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Ambulances Rive-Sud enr. et Hôtel-Dieu de Lévis

no. de référence : 326955-03B-0708

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES





Québec


6 juillet 2009



Région :


Chaudière-Appalaches



Dossier :


326955-03B-0708



Dossier CSST :


130558646



Commissaire :


Jean-Luc Rivard, juge administratif



______________________________________________________________________








Les Ambulances Rive Sud enr.




Partie requérante









et









Hôtel-Dieu de Lévis




Partie intéressée




















______________________________________________________________________



DÉCISION

______________________________________________________________________





[1] Le 31 août 2007, Les Ambulances Rive Sud enr. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 février 2007 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité des coûts reliés à une lésion subie le 24 octobre 2006 par monsieur Yves Turcotte (le travailleur) parce qu’il n’a pas démontré, de façon prépondérante, que la lésion subie par ce dernier est attribuable à un tiers.

[3] À l’audience tenue à Lévis le 2 juillet 2009, l’employeur était présent et représenté par Me Julie Samson. Le tiers convoqué, soit l’Hôtel-Dieu de Lévis, était absent et a plutôt transmis, par le biais de sa représentante, Me Karine Brassard, une argumentation écrite ainsi que des autorités au soutien du rejet de la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur.



LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[4] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu d’imputer les coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 24 octobre 2006 aux employeurs de toutes les unités dans le cadre de l’interprétation de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), qui se lit comme suit :

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.



Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.



L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.



[nos soulignements]





[5] Le tribunal est d’avis, pour les motifs ci-après exposés, que l’employeur a droit à un transfert des coûts de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 24 octobre 2006.

[6] D’abord, la loi prévoit au premier alinéa de l’article 326, un principe général en matière d’imputation du coût des prestations résultant d’un accident du travail, à savoir que ce coût est imputé au dossier de l’employeur au service duquel le travailleur occupait un emploi au moment de l’accident.

[7] Le deuxième alinéa de l’article 326 prévoit toutefois certaines exceptions au principe général de l’imputation des coûts en autorisant le transfert de l’imputation, dans certaines circonstances. Plus particulièrement, lorsque l’employeur démontre que l’application de ce principe aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.

[8] Cette exception de l’article 326 de la loi a fait l’objet d’une volumineuse jurisprudence du présent tribunal.

[9] Essentiellement, sur le plan du fardeau de la preuve, l’employeur doit, pour avoir gain de cause, démontrer :

1- que l’accident du travail subi par le travailleur dans le dossier est attribuable à un tiers;

2- qu’il serait injuste de lui imputer les coûts de cet accident.

[10] Le soussigné adhère à l’interprétation retenue par la Commission des lésions professionnelles dans le cadre d’une décision rendue par une formation de trois commissaires, le 28 mars 2008, dans l’affaire ministère des Transports et CSST[2]. Au nom de la cohérence, le soussigné adhère entièrement à cette décision articulée, détaillée et complète, laquelle comporte tous les éléments nécessaires permettant d’analyser, de façon structurée, les demandes soumises par les employeurs visant à réclamer un transfert de coûts en raison de la faute d’un tiers.

[11] Le tribunal écarte donc les conclusions isolées émises dans deux affaires, ministère des Transports[3] et Transport M.J. Lavoie inc.[4] Ces décisions font difficilement le poids devant l’exégèse rigoureuse à laquelle la formation s’est livrée dans le cadre de l’affaire ministère des Transports et CSST où les parties en présence ont eu l’opportunité de traiter de la question sous toutes ses coutures. La seule preuve de la faute d’un tiers n’est pas suffisante pour conclure à un transfert des coûts selon l’article 326 de la loi.

[12] Le tribunal adhère en effet aux principes énoncés dans l’affaire ministère des Transports et CSST rendue par une formation de trois commissaires le 28 mars 2008 à l’effet que la preuve que l’accident du travail est attribuable à un tiers ne suffit pas à justifier une imputation aux autres employeurs mais l’employeur doit démontrer, en plus, que l’imputation à son dossier aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison de cet accident.

[13] Plus particulièrement, dans l’affaire ministère des Transports et CSST précitée, le tribunal écrivait :

« […]



[317] Sans vouloir d’aucune façon nier les vertus de la prévention, son importance ni l’obligation que tout employeur a de la promouvoir, il n’en reste pas moins qu’en matière de financement, le législateur a décidé que ce serait les résultats qui comptent. Le risque assuré et l’expérience participent à la détermination de la cotisation de chaque employeur, sans égard aux efforts et mesures de prévention des accidents qu’il a ou n’a pas mises en œuvre et qui, en l’occurrence, n’auraient pas réussi.



[…]



[328] Incorporer les conséquences financières d’un tel accident dans l’expérience de l’employeur concerné trahirait le fondement même de sa contribution au régime, telle que le législateur l’a élaborée. Pareille imputation se faisant au détriment de l’employeur requérant, elle serait par conséquent injuste, au sens de l’article 326 de la loi.



[…]



[330] L’analyse de la jurisprudence permet de constater que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert de coûts.



[331] Ainsi, dans les cas où l’accident est dû à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées, l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur217 parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.



[332] Si le législateur n’avait pas voulu qu’il soit remédié à de telles situations, il n’aurait tout simplement pas prévu l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 326.



[333] D’autres critères, en sus de celui tenant compte du risque inhérent à l’ensemble de ses activités, sont donc nécessaires pour apprécier correctement l’effet juste ou injuste de l’imputation à l’employeur.



[334] Le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine d’un accident du travail doit s’apprécier in concreto, c’est-à-dire à la lumière du contexte particulier qui les encadre218. Ce qui, dans un secteur d’activités donné, est monnaie courante deviendra, en d’autres occasions, un véritable piège, voire un guet-apens.



[335] En effet, les mêmes circonstances ne revêtiront pas toujours le même caractère d’exception, selon le genre d’activités exercées par l’employeur, la description de l’unité de classification à laquelle il appartient, la tâche accomplie par le travailleur, les lieux du travail, la qualité, le statut et le comportement des diverses personnes (dont le tiers) impliquées dans l’accident, les conditions d’exercice de l’emploi, la structure de l’entreprise, l’encadrement du travail, l’éventuelle contravention à des règles (législatives, réglementaires ou de l’art) applicables en semblables matières, la soudaineté de l’événement, son degré de prévisibilité, etc.



[336] Il tombe sous le sens commun que par exemple, on ne saurait analyser une demande relative au coût de prestations versées à la suite d’une agression physique dans un établissement de santé de la même façon et à l’aide des mêmes paramètres factuels que ceux qui doivent être considérés dans un cas de chute sur un chantier de construction ou encore à l’occasion d’un accident de la route. La règle de droit demeure la même, mais les circonstances changent tout.



[337] Chacun des facteurs mentionnés précédemment est susceptible d’avoir un impact majeur sur le taux d’incidence, l’étendue, l’importance et l’influence que les circonstances jugées inhabituelles ont eu sur l’accident dont il s’agit d’imputer le coût et surtout, sur l’appréciation que le tribunal se fera de ce qui constitue une imputation juste ou injuste.



[338] L’équité du système instauré par la loi réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre le risque assuré et la cotisation de chacun des employeurs. Avantager indûment un employeur, c’est par le fait même désavantager tous les autres. Bien sûr, l’inverse est aussi vrai.



[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :



- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à

laquelle il appartient ;



- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;



- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.



[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.



[341] Aucune règle de droit ne doit être appliquée aveuglément. On ne saurait faire abstraction des faits propres au cas particulier sous étude. C’est au contraire en en tenant compte que le tribunal s’acquitte de sa mission qui consiste à faire la part des choses et à disposer correctement et équitablement du litige déterminé dont il est saisi219.



[…] » (nos soulignements)

_________________

217 Plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles arrivent à cette conclusion. Voir, à titre d’exemple : STCUM et CSST, [1997] C.A.L.P. 1757 ; Commission scolaire de la Pointe-De-L'Île, [2001] C.L.P. 175 ; Centre hospitalier de St-Eustache, 145943 -64 -0009, 15 février 2001, M. Montplaisir ; Les Entreprises Éric Dostie inc. et Constructions Marco Lecours, 181190-05-0203, 5 décembre 2002, M. Allard ; S.M. Transport, [2007] QCCLP 164 ; Centre de la Réadaptation de la Gaspésie, [2007] QCCLP 5068 ; Pharmacie Ayotte & Veillette, 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément ; S.A.A.Q. – Dir. Serv. Au Personnel et CSST, 285881-62B-0604 et autres, 30 avril 2007, N. Lacroix.

218 Corps Canadien des commissionnaires, 212709-71-0307, 5 avril 2004, L. Couture ; Pharmacie Ayotte & Veillette, C.L.P. 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément.

219 Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 9 juillet 2006, J.-F. Martel ; Entreprises D.F. enr., [2007] QCCLP 5032 .





[14] Dans le présent dossier, le tiers concerné, soit l’Hôtel-Dieu de Lévis, de même que la CSST, par le biais de sa décision rendue à la suite d’une révision administrative le 26 juillet 2007, sont d’avis que l’employeur, soit Ambulances Rive Sud enr., n’a pas démontré que le tiers était majoritairement responsable de l’accident subi par le travailleur, le 24 octobre 2006.

[15] Le tribunal est plutôt d’avis, dans le présent dossier, que le tiers identifié, soit l’Hôtel-Dieu de Lévis, est majoritairement responsable de l’accident survenu le 24 octobre 2006 et qu’il serait injuste d’en imputer les coûts à l’employeur requérant dans le présent dossier, conformément à l’article 326 de la loi.

[16] Rappelons que le 24 octobre 2006, le travailleur qui exerce les fonctions d’ambulancier, effectue le ménage et le nettoyage du véhicule ambulancier stationné dans le garage de l’Hôtel-Dieu de Lévis.

[17] Le travailleur donne la description suivante au formulaire de déclaration d’accident du travail signé le 24 octobre 2006 :

« Après un appel j’étais en train de faire ménage et nettoyage et comme d’habitude, j’ai embarqué dans le véhicule par la porte de cote arriere pour allé chercher moniteur et trousse et en débarquant du reculons j’ai mis le pied dans un trou et j’ai basculé vers l’arriere en tombant assis, pied viré à l’envers congé tête et dos dans mur, difficulté a me relevé et pas la suite difficulté à marché a noter =) CH Lévis refait ciment dans garage plusieurs endroit panneaux par dessus trou, mais pas a cette place,

Responsable C.H. Levis avisé (rapport voir annexe). » [sic]



[nos soulignements]





[18] Dans cette déclaration, le travailleur fait référence à un rapport produit auprès de l’Hôtel-Dieu de Lévis en rapport avec cet accident du 24 octobre 2006. Dans ce dernier rapport, le travailleur écrit qu’en débarquant de l’ambulance à reculons, il a mis le pied dans un trou.

[19] Par ailleurs, l’« Avis de l’employeur et demande de remboursement » apparaissant au dossier comporte les détails suivants sur cet événement :

« Après un appel, j’étais en train de faire ménage et nettoyage véh. comme d’habitude, j’ai embarqué dans le véhicule par la porte de côté arrière pour aller chercher moniteur et trousse et en débarquant du reculons, j’ai mis le pied dans un trou et j’ai basculé vers l’arrière en tombant assis, pied viré à l’envers cogné tête et dos dans mur. Difficulté à me relever et par la suite à marcher.



À noter => CH Lévis refait ciment dans garage, plusieurs endroits panneaux par dessus trou, mais pas à cette place, responsable C.H. avisé (rapport voir annexe) » [sic]





[20] Le diagnostic retenu au dossier est celui d’une entorse au pied droit du travailleur.

[21] À l’audience, le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Gaétan Charrette, contrôleur et responsable des dossiers d’accidents du travail chez l’employeur, soit Les Ambulances Rive Sud enr.

[22] Monsieur Charrette confirme que l’« Avis de l’employeur et demande de remboursement » de même que le formulaire de déclaration d’accident du travail ont été rédigés suite à une discussion avec le travailleur sur les circonstances de cet événement. Il s’agit d’une transcription des propos même formulés par le travailleur sur le déroulement de l’accident. Monsieur Charrette confirme, par ailleurs, que le trou dans lequel le travailleur a mis le pied et qui a entraîné sa chute, a été recouvert à l’aide d’une pièce de bois par les autorités de l’Hôtel-Dieu de Lévis après l’accident du 24 octobre 2006.

[23] Monsieur Charrette a également déposé des photographies du trou en question à l’intérieur du garage de l’Hôtel-Dieu de Lévis. Ces photos ont été prises en présence du travailleur afin d’identifier précisément les circonstances de l’accident. Monsieur Charrette relate que le travailleur lui a expliqué qu’en raison de sa grande taille, soit six pieds et deux pouces, il débarque généralement à reculons de l’ambulance dans le cadre de son travail pour faciliter sa sortie du véhicule.

[24] Le tribunal a pris connaissance de ces photos qui permettent de constater que le trou en question est situé dans le plancher de béton du garage. Le béton a été mis à nu et cassé alors que les tiges de ciment servant à armer la structure font saillies au sol. Le trou comporte manifestement plusieurs inégalités et mesure environ sept à huit pieds de large et une dizaine de pieds dans sa partie la plus imposante. Aucune pièce de bois ne recouvrait ce trou lorsque le travailleur a subi son accident.

[25] Le tribunal est d’avis, après analyse, que l’accident subi par le travailleur le 24 octobre 2006 est majoritairement attribuable au tiers identifié dans le présent dossier, soit l’Hôtel-Dieu de Lévis.







[26] Le tribunal rappelle les propos de la Commission des lésions professionnelles dans une décision[5] rendue par un banc de trois, ministère des Transports et CSST, dans laquelle on peut lire ce qui suit en rapport avec le niveau de responsabilité du tiers dans la survenance de l’accident du travail pour qu’il puisse lui être attribuable :

« […]



[235] Le choix du mot « attribuable » atteste de la volonté législative arrêtée de s’écarter des principes de droit civil auxquels l’usage du terme « responsable » aurait immanquablement renvoyé, pour ne s’en tenir qu’aux événements comme tels - plutôt qu’à des règles de droit – ce qui constitue un concept plus idoine à cette loi où « les droits conférés le sont sans égard à la responsabilité de quiconque » (article 25).



[236] Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques186, la Cour Suprême du Canada a en effet reconnu dans cet « abandon de la faute civile » l’un des principes fondamentaux de la loi.



[237] C’est donc à la lumière du contexte factuel particulier de l’accident en cause qu’il convient de déterminer à qui ou à quoi il est « attribuable », à qui ou à quoi il est dû187.



[238] Il arrive fréquemment qu’un accident ne relève pas d’une cause unique et qu’il soit en réalité le fruit d’une conjoncture à laquelle plusieurs facteurs, sinon plusieurs intervenants, ont participé. Il se peut même que l’employeur ait contribué à l’accident. Cela le priverait-il automatiquement du droit à réclamer le remède que le deuxième alinéa de l’article 326 prévoit ?



[239] La jurisprudence élaborée par la Commission des lésions professionnelles répond par la négative.



[240] Ce que l’article 326 de la loi exige en effet, c’est que l’accident soit attribuable à un tiers188, non pas que l’employeur soit exempt de la moindre contribution à son arrivée.



[241] D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.



[242] En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur191 pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.



[243] Rien ne s’objecte à ce que pour les fins de l’application de la règle, les apports combinés de plusieurs personnes équivaillent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci ont fait en sorte que l’accident se produise.



[244] Rien, non plus, n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pu être établie192, en autant que le prochain élément de la condition préalable soit démontré, c’est-à-dire qu’il s’agit bel et bien de tiers.



[…] »



_______________

186 Louisette Béliveau-St-Jacques c. La Fédération des employées et employés de services publics inc. (CSM), [1996] 2 RCS 345

187 Provigo (Division Maxi Nouveau Concept), [2000] C.L.P. 321 ; Liquidation Choc, 122642 -04B -9908, 16 mars 2000, C. Racine; PLM électrique inc. et Ville de Lachine, 182618 -71-0204, 21novembre 2002, L. Couture

188 Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M. -D. Lampron, (03LP-15)

189 Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin & Dickner inc., 36997-03-9203, 30 septembre 1994, J.-G. Roy, (J6-21-05); Protection Incendie Viking ltée et Prairie, 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, révision rejetée, 15 novembre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, É. Harvey; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239 ; A. Lamothe 1991 inc. et Macameau, [1998] C.L.P. 487 ; Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., 126248 -62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix; Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, 100174-72-9804, 26 mai 2000, Marie Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre jeunesse Montréal, 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et CSST, 134249-61-0003, 29 novembre 2000, G. Morin

190 CSST et Les Industries Davie inc., 95042-03B-9803, 18 février 1999, P. Brazeau ; Hydro-Québec et CSST, 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault

191 Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582 ; Les Coffrages CCC inc. et Terramex inc., 294890-63-0607, 19 mars 2007, M. Juteau

192 Laiterie Dallaire et Zavodnik, 35021-08-9112 et autres, 10 novembre 1992, L. McCutcheon; Centre jeunesse de Montréal et CSST, 218751-63-0310, 16 décembre 2004, F. Dion-Drapeau ; Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 7 septembre 2006, J.-F. Martel ; Services Ultramar inc., [2007] QCCLP 344 ; Centre d'hébergement Champlain-Limoilou, 289124-31-0605, 23 mars 2007, J.-L. Rivard, révision rejetée, 12 octobre 2007, A. Suicco



[nos soulignements]





[27] Le tribunal est d’avis, dans le présent dossier, que la présence de ce trou, par sa dimension, ses inégalités et ses aspérités, notamment par les tiges de métal mis à nu, et le béton concassé, constituaient ici un piège ou un guet-apens qui rendaient hautement probable la survenance d’une chute telle que celle subie par le travailleur lors de l’événement accidentel du 24 octobre 2006. D’autant plus que le travailleur n’avait aucun véritable choix de débarquer à cet endroit destiné aux ambulances.

[28] Aucune faute particulière ne peut être reprochée au travailleur dans le présent dossier. Le seul fait pour ce dernier d’être sorti de son véhicule à reculons, alors qu’il mesure 6 pieds 2 pouces et qu’il devait manipuler une trousse pesant 20 livres et un moniteur pesant 40 livres n’est pas de nature à conclure à la commission d’une quelconque faute de sa part. La présence de ce trou, alors que des ambulanciers doivent effectuer leur travail, constituait ainsi, en quelque sorte, un piège qui rendait hautement probable la survenance d’un tel accident. De plus, le trou n’était couvert par aucune pièce de bois pour précisément éviter tout accident.

[29] Dans ce contexte, le soussigné est d’avis que ces circonstances rencontrent les critères énoncés dans l’affaire précitée ministère des Transports et CSST en rapport avec le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine de cet accident. En effet, dans le présent dossier, manifestement il s’agissait d’un piège ou guet-apens qui est à l’origine de l’accident subi par le travailleur. Le tiers identifié est donc, ici, majoritairement responsable de l’accident.

[30] Dans ce contexte, la demande de transfert de coûts formulée par l’employeur doit être reconnue et l’ensemble des coûts doit être transféré aux employeurs de toutes les unités de classification.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de Les Ambulances Rive Sud enr., déposée le 31 août 2007;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative, le 26 juillet 2007;

DÉCLARE que Les Ambulances Rive Sud enr. a droit à un transfert complet des coûts de la lésion professionnelle subie par monsieur Yves Turcotte, le 24 octobre 2006, à l’ensemble des employeurs selon les termes de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.






__________________________________






JEAN-LUC RIVARD











Me Julie Samson

LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS

Représentante de la partie requérante





Me Karine Brassard

BEAUVAIS TRUCHON & ASSOCIÉS

Représentante de la partie intéressée