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Muncan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

no. de référence : 1998 CanLII 7401

NOTE DE LA TRADUCTRICE


Dans l'annexe III des motifs, les décisions Owusu (page 14) et Encila (page 19) sont citées. Dans les deux cas, le 1er paragraphe de la citation ne figure pas dans la version anglaise des décisions archivées dans NATUREL.

J'ai donc traduit ces paragraphes en les faisant précéder de la mention [TRADUCTION]. Toutefois, la suite des citations correspondait à la version NATUREL, et j'ai donc utilisé cette version. GP





Date: 19980224


Dossier: IMM-2701-97


ENTRE:


SIMA MUNCAN,

requérant,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL

[1] À première vue, l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale attribue aux juges un large pouvoir discrétionnaire permettant l'octroi de sursis. Toutefois, les opinions jurisprudentielles sont partagées relativement à la portée de ce pouvoir lorsque les demandes de sursis concernent des mesures de renvoi ordonnées en vertu de la Loi sur l'immigration. Comme la Cour est fréquemment saisie de ce type de demandes et comme j'ai dû statuer sur un grand nombre d'entre elles et que j'aurai probablement à me prononcer sur beaucoup d'autres, il m'apparaît nécessaire de préciser le raisonnement sur lequel se fonde la position que j'ai adoptée en l'espèce.

A. Le processus ayant mené à la décision

[2] Le 16 septembre 1997, M. D. Campbell a demandé un sursis de l'exécution de l'ordonnance de renvoi visant M. Muncan. M. B. Hardstaff, représentant le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, s'est opposé à la demande. En prononçant oralement à l'audience les motifs à l'appui de ma décision d'accorder un sursis limité, j'ai fait état des motifs que j'avais formulés à l'égard d'une demande similaire présentée la semaine précédente à Calgary, dans l'affaire Jaggernauth c. M.C.I. (IMM-2260-97). M. Hardstaff, qui contestait également cette dernière demande, avait déposé, dans cette affaire, une argumentation écrite détaillée, à laquelle il s'est également reporté en l'instance. Dans les deux cas, j'ai répondu aux principaux points soulevés dans cette argumentation, mais je l'ai fait oralement et en ne donnant que les précisions nécessaires pour statuer sur l'exécution imminente des ordonnances de renvoi en cause.

[3] En l'espèce, j'ai prononcé les motifs à l'audience, et je n'ai pas mentionné que des motifs écrits seraient rendus subséquemment. Il m'importe toutefois de clarifier mon raisonnement et de compléter les motifs oraux déjà prononcés, afin de répondre de façon plus détaillée aux nombreuses questions techniques que M. Hardstaff a soulevées dans son argumentation. Pour cela, je présenterai brièvement les faits, je reprendrai les propos que j'ai tenus à l'audience le 16 septembre, puis j'approfondirai l'analyse des questions juridiques en cause.

[4] M. Muncan a émigré de Yougoslavie en 1975, avec sa mère et son beau-père. Il avait alors sept ans. Il est maintenant âgé de vingt-neuf ans, et il a un fils, né le 31 décembre 1992. En dix ans, il a été déclaré coupable de vingt-trois infractions criminelles. Il a notamment été condamné pour vol, entrave au travail d'un policier, voies de fait, possession et trafic de stupéfiants, méfait, conduite avec facultés affaiblies, séquestration et voies de fait causant des lésions corporelles. Le ministre, sur la base de ces antécédents, a déclaré, le 4 décembre 1996, que M. Muncan était un danger pour le public au Canada. Le 2 juin 1997, une mesure d'expulsion a été prise contre lui. Le requérant a interjeté appel de cette mesure devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et il a demandé qu'il soit sursis à son exécution jusqu'à ce que le jugement d'appel soit prononcé. Le 16 septembre, j'ai rendu oralement les motifs suivants :

[TRADUCTION]
L'argumentation présentée en l'espèce me permet d'appliquer un raisonnement que j'ai tenu récemment dans l'affaire Jaggernauth [IMM-2260-97], encore inédite.
Dans cette affaire, la question du pouvoir conféré par l'article 18.2 avait été débattue, et j'avais conclu qu'il fallait, naturellement, interpréter cette disposition en fonction de son libellé. Cet article, qui confère un très large pouvoir discrétionnaire, est ainsi rédigé :
18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
Le fond de cette affaire importe moins que ce que j'avais à dire sur la façon d'aborder cette question. On soutenait que la mesure d'expulsion ne pouvait pas être contestée et, de fait, elle ne l'a pas été.
On a, par conséquent, prétendu que mon examen se limitait à la mesure d'expulsion elle-même, et que je ne pouvais examiner ce qui se rapportait à la demande d'autorisation de contrôle judiciaire. On faisait en somme valoir qu'il n'existait aucun lien entre la mesure d'expulsion et l'objet du contrôle judiciaire. J'ai exprimé, à ce sujet, l'opinion suivante :
Sur la première question, celle du lien, il me faut dire que le texte de l'article 18.2 confère un très vaste pouvoir discrétionnaire et qu'il existe des opinions juridiques sur sa signification fondamentale. Pour ma part, j'estime que ce sont les principes de droit et les circonstances en cause dans chaque espèce qui déterminent l'exercice de ce pouvoir. Je crois qu'il n'est ni sage ni indiqué d'essayer d'établir des lignes directrices uniformes ou d'affirmer que certaines choses sont impossibles. Il faut évaluer le bien-fondé de chaque affaire.
En l'espèce, une demande de contrôle judiciaire est pendante. La condition préalable posée par l'article 18.2 est donc remplie. Il est vrai que la demande a été déposée à l'extérieur des délais et que la prorogation peut ne pas être accordée, mais à l'heure actuelle, pour autant que je sache, la décision n'a pas été rendue. Aucune restriction ne limite donc l'examen de cette affaire.
Deuxièmement, je ne pense pas qu'il faille interpréter restrictivement les faits ou ne pas tenir compte de facteurs cruciaux présents dans le contexte de la présente espèce.
Ce contexte est celui d'un âpre débat juridique, au sujet de la constitutionnalité réelle du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. Ce débat juridique a donné lieu au jugement du juge Reed de la Section de première instance, infirmé par la Section d'appel dans un arrêt du juge Strayer.
Je sais que l'affaire est pendante devant la Cour suprême du Canada, c'est-à-dire que la Cour doit statuer sur la demande d'autorisation de pourvoi. Personne ne pouvait dire aujourd'hui si le pourvoi avait été autorisé. Cette affaire a eu un grand retentissement, et elle pose une question importante.
Il ressort en deuxième lieu du contexte, et je l'ai entendu dire auparavant, que la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié elle-même n'est pas absolument convaincue qu'elle n'a pas compétence pour se prononcer sur le fond de l'affaire, même si le paragraphe 70(5) est maintenu.
En outre, ce que j'ai entendu aujourd'hui suffit pour m'indiquer que la Section d'appel ne reste pas passive sur cette question. Elle a demandé, dans une lettre datée, je crois, du 3 septembre, que le dossier lui soit transmis. Il se peut que la Section d'appel décide d'entendre l'affaire. Nous ne disposons pas de preuve catégorique sur ce qu'elle choisira de faire, mais je sais que cela est un facteur.
Maintenant, pour ce qui est de l'application du critère triple à la présente espèce, j'estime qu'il faut prendre en considération les questions soulevées, le fondement du paragraphe 70(5) et le contexte juridique général. Il ne suffit pas de dire que ce critère se rapporte simplement à la mesure d'expulsion elle-même, parce que cela va à l'encontre du sens commun.
M. Muncan ne veut pas être expulsé parce qu'il croit, ainsi qu'il l'affirme dans son affidavit, pouvoir à bon droit soutenir que la décision rendue sous le régime du paragraphe 70(5) est erronée, et parce qu'il existe des éléments de preuve solides étayant cette position. Il croit aussi qu'il est bien fondé à contester la constitutionnalité de cette disposition et, en vérité, il est loin d'être le seul, au pays, à avoir cette opinion.
Je choisis donc de lier cette demande d'injonction au bien-fondé général de l'affaire et au contexte l'entourant et de ne pas me limiter à la seule mesure d'expulsion.
Relativement au premier volet du critère, il ne fait pas de doute qu'il existe en l'espèce une question sérieuse à instruire. Au sujet du préjudice irréparable, on a soutenu que M. Muncan pouvait être expulsé vers la Yougoslavie et s'occuper de son dossier de là. Honnêtement, c'est rêver en couleurs. Il a de la parenté là-bas, mais il n'y a pas vécu depuis qu'il avait sept ans. Il ne parle pas la langue. Il serait au bout du monde. S'il voulait défendre efficacement son dossier, j'estime qu'il ne pourrait d'aucune façon le faire de là-bas.
Compte tenu des faits de la présente espèce - puisque j'ai déjà dit qu'il fallait juger chaque affaire selon ses propres circonstances -, je conclus qu'on lui causerait un préjudice irréparable en l'expulsant maintenant et que la prépondérance des inconvénients est certainement en sa faveur. Il y a assurément plus d'inconvénients pour lui à ne pas mener sa contestation à partir d'ici qu'il n'y en aurait pour l'intimé à ne pas l'expulser.
Je suis donc d'avis que les trois éléments du critère sont remplis. Je ne crois pas, cependant, que le pouvoir discrétionnaire dont je dispose doive être exercé au-delà de la demande d'autorisation elle-même.
Autrement dit, si M. Muncan n'obtient pas l'autorisation qu'il demande, je ne crois pas que le présent sursis devrait continuer à s'appliquer. J'accorde donc le sursis jusqu'à ce que la décision soit rendue quant à la demande de prorogation et à la demande d'autorisation.
Si M. Muncan obtient la prorogation et l'autorisation, il devra renouveler la présente requête. S'il se fait refuser l'un ou l'autre recours, le sursis perd toute raison d'être.
En conséquence, j'accorde le sursis jusqu'à ce que la décision soit rendue quant à la demande de prorogation et à la demande d'autorisation.
B. L'argumentation

[5] L'argumentation que M. Hardstaff a soumise dans l'affaire Jaggernauth et qu'il a reprise en l'espèce est la suivante : [TRADUCTION] "bien que la jurisprudence ne soit pas unanime sur la question de savoir si la mesure de renvoi elle-même doit faire l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire, il est clair que la viabilité de la mesure doit être liée à l'objet du contrôle judiciaire". Cet argument porte en fait sur la question de la compétence.

C. La jurisprudence ayant analysé les questions relatives à cet argument

[6] L'argument avancé par M. Hardstaff repose sur un ensemble de décisions découlant du jugement du juge Strayer dans l'affaire Shchelkanov c. M.E.I. (1994), 76 F.T.R. 151 (1re inst.)1. Le juge écrit ce qui suit à la p. 152 :

J'ai indiqué qu'à mon avis -- opinion que j'ai déjà exprimée d'ailleurs -- [voir, p.ex., Ali c. M.E.I.], 17 novembre 1992, 2-T-1647], cette Cour ne devrait pas prononcer le sursis à l'expulsion en attendant qu'elle effectue un contrôle judiciaire dans un cas où ce contrôle a été demandé non pas pour contester la mesure d'expulsion, mais bien pour attaquer l'action (ou, en l'espèce, l'inaction) du ministre relativement à une demande, fondée sur le paragraphe 114(2) [...]
La réticence de cette Cour à intervenir dans de telles circonstances a parfois été attribuée à l'incompétence en la matière. Quant à savoir si cette explication est exacte, cela dépend, je crois, de la façon dont on définit la compétence.
[...]
Selon moi, il ne convient de prononcer une injonction interlocutoire ou le sursis qu'en présence d'une allégation (constituant une question sérieuse) selon laquelle le défendeur ou l'intimé est en train, ou sur le point, d'accomplir un acte illégal. (Il ne pourrait y avoir d'exception que dans le cas où le défendeur ou l'intimé agirait de manière à entraver le bon déroulement des procédures de la Cour, point auquel je reviendrai plus loin.)
[...]

Comme je l'ai mentionné plus haut, il y a une situation dans laquelle j'admets qu'il soit "indiqué" que la Cour prononce le sursis à l'expulsion en attendant qu'il soit statué sur une demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il s'agit du cas où la hâte que met le ministre à exécuter la mesure d'expulsion entrave cette Cour dans l'exercice de ses fonctions relativement à la demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire.
[7] Bien que le raisonnement tenu par le juge Strayer dans les affaires Ali et Shchelkanov ait été suivi dans d'autres décisions, il est important de signaler que le juge n'a pas conclu à l'absence complète de compétence pour octroyer un sursis. Il a simplement exprimé que l'octroi d'un sursis ne serait indiqué que dans des circonstances très limitées. Mais comme les décisions mentionnées à l'annexe II - intitulée "Décisions concluant à l'absence de compétence" - en témoignent, il appert que des juges de la Cour ont refusé de surseoir à des mesures d'expulsion au motif que la décision Ali les en empêchait.

[8] Dans les affaires Seegobin et Paul, par exemple, le juge Noël a suivi la décision Ali et a refusé d'octroyer un sursis quant à l'exécution de mesures d'expulsion. Le juge McKeown, s'appuyant sur les décisions Ali et Paul, a formulé la même conclusion. Dans l'affaire Diaz, le juge Rouleau a tenté sans succès de conclure à l'existence d'une compétence qui lui permettrait de contrôler des décisions et de surseoir à la mesure d'expulsion visée en l'espèce.

[9] En outre, le juge Rothstein a invoqué d'autres raisons, dans l'affaire Rajan, pour statuer que la Cour n'avait pas compétence pour octroyer un sursis. Il a conclu qu'il était dans l'impossibilité d'accorder un sursis parce que cela "reviendrait en effet à rendre une ordonnance expressément contraire à une disposition d'une loi fédérale".

[10] Toutefois, la Cour a souvent adopté une position divergente. Quelques-unes des décisions illustrant cette position sont citées à l'annexe III, intitulée "Décisions concluant à la compétence". Les décisions des juges Reed (Petit et Bhatti), Noël (Bal), Gibson (Robinson), Mackay (Samokhvalov) et du juge en chef adjoint Jerome (LLewellyn), considérées dans leur ensemble, concluent à la compétence de la Cour.

[11] La décision du juge Noël dans l'affaire Bal énonce un point de vue différant substantiellement des décisions qu'il avait rendues antérieurement dans les affaires Seegobin et Paul, en raison de la nature pressante de la situation en cause. Le juge a dit :

J'ai déjà statué, ainsi que d'autres, que cette Cour n'a pas la compétence nécessaire pour prononcer le sursis dans les circonstances de l'espèce. Toutefois, d'autres juges de cette Cour ont exprimé l'opinion contraire. Il subsiste évidemment un certain doute sur la compétence qu'a cette Cour de surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion dont la validité n'est pas contestée. Si je le pouvais, j'ordonnerais le sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant que la Cour d'appel se prononce sur la question de la compétence. Je le ferais parce que, si j'ai le droit d'accorder un sursis, il devrait clairement s'exercer en l'espèce, et il serait dans l'intérêt de la justice de maintenir le statu quo en attendant que soit réglée la question. Toutefois, j'ai été incapable de trouver dans la procédure le moyen de soumettre, en l'espèce, la question à la Cour d'appel; il se peut, de fait, qu'elle échappe entièrement à la compétence de cette dernière.
Dans ces circonstances, il appartient aux membres de cette Cour de s'assurer de l'existence d'une certaine uniformité dans le traitement des questions fondamentales ressortissant à la compétence de cette Cour. Lorsqu'il subsiste un doute quant à la compétence de la Cour d'accorder une réparation, et qu'il semblerait dans l'intérêt de la justice de l'accorder, j'estime que l'on devrait trancher le doute en faveur de la partie qui demande la réparation. Le contraire priverait cette dernière d'une réparation dans l'hypothèse nécessaire que ceux qui se sont reconnus compétents pour l'accorder avaient tort. Je crois que l'on doive faire l'hypothèse contraire tant que la Cour d'appel n'aura pas décidé autrement, le cas échéant.
[12] Le juge Muldoon donne une portée un peu plus large à la compétence prévue à l'article 18.2 que ne le fait le juge Strayer. Dans les décisions Muñoz, Owusu, Ponnampalon, Invathong, Williams et Rizzo, il a exprimé l'opinion que l'existence d'une demande de contrôle judiciaire n'est pas le facteur qui détermine si la Cour peut ou non exercer sa compétence. Selon lui, il convient plutôt que la Cour exerce cette compétence pour empêcher qu'il y ait "mauvaise administration" de la justice. Ce qui constitue une "mauvaise administration" de la justice dépend des circonstances de chaque affaire.

[13] Le juge Simpson pousse ce raisonnement un peu plus loin dans la décision Calderon. Selon elle, la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une demande de sursis visant une mesure d'expulsion, doit "examiner toutes les circonstances et faire ce qui est juste". Elle a donc statué que le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 18.2 a une portée considérable en matière d'immigration.

[14] Même chez les juges pour qui cet exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 18.2 ne soulève pas de problème relevant de la compétence, les opinions varient quant aux circonstances pouvant fonder une ordonnance de sursis.

D. Ma réponse à l'argumentation soumise

[15] Comme je l'ai dit dans mes motifs oraux, je suis d'avis qu'il n'existe pas de restriction fondée sur la compétence limitant l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 18.2. La question de savoir s'il convient d'exercer ce pouvoir dépend des circonstances de chaque affaire.

[16] Relativement à une demande visant à surseoir à une mesure de renvoi prévue par la Loi sur l'immigration, il importe de se demander, selon moi, s'il est juste et équitable de l'accorder. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a certes le pouvoir discrétionnaire de prendre une mesure de renvoi alors qu'une demande de contrôle judiciaire concernant le statut du requérant en vertu de la Loi sur l'immigration est pendante, mais le requérant peut se prévaloir de l'article 18.2 pour demander qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure. Lorsqu'il le fait, ce n'est pas, de toute évidence, la validité de la mesure d'expulsion qui est en cause, mais la question de savoir s'il est "indiqué" (le critère appliqué par le juge Strayer dans la décision Shchelkanov ) de laisser prendre effet à la mesure de renvoi alors qu'une demande de contrôle judiciaire est pendante. Pour répondre à cette question, il faut analyser tous les faits constituant le contexte juridique et pratique de l'affaire.

[17] Par conséquent, en considérant tout le contexte afin de déterminer s'il convient ou non d'exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 18.2, je conclus qu'on adopte une perspective beaucoup trop technique en exigeant que la mesure d'expulsion fasse l'objet d'une demande de contrôle judiciaire ou en restreignant l'application du critère applicable en matière d'injonction aux seules circonstances de la mesure d'expulsion elle-même.

[18] En prenant cette position, je suis d'avis que le critère triple établi dans l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 110, relativement aux demandes de sursis, doit s'appliquer à tous les faits examinés dans le cadre du contrôle judiciaire en cours. C'est donc dire que la question sérieuse qui doit exister doit se rapporter au bien-fondé des motifs de la demande de contrôle judiciaire elle-même et que les considérations relatives au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients doivent comprendre les conséquences pratiques qu'une mesure d'expulsion aura sur le requérant et sur sa famille.

[19] Concernant la question du préjudice irréparable, je suis également d'avis qu'il convient d'évaluer le bien-fondé de chaque affaire. Par conséquent, on restreint inutilement le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 18.2 en affirmant que le préjudice doit satisfaire à une ligne directrice particulière telle la menace à la vie ou à la sécurité du requérant.

[20] En conséquence, je choisis d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 18.2 dans la plus large perspective possible.


Douglas R. Campbell


OTTAWA (ONTARIO)


Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.

ANNEXE I


Shchelkanov c. Ministre de l'emploi et de l'immigration

(1994), 76 F.T.R. 151, juge Strayer, à la p. 151 :

J'ai indiqué qu'à mon avis -- opinion que j'ai déjà exprimée d'ailleurs --, cette Cour ne devrait pas prononcer le sursis à l'expulsion en attendant qu'elle effectue un contrôle judiciaire dans un cas où ce contrôle a été demandé non pas pour contester la mesure d'expulsion, mais bien pour attaquer l'action (ou, en l'espèce, l'inaction) du ministre relativement à une demande, fondée sur le paragraphe 114(2), visant à obtenir que le pouvoir discrétionnaire de la Cour soit exercé en faveur du requérant. Dans la présente affaire, la mesure d'expulsion est devenue inconditionnelle le 20 mai 1993. On n'a jamais demandé le contrôle judiciaire de cette mesure. Celle-ci demeure donc valide et doit être traitée comme telle. Suivant l'article 48 de la Loi sur l'immigration, le ministre est tenu d'exécuter la mesure "dès que les circonstances le permettent" [voir, p. ex. Lodge c. M.E.I. , 1979 CanLII 2785 (FCA), [1979] 1 C.F. 775, à la p. 783]. À ce que je peux voir, la Loi ne dit nulle part que l'exécution d'une telle mesure ne peut avoir lieu que si on a dûment examiné la demande, s'il en est, fondée sur le paragraphe 114(2) et visant à obtenir pour l'expulsé un traitement discrétionnaire exceptionnel. [Cette situation peut se distinguer de celle de l'affaire Benhene c. M.E.I., 13 avril 1992, 92-A-2193 (C.A.F.), où le rejet de la revendication du statut de réfugié avait automatiquement rendu exécutoire la mesure de renvoi : l'annulation sollicitée dans la demande de contrôle judiciaire aurait redonné un caractère conditionnel à la mesure de renvoi et aurait donc suspendu son exécution]. La réticence de cette Cour à intervenir dans de telles circonstances a parfois été attribuée à l'incompétence en la matière. Quant à savoir si cette explication est exacte, cela dépend, je crois, de la façon dont on définit la compétence. Or, la justification reposant sur la compétence semble avoir mené à un point de vue selon lequel tous les obstacles au prononcé du sursis dans ce genre de circonstances ont été écartés par l'adoption en 1990 de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici le texte :
La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
Il est douteux que cet article ait vraiment changé quoi que ce soit, car la Cour s'était déjà dite investie d'un tel pouvoir. [Voir, p. ex. Toth c. Canada (1988) 1988 CanLII 1420 (FCA), 86 N.R. 302; Yri-York Ltd. c. Canada, [1988] 3 C.F. 186.] Toutefois, la Cour d'appel a conclu expressément, avant [Donkor c. M.E.I. (1988) 7 Imm.L.R. (2d) 165; Asumadu c. M.E.I. (1988), 113 N.R. 150] comme après [Akyampong c. M.E.I. (1992) 18 Imm. L.R. (2d) 18] l'adoption de l'article 18.2, que la Cour ne doit pas accorder le sursis à l'expulsion lorsque la validité de la mesure de renvoi ou d'exclusion n'est pas contestée. Me fondant donc sur la définition du pouvoir en question que renferme l'article 18.2, je ne crois pas qu'il soit "indiqué" de surseoir à l'exécution d'une mesure valide prise par un arbitre en vertu des articles 27 et 32.1 et de le faire au motif que la Cour se trouve saisie d'une demande de contrôle judiciaire visant la prétendue omission du ministre de prendre une décision en vertu du paragraphe 114(2), lors même que la prise régulière de cette décision ne constituerait pas un préalable juridique de l'exécution de ladite mesure.
Selon moi, il ne convient de prononcer une injonction interlocutoire ou le sursis qu'en présence d'une allégation (constituant une question sérieuse) selon laquelle le défendeur ou l'intimé est en train, ou sur le point, d'accomplir un acte illégal. (Il ne pourrait y avoir d'exception que dans le cas où le défendeur ou l'intimé agirait de manière à entraver le bon déroulement des procédures de la Cour, point auquel je reviendrai plus loin.) Pour saisir l'importance de cette exigence, il suffit de tenir compte de l'ordonnance que la Cour pourrait rendre en statuant définitivement sur l'affaire dont elle est saisie. Si, au terme de la procédure, la Cour ne pourrait interdire de façon permanente l'activité relativement à laquelle est demandé le sursis provisoire, sur quel fondement pourrait-elle interdire provisoirement cette même activité? Devant une demande de sursis, la démarche devrait être la suivante : à supposer que le requérant parvienne enfin à prouver toutes ses allégations, l'acte qu'il conteste pourrait alors être interdit provisoirement, et devrait l'être en fait, en raison du préjudice irréparable que causera entre-temps la continuation de cet acte illégal. Suivant cette approche dans le cas présent, même si le requérant obtenait un mandamus obligeant le ministre à prendre une décision en vertu du paragraphe 114(2), cela ne permettrait pas à la Cour d'interdire de façon permanente l'exécution de la mesure de renvoi. Cette mesure restera valide. De fait, aucune ordonnance permanente de ce genre n'est sollicitée dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Sauf le respect que je dois aux tenants du point de vue contraire, je m'explique mal sur quel fondement il conviendrait en conséquence de surseoir temporairement à l'exécution de la mesure d'expulsion, incontestablement valide, prise par l'arbitre dans l'exercice de son pouvoir légal en attendant que soit terminé le contrôle judiciaire d'une action (ou inaction) tout à fait différente de la part du ministre dans l'exercice de ses pouvoirs ou de ceux du gouverneur en conseil. Il me semble en toute déférence que la situation en l'espèce est directement comparable à l'affaire Lodge, dans laquelle la Cour d'appel a dit ne pouvoir interdire l'exécution de mesures d'expulsion du seul fait qu'un autre tribunal, soit, dans ce cas-là, un tribunal canadien des droits de la personne, pourrait un jour rendre une décision favorable aux expulsés. Dans l'affaire Lodge, la Cour a même admis la possibilité qu'une décision favorable d'un tribunal des droits de la personne puisse dans l'avenir compromettre la validité de la mesure d'expulsion, mais elle n'a pas interdit l'expulsion pour autant.
Accorder le sursis en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale s'avère particulièrement peu indiqué lorsque la décision dont le contrôle est encore en cours est de celles que vise le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. Les demandes de sursis ne sont assujetties à absolument aucune restriction : elles peuvent être présentées n'importe quand et sans limite quant au nombre de fois. On connaît trop bien le scénario, dont les événements en l'espèce ne sont qu'un seul exemple : une mesure d'expulsion est prise et soit qu'elle n'est pas contestée en cette Cour, soit que la contestation est rejetée. Des mois ou des années s'écoulent, sans que la mesure ne soit exécutée. Pendant ce temps une demande fondée sur le paragraphe 114(2) a peut-être été présentée et rejetée; ou peut-être encore qu'aucune n'a été présentée. Finalement, on fait savoir à la personne visée par la mesure d'expulsion qu'elle sera renvoyée du pays à telle date. La personne en question fait par la suite une demande fondée sur le paragraphe 114(2). Ou bien celle-ci est rejetée juste avant la date fixée pour le départ, ou bien aucune décision n'a encore été rendue. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire est alors présentée à l'égard de la décision prise en vertu du paragraphe 114(2) et le sursis au renvoi est sollicité. C'est probablement parce que l'expulsion ne tient pas légalement à ce qu'il soit dûment statué sur de telles demandes que la Loi ne prescrit aucune restriction quant au moment et à la fréquence de la présentation de celles-ci. Malgré l'obligation d'agir équitablement à l'égard des demandes fondées sur le paragraphe 114(2), la décision est discrétionnaire, étant de celles que le ministre peut prendre avant ou après le renvoi d'une personne qui n'a, du point de vue légal, aucun droit d'être au Canada. Pourvu qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire pour des motifs d'ordre humanitaire, le ministre peut à tout moment recommander qu'une personne soit soustraite à l'application d'un règlement ou faciliter de toute autre manière l'admission de cette personne. Voilà donc un pouvoir de vaste portée qui existe tout à fait indépendamment du processus d'expulsion, l'un n'étant pas tributaire de l'autre. Certes, sur le plan pratique, si quelqu'un demande en temps voulu d'être exempté de l'obligation de présenter à l'extérieur du Canada sa demande de résidence permanente, et s'il arrive que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en accédant à cette demande avant que le demandeur ne soit expulsé en exécution d'une mesure d'expulsion valide, ce demandeur ne sera pas tenu de quitter le Canada. Mais cela ne justifie nullement l'intervention de la Cour si, en fait, aucune décision n'a été rendue relativement à la demande fondée sur le paragraphe 114(2) avant le départ légalement ordonné du demandeur.
On a fait valoir que le sursis doit être accordé, sinon la Cour pourrait voir réduit à néant son pouvoir de contrôler la demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire. Or, je ne puis comprendre pourquoi il devrait en être ainsi en temps normal. Par exemple, un juge de cette Cour aura toujours la même possibilité d'examiner, à partir du dossier et en conformité avec les règles, la demande d'autorisation, même si le requérant se retrouve dans l'ancienne Union soviétique. Si l'autorisation est accordée, la demande de contrôle judiciaire pourra être entendue, car dans le cas d'une audience de ce genre la preuve produite revêt la forme d'affidavits et le requérant en l'espèce en a déjà déposé un. La Cour serait encore parfaitement en mesure d'annuler les décisions prises en vertu du paragraphe 114(2). Bien sûr, une décision favorable de la part de la Cour pourrait être moins utile au requérant s'il se trouve à l'étranger, mais cela ne lui donne pas le droit de rester au Canada jusqu'à ce que cette décision soit rendue.
Comme je l'ai mentionné plus haut, il y a une situation dans laquelle j'admets qu'il soit "indiqué" que la Cour prononce le sursis à l'expulsion en attendant qu'il soit statué sur une demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il s'agit du cas où la hâte que met le ministre à exécuter la mesure d'expulsion entrave cette Cour dans l'exercice de ses fonctions relativement à la demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire. Cela pourrait se produire, par exemple, si, après le rejet de la demande fondée sur le paragraphe 114(2), à supposer que celle-ci ait été présentée en temps utile, l'expulsé n'avait pas eu une possibilité raisonnable de consulter un avocat et de fournir un affidavit destiné à être utilisé par cette Cour dans le cadre de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire se rapportant à ce rejet. Il n'existe pas de telles circonstances en l'espèce.
Je n'ai pas certifié dans la présente affaire une question pouvant faire l'objet d'un appel parce que, autant que je sache, il n'existe aucun droit d'appel à l'égard de ce genre de demandes de sursis. Aux termes du paragraphe 82.2(1) de la Loi sur l'immigration tel qu'il était rédigé antérieurement aux modifications de 1992, on n'avait pas le droit d'interjeter appel des décisions de la Section de première instance en matière d'autorisation de demander le contrôle judiciaire. La Cour d'appel a conclu que ce paragraphe avait en outre pour effet d'empêcher tout appel contre une décision qui refusait d'accorder le sursis en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation. [Voir Ramanarine, 4 mai 1992, A-453-92; Duggal, 16 novembre 1992, A-1480-92.] Elle a considéré la demande de sursis comme accessoire d'une demande d'autorisation fondée sur l'article 82.1 et, comme l'article 82.2 interdisait d'interjeter appel d'une décision rendue en vertu de l'article 82.1, elle ne pouvait connaître d'un appel contre la décision relative au sursis. Le Parlement disposait de la quasi-totalité, sinon de la totalité, de cette jurisprudence lors de l'adoption de l'actuel article 82.2 [L.C. 1992, ch. 49, art. 73], et pourtant il y a reproduit pratiquement les mêmes termes. Par le nouvel article 83, le législateur ne permet d'en appeler d'un jugement "rendu sur une demande de contrôle judiciaire" (une distinction étant ainsi faite d'avec les appels contre un jugement sur une demande d'autorisation, expressément visés à l'article 82.2) que si une question est certifiée. Il semble peu probable que le Parlement, eût il voulu conférer un droit d'appel à l'égard des demandes de sursis accessoires de demandes d'autorisation, aurait laissé essentiellement inchangé l'article 82.2, qui, avait-on jugé, excluait de tels appels, et aurait plutôt tenté de les autoriser par le moyen détourné de l'article 83. Comme, en l'espèce, on n'en est pas encore au stade du contrôle judiciaire (et on n'y parviendra peut-être jamais si l'autorisation n'est pas accordée), l'article 83 ne s'applique pas, si bien que la possibilité de la certification d'une question ne se présente pas.
C'est pour ces motifs que j'ai refusé en l'espèce de surseoir à l'expulsion et que je n'ai pas offert de certifier de question en vue d'un appel.
ANNEXE II

DÉCISIONS CONCLUANT À L'ABSENCE DE COMPÉTENCE


Seegobin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)

(1993), 59 F.T.R. 310, juge Noël


Cette affaire portait sur une demande de sursis d'une mesure d'expulsion pendant l'examen d'une demande d'autorisation. Le requérant voulait demander le contrôle judiciaire de la décision concluant à l'absence de motifs d'ordre humanitaire justifiant l'octroi du droit d'établissement.

La Cour a demandé qu'on lui soumette des arguments sur la question de savoir si elle avait compétence pour examiner une demande de sursis lorsque la validité de la mesure d'expulsion n'était pas contestée. Examinant les arguments qui lui avaient été soumis, la Cour a déclaré :

Après examen des arguments de l'avocat, j'estime que cette Cour n'est pas compétente pour accorder le sursis à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion lorsque sa validité n'est pas contestée.
[...]
En effet, comme l'a affirmé le juge Strayer [dans Ali c. M.E.I.], "le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2)".
Par conséquent, j'estime que la Cour ne peut pas connaître de la demande de sursis puisqu'il s'agit d'une réparation qu'elle n'a pas le pouvoir d'accorder.


Paul c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration

(1993), 61 F.T.R. 111, juge Noël

La revendication de statut de réfugié présentée par le requérant avait été refusée. Après le refus, le requérant s'était marié et avait demandé, à partir du Canada, le droit d'établissement. Il a été jugé qu'il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour lui permettre de faire cette demande à partir du Canada. Le requérant a alors sollicité l'autorisation de soumettre cette décision à la procédure de contrôle judiciaire. Il a également demandé qu'il soit sursis à la mesure d'expulsion jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire.

Rejetant la demande de sursis, le juge Noël a dit ce qui suit :

J'ai tout d'abord entendu les avocats sur la question de la compétence et j'ai conclu que cette Cour n'avait pas compétence pour accorder le sursis d'exécution de la mesure de renvoi dans les circonstances où sa validité n'est pas contestée.
Conscient des deux tendances opposées qui ont évolué dans cette Cour sur ce sujet, je suis d'accord avec l'exposé du droit qu'a fait le juge Strayer à cet égard dans l'arrêt Ali et le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, inédit, en date du 17 novembre 1992, numéro de greffe 92-T-1647. Voici le texte complet de cet arrêt :
La seule ordonnance virtuellement contestée dans la demande d'autorisation en vue de demander un contrôle judiciaire est la décision de l'agent d'immigration ayant refusé d'accorder un traitement particulier pour des considérations humanitaires. Le requérant demande la suspension d'une mesure de renvoi en attendant l'issue de cette demande.
La suspension, chacun le sait, ne peut être accordée en vue d'empêcher qu'une mesure de renvoi soit exécutée si la validité de cette mesure n'est pas contestée. La contestation d'une décision défavorable à l'endroit d'une revendication du statut de réfugié est en fait la contestation de la validité de l'exécution d'une mesure de renvoi prise sous réserve de la reconnaissance du statut de réfugié. Toutefois, la contestation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2) n'est en aucune façon la contestation de la validité de l'exécution d'une mesure de renvoi. Le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2).
La demande de suspension doit par conséquent être rejetée.
L'avocat du requérant a reconnu que cette décision était, à première vue, très convaincante, mais il a laissé entendre que le juge Strayer pouvait ne pas avoir songé à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, entré en vigueur le 1er février 1992, lorsqu'il a rendu sa décision.
Voici le libellé de l'article 18.2 :
La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
Cette disposition accorde expressément à la Section de première instance le pouvoir d'accorder une réparation provisoire dans le cadre des procédures de contrôle judiciaire. Avant la mise en vigueur de l'article 18.2, ce pouvoir était considéré comme découlant de la compétence inhérente de la cour, mais il demeurait susceptible de contestation étant donné que la source de la compétence de cette Cour est d'origine purement statutaire. L'article 18.2 confère désormais à cette Cour le pouvoir d'accorder une réparation provisoire, lequel, comme c'était le cas dans le passé, ne peut être exercé qu'à l'égard des matières qui sont légalement reliées ou accessoires à ce qui fait l'objet du contrôle judiciaire. En l'espèce, comme l'a dit le juge Strayer, "le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2)".
Cela étant, je suis d'avis que la demande de sursis d'exécution ne peut être accueillie, car elle recherche une réparation que cette Cour n'a pas le pouvoir d'accorder.


Rajan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)

(1994), 86 F.T.R. 70, juge Rothstein

Le requérant cherchait à faire surseoir à l'application du paragraphe 32.01(1) de la Loi sur l'immigration. Plus particulièrement, il sollicitait une ordonnance portant que la mesure d'interdiction de séjour le visant ne devait pas être assimilée à une mesure d'expulsion, même si aucun certificat d'interdiction de séjour n'avait été délivré pendant le délai prévu. Le requérant avait sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision concluant à l'absence de motifs d'ordre humanitaire. La Cour avait rejeté la demande de sursis en se déclarant sans compétence pour accorder le redressement demandé. Au soutien de sa conclusion, le juge Rothstein formulé les motifs suivants :

À mon avis, je ne suis pas compétent pour accorder le sursis demandé. L'accorder reviendrait en effet à rendre une ordonnance expressément contraire à une disposition d'une loi fédérale. Si j'accordais le sursis, la mesure d'interdiction de séjour ne deviendrait pas une mesure d'expulsion, en dépit du fait qu'aucune attestation de départ n'aurait été délivrée au cours de la période réglementaire applicable. Je ne vois pas comment une cour pourrait prononcer un sursis qui, en fait, modifierait une loi fédérale.
L'avocat de la requérante fait valoir qu'en vertu de sa compétence inhérente et de la compétence qui lui est expressément conférée à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour a effectivement compétence pour accorder le sursis demandé. Or, si cet argument était fondé, la Cour pourrait, en vertu de sa compétence inhérente ou de la compétence qui lui est expressément conférée par le législateur à l'article 18.2, rendre des ordonnances au hasard, sans égard à sa compétence, ni aux dispositions des lois qu'elle interprète. Sous réserve de mes commentaires qui suivent sur la contestation constitutionnelle des lois, cette thèse est absolument inacceptable. De toute évidence, les cours ne peuvent passer outre à une loi, ni la modifier. Ce que l'on soutient est si manifestement incompatible avec les rôles bien établis des tribunaux et du législateur et avec notre régime fondamental de droit que je ne crois pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit.
On a donné à entendre que la thèse de la requérante trouvait quelque appui dans la décision Llewellyn c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (23 mars 1994), numéro du greffe 92-T-2147 (C.F. 1re inst.) [voir [1994] J.C.F. no 384]. Si, de fait, Llewellyn appuie la prétention portant que la Cour peut rendre une ordonnance contraire à une loi fédérale, alors, en toute déférence, je ne peux y souscrire. La Cour n'a pas le pouvoir de suspendre l'application d'une disposition législative explicite.
Je reconnais que, si une disposition d'une loi fédérale ou d'un règlement d'application est contestée sur le fondement de la Constitution, notamment de la Charte, et que les conditions relatives au sursis sont respectées, la Cour peut retarder l'application de la loi ou du règlement. Voir RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 311. Dans ces circonstances, le rôle de la Cour est de déterminer si une règle de droit est incompatible avec la loi suprême du Canada, la Constitution. Toutefois, c'est là le seul fondement que je connaisse et qui permette à la Cour de suspendre l'obligation de respecter une disposition expresse d'une loi ou d'un règlement [...]
De toute évidence, la Cour peut surseoir à la mise en oeuvre d'ordonnances ou de décisions des tribunaux d'instance inférieure. Ainsi, si un agent d'immigration ordonne à un requérant de quitter le Canada à une date précise, le requérant peut demander le sursis de cette mesure. Je crois que c'est la réponse à la crainte de l'avocat de la requérant que cette dernière subisse un préjudice irréparable si elle est contrainte de quitter le pays du fait de la mesure réputée être une mesure d'expulsion. Si, de fait, la requérante est capable de convaincre la Cour qu'une question grave se pose, qu'elle subira un préjudice irréparable si la mesure d'expulsion est exécutée et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur, la Cour aura alors compétence pour accorder le sursis.
Puisque je conclus que la Cour n'est pas compétente pour surseoir à l'application du paragraphe 32.02(1) de la Loi sur l'immigration, cette partie de la demande de sursis est rejetée.
[...]
[...] L'avocat de la requérante fait remarquer qu'en l'espèce, la question soulevée concerne la compétence, et non une décision relative au bien-fondé de la demande de sursis. Toutefois, la décision dont il veut interjeter appel est celle où l'on refuse le sursis. La compétence en matière d'appel ne dépend pas des motifs qui fondent la décision sur la demande de sursis. S'il ne peut être interjeté appel de cette décision, je ne vois pas comment il peut être interjeté appel de son volet qui concerne la compétence. Pour ces motifs, je conclus que je ne suis pas compétent pour certifier une question pour la Cour d'appel dans le cadre de la présente demande de sursis.


Gomes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995), 91 F.T.R. 264, juge McKeown

Le requérant avait demandé le sursis de la mesure d'expulsion dont il était l'objet afin de pouvoir entreprendre la procédure de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration selon laquelle il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour permettre au requérant de demeurer au Canada. Le requérant était resté plus de cinq ans au Canada après l'expiration de son autorisation de séjour, et il avait été reconnu coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles et condamné à six mois de prison; il avait été libéré après deux mois.

La Cour a rejeté la demande de sursis pour les motifs suivants :

Tout d'abord, j'estime que la présente Cour n'a pas compétence pour connaître de la demande du requérant. À cet égard, je suis d'accord avec le jugement prononcé par le juge Strayer dans l'affaire Ali c. M.E.I., 17 novembre 1992, (inédit) dossier de la Cour 92-T-1647 [voir [1992] J.C.F. no 1042], et en outre, avec le jugement du juge Noël dans l'affaire Paul c. Canada (M.E.I.) 29 janvier 1993, (inédit), dossier de la Cour 93-T-86 [voir [1993] J.C.F. no 63]. L'avocate du requérant a fait valoir qu'il existe d'autres décisions rendues par cette Cour contraires aux jugements susmentionnés. Elle a prétendu également que l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui est entré en vigueur le 1er février 1992, permet à la présente Cour de prendre des mesures provisoires; toutefois, les arrêts susmentionnés ont été rendus après l'entrée en vigueur de l'article 18.2, et je reste disposé à les adopter.
En dépit de ma décision concernant la compétence, je vais examiner le bien fondé de l'espèce. Quant au fond, je refuserais également de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion puisqu'aucune question grave n'est soulevée en l'espèce.


Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

[1997] J.C.F. no 1102, IMM-3547-97, juge Rouleau

Il s'agissait d'une demande de sursis visant l'exécution d'une mesure d'expulsion. Le requérant était au Canada depuis sept ans. La Section du statut de réfugié avait rejeté sa revendication. Cette décision avait fait l'objet d'un contrôle judiciaire, et le juge Muldoon l'avait maintenue. Le requérant avait par la suite épousé une citoyenne canadienne et avait demandé le droit d'établissement du fait de son mariage avec une citoyenne canadienne. Sa demande avait été rejetée et une mesure d'expulsion avait été prise contre lui. La Cour a rejeté la demande de sursis pour les raisons suivantes :

J'ai tenté de trouver une compétence qui me permettrait d'effectuer le contrôle judiciaire de décisions de façon à pouvoir surseoir à l'ordonnance d'expulsion en cause. Il n'y a eu aucune demande sous la catégorie des DNRSRC qui aurait pu à la fin entraîner une évaluation du risque. Cette initiative n'a pas été prise. Il n'a été présenté au ministre aucune demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui indique que le requérant en l'instance serait en danger s'il retournait au Pérou et, par conséquent, il n'a été rendu sur cette question aucune décision que la Cour puisse contrôler.
Je suis en présence d'une situation où la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le requérant en l'instance n'était pas crédible; le juge Muldoon de la Cour est arrivé à une conclusion semblable. Comment alors pourrais-je, compte tenu de ces deux décisions, accepter le témoignage assermenté que j'ai entendu et selon lequel le requérant serait en danger s'il retournait au Pérou?
ANNEXE III

DÉCISIONS CONCLUANT À LA COMPÉTENCE DE LA COUR

Petit c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)

1993 CanLII 2933 (CF), [1993] 2 C.F. 505 (1re inst.), juge Reed

La requérante avait demandé qu'il soit sursis à une mesure de renvoi. Elle était mère de deux enfants. Elle avait revendiqué le statut de réfugié. On lui avait refusé le droit d'établissement parce qu'il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour lui permettre de présenter une demande fondée sur son mariage avec un citoyen canadien, .

La Cour a accordé le sursis pour les motifs suivants :

Se pose d'abord la question de savoir si cette Cour a compétence pour prononcer le sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi dans un cas comme celui qui se présente en l'espèce. C'est là un point sur lequel les opinions de différents membres de cette Cour divergent nettement. Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (encore inédite, le 17 novembre 1992, 92-T-1647), le juge Strayer a conclu à l'inexistence d'une telle compétence. Ce qui suit est le texte intégral de cette décision :
La seule ordonnance virtuellement contestée dans la demande d'autorisation en vue de demander un contrôle judiciaire est la décision de l'agent d'immigration ayant refusé d'accorder un traitement particulier pour des considérations humanitaires. Le requérant demande la suspension d'une mesure de renvoi en attendant l'issue de cette demande.
La suspension, chacun le sait, ne peut être accordée en vue d'empêcher qu'une mesure de renvoi soit exécutée si la validité de cette mesure n'est pas contestée. La contestation d'une décision défavorable à l'endroit d'une revendication du statut de réfugié est en fait la contestation de la validité de l'exécution d'une mesure de renvoi prise sous réserve de la reconnaissance du statut de réfugié. Toutefois, la contestation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2) n'est en aucune façon la contestation de la validité de l'exécution d'une mesure de renvoi. Le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2).
La demande de suspension doit par conséquent être rejetée. [Renvois omis]

Ce raisonnement a été suivi par le juge Noël dans la décision Paul c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (encore inédite, 29 janvier 1993, 93-T-86).
Pourtant, il a été jugé dans d'autres décisions de cette Cour que le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion peut être prononcé dans un cas où a été présentée une demande d'autorisation d'interjeter appel d'une décision défavorable rendue en vertu du paragraphe 114(2) [...] Ce point de vue repose sur le texte de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale [...], entré en vigueur le 1er février 1992 :
La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
Faisons remarquer que cette disposition ne dit pas simplement que la Cour peut surseoir à l'exécution d'une décision ou d'une ordonnance faisant l'objet, devant elle, d'une demande de contrôle judiciaire, ou modifier cette décision ou ordonnance, avant de rendre sa décision définitive sur ladite demande. Sa portée est plus large. Elle dispose en effet que la Section de première instance "peut [...] prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant".
Antérieurement à l'adoption de cette modification, plusieurs décision établissaient clairement que la Cour avait compétence pour accorder des sursis aux fins d'assurer l'intégrité de toute procédure engagée devant la Cour. La question du pouvoir de la Cour pour surseoir à l,exécution d'ordonnances de tribunaux est traitée par Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders dans Federal Court Practice 1990, à la page 259 :
[TRADUCTION] Lorsqu'un sursis est demandé à l'égard d'une procédure introduite devant un tribunal ou un corps administratif, ou à l'égard d'une ordonnance de l'un ou l'autre, doit être abordée à titre préliminaire la question de savoir si la Cour fédérale détient le pouvoir de suspendre les procédures de ce tribunal ou corps administratif. L'article 50 n'est pas attributif d'un tel pouvoir. Toutefois, dans l'arrêt Comm. d'énergie électrice du N.-B. c. Maritime Electric Co., [1985] 2 C.F. 13, 60 N.R. 352 (C.A.F.), autorisation d'en appeler devant la C.S.C. refusée (1985), 64 N.R. 240n (C.S.C.), la Cour d'appel a statué qu'elle possédait le pouvoir implicite de suspendre de telles procédures en attendant l'issue de l'appel interjeté contre la décision d'un tribunal. Tous les doutes qui ont pu planer quant à la portée de cet arrêt ont été levés par les arrêts rendus par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Yri-York Ltd. c. Can. (P.G.), [1988] 3 C.F. 186, 30 Admin. L.R. 1, 21 C.P.R. (3d) 161, 16 F.T.R. 319 (note), 83 N.R. 195 (C.A.), et Toth c. Can. (Min. de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 1988 CanLII 1420 (FCA), 6 Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302 (C.A.F.).
L'article 18.2, je le répète, ne se borne pas à simplement conférer à la Cour compétence pour préserver l'efficacité et l'intégrité de toute procédure introduite devant elle. Il semble s'inspirer de l'article 4 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. J-1. Une disposition analogue existe également au Royaume-Uni dans les Rules of the Supreme Court, O. 53, r. 3(10)(a). Voir, par exemple, Regina v. Licensing Authority Established under Medicines Act 1968, Ex parte Smith Kline & French Laboratories Ltd. (No. 2), [1990] 1 Q.B. 574 (C.A.); Regina v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Herbage, [1987] 1 Q.B. 872, et Wade, Administrative Law, 6e éd., 1988, aux pages 671 et suivantes.
La raison d'être de dispositions comme l'article 18.2 est d'investir les cours du pouvoir de maintenir le statu quo chaque fois qu'il y a demande de contrôle judiciaire. Antérieurement à l'attribution expresse du pouvoir d'accorder un tel redressement, les cours hésitaient à s'immiscer dans l'exécution par un fonctionnaire ou un ministre de l'obligation légale lui incombant. Il existait pendant bien des années une réticence générale à rendre des injonctions contre la Couronne. Or, l'article 18.2 et les dispositions analogues, telles que l'article 4 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l'Ontario, autorisent les cours à accorder des injonctions interlocutoires destinées à maintenir le statu quo dans le contexte d'une procédure de contrôle judiciaire.
Un requérant ne demande une décision visée au paragraphe 114(2) qu'afin de pouvoir rester au Canada pour y demander le droit d'établissement. En l'espèce, si la décision de l'agent d'immigration relativement au caractère véritable du mariage de la requérante avait été différente et qu'on eût en conséquence fait droit à sa demande fondée sur le paragraphe 114(2), la mesure exigeant qu'elle quitte le pays le 26 février n'aurait pas été prise. À supposer qu'une décision concernant le mariage de la requérante eût été rendue à temps pou qu'elle pusse en interjeter appel et que l'autorisation d'appel lui eût été accordée, il est peu probable qu'eût été prise à son égard la mesure de renvoi. Or, l'exécution de celle-ci est intimement reliée à la demande fondée sur le paragraphe 114(2).
Bien que reconnaissant que certains de mes collègues donnent à l'article 18.2 une interprétation différente, je ne puis conclure à l'impossibilité, pour cause d'incompétence, d'accorder le redressement sollicité en l'espèce. De toute évidence, cette divergence d'opinions au sein de la Section de première instance constitue un point qu'il serait souhaitable de voir tranché par la Cour d'appel fédérale.
quoi qu'il en soit, puisque je m'estime habilitée par l'article 18.2 à rendre l'ordonnance demandée, la question qui se pose est celle de savoir s'il y a lieu à une telle ordonnance en l'espèce. [Renvois omis]
Bal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)

1993 CanLII 2955 (CF), [1993] 2 C.F. 199, 1re inst., juge Noël

Le requérant, citoyen canadien, avait adopté ses deux neveux (âgés de 10 et 16 ans). Les deux enfants étaient étrangers et faisaient l'objet d'une mesure d'expulsion. La demande de parrainage présentée par le requérant sur le fondement de motifs d'ordre humanitaire avait été rejetée, et il avait sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision, laquelle demande était pendante. Le requérant a demandé qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi pendant l'examen de cette demande. La Cour devait déterminer si elle avait compétence pour accorder le sursis.

La Cour a octroyé le sursis pour les motifs suivants :

J'ai déjà statué, ainsi que d'autres, que cette Cour n'a pas la compétence nécessaire pour prononcer le sursis dans les circonstances de l'espèce. Toutefois, d'autres juges de cette Cour ont exprimé l'opinion contraire. Il subsiste évidemment un certain doute sur la compétence qu'a cette Cour de surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion dont la validité n'est pas contestée. Si je le pouvais, j'ordonnerais le sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant que la Cour d'appel se prononce sur la question de la compétence. Je le ferais parce que, si j'ai le droit d'accorder un sursis, il devrait clairement s'exercer en l'espèce, et il serait dans l'intérêt de la justice de maintenir le statu quo en attendant que soit réglée la question. Toutefois, j'ai été incapable de trouver dans la procédure le moyen de soumettre, en l'espèce, la question à la Cour d'appel; il se peut, de fait, qu'elle échappe entièrement à la compétence de cette dernière. [Renvois omis]
Dans ces circonstances, il appartient aux membres de cette Cour de s'assurer de l'existence d'une certaine uniformité dans le traitement des questions fondamentales ressortissant à la compétence de cette Cour. Lorsqu'il subsiste un doute quant à la compétence de la Cor d'accorder une réparation, et qu'il semblerait dans l'intérêt de la justice de l'accorder, j'estime que l'on devrait trancher le doute en faveur de la partie qui demande la réparation. Le contraire priverait cette dernière d'une réparation dans l'hypothèse nécessaire que ceux qui se sont reconnus compétents pour l'accorder avaient tort. Je crois que l'on doive faire l'hypothèse contraire tant que la Cour d'appel n'aura pas décidé autrement, le cas échéant.


LLewellyn c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)

(1994), 1994 CanLII 10955 (FC), 74 F.T.R. 221, juge en chef adjoint Jerome

Il s'agissait de la demande de contrôle judiciaire d'une mesure de renvoi. Le requérant était arrivé au Canada en décembre 1990 et avait obtenu le statut de visiteur jusqu'au mois d'août 1991. À l'expiration de cette période, il était demeuré au Canada sans faire renouveler l'autorisation de séjour. Il s'était marié avec une résidente permanente du Canada, au mois de juillet 1992. Par la suite, l'autorisation que son épouse avait sollicitée, en invoquant des motifs d'ordre humanitaire, afin de parrainer sa demande de droit d'établissement à partir du Canada, avait été refusée. Le requérant a demandé qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi et à l'application de l'article 113, lequel aurait opéré la transformation de l'interdiction de séjour en mesure d'expulsion quelques jours avant l'audition de la demande de contrôle judiciaire. La principale question à trancher était celle de la compétence de la Cour pour accorder le sursis lorsque la validité de la mesure de renvoi n'était pas contestée.

La Cour a accordé le sursis pour les motifs suivants :

Il y a deux questions à trancher. Premièrement, notre Cour a-t-elle compétence pour surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi lorsque la validité de la mesure même n'est pas contestée?
[...]
On ne sait pas encore très bien si la Cour a compétence pour surseoir à l'application d'une mesure de renvoi, lorsque la validité de la mesure même n'est pas contestée. Deux raisonnements divergents se sont dégagés.
On peut faire remonter l'origine de l'idée que la Cour a compétence seulement pour accorder un sursis si la validité de la mesure elle-même de renvoi est contestée à la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 1979 CanLII 2785 (FCA), [1979] 1 C.F. 775. Dans cette affaire-là, les appelantes se sont adressées à la Section de première instance pour obtenir une injonction empêchant l'exécution des ordonnances d'expulsion délivrées contre elles en attendant qu'il soit statué sur leur plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, plainte selon laquelle la procédure d'expulsion dans leur cas équivalait à un acte discriminatoire. La Cour a rejeté la demande pour le motif qu'une injonction ne sera recevable contre une autorité publique que pour empêcher la perpétration d'un acte qui est ultra vires ou par ailleurs illégal. Le juge LeDain a déclaré au nom de la Cour, aux pages 784 et 785:
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à la loi. La Cour ne peut conclure qu'il y a eu acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'organisme spécialisé et les tribunaux créés par la Loi sont investis de la compétence nécessaire pour émettre une telle conclusion. Celle-ci met en cause une question de fait qui doit être déterminée au terme d'une enquête menée par la Commission et d'une audience tenue par un tribunal des droits de la personne. La question de savoir si une telle conclusion pourrait porter atteinte, en principe, à la validité des ordonnances d'expulsion, ou pourrait entraîner tout simplement les redressements prévus à l'article 41, est une toute autre affaire. Essentiellement, la Cour doit considérer les ordonnances d'expulsion comme actuellement valides et le Ministre doit les exécuter en vertu du devoir qui lui est assigné par la loi.
[...] Les avocats n'ont pu nous citer de jurisprudence et je n'en ai trouvé aucune qui puisse justifier l'emploi d'une injonction pour interdire l'exécution d'un devoir imposé par la loi, au motif qu'une telle exécution peut nuire à un droit que le requérant cherche à faire valoir devant un autre tribunal. Je ne crois pas qu'un tel emploi de l'injonction puisse être reconnu comme un principe. Cela équivaudrait à donner un pouvoir général de suspendre l'exécution de décisions administratives dans des causes reconnues justifiées. La Cour n'a pas ce pouvoir, même relativement à des décisions qui font l'objet d'examen devant elle.
De la même façon, dans Donkor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 7 Imm. L. R. (2d) 165, l'appel interjeté auprès de la Cour d'appel fédérale a été rejeté pour le motif que, à moins d'une disposition législative expresse au contraire, un tribunal n'a pas le droit d'empêcher l'exécution d'une décision exécutoire qu'il n'a pas prononcée, qu'il n'a pas le pouvoir de réviser et dont la validité n'est pas contestée devant lui. Le juge Pratte a également conclu qu'un tribunal ne pourrait pas prononcer une injonction interlocutoire pour maintenir le statu quo dans une instance engagée devant un autre tribunal.
Dans Asumadu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 113 N.R. 150, l'appelant demandait également un sursis en attendant une révision en vertu de ce qui est maintenant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. Dans des motifs de jugement distincts, les trois juges de la Cour d'appel fédérale ont maintenu le refus de la Section de première instance d'ordonner le sursis. Dans ses motifs, le juge Marceau s'est fondé sur la décision rendue par la Cour dans Donkor, qui, à son avis, établit clairement qu'on ne pourrait pas ordonner un sursis à moins que la mesure de renvoi soit elle-même contestée. Les motifs formulés par le juge Hugessen dans la décision Asumadu sont toutefois importants car, même s'il était d'accord pour dire que l'appel aurait dû être rejeté, il est arrivé à cette conclusion pour des raisons différentes. Il indique, à la page 152 :
Si je suis d'avis que le premier juge avait raison de refuser l'injonction demandée, ce n'est pas pour des motifs de juridiction mais de droit : tant que l'ordonnance de renvoi restait valide et n'était pas attaquée, la Cour ne devait pas empêcher son exécution. Il ne fait pas de doute qu'en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale la Cour a la compétence pour prononcer une injonction contre le Ministre; dans les circonstances de l'espèce, toutefois, elle a, à bon droit, refusé de le faire.
(C'est moi qui souligne.)
Le dernier arrêt de la Cour d'appel à cet égard est Akyampong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 18. Les requérants y demandaient à la Cour de surseoir à l'exécution d'une mesure d'exclusion qui avait été prononcée contre eux à la suite d'une décision défavorable à la fin d'une audience pour déterminer si leur revendication du statut de réfugié avait un minimum de fondement. Dans une très courte décision, rendue à la suite d'une conférence téléphonique tenue avec les parties, le juge Hugessen semble adopter une position différente de celle exprimée dans Asumadu:
À l'ouverture de l'audience sur les demandes de sursis, nous avons mentionné à l'avocat des requérants que, à notre avis, compte tenu de l'omission de contester la mesure d'exclusion, la Cour n'était pas compétente pour accorder un sursis à l'exécution d'une telle mesure. L'avocat des requérants a alors présenté une demande en vue de modifier les avis introductifs aux termes de l'article 28 et, après avoir entendu l'avocat de l'intimé, nous avons conclu que l'intimé ne subirait aucun préjudice en raison de cette modification, qui a donc été accordée.
Suite à la modification des avis introductifs, un sursis à l'exécution de la mesure d'exclusion a été accordé dans chaque cas.
La Section de première instance a suivi ce raisonnement dans un certain nombre de décisions. (Voir Osei c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 8 Imm. L.R. (2d) 69; Ali c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (17 novembre 1992, inédit, 92-T-1647 [voir [1992] J.C.F. no 1042]) et Nello Paul et Tina Louise Paul c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (29 janvier 1993, inédit, 93-T-86).) [Voir [1993] J.C.F. no 63]
Cependant, les deux niveaux de notre Cour ont adopté une position tout à fait divergente en se fondant sur le pouvoir implicite que doit avoir la Cour pour exercer pleinement la compétence que la loi lui a conférée expressément à ce sujet par la loi. C'est le principe qui a été appliqué par la Cour d'appel dans Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited et Office national de l'énergie, [1985] 2 C.F. 13. Dans cette affaire-là, l'intimé l'Office national de l'énergie a rendu une décision selon laquelle l'offre faite par la requérante, la Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick, à l'intimée Maritime Electric Company Limited relativement à la vente d'énergie interruptible ne respectait pas les modalités des licences d'exportation détenues par la Commission d'énergie électrique. La Commission d'énergie électrique a obtenu l'autorisation de la Cour d'appel d'en appeler de la décision de l'Office et elle a alors demandé à la Cour de surseoir à l'exécution de l'ordonnance de l'Office en attendant l'issue de l'appel.
La Cour a conclu qu'elle avait le pouvoir implicite de surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'un tribunal administratif en attendant l'issue d'un appel et que l'exécution de l'ordonnance aurait pour effet de rendre cet appel inopérant. Selon la Cour, son pouvoir pourrait découler implicitement de la compétence qui lui est conférée expressément d'entendre et de juger l'appel.
Dans l'affaire Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 1988 CanLII 1420 (FCA), 6 Imm. L.R. (2d) 123, il s'agissait d'une demande en vue de surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion prononcée contre le requérant en attendant qu'une décision soit rendue relativement à une autorisation d'interjeter appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration. Le juge Heald a déclaré à la page 126 :
Dans l'affaire Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, notre Cour a statué que, dans les cas où il existe des dispositions législatives conférant le droit d'interjeter appel à l'encontre de l'ordonnance d'un tribunal, cette circonstance conjuguée aux dispositions du paragraphe 30(1) [de la Loi sur la Cour fédérale en vigueur à l'époque], confère implicitement à la Cour d'appel fédérale la compétence voulue pour surseoir à l'exécution de cette ordonnance lorsque l'appel deviendrait autrement inopérant.
[...]

L'avocat de l'intimé a tenté de faire une distinction avec l'affaire Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick pour le motif que la présente affaire a pris naissance en vertu de la Loi sur l'immigration, dans laquelle le législateur a traité de façon précise de la question du sursis à l'article 51. . . Il a allégué que, en prévoyant un sursis dans des circonstances particulières, le législateur a, de ce fait, supprimé toute compétence implicite pour accorder des sursis dans des circonstances non prévues à l'article 51. Je ne puis accepter cette façon de voir la question. En l'absence de termes explicites du législateur qui excluent notre compétence implicite et étant donné le solide raisonnement formulé par le juge Stone [dans Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick] en faveur d'une telle compétence implicite, je ne puis pas conclure à la suppression de la compétence implicite de la Cour pour accorder un sursis en vertu de la Loi sur l'immigration dans tous les autres cas que n'englobent pas les dispositions de l'article 51 de la Loi. Il ne me semble pas sans importance que, dans une décision récente, Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 300 (C.A.F.), notre Cour se soit attribuée la compétence requise pour accorder une suspension d'instance lors de la tenue d'une enquête en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, en attendant un appel interjeté à notre Cour à l'encontre d'un jugement de la Division de première instance rejetant une demande de bref de certiorari et de prohibition. Pour toutes les raisons ci-dessus, j'ai conclu que notre Cour avait compétence pour accorder le redressement demandé dans la présente requête.
Le raisonnement sur lequel la Cour d'appel fédérale s'est fondée dans les deux décisions susmentionnées a également été appliqué dans Yri-York Ltd. c. Canada (P.G.), [1988] 3 C.F. 186.
Dans Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 109 N.R. 239 (C.A.F.), on a sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant l'issue d'une demande d'autorisation d'intenter une procédure de contrôle judiciaire conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. De la même façon, dans Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 69, la Section de première instance de notre Cour a sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion jusqu'à ce que l'on se soit prononcé sur une demande présentée par le requérant en vue d'être autorisé à intenter une procédure fondée sur l'article 18. La validité de la mesure d'expulsion n'était contestée dans aucun de ces cas.
La Cour d'appel a également examiné cette question précise dans Benhene c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (92-A-2193, 13 avril 1992, inédit) [voir [1992] J.C.F. no 322], une fois de plus, il s'agissait d'une demande en vue de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant l'issue d'une demande d'autorisation d'intenter une procédure fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour était saisie de la question de savoir si la Section de première instance ou la Section d'appel de notre Cour avait compétence pour entendre la demande compte tenu des modifications à la Loi qui étaient entrées en vigueur la 1er février 1992. En concluant que la Cour d'appel avait compétence en la matière, le juge Décary a également fait les observations suivantes :
Je n'ai pas été convaincu que la loi modifiée a eu l'effet proposé par l'intimé. Lorsque, comme en l'espèce, la mesure de renvoi est contestée non pas directement, en raison de ces propres vices, mais plutôt indirectement, parce qu'elle est devenue exécutoire par suite du rejet de la revendication par la Commission [de l'immigration et du statut de réfugié], la question véritable n'est pas de savoir si la mesure de renvoi est valide, - elle l'est effectivement, elle était valide lorsqu'elle a été prise de façon conditionnelle, et elle l'est demeurée lorsqu'elle est devenue exécutoire de plein droit au moment où la Commission a rendu sa décision défavorable, - mais de savoir si la décision de la Commission, qui lui a donné son caractère exécutoire, était bien fondée.
Dans ces circonstances, la section d'appel de la présente Cour est, à juste titre, saisie de la mesure de renvoi qui fait partie des procédures dont la présente Cour est habilitée à accorder la supervision.
Ainsi, aucun arrêt ne fournit un énoncé clair et définitif de la loi. Même si, dans l'arrêt Asumadu, le juge Marceau a conclu que la contestation de la validité de la mesure de renvoi était une condition préalable au pouvoir de la Cour d'accorder un sursis, la décision du juge Hugessen dans cette affaire-là indique le contraire. La décision Benhene semble fournir un énoncé définitif sur la question, mais elle n'a pas été examinée ou suivie dans Akyampong, où l'on est arrivé à une conclusion différente.
En outre, je ne suis pas convaincu que les situations de fait existant dans des affaires telles que Lodge et Donkor soient analogues à celles que la Cour a rencontrées dans une demande de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant l'issue d'une autre procédure déjà intentée devant notre Cour. À cet égard, je suis d'accord avec la position adoptée par le juge Reed dans Hamilton c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1991] 1 C.F. 3, où, après examen de la jurisprudence, elle a tiré les conclusions suivantes, aux pages 12 et 15 :
En l'espèce, comme c'était le cas dans les affaires Toth, Bains et Yhap, l'ordonnance d'expulsion dont on demande la suspension est liée étroitement à la mesure de redressement sollicitée de notre Cour [...] Dans de telles circonstances, l'avocate a peut-être vraiment raison de laisser supposer que les principes énoncés dans l'arrêt Toth s'appliquent et que la Cour a le pouvoir de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur la demande fondée sur l'article 18. La Cour l'a effectivement fait dans l'affaire Yhap. Et la Cour d'appel a retenu une solution similaire dans l'affaire Bains.


[...]

En examinant cette jurisprudence, il me semble évident que la décision Lodge ne se rapporte pas à la question. La demande de sursis dans cette affaire-là était fondée sur la thèse selon laquelle elle était nécessaire afin d'accorder au requérant la possibilité de présenter une demande devant la Commission des droits de la personne. Elle n'avait aucun rapport avec une instance déjà devant notre Cour. La présente demande vise à surseoir à une expulsion jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une demande de révision aux termes de l'article 18. Notre Cour a été saisie de cette demande fondée sur l'article 18, et celle-ci fait partie du présent dossier. Cela ressemble à la situation qui existait tant dans l'affaire Bains que dans l'affaire Yhap.
Je trouve son raisonnement particulièrement convaincant dans cette affaire où a été accordée l'autorisation de présenter une demande fondée sur l'article 18. Ainsi, notre Cour s'est déjà prononcée en faveur du requérant en ce qui concerne l'un des principaux éléments de la question de savoir s'il faut accorder un sursis, c'est-à-dire s'il y a une question grave à trancher. Par conséquent, comme le juge Décary l'a déclaré dans Benhene, même si la validité de la mesure d'expulsion elle-même n'est pas contestée, il se pose la question de savoir si l'agent d'immigration a eu raison de conclure qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire. Cette question, dont notre Cour est maintenant saisie, doit être considérée comme lui conférant le pouvoir implicite de suspendre l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il ait été procédé au contrôle judiciaire.
Pour terminer, je passe aux effets de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui est entré en vigueur le 1er février 1992 :
18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
Cette disposition semblerait donner à la Cour le pouvoir étendu que le juge Pratte estimait nécessaire avant qu'un sursis ne puisse être accordé, lorsqu'il a déclaré dans Donkor à la page 166 :
À moins d'une disposition législative expresse au contraire, un tribunal n'a pas le droit d'empêcher l'exécution d'une décision exécutoire qu'il n'a pas prononcée, qu'il n'a pas le pouvoir de réviser et dont la validité n'est pas contestée devant lui.
Voir également le juge Reed dans Petit c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (28 février 1993, no du greffe IMM-352-93, inédit) [voir [1993] J.C.F. no 187 :
La raison d'être de dispositions comme l'article 18.2 est d'investir les cours du pouvoir de maintenir le statu quo chaque fois qu'il y a demande de contrôle judiciaire. Antérieurement à l'attribution expresse du pouvoir d'accorder un tel redressement, les cours hésitaient à s'immiscer dans l'exécution par un fonctionnaire ou un ministre de l'obligation légale lui incombant. Il existait pendant bien des années une réticence générale à rendre des injonctions contre la Couronne. Or, l'article 18.2 et les dispositions analogues, telles que l'article 4 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l'Ontario, autorisent les cours à accorder des injonctions interlocutoires destinées à maintenir le statu quo dans le contexte d'une procédure de contrôle judiciaire.
[...]
Bien que reconnaissant que certains de mes collègues donnent à l'article 18.2 une interprétation différente, je ne puis conclure à l'impossibilité, pour cause d'incompétence, d'accorder le redressement sollicité en l'espèce. De toute évidence, cette divergence d'opinions au sein de la Section de première instance constitue un point qu'il serait souhaitable de voir tranché par la Cour d'appel fédérale.
Pour ces raisons, je suis convaincu que la Cour a le pouvoir de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi en vertu de la Loi sur la Cour fédérale et de sa compétence intrinsèque aux termes de cette Loi et que c'est un cas qui convient à une telle mesure.
[...]

[...] plusieurs questions de portée générale [] ont été soulevées et devraient être examinées par la Cour d'appel, je certifie les questions suivantes conformément au paragraphe 83(1) :
[...]

2. La Cour a-t-elle le pouvoir de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi lorsque la validité de cette mesure n'est pas contestée?


Robinson c. Canada

(1994) 74 F.T.R. 316, juge Gibson

Dans cette affaire, la requérante avait fait une demande de sursis visant une ordonnance d'expulsion. Elle était mariée, avait trois enfants et n'avait pas d'emploi à l'extérieur de la maison. Son mari était citoyen canadien. Elle a soutenu que son expulsion causerait un préjudice irréparable à la famille. La Cour a jugé que la fragmentation de l'unité familiale ne constituait pas un préjudice irréparable et a refusé d'accorder le sursis.

Relativement à la question de la compétence, la Cour a tenu ces propos :

[...] pour la question de la compétence, je suis convaincu que, malgré que l'ordonnance d'expulsion elle-même n'ait pas été directement contestée, il est opportun que la Cour accepte de statuer. Je reconnais que les juges de la Section de première instance de la Cour sont divisés sur ce point, et que la Cour d'appel fédérale ne leur donne aucune directive claire. En me basant sur mes connaissances en droit, je suis en faveur d'accepter de statuer dans des circonstances comme celles de la présente affaire.
[...]
Si le législateur avait eu l'intention de placer le maintien de la cellule familiale au-dessus des risques et des épreuves qui accompagnent la situation de fait portée devant moi, le Parlement aurait pu y pourvoir. Or, il a choisi de ne pas le faire.
Je dois donc présumer que le législateur envisage, dans les circonstances où les options sont réelles, que l'expulsion puisse aboutir à la dispersion d'une famille. Je conclus que la situation de fait dont je suis saisi, ne représente pas un préjudice irréparable pour la requérante.


Samokhavalov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1994) 76 F.T.R. 56, juge MacKay

Les requérants étaient mariés et avaient deux enfants. Tous les membres de la famille avaient la citoyenneté russe. Un troisième enfant est né au Canada. L'épouse et les deux premiers enfants n'ont pas obtenu le statut de réfugié et ont fait l'objet d'une mesure d'expulsion. Les requérants ont demandé le contrôle judiciaire de la décision concluant à l'absence de raisons d'ordre humanitaire. Ils ont sollicité un sursis visant la mesure d'expulsion jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire.

Le juge MacKay a accordé le sursis. Examinant la question de la compétence, il a affirmé ce qui suit :

L'avocat de l'intimé a soulevé la question du pouvoir de la Cour de statuer sur la demande à la lumière des décisions telles que Paul et autre c. M.E.I. (inédit, no du greffe 93-T-86, 29 janvier 1993 (C.F.1re inst.), décision rendue par mon collègue le juge Noël) [voir [1993] J.C.F. no 63], et Ali c. M.E.I.(inédit, no du greffe 92-T-1647, 17 novembre 1992, décision rendue par mon collègue le juge Strayer) [voir [1992] J.C.F. no 1042], où la Cour avait décidé qu'elle n'avait pas compétence pour surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi lorsque la question au sujet de laquelle le contrôle judiciaire avait été sollicité était une décision défavorable quant à l'existence des considérations humanitaires et non la validité de la mesure d'expulsion ou de la mesure de renvoi en application de laquelle le renvoi devait être effectué. Interrogé sur la question de savoir s'il avait des remarques à faire concernant la compétence de la Cour prévue à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, modifiée par L.C. 1990, ch. 8. art. 5, lequel article est entré en vigueur le 1er février 1992, l'avocat a refusé de faire des commentaires. Cet article est ainsi rédigé :
18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
À mon avis, l'article 18.2 confirme effectivement le pouvoir qu'a cette Cour, en fait de pouvoir discrétionnaire exercé dans un cas donné, de surseoir à l'exécution du renvoi d'une personne qui a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l'immigration, lorsque la question soulevée par la demande est une question grave, que le requérant subira un préjudice irréparable si le sursis d'exécution n'est pas accordé mais que, par la suite, l'autorisation de demander le contrôle judiciaire est accordée et que l'issue finale du nouvel examen fait par le tribunal dont la décision est mise en doute est favorable au requérant, et lorsque la balance des inconvénients penche pour l'octroi d'un sursis d'exécution. En outre, à mon avis, bien que la validité de la mesure d'exclusion en application de laquelle le renvoi doit être effectué ne soit pas en litige, l'exécution de cette mesure survient en l'espèce par suite d'un examen défavorable quant à l'existence des considérations humanitaires, et cette décision défavorable fait l'objet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Je souscris aux propos tenus par le juge Strayer et suivis par le juge Noël selon lesquels "le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2)", mais j'estime que l'exécution réelle de la mesure peut dépendre d'une décision défavorable quant à l'existence des considérations humanitaires. Tous les cas ne justifient pas que la Cour intervienne en rendant une ordonnance de sursis d'exécution, mais, lorsque la Cour est clairement saisie d'une question grave et que l'existence d'un préjudice irréparable est établie, la balance des inconvénients peut très bien favoriser le requérant qui sollicite une suspension provisoire jusqu'au règlement de la question grave.
Je conclus que, à mon avis, la Cour a compétence pour accorder une suspension limitée, à titre de mesure provisoire, en attendant qu'il soit statué sur une question grave dont est saisie la Cour, en application de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale. Que ce pouvoir doive être exercé ou non, cela relève en tout cas du pouvoir discrétionnaire de la Cour.


Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995), 30 Imm. L.R. (2d) 256, C.F. 1re inst., juge Simpson

L'affaire portait sur une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire, visant à surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion. Une autre demande de sursis avait déjà été présentée pour que la mesure soit suspendue jusqu'à l'issue du contrôle judiciaire. Le juge avait conclu, en refusant la première demande de sursis, que la mesure n'entraînerait pas de préjudice irréparable. L'intimé plaidait que, par suite de cette première demande, il y avait chose jugée.

Le juge Simpson s'est exprimée ainsi :

[...] les critères de l'octroi d'une injonction sont des guides importants dans le processus décisionnel lorsqu'un sursis d'exécution est demandé. Ils ne sont pas des entraves. En fin de compte, je dois examiner toutes les circonstances et faire ce qui est juste. Les circonstances ont beaucoup changé. Dans la seconde demande, l'intimé a reconnu l'existence de la question sérieuse. Il a consenti à l'autorisation et a fait savoir que, si l'autorisation était accordée, il consentirait à une nouvel examen de la demande fondée sur des considérations humanitaires.
Compte tenu de cela, j'entendrai les arguments sur la question de savoir si un sursis d'exécution devrait être accordé dans le contexte de la seconde demande. Toutefois, je ne réexaminerai pas la question du préjudice irréparable. En conséquence, aux fins du débat aujourd'hui sur le sursis d'exécution, il n'est nullement question du préjudice irréparable. Toutefois, si je décide qu'il existe une autre importante question qui fait que le sursis d'exécution est la bonne décision, j'accorderai ce sursis, lors même qu'il n'existerait aucun préjudice irréparable.
Cela ne serait pas normal, mais je le ferais parce que, comme je l'ai dit, je ne considère pas les critères du préjudice irréparable, de la question sérieuse et de la prépondérance des inconvénients comme des entraves. J'estime qu'ils sont des guides, des guides très solides, mais, dans une situation comme celle d'aujourd'hui, où il est admis que la demande fondée sur des considérations humanitaires présentait un problème, et où il est question de désunion d'une famille ayant un enfant très jeune, je peux accorder le sursis d'exécution en l'absence d'un préjudice irréparable.
J'entendrai donc les arguments sur la raison pour laquelle, bien à part le préjudice irréparable, je devrais ou je ne devrais pas accorder le sursis d'exécution.


Muñoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995), 30 Imm. L.R. (2d) 166, C.F. 1re inst., juge Muldoon

Les requérants étaient mariés et avaient deux jeunes enfants. En raison de l'arriéré accumulé des revendications de statut de réfugié, ils n'ont jamais été convoqués par le ministère de l'Immigration. Ils ont donc retiré leur revendication et présenté une demande de droit d'établissement. Aucune audience n'a été tenue. Après avoir passé neuf ans au Canada, ils ont reçu avis du ministère qu'une mesure de renvoi était prise contre eux. Ils ont sollicité un sursis de l'exécution de cette mesure pendant l'examen des motifs d'ordre humanitaire fondant leur demande.

La Cour a fondé sa conclusion sur les motifs suivants :

Non seulement l'avocate de l'intimé conteste-t-elle la compétence de la Cour pour connaître de la présente demande de sursis, mais elle cite également à l'appui de sa proposition l'affaire Shchelkanov v. M.E.I., (1994) 76 F.T.R. 151. Il arrive fréquemment que de nombreux juristes de grand savoir présument que cette décision de Monsieur le juge Strayer prive la Cour de sa compétence relativement aux demandes de sursis à une mesure de renvoi, à moins que la légalité de la mesure de renvoi soit directement contestée. Le soussigné, pas plus tard que le 28 août, a invoqué cette décision dans l'affaire Owusu c. M.C.I., IMM-2247-95. Dans cette affaire, les requérants avaient échoué dans toutes les évaluations qu'ils avaient pu obtenir, tant sous le régime de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada que pour des raisons d'ordre humanitaire, mais ils avaient bel et bien obtenu ces évaluations, contrairement aux requérants en l'espèce. Aucun sursis n'a donc été accordé, mais la Cour, sur le fondement de l'affaire Shchelkanov, notamment, a refusé de se déposséder de la compétence [traduction] "puisque, alors, la Cour ne pourrait pas agir dans certaines circonstances imprévues et extrêmes". (Aujourd'hui, cette phrase pourrait sembler clairvoyante aux yeux du crédule, mais le soussigné ne prétends pas être clairvoyant). Ce que l'on voit ici est en réalité profondément injuste. Dieu merci, la Cour est compétente pour se pencher sur cette affaire.
Il arrive parfois, peut-être trop rarement, que les juges craignant que le caractère rigide du droit mène à une injustice certaine et évidente, invoquent cette compétence résiduelle pour permettre une décision inhabituelle, comme l'a fait Madame le juge Simpson dans sa décision à la fois intéressante, stimulante du point de vue intellectuel et inhabituelle rendue le 16 juin 1995 dans Calderon c. M.C.I., IMM-5067-94 [[1995] J.C.F. no 955].
[...] Il ne fait pas de doute que le ministre jouit d'une marge de manoeuvre considérable dans l'application du paragraphe 114(2) de la Loi, mais il serait tout à fait absurde et nuisible à la bonne administration de la loi d'utiliser ou d'obtenir une telle marge de manoeuvre de façon à contrecarrer l'intention salutaire du Parlement lorsqu'il a adopté la loi.
Par conséquent, dans les circonstances extrêmes exposées en l'espèce, où les requérants ne peuvent simplement pas obtenir en temps opportun une révision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui a de fortes chances d'être favorable, la Cour exerce sa compétence pour prévenir l'injustice et pour garantir une meilleure administration de cette loi du Canada, le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. Il est à noter que la Cour a pour tâche d'améliorer l'application du droit au Canada et que la Constitution renvoie à une meilleure administration des lois du Canada (en anglais, toutes deux renvoient à une "better administration"); il n'est donc pas seulement question de bien appliquer cette loi du Canada, ni certainement de la paralyser.


Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

[1995] J.C.F. no 1166, IMM-2247-95, juge Muldoon

Les requérants, un couple marié, avaient demandé le contrôle judiciaire de la décision négative d'un agent d'immigration à leur égard. Ils étaient citoyens du Ghana et avaient revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Leur revendication avait été rejetée, ainsi que l'appel qu'ils avaient formé contre ce rejet. Par la suite, leur dossier avait fait l'objet d'une examen sous le régime applicable à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, mais le résultat avait été négatif. Une mesure d'expulsion avait donc été prise contre eux, mais les requérants avaient demandé d'être exemptés, pour des motifs d'ordre humanitaire, de l'obligation de présenter une demande de droit d'établissement hors du Canada. Cette demande également avait été rejetée. Sans attaquer la validité de la mesure d'expulsion, ils ont demandé qu'il soit sursis à son exécution jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire. L'avocate de l'intimé a soulevé une objection préliminaire visant la légalité de la demande de sursis ou de son octroi éventuel.

La Cour a rejeté la demande pour les motifs suivants :

[TRADUCTION] La Cour a refusé de surseoir à une mesure d'expulsion jusqu'à l'issue d'une demande de contrôle judiciaire, parce que cette demande ne contestait pas la mesure d'expulsion mais plutôt le refus du ministre de rendre une décision favorable aux requérants. En l'espèce, la mesure d'expulsion n'était pas conditoinnelle; comme aucune demande de contrôle judiciaire n'avait été présentée à son égard, elle demeurait en vigueur et devait être considérée comme une mesure valide. Il n'était donc pas indiqué d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une mesure validement prise par l'arbitre, sur le fondement d'une demande de contrôle judiciaire visant le présumé défaut du ministre de rendre une décision sous le régime discrétionnaire du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, puisque la prise d'une telle décision ne constituait pas une condition préalable à l'exécution de cette mesure.
[...]
Chaque paragraphe de la décision du juge Strayer dans l'affaire Shchelkanov est important en lui-même, et a aussi une importance particulière en l'espèce. Notons que le juge Strayer n'a parlé d'aucune absence de compétence [...] Dans ces circonstances, la Cour a plutôt statué que les requérants n'ont aucun droit d'obtenir un sursis d'exécution de la mesure d'expulsion.
Une décision ayant le même effet, mais fondée sur la notion de l'absence de compétence, a été rendue par le juge Noël le 29 janvier 1993, avant la décision précitée du juge Strayer. Il s'agit de l'arrêt Paul et autre c. M.E.I., 93-T-86, (1993) 61 F.T.R. 111. Le juge Noël ne pouvait évidemment pas s'appuyer sur l'arrêt Shchelkanov, mais il s'est fondé sur une décision antérieure du juge Strayer, soit Ali c. M.E.I., que ce dernier a citée dans l'arrêt Shchelkanov. La décision dans l'affaire Ali ne prétendait pas nier la compétence de cette Cour. Le raisonnement suivi est simplement le suivant :
* * * Le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n'est pas légalement tributaire d'une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2)".
En adoptant ce raisonnement, le juge Noël a semblé conclure que le juge Strayer avait conclu au manque de compétence pour surseoir à l'expulsion dans ces circonstances, mais naturellement il ne pouvait alors connaître l'arrêt Shchelkanov.
Une autre décision ayant le même effet, également fondée sur la notion d'absence de compétence, a été rendue par le juge McKeown le premier février 1995, mais il n'y a fait aucune mention de l'arrêt Shchelkanov du juge Strayer, pour ne citer que la décision Ali, aussi du juge Strayer. Le raisonnement suivi dans cette décision est exposé plus haut. Il a été fait mention de l'arrêt Paul et autre c. M.E.I. dans lequel le juge Noël a invoqué la décision Ali mais, comme il a été noté, l'arrêt Ali ne niait pas l'existence de la compétence de la Cour davantage que le faisait l'arrêt Shchelkanov.
Il est de peu d'utilité aux requérants de savoir si la Cour aurait compétence pour leur accorder réparation ou s'ils n'ont tout simplement pas droit à un sursis d'exécution dans ces circonstances. Cette Cour, en application du droit, ne surseoira pas à leur expulsion.
Il est préférable de ne pas nier la compétence de la Cour parce qu'alors elle ne pourrait agir dans des circonstances imprévues et choquantes. Il n'est pas nécessaire de retirer sa compétence à la Cour; cela n'a pas été nécessaire dans les arrêts Ali et Shchelkanow.
Il est toutefois permis aux requérants par les présentes de maintenir leur demande d'autorisation en dépit de leur renvoi du Canada. Peut-être feront-ils ce qu'ils auraient dû faire dès le début, c'est-à-dire présenter une demande [TRADUCTION] "en règle" à l'extérieur du Canada. Cette Cour n'a rien contre eux : ils semblent être de braves gens susceptibles de devenir de bons citoyens canadiens, mais s'ils doivent atteindre leur objectif, ils doivent le faire en conformité avec le droit applicable.
Conséquemment, l'objection préliminaire du ministre est accueillie, et la demande des requérants visant un sursis d'exécution de la mesure d'expulsion dont ils font l'objet est rejetée.


Ponnampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995) 30 Imm. L.R. (2d) 178, C.F. 1re inst., juge Muldoon

Il s'agissait d'une demande de sursis visant l'exécution d'une mesure d'expulsion. La requérante, sa mère et les autres enfants de cette dernière étaient tous arrivés au Canada à des dates différentes et chacun avait revendiqué le statut de réfugié. Différentes formations avaient entendu les revendications. Les demandes du premier groupe d'enfants ainsi que celle de la mère et celle d'un autre enfant arrivé postérieurement ont été accueillies, mais celle de la requérante a été rejetée, et cette dernière n'a pas non plus été autorisée à contester cette décision. Une mesure de renvoi a été prise contre elle. Elle a fait une demande de réévaluation de son dossier pour des considérations d'ordre humanitaire le 29 août 1995 et a également demandé qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à l'issue de cette évaluation. Au moment de cette demande, la requérante était aux études et sa mère la parrainait. Elle a soutenu que l'expulsion lui causerait un préjudice irréparable.

La Cour a accordé le sursis et a déclaré ce qui suit :

[...] les juristes sont d'opinion en général que le juge Strayer a décidé que la Cour fédérale n'a pas compétence pour surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion valide. L'examen de cette décision permet de voir que cette opinion est incorrecte. En fait, le juge affirme que les requérants ne sont pas tous admissibles à un sursis et que cela est matière à une adjudication qui fait appel à la compétence de la Cour. Le juge Strayer n'a pas dit que la Cour n'a pas compétence. Par conséquent, parce que la Cour croit qu'il pourrait y avoir déni de justice ou de l'application régulière de la loi, que l'alinéa 3c) et le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration sont importants et doivent être confirmés et protégés contre ce qui les rendrait inopérants, puisque la Cour, après tout, a le devoir de s'assurer que les lois du Canada sont non seulement appliquées, mais appliquées au mieux des intérêts des justiciables au Canada, et certainement pas d'une façon boiteuse, mais pour offrir son secours aux lois du Canada, qui sont importantes et que le Parlement a solennellement proclamées, la Cour sursoit de fait à l'exécution de la mesure d'expulsion en cause.
La Cour ressent une certaine gêne parce qu'il a une abondante jurisprudence favorable au ministre, mais, compte tenu de la prépondérance de la preuve, la Cour statuera comme il lui semble juste, et elle accordera son secours à l'application régulière des dispositions de la Loi sur l'immigration pour éviter qu'elles ne soient rendues inopérantes, parce qu'elle considère qu'il y aurait dommage irréparable. Par conséquent, il y a sursis à la mesure d'expulsion [...] jusqu'à ce que la requérante puisse avoir un examen objectif et équitable de sa situation afin qu'il soit déterminé s'il existe des considérations d'ordre humanitaire.


Inthavong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995) 30 Imm. L.R. (2d) 85, C.F. 1re inst., juge Muldoon

Le requérant est né au Laos en 1971. Il est arrivé au Canada en 1985. Il n'a pas acquis la citoyenneté canadienne. Il a participé à des actes de violence à l'école secondaire, a été expulsé de l'école pour s'être battu et a été reconnu coupable de voies de fait. Il a été condamné pour méfait et vol en 1989, pour manquement aux conditions de la probation en 1990 et pour méfait et possession d'arme en 1991. Au mois de septembre 1990, des membres de son gang de rue et lui ont attaqué quelqu'un qui a tenté de les interrompre alors qu'ils vandalisaient un camion. Le requérant a frappé la victime avec un bâton de base-ball pendant que ses amis l'immobilisaient, puis un autre membre du gang a tiré sur elle. La victime n'était ni un membre du gang du requérant ni un membre d'un autre gang. Le requérant a été reconnu coupable de voies de fait graves et condamné à cinq ans d'emprisonnement.

Le ministre a pris la mesure prévue à l'alinéa 53(1)a), formulant l'opinion que le requérant constituait un danger pour le public. Un arbitre a pris une mesure conditionnelle d'expulsion en vertu du paragraphe 32.1(2), et la section d'appel a rejeté l'appel interjeté par le requérant, en dépit de la revendication de statut de réfugié. Le requérant a demandé l'annulation de la mesure d'expulsion fondée sur l'opinion qu'il constituait un danger pour le public.

Le juge Muldoon a rejeté la demande de sursis et a fait les commentaires suivants sur la compétence de la Cour en matière de sursis :

Accorder ou refuser un sursis d'exécution est discrétionnaire : Da Costa v. M.E.I., Imm. L.R. (2d) 295 (le juge Gibson); Idemudia c. M.E.I., (1993) 64 F.T.R. 296 (le juge Rothstein). La conclusion générale est que le requérant n'a pas droit à un sursis d'exécution : Shchelkanov v. M.E.I., (1994) 76 F.T.R. 151, par. [6] à [12]. Le requérant savait assurément que sa mauvaise conduite risquait de lui valoir d'être puni ou expulsé. On peut donc prendre connaissance de la décision de madame le juge Reed dans l'affaire Burrows c. M.C.I., IMM-1087-95 (le 8 mai 1995), dans laquelle la Cour a conclu que des infractions répétées sont loin d'inciter la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du requérant. Pourquoi le requérant croirait-il avoir droit à un exercice extraordinaire du pouvoir discrétionnaire de la Cour en sa faveur si on le compare aux parents laborieux de familles heureuses et bien établies qui apportent leur contribution à notre pays (Munoz, IMM-2243-95) [publié dans (1995), 30 IMM. L.R. (2d) 166 (C.F. 1re inst.)] ou à la bonne étudiante parrainée par sa mère qui, avec ses frères et soeurs, a reçu le statut de réfugiée, et dont la conduite est entièrement satisfaisante (Ponampalam, IMM-2313-95) [publié dans (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 178 (C.F. 1re inst.)]?


Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1995), 32 Imm. L.R. (2d) 256, C.F. 1re inst., juge Muldoon

La requérante avait demandé un sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre elle jusqu'à l'issue du contrôle judiciaire de la décision portant qu'il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour lui permettre de demeurer au Canada.

La requérante est arrivée au Canada, en provenance de la Jamaïque, pour rejoindre son mari, citoyen jamaïquain également. Sa demande de droit d'établissement avait été refusée, et une mesure d'expulsion avait été prise contre elle. La demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire avait été rejetée, et une demande de contrôle judiciaire visant ce rejet était pendante.

Refusant le sursis, la Cour a déclaré :

Il ne peut jamais, ou du moins rarement, y avoir de préjudice irréparable lorsque l'on suit la décision du juge Strayer dans l'affaire Shchelkanov c. M.E.I. (1994) 76 F.T.R. 151. Si la requérante pensait que quelque chose n'allait pas avec l'ordonnance de renvoi, elle a eu beaucoup de temps, depuis le 2 février 1995, pour la contester. Si elle ne l'a pas fait c'est, sans aucun doute, parce qu'elle sait manifestement bien qu'elle se trouve illégalement au Canada.
Dans ces circonstances, aucun préjudicie irréparable ne peut être causé à la requérante. Puisque l'application des lois de l'État constitue une activité bien légitime de l'intimé, la requérante ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Cette affaire n'est pas non plus un cas de mauvaise administration, comme dans l'affaire Muñoz c. M.C.I., IMM-2243-95 [publiée dans (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 166 (C.F.,1re inst.)]. En l'espèce, la requérante a été avisée bien à l'avance de l'ordonnance de renvoi et de la date éloignée à laquelle son exécution devait avoir lieu, et elle avait présenté une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire avant cette date et même une prorogation de délai avant l'exécution de l'ordonnance de renvoi. Aucun plainte objective ne peut donc être présentée à cet égard.


Encila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1996) 34 Imm. L.R. (2d) 180, C.F. 1re inst., juge Gibson

Dans cette affaire, la requérante travaillait au Canada depuis sept ans. Sa demande de droit d'établissement sous le régime applicable à la catégorie des aides familiaux résidant au Canada. Elle était mariée et avait quatre enfants. Elle a présenté à la Cour une demande visant à surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion jusqu'au prononcé de la décision relative à sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

La Cour a accueilli la demande de sursis pour les motifs suivants :

[TRADUCTION] La Cour a compétence pour surseoir à une mesure d'interdiction de séjour dans des circonstances où cela est indiqué. La question de savoir si la décision portant que la fille de la requérante était médicalement inadmissible reposait sur des renseignements erronés qui n'avaient pas été portés à la connaissance de la requérante et auxquels celle-ci n'avait pu répondre était une question sérieuse.
[...]
L'avocat de l'intimé soutient en second lieu que la Cour n'a pas compétence pour surseoir à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour.
[...]
À propos de la seconde question de compétence soulevée par l'avocat de l'intimé, dans l'affaire Rajan c. Canada (M.E.I.), le juge Rothstein a refusé de surseoir à la "Transformation d'une mesure d'interdiction de séjour en mesure d'expulsion" et il a déclaré :
L'accorder reviendrait en effet à rendre une ordonnance expressément contraire à une disposition d'une loi fédérale. Si j'accordais le sursis, la mesure d'interdiction de séjour ne deviendrait pas une mesure d'expulsion, en dépit du fait qu'aucune attestation de départ n'aurait été délivrée au cours de la période réglementaire applicable. Je ne vois pas comment une cour pourrait prononcer un sursis qui, en fait, modifierait une loi fédérale.
...De toute évidence, les cours ne peuvent passer outre à une loi, ni la modifier. Ce que l'on soutient est manifestement incompatible avec les rôles bien établis des tribunaux et du législateur et avec notre régime fondamental de droit que je ne crois pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit.
Le juge Rothstein a déterminé en outre qu'une ordonnance de la Cour enjoignant au ministre intimé de ne pas exiger que la requérante se présente pour quitter le Canada serait prématurée. Il a fait la remarque suivante :
Quant à la demande visant à obtenir une ordonnance interdisant à l'intimé de contraindre la requérante à quitter le Canada, j'estime qu'elle est prématurée. Si la requérante ne quitte pas le pays de son propre gré, comme je l'ai indiqué précédemment, elle pourra présenter une demande de sursis lorsqu'elle sera avisée par l'intimé de la date à laquelle elle doit partir. Ce volet de la demande de sursis doit donc lui aussi rejeté.
Le juge Noël a tiré une conclusion semblable quant au caractère prématuré dans l'affaire Kaler c. Canada (M.E.I.).
Dans l'affaire Calderon c. Canada (M.C.I.), Madame le juge Simpson a commenté les décisions Rajan et Kaler. Elle a conclu :
Dans cette affaire [Rajan], le juge Rothstein refusa d'accorder un sursis d'exécution qui ferait obstacle à l'application d'une loi fédérale en empêchant expressément que la mesure d'interdiction de séjour devienne une mesure d'expulsion. Le juge a estimé qu'on ne pouvait pas surseoir à la transformation d'une mesure d'interdiction de séjour en mesure d'expulsion. Il n'est cependant pas allé jusqu'à conclure que la Cour n'avait pas compétence pour ordonner le sursis à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour. Il a d'ailleurs examiné la demande de sursis, avant de la juger prématurée.
Dans l'affaire Kaler, le juge Noël est parvenu à la même conclusion. Il n'a pas conclu à son manque de compétence pour ordonner le sursis à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour, mais, il a examiné les faits de la cause et il a décidé qu'il était en l'occurrence prématuré d'ordonner la suspension de la mesure en question.
Il est clair, aux termes de l'alinéa 27(1)a) du Règlement sur l'immigration, que la Loi envisage effectivement la possibilité de suspendre une mesure d'interdiction de séjour. Une suspension constitue, cependant, un redressement discrétionnaire extraordinaire qui ne saurait être accordé que dans des circonstances très particulières. Il se peut, par exemple, qu'un requérant qui entend obéir à une mesure d'interdiction de séjour, afin d'éviter les incidences défavorables d'une ordonnance d'expulsion, présente des arguments justifiant l'octroi d'un sursis. J'estime que la Cour a manifestement la compétence nécessaire pour ordonner le sursis à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour si les circonstances de l'affaire le justifient.
L'analyse de Madame le juge Simpson est conforme aux décisions du juge en chef adjoint suspendant les mesures d'interdiction de séjour dans les affaires Caletena et Bernadez mentionnées ci-dessus dans les présents motifs. Je souscris à l'analyse de Madame le juge Simpson et je suis convaincu que, si les circonstances de l'affaire le justifient, la Cour a compétence pour accorder le sursis d'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour.
[Renvois omis]


Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1996) 120 F.T.R. 123, juge Reed

Le requérant avait obtenu le statut de réfugié, mais la décision accueillant sa revendication avait été annulée parce qu'il avait fait des déclarations inexactes à la CISR. Il avait caché le fait qu'il appartenait à une organisation terroriste. Il a présenté une demande visant à surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion jusqu'à l'issue du contrôle judiciaire portant sur l'annulation du statut de réfugié par la CISR.

Concernant la question de compétence, la Cour a statué :

La Cour a compétence pour accorder des sursis d'exécution des mesures d'expulsion pour empêcher que les procédures se déroulant devant elle ne deviennent futiles, lorsque de telles procédures ont été intentées et peut-être aussi lorsqu'elles sont prévues. Voir généralement : Waldman, Lorne, Immigration Law and Practice, vol. 2 (Butterworths : Toronto et Vancouver), à 11.33 - 11.52. Ainsi donc, une demande de sursis d'exécution d'une mesure d'expulsion repose sur une action en instance ou prévue devant la Cour (p. ex. en attendant l'issue d'une demande d'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié).


Rizzo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

(1997) 1997 CanLII 4708 (CF), 125 F.T.R. 269, juge Muldoon

Le requérant a demandé qu'il soit sursis à l'exécution d'une mesure conditionnelle de renvoi jusqu'à l'issue de sa demande de contrôle judiciaire visant la décision concluant à l'absence de motifs d'ordre humanitaire suffisants.

La Cour a accordé le sursis pour les motifs suivants :

Dans Shchelkanov c. M.E.I. (1994), 76 F.T.R. 151, le juge Strayer, membre de la Section de première instance à l"époque, a écrit ce qui suit, à l"occasion de circonstances différentes :
Accorder le sursis en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale s'avère particulièrement peu indiqué lorsque la décision dont le contrôle est encore en cours est de celles que vise le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. Les demandes de sursis ne sont assujetties à absolument aucune restriction : elles peuvent être présentées n'importe quand et sans limite quant au nombre de fois. On connaît trop bien le scénario, dont les événements en l'espèce ne sont qu'un seul exemple : une mesure d'expulsion est prise et soit qu'elle n'est pas contestée en cette Cour, soit que la contestation est rejetée. Des mois ou des années s'écoulent, sans que la mesure ne soit exécutée. Pendant ce temps une demande fondée sur le paragraphe 114(2) a peut-être été présentée et rejetée; ou peut-être encore qu'aucune n'a été présentée. Finalement, on fait savoir à la personne visée par la mesure d'expulsion qu'elle sera renvoyée du pays à telle date. La personne en question fait par la suite une demande fondée sur le paragraphe 114(2). Ou bien celle-ci est rejetée juste avant la date fixée pour le départ, ou bien aucune décision n'a encore été rendue. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire est alors présentée à l'égard de la décision prise en vertu du paragraphe 114(2) et le sursis au renvoi est sollicité. C'est probablement parce que l'expulsion ne tient pas légalement à ce qu'il soit dûment statué sur de telles demandes que la Loi ne prescrit aucune restriction quant au moment et à la fréquence de la présentation de celles-ci.
[...]
On a fait valoir que le sursis doit être accordé, sinon la Cour pourrait voir réduit à néant son pouvoir de contrôler la demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire. Or, je ne puis comprendre pourquoi il devrait en être ainsi en temps normal. Par exemple, un juge de cette Cour aura toujours la même possibilité d'examiner, à partir du dossier et en conformité avec les règles, la demande d'autorisation, même si le requérant se retrouve dans l'ancienne Union soviétique. Si l'autorisation est accordée, la demande de contrôle judiciaire pourra être entendue, car dans le cas d'une audience de ce genre la preuve produite revêt la forme d'affidavits et le requérant en l'espèce en a déjà déposé un. La Cour serait encore parfaitement en mesure d'annuler les décisions prises en vertu du paragraphe 114(2). Bien sûr, une décision favorable de la part de la Cour pourrait être moins utile au requérant s'il se trouve à l'étranger, mais cela ne lui donne pas le droit de rester au Canada jusqu'à ce que cette décision soit rendue.
Comme je l'ai mentionné plus haut, il y a une situation dans laquelle j'admets qu'il soit "indiqué" que la Cour prononce le sursis à l'expulsion en attendant qu'il soit statué sur une demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il s'agit du cas où la hâte que met le ministre à exécuter la mesure d'expulsion entrave cette Cour dans l'exercice de ses fonctions relativement à la demande d'autorisation ou de contrôle judiciaire. Cela pourrait se produire, par exemple, si, après le rejet de la demande fondée sur le paragraphe 114(2), à supposer que celle-ci ait été présentée en temps utile, l'expulsé n'avait pas eu une possibilité raisonnable de consulter un avocat et de fournir un affidavit destiné à être utilisé par cette Cour dans le cadre de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire se rapportant à ce rejet. Il n'existe pas de telles circonstances en l'espèce.
Les remarques du juge Strayer concernant le manque de discipline à l"occasion de telles instances s"appliquent aux deux parties. La personne expulsée n"est pas la seule à être susceptible de faire preuve de manque de discipline. En l"espèce, c"est le ministre, par l"entremise de ses fonctionnaires, qui a agi de façon indisciplinée. L"omission de communiquer à la personne intéressée une décision défavorable fondée sur des motifs d"ordre humanitaire constitue une bien mauvaise administration de la loi. Une telle conduite est pire que l"attitude passive du requérant, qui n"a jamais montré d"intérêt pour sa demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire (il ne s"est même pas enquis de l"état de sa demande auprès du ministère). Ceci dit, les manquements du requérant, d"une part, et l"omission de l"intimé d"informer celui-ci de l"issue de sa demande, d"autre part, réduisent grandement la marge de manoeuvre disponible en vue de déterminer l"issue de la présente affaire.
[...]
La Cour ne peut tout simplement pas sanctionner une mauvaise application du droit.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE : IMM-2701-97
INTITULÉ : SIMA MUNCAN
c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)


DATE DE L'AUDIENCE : le 16 septembre 1997


MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE CAMPBELL


EN DATE DU 24 FÉVRIER 1997



COMPARUTIONS :

M. DAVID L. CAMPBELL POUR LE REQUÉRANT

M. W. BRAD HARDSTAFF POUR L'INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. DAVID L. CAMPBELL POUR LE REQUÉRANT

M. GEORGE THOMSON POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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1 Les passages clés de cette décision sont reproduits à l'annexe I.