, à supposer même que les lacunes de comportement de la demanderesse aient été à la mesure de ce que le défendeur prétend, elle avait droit à une plus grande chance de réhabilitation. Si elle a pu conserver un emploi antérieur pendant dix-sept ans, notamment, il est peu vraisemblable qu’elle était irrémédiablement insubordonnée. L’unique démarche du défendeur et de sa conjointe, le 21 septembre, ne suffit certainement pas pour légitimer la rupture unilatérale de son contrat de travail, trois mois plus tard.

[75] Vu ce qui précède, il faut conclure que le défendeur n’avait pas de motif sérieux pour mettre unilatéralement fin au contrat de travail de la demanderesse, le 21 décembre, et a agi de façon abusive.

LES DOMMAGES

[76] Fondamentalement, la demanderesse a droit à des dommages essentiellement en fonction de la perte économique qu’elle a subie.

[77] Elle prétend, à ce titre, aux sommes suivantes :

a) Salaire pour la durée non écoulée du contrat :

17 200,00 $

b) Allocation de jours de maladie :

1 073,07 $

c) Commissions :

15 000,00 $

d) Avantages sociaux :

10 000,00 $

e) Dommages moraux et inconvénients :

20 000,00 $

TOTAL :

63 273,07 $

[78] Cette réclamation est grandement exagérée, et les seuls dommages auxquels elle peut prétendre sont les suivants :

a) Salaire

[79] La demanderesse avait droit, pour son travail chez le défendeur, à un salaire annuel de 31 000 $ équivalant à 596,15 $ par semaine.

[80] La preuve révèle que la demanderesse a commencé à travailler dans un autre laboratoire dentaire, celui de Lucie Lamontagne, le 21 janvier 2002, au même salaire, et qu’elle y travaillait encore lors du procès. Au départ, sa perte certaine au titre du salaire ne peut donc être supérieure à celui qu’elle a perdu au cours de ces quatre semaines entre son congédiement et son nouvel emploi.

[81] À la suite de son congédiement, le 21 décembre 2001, elle a reçu du défendeur un montant net de 404,42 $, équivalant à un montant brut de 596,15 $, à titre d’indemnité pour une semaine de salaire.

[82] Par ailleurs, au cours du mois de janvier, elle a travaillé deux jours et demi, soit la moitié d’une semaine, dans un autre laboratoire. Son rapport d’impôt pour l’année 2002 ne permet pas de déterminer la rémunération qu’elle a ainsi reçue. Il paraît toutefois raisonnable d’estimer son salaire au même montant que chez le défendeur.

[83] Vu ce qui précède, l’indemnité à laquelle elle a droit pour salaire est donc égale au salaire auquel elle aurait eu droit chez le défendeur pour deux semaines et demie de travail, soit 1 490,38 $.

b) Allocation de jours de maladie

[84] En vertu de son contrat, la demanderesse avait droit à trois jours de congé maladie par année, soit neuf pendant sa durée entière. Si elle n’utilisait pas ces jours de congé maladie, elle pouvait les monnayer le 15 décembre de chaque année.

[85] Elle ne bénéficie pas d’un avantage équivalent chez son nouvel employeur, Lucie Lamontagne.

[86] Puisque le salaire de la demanderesse chez le défendeur s’élevait à 31 000 $ par année, ou 596,15 $ par semaine, il faut déduire que chaque jour de congé maladie non utilisé lui donnait droit à une allocation de 119,23 $.

[87] La preuve révèle que le 19 octobre 2001, la demanderesse s’est absentée en après‑midi comme suite à une blessure. Elle a d’ailleurs produit un certificat médical attestant ce fait. C’est la seule occasion où elle a utilisé son droit.

[88] Cela étant, il faut conclure que la demanderesse a droit, au titre d’allocation de jours de maladie, à une somme totale de 1 013,47 $, représentant huit jours et demi au taux de 119,23 $ par jour.

c) Commissions

[89] Il faut, dans un premier temps, souligner que le chiffre d’affaires du laboratoire commercial ne comprend pas celui résultant des travaux effectués par le défendeur dans le cadre de l’exercice de sa profession. En vertu de l’article 34 du Code de déontologie de l’Ordre des denturologistes du Québec[4], le denturologiste doit d’ailleurs s’abstenir de partager ou de recevoir conjointement ses revenus de profession, sous quelque forme que ce soit, avec un technicien dentaire.

[90] Il faut, dans un deuxième temps, faire remarquer que la commission à laquelle la demanderesse a droit était établie en fonction du chiffre d’affaires du laboratoire, et non seulement du chiffre d’affaires qu’elle générait personnellement. Son droit s’étendait donc également au chiffre d’affaires provenant de la clientèle recrutée par le défendeur.

[91] Les dentistes qui étaient des clients du laboratoire commercial, le 21 décembre 2001, étaient au nombre de cinq.

[92] Au cours de l’année 2001, ces clients ont rapporté un chiffre d’affaires brut total de 6 439,12 $, ce qui donnait à la demanderesse le droit à une commission de 327,87 $. Puisque celle-ci a reçu une somme de 235,01 $ le 21 décembre 2001, un solde de 92,95 $ lui demeure dû.

[93] En 2002, ces mêmes clients ont rapporté un chiffre d’affaires total de 18 077,36 $, ce qui donnait droit à la demanderesse à une commission de 903,87 $.

[94] En 2003, ces clients ont procuré un chiffre d’affaires total de 27 450,30 $, ce qui donnait droit à la demanderesse à une commission de 1 372,15 $.

[95] Enfin, au cours de la période du 1er janvier au 1er mai 2004, date de l’échéance du contrat de travail de la demanderesse, ces clients ont procuré un chiffre d’affaires total de 11 437,63 $, ce qui donnait à la demanderesse droit à une commission de 571,88 $.

[96] Vu ce qui précède, la réclamation totale de la demanderesse à titre de commissions sur le chiffre d’affaires du laboratoire commercial imputable à ces cinq clients totalise 2 940,85 $.

[97] La demanderesse prétend par ailleurs qu’elle a droit à une commission de 5 % sur le chiffre d’affaires du laboratoire commercial généré à la suite de son congédiement par les clients qui ne l’étaient pas à ce moment. Le tribunal ne peut la suivre sur ce chemin. Il est impossible d’établir quelque lien que ce soit entre le chiffre d’affaires généré par ces tiers et sa prestation de travail ou le rôle joué par le défendeur pour les recruter. Il ne faut pas oublier que, selon le deuxième alinéa de l’article 1611 C.c.Q., les dommages qui peuvent être octroyés en matière contractuelle doivent être certains.

d) Avantages sociaux

[98] À l’appui de sa réclamation de 10 000 $ à ce titre, la demanderesse prétend qu’en acceptant d’aller travailler chez le défendeur, elle a subi une perte d’avantages de cette valeur en assurance santé, assurance dentaire, prime d’assurance invalidité et prime d’assurance vie dont elle bénéficiait chez son employeur antérieur.

[99] Soulignons d’entrée que les dommages auxquels la demanderesse peut prétendre se calculent en fonction de ce qu’elle aurait obtenu selon son contrat de travail, s’il avait été respecté par le défendeur. Les dommages qu’elle allègue au titre d’avantages sociaux dont elle bénéficiait chez son employeur antérieur ne peuvent donc en faire partie.

[100] De toute façon, il convient de le rappeler, ces avantages sociaux chez son employeur antérieur coûtaient 2 485,60 $ par année, et cet employeur en payait la moitié seulement, soit 1 242,80 $. Or, son salaire chez le défendeur était supérieur d’environ 1 500 $ à la somme de son salaire chez son employeur antérieur et de la part des avantages sociaux dont elle bénéficiait qui était payée par ce dernier, après prise en compte de l’impact fiscal. Qui plus est, ce surplus de 1 500 $ ne tenait pas compte de son droit à une commission, ni de celui de monnayer des jours de congé maladie non utilisés, dont elle ne bénéficiait pas chez son employeur antérieur. Elle est donc bien malvenue de réclamer quelque dommage que ce soit pour perte subie en quittant son employeur antérieur pour aller chez le défendeur.

e) Dommages moraux et inconvénients

[101] La demanderesse réclame 20 000 $ à ce titre.

[102] Il est évident que le congédiement cause toujours un choc émotif et des traumatismes contre lesquels aucune indemnité ne peut être réclamée.

[103] L’article 1613 C.c.Q. énonce par ailleurs ce qui suit :

Art. 1613. En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages‑intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les dommages‑intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.

[104] Cela étant, pour avoir droit à des dommages moraux, la demanderesse doit prouver faute intentionnelle ou faute lourde du défendeur.

[105] Dans le présent cas, le tribunal ne constate chez le défendeur aucun comportement vexatoire, malicieux, empreint de mauvaise foi ou simplement d’un abus de droit constituant une faute additionnelle spécifique, génératrice de dommages, et distincte de la résiliation sans motif sérieux du contrat de travail de la demanderesse. Sans limitation, son congédiement, le 21 décembre 2001, n’avait rien d’un geste prémédité. Le fait que les chèques qui lui ont été remis lors de sa rencontre avec le défendeur et sa conjointe, ce jour-là, et qui auraient été rédigés la veille, concernaient exclusivement les commissions auxquelles elle avait droit et ses frais de déplacement, l’atteste. Le fait que la lettre de congédiement ait suivi quelques jours plus tard, également.

[106] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[107] ACCUEILLE partiellement la demande de la demanderesse;

[108] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse, à titre de dommages, une somme de 5 444,70 $, avec intérêt et, en plus, indemnité additionnelle, à compter de l’assignation;

[109] AVEC DÉPENS.



__________________________________
GEORGES TASCHEREAU, j.c.s.

Me Takioullah Eidda
EIDDA & ASSOCIÉS (casier 154)
Procureurs de la demanderesse.

Me Jean-François Lecours
DESJARDINS, DUCHARME (casier 14)
Procureurs du défendeur.


[1] Audet Georges, Bonhomme Robert et Gascon Clément, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e Édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., au para. 1.3.6.
[2] Bich Marie-France, Contrat de travail et Code civil du Québec – Rétrospective, Perspectives et Expectatives, développement récent en droit du travail (1996), Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1996, à la p. 250.
[3] Maheu & Noiseux c. Roneo Vickers Canada Ltd 1988 CanLII 780 (QC CA), [1988] R.J.Q. 1597 C.A.
[4] (chapitre D-4, r. 4.1).