Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Droit de la famille — 17622, 2017 QCCA 529

no. de référence : 2017 QCCA 529

Droit de la famille — 17622
2017 QCCA 529
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

QUÉBEC
N° :
200-09-009429-165
(200-04-025413-160)

DATE :
31 mars 2017


CORAM :
LES HONORABLES
JULIE DUTIL, J.C.A.
DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.
MANON SAVARD, J.C.A.


K... L...
APPELANT – demandeur
c.

C... B...
INTIMÉE - défenderesse
et
PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
MISE EN CAUSE – mise en cause


ARRÊT


[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 2 décembre 2016 par l’honorable Jean Lemelin de la Cour supérieure, district de Québec[1], lequel rejette sa demande visant à obtenir une ordonnance de retour de ses deux enfants en vertu de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants[2].



[2] Pour les motifs de la juge Bélanger auxquels souscrivent les juges Dutil et Savard, LA COUR :

[3] ACCUEILLE l’appel en partie, à la seule fin de remplacer le paragraphe 144 du jugement de façon à ce qu’il soit dorénavant rédigé ainsi :

[144] Sans frais de justice, vu la nature du litige.

[4] Le tout, sans les frais de justice, vu la nature du litige.





JULIE DUTIL, J.C.A.





DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.





MANON SAVARD, J.C.A.

Me Caroline Harnois
Lavery, de Billy
Pour l’appelant

Me Sophie Gauthier
Verdon Samson Lemieux Armanda
Pour l’intimée

Me Valérie Lamarche
Lavoie Rousseau (Justice Québec)
Pour la mise en cause

Date d’audience :
14 mars 2017






MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER


[5] Cet appel soulève l’application de la notion de résidence habituelle des enfants et des exceptions au principe du retour des enfants prévu dans la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants[3] (ci-après la « Loi »), dont celle concernant le consentement et l’acquiescement de l’autre parent (art. 21(1°)) et celle du risque grave que peut causer le retour d’un enfant (art. 21(2°)).

[6] Le juge a bien expliqué le contexte de l’affaire. Il suffit donc d’en tracer les grandes lignes.

[7] L’appelant est citoyen américain et l’intimée est canadienne. Les parties se sont mariées en 2010 aux États-Unis. Elles se sont établies au Québec où sont nés leurs deux enfants, X ([...] 2011) et Y ([…] 2013). Jusqu’en juillet 2013, les parties travaillaient pour l’entreprise […] appartenant au père de l’intimée, jusqu’à ce qu’elles perdent leur emploi, vu sa fermeture. L’appelant était jusqu’alors directeur des ventes pour les États-Unis et l’intimée était directrice des ventes pour le Canada. À cette époque, l’appelant partage son temps entre le Canada et les États-Unis.

[8] En mars 2015, l’appelant obtient un emploi à Baltimore, à une trentaine de minutes de la résidence de ses parents chez qui il habitera, espérant que l’intimée et les enfants l’y rejoignent. L’intimée demeure toujours au Québec avec les enfants. Le juge retient qu’entre avril 2015 et décembre 2015, l’intimée et les enfants se rendent au Maryland à plusieurs reprises. À la fin de décembre 2015, la famille déménage au Maryland où elle habite chez les parents de l’appelant jusqu’au moment de son déménagement dans un condominium loué, le 15 janvier 2016. X est inscrit en prématernelle et Y fréquente la garderie deux demi-journées par semaine.

[9] L’intimée, tel que le retient le juge, n’est pas bien et éprouve beaucoup de difficultés à s’adapter. Le juge reconnaît d’ailleurs qu’elle avait des réticences à déménager et qu’elle a posé des conditions à ce déménagement. Il ajoute que les parties s’entendent pour affirmer que la vie commune a été peu harmonieuse. Le courriel du 24 septembre 2015 fait part de l’intention de l’intimée de vouloir s’établir aux États-Unis, tout en assujettissant cette intention d’une liste de conditions visant, entre autres, son mode de vie et sa relation avec l’appelant. Elle indique clairement qu’elle est prête à déménager si les conditions sont remplies. Dans son témoignage, l’intimée explique qu’elle voulait voir si elle pouvait être heureuse aux États-Unis malgré le fait qu’elle n’avait pas envie de s’y établir.

[10] De fait, l’intimée effectue son changement d’adresse en indiquant celle de ses parents, continue de recevoir les allocations familiales pour les enfants et ceux-ci sont toujours couverts par le régime d’assurance maladie du Québec.

[11] Le 1er février 2016, l’intimée est de retour au Québec en compagnie de Y. Elle en profite pour faire une demande pour réinscrire les enfants au même CPE qu’ils fréquentaient avant leur départ et entreprend des démarches pour trouver un emploi.

[12] Le 23 février 2016, alors qu’elle est de retour au Maryland, l’intimée informe l’appelant de son désir de retourner vivre au Canada avec les enfants. Des discussions et négociations sont entreprises entre les parties.

[13] Le 16 mars 2016, l’intimée quitte pour Ville A en compagnie des deux enfants. Malgré le fait qu’elle devait retourner au Maryland avec ceux-ci le 28 mars, elle décide de rester au Québec.

[14] Le 2 juin 2016, elle introduit une procédure en séparation de corps devant la Cour supérieure du Québec.

[15] Le 6 juin 2016, l’appelant dépose auprès du Département d’état américain sa demande pour le retour des enfants aux États-Unis et le 7 juillet 2016, il introduit sa requête en Cour supérieure.

Le jugement

[16] Le juge établit qu’au jour précédant le déplacement des enfants, le 16 mars 2016, ceux-ci avaient leur résidence habituelle au Maryland. Il fonde cette conclusion sur le déménagement des parties le 22 décembre 2015, la location d’un condominium à compter du 1er janvier 2016, l’arrivée de leurs meubles et effets personnels le 10 janvier 2016, la résiliation du bail au Québec, la vente de meubles (à l’exception de certains placés en entreposage), la création par les parties d’une compagnie américaine et l’inscription des enfants dans une école et à des activités parascolaires au Maryland.

[17] Après l’analyse de la preuve, le juge conclut qu’au printemps 2016, l’appelant a consenti au déplacement immédiat de Y et au déplacement éventuel de X. Il retient que l’appelant a donné son consentement à ce que les enfants soient inscrits à l’école au Québec, pour l’année scolaire 2016-2017.

[18] Envisageant le retour immédiat de X alors que Y demeurerait au Canada, le juge décide que la fratrie ne doit pas être séparée et conclut que la demande de retour des enfants doit être refusée, en application de l’exception prévue à l’article 21(2°) de la Loi.





Les questions en litige

[19] L’appel soulève trois questions : 1) la résidence habituelle des enfants; 2) le consentement de l’appelant à leur déplacement et son acquiescement à leur non-retour; et 3) l’application de l’exception prévue à l’article 21(2°) de la Loi.

Analyse

Résidence habituelle des enfants

[20] Pour l’essentiel, le juge a conclu que, le 16 mars 2016, le Maryland était devenu le lieu de résidence habituelle des enfants parce que la preuve démontre une décision arrêtée de s’y établir :

[101] Le tribunal doit vérifier si la preuve révèle une décision arrêtée de s’établir au Maryland.

[102] À cette question, le tribunal doit répondre par l’affirmative. Même si les enfants ont vécu au Maryland pendant une courte période, la preuve révèle que la famille s’y est installée pour une période qui a toutes les allures d’une permanente.

[103] Même si la durée du séjour dans le pays d’adoption n’est pas un élément déterminant, la preuve doit convaincre le tribunal qu’une vie de famille s’est installée réellement et que les enfants vivent dans une atmosphère propice à leur développement. Le tribunal conclut que ce fut le cas, en l’espèce.

[21] Sans remettre en cause les déterminations factuelles du juge, l’intimée lui reproche de donner toute la place au critère du « settled purpose » qui reflète l’intention des parents et de mettre complètement de côté la réalité de vie des enfants. Elle soutient qu’en mars 2016, les racines des enfants sont toujours au Québec et qu’une période aussi courte que celle en place ici n’a pas changé cette réalité. Ayant décidé que leur participation aux activités de loisir et de sport est minimale et qu’ils commençaient à interagir avec leurs amis de classe, le juge aurait omis de tenir compte de leur réalité.

***

[22] La Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants[4] (ci-après la « Convention ») et la Loi ont pour objectif d’assurer le retour immédiat de l’enfant au lieu de sa résidence habituelle. La raison en est bien expliquée dans le Rapport explicatif de la Convention préparé par madame le professeur Elisa Pérez Vera (ci-après le « Rapport Pérez Vera »), où l’on souligne que la véritable victime d’un enlèvement est l’enfant lui-même :

C’est lui qui pâtit de perdre brusquement son équilibre, c’est lui qui subit le traumatisme d’être séparé du parent qu’il avait toujours vu à ses côtés, c’est lui qui ressent les incertitudes et les frustrations qui découlent de la nécessité de s’adapter à une langue étrangère, à des conditions culturelles qui ne lui sont pas familières, à de nouveaux professeurs et à une famille inconnue.

[23] Dans ce contexte, il devient important de bien identifier la résidence habituelle de l’enfant.

[24] La question de la détermination de la résidence habituelle des enfants est une question de faits qui doit être examinée en fonction de toutes les circonstances de l’affaire[5]. Aucune définition de ce qu’est la « résidence habituelle » n’est prévue à la Convention ou à la loi québécoise. Par contre, la jurisprudence a établi certains principes.

[25] Il y a 21 ans, dans Droit de la famille – 2454[6], le juge Chamberland exprime l’avis que c’est du point de vue de l’enfant qu’il faut se placer pour déterminer quelle est sa résidence habituelle[7] :

(…) La réalité des enfants doit seule être prise en compte pour déterminer le lieu de leur « résidence habituelle »; à cet égard, le tribunal doit s’en tenir à l’expérience des enfants, les désirs, souhaits ou intentions de leurs parents ne comptant pas lorsqu’il s’agit de décider du lieu de leur « résidence habituelle » au moment de leur déplacement. Dans ce contexte, tout le débat entourant les intentions de monsieur et de madame quant à la suite des événements est sans importance dans un contexte où, comme en l’espèce, les deux parents avaient la garde de leurs enfants. La situation pourrait être différente si un seul des parents avait la garde; ses intentions auraient alors plus d’importance (par exemple, dans Re J (A minor), 87 L. Soc’y Gazette, Oct. 3, 1990). Mais je n’ai pas à en décider puisque ce n’est pas le cas dont nous sommes saisis.

[26] Dans cette affaire, les enfants vivaient depuis trois ans en Californie, y étaient inscrits à l’école, avaient des amis de leur âge et participaient à des activités sociales et récréatives. La réalité des enfants faisait en sorte que leur résidence habituelle était la Californie.

[27] En 2000, dans E.H. c. D.M.[8], la Cour avait aussi retenu le principe voulant que la résidence habituelle s’évalue en fonction de la réalité de l’enfant, précisant que l’enfant doit avoir une réelle connexion avec sa résidence[9] et que la durée de la résidence doit être suffisante pour qu’il développe des liens et démontre des signes d’intégration avec son nouvel environnement :

[23] WHEREAS the Act does not contain a definition of "habitual residence";

[24] WHEREAS the concept is to be understood according to the ordinary and natural meaning of the words;

[25] WHEREAS the determination of a child's habitual residence is usually regarded simply as a question of fact to be decided by reference to all the circumstances of any particular case (Droit de la famille - 2454, 1996 CanLII 5881 (QC CA), [1996] R.J.Q. 2509);

[26] WHEREAS the place of habitual residence of a child will be determined by focusing on the reality of the child, not that of the parents;

[27] WHEREAS an appreciable period of time - one of a duration necessary for the child to develop ties and to show signs of integration into his new environment - should elapse before a new habitual residence might be acquired;

[28] WHEREAS the child should have a real and active connection with the place of his residence;

[29] WHEREAS to be habitual the residence must have achieved a certain degree of continuity;

[30] WHEREAS there is no minimum period necessary in order to establish the acquisition of a new habitual residence;

[28] Dans cette affaire, le juge avait décidé qu’il y avait un degré suffisant de continuité et d’intégration après que les enfants, âgés de 8, 7 et 5 ans, eurent vécu pendant trois mois et demi en Angleterre avec leur mère.

[29] Depuis, la jurisprudence internationale a évolué. Certains États membres axent l’analyse davantage sur l’intention des parents ou, à l’opposé, sur la situation de l’enfant[10]. D’autres, à mi-chemin entre ces deux tendances, tentent plutôt d’adopter une approche combinée de ces deux facteurs[11].

[30] Malgré tout, une constance demeure : la détermination de la résidence habituelle est une question entièrement factuelle qui dépend d’un ensemble de facteurs propres à chaque cas d’espèce[12]. Dans ces conditions, aucun facteur ne doit devenir, dans tous les cas, prédominant par rapport aux autres. Il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances et tenter de déceler un faisceau de facteurs qui pointent dans une direction plus que dans une autre.

[31] En l’espèce, le juge a mis l’accent sur le « settled purpose », soit le déménagement effectif de la famille, sans réellement examiner l’intention précise de l'intimée et la réalité des enfants qui, rappelons-le, étaient d’âge préscolaire au moment des événements (4 et 2 ans). Dans les faits, les enfants sont nés au Québec et leur résidence habituelle était clairement le Québec depuis leur naissance. L’appelant devait donc apporter une preuve prépondérante du changement de résidence habituelle des enfants.

[32] Pour ce faire, l’ensemble des circonstances devait être examiné, ce qui consiste en l’intention des deux parents de s’établir de même que la réalité de vie des enfants. Le juge devait tenir compte que l’intention de l’intimée était conditionnelle à bien des facteurs. Voici comment elle s’exprime sur le sujet :

Q. Alors, voici pour les périodes où les enfants étaient au Maryland. Question, lorsque vous partez au Maryland en octobre, quelles sont vos intentions lorsque vous partez au Maryland?

R. On va voir si je serais heureuse là-bas, si on trouverait les écoles pour les enfants, si moi je serais bien là parce que je n’ai pas envie d’aller là-bas. Je me force. Je me force pour ma famille, je me force pour mes enfants parce que je ne veux pas que mes enfants soient séparés de leur père, donc c’est ce qu’on fait puis après deux semaines ça éclate. Je dis à K..., je lui dis, K..., ça ne marche pas. « I’m not happy here, I miss home, I miss everything and for the kids. They are used to a lot of stuff back home ». Donc, je quitte.

[33] En effet, plusieurs jugements des tribunaux étrangers tendent à démontrer que lorsque le déménagement est un test pour le couple, le changement de résidence était conditionnel au succès de la reprise de la vie commune. À titre d’exemple, la décision Ruiz v. Tenorio[13] démontre des faits très similaires à notre dossier. L’enfant est né aux États-Unis, de père mexicain et de mère américaine. Le couple bat de l’aile et tente une réconciliation en allant vivre au Mexique. Le père affirme que l’objectif était permanent, la mère considère plutôt que le déménagement était conditionnel. Le père trouve un travail, la mère fait plutôt des démarches d’emploi aux États-Unis. Le séjour des enfants au Mexique a toutefois été plus long, soit deux ans et dix mois. Le couple se sépare définitivement, les parents exercent la garde conjointe au Mexique jusqu’à ce que la mère retourne définitivement dans son pays avec les enfants. La Cour d’appel du 11e circuit rejette la demande de retour du père. Elle considère que malgré la longue période, les enfants n’ont jamais perdu leur résidence habituelle aux États-Unis, considérant d’abord le caractère conditionnel du déménagement et ensuite, un ensemble de faits ne démontrant pas que les enfants avaient changé de résidence habituelle.

[34] Le juge n’a pas retenu de la preuve que les enfants étaient bien établis dans leur nouveau milieu ni que leur situation présentait un aspect de continuité suffisant. En fait, il n’a pas discuté cet aspect de la preuve ce qui constitue une erreur de droit. L’établissement de la famille n’est pas suffisant, en soi, pour faire du Maryland la résidence habituelle des enfants. Selon la preuve retenue par le juge, l’intégration n’est pas complétée, elle est à peine entamée. Le juge affirme que les « parents commencent à développer des relations avec les voisins et les enfants à interagir lentement avec des amis de classe »[14]. On peut comprendre qu’à peine quelques semaines après leur installation, il en soit ainsi.

[35] Somme toute, il s’est écoulé deux semaines entre le moment du déménagement dans la nouvelle résidence, le 15 janvier, et celui où l’intimée est repartie au Québec le 1er février en compagnie de Y, pour revenir au Maryland le 18 février. Rappelons qu’elle informe l’appelant de son intention de revenir au Québec avec les enfants le 23 février 2016.

[36] Le juge aurait dû conclure dans les circonstances particulières de l’affaire que le 28 mars 2016, date du retour prévue de l’intimée avec X, la résidence habituelle des enfants n’était pas encore le Maryland.

[37] Ce seul élément serait suffisant pour confirmer, pour d’autres motifs, la décision du juge de rejeter la demande de retour. J’estime cependant utile d’examiner la deuxième question soulevée par le pourvoi.

Le consentement au déplacement et l’acquiescement au non-retour

[38] Par exception au principe général exigeant le retour immédiat d’un enfant illicitement déplacé, la Loi prévoit à son article 21(1o) qu’un juge peut refuser d’ordonner le retour, si le parent victime a consenti ou acquiescé au déplacement de l’enfant. Cet article, équivalant à l’article 13 al. 1a) de la Convention, est rédigé ainsi :

21. La Cour supérieure peut refuser d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque celui qui s’oppose à son retour établit:

1° que celui qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ou

[…]
21. The Superior Court may refuse to order the return of the child if the person who opposes his or her return establishes that

1° the person having the care of the person of the child was not actually exercising the custody rights at the time of removal or retention, or had consented to or subsequently acquiesced in the removal or retention; or

[…]
[Soulignements ajoutés]

[39] Les exceptions à la Loi doivent être appliquées restrictivement de façon à éviter que la Convention ne devienne lettre morte[15]. Il appartient donc au parent qui a déplacé un enfant de démontrer que l’autre parent a donné un consentement « de manière libre et éclairée, mais aussi de façon claire, positive et sans équivoque »[16].

[40] Le juge était bien conscient du fardeau et de la charge de la preuve. Sa décision indique qu’il a tenu compte des bons principes de droit quand il décide du consentement de l’appelant au déplacement des enfants. Après avoir entendu une preuve exhaustive, il a conclu qu’au 16 mars 2016, l’appelant consentait à un déplacement immédiat pour Y et à un déplacement à la fin de l’année scolaire pour X.

[41] Les éléments de preuve sur lesquels il se fonde lui permettaient de conclure comme il l’a fait.

[42] Dans le contexte de l’affaire et des témoignages des parties, le juge pouvait utiliser le projet d’entente rédigé par l’appelant et soumis à l’intimée. La clause 6 du « Parenting Plan » rédigé par l’appelant se lit ainsi :

Childcare. Child care moving forward, X is to complete the 2016 school year, present within his home country of the USA @ A School, tuition to solely be paid by Father. Y is to be re-enrolled in DayCare within Canada, covered by Canadian citizenship & Mother. Moving forward it is agreed both children will attend school with Canada for 2017, and each following year, to be addressed in discussion again at end of previous school year, and agreed upon jointly for that following year. Agreement by writing. For overall ChildCare, it is agreed by both K. L., and C. B., that all decisions on ChildCare related to X & Y must equally be agreed upon. In the event that a selected plan of ChildCare plan is disagreed upon, no decision or action can be taken until both parties come to agreement on the decision or plan.

[43] Les courriels envoyés par l’appelant sont révélateurs. Voici un extrait du courriel transmis à l’intimée le 1er avril 2016 :

You are so given incorrect direction, considering the paperwork I asked to be signed before you left gave me Ben for one more month and clearly gave up all rights after for him to be here, in school. This was an agreement between mother and father as we both agreed and you were told you could bring this to a Canadian lawyer and explain ahead this is what we BOTH agreed on for the kids.

[…]

We had an opportunity to do this together as caring adults, but this thought you have on 6 months is irrelevant considering my signed document gave them to you every YEAR after. Wether signed here or in Canada it was what I looked at you and agreed to.
[Reproduction textuelle - Soulignements ajoutés]

[44] Le juge ne commet donc pas d’erreur manifeste et déterminante lorsqu’il affirme que l’appelant a consenti au déplacement immédiat de Y et à celui de X à la fin de l’année scolaire (dont on ne connaît pas la date considérant que l’enfant est en prématernelle).

[45] Par contre, le juge aurait dû poursuivre son analyse et décider si, après le 28 mars 2016, date où les enfants devaient revenir au Maryland, l’appelant a acquiescé au non-retour de X. Or, il a omis de le faire.



[46] L’exception prévue à l’article 21(1°) de la Loi a deux volets. Le premier concerne le consentement au déplacement qui doit s’évaluer au moment du déplacement. Le deuxième volet concerne l’acquiescement au non-retour de l’enfant qui doit s’évaluer dans la période postérieure au déplacement.

[47] L’exception relative à l’acquiescement au non-retour d’un enfant doit aussi être appliquée restrictivement et s’examiner en fonction de toutes les circonstances de l’affaire. L’acquiescement peut être explicite ou implicite, quoiqu’il doive être libre, éclairé et non équivoque. La période de temps avant que le parent victime ne dépose ses procédures pour demander le retour peut être un indice et il faut rechercher les raisons qui expliquent ce délai[17].

[48] La preuve au dossier, surtout documentaire, permet de constater que l’appelant a explicitement acquiescé au non-retour de X.

[49] La preuve révèle que l’appelant était conseillé par avocats dès que l’intimée lui avait communiqué sa décision de revenir au Québec avec les enfants, le 23 février 2016.

[50] En plusieurs occasions, entre le 11 avril et le 19 mai 2016, l’appelant réitère qu’il est en attente de recevoir une entente écrite de la part des avocats de l’intimée et que, dès réception, il souhaite signer pour passer rapidement à autre chose[18].

[51] Le courriel transmis par l’appelant le 11 avril 2016 à Me Hatfield, procureur de l’intimée, démontre l’acquiescement au non-retour des deux enfants. À cette date, l’appelant ne réclame pas le retour de X. Il est plutôt disposé à signer une entente selon les mêmes paramètres que ce que discuté préalablement :

I have not engaged in an attorney for this matter and will await drafts of the agreement as Ms B. informed me. If they are along the lines of the original agreement between us we should be able to make this simple. My contact information is below, and will await documents.

Thank you
[Reproduction textuelle - Soulignement ajouté]

[52] En exigeant de signer une entente conforme au « Parenting Plan », il acquiesce au statu quo et au déplacement durable des enfants puisque, selon cette entente, les enfants resteront au Québec pour toute l’année scolaire 2016-2017.





[53] Plus particulièrement lors de l’échange de courriels survenu les 11 et 12 avril, l’intimée propose à l’appelant de venir au Québec pour participer à la visite d’une école prévue le 19 mai. Elle lui demande s’il est d’accord avec la fréquentation de l’école publique. L’appelant répond qu’il fera son possible pour être présent.

[54] Ce comportement est incohérent avec l’intention de demander le retour immédiat des enfants et dénote au contraire un accord pour leur présence à long terme au Québec. Dans son courriel envoyé le 19 mai 2016, l’appelant ne réclame toujours pas le retour des enfants aux États-Unis mais plutôt, encore une fois, que l’intimée lui fasse parvenir une entente écrite.

[55] Questionné sur le fait qu’il n’a pas entrepris sa demande avant le 6 juin 2016, l’appelant témoigne qu’il tentait de rassembler les fonds nécessaires pour entreprendre des procédures. Cette explication n’est pas cohérente avec les courriels échangés en mars et avril 2016.

[56] L’intimée a donc raison de soutenir qu’après le 28 mars 2016, l’appelant a acquiescé au non-retour de X.

[57] Dans ces circonstances, il n’est pas utile de nous pencher sur l’impact éventuel de la séparation de la fratrie et sur l’application de l’exception prévue à l’article 21(2°) de la Loi.

Frais de justice

[58] L’appelant reproche aussi au juge de l’avoir condamné à payer les frais de justice, sans motiver sa décision.

[59] L’article 38 de la Loi prévoit que le demandeur peut être tenu de payer les frais de justice :

38. Aucune somme n’est requise du demandeur en relation avec les demandes introduites en application de la présente loi.
38. No charge shall be required from the applicant in relation to proceedings instituted under this Act.
Cependant, le ministre de la Justice peut lui réclamer le paiement des dépenses causées ou qui seraient causées par les opérations liées au retour de l’enfant. De plus, le demandeur est tenu de payer, sous réserve de l’article 37, les frais de justice ainsi que les frais liés à l’assistance ou à la représentation juridique.
Notwithstanding the foregoing, the Minister of Justice may require the applicant to pay the expenses incurred or to be incurred in implementing the return of the child. The applicant is also required to pay, subject to section 37, court costs as well as costs arising from legal aid or legal representation.
[60] Par contre en matière familiale, et l’application de la Loi en constitue une, l’article 340 C.p.c. prévoit que les frais de justice sont à la charge de chacune des parties, quoique le juge puisse en décider autrement. Par contre, le juge doit motiver sa décision s’il n’applique pas la règle générale[19].

[61] Or, le juge a omis de motiver son jugement sur ce point. Il y a donc lieu d’intervenir sur cette question seulement.

[62] Je propose donc d’accueillir l’appel, sans frais, à la seule fin de remplacer le paragraphe 144 du jugement relatif aux frais.






DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.


[1] Droit de la famille — 163158, 2016 QCCS 6366 (CanLII).
[2] Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, RLRQ, c. A-23.01.
[3] Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, RLRQ, c. A-23.01.
[4] Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, 25 octobre 1980, 1983/35 R.T. Can., ratifiée par le Canada le 2 juin 1983.
[5] E.H. v. D.M., 2000 CanLII 30076 (QC CA), [2000] R.D.F. 585 (C.A.).
[6] Droit de la famille – 2454, 1996 CanLII 5881 (QC CA), [1996] R.J.Q. 2509 (C.A.).
[7] La jurisprudence de certaines instances d’appel aux États-Unis parlent ici du « settled purpose from the child’s perspective ». Voir Robert v. Tesson, 507 F.3d 981 (6th Cir. 2007), HC/E/USf 935 (Instance d’appel, États-Unis); Karkkainen v. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006), HC/E/USf 879 (Instance d’appel, États-Unis).
[8] E.H. v. D.M., supra, note 3.
[9] Une instance d’appel aux États-Unis exige d’examiner « a child’s conduct and experiences to determine whether she became “firmly rooted” in her new surroundings ». Voir Karkkainen v. Kovalchuk, supra, note 5, p. 18.
[10] Par exemple, voir 5P_367/2005/ast, II. Zivilabteilung, arrêt du TF du 15 novembre 2005, HC/E/CH 841 (Instance suprême, Suisse); Oberlandesgericht Karlsruhe, 2 UF 115/02, 15 November 2002, HC/E/DE/944 (Instance d’appel, Allemagne).
[11] Aux États-Unis, on retrouve les trois tendances parmi les différentes cours d’appel. Pour les décisions ayant préféré l’approche combinée, voir : Silverman v. Silverman, 338 F.3d 886 (8th Cir. 2003), HC/E/USf 530 (Instance d’appel, États-Unis); Karkkainen v. Kovalchuk, 445 F.3d 280 (3rd Cir. 2006), HC/E/USf 879 (Instance d’appel, États-Unis). On retrouve également les différentes approches dans les tribunaux israéliens. Pour une décision centrée sur l’intention des parents, voir : Family Appeal 1026/05 Ploni v. Almonit, HC/E/Il 865 (Instance d’appel, Israël). Pour une décision centrée sur la situation de l’enfant, voir : P.D. 51(2)241, FamA 130/08 H v H, HC/E/IL 922 (Instance d’appel, Israël). L’instance suprême suisse s’est prononcée en faveur de l’approche combinée : 5A_346/2012, IIe Cour de droit civil, arrêt du TF du 12 juin 2012, HC/E/CH 1293 (instance suprême, Suisse).
[12] E.H. v. D.M., supra, note 3; Droit de la famille - 2454, 1996 CanLII 5881 (QC CA), [1996] R.J.Q. 2509 (C.A.); 5A_257/2011, II. zivilrechtliche Abteilung, arrêt du TF du 25 mai 2011, HC/E/CH 1092 (Instance suprême, Suisse); 8Ob121/03g, Oberster Gerichtshof, HC/E/AT 548 (Instance suprême, Autriche) (à noter que les tribunaux autrichiens ont élaboré une règle selon laquelle un séjour de 6 mois devient déterminant pour le changement de la résidence habituelle); H. v. H., [1995] 12 FRNZ 498, HC/E/NZ 30 (Instance d’appel, Nouvelle-Zélande).
[13] Ruiz v. Tenorio, 392 F.3d 1247 (11th Cir. 2004), HC/E/USf 780 (Instance d’appel, États-Unis).
[14] Droit de la famille — 163158, 2016 QCCS 6366 (CanLII) [Jugement entrepris] paragr. 40.
[15] Droit de la famille – 2454, supra, note 4.
[16] Droit de la famille – 092549, 2009 QCCA 1982 (CanLII), paragr. 19; Droit de la famille – 1222, 2012 QCCA 21 (CanLII), paragr. 62.
[17] Droit de la famille – 161254, 2016 QCCA 910 (CanLII); T. (M.) c. B. (T.), 2003 CanLII 74987 (QC CA), [2004] R.D.F. 28 (C.A.).
[18] Voir les courriels des 11, 12, 19, 22, 23 avril et du 19 mai 2016.
[19] Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 1 « Articles 1 à 390 », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 1560 (Commentaire de Marie-Josée Hogue, telle qu’elle était alors)