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Blatt c. Segal, 2008 QCCA 1094

no. de référence : 2008 QCCA 1094


Blatt c. Segal
2008 QCCA 1094
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-017545-070
(500-11-027624-069)

DATE :
6 juin 2008


CORAM :
LES HONORABLES
LOUISE OTIS J.C.A.
FRANCE THIBAULT J.C.A.
PIERRETTE RAYLE J.C.A.


HOWARD BLATT
HELEN BUETIKOFER
APPELANTS – INTIMÉS INCIDENTS - Intimés
Et

FINECAST LIMITED
APPELANTE – INTIMÉE INCIDENTE - Mise en cause
c.
GERALD SEGAL
INTIMÉ – APPELANT INCIDENT - Requérant
Et
ABRAHAM (AVI) DRAZIN
MIS EN CAUSE – Mis en cause


ARRÊT


[1] La Cour; - Statuant sur le pourvoi des appelants et sur le pourvoi incident de l'intimé contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal (l'honorable Clément Gascon) rendu le 13 février 2007, qui a accueilli en partie le recours de l'intimé en vertu de l'article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[1] (ci-après LCSA.

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

* * *

1. Les faits

[3] Les faits sont exposés en détail dans le jugement de première instance. Pour l'essentiel, il faut retenir que l'intimé, un courtier, a reçu le mandat de l'appelante Helen Buetikofer et de son époux Ferdinand Buetikofer de trouver des acheteurs pour acquérir les actions de l'appelante Finecast. L'intimé a trouvé de nouveaux investisseurs, et il l'est lui-même devenu, en utilisant une partie de sa commission pour payer ses actions.

[4] Ainsi, en mars 2002, après avoir été recapitalisée, Finecast présente un actionnariat qui se divise ainsi :



Shareholders
CommonShares
Class A preferred
Class B preferred
Class C preferred
Ruth Drazin
0
212,500
0
0
Ingval Industrial Corp.
425
212,500
0
0
Napand Consulting Inc.


4,000,000
120
Howard Blatt
425
425,000


Gerald Segal
150
212,500
0
0
[5] En octobre 2004, l'institution financière qui traite avec Finecast, exige un nouvel apport de fonds. Cela a entraîné l'envoi d'une lettre à tous ses actionnaires, datée du 7 décembre 2004 et signée par l'appelant Howard Blatt, président de Finecast.

[6] Cette lettre très détaillée indique notamment que les actionnaires recevront une offre formelle d'acquérir de nouvelles actions, dans la même proportion que leur part dans l'actionnariat et que s'ils ne désirent pas se prévaloir de cette opportunité, elle sera offerte à des tiers :

9. Upon the assumption that each of the shareholders would subscribe and pay the subscription price for the shares shown below opposite his/her name, in proportion to his/its existing shareholding, the following would be the division of the additional capital stock to be issued, should the maximum amount of shares be issued :

Napand Consulting Inc. $424,957 : 4,207.5 Special Common; 420.25 Class E

Ingval Industrial Corp. $424,958 : 4,207.5 Special Common; 420.25 Class E

Gerald Segal $149,985 : 1 485 Special Common; 149,5 Class E

999,900: 9,900 Special Common; 990,000 Class E

10. In the event that any one or more of Blatt, Ingval/R.Drazin, or Segal do not take exercise their right herein to subscribe and pay for and be issued additional Special Common and additional Class E preferred shares, then the remaining shareholders shall be entitled, pro rata to their existing shareholdings, to subscribe for and be issued the number of Special Common and Class E preferred equal to the shares not subscribed and paid for by any one or more of the non-interested shareholders;

[7] L'offre formelle dont traite la lettre du 7 décembre 2004 n'a jamais été faite à l'intimé.

[8] Le 19 août 2005, Finecast émet de nouvelles actions et quelques ventes sont effectuées. Son actionnariat se compose dorénavant ainsi :



Shareholders
Common shares
Special Common
Class A preferred
Class B preferred
Class C preferred
Class E preferred
Ruth Drazin


150,000



Ingval Industrial Corp.
(Drazin family)
425





Napand
Consulting Inc.
425
550.00
562,500
4,000,000
120
150,000
Gerald Segal
150

150,000



Dajalis Ltd.

916.50
137,500


250,000
Peter Pfister

160.35



43,750
Andre Bucheler

160.35



43,750
Kathleen Park

45.80



12,500







TOTAL
1,000
1,833
1,000,000
4,000,000
120
500,000
[9] L'émission de nouvelles actions a dilué la participation de l'intimé dans l'actionnariat de Finecast. Elle est passée de 15% à 5.3%.

[10] Le 30 août 2005, l'intimé est formellement mis au courant de l'émission de nouvelles actions et, par voie de conséquence, de la dilution de sa participation dans Finecast.

[11] Le 27 janvier 2006, Ferdinand Buetikofer décède. Finecast doit recevoir une indemnité d'assurance-vie de 6 millions de dollars, ce qui augmente la valeur marchande de ses actions de façon appréciable.

[12] En février 2006, l'intimé intente aux appelants une requête en oppression dans laquelle il réclame des frais de gestion que Finecast aurait omis de lui payer ainsi qu'une ordonnance de rachat de ses actions.

* * *

2. Le jugement de première instance

[13] Le juge de première instance a accueilli en partie le recours de l'intimé. Il a rejeté la portion afférente aux frais de gestion, mais il a retenu celle reliée à la dilution de la participation de l'intimé dans l'actionnariat de Finecast et, en conséquence, a ordonné le rachat de ses actions par Finecast :

[83] GRANTS an order pursuant to Subsection 241(3)(f) of the CBCA directing Finecast Limited to buyout and purchase Petitioner's securities at their fair value to be determined by an independent expert agreed upon by the parties or, failing which, appointed by the Court;

* * *

3. Les moyens d'appels

[14] Les appelants et l'intimé se pourvoient. L'appel principal et l'appel incident se recoupent en partie. Les questions posées par les appels sont les suivantes :

1. La dilution de la participation de l'intimé dans l'actionnariat de Finecast constitue-t-elle une oppression au sens de l'article 241 LCSA?

2. Les frais de gestion de 120 000$ sont-ils dus à l'intimé et, le cas échéant, le non-paiement de cette somme constitue-t-il une mesure d'oppression?

3. En cas d'oppression, à quel moment doivent être déterminés le préjudice et le remède approprié?

* * *

4. L'analyse

4.1 La dilution de la participation de l'intimé dans l'actionnariat de Finecast constitue-t-elle une oppression au sens de l'article 241 LCSA?

[15] Le juge de première instance conclut que l'intimé a été victime d'oppression parce que, à son insu, sa participation dans l'actionnariat de Finecast a été diluée :

[38] The Court concludes that, on the balance of probabilities, the dilution of Mr. Segal's equity position was carried out without his knowledge and, indeed, behind his back.

[39] Respondents’ contention that Mr. Segal would have refused to invest further even if called upon to do so is certainly not an excuse to ignore his rights as a shareholder.

[40] Nor can one reasonably raise against him the fact that he never offered nor demanded to invest in the company to keep his 15% equity position after he learned of this new share issue carried out by the company without his knowledge.

[41] By that time, it was quite reasonable for Mr. Segal to simply not want to be involved anymore with partners who dealt with him in such a manner and with respect to whom he had lost all confidence.

[42] To that end, he was not treated fairly and this treatment was prejudicial to his equity position.

[16] Il déclare que la dilution de la participation de l'intimé dans l'actionnariat de Finecast justifie l'application de l'article 241 LCSA :

[43] In oppression matters, it is the effect of the acts and omissions of directors and officers of a company, rather than their intentions, that determines whether the conduct complained of is unfairly prejudicial. The rights conferred by Section 241 CBCA turn on effect, not intent. What is important is the result. Effect is key. Here, the effect is obvious. The equity position of Mr. Segal went from 15% to 5.3%. This is sufficient to justify the application of Section 241 CBCA.

et que, de surcroît, l'opération a causé un préjudice à l'intimé :

[46] On the one hand, there was a definite prejudice by the mere reduction of Mr. Segal's equity position per se, even if at the time it occurred, the value of the shares would have been minimal.

[47] On the other hand, the evidence indicates that there was other prejudice caused by this dilution. Following this issuance of additional share capital by Finecast, the Class A shares of Mr. Segal were subordinated to the new Class E preferred shares. Also, even though his equity position was substantially reduced, the guarantee that he had personally signed remained at the same level.

[17] Les appelants ne nous ont pas convaincues que les déterminations de fait du juge de première instance comportent une erreur manifeste et dominante ni qu'il a commis une erreur de droit.

[18] L'intimé a été traité de façon injuste et ses intérêts légitimes ont été bafoués. À cet égard, il suffit de rappeler qu'en plus de diminuer sa participation dans l'actionnariat de Finecast, l'entente intervenue le 19 août 2005, dont la teneur a été dévoilée très tardivement à l'intimé, tient compte des intérêts de tous les actionnaires à l'exception de ceux de l'intimé. La réticence à informer l'intimé des diverses mesures intervenues témoigne non seulement d'un manque de transparence inacceptable, mais elle explique la perte de confiance de l'intimé dans ses coactionnaires, comme l'a noté le juge de première instance. Elle justifie aussi l'ordonnance de rachat des actions de l'intimé par Finecast, un moyen adéquat de mettre un terme aux relations tendues qui prévalent entre les parties.

[19] Les appelants sont donc malvenus de plaider que l'intimé n'a subi aucun préjudice à la suite de l'émission de nouvelles actions, le 19 août 2005.



4.2 Les frais de gestion de 120 000$ sont-ils dus à l'intimé et, le cas échéant, le non-paiement de cette somme constitue-t-il une mesure d'oppression?

[20] Le juge de première instance a conclu que la réclamation de l'intimé à ce titre était mal fondée, après appréciation de la preuve testimoniale et documentaire.

[21] Par son appel incident, l'intimé nous invite à revoir la preuve pour l'apprécier différemment du juge de première instance.

[22] En l'absence d'une démonstration d'une erreur manifeste et dominante, la Cour est d'avis de rejeter ce moyen.



4.3 En cas d'oppression, à quel moment doivent être déterminés le préjudice et le remède approprié?
[23] À titre de mesure de redressement, le juge de première instance a ordonné à Finecast de :

«buyout and purchase Petitioner's securities at their fair value to be determined by an independent expert agreed upon by the parties or, failing which, appointed by the Court.»

[24] Selon le jugement de première instance, le rachat devait se faire en tenant compte d'une participation de 5.3%, sans indication d'une date précise à laquelle l'évaluation devait se faire :

[67] That said, it goes without saying that the buyback of Mr. Segal's shares at their fair market value, to be determined by an independent expert, must correspond to his present equity position of 5.3% in the company, namely the fair market value of his shares as they stand following the dilution.

[68] To order the purchase of his shares as they stood prior to the dilution would create an unfair result and indeed provide Mr. Segal with an unfair advantage. He cannot, at the same time, benefit from the impact of the dilution without the consequences associated therewith. It would not be fair to order anything else.

[69] The conclusions sought in this respect merely ask for a final order directing the buyout and purchase of Mr. Segal's shares at their fair market value to be determined by an independent expert agreed upon by the parties.

[70] The learned counsels who argued the case for both sides have not asked this Court to intervene any further with respect to these conclusions, nor have they made any representations as to the date when such fair market value should be assessed.

[25] Les deux parties sont en désaccord avec ces énoncés. Les appelants soutiennent que, l'intimé se plaignant d'une dilution de sa participation, l'évaluation devait se faire la veille de l'émission de nouvelles actions, comme si la dilution n'avait pas eu lieu, c'est-à-dire en tenant compte d'une participation de 15% dans l'actionnariat de Finecast et selon la valeur de ses actions à cette date.

[26] L'intimé, pour sa part, demande que l'exercice soit fait à la date du jugement en tenant compte d'un taux de participation de 15%.

[27] La LCSA confère au juge d'instance la discrétion de prendre une mesure qu'il estime pertinente pour remédier à la situation. Selon la jurisprudence, les tribunaux de première instance jouissent d'une grande latitude dans le choix de la solution dont l'objet est de remédier à l'injustice et non de punir son auteur[2]. En raison de cette large discrétion, le pouvoir de révision d'une Cour d'appel est limité. Dans Mason c.Intercity Properties Ltd.[3] la Cour d'appel de l'Ontario a énoncé le principe directeur suivant:

The governing principle is that such a discretion must be exercised judicially and that an appellate court is only entitled to interfere where it has been established that the lower court has erred in principle or its decision is otherwise unjust.

I approach this issue, therefore, keeping in mind that this court can only interfere with the remedy if it concludes that there was an error in principle on the part of Blair J. or if the remedy in all of the circumstances is an unjust one. It cannot be interfered with, as Carruthers J. said (at p. 701) when giving the judgment of the Divisional Court, "simply because someone else might prefer a different way of going about things".

[28] En l'espèce, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur de principe et il n'a pas traité quiconque de façon injuste en ordonnant le rachat des actions de l'intimé selon un taux de participation de 5.3%. En effet, l'investissement additionnel requis en août 2005 était nécessaire, il a été bénéfique pour Finecast et l'émission de nouvelles actions était légale.

[29] Cela étant, le juge a décidé, à bon droit, de mettre fin aux relations entre les parties en raison du traitement que les appelants ont fait subir à l'intimé à l'occasion d'une réorganisation corporative dont les appelants avaient l'entier contrôle. Comme la participation de l'intimé était de 5.3% à la date du jugement, le juge de première instance n'a commis aucune erreur en retenant ce pourcentage. Il y a lieu cependant de modifier sa conclusion pour préciser que les actions de l'intimé doivent être évaluées à leur juste valeur à la date du jugement de première instance.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[30] ACCUEILLE l'appel principal, sans frais, à la seule fin de remplacer la conclusion apparaissant au paragraphe [83] du jugement de première instance par la suivante:

GRANTS an order pursuant to Subsection 241(3)(f) of the CBCA directing Finecast Limited to buyout and purchase Petitioner's securities at their fair value to be determined as of this date by an independent expert agreed upon by the parties or, failing which, appointed by the Court.

[31] REJETTE l'appel incident, sans frais.





LOUISE OTIS J.C.A.





FRANCE THIBAULT J.C.A.





PIERRETTE RAYLE J.C.A.

Me Gilles Poulin
Pour les appelants – intimés incidents

Me Pierre Bourque
Lavery, de Billy
Pour l'intimé – appelant incident

Date d’audience :
2 juin 2008


[1] L.R.C., 1985, c. C-44.
[2] Droit des sociétés par actions, Raymonde Crête, Stéphane Rousseau, Les Éditions Thémis, 2e ed, p.660.

[3] 1987 CanLII 173 (ON CA), [1987], 59 O.R. (2d) 631.