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Bergeron c. Agence métropolitaine de transport, 2007 QCCRT 482

no. de référence : 2007 QCCRT 0482

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL


Dossier :
132336
Cas :
CM-2006-3158

Référence :
2007 QCCRT 0482

Montréal, le
1er octobre 2007
______________________________________________________________________

DEVANT LA COMMISSAIRE :
Arlette Berger
______________________________________________________________________


Richard Bergeron

Plaignant
c.

Agence métropolitaine de transport

Intimée


______________________________________________________________________

DÉCISION
______________________________________________________________________


[1] Le 14 février 2006, le plaignant, Richard Bergeron, dépose à la Commission des normes du travail une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1). Il soutient avoir été congédié sans cause juste et suffisante par son employeur, l’Agence métropolitaine de transport (AMT), le 2 février précédent.

[2] L’AMT s’oppose à la recevabilité de la plainte. Elle soutient que le plaignant est un cadre supérieur et que, conséquemment, il n’a pas droit, en vertu de l’article 3 (6o) de la Loi sur les normes du travail, au recours prévu à l’article 124 de cette même loi. Elle soutient également que le plaignant n’a pas été congédié puisqu’en devenant conseiller municipal, il démissionnait implicitement de son poste à l’AMT.

[3] Par ailleurs, si la plainte est jugée recevable, l’AMT soumet avoir mis fin à l’emploi du plaignant pour une cause juste et suffisante parce que les responsabilités associées à son poste étaient incompatibles avec sa charge d’élu municipal et son statut de chef de parti politique municipal et parce qu’il existait une situation d’apparence de conflit d’intérêts.

[4] La Commission prend l’objection relative à la recevabilité de la plainte sous réserve et en disposera après avoir entendu la preuve. Elle décidera, s’il y a lieu, du bien-fondé de la plainte et de la réintégration du plaignant. Il est convenu que la Commission réserve sa compétence pour décider des autres mesures de réparation, le cas échéant.

[5] À la suite des audiences des 15 et 16 mai 2007, les parties soumettent à la Commission des notes écrites additionnelles les 18 et 29 juin 2007. L’affaire est prise en délibéré le 2 juillet 2007.

LES FAITS
L’AMT
[6] Créée par la Loi sur l’agence métropolitaine de transport (L.R.Q., c. A-7.02), l’AMT est une agence gouvernementale à vocation métropolitaine. Elle exerce ses activités depuis le 1er janvier 1996. Son territoire, qui regroupe 83 municipalités et la réserve indienne de Kahnawake, s’étend de Saint-Jérôme à Saint-Jean-Baptiste, dans l’axe nord/sud, et de Hudson à Contrecoeur, dans l’axe est/ouest.

[7] En vertu de l’article 21 de sa loi constitutive, l’AMT a pour mission de :

soutenir, développer, coordonner et promouvoir le transport collectif, dont les services spéciaux de transport pour les personnes handicapées, d’améliorer les services de trains de banlieue, d’en assurer le développement, de favoriser l’intégration des services entre les différents modes de transport et d’augmenter l’efficacité des corridors routiers

[8] Ses activités sont plus amplement décrites dans son rapport annuel 2005 :

Ayant à cœur d’offrir des services qui répondent aux besoins de notre clientèle, nous exploitons actuellement 5 lignes de trains de banlieue, 2 lignes d’autobus express métropolitains, 13 terminus, 57 stationnements incitatifs (24 582 places) et 83,4 km de voies réservées dans la région métropolitaine.

Ses champs d’action sont variés et complémentaires : elle (l’AMT) planifie, coordonne, intègre et fait la promotion des services de transport collectif, en étroite collaboration avec ses partenaires, les organismes de transport, le ministère des Transports du Québec, les villes et la Communauté métropolitaine de Montréal. Elle contribue également à améliorer l’efficacité des routes qui ont une vocation métropolitaine et est responsable de la planification et de la construction de tout prolongement du réseau de métro.

Par ailleurs, l’AMT participe au financement de l’exploitation des services des 14 organismes de transport de la région. Elle contribue également au financement des 9 organismes de transport adapté participant actuellement au projet d’intégration des services. Elle offre également à ses partenaires sa collaboration, son expertise et des outils qui répondent aux besoins divers en matière de gestion des déplacements.

[9] Elle est financée par des allocations ou des subventions du gouvernement du Québec, par le fonds métropolitain (0,01 $ du 100 $ d’évaluation), par les remises gouvernementales (pourcentage de la taxe sur l’essence et des droits sur l’immatriculation) et par les recettes des transports en commun.

[10] Les affaires de l’AMT sont administrées par son conseil d’administration (art. 5 de sa loi constitutive). Le président-directeur général et le directeur vérification interne relèvent du conseil d’administration alors que le secrétaire général et vice-président affaires corporatives ainsi que six autres vice-présidents, responsables de leur secteur d’activités respectif, relèvent du président-directeur général.

[11] Un comité de direction est constitué du président-directeur général et des sept vice-présidents. Le plaignant fut invité à deux reprises à présenter aux membres de ce comité l’état d’avancement de ses travaux. Il ne participe pas aux travaux de ce comité.

[12] Le plaignant, tout comme huit ou neuf autres chargés de projet, relève du vice-président planification et développement. Il n’a aucun employé sous sa supervision.

LES ACTIVITÉS DE PLANIFICATION ET DE DÉVELOPPEMENT STRATÉGIQUE
[13] Les activités de planification et de développement relèvent du vice-président planification et développement, James Byrns. Ce service produit diverses analyses et études, en plus d’assumer la responsabilité du plan stratégique de développement des transports collectifs.

[14] L’AMT a l’obligation légale d’élaborer un plan stratégique de développement du transport métropolitain, sur une période de dix ans, précisant les objectifs qu’elle poursuit, les priorités qu’elle établit et les résultats attendus. Elle doit ajuster annuellement et réviser ce plan à tous les cinq ans. Ce plan, ses ajustements et ses révisions sont approuvés par le conseil d’administration de l’AMT, puis par le conseil de la Communauté métropolitaine de Montréal et, enfin, par le ministre des Transports (Cf. art. 76 et 77 de sa loi constitutive).

[15] L’adoption du plan stratégique de développement du transport métropolitain 1997-2007 a été précédée d’une large consultation auprès des décideurs de la région métropolitaine (23 sessions de présentation et 30 mémoires). Ce plan a été évalué et révisé, en étroite collaboration avec l’ensemble des partenaires, en 2002. En 2006, l’AMT a amorcé la préparation du plan stratégique 2007-2017.

LE PROGRAMME TRIENNAL D’IMMOBILISATIONS
[16] L’AMT doit également annuellement, après consultation de la Communauté métropolitaine de Montréal, produire un programme triennal de ses immobilisations (PTI). Ce PTI doit être approuvé par le ministre des Transports (art. 78 à 81 de sa loi constitutive).

[17] Règle générale, l’AMT confectionne annuellement un projet de PTI. Elle consulte par la suite, pendant 5 ou 6 semaines, ses partenaires, soit les 83 municipalités, les municipalités régionales de comté, les sociétés de transport, les conseils intermunicipaux de transport, et les autres organismes intéressés. Ce projet donne lieu à de nombreuses négociations et à des arbitrages entre les partenaires. Elle est appelée à travailler avec les conseils municipaux, les directeurs généraux des municipalités et les organismes de transport des municipalités.

[18] Les citoyens contribuant au financement de l’AMT, les municipalités veulent être traitées équitablement. Aussi, puisque les Montréalais contribuent à 60 % du fonds d’immobilisation, Montréal réclame généralement 60 % des investissements en infrastructures, alors que ce n’est pas toujours ce que le PTI prévoit.

[19] L’AMT reçoit beaucoup de demandes et doit les prioriser, tout en visant un certain équilibre entre les municipalités. Elle doit également décider si certaines dépenses relèvent de la municipalité ou si elle doit les assumer. À titre d’exemple, elle doit déterminer si des feux prioritaires pour des autobus constituent un projet local ou métropolitain.

RELATIONS AVEC LA VILLE DE MONTRÉAL
[20] À la suite d’une mésentente relative au déficit réel du métro de Montréal, l’AMT a déterminé, avec l’aide d’une entreprise spécialisée, le montant de ce déficit. Sa décision liait la Ville de Montréal.

[21] Avant de rendre public son plan de transport, des représentants de la Ville de Montréal ont eu des pourparlers avec l’AMT concernant le financement de structures régionales, tel le boulevard Pie IX, un axe métropolitain qui relève de l’AMT. La Ville de Montréal a des projets concernant la voie réservée de ce boulevard qui a été fermée à la suite d’accidents. L’AMT a compétence pour décider de lui octroyer ou non une aide financière concernant ce projet.

[22] Avant de décider de financer des infrastructures municipales, l’AMT procède à des analyses coûts – bénéfices. Ainsi, lorsque la Ville de Montréal annonce que les navettes aéroportuaires sont une priorité, l’AMT fait des études afin de pouvoir justifier sa réponse.

[23] L’AMT négocie et conclut diverses ententes avec la Ville de Montréal et ses autres partenaires, telles des acquisitions de terrains pour des stationnements incitatifs, des études de circulation, etc.

LES FONCTIONS ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PLAIGNANT
[24] Le plaignant est détenteur d’un baccalauréat en architecture, d’une maîtrise en urbanisme et d’un doctorat en aménagement. Il effectue pendant une dizaine d’années des recherches universitaires, puis travaille pendant trois ans au ministère de la Métropole et un an au ministère des Transports avant son arrivée à l’AMT. Pendant cette période, il écrit et publie deux livres : Le livre noir de l’automobile et Les Québécois au volant, c’est mortel. Ces deux livres lui valent une certaine notoriété et les médias l’interpellent souvent.

[25] À l’automne 1999, le plaignant, qui travaille alors au ministère des Transports, reçoit un appel de l’AMT afin de vérifier son intérêt pour un poste. Cette dernière est à la recherche d’un employé pour réviser son plan stratégique de développement du transport métropolitain.

[26] L’AMT engage le plaignant le 10 janvier 2000 à titre de chargé de projet – plans, évaluations et études de marché. Il signe un contrat de travail comportant plusieurs clauses dont les suivantes :

OBJET

L’AMT engage Monsieur Richard Bergeron, qui accepte d’agir, à titre exclusif et à temps plein, comme chargé de projet – plans, évaluations et études de marché.

À titre de chargé de projet, Monsieur Richard Bergeron agit sous la responsabilité du vice-président planification et développement. Il assure la réalisation des différentes études et analyses requises dans la confection du plan stratégique dans sa révision annuelle et participe aux activités de coordination requises par ce plan avec les différents plans d’aménagement, d’urbanisme, de transport et de circulation du territoire de l’AMT.

Il est entendu que Monsieur Richard Bergeron remplit ces fonctions au siège social de l’AMT.



3.4 Période de travail

Monsieur Richard Bergeron travaille sur une base de 37 ½ heures par semaine. Les heures supplémentaires seront compensées en temps sur approbation de son supérieur immédiat.

4.3 Politiques et règlements

Monsieur Richard Bergeron s’engage à respecter tout au long de son emploi les normes de comportement édictées dans le Code d’éthique de l’AMT ainsi que tout autre règlement ou politique adopté par l’AMT.

[27] Afin d’accroître sa visibilité à titre de conférencier, il demande à l’AMT de changer son titre d’emploi. Comme l’AMT ne peut lui donner le titre de directeur parce qu’il n’a personne sous sa responsabilité, elle le nomme responsable des analyses stratégiques. Les fonctions exercées par Richard Bergeron demeurent toutefois les mêmes.

[28] Richard Bergeron reconnaît exercer les fonctions apparaissant aux points 1, 2, 7, 8 et 9 de sa description de tâches:

Description générale

Sous la direction du vice-président à la planification et au développement, cette personne est responsable de développer et mettre en place des stratégies visant la promotion du transport en commun sur l’ensemble du territoire de l’AMT. Il participe aux efforts de mise en marché des trains de banlieue.

Description du poste

À ce titre, cette personne :

1. Se tient informé de l’évolution du territoire et du contenu des différents plans d’aménagement, d’urbanisme, de transport et de circulation sur celui-ci.

2. Supervise ou réalise des recherches pour prévoir les tendances futures dans le secteur d’activité de l’Agence.



7. Assure la présence de l’AMT sur les comités nationaux et provinciaux où son action peut aider à faire approuver des politiques visant à promouvoir l’utilisation de transport en commun dans la région de Montréal.

8. Effectue les enquêtes, recherches et analyses requises par ses tâches.

9. La liste des tâches et responsabilités énumérées précédemment est sommaire et indicative; il ne s’agit pas d’une liste complète et détaillée de tâches et responsabilités susceptibles d’être effectuées par la personne occupant ce poste.
[29] Richard Bergeron précise que ses tâches relatives au plan stratégique sont beaucoup moins lourdes et importantes que celles décrites à sa description de tâches (points 3 à 6). Son rôle consiste essentiellement, lors de son embauche, à analyser ce qui a été fait depuis la rédaction du dernier plan stratégique de développement et à le mettre à jour. Pendant environ 18 mois, il anime des rencontres avec les partenaires de l’AMT. Une vingtaine de professionnels travaillant pour ces partenaires participent à ces rencontres. Il révise le plan stratégique avant de remettre son projet à la direction. La présidente-directrice générale de l’époque, Florence Junca-Adenot, qui est embarrassée par le lien trop étroit que fait le plaignant entre le développement urbain et les infrastructures de transport, lui demande d’apporter certaines modifications. Il refuse. Elle lui retire le dossier. Il n’y travaille plus par la suite.

[30] Le travail de Richard Bergeron consiste alors à suivre le dossier des changements climatiques, à organiser et à participer à une mission en Europe sur le tramway, à agir comme conférencier dans de nombreux colloques, à effectuer des analyses et des études, à superviser des études externes, à représenter l’AMT au sein de divers comités et à agir comme personne ressource dans certains dossiers. Monsieur Bergeron n’est pas impliqué dans la réalisation des conclusions de ses études et analyses, ni dans le dossier du plan triennal d’immobilisations. Il déclare n’avoir aucun pouvoir décisionnel. Il fait des recommandations à l’AMT. Il se définit, lorsqu’il prononce des conférences, comme un ambassadeur de l’AMT.

[31] Lorsqu’il effectue des études, il travaille avec des données publiques et manipule très peu d’informations confidentielles, sauf pour deux études : une relative à la taxation des stationnements et une autre sur les impacts de l’installation du tramway sur l’avenue du Parc, à Montréal. Toutes ses études sont rendues publiques, sauf ces deux dernières. Ses études sont utilisées pour élaborer la position de l’AMT dans certains dossiers (ex.: présentation de l’AMT en commission parlementaire concernant les changements climatiques et le transport) ou encore pour justifier les décisions de cette dernière. L’AMT décide des études et des recherches qu’il effectue. Lorsque, dans le cadre de ses fonctions, il désire effectuer une nouvelle étude, il en fait la proposition au vice-président planification et développement, qui accepte ou refuse.

[32] Dans le cadre de ses fonctions, il est appelé à travailler avec des employés de la Ville de Montréal. Il ne fait jamais affaire avec les élus municipaux.

[33] Selon le président-directeur général de l’AMT, Joël Gauthier, le plaignant défend avec beaucoup de vigueur le transport en commun. Ce dernier est un excellent orateur et donne, pour l’AMT, beaucoup de conférences. Il est fondamentalement dédié au transport collectif et est convaincu qu’il n’y a pas assez d’investissements dans ce domaine.

[34] Le plaignant a des relations constantes avec les médias. Des journalistes sollicitent des entrevues relativement aux opinions qu’il a exprimées dans les deux livres qu’il a publiés. Il propose à plusieurs reprises des articles aux journaux. Certains sont publiés. Il est appelé à répondre aux questions des journalistes, à titre de conférencier dans des colloques.

[35] Ses commentaires ne sont pas toujours autorisés par l’AMT, ce qui a valu à Florence Junca-Adenot, d’être interpellée par le ministère des Transports et le conseil d’administration. Aussi, le 25 novembre 2002, elle fait parvenir une lettre au plaignant à la suite d’une entrevue qu’il a donnée à un journaliste et de la parution d’un article dans le journal La Presse intitulé « Au Salon de l’auto, modérez vos transports ». Elle lui rappelle son devoir de réserve comme analyste à l’AMT et les directives de l’entreprise : personne n’est autorisé à répondre à un journaliste pour parler d’un projet de l’AMT sans avoir obtenu l’autorisation de la direction de l’AMT, et de la direction des communications, et avoir convenu du message à véhiculer. Le plaignant avait pris des positions au nom de l’AMT qui mettaient les dirigeants de cette dernière dans l’embarras.

[36] Le 26 novembre 2002, madame Junca-Adenot fait parvenir une autre lettre au plaignant à la suite d’un article paru dans le journal « Le Devoir » intitulé « un train de mesures pour se conformer à l’accord de Kyoto ». Elle lui reproche de ne pas avoir suivi les directives de l’organisme. Les prises de position du plaignant sont en totale contradiction avec les décisions officielles de l’AMT.

[37] Richard Bergeron travaille normalement de 9 heures à 17 heures. Il est appelé occasionnellement à travailler le soir ou les fins de semaine, notamment pour participer à des colloques. Ses heures supplémentaires sont compensées en temps. Sa rémunération est très inférieure à celle des vice-présidents.

LES CHARGES POLITIQUES DU PLAIGNANT
[38] Se déclarant insatisfait du manque de volonté politique à l’égard des transports collectifs, de la trop lente évolution et de l’état du transport en commun ainsi que des hausses récentes des coûts pour les usagers, Richard Bergeron décide, afin de faire avancer plus rapidement ses idées, de fonder un parti politique municipal à Montréal. À la fin de l’année 2004, il créé le parti politique « Projet Montréal ». Le président-directeur général de l’AMT, Joël Gauthier, qui dans le passé s’est impliqué dans la vie politique et croit beaucoup à l’action politique, lui donne quelques conseils et l’encourage.

[39] Richard Bergeron décide de se présenter comme candidat à la mairie. Il convient avec l’AMT de prendre un congé sans traitement durant la campagne électorale, soit d’août 2005 à novembre 2005. Il n’est pas question à cette époque de la position de l’AMT advenant qu’il soit élu. Deux partis déjà très connus et structurés sont bien implantés dans la métropole et leurs chefs, Pierre Bourque et Gérald Tremblay, candidats à la mairie, jouissent d’une grande notoriété. Aussi, le président-directeur général et le plaignant ne s’attendent vraiment pas à l’élection de ce dernier. Ils sont d’ailleurs tous les deux extrêmement surpris des résultats de l’élection.

[40] Projet Montréal prône, durant la campagne électorale, le développement des transports collectifs comme instrument de relance de Montréal. Richard Bergeron déclare que, s’il est élu maire, il mettra en chantier, dès le printemps 2006, le premier tronçon du nouveau tramway.

[41] Pendant cette campagne, Richard Bergeron est sollicité à de nombreuses reprises par les journalistes. À la suite des mises en garde qu’il a reçues de son employeur concernant ses activités politiques, il tente de maintenir une ligne de démarcation la plus étanche possible entre Richard Bergeron, employé de l’AMT et Richard Bergeron, candidat à la mairie et chef de parti. Toutefois, cela n’est pas facile et les journalistes ne font pas toujours la distinction lorsqu’il fait des déclarations.

[42] Le soir de l’élection, le plaignant n’est pas élu à la mairie. Toutefois, il y a recomptage judiciaire dans le district DeLorimier de l’arrondissement Plateau Mont-Royal et l’élection de son colistier est confirmée. Richard Bergeron est alors assermenté comme conseiller de ce district au début du mois de décembre 2005.

[43] Le 16 décembre 2005, à la suite d’une réunion du conseil municipal au cours de laquelle le plaignant offre sa collaboration au maire de la ville, ce dernier le convoque en soirée à son bureau. Il lui offre de l’intégrer à la démarche de préparation du plan de transport de la ville.

[44] Selon le plaignant, il doit minimalement, à titre de conseiller municipal, assister une soirée par mois à la séance du conseil d’arrondissement ainsi qu’une soirée par mois à la séance du conseil de ville, et ce, onze mois par année. Il doit également, sur une période totalisant deux journées par année, participer à des rencontres relatives au budget. Ces rencontres ont généralement lieu le jour. Plusieurs conseillers municipaux continuent d’exercer leurs fonctions, outre leur charge d’élu municipal. Toutefois, un conseiller municipal peut également, s’il le souhaite, consacrer tout son temps à sa tâche d’élu municipal. Il peut alors siéger sur divers comités.

[45] Lors d’une émission de télévision, le plaignant déclare consacrer plus de 80 heures par semaine à ses fonctions d’élu municipal et de chef de parti. Il explique que, s’il peut consacrer autant de temps à ses nouvelles fonctions, c’est qu’il n’a plus d’emploi. Il a toujours été très actif et il ne peut rester à rien faire. S’il travaillait à l’AMT, il n’exercerait plus l’ensemble des tâches qu’il effectue présentement, telle celle de siéger sur un comité de jour.

L’INCOMPATIBILITÉ DES FONCTIONS ET LE CONFLIT D’INTÉRÊTS
Les règles d’éthique régissant les employés de l’AMT
[46] En vertu de l’article 16 de la Loi sur l’Agence métropolitaine de transport, les employés de l’AMT ne peuvent, sous peine de déchéance de leur charge, avoir un intérêt direct ou indirect dans une entreprise mettant en conflit leur intérêt personnel et celui de l’AMT.

[47] Le Code d’éthique régissant les employés de l’AMT prévoit notamment les règles suivantes :
Conflit d’intérêts

La Loi constituant l’Agence édicte que tout employé ne peut, sous peine de déchéance de sa charge, avoir un intérêt direct ou indirect dans une entreprise mettant en conflit son intérêt personnel et celui de l’Agence. En conformité avec cet article, la politique générale suivante est établie.
C’est à l’égard de l’entreprise que se situe la première obligation professionnelle des employés de l’Agence. De ce fait, ils doivent se garder d’avoir des intérêts ou d’entretenir des relations qui pourraient être ou sembler être préjudiciables à l’Agence.
La notion de conflit d’intérêts constitue une notion très large. De fait, il suffit, pour qu’il y ait conflit d’intérêts, qu’il existe une situation de conflit potentiel, une possibilité réelle que l’intérêt personnel, qu’il soit pécuniaire ou moral, soit préféré à l’intérêt public. Il n’est donc pas nécessaire que l’employé ait réellement profité de sa charge pour servir ses intérêts ou qu’il ait contrevenu aux intérêts de l’Agence. Le risque que cela se produise est suffisant puisqu’il peut mettre en cause la crédibilité de l’Agence.
De façon générale, un employé doit éviter tout placement, tout intérêt ou toute association susceptible de nuire à l’impartialité des décisions qu’il prend au nom de l’Agence. Il doit s’assurer de réunir toutes les conditions requises au libre exercice de son jugement dans sa prise de décision. À titre d’exemple de situations pouvant entraîner des conflits d’intérêts, mentionnons l’acceptation de cadeaux ou de faveurs, les activités professionnelles extérieures et la possession d’actions.

Activités professionnelles extérieures
L’exercice d’une activité professionnelle à l’extérieur de l’Agence peut donner lieu à un conflit d’intérêts si cette activité est préjudiciable au travail pour lequel l’employé est rémunéré par l’Agence. Les employés de l’Agence ne doivent occuper aucun poste ni emploi extérieur dont les exigences pourraient être incompatibles avec leurs fonctions professionnelles ou mettre en cause leur aptitude à remplir ces fonctions avec objectivité.


Neutralité politique

L’obligation de neutralité politique lie les employés de l’Agence dans l’exercice de leurs fonctions. La neutralité politique implique que les employés doivent, lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions, s’abstenir de tout travail partisan. Elle signifie également que les employés de l’Agence doivent, à l’intérieur même de leurs tâches, faire abstraction de leurs opinions personnelles afin d’accomplir celles-ci avec toute l’objectivité nécessaire.

[48] Tous les contrats de travail des employés de l’AMT, y compris celui du plaignant, prévoient l’obligation pour tout employé de respecter les normes édictées dans ce Code. Le plaignant connaissait ce Code et reconnaît qu’il doit respecter les orientations de l’organisme et se conformer à ses objectifs.

[49] Depuis 2005, le vérificateur interne, qui relève du comité de vérification, une instance du conseil d’administration, a pour mandat de voir à l’application du Code d’éthique. Auparavant, cette responsabilité était dévolue au service des ressources humaines.

Les situations conflictuelles
[50] À la suite de la création du parti politique du plaignant, le président-directeur général de l’AMT est interpellé deux ou trois fois par le conseil d’administration à la suite de déclarations du plaignant. Aussi, il demande au plaignant de faire les distinctions devant les journalistes lorsqu’il parle comme employé de l’AMT et lorsqu’il parle comme chef de parti politique.

[51] En 2005, lorsque l’AMT rend public son PTI, les partenaires accueillent favorablement ce programme alors que Richard Bergeron, à titre de chef de Projet Montréal, le critique parce qu’il ne répond pas aux besoins des Montréalais. Monsieur Bergeron, qui est un grand promoteur d’un réseau de tramway sur le territoire de la Ville de Montréal, souhaitait un investissement dans ce domaine. Or, le PTI prévoyait un investissement massif dans les trains de banlieue.

[52] La position de l’AMT concernant le tramway est plus nuancée que celle de monsieur Bergeron. Un investissement de 250 kilomètres de tramway comme le réclame le plaignant coûterait dix milliards de dollars alors que ce montant constitue essentiellement le budget pour le transport collectif et le maintien des infrastructures. Selon monsieur Bergeron et la Ville de Montréal, les tramways devraient être payés par l’AMT alors que selon l’AMT, seuls les tramways sur les axes métropolitains, tel le boulevard Pie IX, peuvent être financés par l’AMT. Aussi, il n’est pas question pour l’AMT d’investir pour un tramway sur le boulevard Rosemont, une voie urbaine.

[53] En campagne électorale, Projet Montréal organise une soirée-conférence le 23 février 2005 concernant le projet de pont de l’autoroute 25. Le même jour, vers 16 h 30, Michel Fortier, secrétaire général et vice-président affaires corporatives, juridiques et immobilières, et Céline Desmarteau, vice-présidente administration et finances et trésorière, rencontrent le plaignant afin de lui faire part du risque d’association entre ses propos et l’AMT et lui demandent d’en tenir compte lors de cette soirée. Le plaignant se dit conscient de la situation et s’engage à être prudent.

[54] En soirée, le plaignant se prononce publiquement et s’oppose de façon vigoureuse à la construction de ce pont. À une période contemporaine, l’AMT reçoit le mandat du gouvernement du Québec, d’agir comme conseiller expert auprès du Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Elle doit, de façon neutre et objective, assister le BAPE dans l’analyse des mémoires reçus et ses délibérations concernant la construction de ce pont.

[55] Richard Bergeron a des positions idéologiques connues. Il est, selon Joël Gauthier, « pour le transport collectif, pour l’urbanisation, pro-Montréal et anti-banlieue ». Or, l’AMT ne dessert pas uniquement Montréal mais l’ensemble des municipalités de son territoire. Elle doit investir dans le réseau des trains de banlieue. Elle n’a pas seulement pour mission le transport en commun. Elle doit également contribuer à améliorer les routes qui ont une vocation métropolitaine.

[56] Le 6 décembre 2005, Richard Bergeron propose au président-directeur général de procéder à une étude de faisabilité, en partenariat avec la Ville de Montréal, sur la tarification du stationnement sur rues. Cette possibilité de partenariat démontre, selon lui, qu’il n’y a pas incompatibilité entre son statut d’élu municipal et ses fonctions à l’AMT, même s’il reconnaît qu’il puisse y avoir éventuellement des points de divergence entre l’AMT et la Ville concernant ce dossier.

[57] À titre de chef d’un parti politique dans l’opposition, il peut questionner les élus et les dirigeants de la Ville alors que l’AMT négocie avec les fonctionnaires ou le maire.

[58] Le plaignant déclare s’être toujours imposé une ligne de démarcation entre l’auteur, l’employé, le chef de parti et l’élu municipal. Il dit toujours se rappeler dans quel rôle il agit et que sa manière de s’exprimer peut varier selon ce rôle. Il dit connaître son devoir de réserve et en faire souvent usage. Il précise généralement à quel titre il parle et demande aux journalistes de faire les distinctions qui s’imposent. Cependant, il a pu oublier à quelques reprises de le faire. « Les journalistes doivent distinguer ses divers chapeaux », ce qu’ils ne font pas toujours, selon Richard Bergeron.

[59] Selon le plaignant, des sujets comme l’organisation urbaine et le transport sont avant tout politiques et il est impossible de dire quoi que ce soit sans que cela ne déplaise à certaines personnes. Le transport public est un choix politique. L’œil critique de l’AMT n’est pas celui du citoyen.

LA FIN D’EMPLOI
[60] Le plaignant revient au bureau le 8 novembre 2005, soit à la fin de son congé sans traitement. Il informe Joël Gauthier que s’il est élu, il entend, compte tenu de son salaire à l’AMT, renoncer à son salaire d’élu municipal et le distribuer à des œuvres de charité. Ce salaire d’élu municipal représente environ les deux tiers de son salaire à l’AMT. Monsieur Gauthier lui signale l’incompatibilité de sa charge d’élu municipal avec sa fonction au sein de l’AMT et lui demande ce qu’il entend faire.

[61] Il y a recomptage judiciaire et, le 1er décembre 2005, monsieur Bergeron est assermenté. Le 6 décembre 2005, Joël Gauthier et Michel Fortier rencontrent le plaignant et l’avisent qu’il y a incompatibilité entre sa charge d’élu municipal et ses fonctions à l’AMT et apparence de conflit d’intérêts, selon les deux avis juridiques qu’ils ont reçus. Ils lui proposent, conformément à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q., c. E-2.2), un congé sans traitement à temps complet, pendant la durée de son mandat. L’AMT lui donne un délai de réflexion.

[62] Le 20 décembre 2005, Joël Gauthier confirme par écrit son offre d’un congé sans traitement et avise le plaignant qu’à défaut par ce dernier de l’accepter, il y aura rupture du lien d’emploi. Il lui donne à nouveau un délai de réflexion qui sera prolongé, à la demande du plaignant. Le plaignant, qui veut cumuler sa charge d’élu municipal et ses fonctions à l’AMT, refuse cette offre. L’avocat du plaignant et l’AMT ont tenté de négocier une fin d’emploi, mais n’ont pu s’entendre. Le 20 janvier 2006, l’AMT cesse de rémunérer le plaignant.

LA RECEVABILITÉ DE LA PLAINTE
[63] La Commission doit d’abord disposer du moyen préliminaire soumis par l’AMT. Elle doit déterminer si le plaignant est un cadre supérieur ou s’il a démissionné de son poste.

LE STATUT DE CADRE SUPÉRIEUR
Les arguments des parties
[64] L’AMT plaide que Richard Bergeron est un cadre supérieur puisqu’à titre de responsable des analyses stratégiques, il participe au développement stratégique de l’organisme. Il y exerce des fonctions importantes. Il participe aux orientations et agit comme « ambassadeur » de l’AMT.

[65] Richard Bergeron soutient qu’il n’occupe pas un poste hiérarchique élevé au sein de l’organisme, qu’il n’a personne sous son autorité et qu’il ne peut lier l’AMT. Il exerce des activités de nature professionnelle et technoscientifique. Il n’a aucun pouvoir décisionnel et ne bénéficie pas de l’autonomie que l’on accorde généralement aux professionnels et aux scientifiques.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[66] L’article 3 (6o) de la Loi sur les normes du travail exclut le cadre supérieur de la plupart des dispositions de cette loi, dont l’article 124 concernant le recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante. Le législateur, par contre, n’a pas défini l’expression « cadre supérieur ». Il faut donc s’en remettre aux critères établis par la doctrine et la jurisprudence pour déterminer si un employé bénéficie d’un tel statut. Ces critères se résument comme suit :

1. La position hiérarchique de l’employé : il doit faire partie de la haute direction;
2. La gestion du personnel : ce critère n’est toutefois pas toujours concluant;
3. Les relations avec le propriétaire : le cadre supérieur relève, en règle générale, directement du président de l’entreprise ou de ses propriétaires;
4. Les conditions de travail du salarié ainsi que son arrivée et sa progression dans l’entreprise;
5. La participation de l’employé à la gestion : le cadre supérieur doit participer à l’élaboration des décisions politiques de l’entreprise, à savoir les stratégies et les politiques de cette dernière, ainsi qu’à la détermination des moyens pour assurer la rentabilité ou la croissance de l’entreprise;
6. Le pouvoir décisionnel : le cadre supérieur doit jouir d’une autonomie, d’une discrétion et d’un pouvoir décisionnel important et ne pas simplement coordonner les activités de l’entreprise ou être un simple exécutant des décisions et des priorités de l’employeur.

[67] Ces critères varient selon la taille, la structure et les secteurs d’activités de l’entreprise. Toutefois, parmi l’ensemble de ces critères, les quatre premiers ne sont que des indices alors que les cinquième et sixième sont prédominants, comme le rappelle l’honorable juge René Dussault de la Cour d’appel dans l’affaire Commission des normes du travail c. Beaulieu (2001 CanLII 20647 (QC CA), 2001 R.J.D.T. 10) :

À mon avis, le cadre supérieur est celui qui participe à l’élaboration des politiques de gestion et à la planification stratégique de l’entreprise. Il doit avoir un grand pouvoir décisionnel et non simplement coordonner les activités de l’entreprise ou appliquer les politiques de gestion élaborées par la haute direction. Les fonctions d’un cadre supérieur ne seront évidemment pas les mêmes dans une société d’assurance opérant à la grandeur du Canada et dans une petite ou moyenne entreprise, à caractère local, telle une boulangerie. C’est pourquoi il est aussi nécessaire d’examiner le contexte particulier de l’entreprise pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur. (…)

[68] Il faut également noter que la notion de cadre supérieur doit s’interpréter de façon restrictive puisqu’elle est une exception à l’application de la plupart des dispositions de la Loi sur les normes du travail.

[69] Ces balises étant posées, que retenir de la preuve?

[70] L’application des quatre premiers critères, soit la position hiérarchique, la gestion du personnel, les relations avec le propriétaire et les conditions de travail, ne milite pas en faveur de la reconnaissance d’un statut de cadre supérieur. Richard Bergeron n’occupe pas un poste élevé dans la hiérarchie de l’organisme. Il ne relève pas du conseil d’administration, ni du président-directeur général. Il ne siège par au comité de direction. Il n’exerce pas de fonctions relatives à la gestion du personnel. Il n’a pas le salaire d’un cadre supérieur et ses heures supplémentaires de travail doivent, en vertu de son contrat de travail, être autorisées.

[71] Arrivent enfin les critères prépondérants pour qualifier un employé de cadre supérieur au sens de la loi, soit la participation de l’employé à la gestion de l’organisme et son pouvoir décisionnel, compte tenu des caractéristiques de l’entreprise. La preuve ne convainc pas la Commission, qu’au moment de sa fin d’emploi, le plaignant participe à l’élaboration des politiques et des stratégies de l’AMT et qu’il a un pouvoir décisionnel important.

[72] La Commission ajoute que, même si le plaignant travaillait encore à la mise à jour du plan stratégique de développement du transport métropolitain, cette activité ne fait pas de lui un cadre supérieur. Il faut distinguer entre la participation à l’élaboration des stratégies et des politiques de l’AMT et la coordination d’activités reliées à une activité régulière de l’entreprise. La planification stratégique du développement du transport métropolitain, un mandat confié par le législateur à l’AMT, fait partie des opérations régulières de cet organisme public supra municipal. De nombreuses personnes et de nombreux partenaires sont impliqués dans l’élaboration de ce plan et le plaignant y a joué essentiellement un rôle de coordonnateur.

[73] La Commission ne peut donc reconnaître au plaignant le statut de cadre supérieur.

LA DÉMISSION
Les arguments des parties
[74] L’AMT allègue que Richard Bergeron, en prenant la décision d’agir comme conseiller municipal et chef de parti politique, démissionnait implicitement de son poste de responsable des analyses stratégiques puisque ses fonctions politiques sont incompatibles avec celles qu’il exerce à l’AMT.

[75] Richard Bergeron plaide n’avoir jamais démissionné. Il n’a jamais posé un geste indiquant une telle intention. Au contraire, il a refusé le congé sans traitement que lui offrait son employeur. De plus, on ne l’a jamais formellement informé que s’il devenait élu municipal, il serait considéré démissionnaire.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[76] La doctrine et la jurisprudence ont déterminé les éléments qui doivent être analysés pour statuer s’il s’agit d’une démission ou d’un congédiement. L’affaire Maçonnerie J.L.N. c. Union internationale des journaliers de l’Amérique du Nord, local 62 (arbitre Jean-Pierre Lussier, 19 mars 1981, SA-81-03-194) constitue l’arrêt de principe en cette matière. Les principes qui y sont énoncés sont repris unanimement par la jurisprudence subséquente:

a. Toute démission comporte à la fois un élément objectif et subjectif;
b. La démission est un droit qui appartient à l’employé et non à l’employeur, elle doit donc être volontaire;
c. La démission s’apprécie différemment selon que l’intention de démissionner est ou non exprimée;
d. L’intention de démissionner ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation;
e. L’expression de son intention de démissionner n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé;
f. En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse généralement de conclure à une démission;
g. La conduite antérieure et ultérieure des parties constitue un élément pertinent dans l’appréciation de l’existence d’une démission.

[77] L’AMT ne pouvait conclure à la démission du plaignant du simple fait qu’il occupait d’autres fonctions. À maintes reprises, les tribunaux ont décidé qu’un employeur ne peut inférer du fait qu’un salarié travaille ailleurs qu’il a démissionné. La démission ne se présume pas et, en l’absence d’une preuve directe, l’employeur doit la prouver par une preuve circonstancielle convaincante. (Ladouceur c. Compumédia Design 1996 inc., D.T.E. 2002T-538, Boudreau c. Exploitation Jaffa inc., D.T.E. 2004-61, Roy c. Constructions paysannes inc., 1999 R.J.D.T. 1741).

[78] La démission est un droit qui appartient au salarié. À aucun moment, Richard Bergeron n’exprime verbalement ou par écrit son intention de démissionner. Au contraire, il mentionne expressément qu’il veut cumuler sa charge d’élu municipal et ses fonctions de responsable des analyses stratégiques auprès de l’AMT.

[79] Il appartenait à l’AMT de convaincre la Commission de l’existence d’une démission. Elle a failli dans sa tâche. La preuve démontre qu’elle a eu de nombreuses discussions avec le plaignant avant de cesser de le rémunérer. Elle lui a offert un congé sans traitement qu’il a refusé. Elle a tenté de négocier des mesures de fin d’emploi. Une telle conduite est incompatible avec une démission libre et volontaire.

[80] La Commission conclut que la plainte de Richard Bergeron est recevable.

LE BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE
LES ARGUMENTS DES PARTIES
L’AMT
[81] L’AMT plaide d’abord qu’il y a incompatibilité pour le plaignant, tant d’un point de vue légal que d’un point de vue contractuel, entre sa charge de conseiller municipal, à titre de représentant d’un parti politique dont il est le fondateur et unique membre élu, et celle de responsable des analyses stratégiques. Il ne peut cumuler ces deux fonctions.

[82] Du point de vue légal, l’AMT souligne l’obligation de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec (L.Q., 1991, c.64) qui comporte celle d’éviter toute situation de conflit d’intérêts, l’obligation d’un employeur d’accorder un congé sans traitement à un employé qui est membre du conseil d’une municipalité, édictée à l’article 348 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q., c. E-2.2) ainsi que l’obligation apparaissant à l’article 16, alinéa 2 de la Loi sur l’agence métropolitaine de transport, voulant qu’un employé de l’Agence ne puisse, sous peine de déchéance de sa charge, avoir un intérêt direct ou indirect dans une entreprise mettant en conflit son intérêt personnel et celui de l’AMT.

[83] Du point de vue contractuel, l’AMT signale la clause d’exclusivité des fonctions prévue à l’article 1 du contrat de travail du plaignant et l’engagement du plaignant à respecter les règles d’éthique édictées par son employeur (article 4.3 du contrat). Or, le Code d’éthique de l’AMT prévoit notamment :

Une activité extérieure d’un employé peut donner lieu à un conflit d’intérêts si cette activité est potentiellement préjudiciable au travail pour lequel il est rémunéré. L’employé ne peut occuper un poste qui met en cause ses aptitudes à remplir ses tâches avec objectivité.



L’employé a une obligation de neutralité politique et il doit ainsi s’abstenir de tout travail partisan.

[84] L’AMT plaide ensuite l’existence d’une situation apparente de conflit d’intérêts. Son Code d’éthique définit ainsi la notion de conflit d’intérêts :

La notion de conflit d’intérêts constitue une notion très large. De fait, il suffit, pour qu’il y ait conflit d’intérêts, qu’il existe une situation de conflit potentiel, une possibilité réelle que l’intérêt personnel, qu’il soit pécuniaire ou moral, soit préféré à l’intérêt public. Il n’est donc pas nécessaire que l’employé ait réellement profité de sa charge pour servir ses intérêts ou qu’il ait contrevenu aux intérêts de l’Agence. Le risque que cela se produise est suffisant puisqu’il peut mettre en cause la crédibilité de l’Agence.

[85] Elle rappelle que pour déterminer l’existence d’un conflit d’intérêts, la Commission doit, selon la jurisprudence, appliquer le test suivant :

• d’une part, d’un point de vue du tiers raisonnable et raisonnablement informé;

• d’autre part, par un examen de l’impact des activités personnelles de l’employé sur sa capacité d’accomplir ses tâches et sur la crédibilité des programmes ou politiques que met en œuvre l’employé au nom de l’employeur.

[86] L’AMT souligne que ses décisions doivent tenir compte en toute équité des intérêts de l’ensemble des municipalités qu’elle dessert. Par ailleurs, le devoir de conseiller municipal de la ville de Montréal est de servir au mieux les intérêts de cette dernière et ceci peut se faire au détriment des intérêts des autres municipalités.

[87] Le plaignant ne peut, par devoir de loyauté, laisser ses engagements politiques affecter de façon préjudiciable l’accomplissement de son travail ou la crédibilité des actions de l’AMT, directement ou indirectement, ou créer une telle perception. Un employé d’un organisme public a le devoir de préserver une perception réelle et apparente d’une fonction publique impartiale et efficace. Les tribunaux, appelés à se prononcer sur des conflits d’intérêts, accordent la priorité à l’intérêt public sur l’intérêt privé.

[88] En l’espèce, il s’agit de se prononcer sur deux intérêts publics incompatibles dont les facteurs déterminants devraient non seulement être la crédibilité des programmes publics envers le contribuable mais également la teneur des engagements de Richard Bergeron envers son employeur.

[89] L’AMT plaide enfin que, bien que la liberté d’expression soit un droit fondamental, celui-ci ne peut être exercé de façon absolue ou inconditionnelle. La Cour suprême a évalué que ce droit peut être restreint en fonction d’autres valeurs importantes et concurrentes telles que le devoir du fonctionnaire de faire en sorte que la fonction publique envers laquelle il a une obligation de loyauté soit impartiale et efficace (Cf. Fraser c. C.R.T.F.P., (1985) 1985 CanLII 14 (CSC), 2 R.C.S. 455). Cette liberté d’expression est aussi circonscrite par la fonction qu’occupe un fonctionnaire et par l’incidence néfaste que peut avoir la situation sur son habileté à exercer ses fonctions de façon neutre et objective. De plus, les chartes protégeant les droits et libertés ne peuvent permettre à un fonctionnaire d’occuper un poste incompatible avec ses fonctions, au surplus lorsqu’il existe une situation apparente de conflit d’intérêts.

Richard Bergeron
[90] Richard Bergeron plaide que son congédiement contrevient à ses droits à la liberté d’opinion, à la liberté d’association et à la liberté d’expression, des droits fondamentaux reconnus par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) (la Charte québécoise) et par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)] (la Charte canadienne) ainsi qu’à son droit de se porter candidat lors d’une élection, un droit démocratique également reconnu par l’article 22 de la Charte québécoise et par l’article 3 de la Charte canadienne. Il soutient que cette dernière disposition législative vise les élections municipales, vu l’article 32 b) de cette charte.

[91] Le plaignant souligne que l’AMT est une agence gouvernementale qui agit comme mandataire du gouvernement du Québec (art. 2 de la Loi sur l’agence métropolitaine de transport) et qu’à ce titre, elle est assujettie à la Charte canadienne et se doit de ne pas porter atteinte aux droits du plaignant protégés par cette charte.

[92] Le plaignant rappelle que les tribunaux ont invalidé à plusieurs reprises, en vertu des droits précités protégés par les chartes, des lois ou des règlements qui interdisaient à des employés de se présenter candidats lors d’élections ou de travailler pour ou contre un parti politique ou pour un candidat à une élection et ont annulé des destitutions. Les tribunaux ont également reconnu que le droit de se porter candidat à une élection comprenait également le droit d’être élu. [Cf. Tremblay c. Procureur général du Québec, EYB 1990-83795 (C.S.); Delisle c. Procureure générale du Canada, 1998 CanLII 9516 (QC CS), REJB 1998-08008 (C.S.); Osborne c. Canada (P.G.), (1991) 1991 CanLII 68 (CSC), 2 R.C.S. 211].

[93] Le plaignant plaide également que l’article 1 de la Charte canadienne, qui prévoit que les droits protégés peuvent être restreints par une règle de droit « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique », ne peut s’appliquer en l’espèce parce que le congédiement ne résulte pas d’une contravention à une règle de droit. L’AMT a décidé de le congédier parce qu’il y avait incompatibilité de fonctions. Il s’agit d’une décision administrative qui ne peut être assimilée à une règle de droit.

[94] Subsidiairement, il soutient que l’article 1 de la Charte canadienne ne peut justifier son congédiement. Il était déraisonnable de mettre fin à son lien d’emploi au motif d’une apparence de conflit d’intérêts, sans explorer d’autres avenues. L’AMT aurait pu apporter des modifications à ses tâches. L’offre d’un congé sans traitement n’étant pas une mesure d’accommodement raisonnable, son congédiement doit être annulé.

[95] Quant à l’article 9.1 de la Charte québécoise, il ne vise que des limites aux libertés et droits fondamentaux, tels qu’ils sont décrits aux articles 1 à 9 de cette loi. Il ne peut donc y avoir de limites au droit politique prévu à l’article 22 de la Charte québécoise, soit celui de se porter candidat à une élection.

[96] Richard Bergeron plaide enfin qu’il n’y a aucune preuve qu’il a failli à son devoir de loyauté à la suite de son élection. On ne peut congédier un employé sur de simples hypothèses. Le plaignant respecte la séparation entre ses diverses fonctions et fait les distinctions qui s’imposent. Il précise au besoin à quel titre il parle. De plus, il ne détient aucune information confidentielle et n’a aucun pouvoir décisionnel à l’AMT.

[97] Au surplus, en aucun moment son employeur ne l’a avisé qu’il devrait mettre fin à son emploi s’il était élu. Au contraire, en l’encourageant dans ses démarches, il acceptait implicitement sa charge d’élu municipal.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION
LES MOTIFS DE FIN D’EMPLOI
[98] Le présent litige soulève plusieurs questions de fait et de droit. La Commission traitera d’abord des motifs de rupture du lien d’emploi invoqués par l’employeur, à savoir un conflit d’intérêts apparent et l’incompatibilité entre les fonctions du plaignant à l’AMT et celles d’élu municipal et de chef de parti politique. Il est utile de rappeler que l’AMT a mis fin à l’emploi du plaignant après que celui-ci eut refusé son offre d’un congé sans traitement conforme aux règles prévues à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. Cette loi permet au conseiller municipal élu qui le souhaite d’obtenir un congé sans traitement, total ou partiel, pour la durée de son mandat et d’obtenir durant ce congé les avantages dont il bénéficierait s’il était au travail (Cf. art. 347 à 355 de cette loi).

Le conflit d’intérêts apparent
[99] Tout employé a une obligation de loyauté envers son employeur. Cette obligation est ainsi codifiée à l’article 2088 du Code civil du Québec :

Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.

[100] L’auteur F. Hébert dans L’obligation de loyauté du salarié (Wilson & Lafleur ltée, Montréal, 1995, p. 50), définit ainsi cette obligation de loyauté :

L’obligation de loyauté se manifeste de plusieurs façons dans la relation entre employeur et employé. Le Code civil du Québec impose maintenant au salarié un double devoir de loyauté et de discrétion. Le salarié doit agir de façon à promouvoir les intérêts de son employeur et ne jamais adopter une conduite préjudiciable à son endroit. L’obligation de loyauté oblige le salarié à éviter les situations de conflit d’intérêts, à s’abstenir de divulguer ou d’utiliser des secrets de fabrication, de s’approprier ou diffuser une liste de clients et de publiciser toute information confidentielle relative à la compagnie, à assurer l’employeur de l’exclusivité de son activité professionnelle, à moins que l’activité secondaire n’affecte son rendement au travail et ne constitue une concurrence déloyale et à ne point dénoncer ou critiquer publiquement son employeur.

(Les soulignés de la Commission.)

[101] La jurisprudence reconnaît qu’un conflit d’intérêts potentiel peut constituer un manquement à l’obligation de loyauté, d’autant plus si l’employeur démontre le caractère raisonnable de l’appréhension envisagée (Cf. HÉBERT, F., L’obligation de loyauté, op. cit., p. 51 à 58). Un employé doit éviter de se placer dans une situation de conflit d’intérêts potentiel, c’est-à-dire une situation où il serait susceptible de faire primer ses intérêts ou ceux d’un tiers sur ceux de son employeur.

[102] Le deuxième alinéa de l’article 16 de la Loi sur l’Agence métropolitaine de transport traite des intérêts personnels d’un employé ou d’un administrateur de l’AMT. Le deuxième alinéa de cet article édicte qu’un employé ne peut, sous peine de déchéance de sa charge, avoir un intérêt direct ou indirect dans une entreprise mettant en conflit son intérêt personnel et celui de l’AMT. Appelé à se prononcer sur le premier alinéa de cette disposition législative qui, elle, vise le droit de vote du membre du conseil d’administration qui est en situation de conflit d’intérêts personnel, le juge Jean-Jacques Croteau de la Cour supérieure déclarait, dans l’affaire Conférence des maires de la banlieue de Montréal c. Procureur général du Québec (AZ-97021040), que l’élu municipal qui siège au conseil d’administration de l’AMT ne pose pas des actes personnels dans l’administration de l’État mais des actes propres à l’État au nom de la collectivité. Il statuait que l’intérêt d’administrateur de l’AMT ne constitue pas un intérêt personnel mais « qu’il peut devenir un intérêt institutionnel » et que l’article 16 de la loi ne vise que l’intérêt personnel.

[103] La notion de conflit d’intérêts est large et peut viser des situations autres que celles mentionnées à l’article 16 de la Loi sur l’Agence métropolitaine de transport. Dans l’affaire Ville de Montréal c. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (AZ-85142046), l’arbitre Roland Tremblay définissait ainsi le conflit d’intérêts :

La situation de conflit d’intérêts est celle dans laquelle une personne se trouve dans l’obligation ou dans la possibilité d’avoir à choisir entre deux intérêts.

Ces deux intérêts peuvent être soit le sien et celui de son employeur, ou soit l’intérêt d’un de ses amis ou d’une personne qu’il veut servir et l’intérêt de la personne qu’il doit servir.

Avec une telle définition, il n’est pas nécessaire qu’il ait à choisir entre deux intérêts, il suffit qu’il soit dans la situation d’avoir à choisir.

[104] L’intensité de l’obligation d’éviter toute situation de conflit d’intérêts, varie selon les fonctions exercées par le salarié, son niveau de responsabilité, la nature des activités en cause et l’existence de politiques de l’employeur.

[105] L’AMT a adopté des règles en matière de conflit d’intérêts. Lors de son embauche, le plaignant s’est engagé à respecter le Code d’éthique et de déontologie régissant les employés de l’AMT. Ce Code prévoit notamment que :

• une situation de conflit potentiel est une situation de conflit d’intérêts;
• une activité professionnelle à l’extérieur de l’AMT peut donner lieu à un conflit d’intérêts si cette activité est préjudiciable au travail pour lequel l’employé est rémunéré;
• un employé doit se garder d’avoir des intérêts ou d’entretenir des relations qui pourraient être ou sembler être préjudiciables à l’AMT;
• un employé doit éviter toute association susceptible de nuire à l’impartialité des décisions qu’il prend au nom de l’AMT;
• un employé ne doit occuper aucun poste ni emploi extérieur dont les exigences pourraient être incompatibles avec ses fonctions professionnelles ou mettre en cause son aptitude à remplir ses fonctions avec objectivité.

[106] Richard Bergeron est responsable des analyses stratégiques. Bien qu’il ne soit pas un cadre supérieur au sens de l’article 3 de la Loi sur les normes du travail, il exerce des fonctions importantes au sein de l’AMT et jouit d’une grande autonomie professionnelle. Il est appelé à faire des recommandations au conseil d’administration ou au vice-président planification et développement. Il assure la réalisation de différentes études et analyses utilisées par l’AMT afin de justifier ses décisions ou d’élaborer ses positions. Il siège et représente l’AMT sur différents comités nationaux et provinciaux. Il agit comme conférencier dans de nombreux colloques. Il se définit alors comme « un ambassadeur de l’AMT » et doit souvent répondre aux questions des journalistes. Il a des relations constantes avec les médias et jouit d’une grande visibilité dans l’exercice de ses fonctions. La nature de ses fonctions et de ses responsabilités exige un haut niveau de confiance.

[107] Son employeur, l’AMT, adopte des plans stratégiques de développement et des programmes triennaux d’immobilisations qui ont des impacts pour la Ville de Montréal. Elle est appelée à arbitrer les intérêts de la Ville de Montréal avec ceux de ses autres partenaires. Elle décide de l’octroi ou non d’aide financière à la Ville. Elle rend des décisions qui lient la Ville. Elle conclut différentes ententes avec la Ville sur des questions où leurs intérêts peuvent diverger. Elle décide de la répartition de certains coûts entre la Ville et d’autres partenaires. Elle doit, compte tenu de sa mission, ses pouvoirs et son mode de financement, agir avec transparence et objectivité. La mise en place de ses programmes et ses décisions doivent être dénuées de tout soupçon de partisanerie.

[108] À titre de conseiller municipal à la Ville de Montréal et au sein de l’arrondissement du Plateau, le plaignant est appelé à se prononcer et à participer aux décisions des conseils municipaux de la ville et de l’arrondissement, notamment en matière de transport en commun. Il n’agit pas en son nom personnel mais pour et au nom des citoyens de la ville et de son arrondissement. (Cf. Conférence des maires de la banlieue de Montréal c. Procureur général du Québec précité). Il doit défendre leurs intérêts, et ceci peut se faire au détriment des intérêts de l’AMT, qui doit tenir compte en toute équité des intérêts de l’ensemble des municipalités sur son territoire. La preuve démontre d’ailleurs que la Ville de Montréal tente d’obtenir le plus d’investissements possible, compte tenu de sa contribution à l’AMT, et ce, objectivement, au détriment des autres municipalités.

[109] À titre de président et de membre fondateur du parti politique, Projet Montréal, le plaignant a un intérêt personnel à faire valoir les idées de ce parti, qui sont les siennes. Insatisfait du manque de volonté politique à l’égard des transports collectifs, de la trop lente évolution et de l’état du transport en commun ainsi que des hausses récentes des coûts pour les usagers, il a décidé, afin de faire avancer plus rapidement ses idées, de fonder ce parti politique. Il souhaite que le programme de son parti se réalise.

[110] Projet Montréal prône le développement des transports collectifs. Le plaignant s’engage à mettre rapidement en chantier le premier tronçon d’un nouveau tramway alors que l’AMT a privilégié des investissements massifs dans les trains de banlieue. De plus, selon le plaignant et la Ville, les tramways doivent être payés par l’AMT alors que, selon l’AMT, seuls les tramways sur les axes métropolitains peuvent être financés par l’AMT.

[111] À titre de chef de Projet Montréal, Richard Bergeron critique le programme triennal d’immobilisations de l’AMT parce qu’il ne répond pas aux besoins des Montréalais. Selon le plaignant, l’AMT aurait dû investir davantage dans un réseau de tramways sur le territoire de la Ville plutôt que d’investir dans les trains de banlieue.

[112] Pendant la campagne électorale, Projet Montréal organise une soirée-conférence concernant le projet de pont de l’autoroute 25. Le plaignant s’y prononce publiquement et s’oppose de façon vigoureuse à la construction de ce pont alors que l’AMT doit agir, à la demande du gouvernement, comme conseiller expert auprès du Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE). L’AMT doit, de façon neutre et objective, assister le BAPE dans l’analyse des mémoires reçus et dans ses délibérations relativement à la construction de ce pont.

[113] La Commission est d’avis qu’il existe une situation potentielle et apparente de conflit d’intérêts entre les fonctions exercées par le plaignant à l’AMT et sa charge d’élu municipal et de chef de parti politique. L’AMT a démontré le caractère raisonnable de l’appréhension envisagée, compte tenu des déclarations du plaignant durant la campagne électorale et des intérêts divergents entre l’AMT et la Ville de Montréal ou entre l’AMT et Projet Montréal.

[114] Du point de vue d’un tiers raisonnable et raisonnablement informé, le plaignant est en situation de conflit d’intérêts. Lorsqu’il agit à titre de conseiller municipal et que les intérêts de ses électeurs divergent de ceux de l’AMT, le plaignant doit choisir entre les intérêts de ceux qu’il représente et les intérêts de l’AMT. Lorsqu’il agit à titre de chef de parti politique, et que le programme du parti diffère ou diverge des décisions ou du mandat de l’AMT, il doit choisir entre l’intérêt du parti qui prône ses idées et celui de son employeur.

[115] La crédibilité des programmes ou politiques de l’AMT auxquels le plaignant participe par ses études, ses recherches et ses recommandations, ou encore commente dans le cadre de ses conférences ou en réponse à des journalistes, est affectée par les activités du plaignant à titre d’élu municipal et de chef de parti. Il en est également ainsi de la crédibilité de l’AMT au sein de divers comités nationaux ou provinciaux où elle est représentée par le plaignant. L’AMT a des raisons objectives de ne plus faire confiance au plaignant parce que les engagements et les activités politiques de ce dernier peuvent affecter de façon préjudiciable l’accomplissement de son travail ou la crédibilité des actions de l’AMT, directement ou indirectement, ou créer une telle perception.

L’incompatibilité des fonctions
[116] Les fonctions exercées par le plaignant à l’AMT et celles d’élu municipal et de chef de parti politique sont incompatibles du seul fait de l’existence d’un conflit d’intérêts potentiel ou apparent. Mais il y a plus. Le plaignant s’est engagé, lors de la signature de son contrat de travail, à travailler à titre exclusif et à temps plein pour l’AMT. Le plaignant consacre plus de 80 heures par semaine à ses tâches d’élu municipal et de chef de parti. La preuve démontre qu’un élu municipal doit remplir certaines tâches, dont celle de participer quelques jours par année aux travaux relatifs au budget. Bien que le plaignant déclare disposer de beaucoup de temps parce qu’il n’a plus d’emploi, il est difficile de penser qu’il pourrait continuer à travailler à temps plein, à titre exclusif, à l’AMT.

[117] Le plaignant s’est également engagé à respecter le Code d’éthique de l’AMT qui prévoit l’obligation de neutralité politique pour ses employés. Ceux-ci doivent « s’abstenir de tout travail partisan et faire abstraction de leurs opinions personnelles afin d’accomplir leurs tâches avec toute l’objectivité nécessaire ». L’AMT est en droit d’exiger du plaignant, compte tenu de ses responsabilités, qu’il exerce ses fonctions, indépendamment de toute considération politique partisane.

[118] Tel que le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Fraser c. C.R.T.F.P. précité, un employé d’un organisme public, tel l’AMT, a le devoir de préserver une perception d’une fonction publique impartiale et efficace. À quelques reprises dans le passé, l’AMT a dû d’ailleurs rappeler au plaignant, qui jouit d’une grande visibilité dans l’exercice de ses fonctions, son devoir de réserve parce que ses prises de position publiques la mettaient dans l’embarras ou étaient en contradiction avec ses décisions officielles.

[119] Pourquoi le plaignant s’impose-t-il une ligne de démarcation la plus étanche possible entre son poste à l’AMT et sa charge d’élu municipal et de chef de parti et demande-t-il aux journalistes de faire les distinctions qui s’imposent? Pourquoi déclare-t-il toujours se rappeler dans quel rôle il agit et que sa manière de s’exprimer peut varier selon ce rôle, s’il n’y a aucune incompatibilité entre ses diverses fonctions? Poser la question, c’est y répondre.

[120] Enfin, le plaignant ne peut prétendre que le fait que Joël Gauthier lui donne quelques conseils et l’encourage dans son action politique constitue une acceptation de sa charge d’élu municipal. Il est utile de rappeler que, pendant la campagne électorale, le plaignant n’a pas cumulé sa fonction de responsable des analyses stratégiques à l’AMT et celle d’un candidat aux élections. Il a convenu avec son employeur de prendre un congé sans traitement pendant la campagne électorale, conformément à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. De plus, s’il ne fut jamais question de son emploi à l’AMT advenant son élection, c’est que ni Joël Gauthier, ni même le plaignant, rappelons-le, n’ont cru un seul instant à l’élection de ce dernier.

L’atteinte aux droits et libertés du plaignant
[121] Par ailleurs, la Commission doit déterminer si la décision de l’AMT de mettre fin à l’emploi du plaignant porte atteinte aux droits reconnus au plaignant par la Charte québécoise et, parce que l’AMT est une agence mandataire du gouvernement, par la Charte canadienne (Cf. art. 32 b). Elle doit également déterminer, le cas échéant, si l’atteinte aux droits du plaignant constitue une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique.

[122] Le plaignant bénéficie, en vertu de ces chartes, de droits fondamentaux et politiques. Les dispositions législatives pertinentes se lisent comme suit :
Charte des droits et libertés de la personne :

Chapitre 1 – Libertés et droits fondamentaux

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

9.1 Les liberté et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

Chapitre II – Droits politiques

22. Toute personne légalement habilitée et qualifiée a droit de se porter candidat lors d’une élection et a droit d’y voter.

Charte canadienne des droits et libertés :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d’association.
3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

32. (1) La présente charte s’applique :
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

(Les soulignés de la Commission.)
[123] Ainsi, en vertu des Chartes canadienne et québécoise, le plaignant bénéficie des droits à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression et à la liberté d’association. Il bénéficie également, en vertu de la Charte québécoise, du droit politique de se porter candidat lors d’une élection. Toutefois, il ne peut bénéficier du droit d’éligibilité prévu à l’article 3 de la Charte canadienne, puisque seules les élections législatives fédérales ou provinciales sont visées par cette disposition législative. La Commission ne peut retenir les prétentions du plaignant à l’effet que, compte tenu de l’article 32 b) de cette loi, les élections municipales sont visées par cette disposition législative parce qu’il s’agit d’un domaine de compétence provinciale. L’article 32, qui a pour but de déterminer les personnes assujetties à la charte, n’a pas pour effet d’élargir la portée de l’article 3. Comme le mentionnait la juge Lyse Lemieux de la Cour supérieure dans l’affaire Tremblay c. Procureur général du Québec précitée :

101. L’article 3 de la Charte a été écarté du débat parce qu’il s’agissait d’un cas de juridiction provinciale. L’article 3 en effet n’offre la garantie de droit que pour les élections législatives fédérales ou provinciales dont ne font pas partie celles des conseils municipaux.

[124] Les tribunaux ont reconnu qu’une règle interdisant ou ayant pour effet d’interdire à un fonctionnaire toute activité politique partisane ou le droit de se porter candidat à une élection portait atteinte à ses droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association protégés par les chartes (Cf. Osborne c. Canada (P.G) et Delisle c. Procureure générale du Canada, précitées). De plus, dans l’affaire Tremblay c. Procureur général du Québec précitée, la Cour supérieure a conclu que l’article 8 de la Loi sur les substituts du Procureur général (L.R.Q. c. S-35), qui interdisait à un substitut permanent du procureur général de se porter candidat à une élection, « sinon dans son objet, tout au moins dans ses effets, constitue un empiétement au droit l’éligibilité garanti par l’article 3 de la Charte ».

[125] À la lumière des principes établis par la doctrine et la jurisprudence, la Commission est d’avis que les règles relatives au devoir de neutralité politique et à l’exclusivité des fonctions invoquées par l’AMT ainsi que celles relatives au conflit d’intérêts potentiel constituent, dans leurs effets, un empiétement aux droits fondamentaux et politiques du plaignant.

Les restrictions aux droits et libertés
[126] Les droits garantis par les chartes ne sont pas absolus. En vertu de l’article 1 de la Charte canadienne, les droits et libertés qui y sont énoncés peuvent être restreints par une règle de droit « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La Charte québécoise comporte elle aussi sa clause justificative. Son article 9.1 stipule que « Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice ».

[127] Les critères de justification développés par la jurisprudence en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne s’appliquent également à l’article 9.1 de la Charte québécoise. (Cf. BRUNELLE, Christian, Droit public et administratif, Collection de droit 2006-2007, volume 7, 2006). Ces critères sont les suivants :
• La restriction est-elle prescrite par une règle de droit?
• L’objectif visé par l’adoption de la mesure législative est-il suffisamment important pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte?
• Y a-t-il proportionnalité entre les effets des mesures qui restreignent le droit garanti par la Charte et l’objectif décrit comme étant « suffisamment important »?
[Cf. R. c. Oakes, (1986) 1986 CanLII 46 (CSC), 1 R.C.S. 103]
La règle de droit
[128] Les droits protégés par la Charte canadienne ne peuvent être contraints que par une règle de droit. Une telle règle est une norme juridique intelligible (Cf. BRUN, Henri et TREMBLAY, Guy., Droit constitutionnel, 3e édition, Les éditions Yvon Blais). Elle peut être expressément prévue à une loi ou à un règlement ou encore découler des termes d’une loi ou d’un règlement ou de ses conditions d’application. Peuvent également être assimilées à une règle de droit, les règles de common law, les ordonnances d’un tribunal et même une disposition d’une convention collective. (Cf. BRUNELLE, Christian, Droit public et administratif, op. cit.).

[129] La fin d’emploi du plaignant résulte, après que ce dernier eut refusé une offre de congé sans traitement, de l’existence d’une situation apparente de conflit d’intérêts et d’une incompatibilité de fonctions. Ces motifs reposent sur des règles de droit, à savoir l’obligation de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec et la règle constitutionnelle du devoir de neutralité politique (Cf. arrêt Osborne précité).

L’objectif visé
[130] L’objectif de préservation de la neutralité de la fonction publique a été reconnu à plusieurs reprises par les tribunaux comme étant un objectif très important dans notre société libre et démocratique. Dans l’arrêt Osborne c. Canada (P.G.) précité, la Cour suprême statuait :
57. L’importance de l’objectif visé par le gouvernement est incontestée en l’espèce. On reconnaît, à juste titre, qu’il s’agit de la préservation de la neutralité de la fonction publique dans la mesure qui s’impose pour s’assurer de sa loyauté envers le gouvernement du Canada et, partant, de l’utilité des fonctionnaires au sein de la fonction publique. L’importance de cet objectif a fait l’objet d’une étude exhaustive dans l’arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, précité, et, compte tenu du consensus existant à cet égard, point n’est besoin d’en dire plus long. L’existence de la convention politique susmentionnée vient souligner l’importance de l’objectif en question.

[131] Quant à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur, obligation comprenant celle d’éviter toute situation de conflit d’intérêts, point n’est besoin de discourir longtemps concernant l’importance de l’objectif poursuivi par le législateur. Tous reconnaîtront l’importance de cette règle de droit pour un employeur qui est un organisme public.

La proportionnalité
[132] Les objectifs de neutralité, d’impartialité et de loyauté des fonctionnaires étant suffisamment importants, il faut maintenant appliquer le test de la proportionnalité. Il faut soupeser les intérêts de la société et ceux des particuliers. L’AMT doit démontrer que les moyens qu’il a choisis pour atteindre son objectif sont raisonnables et justifiés. Le critère de proportionnalité requiert l’examen d’un certain nombre de facteurs. D’abord, la règle de droit contestée doit avoir un lien rationnel avec l’objectif poursuivi. Puis, cette règle doit être de nature à porter atteinte le moins possible au droit garanti par la charte. Enfin, les effets préjudiciables de la règle de droit doivent être proportionnels à la fois à l’objectif poursuivi par la règle et aux effets bénéfiques qu’engendre son application. Autrement dit, les effets préjudiciables de la restriction l’emportent-ils sur ses effets bénéfiques? (Cf. R. c. Oakes, précité et Dagenais c. Société Radio-Canada, (1994) 1994 CanLII 39 (CSC), 3 R.C.S. 835).

[133] On ne peut contester que l’obligation d’éviter la restriction d’activités politiques partisanes a un lien rationnel avec l’objectif du maintien de la neutralité des fonctionnaires et de leur loyauté envers leur employeur. Le véritable débat a plutôt trait aux moyens retenus pour atteindre cet objectif.

[134] Dans l’affaire Delisle précitée, la Cour supérieure reprenait les propos de la Cour suprême afin de définir le concept de l’atteinte minimale :

50. Dans l’arrêt Libman c. Québec (P.G.), la Cour suprême reprenait l’analyse du concept de l’atteinte minimale qui peut varier selon le domaine, le droit ou la liberté visée :
Dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, le juge McLachlin explique en ces termes l’application du critère de l’atteinte minimale, aux pp. 342 et 343 :
Le gouvernement doit établir que les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d’expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif. La restriction doit être « minimale », c’est-à-dire que la loi doit être soigneusement adoptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation.
(Les soulignés de la Commission.)

[135] Dans sa décision, la Cour supérieure conclut que l’article 57 du Règlement de la G.R.C. (1988) qui était en révision, portait atteinte de façon absolue aux droits protégés des membres de la G.R.C. parce qu’on n’y retrouvait aucune alternative lorsqu’un membre voulait se prévaloir du droit d’être candidat à une élection :

74. L’examen de ces lois provinciales ou du projet de loi fédérale permet de dégager certains traits communs. La législation ou réglementation distingue généralement en fonction du niveau politique : fédéral, provincial ou municipal. Philip Stenning précise à ce sujet :
Practice on the issue in Canada makes it clear that in many jurisdictions in Canada a distinction is made between local municipal politics and provincial and federal politics, the assumption apparently being that the former is less « partisan » than the latter.
75. Ces textes maintiennent toujours l’interdiction de l’utilisation de la fonction ou du statut de policier pour promouvoir ou supporter une candidature. Le législateur provincial retient l’incompatibilité fondamentale entre le travail policier et le fait de poser sa candidature ou d’être élu à une élection législative provinciale ou fédérale. À ce sujet, on autorise suivant certaines modalités, un congé sans solde ou une forme de retraite temporaire pendant la période électorale ou le terme du candidat élu.
76. L’article 57 du règlement ne prévoit pas ces différentes possibilités d’activité politique par un membre de la G.R.C. Cela étant, peut-on tout de même affirmer que le règlement demeure à l’intérieur « d’une gamme de mesures raisonnables possibles »? » Doit-on retenir que l’exercice de révision actuellement en cours de ce texte réglementaire n’a que pour but d’en vérifier « la modernité », pour reprendre l’expression du Solliciteur général lors de sa comparution en avril 1997, devant le Comité mixte?
77. Le Tribunal ne peut en convenir. Les interdits de l’article 57 portent atteinte très souvent de façon absolue aux droits démocratiques de plus de 15,000 canadiens. Ce qui est en cause, ce n’est pas tant la présence d’interdits lorsque l’individu accomplit son travail de policier que l’absence d’alternatives lorsque ce même individu veut se prévaloir de droits démocratiques enchâssés dans la constitution.
78. On n’y fait place à aucun aménagement permettant de concilier des droits démocratiques avec la fonction exigeante et importante d’un policier. En ce sens, cette disposition réglementaire ne constitue pas une atteinte minimale. Elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif législatif.

[136] Dans cette affaire, la Cour supérieure a suspendu les effets de sa déclaration d’invalidité de l’article 57 du Règlement de la G.R.C. afin de permettre au gouvernement fédéral d’adopter de nouvelles dispositions réglementaires et ainsi éviter un vide juridique qui permettrait, sans restriction aucune, toute activité politique des membres de la G.R.C. La nécessité pour ces membres d’accomplir leurs tâches en toute indépendance et neutralité constituait un facteur militant en faveur de cette suspension (Cf. par. 80 à 85 de la décision).

[137] Or, dans le présent litige, il existe une solution de rechange ou, pour reprendre les expressions consacrées par la doctrine et la jurisprudence, une autre alternative, un aménagement, enfin un autre régime raisonnable qui permet l’atteinte des objectifs avec moins d’effets préjudiciables. En effet, la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités permet à tout employé de l’AMT d’obtenir un congé sans traitement à partir de sa mise en candidature à une élection municipale jusqu’au résultat des élections. Ce congé peut être prolongé si le candidat est élu, pour une période de huit ans ou la durée de deux mandats. Le plaignant pouvait donc obtenir un congé sans traitement pendant la durée de son mandat et jouir des avantages dont il aurait bénéficié s’il avait été au travail durant ce congé (Cf. art. 347 à 355 de cette loi).

[138] D’ailleurs, malgré l’incompatibilité des fonctions et la situation potentielle de conflit d’intérêts, l’AMT a accordé un congé sans traitement au plaignant, soit une forme de retraite temporaire, pendant la campagne électorale et lui a également offert un congé sans traitement pour la durée de son mandat électoral. Ce congé sans traitement aurait permis au plaignant de maintenir son lien d’emploi, tout en évitant, pendant la durée de son mandat, le cumul de fonctions incompatibles et les situations de conflit d’intérêts.

[139] Le régime légal de congé sans traitement assure la coexistence des droits fondamentaux et politiques avec les autres valeurs fondamentales de notre société. Il s’agit d’une forme de restriction tout a fait fondée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne. La juge Lyse Lemieux de la Cour supérieure, dans l’affaire Tremblay précitée, est arrivée à une conclusion similaire (Cf. par. 103 de la décision).

[140] Dans cette affaire, la juge Lemieux s’exprimait ainsi :

116. Cette décision se distingue du cas sous étude parce que, en l’espèce, le Tribunal ne prône pas qu’un substitut permanent du Procureur général s’affiche ouvertement pour un parti politique alors qu’il exerce une fonction qui exige l’impartialité, mais réclame qu’il puisse bénéficier d’un congé sans solde pour pouvoir justement l’exercer sans contrevenir à ses devoirs.

120. De plus, le Tribunal est tout à fait d’accord avec l’imposition de l’obtention d’un congé sans solde préalable à la participation des fonctionnaires aux campagnes électorales fédérales. C’est d’ailleurs cette même proposition que le Tribunal apporte comme solution au litige, en l’espèce, parce qu’il estime qu’elle constitue une forme de restriction qui pourrait être tout à fait fondée en vertu de l’article 1.

139. Il existe une différence entre « certaines restrictions » qui peuvent être imposées aux employés de la fonction publique au nom de l’impartialité, de la neutralité et de l’intégrité et des mesures trop draconiennes qui sont imposées outrancièrement alors que d’autres plus flexibles permettraient tout autant de parvenir aux fins précitées. Il ne faut pas oublier que nous sommes en contexte de Charte, donc dans un « contexte évolutif constant ».
140. Il ne s’agit pas de permettre en aucune façon le « double statut » de substitut (du procureur général) et de candidat. Personne ne conteste le conflit d’intérêts inévitable qui naîtrait d’un tel cumul des deux fonctions. Le Tribunal ne considère pas qu’il serait normal que le substitut qui ait présenté sa candidature doive s’attendre à toucher son traitement au cours de la campagne, ni à reprendre ses fonctions sans intermission aucune (c’est-à-dire aux lendemains immédiats de la fin de son mandat, s’il était élu), là n’est pas la question.
141. La question est de savoir si les objectifs législatifs tels qu’ils ont été définis exigent la destitution irrémédiable alors qu’il existe un aménagement possible qui tienne compte du statut hiérarchique particulier du candidat.

145. Là, n’est pas l’avis du Tribunal. La plus haute Cour du pays a édicté, à maintes occasions, qu’il fallait dans la mesure du possible faire coexister les valeurs fondamentales de ce pays et garantir au maximum l’existence des droits et libertés fondamentales de notre société « libre et démocratique …

(Les soulignés de la Commission.)

[141] Puisque le droit à un congé sans traitement est un droit qui appartient au plaignant et que celui-ci l’a refusé, après que l’AMT le lui a expressément offert, la Commission n’a d’autre choix que de rejeter la plainte.



EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE l’objection préliminaire relative à la recevabilité de la plainte;

REJETTE la plainte.



__________________________________
Arlette Berger

Me Jessica Laforest
POIRIER RIVEST FRADETTE
Représentante du plaignant

Me Raymond l’Abbé
LEGAULT JOLY THIFFAULT
Représentant de l’intimée


Date de la dernière audience :
16 mai 2007
Réception des documents :
2 juillet 2007