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Droit de la famille — 17610, 2017 QCCS 1166

no. de référence : 2017 QCCS 1166

Droit de la famille — 17610
2017 QCCS 1166
JG 2551

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL

N° :
500-12-295782-084



DATE :
29 mars 2017
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.


______________________________________________________________________


D... C...
Demanderesse

c.

G... F...
Défendeur

______________________________________________________________________

JUGEMENT
(mesures accessoires)
______________________________________________________________________

[1] La vie commune des parties a duré 21 ans et les procédures de divorce – pour l’instant – près de 9 ans. Ce dossier de divorce aura coûté une fortune et ainsi, il a contribué à gaspiller un actif financier considérable, accumulé lors du mariage. Les procédures ont également mobilisé le temps, l’énergie et les ressources que les parties auraient pu et auraient dû consacrer ailleurs. Elles continuent néanmoins toutes deux de mener ce qu’il faut qualifier de véritable guerre de tranchées judiciaire et il est à craindre que cette dernière ne se terminera pas par ce jugement. Dans le dossier en l’espèce, Monsieur et Madame ne s’entendent pas sur plusieurs aspects concernant la pension alimentaire pour leur enfant, les frais particuliers ainsi que sur les questions financières reliées aux effets du divorce.

CONTEXTE ET HISTORIQUE JUDICIAIRE

[2] Les parties se sont mariées sous le régime légal de la société d’acquêts le 20 juillet 1987 et ont renoncé à l'application des règles relatives au partage du patrimoine familial. Elles ont une fille, X, aujourd’hui âgée de 19 ans. Les parties ont cessé de faire vie commune le 28 avril 2008.

[3] Le 12 octobre 2011, le juge Chrétien, après plusieurs journées d’audition échelonnées sur une période de presque deux ans (alors que Madame a eu recours à trois bureaux d’avocats différents), prononce le jugement de divorce de 309 paragraphes (jugement Chrétien)[1]. Certains extraits de cette décision méritent d’être rapportés ici, car déjà en 2011 on traite le dossier de « saga judiciaire » et on invite à la conciliation:

[75] Le présent dossier est hautement conflictuel, cela va sans dire.

[76] Les parties ont déboursé probablement plus que 660 000 $ en honoraires d'avocats et d'experts et tout cet argent ne sera plus jamais partagé entre elles.

(…)
[271] La présente affaire familiale a résulté en une longue saga judiciaire menée à grands frais.

[272] Le Tribunal souligne que dans tout dossier dans lequel les parties sont campées sur leurs positions de façon inflexible au départ, un long procès peut toujours être évité si les parties, avec ouverture d'esprit et avec une volonté réelle de faire des compromis, recherchent des solutions réalistes en faisant appel à un mode alternatif de résolution de conflit.

[273] Pour augmenter les chances de réussite d'une telle démarche, beaucoup moins coûteuse à tous points de vue, le Tribunal rappelle que les personnes impliquées doivent réaliser pleinement, très tôt dans le processus, que les compromis à être faits pour régler leur conflit sont toujours difficiles, voire même souffrants parfois, et souvent très différents de tous ceux imaginés au départ, mais que le recours à un mode alternatif de résolution de conflit est une démarche beaucoup moins lourde et stressante pour elles qu'une aventure judiciaire longue, pénible et coûteuse comme celle décrite dans le présent jugement.

[4] Les conclusions du jugement Chrétien, pertinentes au présent dossier énoncent :

[279] ORDONNE que les autres meubles et œuvres d'art se trouvant dans les Maisons A et de Floride le 28 avril 2008, et conservés lors de la vente desdites Maisons, soient divisés moitié-moitié, les parties devant choisir un item à tour de rôle en commençant par Mme C..., et ORDONNE que ce partage soit terminé dans les trois (3) mois suivant la date du présent jugement.

(…)

[284] ORDONNE à M. F... de continuer de payer à Mme C... une pension alimentaire pour ses propres besoins, indexée, au montant de 4 068 $ par mois, laquelle s'établira à 3 200 $ par mois le 1er janvier 2012, à 2 400 $ par mois le 1er juin 2012, à 1 600 $ par mois le 1er novembre 2012 et à 800 $ par mois le 1er avril 2013 pour se terminer le 31 août 2013, et AUTORISE Mme C... à conserver lesdites pensions alimentaires même si elle gagne un revenu d'emploi, de travailleur autonome ou autre;

[285] DÉCLARE que la pension alimentaire de 8 000 $ par mois payée par M. F... à Mme C... jusqu'au 31 décembre 2009 était composée d'un montant de 1 918 $ pour des aliments et d'un montant de 6 082 $ pour les frais fixes de la Maison A habitée par elle et sa fille uniquement;

[286] ORDONNE à M. F... de continuer de payer à Mme C... une pension alimentaire pour enfant, indexée, dont le montant est fixé à 436,17 $ par mois à partir de la date du présent jugement;

[287] ORDONNE que le versement des pensions alimentaires susmentionnées continue de se faire via le service de perception du ministère du Revenu du Québec;

[288] FIXE les proportions, aux fins du paiement des frais particuliers de X, à 80 % pour M. F... et à 20 % pour Mme C... que ceux-ci devront assumer;

[289] RÉSERVE les droits des deux parties quant à la question de leurs besoins alimentaires et quant à celle de leurs capacités financières dans le futur, et leur INTERDIT de présenter une requête relative à ces sujets avant l'expiration d'un délai de deux (2) ans suivant la date du présent jugement, sauf en cas de changement majeur;

[5] Les deux parties en appellent, et, la Cour d’appel le 6 septembre 2013[2] rejette pour l’essentiel leurs prétentions mais modifie à la baisse la valeur de la société d’acquêts, diminue la provision pour frais payable à Madame, tant devant la Cour supérieure qu’en appel, raye le paragraphe [289] et remplace le paragraphe [284] du jugement Chrétien par le texte suivant :

ORDONNE à G... F... de continuer de payer à D... C... pour elle-même une pension alimentaire, indexée, de 4 068 $ par mois, rétroactivement au 12 octobre 2011, laquelle sera indexée selon la loi;

[6] Quant au partage des meubles ordonné au paragraphe [279] du jugement Chrétien, la Cour d’appel conclut :

6. Le partage des meubles
[130] Voici comment le juge partage les meubles de la maison de A et de la résidence de Floride :

Ø il fait droit à la demande de l’intimée et lui permet de conserver 11 items mobiliers de luxe ou de collection auxquels elle tient et accorde à l’appelant un crédit de 29 840 $, représentant la moitié de la valeur que ce dernier leur attribue;

Ø les autres meubles sont partagés entre les parties, chacune choisissant un item à tour de rôle, en commençant par l’intimée.

[131] L’appelant prétend que le juge ne lui a pas accordé un crédit suffisant pour sa part des meubles et œuvres d’art. Il lui reproche de ne pas avoir tenu compte du fait que l’intimée a eu possession des meubles tout au long des procédures et qu’il a dû s’acheter des meubles pour la résidence B vu le refus de cette dernière de lui permettre de récupérer des meubles de la résidence de Floride.

[132] Ce moyen d’appel n’est pas sérieux.

[133] En plus de ne pas démontrer que la conclusion factuelle du juge est entachée d’une erreur manifeste et déterminante, l’appelant fait abstraction de la décision du tribunal rejetant sa requête de récupérer une partie des meubles de la résidence de Floride pour meubler sa propre maison. La situation dont il se plaint découle ainsi d’une décision du tribunal et non de l’intimée.

(Références omises)

[7] Madame reprend le sentier de la guerre le 20 juillet 2015, réclamant une ordonnance de sauvegarde, présentée avec un préavis minimal, par laquelle elle recherche le remboursement de certains frais particuliers de l’enfant des parties, à compter de 2009. Elle souligne qu’elle en assume plus que sa part car X réside avec elle à temps complet depuis le 1er novembre 2014, bien que le jugement de divorce ordonnait la garde partagée.

[8] Le 26 octobre 2015, Monsieur présente une requête en modification des mesures accessoires visant à obtenir l’annulation de la pension alimentaire versée tant pour le bénéfice de Madame que celui de X, au motif de perte d’emploi et vente de son entreprise, survenues toutes deux en octobre 2015.

[9] Madame réplique alors en novembre 2015 par une requête pour provision pour frais et une nouvelle ordonnance de sauvegarde. Le 20 avril 2016, Madame y ajoute la question d’ajustement rétroactif de la pension alimentaire pour X.

[10] Monsieur modifie sa demande le 1 avril 2016, puis la remodifie le 29 décembre 2016. Dans l’intervalle, Madame présente, le 22 juillet 2016, une nouvelle demande intérimaire pour obtenir certains documents ainsi que le paiement de certains autres frais particuliers. Plusieurs vacations à la cour ont lieu dans ce dossier en 2015 et 2016.

[11] Lors de l’instruction, les deux parties ont fait un effort colossal en vue de régler le dossier. Madame renonce à sa pension alimentaire pour elle-même, rétroactivement au 12 octobre 2015. Elle s’engage aussi à assumer dorénavant en totalité les frais particuliers de X, à compter de la dernière mise à jour, soit en date du 18 octobre 2016.

[12] Enfin, elle s’engage séance tenante à remettre au bureau des procureurs de Monsieur les 3 toiles de l’artiste Zilon avant le 20 janvier 2017, à propos desquelles les parties échangent la correspondance depuis déjà 2014.

[13] De son côté, Monsieur se désiste de sa demande de pension alimentaire pour lui-même. Il se désiste également de sa demande d’annulation de la pension alimentaire pour l’enfant X, rétroactivement au 12 octobre 2015.

[14] Malheureusement, malgré la bonne volonté et la collaboration de tous devant le Tribunal, le litige n’a pas été réglé et plusieurs points doivent connaître leur dénouement par la présente décision.

QUESTIONS EN LITIGE

[15] Le Tribunal répondra aux questions suivantes en abordant le droit applicable à chacune d’elles et en les discutant ensuite :

1) la détermination et la rétroactivité de la pension alimentaire pour X;

2) la demande de Madame en remboursement de 16 624,83 $ pour des frais particuliers de X;

3) les demandes mutuelles de provision pour frais;

4) la demande de Monsieur en mainlevée de l’hypothèque légale;

5) la demande de Monsieur en remboursement d’une somme de 28 802,00 $ en regard du renouvellement d’hypothèque;

6) le partage des meubles et/ou la demande de compensation de 57 577,50 $ de Monsieur;

7) les demandes mutuelles des frais de justice;

8) la demande de Madame en rejet de la demande remodifiée de Monsieur.

ANALYSE
1) La pension alimentaire pour X

[16] Madame veut modifier le montant de la pension en fonction de la garde exclusive de X depuis le 1er novembre 2014 et aux fins de son calcul, souhaite majorer les revenus de Monsieur en y ajoutant les sommes reçues de la vente des actions de ce dernier. Monsieur convient que la garde a changé mais n’admet pas les revenus que Madame lui impute. Les deux parties présentent des tableaux détaillés, des positions subsidiaires et les formulaires prescrits pour étayer leur position.

Le droit

[17] En 2006, la Cour suprême du Canda a énoncé les principes en matière de la rétroactivité des pensions alimentaires payables aux enfants dans l’arrêt D.B.S. c. S.R.G.; L.J.W. c. T.A.R.; Henry c. Henry; Hiemstra c. Hiemstra[3]. Il est opportun de rapporter un extrait du résumé de l’opinion majoritaire :

Le tribunal saisi d’une demande d’ordonnance rétroactive doit considérer l’affaire dans sa globalité et trancher en fonction des faits de l’espèce. La certitude du parent débiteur doit être mise en balance avec l’impératif de l’équité envers l’enfant et celui de la souplesse. Le tribunal doit donc tenir compte de la raison pour laquelle le parent créancier a tardé à demander l’ordonnance alimentaire, du comportement du parent débiteur, des situations antérieure et actuelle de l’enfant, y compris ses besoins au moment où la pension aurait dû être versée, et des difficultés que pourrait causer une ordonnance rétroactive. Lorsqu’il conclut qu’une ordonnance alimentaire rétroactive est indiquée, il doit généralement la faire rétroagir, jusqu’à concurrence de trois ans, à la date à laquelle le parent créancier a réellement informé le parent débiteur qu’une pension devait être payée ou que la pension versée devait être majorée. L’information réelle ne suppose pas l’exercice d’un recours judiciaire par le parent créancier; il suffit que le sujet ait été abordé. Une fois informé, le parent débiteur ne peut plus tenir le statu quo pour équitable.

(le Tribunal souligne)

[18] En application de ces principes, la Cour suprême du Canada émet des critères - dont aucun n’est déterminant - à considérer pour décider s’il y a lieu de rendre une ordonnance alimentaire rétroactive au profit de l’enfant :

• l’existence d’un motif valable d’avoir tardé à présenter la demande;

• le comportement du parent débiteur;

• la situation de l’enfant;

• les difficultés occasionnées par une ordonnance rétroactive.

[19] La Cour d’appel applique toujours ces critères énoncés par la Cour suprême du Canada, et souligne encore tout récemment dans Droit de la famille - 17122[4]:

[20] (…) Il convient de rappeler les enseignements de la Cour suprême qui doivent prévaloir en pareille circonstance :

115 Une ordonnance rétroactive peut parfois causer des difficultés que ne causerait pas une ordonnance pour l’avenir, et ce, pour différentes raisons. […] Le tribunal doit reconnaître que, dans ce contexte, les difficultés considérées ne touchent pas uniquement le parent débiteur : il est ardu de justifier par le principe de la priorité aux enfants l’ordonnance rétroactive qui cause des difficultés aux autres enfants du parent débiteur. Bref, l’ordonnance rétroactive se distingue de l’ordonnance prospective par la manière dont elle perturbe la gestion des finances du parent débiteur. Le tribunal doit en tenir compte.

[Soulignement ajouté]

(Références omises)

[20] Ces principes sont codifiés désormais aux articles 595 et suivants du Code civil du Québec (C.c.Q.) :

595. On peut réclamer, pour un enfant, des aliments pour des besoins existant avant la demande; on ne peut cependant les exiger au-delà de trois ans, sauf si le parent débiteur a eu un comportement répréhensible envers l’autre parent ou l’enfant.

En outre, lorsque les aliments ne sont pas réclamés pour un enfant, ceux-ci peuvent l’être pour des besoins existant avant la demande sans néanmoins pouvoir les exiger au-delà de l’année écoulée; le créancier doit alors prouver qu’il s’est trouvé en fait dans l’impossibilité d’agir plus tôt, à moins qu’il n’ait mis le débiteur en demeure dans l’année écoulée, auquel cas les aliments sont accordés à compter de la demeure.

596. Le débiteur de qui on réclame des arrérages peut opposer un changement dans sa condition ou celle de son créancier survenu depuis le jugement et être libéré de tout ou partie de leur paiement.

Cependant, lorsque les arrérages sont dus depuis plus de six mois, le débiteur ne peut être libéré de leur paiement que s’il démontre qu’il lui a été impossible d’exercer ses recours pour obtenir une révision du jugement fixant la pension alimentaire.

596.1. Afin de maintenir à jour la valeur des aliments dus à leur enfant, les parents doivent, à la demande de l’un d’eux et au plus une fois l’an, ou selon les modalités fixées par le tribunal, se tenir mutuellement informés de l’état de leurs revenus respectifs et fournir, à cette fin, les documents prescrits par les règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants édictées en application du Code de procédure civile (chapitre C-25.01).

L’inexécution de cette obligation par l’un des parents confère à l’autre le droit de demander, outre l’exécution en nature et les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il a subi, notamment pour compenser les honoraires professionnels de son avocat et les débours qu’il a engagés.

[21] Ces dispositions du C.c.Q. sont par ailleurs applicables en matière de divorce[5]. La Cour d’appel dans l’arrêt Droit de la famille ― 16598[6] confirme l’interprétation qu’il faut donner à l’article 595 C.c.Q. en mentionnant que le nouveau libellé permet, de plein droit, faire rétroagir une demande de contribution alimentaire pour enfants pour les trois années qui précèdent la demande :

[29] Cet article servait, entre autres, à encadrer et à restreindre l’adage que «les aliments ne s’arréragent pas», adage qui s’appuyait sur l’idée qu’en l’absence de réclamation d’aliments on devait présumer soit l’absence de besoin, soit une renonciation à les réclamer. La rédaction de l’article 595 C.c.Q., dans sa version antérieure aux amendements de 2012, clarifiait donc la situation en matière de réclamations d’aliments pour la période qui précédait la demande en prévoyant non seulement les circonstances permettant d’en réclamer (impossibilité d’agir ou mise en demeure), mais aussi en limitant les réclamations à douze mois avant la demande .

[30] Cet article fut remplacé en 2012 afin de faire la distinction entre les demandes visant les aliments pour enfant et celles visant le conjoint ou l’ascendant. Maintenant, l’article prévoit que les aliments peuvent être réclamés pour un enfant au-delà de l’année écoulée avant la demande, et ce, jusqu’à concurrence de trois ans, sans avoir à démontrer une impossibilité d’agir plus tôt ou une mise en demeure antérieure du parent débiteur. On peut même réclamer les aliments au-delà de trois ans si le parent débiteur a eu un comportement répréhensible envers l’autre parent ou l’enfant : (…) »

(Références omises)

[22] Enfin, la récupération d’un trop-perçu au niveau de la pension alimentaire payée au bénéfice d’un enfant n’est ordonnée qu’à titre exceptionnel, tel que la Cour d’appel vient de le rappeler[7] :

[15] L’analyse de la question de la rétroactivité d’une ordonnance alimentaire nécessite une approche contextuelle et doit se faire en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant en vue de ne pas le priver de son droit fondamental aux aliments.

[16] Lorsque la rétroactivité, comme c’est le cas en l’espèce, ne profite pas à l’enfant pour lequel une pension alimentaire est versée et que le remboursement du trop-perçu est susceptible de causer un préjudice à l’autre enfant dont la garde continue à être assumée par le parent créancier de la pension alimentaire, l’intérêt de cet enfant doit primer sur toute autre considération.

[17] Cette idée a été bien énoncée par le juge Senécal dans l’affaire Droit de la famille - 2953 :

[15] S'il est vrai que les aliments ne s'arréragent pas, il est tout aussi vrai que, d'une façon générale, et surtout dans le cas où ils sont versés pour des enfants, ils ne sont pas accordés pour que l'argent soit mis de côté. La pension alimentaire est utilisée au fur et à mesure de son versement pour pourvoir aux besoins des personnes pour lesquelles elle est destinée. Une fois dépensée, la pension n'est plus disponible et le créancier alimentaire n'a plus cet argent pour la rembourser. Il lui faudrait éventuellement se priver d'aliments pendant un certain temps pour pouvoir payer sa dette… ou demander des aliments pour acquitter cette obligation!

[16] Voilà entre autres pourquoi lorsque l'obligation alimentaire a été exécutée, il ne peut généralement y avoir annulation rétroactive de la pension avant la date de signification de la requête, sauf cas de fraude.

[18] Ce jugement a été endossé par notre Cour et repris à plusieurs reprises, notamment dans les arrêts F.G. c. D.T. et Droit de la famille - 19754.

Application

[23] L’article 595 C.c.Q. permet de répondre aux prétentions de Monsieur. Il est admis que Madame a, dans les faits, la garde exclusive de X depuis le 1er novembre 2014. Pourtant, c’est seulement le 27 juillet 2015 que Madame avise Monsieur[8] qu’elle souhaite revoir le montant de la pension alimentaire, et c’est uniquement le 20 avril 2016 que cette demande est présentée de façon formelle via une procédure pour modification des mesures accessoires, provision pour frais et demande d’ordonnance de sauvegarde.

[24] Monsieur a tort d’en tenir rigueur à Madame. Cette dernière peut, dans tous les cas, rechercher les aliments dus en faveur de l’enfant des parties jusqu’à trois ans avant la signification de sa demande, sans devoir le justifier. Le Tribunal rappelle que l’obligation alimentaire au bénéfice de l’enfant n’est pas tributaire des prescriptions procédurales mais relève plutôt de la responsabilité découlant de la filiation. L’enfant a le droit de connaître un niveau de vie qui correspond aux moyens de ses deux parents.

[25] La pension alimentaire devra donc être établie en fonction des revenus respectifs de Monsieur et de Madame, dans une optique de garde exclusive accordée à Madame, à compter du 1er novembre 2014. Or, au moment d’entreprendre sa procédure, Monsieur verse au bénéfice de l’enfant une pension alimentaire d’environ 468 $ par mois, calculée suivant les paramètres d’une garde partagée.

[26] Le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants[9] (« le Règlement ») prévoit, à son article 9, la définition suivante :

9. Pour l’application des présentes règles, y compris le formulaire et la table qui s’y rapportent, on entend par: (…)

2. «revenu annuel»: les revenus de toute provenance, incluant les traitements, salaires et autres rémunérations, les pensions alimentaires versées par un tiers et reçues à titre personnel, les prestations d’assurance-emploi, d’assurance parentale et autres prestations accordées en vertu d’une loi au titre de Régime de retraite ou de Régime d’indemnisation, le montant imposable des dividendes, les intérêts et autres revenus de placement, les revenus nets de location et les revenus nets tirés de l’exploitation d’une entreprise ou d’un travail autonome;(…)

[27] En fonction de cette définition, le Tribunal estime que les sommes touchées par Monsieur suite à la vente d’entreprise en octobre 2015 ne constituent pas des « revenus » au sens du Règlement, et ce, d’autant plus qu’il s’agit de la somme représentant la réalisation de la société d’acquêts. Il y a lieu de souligner que Monsieur recevra seulement une somme de 160 000,00 $ de la vente de ses actions dans l’entreprise dont la Cour d’appel avait évalué la valeur partageable à 646 261,00 $. Ainsi, les montants perçus ou à percevoir par Monsieur de la vente de son entreprise ne constituent pas des revenus en regard de son obligation alimentaire.

[28] Bref, les montants de revenus respectifs des parties sont ceux soumis par Monsieur, soit le revenu fixe de 73 000 $ imputé à Madame suivant le jugement Chrétien (dont la conclusion à cet égard n’a jamais été remise en question) et ses propres revenus de :

- 185 151 $ en 2014,
- 141 478 $ en 2015 et
- 2 557,92 $ en 2016.
[29] En application de ces montants, Monsieur a payé en trop les sommes de :

- 591,40 $[10] en 2014,
- 5 693,76 $ en 2016 et
- 962,24 $ en 2017[11].
[30] Toutefois, suivant les enseignements de la Cour d’appel rapportés au paragraphe 22 de ce jugement, il n’est pas opportun d’autoriser la récupération de ces montants. Il ne s’agit pas d’un dossier exceptionnel permettant d’autoriser le remboursement du trop-perçu. Cet argent a servi à répondre aux besoins alimentaires de X.

[31] Quant à 2015, Monsieur a versé 12 mensualités de 468,85 $ pour un total de 5 626,20 $ alors qu’il aurait dû payer 9 490,01 $, ce qui crée un déficit de 3 863,81 $. Ainsi, en 2015, Monsieur aurait dû contribuer davantage. Il reconnait lui-même que le montant non payé est de 3 863,81 $ et c’est la somme qu’il doit à Madame à ce titre. Il n’y a pas lieu de compenser avec le trop-payé lors des autres années. Cela dit, il est manifeste que Monsieur ne peut plus remplir ses obligations alimentaires vis-à-vis X à compter du 12 octobre 2015, car il n’a plus de revenus.

2) Les frais particuliers de X

[32] Madame demande le remboursement de 16 624,83 $ en présentant un tableau détaillé de tous les frais engagés depuis 2009 et en opérant compensation avec les montants dépensés par Monsieur. Ce dernier nie devoir quoi que ce soit, arguant que certains frais sont prescrits, d’autres ont été engagés sans son consentement et même parfois à son insu, enfin, qu’il a contribué à ces frais à hauteur de ses capacités financières et sinon même davantage.

Le droit

[33] Le Règlement définit les frais particuliers de la façon suivante :

9. Pour l’application des présentes règles, y compris le formulaire et la table qui s’y rapportent, on entend par:

1° «frais»:

— les frais de garde, outre les frais annuels de garde requis pour répondre aux besoins de l’enfant, ceux que le parent gardien doit engager notamment pour occuper un emploi ou recevoir une formation, ou en raison de son état de santé;

— les frais d’études postsecondaires, soit les frais annuels engagés pour permettre à un enfant de poursuivre des études postsecondaires, y compris notamment, outre les frais de scolarité et les frais liés au matériel pédagogique requis, les frais de transport ou de logement engagés à cette fin;

— les frais particuliers, soit les frais annuels autres que les frais de garde et les frais d’études postsecondaires, tels les frais médicaux, les frais relatifs à des études primaires ou secondaires ou à tout autre programme éducatif et les frais relatifs à des activités parascolaires, lorsque ces frais sont liés aux besoins que dicte, à l’égard de l’enfant, la situation particulière dans laquelle il se trouve.

Les frais de garde, les frais d’études postsecondaires et les frais particuliers sont réduits, le cas échéant, de tout avantage, subvention, déduction ou crédit d’impôt y afférent, y compris de tout montant reçu par l’enfant dans le cadre des programmes d’aide financière aux études accordé par le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, diminué, le cas échéant, de la charge fiscale qui s’y rattache. Le montant de chacun de ces frais ainsi réduits est réputé être égal à zéro lorsque ce montant est négatif;

[34] La Cour d’appel rappelle les principes applicables dans Droit de la famille-16598[12] :

[45] La contribution alimentaire parentale de base est présumée correspondre aux besoins de l’enfant et aux facultés des parents. Elle vise à couvrir les besoins de base de l’enfant.

[46] Toutefois, le second alinéa de l’article 587.1 C.c.Q. prévoit que cette contribution alimentaire parentale de base peut être augmentée pour tenir compte de certains frais relatifs à l’enfant prévus au Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, soit frais annuels autres que les frais de garde et les frais d’études postsecondaires, tels les frais médicaux, les frais relatifs à des études primaires ou secondaires, ou à tout autre programme éducatif, et les frais relatifs à des activités parascolaires. Le Règlement précise que ces frais doivent être liés aux besoins que dicte la situation particulière dans laquelle se trouve l’enfant. L’article 587.1 C.c.Q. précise aussi que ces frais ne s’ajoutent à la contribution alimentaire que dans la mesure où ceux-ci sont raisonnables eu égard aux besoins et facultés de chacun. Une double limite s’applique donc à ces frais.

(Références omises)

[35] Elle y cite, avec approbation, l’arrêt de principe Droit de la famille - 3228[13], dans lequel elle avait établi que la réglementation et la législation « imposent une double limite à l'admissibilité des frais particuliers; en premier lieu, ils doivent être raisonnables eu égard aux besoins et aux facultés des parents et, en deuxième lieu, ils doivent être liés aux besoins dictés par la situation particulière de l'enfant.».

[36] Plus particulièrement dans Droit de la famille – 092814[14], la juge Marcotte, alors de cette Cour, rappelait le principe incontournable en cette matière :

[53] Le Tribunal rappelle par ailleurs que les tribunaux ont tendance à se montrer sévères à l'égard du parent qui engage des frais pour un enfant sans consulter l'autre parent au préalable, s'agissant d'un accroc au principe du partage de l'autorité parentale (art. 600 C.c.Q.)

[37] Enfin, les frais particuliers étant de nature alimentaire, ils sont soumis au délai de trois ans[15] suivant l’article 595 C.c.Q.

Application

[38] Madame présente un tableau très détaillé[16] des frais qu’elle a engagés et dont elle réclame le remboursement, en proportion inégale entre les parties, en application de la conclusion contenue au paragraphe 288 du jugement Chrétien.

[39] Tout d’abord, le Tribunal note que Madame recherche le remboursement de frais à compter de 2009. Or, l’article 595 C.c.Q. fait en sorte que les frais antérieurs au 20 juillet 2012 ne peuvent être réclamés. Les autorités mentionnées ci-dessus en ce qui concerne la rétroactivité de la pension alimentaire au bénéfice de X sont aussi applicables à cet égard. Or, Madame fait défaut de démontrer ni même alléguer pourquoi elle n’en a pas formulé la demande avant le 20 juillet 2015.

[40] Ensuite, le Tribunal note que les tableaux préparés par les parties ne distinguent pas entre les frais engagés avant et après la date charnière du 20 juillet 2012. En conséquence, le Tribunal ne tiendra pas compte des montants et dépenses engagés en 2011 et avant cette année, laissant ainsi un bénéfice du doute, faute de preuve, de tous les frais au profit de X pour l’année 2012.

[41] Cela exclut donc du calcul, car réclamées hors délais, les sommes de 2 474 $ de cours de piano, de 1 239 $ de cellulaire, de 417,64 $ de transport scolaire, de 717,12 $ pour l’ordinateur (ainsi que les achats des applications et logiciels pour 445,14 $, car Monsieur n’y consentait pas vu les résultats scolaires de X), de 397,99 $ de matériel scolaire et de 240 $ de cours de yoga, soccer et gardiens avertis, le tout pour un total de 5 485,75 $.

[42] Cela a pour effet d’exclure aussi, pour le même motif, tous les frais d’orthodontie de 6 675 $ payés exclusivement par Monsieur.



[43] Il n’y a pas de preuve en l’espèce que X a besoin d’un permis de conduire, ni pour occuper un emploi ni pour ses études. Elle habite à Ville A, au centre-ville [...], un endroit bien pourvu d’établissements d’enseignement et desservi adéquatement par le transport en commun. Ainsi, les frais particuliers en l’instance ne peuvent comprendre les cours de conduite ni le permis de conduire[17]. De plus, Monsieur n’y consentait pas. Ce constat a pour effet de diminuer la réclamation de Madame d’un montant de 1 005,94 $.

[44] Comme conséquence, les coûts de transport en commun pour suivre ses cours post secondaires sont visés par l’article 9 du Règlement. X se déplace en transport en commun et la réclamation de 64 $ pour 2015 est justifiée (depuis, ces frais sont assumés par le REEE). En revanche, les frais de transport avant la rentrée scolaire en 2015, alors que X fréquente l’école secondaire, font partie de la pension alimentaire.

[45] Le coût du voyage au Brésil est de 3 456,01 $. Monsieur avait proposé d’en payer la moitié mais affirme qu’il retire dorénavant cette offre. Sa déclaration à l’époque démontre qu’il était d’accord avec ce voyage, organisé par ailleurs sous l’égide de l’école de X. Le Tribunal estime qu’il doit tenir sa parole et encore davantage lorsqu’il est question d’un engagement pris en faveur de sa fille unique. Monsieur assumera ainsi la moitié de ces frais, soit une somme de 1 728 $. La correspondance contemporaine n’indique pas que son offre était conditionnelle et le changement d’attitude de Monsieur semble constituer davantage une mesure de représailles contre Madame.

[46] Quant au voyage de X à Londres, il est manifeste que Monsieur le refusait, faute de moyens. Madame a tout de même autorisé cette excursion et doit en assumer, seule, les conséquences financières.

[47] Au niveau de frais scolaires et parascolaires, Monsieur a contribué à 100 % à l’achat des manuels scolaires tandis que Madame a assumé les autres frais. En plus, elle revendait les livres à la fin de l’année scolaire et en gardait les profits ou les recyclait dans d’autres fournitures scolaires.



[48] Aussi, Madame admet que Monsieur a payé 1 681,17 $ pour l’éducation et des activités parascolaires, la robe de bal de 200 $, 172 $ pour les cours de photo et 260 $ pour le Festival Trans Amérique. Bref, la preuve ne démontre pas de façon prépondérante que Monsieur doit contribuer davantage à ce qu’il a déjà versé et qu’il doive aussi participer aux autres dépenses n’ayant pas fait l’objet de son consentement, si jamais il s’agissait véritablement de frais particuliers (notamment le yoga, le soccer, les cours de gardien averti etc…).

[49] Quant aux frais médicaux pour X, Monsieur ne devait en assumer que 37,5 % suivant le consentement à jugement intérimaire du 27 juillet 2016, puisque les frais nets étaient alors estimés par la demanderesse à 8 000 $. Or, il s’avère que Madame a réussi à obtenir, du régime public de la RAMQ, un remboursement de la moitié des frais de l’intervention, résultant donc en un coût de 4 000 $ pour les parties. Considérant la contribution de Monsieur, alors que celui-ci suivant la décision du Tribunal a déjà versé 3 000 $, Madame n’en paiera finalement que 1 000 $.

[50] Le Tribunal note que la réclamation de Madame prend pourtant en considération cette dépense, déjà payée par Monsieur, ainsi que des frais à venir. Le Tribunal estime que ces derniers ne peuvent faire l’objet de détermination actuellement. Ils ne sont pas encore engagés et, donc, ils sont incertains. En conséquence, Monsieur ne doit assumer aucun autre montant à ce chapitre.

[51] Aussi, X est bénéficiaire d’une assurance collective via la conjointe de Monsieur. Malheureusement, Madame a omis de soumettre les réclamations au fur et à mesure, bien qu’elle ait été mise au courant de cette assurance-santé[18]. Elle ne peut donc rechercher le remboursement de frais qu’elle a fait défaut de réclamer (tout en prenant en considération que le montant de 3 000 $ payé par Monsieur couvre sans doute ces déboursés).

[52] Madame exige aussi le remboursement du coût et des frais considérables pour le cellulaire de X. Or, Madame avait pris de façon unilatérale cette décision d’offrir le portable à la fille des parties. Elle dit à ce sujet : « (…) je l’assume personnellement et entièrement. »[19]. Madame aussi doit tenir sa parole et ainsi assumer cette dépense. De surcroit, la conjointe de Monsieur a payé une partie de l’abonnement téléphonique de X pendant plusieurs mois.

[53] Enfin, Monsieur doit contribuer aux frais de renouvellement de passeport et les frais d’avocat à l’enfant pour un total de 420,75 $. Il ne présente d’ailleurs aucun argument à l’encontre de cette prétention.

[54] En récapitulant, Monsieur doit à Madame à titre de frais particuliers la somme de 2 212,75 $ (60 $ + 1 728 $ + 420,75 $). Cette somme ne portera pas d’intérêt car les échéances de chaque poste budgétaire sont différentes et Madame n’allègue pas avoir dû emprunter ou payé les intérêts pour acquitter ces dépenses. D’ailleurs, puisque cette somme fera l’objet de compensation avec d’autres montants payables de part et d’autre dont les échéances et termes sont tous différents, la résultante sera aussi sans intérêts.

3) Les demandes mutuelles de provision pour frais

[55] Chaque partie demande une provision pour frais, Madame pour un montant de 30 000,00 $ et Monsieur, pour un montant de 20 000,00 $.

Le droit

[56] La Cour d'appel a déterminé les critères d'application d'une telle ordonnance[20] :

- la nécessité pour le créancier de l’attribution de la provision pour frais;
- les besoins et les moyens de la partie qui la requiert;
- les ressources du débiteur, du créancier et leur disparité;
- la nature, la complexité et l’importance du litige;
- la protection des droits des enfants ou une demande de nature alimentaire;
- le comportement respectif des parties.
Application

[57] Les parties se font un nombre incalculable de griefs concernant les procédures entreprises depuis 2015 ainsi qu’au sujet de leur comportement répréhensible dans la conduite de ce dossier. Entre l’été 2015 et l’instruction en janvier 2017, les parties ont sollicité la Cour à quelques reprises, parfois de façon urgente sans qu’il n’y ait eu un véritable besoin de le faire. Le Tribunal est d’avis que ni l’une ni l’autre partie n’a totalement raison et que personne en l’instance n’est complétement exempt de reproche ou, encore, victime de son vis-à-vis qui l’entraînerait dans des procédures inutiles. Les deux parties se retrouvent à la Cour car elles croient, à tort, que c’est la façon de forcer le dialogue et surtout, d’avoir raison.

[58] En l’espèce, les deux parties, et davantage Madame, ont les moyens de faire valoir leurs droits. Le litige n’est pas complexe, particulièrement à partir du moment où les demandes principales, ayant trait aux pensions alimentaires ont été réglées hors cour à l’occasion de l’instruction.

[59] Même si le bilan de Monsieur est peu reluisant du fait que son actif principal est lourdement hypothéqué, il a fait durer les procédures par des demandes qui n’ont pas toutes été accueillies et en refusant, y compris lors de l’instruction, absolument tout paiement à titre de frais particuliers. Aussi, même s’il est actuellement sans revenu, il touche des montants appréciables à la suite de la vente de son entreprise, et donc est en mesure d’assumer les honoraires professionnels.

[60] Enfin et surtout, personne n’a besoin ici d’une provision pour frais afin de protéger les droits de nature alimentaire. Bref, l’évaluation globale des facteurs pertinents milite contre son octroi à quiconque.

[61] Il faut éviter d’alimenter la guérilla judiciaire[21]. Or, le Tribunal estime qu’ordonner un paiement à ce titre à l’une ou l’autre des parties entretiendrait le sentiment d’avoir eu gain de cause et n’apporterait rien de positif dans le dénouement global et définitif de ce dossier.
4) La mainlevée de l’hypothèque légale

[62] Monsieur réclame la mainlevée de l’hypothèque prise par Madame, car désormais cette mesure est selon lui «dépourvu[e] de toute logique et de toute proportionnalité dans les présentes circonstances ». Madame répond en affirmant que tant qu’une pension alimentaire pour X est payable, l’hypothèque légale sur la résidence de Monsieur garantit le paiement des versements à venir, notamment en regard du remboursement des frais particuliers ainsi que du réajustement de la pension alimentaire de l’enfant des parties rétroactivement au 1 novembre 2014. Selon elle, les paiements auxquels Monsieur s’engage en faveur de X, seraient « hautement à risque ». De plus, elle lui reproche de confondre les concepts de saisie et d’hypothèque légale.
Le droit
[63] Un créancier alimentaire peut enregistrer un avis d’hypothèque légale suivant l’article 2730 C.c.Q :

2730. Tout créancier en faveur de qui un tribunal ayant compétence au Québec a rendu un jugement portant condamnation à verser une somme d’argent, peut acquérir une hypothèque légale sur un bien, meuble ou immeuble, de son débiteur.

Il l’acquiert par l’inscription d’un avis désignant le bien grevé par l’hypothèque et indiquant le montant de l’obligation, et, s’il s’agit de rente ou d’aliments, le montant des versements et, le cas échéant, l’indice d’indexation. L’avis est présenté avec une copie du jugement; il doit être signifié au débiteur.

[64] Le créancier peut se prévaloir de cet outil même lorsqu’il n’y a pas d’arriérés de pension alimentaire[22]. Tant que la créance n’est pas satisfaite et en l’absence d’une fiducie ou d’une sûreté suffisante, le créancier a le droit de maintenir l’hypothèque.

Application
[65] Le Tribunal note que Monsieur s’est toujours acquitté de ses obligations financières et, qu’en plus, il existe même actuellement un trop-payé à ce chapitre. De surcroît, il y a lieu de souligner que Monsieur n’a jamais réclamé un ajustement à la baisse des pensions alimentaires qu’il payait et ce, en dépit de la diminution de son revenu.

[66] Enfin, Monsieur n’a plus à payer de pension alimentaire pour Madame, ne devra rien ni à titre de pension alimentaire à X ni à titre de frais particuliers, après compensation avec d’autres montants, et compte tenu de l’engagement de Madame d’assumer seule désormais les frais particuliers, il perdra donc sa qualité de débiteur alimentaire. Ainsi, il n’existe plus aucune raison de maintenir l’hypothèque immobilière. De surcroît, X est désormais majeure et c’est elle qui est devenue créancière de l’obligation alimentaire, à l’exclusion de Madame.



5) La demande de remboursement d’une somme de 28 802,00$

[67] Monsieur réclame ce montant représentant les dommages financiers qu’il allègue avoir subis en raison du refus de Madame de procéder à la mainlevée de l’hypothèque immobilière. Selon lui, il a ainsi renégocié le financement de sa résidence à des conditions hautement désavantageuses, puisqu’au lieu de procéder avec une hypothèque traditionnelle, il a dû avoir recours à un prêteur privé qui a accepté un rang subalterne mais en échange d’un taux d’intérêt très élevé et des frais considérables.

Le droit

[68] Cette réclamation pour dommages subis à l’occasion de renouvellement d’hypothèque sur la résidence de Monsieur constitue sur le plan juridique une demande en responsabilité civile et, en conséquence, Monsieur doit démontrer ses trois composantes, soit une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage suivant l’article 1457 C.c.Q. :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

Application

[69] Ici, Madame a procédé à enregistrer l’hypothèque non pas parce que Monsieur a été mauvais payeur, mais parce que l’arrêt de la Cour d’appel rendu en septembre 2013, modifiant à la hausse le montant et enlevant le terme de la pension alimentaire en sa faveur, a créé immédiatement des arriérés. Dès le mois de décembre 2014 ceux-ci sont acquittés. Voilà pourquoi dès le 27 janvier 2015, Revenu Québec transmet un formulaire permettant à Madame de lever l’hypothèque. Or, Madame ne s’exécutera pas, malgré de nombreuses lettres de Monsieur le lui demandant.

[70] C’est uniquement à l’occasion d’une vacation à la cour en avril 2016, qu’elle consent à céder le rang hypothécaire de son inscription, permettant ainsi à Monsieur de refinancer sa résidence à des conditions plus avantageuses.

[71] Même en tenant pour acquis les dommages allégués[23], le Tribunal estime qu’il n’existe aucun élément pouvant entraîner la conclusion que le geste posé par Madame constitue une faute de sa part. Monsieur reconnait d’ailleurs que Madame peut utiliser la mesure de protection qu’est l’hypothèque légale, mais qu’en l’espèce elle l’a fait de façon abusive et déraisonnable, dans le strict but de lui nuire, l’hypothèque n’ayant jamais été justifiée en l’espèce.

[72] Le Tribunal n’est pas de cette opinion et n’estime pas que cet avis d’hypothèque légale a été disproportionné ou abusif dans les circonstances. Madame prétendait que Monsieur lui devait à titre de pension alimentaire au bénéfice de X une somme considérable et la maison de Monsieur est son seul actif.

[73] Madame a le droit de se prévaloir de cet outil de protection même pour des versements futurs tant et aussi longtemps qu’elle est créancière alimentaire, ce qui était le cas ici jusqu’au 13 janvier dernier, tant pour elle-même que pour le bénéfice de l’enfant des parties, X.

[74] De plus, Monsieur n’établit pas le lien de causalité satisfaisant. C’est lui qui décide d’acheter cette résidence à la séparation des parties et c’est lui qui procède à l’hypothéquer. Le juge Chrétien déclare pourtant à ce sujet déjà en 2011 :

[195] Il reste un dernier actif à Monsieur dont il faut discuter et c'est la Maison B qu'il a achetée le 3 septembre 2008 au prix de 870 000 $ et pour laquelle il a contracté une hypothèque de 652 000 $. Monsieur a donc versé la somme de 218 000 $ provenant de ses acquêts, diminuant ceux-ci d'autant. Cela a donc eu pour effet que sa dette envers Madame est plus élevée, tel que déjà mentionné.

[196] De plus, Monsieur y a fait des travaux relativement importants en utilisant de l'argent provenant aussi de ses acquêts et en empruntant.

[197] Madame a obtenu une saisie avant jugement sur la Maison B le 15 mai 2009 afin de garantir le paiement de sa créance envers Monsieur.

[198] Monsieur ne peut pas conserver cette maison, achetée surtout grâce à une partie importante de ses acquêts. Cette maison doit être vendue afin de libérer des fonds pour que la dette de Monsieur envers Madame diminue le plus possible. D'ailleurs, lors du procès, Monsieur a indiqué à contrecœur que s'il fallait le faire, il le ferait.

[199] Le Tribunal ordonne donc la mise en vente de la Maison B dans le mois suivant la date du présent jugement.

[75] Si la Cour d’appel a réformé cette dernière conclusion, c’est uniquement pour les motifs suivants :

[149] Je propose de maintenir deux de ces modalités : le paiement par l’appelant des sommes dues à l’intimée à même les montants détenus en fidéicommis représentant la part de l’appelant du prix de vente de la maison A et de la résidence de Floride, et le transfert de 6 712 $ dans le REER de l’intimée, en franchise d’impôt. Les autres modalités doivent être écartées en ce que :

(…)

Ø l’obligation de l’appelant de vendre la maison B afin d’acquitter la dette envers l’intimée : l’ordonnance à cet égard énoncée au paragraphe 280 du jugement entrepris est d’une part, non susceptible d’exécution en ce qu’elle ordonne que la vente soit complétée dans les sept mois du jugement, et d’autre part, oblige l’appelant à vendre un bien qui ne fait pas partie de la société d’acquêts. De plus, cette ordonnance a pour effet de créer un encombrement du titre par le maintien de la saisie avant jugement de la maison et de son produit de vente jusqu’au moment du paiement à l’intimée[96];

(…)

[150] Je propose en conséquence de :

Ø modifier le paragraphe 277 du jugement entrepris en substituant i) 759 980 $ au lieu de 1 486 763 $ pour le montant dû par l’appelant à l’intimée; et ii) en précisant les montants à partir desquels le paiement devra être effectué, conformément au paragraphe précédent;

Ø rayer les paragraphes 280 à 282 du jugement entrepris; (…)

[76] Ces décisions confirment que la situation financière de Monsieur était, et demeure encore, difficile. Si la vente de sa maison n’est plus ordonnée, ce n’est pas parce que cette option n’était pas opportune économiquement.

[77] C’est Monsieur qui investit des sommes importantes tant dans l’achat de l’immeuble que dans sa rénovation. Il prend les décisions financières dont il doit assumer les conséquences. Si Madame avait inscrit un avis d’hypothèque légale sur un immeuble libre de toute hypothèque, il n’y aurait eu aucun dommage. Or, le niveau d’endettement ne dépend que de Monsieur; c’est lui qui a décidé non seulement quelle résidence il achetait mais aussi de l’ampleur des travaux de rénovation. C’est lui aussi qui, malgré la précarité de sa situation financière, décide de la garder[24]. En conséquence, le lien de causalité n’est pas démontré en l’espèce entre les actions de Madame et les dommages subis. Cette demande de Monsieur doit donc échouer.

6) Le partage des meubles et la demande de compensation de 57 577,50 $

[78] Monsieur souhaite obtenir une somme d’argent représentant selon lui, la moitié de la valeur des meubles qui auraient dû faire l’objet du partage ordonné par le juge Chrétien. Il demande au Tribunal d’appliquer l’article 49 C.p.c. afin de « rétablir une situation inéquitable ». Madame tient au respect intégral du jugement Chrétien, et affirme que qu’il n’est pas possible de modifier l’ordonnance en question.

Le droit

[79] La conclusion au paragraphe 279 du jugement Chrétien a été maintenue telle quelle par la Cour d’appel. Ce Tribunal ne peut siéger en appel de ce dispositif qui a acquis l’autorité de la chose jugée. Par ailleurs, la demande de Monsieur ne se qualifie pas à titre d’ordonnance modificative au sens de l’article 17 de la Loi sur le divorce, car de toute évidence elle ne porte pas sur une question alimentaire ou de garde :

17 (1) Le tribunal compétent peut rendre une ordonnance qui modifie, suspend ou annule, rétroactivement ou pour l’avenir :

a) une ordonnance alimentaire ou telle de ses dispositions, sur demande des ex-époux ou de l’un d’eux;

b) une ordonnance de garde ou telle de ses dispositions, sur demande des ex-époux ou de l’un d’eux ou de toute autre personne. (…)

[80] Aussi, il est acquis que cette disposition de la Loi sur le divorce ne permet pas de modifier une convention de partage de patrimoine[25].

[81] En l’espèce il s’agit d’une question relative à l’exécution d’un jugement et le C.p.c. prévoit à ce sujet :

328. Le jugement qui porte condamnation doit être susceptible d’exécution. Ainsi, la condamnation à des dommages-intérêts en contient la liquidation et la condamnation solidaire contre les auteurs d’un préjudice détermine, pour valoir entre eux seulement, la part de chacun dans la condamnation si la preuve permet de l’établir.

330. Le jugement qui comporte une autorisation d’agir devient caduc s’il n’est pas exécuté dans le délai qui y est fixé ou, si aucun délai n’est prévu par le tribunal ou la loi, dans les six mois.(…)

[82] Le juge Dugré analyse les dispositions analogues de l’ancien C.p.c.[26], qui étaient de facture similaire, dans Droit de la famille – 1371[27] :

[20] Ainsi, depuis son origine, un jugement n’a jamais eu à être « exécutoire », mais simplement « susceptible d’exécution ». Ni la doctrine ni la jurisprudence ne semblent offrir une définition formelle de l’expression « susceptible d’exécution ». Les tribunaux préfèrent qualifier certains jugements comme étant non susceptibles d’exécution plutôt que de définir les critères déterminants d’un jugement susceptible d’exécution.

[21] L’emploi par le législateur de l’expression « susceptible d’exécution » plutôt que du terme « exécutoire » donne clairement à penser que certains jugements peuvent être susceptibles d’exécution sans être exécutoires et qu’il faille donc, dans certaines circonstances, les faire préciser par jugement afin de les rendre exécutoires et ensuite procéder à leur exécution.(…)

[83] Enfin, le C.p.c. préconise une procédure simple et expéditive en matière d’exécution de jugements tout en prévoyant une certaine discrétion du Tribunal:

657. Le tribunal peut, après le jugement, rendre toute ordonnance propre à faciliter l’exécution, volontaire ou forcée, de la manière la plus conforme aux intérêts des parties et la plus avantageuse pour elles.

659. Toutes les demandes, contestations ou oppositions en matière d’exécution sont présentées comme s’il s’agissait de demandes en cours d’instance; elles sont instruites et jugées sans délai. Elles sont aussi présentées sans formalités lorsqu’il s’agit d’exécuter un jugement rendu en vertu du titre II du livre VI. Dans ce cas, les règles de représentation applicables en cette matière s’appliquent également en matière d’exécution. (…)

[84] Par ailleurs, si par sa faute le débiteur rend impossible l'exécution en nature[28], le Code civil prévoit que le créancier de l'obligation peut obtenir des dommages-intérêts, suivant l’article 1458 C.c.Q. :

1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice. […]

[85] Dans Droit de la famille – 10626[29], le juge Gendreau, sans expliciter ses motifs davantage, autorise un paiement en numéraire à la place d’un partage des meubles, pourtant ordonné dans le dispositif d’un jugement de divorce, car une partie aurait subtilisé les meubles visés par cette conclusion.

[86] En revanche, la Cour supérieure rejette ce type de prétentions dans Droit de la famille – 15202[30], alors que le juge Beaupré refuse une demande de modification des mesures accessoires recherchant à substituer une conclusion du jugement de divorce concernant des mesures patrimoniales par un dédommagement monétaire qui était non prévu dans le dispositif originaire :

[42] Étant donné l’état du droit et la jurisprudence précitée, les conclusions recherchées par Madame visant une condamnation du défendeur à lui verser « un montant minimal (sic) de 38 750$ … afin de rétablir le partage du patrimoine adéquatement, en ce qui concerne la maison et les meubles », et des ordonnances visant « le partage des meubles, partage qui n’a jamais été fait contrairement avec ce qui a été prévu » vont à l’encontre du principe de la chose jugée, sont mal fondées en droit, vouées à l’échec et irrecevables.

Application

[87] C’est une question difficile. Les parties sont dans une impasse. Sept ans après le jugement de divorce, le partage ordonné n’a pas encore eu lieu, alors qu’il devait s’exécuter dans un délai de trois mois après la reddition du jugement Chrétien.

[88] Le Tribunal souligne d’emblée que la conclusion qui ordonne ce partage laisse place à interprétation; soit les meubles à partager sont ceux détenus après la vente des résidences, soit il s’agit de ceux indiqués dans la pièce originale (D-14)[31]. D’autres meubles auraient péri et certains seraient – selon Madame - en possession de Monsieur. Surtout, Madame a vendu une partie de ces meubles, rendant de facto toute tentative de procéder à l’exercice ordonné par le juge Chrétien impossible.

[89] Le Tribunal note que, peu importe que cette vente ait eu lieu à l’insu de Monsieur ou avec son consentement (tel que Madame le prétend, bien que la preuve à ce sujet n’apparaît pas prépondérante[32]), soit Madame, soit les deux parties, ont rendu l’exécution en nature impossible. Les articles 328 et 657 C.p.c. doivent s’appliquer. Une autre issue que celle qui n’est plus susceptible d’exécution, s’impose.

[90] Or, Madame est la débitrice principale de cette obligation étant détentrice des meubles à partager et Monsieur en est le créancier. En application des principes classiques en matière de l’inexécution contractuelle, il y a lieu de confirmer le droit de propriété de tous ces meubles à Madame et lui ordonner de payer la compensation pour la moitié des meubles dont le partage est dorénavant impossible.

[91] Cette conclusion du Tribunal est soutenue aussi ici par le vécu des parties, alors que celles-ci s’échangent pendant des années déjà de la correspondance et des offres à ce sujet, qui démontrent que ni l’une ni l’autre ne sont en état de procéder de façon correcte et sereine à exécuter cette conclusion du jugement Chrétien.

[92] Cette détermination n’est pas en porte-à-faux avec le raisonnement du juge Beaupré cité ci-dessus. Le Tribunal est d’accord avec l’analyse que ce dernier adopte mais ici la situation est différente; il ne s’agit pas d’une demande de modification d’un jugement de divorce parce qu’on souhaite rouvrir une convention entérinée par ce jugement, au motif qu’on s’est trompé sur la valeur du patrimoine[33]. En l’instance, il ne s’agit pas de modifier le dispositif du jugement Chrétien parce qu’on a changé d’idée ou parce qu’on préfère une autre solution.

[93] Ici, le Tribunal conclut que la mise en œuvre de la conclusion du paragraphe 279 du jugement Chrétien est tout simplement impossible. De surcroît, les meubles y mentionnés ne sont pas déterminés avec certitude; les parties ne s’entendent pas à ce sujet, à tel point que Madame produit d’ailleurs au soutien de son argumentation écrite une nouvelle liste de meubles à partager.

[94] Or, la preuve est close. Ainsi, Monsieur n’a pu ni contre-interroger ni présenter sa preuve en regard de cette liste confectionnée par Madame. Monsieur ne demande pas pour autant la réouverture d’enquête, ce qui de toute façon aurait été disproportionné dans les circonstances et donc contraire aux principes directeurs de la procédure.

[95] Certes, on aurait peut-être pu, à l’expiration de la période prescrite de trois mois prévue dans le dispositif du jugement Chrétien, et ensuite après le jugement de la Cour d’appel, solliciter l’intervention du tribunal. Personne ne l’a fait et les échanges de correspondance belliqueuse à ce sujet entre les parties ne font que confirmer la difficulté de la situation[34].

[96] Il reste à en déterminer le montant de compensation. Dans sa procédure d’avril 2016, Monsieur réclame une somme de 30 000 $ à ce titre[35]. Il l’augmente à quelques jours de l’instruction à 57 577,50 $, suivant la détermination effectuée par le juge Chrétien, avec les intérêts et indemnité additionnelle à compter du 12 janvier 2012.

[97] L’évaluation de la valeur de ces meubles 2011 lors du procès est non seulement incomplète, mais surtout ne vaut plus en 2017 pour des raisons évidentes. Les parties indiquent d’ailleurs lors de leurs témoignages à l’instruction ainsi que dans leur correspondance que certains biens auraient perdu en valeur depuis le jugement de divorce.

[98] Le Tribunal estime que le montant de 30 000 $ est à retenir. Monsieur fait défaut de démontrer par la prépondérance de preuve que la somme réellement due est celle qu’il réclame dorénavant, lequel se base sur l’évaluation périmée, et donc inexacte, de la valeur de ces meubles.

7) Les demandes mutuelles de frais de justice

Le droit

[99] Le principe en cette matière est énoncé à l’article 340 C.p.c. :

340. Les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le tribunal n’en décide autrement.

Cependant, les frais de justice sont à la charge, en matière familiale, de chacune des parties, en matière d’intégrité ou d’état, du demandeur et, en matière de capacité, de la personne concernée par la demande. Dans l’un ou l’autre de ces cas, le tribunal peut en décider autrement.

Dans les cas où le tribunal autorise la représentation d’un enfant ou d’un majeur inapte par un avocat, il se prononce sur les frais de justice relatifs à cette représentation suivant les circonstances.

Les frais afférents aux demandes conjointes sont répartis également entre les parties, à moins qu’elles n’aient convenu du contraire.

[100] La Ministre commente cet article de la façon suivante :

Cet article reprend la règle antérieure – dite de la «succombance» – en matière d'attribution des frais de justice. Cette règle met ces frais à la charge de la partie qui succombe, à moins que le tribunal n'en décide autrement, pour tout ou partie. Les articles 341 et 342 précisent les critères qui devraient guider le tribunal dans sa décision.

Le deuxième alinéa de l'article fait une importante exception à cette règle puisqu'il prévoit des règles différentes dans les affaires d'intégrité, d'état et de capacité, ainsi que dans les affaires familiales: la charge des frais incombe soit, dans les premiers cas, au demandeur ou à la personne concernée par la demande, soit dans le dernier cas, à chacune des parties. Ces exceptions demeurent assujetties au pouvoir qu'a le tribunal de décider autrement ou encore, en certains cas, d'imposer le versement d'une provision pour frais.

Le troisième alinéa ajoute au droit antérieur en prévoyant que, lorsque le tribunal se prononce sur les frais de justice relatifs à la représentation par avocat d'un enfant ou d'un majeur qu'il a estimé inapte, il peut désormais le faire en toute matière, y compris en matière familiale. Enfin, le dernier alinéa reprend les règles actuellement prévues à l'ancien article 478.1 à l'égard des demandes conjointes.

[101] Les articles 341 et 342 C.p.c. énoncent les critères et facteurs devant guider le Tribunal afin de ne pas appliquer le principe de l’article 340 C.p.c. :

341. Le tribunal peut ordonner à la partie qui a eu gain de cause de payer les frais de justice engagés par une autre partie s’il estime qu’elle n’a pas respecté adéquatement le principe de proportionnalité ou a abusé de la procédure, ou encore, s’il l’estime nécessaire pour éviter un préjudice grave à une partie ou pour permettre une répartition équitable des frais, notamment ceux de l’expertise, de la prise des témoignages ou de leur transcription.

Il le peut également si cette partie a manqué à ses engagements dans le déroulement de l’instance, notamment en ne respectant pas les délais qui s’imposaient à elle, si elle a indûment tardé à présenter un incident ou un désistement, si elle a inutilement fait comparaître un témoin ou si elle a refusé sans motif valable d’accepter des offres réelles, d’admettre l’origine ou l’intégrité d’un élément de preuve ou de participer à une séance d’information sur la parentalité et la médiation en matière familiale.

Il le peut aussi si cette partie a tardé à soulever un motif qui a entraîné la correction ou le rejet du rapport d’expertise ou qui a rendu nécessaire une nouvelle expertise.

342. Le tribunal peut, après avoir entendu les parties, sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance en ordonnant à l’une d’elles, à titre de frais de justice, de verser à une autre partie, selon ce qu’il estime juste et raisonnable, une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de son avocat ou, si cette autre partie n’est pas représentée par avocat, une compensation pour le temps consacré à l’affaire et le travail effectué.

Application

[102] Les parties reprennent à ce propos les mêmes commentaires que ceux déjà articulés au niveau de leurs demandes de provision pour frais. Elles ne citent aucune autorité particulière qui traite du rapport éventuel ou la relation entre ces nouveaux articles du C.p.c. et les principes applicables au niveau de la provision pour frais.

[103] Le Tribunal ne trouve pas au dossier d’éléments mentionnés aux articles 341 et 342 C.p.c. ayant la gravité nécessaire pour entrainer l’application de ces derniers. Depuis 2015, il n’y a ni disproportion, ni abus, ni manque de collaboration au niveau pouvant justifier les conclusions recherchées. Certes, les parties présentent leur dossier avec vigueur et conviction mais sans exagération ni abus. On pourrait même dire qu’elles sont très, sinon trop bien représentées, de part et d’autre, à telle enseigne qu’aucun droit ni argument n’est laissé de côté, sans pour autant que les représentations soient abusives, déraisonnables, de mauvaise foi ou dilatoires. Il y a un manque de collaboration mais il est mutuel.

[104] Les frais de justice (qui n’incluent pas les honoraires professionnels des avocats) sont en principe à la charge de chacune des parties et il n’y a pas lieu ici de s’écarter du nouveau principe à suivre en matière familiale[36].



8) La demande de rejet de la demande remodifiée

Le droit

[105] La modification d’un acte de procédure est prévue à l’article 206 C.p.c. :

206. Les parties peuvent, avant le jugement, retirer un acte de procédure ou le modifier sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une autorisation du tribunal. Elles peuvent le faire si cela ne retarde pas le déroulement de l’instance ou n’est pas contraire aux intérêts de la justice; cependant, s’agissant d’une modification, il ne doit pas en résulter une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande initiale.

La modification peut notamment viser à remplacer, rectifier ou compléter les énonciations ou les conclusions d’un acte, à invoquer des faits nouveaux ou à faire valoir un droit échu depuis la notification de la demande en justice.

[106] Par ailleurs, l’abus de procédure est prévu à l’article 51 C.p.c. :

51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

[107] Le droit à la modification est la règle plutôt que l’exception, et l’avènement du C.p.c. n’a pas changé l’état du droit, tel que confirmé récemment par la Cour d’appel[37] :

[19] Ces dispositions reprennent l’essentiel du droit antérieur. Le droit à la modification est donc le principe, qui permet aux parties et au tribunal d’examiner le différend sous toutes ses coutures et de le vider entièrement. La modification, en effet, telle que décrite par le second alinéa de l’article 206, peut « viser à remplacer, rectifier ou compléter les énonciations ou les conclusions d’un acte, à invoquer des faits nouveaux ou à faire valoir un droit échu depuis la notification de la demande en justice », ce qui est fort large (tout comme c’était le cas sous le régime de l’art. 199 du précédent Code de procédure civile).

[20] C’est par exception qu’une modification sera refusée, lorsqu’elle soulèvera de la part de la partie adverse une contestation fondée sur le fait qu’elle est de nature à retarder - indûment, cela va sans dire - le déroulement de l’instance, qu’elle heurte les intérêts de la justice, intérêts mesurés notamment à l'aune des articles 9 et 18 à 20 C.p.c., ou encore qu’elle résulte en une demande entièrement nouvelle (c’est-à-dire qu’elle est porteuse d’une cause d’action nouvelle, sans rapport avec la demande originelle).
(Références omises)
Application
[108] En l’instance, Monsieur modifie sa procédure le 29 décembre 2016 en prévision de l’instruction qui aura lieu quelques deux semaines plus tard. Dorénavant, il désire obtenir une pension alimentaire pour lui-même et augmente les montants réclamés au niveau du partage des meubles et de la provision pour frais.

[109] Cette modification ne retarde pas l’instruction, ne la prolonge pas et permet de vider le litige entièrement. Surtout, elle ne change pas la nature du litige. De surcroît, Monsieur se désiste de sa réclamation de pension alimentaire lors de l’instruction rendant cet aspect de la demande de rejet académique, sans déterminer si oui ou non cette portion de la modification était tardive en regard des circonstances et de la communication déficiente entre les parties.

[110] Enfin, l’augmentation des montants réclamés ne change en rien la nature des questions en litige et n’est pas abusive en l’espèce. Bref, il n’y a pas lieu de rejeter la toute dernière modification de la procédure de Monsieur.

CONCLUSION

[111] Tout d’abord, le Tribunal souligne l’excellent travail des avocats au dossier. Le déroulement de l’instruction a été serein et les argumentations écrites, de qualité. Les parties doivent savoir qu’elles ont été très bien représentées. Aucune question n’a été laissée en suspens. Aucun argument n’a été traité de façon superficielle. Il faut néanmoins déplorer que tant d’énergie soit consacré, une fois de plus, à ce litige qui perdure. Il y a lieu d’espérer que les procureurs au dossier mobiliseront leurs qualités professionnelles afin d’épauler et d’accompagner les parties dans le dénouement pacifique des différends éventuellement à venir.

[112] Personne ne sort gagnant de ce procès, bien que les parties aient obtenu des réponses à certaines questions concernant les frais particuliers, le partage des meubles etc… depuis trop longtemps laissés en suspens et ont pu faire avancer le dossier. Ainsi, ces écueils surmontés, elles pourront se consacrer davantage à leur fille, X. Voilà pourquoi, une conclusion additionnelle visant à assurer le respect mutuel – même si X n’est plus une enfant – est à propos.

[113] Il n’y a pas lieu d’ordonner le paiement d’intérêts sur la somme à acquitter aux termes de ce jugement car il s’agit de la compensation judiciaire découlant de divers chefs portant chacun une échéance différente. Aussi, c’est uniquement par ce jugement que les droits des parties sont établis en ce qui concerne le montant principal, soit le paiement ordonné à la suite de l’impossibilité de procéder au partage des meubles. Enfin, puisque Madame doit, par ce jugement, acquitter une somme importante, elle bénéficiera d’un délai de 90 jours pour le faire.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[114] ACCORDE la garde exclusive de l’enfant X à D... C..., rétroactivement au 1 novembre 2014;

[115] ANNULE le paiement de toute pension alimentaire au bénéfice de X payable directement à D... C... à compter de la date de ce jugement;

[116] DONNE ACTE à la renonciation par D... C... à sa pension alimentaire à compter du 12 octobre 2015;

[117] DÉCLARE que G... F... doit à D... C..., à titre d’arriérés de pension alimentaire depuis l’année 2015 à la date de ce jugement, pour le bénéfice de la fille des parties, X, la somme de 3 863,81 $;

[118] ACCUEILLE en partie la demande de remboursement de frais particuliers pour la fille des parties, X, et DÉCLARE que G... F... doit à D... C... à ce titre la somme de 2 212,75 $ et ;

[119] DÉCLARE que D... C... doit à G... F..., en application de la conclusion au paragraphe 279 du jugement de divorce du 12 octobre 2011, la somme de 30 000,00 $;

[120] Et opérant compensation, ORDONNE à D... C... de payer à G... F... la somme de 23 923,44 $ sans intérêts dans un délai de 90 jours;

[121] DÉCLARE D... C... propriétaire de tous les meubles, présentement en sa possession, faisant partie de la société d’acquêts;

[122] REJETTE les demandes pour provisions pour frais;

[123] REJETTE la demande de rejet de la demande remodifiée de G... F...;

[124] ORDONNE à D... C... de donner immédiatement mainlevée de l’hypothèque légale inscrite sur la résidence située au [...], à Ville A, province de Québec, portant le numéro d’inscription [...], datée du 12 mai 2014;

[125] DONNE ACTE à l’engagement de G... F... de payer une pension alimentaire mensuelle de 300 $ directement à X et lui ORDONNE de s’y conformer à compter du 1er avril 2017;

[126] RÉSERVE les droits de X en regard de ses droits alimentaires vis-à-vis son père;

[127] ORDONNE aux parties de ne pas se critiquer ou dénigrer mutuellement devant leur enfant X;

[128] SANS frais de justice.



__________________________________
LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

Me Michel Waechter
MERCANDANTE DI PACE
Procureurs pour la demanderesse

Me Julie Lavoie
PRÉVOST FORTIN D’AOUST
Procureurs pour le défendeur

Dates d’audition: 11, 12 et 13 janvier 2017
Réplique de la demanderesse reçue : 24 février 2017


[1] Droit de la famille – 113101, 2011 QCCS 5297 (CanLII).
[2] Droit de la famille – 132381, 2013 QCCA 1505 (CanLII).
[3] 2006 CSC 37 (CanLII).
[4] 2017 QCCA 107 (CanLII).
[5] Cf. Droit de la famille – 162913, 2016 QCCA 1929 (CanLII).
[6] 2016 QCCA 464 (CanLII).
[7] Droit de la famille – 17122, précité, note 4.
[8] Lettre P-3.
[9] Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, RLRQ, c. C-25.01, r. 0.4.
[10] Cela tenant compte du fait que la garde exclusive débute le 1er novembre de cette année.
[11] Ce calcul est fonction de la pension alimentaire indexée suivant le jugement de divorce s’établissant dans ces années à 460,56 $, 474,48 $ et 481,12 $ respectivement.
[12] 2016 QCCA 464 (CanLII).
[13] 1999 CanLII 13173 (QC CA), [1999] R.J.Q. 1356 (C.A.).
[14] 2009 QCCS 5295 (CanLII).
[15] Cf. N.M. c. M.B., J.E. 2005 – 87 (C.S.).
[16] Pièce P-58.
[17] Droit de la famille – 151485, 2015 QCCS 2826 (CanLII).
[18] Cf. pièces D-72 et D-77.
[19] Courriel du 1er octobre, pièce D-2, p.2.
[20] Droit de la famille - 132381, 2013 QCCA 1505 (CanLII); Droit de la famille - 142142, 2014 QCCA 1562 (CanLII); Droit de la famille - 142449, 2014 QCCA 1791 (CanLII).
[21] Cf. Droit de la famille – 161352, 2016 QCCS 2655 (CanLII).
[22] Gingras c. Pharand, 2009 QCCA 291 (CanLII), par. 66.
[23] Monsieur mentionne avoir subi un préjudice financier réel de 147 377 $ en frais de transaction (4 %) et intérêts (10 %) auprès du prêteur privé de deuxième rang.
[24] Ou plutôt, n’est pas prêt ou ne souhaite pas trop baisser le prix de vente pour s’en départir.
[25] C.(M.) c. K.(R.), 1997 CanLII 8005 (QC CS), REJB 1997-03324 (C.S.); M.(L.) c. C.(R.), 2000 CanLII 18676 (QC CS), REJB 2000-20920 (C.S.).
[26] RLRQ, c. C-25.
[27] 2013 QCCS 272 (CanLII).
[28] Cf. l’article 1590 C.c.Q.
[29] 2010 QCCS 1151 (CanLII).
[30] 2015 QCCS 486 (CanLII).
[31] En l’instance, pièce D-27.1.
[32] Cf. la lettre du 13 juin 2014 de l’ancienne avocate de Monsieur, pièce D-27 en liasse.
[33] Alors que la partie avait signé une convention se déclarant satisfaite du partage, quelques mois plus tard, elle réclame, entre autres, un paiement de près de 40 000 $ qui lui serait dû en paiement de sa part du patrimoine.
[34] L’argument de Monsieur voulant que la compensation financière est préférable, afin de ne pas perturber X, en récupérant certains meubles et en dépouillant ainsi la maison qu’elle habite, n’est pas convainquant. Au contraire, la preuve indique que beaucoup de meubles visés par le partage encombrent le sous-sol de l’appartement loué par Madame où vit X. S’en débarrasser permettrait peut-être à l’enfant de tourner la page alors qu’ils doivent nécessairement lui rappeler de façon quotidienne que le divorce, et donc le conflit entre ses parents, n’est toujours pas terminé.
[35] Il s’agit d’un montant déjà offert par Monsieur, tel que formulé le 4 février 2015, Pièce D-27, p.50.
[36] Cf. Droit de la famille – 16609, 2016 QCCA 485 (CanLII); Droit de la famille – 1648, 2016 QCCA 30 (CanLII).
[37] Scene Holding inc. c. Galerie des Monts inc, 2016 QCCA 1662 (CanLII).