DROIT DE LA FAMILLE - 1741
no. de référence : 500-08-000020-901
COUR D'APPELPROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-08-000020-901
(450-43-000043-890)
Le 3 février 1993.
CORAM: LES HONORABLES TYNDALE
TOURIGNY
DESCHAMPS, JJ.C.A.
DROIT DE LA FAMILLE - 1741
_______________LA COUR , statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse), district de Saint-François, rendu le 8 août 1990 par l'honorable Gilles Therriault, déclarant K... S...-M... judiciairement adoptable;
APRÈS étude, audition et délibéré;
POUR LES MOTIFS exprimés à l'opinion de la juge Tourigny, auxquels souscrivent les juges Tyndale et Deschamps:
REJETTE l'appel sans frais.
WILLIAM S. TYNDALE, J.C.A.
CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
MARIE DESCHAMPS, J.C.A.
Date d'audition: le 26 novembre 1992.
Me Mireille Pinard (BARRIÈRE, CÔTÉ) pour l'appelante;
Me Diane Chiasson (DUBOIS, ALLAIRE) pour l'intimé;
Mes Mario Proulx et Geneviève Lafontaine (PROULX, HOULE) pour l'enfant
Me Danielle Allard, substitut du Procureur général.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-08-000020-901
(450-43-000043-890)
CORAM: LES HONORABLES TYNDALE
TOURIGNY
DESCHAMPS, JJ.C.A.
DROIT DE LA FAMILLE - 1741
OPINION DE LA JUGE TOURIGNY
Notre Cour est encore une fois saisie d'un problème au sujet duquel elle s'est pourtant exprimée à de nombreuses reprises au cours des cinq dernières années: les articles 611 et 613 du Code civil du Québec.
Je les cite en entier ci-après, puisqu'ils sont les seuls textes litigieux dans la présente affaire.
-De la déclaration d'adoptabilité.
Art. 611. Peut être judiciairement déclaré adoptable:
1° l'enfant de plus de trois mois dont ni la filiation paternelle ni la filiation maternelle ne sont établies;
2° l'enfant dont ni les père et mère ni le tuteur n'ont assumé de fait le soin, l'entretien ou l'éducation depuis au moins six mois;
3° l'enfant dont les père et mère sont déchus de l'autorité parentale, s'il n'est pas pourvu d'un tuteur;
4° l'enfant orphelin de père et de mère, s'il n'est pas pourvu d'un tuteur.
...
Art. 613. L'enfant ne peut être déclaré adoptable que s'il est improbable que son père, sa mère ou son tuteur en reprenne la garde et en assume le soin, l'entretien ou l'éducation. Cette improbabilité est présumée.
H... C... s'oppose à la demande de déclaration d'adoptabilité mue par Rodrigue Blais, le directeur de la protection de la jeunesse du Centre de services sociaux de l'Estrie. H... C... est la mère d'un enfant né le 9 septembre 1987 et qui, à la suite d'une hospitalisation d'environ 3 semaines, suite à de mauvais traitements infligés par son père, est confié à une première famille d'accueil.
Le 20 avril 1988, H... C... demande aux Services sociaux de changer l'enfant de famille d'accueil et il est effectivement confié à ce moment à une nouvelle famille, la famille G..., qui l'héberge toujours et qui a l'intention de l'adopter, selon la preuve faite.
La Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, rend en septembre 1988 un jugement qui déclare la sécurité et le développement de l'enfant compromis en raison des mauvais traitements physiques qui ont été infligés à cet enfant. Le juge, à ce moment, fixe à la fin d'octobre 1988 l'enquête sur les mesures applicables. Entre temps, le 7 octobre 1988, H... C... donne naissance à un troisième enfant. Il faut préciser que les trois enfants d'H... C... sont également ceux de D... S...-M...
Le 31 octobre 1988, le juge Michel Durand de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, ordonne les mesures de protection suivantes:
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL:
ORDONNE que K... S...-M... soit confié au directeur de la protection de la jeunesse du Centre de services sociaux de l'Estrie pour hébergement en famille d'accueil à être désignée par le directeur de la protection de la jeunesse et ce, pour une période d'une année;
ORDONNE qu'une ou des personnes oeuvrant au sein du Centre de services sociaux de l'Estrie ou de tout autre établissement ou organisme soit désignée pour apporter aide, conseils et assistance à l'enfant K... S...S...-M... et à sa famille, et ce, pour la même période;
AUTORISE la mère à visiter seulement son enfant en famille d'accueil deux fois par semaine et ce, pour une durée d'une heure et demie;
AUTORISE le père à visiter seulement son enfant en famille d'accueil une fois par semaine et ce, pour une période d'une heure et demie;
AUTORISE les parents, lors de ces visites, à amener leur fils J...-P..., une fois par mois seulement, au moment où les deux parents sont présents;
ORDONNE aux parents et à la partie requérante, la déléguée du directeur de la protection de la jeunesse, de fixer à l'avance une cédule de ces journées de visite;
ORDONNE aux parents d'aviser la famille d'accueil de leur arrivée et d'aviser s'ils n'entendent pas exercer leurs droits;
CONFIE la situation de l'enfant K... S...-M... au directeur de la protection de la jeunesse du Centre de services sociaux de l'Estrie pour exécution de l'ordonnance.
Dans les faits, à partir de cette date, et je m'en tiendrai à cet énoncé pour le moment, H... C... ne revoit son enfant que le 2 décembre 1988, à l'occasion d'une séance de vaccination; au moment où il faut réviser l'ordonnance prononcée par le juge Durand qui l'était pour une période d'un an, elle n'a donc vu son enfant qu'une seule fois. Il n'y a aucun doute dans la preuve: sans s'interroger sur les raisons de cette situation, H... C... n'a pas vu son enfant entre le 2 décembre 1988 et, tout au moins, le début octobre 1989.
Quelques semaines après cette dernière date, H... C... est avisée de l'intention du directeur de la protection de la jeunesse d'entreprendre des procédures en vue de l'adoption de son fils; cette procédure est d'ailleurs déposée le 8 novembre 1989. A ce moment, H... C... demande à reprendre contact avec son enfant et des visites supervisées sont organisées. Celles-ci auront lieu à raison de deux par semaine, au Centre des services sociaux, jusqu'au jugement dont appel.
C'est dans ce contexte factuel, sur lequel je reviendrai de façon plus élaborée plus loin, que se situe la demande de déclaration d'adoptabilité.
Le 8 août 1990, le juge Gilles Thériault de la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse) accueille la demande du D.P.J.
Il faut dire que le père de l'enfant, dûment assigné, a fait défaut de comparaître et ne s'est présenté à aucune étape du processus.
C..., en appel, plaide devant nous deux moyens:
1°) les articles 611 et 613 du Code Civil du Québec ne doivent pas être interprétés de la façon dont ils l'ont été dans Droit de la Famille - 1544((1)) et
2°) l'article 613 du Code civil du Québec est contraire aux dispositions des Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne.
Je précise, quant à ce deuxième moyen, qu'il a été plaidé pour la première fois devant nous, le juge de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, n'ayant pas eu l'occasion de se pencher sur cette question.
1) Les articles 611 et 613 du Code civil du Québec et l'arrêt Droit de la Famille - 1544.
C... plaide que les six (6) mois dont il est question au paragraphe 2 de l'article 611 doivent être computés au jour de l'audition.
À mon avis, cette prétention est mal fondée. Il s'agit de la condition minimale exigée pour que celui qui requiert la déclaration d'adoptabilité puisse saisir le tribunal de sa demande; elle doit être alléguée dans la procédure écrite sous peine d'irrecevabilité puisqu'essentielle à la démarche.
Cela ne veut pas dire qu'en appréciant la possibilité de reprise en charge, la période qui précède immédiatement l'audition ne puisse pas être prise en considération; il s'agira alors d'un fait comme les autres, auquel le juge accordera la force probante appropriée.
Mais, plus substantiellement, c'est l'interprétation même des articles 611 et 613 C.c.Q. donnée par notre Cour que C... remet en question.
Les cinq dernières années ont vu notre Cour se pencher, à de nombreuses reprises, sur la question des articles 611 et 613 du Code civil du Québec. La procureure d'H... C... voit d'ailleurs, dans ces divers arrêts, une incertitude telle, dans la jurisprudence, qu'elle nous demande de reconsidérer toute la question et d'écarter la position qui semble prise par notre Cour dans l'arrêt ci-haut mentionné,principalement sous la plume du juge Vallerand. Il faut rappeler que cette décision fut rendue par un banc de cinq juges et que la permission d'en appeler a été refusée par la Cour Suprême du Canada. Je reviendrai plus loin sur les opinions émises par les membres du banc dans cette affaire.
Sans s'appuyer évidemment sur Droit de la Famille -256((2)) que l'arrêt Droit de la Famille - 1544((3)) a explicitement écarté sur le plan des principes, C... soulève cependant que les arrêts rendus dans Droit de la Famille - 376((4)) et Droit de la Famille - 231((5)) permettent des nuances qui ne vont pas tout à fait dans le sens de Droit de la Famille - 1544.
Si l'on analyse la jurisprudence de notre Cour depuis 1987, mis à part toujours pour les raisons que j'ai mentionnées Droit de la Famille - 256, il faut, à mon avis, retourner à la décision rendue dans Droit de la Famille - 376 par les juges Bisson, Vallerand et Chouinard. Le juge Vallerand, pour la Cour, s'y exprimait de la façon suivante, aux pages 1239-40): (m.i. vol. II., pp.242-243)
Assumer le soin, l'entretien ou l'éducation n'est pas une notion abstraite qu'on puisse apprécier uniquement en fonction des disponibilités de celui qui assume. Tout disposé qu'il soit à offrir, il ne pourra assumer que si l'enfant est en mesure de recevoir utilement. Et ce qui est vrai du point de vue matériel l'est tout autant du point de vue psychique, psychologique et affectif. Imaginons le cas de cet enfant qui, profondément traumatisé, vouerait une haine incurable à sa mère qui l'a «abandonné». Il va de soi que celle-ci ne pourrait
espérer un instant en assumer le soin et l'éducation; l'intimée en a loyalement et à bon droit convenu devant nous; tout le reste n'est qu'appréciation des preuves.
Cette proposition n'est pas inédite. Elle n'est même pas le fruit d'une évolution sociale, culturelle et juridique prétendument récente qui tendrait à faire de plus en plus fi des liens biologiques au profit des liens affectifs. C'est ainsi que, dès 1933, la Cour Suprême du Canada, saisie d'une requête en habeas corpus d'un enfant, déposée par le père à l'encontre des grands-parents, affirmait:
«Je crois qu'il est maintenant admis par la doctrine que les droits et pouvoirs du père et de la mère sur la personne de l'enfant mineur ne leur sont accordés que comme conséquence des lourds devoirs qu'ils ont à remplir et n'ont d'autre but que de leur rendre possibles l'entretien et l'éducation de l'enfant. C'est pour la protection de l'enfant que l'autorité parentale existe (Dugal c. Lefebvre, [1934] R.C.S. 501 , 510).»
De nouveau et plus récemment:
«La loi accorde des droits aux parents naturels d'un enfant de manière à protéger et encourager le développement de ce très important attachement naturel, dans l'intérêt de l'enfant. La Cour reconnaît l'existence de ces droits à cette fin. Mais lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un tel attachement n'existe pas entre le parent naturel et l'enfant mais s'est plutôt établi entre l'enfant et d'autres figures parentales, la Cour doit inévitablement prendre acte des faits de l'espèce en conséquence. Agir autrement équivaudrait à substituer une règle vaine à la réalité que la loi doit contenir et exprimer (King c. Low, (1985) 1 R.C.S. 87 , 104).»
La Cour supérieure du Québec a fait de même dans une affaire plus parente de la nôtre, statuant cette fois en évocation de jugements d'adoption du Tribunal de la jeunesse, mais sous l'ancienne loi de l'adoption qui ne prévoyait pas l'étape distincte de la déclaration d'adoptabilité:
«Comment apprécier la probabilité d'un père et d'une mère à reprendre charge de leurs enfants sans évaluer d'abord la situation physique, psychologique, financière et morale de ceux-ci non pas dans l'abstrait (mais en regard de l'enfant qui fait l'objet du litige). L'âge, la santé physique et mentale, ses besoins particuliers doivent également être considérés non pas pour décider quel est le milieu le plus favorable à son intérêt, mais comme un des facteurs pour conduire à une probabilité de prise en charge (C.S. St-François 450-05-000571-816, le 20 avril 1982, monsieur le juge Carrier Fortin).»
Je m'arrête un instant à cette dernière citation. J'ai dit plus haut pourquoi, à mon avis, l'intérêt de l'enfant est sans pertinence aucune à la détermination de son adoptabilité. Et pourtant, statuant en matière d'adoptabilité, je retiens et
j'évalue ces considérations qui n'ont trait qu'au bien-être de l'enfant. Y-a-t-il là contradiction, je ne le crois pas. Les conditions que mettent les articles 611 et 613 à la déclaration d'adoptabilité sont bien sûr toutes marquées au coin de l'intérêt de l'enfant. Mais elles sont contraignantes et ne laissent aucune place à l'appréciation par la Cour d'autres circonstances que celles prévues par la loi, des circonstances qui au-delà de la loi pourraient paraître au juge rendre l'adoption souhaitable et donc l'adoptabilité nécessaire. Et singulièrement la disponibilité d'un milieu familial plus favorable. Le Tribunal détermine s'il est probable que... et, s'il est d'avis que oui, il doit déclarer l'enfant non adoptable même si son intérêt rendrait souhaitable qu'il soit adopté. Mais en revanche les besoins particuliers sont déterminants et ces besoins, en partie créés par la famille d'accueil, il faut évaluer la capacité de la famille biologique de les satisfaire, sans égards à celle, évidente et supérieure, de la famille d'accueil. Je fais donc mienne la proposition de M. le juge Fortin que j'ai soulignée plus haut.
Je fais le point: l'intérêt de l'enfant n'a rien à voir à son adoptabilité, laquelle n'est fonction que de la probabilité que sa mère en reprenne la garde et en assume le soin, l'entretien ou l'éducation, cette probabilité devant s'apprécier non seulement en fonction des disponibilités de la mère mais aussi de la probabilité que l'enfant puisse accepter et recevoir le soin, l'entretien ou l'éducation. Et vu les six mois écoulés depuis la séparation de fait (art. 611 paragr. 2), il faut présumer l'improbabilité (art. 613) et donc faire porter le poids des preuves sur la mère.
Il paraissait donc clair que l'article 611 C.c.Q. s'arrêtait aux situations factuelles sans s'interroger sur leur raison d'être.
C... plaide que, postérieurement à cette décision,
notre Cour, dans un jugement auquel j'ai participé, Droit de la Famille - 231((6)), aurait nuancé sérieusement les propos tenus par le juge Vallerand dans cette dernière décision.
Il me semble, avec égards, que ce n'est pas le cas. J'avais, pour ma part, fondé précisément mon opinion sur les propos du juge Vallerand dans Droit de la Famille - 376, que je citais d'ailleurs au texte. Le juge Dugas, siégeant ad hoc, s'exprimait de la façon suivante: (p. 232)
Monsieur le juge Dubé affirme que «le législateur a considéré que l'intérêt naturel d'un enfant c'est d'être sous la garde de ses parents à moins qu'il soit démontré qu'il est improbable qu'ils puissent le faire» et cela résout le problème que me causait le jugement attaqué et le membre de phrase que j'ai souligné.
Le législateur, en édictant l'article 613, n'a pas écarté l'intérêt de l'enfant comme fondement de la décision sur l'adoptabilité. Il a dit où se trouve l'intérêt de l'enfant en matière d'adoptabilité.
Il trouvait donc, dans les textes mêmes, la manifestation de la préoccupation du législateur pour l'intérêt de l'enfant.
Seul le juge Dubé, dans cette affaire, considérait que «l'intérêt naturel d'un enfant c'est d'être sous la garde de ses parents à moins qu'il soit démontré qu'il est improbable qu'ils puissent le faire;...» (p. 234).
Il ne s'agissait pas là, avec beaucoup d'égards, de l'opinion de la Cour et je ne vois donc rien, dans cette dernière décision, qui restreigne d'une quelconque façon la position prise dans Droit de la Famille - 376.
En principe pour en finir avec cette question, notre Cour, siégeant à cinq juges, s'est de nouveau penchée sur les articles 611 et 613 C.c.Q. C... ne voit pas non plus dans cet arrêt de position définitive.
Je suis d'avis qu'à cet égard elle a tort. Le juge Vallerand s'exprime comme suit: (p. 636)
Pour en finir.
Le juge de l'adoptabilité doit statuer, à partir des faits, à savoir si les parents assument de fait le soin, l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il est des cas difficiles, des circonstances particulières, qui l'amèneront à conclure que le parent - y compris le parent handicapé mental - qui n'assume pas de façon conventionnelle, assume néanmoins. Mais cela ne signifie pas que celui ou celle qui n'assume pas du tout, assume pourtant uniquement parce que, incapable de le faire, il ne mérite aucun reproche.
Le juge McCarthy, souscrivant à l'opinion du juge Vallerand, y précise: (p. 626)
Pour les fins de la présente cause, ces textes me semblent clairs. Il n'y est pas question de délaissement, d'abandon ou d'autre comportement que l'on pourrait qualifier de répréhensible. Il y est question uniquement d'une situation de fait: si on n'a pas assumé le soin, l'entretien ou d'éducation de l'enfant, la raison n'importe pas. Bien sûr, l'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant (art. 595) mais nous sommes ici au stade de la déclaration d'adoptabilité, non pas au stade du jugement d'adoption.
C... tire de l'opinion du juge Baudouin une nuance sur le plan des principes. Elle semble prétendre que le juge Baudouin ne souscrit pas comme tel à l'opinion du juge Vallerand, vu les commentaires qu'il émet par la suite.
Les commentaires du juge Baudouin n'écartent pas, à mon avis, l'adhésion qu'il donne aux conclusions du juge Vallerand. Il précise d'ailleurs: (p.636)
La prolongation d'une telle controverse dans une matière aussi délicate et aussi importante ne me paraît pas opportune. C'est pourquoi je pense, comme mon collègue le juge Vallerand, et indépendamment de tout problème relié au stare decicis en droit civil qu'il était préférable de réétudier la question et de bien fixer la jurisprudence.
Il reprend, plus loin: (p. 638)
Ces quelques réflexions générales étant faites, je pense, comme mon collègue le juge Vallerand, qu'on ne doit pas lire dans le texte de l'article 611 (2) C.c.Q. ce qui n'y est pas. Il me semblerait, en effet, étrange que l'adoptabilité d'un enfant soit vue comme une sanction, une punition de la conduite des parents. Ce texte n'est pas conçu comme une codification des droits des parents sur l'enfant, mais comme un énoncé des cas où dans certaines situations et, en dehors du consentement de ceux-ci, un enfant peut bénéficier d'une mesure qui lui est favorable. La thèse intentionnelle, dans cette perspective, me paraîtrait donc consacrer une déviance du but même de l'institution qui n'est pas de punir ou de stigmatiser les ascendants pour une parentalité déficiente, mais bien de remédier à une situation factuelle déplorable ou nuisible pour l'enfant. L'adoptabilité et l'adoption sont, pour moi, des remèdes, des palliatifs, des solutions juridiques à un état de crise et non une pénalité pour mauvaise conduite. Il n'y a rien de honteux ou d'infamant dans la conduite de la mère de M... P... P... V... La maladie dont elle est malheureusement affligée n'a rien de déshonorant et elle n'a aucune culpabilité à éprouver pour son inhabileté à prendre soin de son enfant. Là n'est pas et, en toute déférence pour l'opinion contraire, là ne doit surtout pas être le centre du problème. Que cette inhabileté résulte, comme c'est malheureusement le cas parfois d'un abandon de l'enfant, de l'indifférence, de l'égoïsme, d'une négligence, d'un laisser-aller, d'une inconscience, d'une abdication complète des responsabilités parentales, ou, comme dans le présent dossier, d'une impuissance à remplir la fonction parentale importe peu. Le tribunal n'a pas, en matière d'adoption, contrairement à ce qui se passe en matière de déchéance de l'autorité parentale à juger et sanctionner la conduite des parents, mais plutôt à constater si oui ou non ils ont assumé en fait le soin, l'entretien ou l'éducation pendant le temps
prévu à l'article 611 C.c.Q. Le tribunal ne prononce donc pas de condamnation; il fait une simple constatation.
Quant au juge Fish, s'il insiste davantage sur l'intérêt de l'enfant, il résume tout de même sa pensée de la façon suivante: (p. 639)
«In short, I believe that a child should not be declared adoptable under article 611/2 C.C.Q. unless (1) it is in the best interest of the child; (2) its parents, wilfully or not, have in fact relinquished, given up or abdicated their responsibilities for at least six months; and (3) the judge, bearing in mind the presumption of 613 C.C.Q., is entirely satisfied that the parents will not assume care of the child in the future.»
(je souligne)
Je retiens donc de ces quatre opinions, le juge Beauregard étant dissident, que l'article 611 vise à établir des situations factuelles; le fardeau de cette preuve repose évidemment sur la personne qui propose l'existence de ces faits.
Cela ne fait pas, pour autant, du bien-être de l'enfant, une question totalement étrangère à la question de l'adoptabilité, bien au contraire. Mais il me paraît que c'est dans l'examen de la deuxième étape, c'est-à-dire de la probabilité de reprise en charge que cet intérêt doit prendre toute sa place.
Cette façon de voir me semble d'ailleurs en tout point conforme à ce qu'avait énoncé le juge Vallerand dans Droit de la Famille - 376, et que j'ai reproduit plus haut. Il faut évaluer cette probabilité de reprise en charge en examinant la situation, tant du point de vue du parent que de celui de l'enfant.
Le fardeau de renverser la présomption édictée à 613 C.c.Q. appartient alors au parent biologique et doit tenir compte de ces deux éléments. La procureure du D.P.J. l'exprime dans une formule qui fait image: il faut voir s'il est possible que la "colle reprenne", que les deux éléments essentiels, le parent et l'enfant, puissent reprendre ce contact, dans le meilleur intérêt de l'enfant.
Cela me semble être le centre de toutes les décisions de notre Cour dont je viens de faire état: (1) Situation factuelle, quant à l'application de l'article 611 C.c.Q.; (2) Évaluation des probabilités de reprise en charge en tenant compte de la situation quant aux deux parties, la possibilité d'offrir de la part du parent qui cherche à recréer le lien et la possibilité de recevoir de la part de l'enfant qui a vu factuellement ce lien rompu.
J'en viens, maintenant, à l'application de ces principes à la situation qui prévaut dans le dossier qui nous occupe.
Sur le plan des faits et de l'examen des conditions requises pour l'application de l'article 611, il est clair que pendant au moins 10 mois H... C... n'a eu aucun contact avec son enfant.
Cela dit, il faut voir maintenant, eu égard à la preuve, quelles sont les probabilités de reprise en charge et se demander, au premier chef, si le juge de première instance a eu tort d'appliquer, comme il l'a fait, les articles du Code civil aux circonstances du cas.
Je n'ai pas l'intention de reprendre dans leur menu détail toutes les preuves faites devant le juge de première instance; elles sont tout à fait contradictoires.
Le fardeau de renverser la présomption de l'article 613 appartenait à H... C... Le juge en arrive à la conclusion qu'elle n'a pas réussi et s'en explique abondamment. Les seules preuves au soutien des prétentions d'H... C... sont, outre son propre témoignage, le témoignage d'un expert à qui elle avait demandé un rapport avant l'audition et qui a témoigné devant le premier juge.
Le juge de première instance s'exprime de la façon suivante, quant à la crédibilité à accorder au témoignage d'H... C...: (m.a. Vol. I, p. 66)
Comment la mère, elle, réagit-elle face à son obligation, aux jugements (P-2 et P-3), admonestations et indications claires, nettes et précises du juge siégeant en matière de protection?
Elle témoigne à deux reprises, les 22 et 24 mai, nous précisant, le 24 mai...: "c'est aujourd'hui que je dis la vérité".
Malgré toute la sympathie et la compréhension que le tribunal éprouve pour cette mère, il ne peut s'empêcher de souligner qu'elle témoigne avec beaucoup de réserve, de réticence, de restriction et retenue, pour ne pas dire... mensonges, qui teintent constamment sa crédibilité.
Même lorsque nettement contredit par témoins et documents elle continue, quand même, sinon à disconvenir, du moins à étirer et étendre la vérité avec une certaine obstination.
Puis, par la suite, il analyse minutieusement le contenu du témoignage d'H.. C... et en fait ressortir les principales contradictions.
Manifestement, le juge a des réserves sérieuses sur la crédibilité qu'il faut accorder au témoignage d'H... C... et la lecture de celui-ci me convainc qu'il n'a pas tort.
Évidemment, est-il besoin de le dire, certains accrocs à la vérité, certaines réticences, ou certaines contradictions, pourraient avoir bien peu d'importance, lorsqu'il s'agit de considérer un témoignage avec la perspective de priver l'auteur de ce témoignage de ses droits parentaux. Mais, dans le cas qui nous occupe, force est de constater que ces réticences, ces accrocs à la vérité et autres contorsions portent directement sur des situations qui impliquent l'enfant, H... C... elle-même et le père de l'enfant. Il ne s'agit pas d'oubli sur un quelconque fait extérieur, mais de l'interprétation de faits d'une importance capitale pour le bien-être de l'enfant; cette interprétation varie de façon pour le moins étonnante tout au cours du témoignage d'H... C...
Il faut voir d'ailleurs comment réagit l'expert d'H... C..., présent lors du témoignage de celle-ci, lorsqu'il est appelé à témoigner par le procureur qui occupait alors pour C... Je reproduis ci-après quelques extraits d'échanges entre le procureur de C...et son témoin expert, M. Jean Lauzon (m.a. Vol. IV, pp. 684-685)
Q. Okay. Compte tenu du témoignage que Madame a rendu mardi matin et compte tenu du témoignage qu'elle a rendu aujourd'hui, tout ça, ça mis avec vos observations, ou pas vos observations mais vos résultats en ce qui concerne les tendances au mensonge, tendance à la franchise, comment est-ce que vous expliquez ça là...
R. Oui.
Q. ...qu'il y ait des contradictions à un moment donné entre... d'un témoignage de Madame, de mardi matin puis d'aujourd'hui là, avec le résultat?
R. Bien c'est ça, quand j'entendis, j'ai été très intéressé et surpris d'entendre Madame témoigner mardi et puis aujourd'hui. Considérant les résultats de tests, c'est-à-dire ce que j'ai constaté, moi, dans le témoignage de Madame, c'est beaucoup de mensonges, d'évitements, de... de mi-aveux, en tout cas, au niveau de la crédibilité, ça m'apparaissait mais des plus faibles.
L'expert continue plus loin, après avoir discuté de la
fiabilité des tests: (p. 686)
... Par contre, il y a effectivement des mensonges qui ont... un comportement très dissimulateur et mensonger que j'ai observé ici. Alors, je pense qu'il faut chercher, il faut chercher ailleurs que dans une tendance, une tendance je dirais, comme un trait de personnalité, tendance au mensonge tel qu'on l'entend habituellement et tel qu'il est mesuré dans ces tests-là, il faut rechercher ailleurs l'explication d'un comportement qui est bien évident, qui est le mensonge. Et ce que j'ai pu..., ce par quoi je peux expliquer l'attitude de Madame puis le comportement de Madame ici en témoignage, c'est d'avantage avec les résultats au Rorschach où on voit que lorsque Madame est confrontée, lorsque Madame est confrontée à une situation où elle se sent comme très anxieuse, où elle a une forte perturbation émotionnelle, c'est une personne, puis ça, c'est très clair au Rorschach, une personne qui a tendance à devenir confuse, une personne qui a tendance à fuir.
Puis, discutant, toujours avec le procureur de H... C..., des capacités parentales de cette dernière: (pp. 691-92)
Q. Comment est-ce que vous évaluez les capacités parentales de Madame? Vous arrivez à quelle conclusion pour ses capacités parentales?
R. Au niveau de ses capacités...
Q. Au niveau de ses capacités...
R. ...parentales comme telles?
Q. Oui, oui?
R. Bien..., par rapport à ce qui est dit dans le rapport, c'est comme ce que je viens de vous les présenter, au niveau des capacités parentales, il y a..., c'est essentiellement ce qui est dit là-dedans. Maintenant, maintenant, dans la conclusion que j'avais, il y a deux points avec lesquels je terminais. Entre autres, le dernier concernant la capacité de Madame de protéger, protéger ses enfants face à un père qui serait violent, j'avais des craintes face au fait que Madame ait des contacts plus fréquents, qu'elle veuille bien l'avouer, avec Monsieur. Je ne peux pas vous dire que ce que j'ai entendu à venir jusqu'ici m'a rassuré, loin de là, loin de là, loin de là. J'ai des craintes, j'ai des craintes face à ça. Est-ce que..., ce que je vois, ce que je retiens du témoignage de Madame, par contre, c'est que..., c'est que Madame est pas plus outillée qu'elle l'est présentement aujourd'hui qu'elle l'était lorsque j'ai fait ce rapport-là...
Il précise, plus loin sa pensée: (p. 693)
...Je dois vous avo
uer que quand j'ai entendu, quand j'ai imaginé un instant que K... aurait pu aussi être là avec..., lorsqu'il y a eu l'échauffourée, lorsqu'il y a eu les policiers qui sont intervenus, lorsque j'ai vu, lorsque j'ai vu... J...-P..., A..., Madame, Monsieur, j'ai imaginé K... se retrouver exactement dans la même maison, je me disais..., ouais..., est-ce que Madame va être capable de répondre aux besoins de sécurité de son enfant? Ca, par rapport à ça là, j'ai dit..., grosse crainte.
L'expert Lauzon continue: (pp. 693-94)
Q. Qu'est-ce que Madame, qu'est-ce qu'il fraudrait qu'elle travaille, monsieur Lauzon, pour arriver à se sortir de là de ce..., des lacunes qu'elle a comme mère puis comme personnalité aussi?
R. Bon..., okay. Au niveau de sa personnalité, femme craintive, soumise, ça se transforme, ça s'actualise présentement avec le portrait
d'une femme... je l'appellerais une femme battue, une femme soumise, excessivement dominée par son mari. Essentiellement, je pense que c'est ça qu'il faudrait qui soit travaillé. Donc, prendre...ce qui pourrait l'aider, parce qu'elle a aussi deux autre enfants. Ce qui pourrait l'aider davantage, c'est de commencer par ça. Je dis pas que c'est juste ça dont elle a besoin, mais je dis si on va à l'essentiel là, je la verrais beaucoup plus..., après ce que j'ai entendu depuis deux, trois jours, je la verrais beaucoup plus avec des intervenantes comme les intervenantes de l'escale qu'avec dans le bureau de..., un bureau de thérapie.
Q. Si Madame faisait ces démarches-là, pour travailler, se remettre en question, quel effet ça aurait ça, sur ses enfants puis sur K...? Par rapport à K..., par rapport à une reprise de contact?
R. Bien, si Madame était capable de..., si Madame était capable davantage..., elle a un gros problème de soumission puis de dépendance face à son conjoint, okay. Si Madame réussissait à cheminer face à ce problème-là, c'est sûr que ça aurait des impacts, des répercussions un peu partout dans sa vie, dans son estime de soi, dans..., dans plusieurs aspects. Entre autres aussi, au niveau de ses capacités parentales. Maintenant, Madame a quand même une grosse côte à remonter.
Pour ce qui est de l'
intérêt de l'enfant, l'expert Lauzon nous dit qu'il ne peut faire autrement que de partager les conclusions de l'experte Ares témoignant pour le D.P.J., qui conclut nettement que l'intérêt de l'enfant, compte tenu de son âge et des circonstances particulières de la situation, milite en faveur de la déclaration d'adoptabilité.
Voilà les seuls éléments sur lesquels le juge aurait pu fonder le renversement de la présomption.
Je ne peux, pour ma part, lui faire aucun reproche de n'avoir pas trouvé dans le témoignage non crédible de H... C... ou dans celui de l'expert Lauzon encore ébranlé par ce qu'il venait d'entendre, les éléments suffisants pour ce faire.
J'en viens donc à la conclusion que le juge de première instance a bien apprécié la preuve qui était devant lui et que C... n'a pas réussi à renverser la présomption d'adoptabilité de l'article 613 C.c.Q..
Vu cette conclusion à laquelle j'en arrive, il me faut maintenant étudier le deuxième moyen proposé par C...
2)
La non conformité de l'article 613 C.c.Q. avec les dispositions de la Charte canadienne et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Avant d'aborder les questions de fond, quelques précisions s'imposent.
D'abord, je réitère que la question de la conformité avec les Chartes canadienne et québécoise ne s'est soulevée que devant nous et que le juge de première instance n'a pas eu l'occasion de l'examiner. Il a donc tenu pour acquise la validité des dispositions du Code civil et n'a pas eu à faire l'exercice qu'il s'impose maintenant que nous fassions, vu la permission d'amender accordée par notre Cour pour permettre d'ajouter les motifs d'ordre constitutionnel. Toujours à titre de remarque préliminaire, il me faut également mentionner que, en début d'audition, nous avons tous été d'avis de refuser la nouvelle demande de permission d'amender faite par laprocureure de l'appelante. Cet amendement visait à faire déclarer également contraire aux Chartes le deuxième paragraphe de l'article 611 du Code civil du Québec. Les procureures des parties adverses se sont toutes deux opposées à cet amendement demandé verbalement devant la Cour et dont ni l'une ni l'autre n'avait été prévenue.
Nous avons donc rejeté la demande d'amendement, unanimement d'avis qu'elle changeait complètement la nature du pourvoi qui était devant nous.
L'appelante formule de la façon suivante ses moyens d'appel. Pour ce qui est de la Charte canadienne, elle les décrit succinctement de la façon suivante: (m.a. p. 31)
...l'article 613 C.c.Q. en raison de son imprécision et du renversement du fardeau de preuve qu'il impose aux parents concernés est incompatible avec les dispositions des articles 2 d), 7, 15 et 26 de la Charte canadienne des droits et libertés et doit être déclaré inconstitutionnel et invalide conformément à l'article 52 de ladite Charte.
Pour ce qui est de la Charte québécoise, c'est sous l'angle d'une violation du droit à l'égalité qui serait prévu à l'article 23 de la Charte que l'appelante aborde la question: (m.a. p. 43)
L'appelante soutient que le texte de l'article 613 C.c.Q. qui prévoit que l'improbabilité de reprise en charge par les parents est présumée dans le cadre d'une demande de déclaration d'adoptabilité constitue une violation de son droit à l'égalité dans et devant la loi contrairement à l'article 23 de la Charte québécoise. En effet, alors que dans notre processus judiciaire c'est en principe à celui qui demande l'intervention du tribunal de prouver ses allégations et le bien-fondé de son droit, on retrouve ici le processus contraire où le fardeau de preuve
appartient à la partie à qui on veut enlever des droits.
Ce renversement de fardeau de preuve oblige la mère à établir qu'elle peut continuer à exercer ses droits fondamentaux envers son enfant alors que ces droits sont protégés par les Chartes tant canadienne que québécoise. On peut conclure qu'elle n'est pas traitée en toute égalité devant un tribunal impartial puisque ce dernier doit présumer qu'elle est inapte à assumer et à exercer ses droits sans qu'on n'en ait fait la démonstration.
Avant d'aborder toutes et chacune de ces questions, il me paraît nécessaire de préciser que ni la Charte canadienne, ni la Charte québécoise ne confère explicitement le statut de droit fondamental aux droits parentaux.
L'appelante ne prétend pas le contraire, mais elle soumet cependant qu'il s'agit là d'un droit implicite consacré de tous temps par les tribunaux en général, et la Cour Suprême du Canada en particulier, et que les chartes n'auraient pas besoin de mentionner. L'appelante plaide que la Charte n'a pas supprimé de droits existants et que ce n'est pas le fait qu'ils n'y apparaissent pas expressément qui en nie pour autant l'existence.
Je ne partage pas, je le dis d'entrée de jeu, le point de vue de l'appelante lorsqu'elle soutient que les droits parentaux ont été considérés de tous temps comme de véritables droits fondamentaux au sens de ceux que garantit la Charte. Si, bien sûr, le Code civil du Québec, entre autres, a toujours prévu et défini des droits parentaux, cela n'en fait pas pour autant des droits fondamentaux.
L'examen des décisions de la Cour Suprême du Canada, en matière de droits parentaux, démontre la fluidité même des concepts en cause depuis le début du siècle. Sans refaire l'analyse que refait, pour la Cour Suprême, le juge McIntyre dans l'affaire de King c. Low((7)), il faut voir que l'on est passé de la puissance paternelle à l'autorité parentale, puis de la primauté de l'autorité parentale à l'intérêt de l'enfant comme facteur prépondérant, sinon primordial, dans les décisions concernant ce dernier.
Le juge McIntyre réfère entre autres à une décision rendue par la Cour Suprême, Racine c. Woods((8)). Dans cette affaire qui opposait la mère naturelle aux parents adoptifs, dans un cadre cependant différent du nôtre sur le plan factuel, madame la juge Wilson, parlant pour la Cour, s'exprimait de la façon suivante: (à la p. 185)
Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que conclure à l'abandon était nécessaire à la décision du juge de première instance. À mon avis, la Loi est claire et le par. 103(2) dispense de l'autorisation parentale dans le cas d'une adoption de fait. Cela ne signifie évidemment pas que le lien de l'enfant avec ses parents naturels n'a rien à voir avec une ordonnance en vertu de cet article. Il a manifestement tout à voir avec la détermination de l'intérêt de l'enfant. Mais la cour doit se soucier du lien parental comme force positive et significative dans la vie de l'enfant, et non dans la vie du parent. Comme on l'a souvent souligné dans les affaires de garde d'enfant, un enfant n'est pas un bien sur lequel les parents ont un droit de propriété; c'est un être humain envers lequel ils ont des obligations sérieuses. Lorsqu'il a donné à la cour le pouvoir de se passer de l'autorisation des parents dans le cas d'une adoption de fait, le législateur a reconnu un aspect de la condition humaine, savoir que notre propre intérêt obscurcit parfois notre perception de ce qui convient le mieux aux personnes dont nous sommes responsables. Un père ou une mère doit avoir un très haut degré d'altruisme et de maturité, à un degré que la plupart d'entre nous ne pouvons probablement pas atteindre, pour reconnaître qu'il vaut mieux pour son enfant qu'il soit élevé par un autre. Dans sa sagesse, le législateur a protégé l'enfant contre
cette faiblesse humaine lorsque d'autres personnes ont comblé la brèche et ont fourni à l'enfant pendant une période minimale de trois années consécutives un foyer heureux et stable. De fait, ces personnes ont assumé les obligations des parents naturels et ont pris leur place. Dans les circonstances, il n'est plus nécessaire d'obtenir le consentement des parents naturels.
Dans l'affaire King c. Low, le juge McIntyre concluait, après avoir fait une analyse de la jurisprudence, comme suit: (à la p. 105)
À mon avis, que j'estime corroboré par la jurisprudence récente de ce pays et du Royaume-Uni (voir Re: Moores and Feldstein, Beson, Racine et J v. C.,[1970] A.C. 668 (H.L.)), et en particulier lorsque la loi applicable maintient les règles d'equity et en prescrit l'application, la Cour lorsqu'il s'agit de litiges relativement à la garde d'enfant, et notamment de litiges entre un parent naturel et des parents adoptifs, doit considérer que le bien-être de l'enfant est le facteur primordial et lui donner effet dans sa décision.
Dans Droit de la famille - 1544, l'un des commentaires formulés par le juge Baudouin (aux pp. 4, 5 et 6 de son opinion) porte précisément sur cet aspect de la question: (m.i. Vol II, pp. 117-18-19)
En quatrième lieu, toutes les lois familiales des récentes années sont fondées sur le principe de base de la recherche du meilleur intérêt de l'enfant (Voir à ce sujet J. Goldstein et al, Beyond the Best Interests of the Child, New-York, Free Press Ltd, 1973, plus particulièrement pp. 71 et s.). La Charte des droits et libertés elle-même, dans son article 39, en fait d'ailleurs une priorité sociale et l'élève au rang de valeur fondamentale lorsqu'elle énonce:
"Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner."
En outre, au chapitre même de l'adoption, l'article 595 C.c.Q. précise que:
"L'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant et aux conditions prévues par la loi."
Ce texte, à mon avis, implique nécessairement que le juge doive tenir compte de cet intérêt à tous les stades de la procédure menant à l'adoption. Les parents n'ont que peu de droits à l'égard de leurs enfants. Ces droits, lorsqu'ils existent, n'existent d'ailleurs qu'en fonction d'assurer le bien-être des enfants. Ils ont par contre beaucoup de devoirs, devoirs visant à favoriser leur développement physique et psychologique harmonieux. À mon avis donc, lorsqu'un choix doit être fait, d'une part, entre la conservation d'un lien de filiation et d'une situation qui ne favorise pas ces objectifs au nom des liens du sang et d'un "droit à l'enfant" et, d'autre part, la rupture de ce lien, en espérant permettre le développement social et émotif et la progression de l'enfant, ce choix apparent n'est plus un choix véritable. C'est l'enfant, l'enfant toujours et l'enfant encore qui doit rester le centre du processus décisionnel.
L'appelante plaide cependant que la Cour Suprême, qui ne s'est pas prononcée spécifiquement sur la question, aurait quand même donné des raisons de penser que les droits parentaux étaient protégés.
L'appelante cite, entre autres, la décision La Reine c. Jones((9)). Elle plaide qu'à cette occasion la Cour Suprême s'est au moins interrogée sur le caractère fondamental du droit d'un parent d'éduquer et d'élever son enfant. À mon avis, la Cour Suprême ne s'est même pas interrogée sur cette question. De tous les juges qui ont participé à cette décision, seule madame la juge Wilson soutient, à la p. 319 de son opinion, que l'article 7 de la Charte canadienne (sur lequel je reviendrai plus tard) couvrirait le droit des parents d'élever et d'éduquer leurs enfants, du moins dans une certaine mesure. Elle précise elle-même que ce droit n'irait pas jusqu'à conférer à unparent le droit d'élever et d'éduquer ses enfants comme il l'entend. Tous les juges de la majorité ne se prononcent pas sur la question. Je ne vois donc rien dans cet arrêt qui soutienne les prétentions de l'appelante.
S'il n'est certes pas question de nier que les parents ont des droits, ces droits leur sont conférés par les lois pertinentes et ce n'est que dans la mesure où leurs droits individuels garantis par la Charte pourraient se voir brimés dans le cadre de l'exercice de leurs droits de parents qu'il faudra s'interroger, à ce moment, sur les violations aux droits individuels des personnes qui revendiquent des droits de parents. Mais ces droits sont revendiqués à titre de personne individuelle et pas en tant que parent. Il faut voir si les droits d'un individu ont été violés dans l'exercice de ses droits de parent, de citoyen ou de salarié, mais non pas en tant que parent, citoyen ou salarié; de plus, les enfants, comme le signale le juge Baudouin, jouissent également des droits fondamentaux garantis par la Charte.
Je ne trouve donc aucun appui à la prétention de l'appelante que la Charte canadienne protège des droits parentaux et leur confère un caractère de droit fondamental.
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas lieu d'examiner les droits individuels dont H... C... prétend qu'ils ont été violés.
Pour ce qui est de la Charte québécoise, le commentaire formulé par le juge Baudouin, dans l'affaire Droit de la famille -1544 déjà citée, me paraît suffisant pour disposer de la question. Ce que la Charte québécoise protège explicitement à son article 39, c'est le droit de l'enfant à la protection, à la sécurité, à l'attention deses parents, ou des personnes qui en tiennent lieu. Cet article me semble donc non seulement ne pas mettre en balance le droit des parents naturels et celui des enfants, mais prévoir expressément que le droit à la protection, à la sécurité et à l'attention appartient à l'enfant et peut être tout aussi adéquatement garanti par une personne qui tient lieu de parent que par le parent biologique.
Je ne trouve donc, pour conclure sur cette question, aucun fondement juridique à la prétention d'H... C... à l'effet que les Chartes canadienne et québécoise contiendraient une quelconque protection des droits parentaux eux-mêmes.
a) La Charte canadienne:
Si j'ai bien compris la position de H... C..., c'est à l'imprécision du texte de l'article 613 et au renversement du fardeau de la preuve qu'il contiendrait qu'elle s'en prend et sur lesquels elle s'appuie pour prétendre à une violation à un droit garanti par la Charte.
Relisant l'article, il faudrait donc conclure que c'est aux termes improbable et improbabilité qu'elle accole le qualificatif d'imprécis.
J'ai peine à voir comment on peut soutenir que les mots improbable et improbabilité sont vagues et imprécis.
Dans un tout autre contexte il est vrai, mais il me semble que cela a tout de même une certaine pertinence ici, le juge en chef du Canada, pour la majorité de la Cour Suprême, s'appuyait précisément sur le concept de probabilité pour discuter du caractère constitutionnel des mots "sécurité publique" ou "sécurité du public" quedoivent apprécier les juges dans la procédure de remise en liberté provisoire en attendant un procès en matière pénale.
Le juge en chef du Canada s'exprimait de la façon suivante: (S.M. la Reine c. Morales, Cour Suprême du Canada, # 22404, 19 novembre 1992, opinion du juge en chef du Canada, p. 24)
Certes, il est sans aucun doute vrai qu'il est impossible de faire des prédictions exactes au sujet de la récidive et de la dangerosité future, mais la prévisibilité exacte de la dangerosité future n'est pas une exigence constitutionnelle. Dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 , aux pp. 364 et 365, le juge La Forest s'est penché sur les dispositions du Code criminel relatives aux délinquants dangereux:
"Holmes nous a toutefois rappelé que le droit tire sa vitalité non pas de la logique mais de l'expérience. L'application du droit criminel se fait dans un monde où des considérations pratiques l'emportent sur la logique abstraite et, du point de vue pratique, tout ce qu'on peut établir concernant l'avenir est une probabilité que certains événements se produiront. [...]"
"Il me semble que la «probabilité» qu'une certaine conduite se manifeste dans l'avenir est précisément le fait qui doit être établi; ce n'est pas en même temps le moyen de prouver ce fait. Dans mon esprit il semble clair que, logiquement, on peut conclure qu'une personne constitue un danger pour la société sans pour autant prétendre que cela oblige le tribunal à se dire capable de prévoir l'avenir." [Souligné dans l'original.]
Le système de mise en liberté sous caution a toujours tenté d'évaluer la probabilité de la dangerosité future tout en reconnaissant que les prédictions exactes à cet égard sont impossibles.
Cela suffit, à mon avis, pour disposer de l'argument de l'imprécision. H... C... soutient par ailleurs que le simple renversement du fardeau de la preuve constituerait une violation d'un principe de justice fondamentale. Je ne trouveabsolument rien qui puisse justifier, en matière civile, l'application d'une telle théorie. Je crois comprendre, de la présentation de H... C..., qu'elle assimile le renversement du fardeau de preuve en matière civile au fait de mettre à l'écart, par exemple, la présomption d'innocence en matière criminelle.
Ce sont là, à mon avis, deux choses absolument différentes sur lesquelles, au surplus, la Cour Suprême du Canada, sous la plume de celui qui était alors son juge en chef, le juge Dickson, me parait s'être prononcée. Dans l'arrêt R. c. Schwartz((10)), le juge Dickson écrit, à la p. 462, après avoir rappelé que la présomption d'innocence est l'une des prémisses de base de tout le droit criminel:
À cet égard, une poursuite criminelle est fondamentalement différente d'une action civile, qui sert des fins différentes et opère selon des postulats différents. Les théories de la preuve en matière civile, tant en common law qu'en droit civil, ont été fortement influencées par le droit romain, lequel oblige le défendeur à soulever et à prouver les exceptions à l'action. (Voir David Finley, «The Presumption of Innocence and Guilt» (1984), 39 C.R. (3d) 115.). L'inversion de la charge de la preuve est acceptable dans les actions civiles, comme le montre la maxime bien connue res ipsa loquitur.
______________Dans le cas qui nous occupe, je souligne au surplus que la présomption de l'article 613 est une présomption qui n'est pas irréfragable et qu'il est possible de renverser.
Il n'y a donc pas, dans les circonstances de la présente affaire, d'imprécision ou de renversement de fardeau de la preuve qui créeraient en eux-mêmes une violation à la justice fondamentale.
Cela dit, il faut quand même examiner chacun des droits dont C... plaide la violation.
i) article 2 d):
Je ne trouve, à vrai dire, aucun fondement juridique à la prétention de H... C... que son droit d'association garanti par la Charte canadienne à son article 2 d) serait violé par la seule existence de l'article 613 du Code civil du Québec. Il me semble que la façon dont la Cour Suprême du Canada a défini l'objet de l'article 2 d) écarte de façon claire les termes association ou regroupement de personnes dans le cadre d'une famille. Dans l'affaire Lavigne c. S.E.F.P.O.((11)), la Cour Suprême rappelle qu'elle a déjà conclu à l'unanimité et à maintes reprises que l'article 2 d): (p. 253)
...a pour objet de favoriser l'action collective de personnes en vue de réaliser des objectifs communs.
Dans une décision rendue en 1989, sous la plume du juge Tarnopolsky, la Cour d'appel de l'Ontario avait l'occasion de se prononcer dans des circonstances qui ressemblent à celles qui nous occupent et qui mettent en cause les mêmes articles de la Charte canadienne.
Même si les textes de loi diffèrent, il s'agissait de décider si un texte de loi ontarien violait les droits fondamentaux d'une mère naturelle qui voulait continuer à avoir accès à ses enfants malgré l'adoption judiciairement prononcée. Les principes qu'émet le juge Tarnopolsky relativement aux violations alléguées me paraissent s'appliquer tout aussi bien dans notre cas. Je ferai donc référence, àplusieurs reprises, dans les pages qui vont suivre, à cette affaire de Catholic Children's Aid Society of Metropolitan Toronto v. S.(T).((12)).
Abordant l'argument relatif à la liberté d'association, le juge Tarnopolsky s'exprime de la façon suivante: (m. P.G.Q. p. 6)
«The freedoms of assembly and association are necessarily collective and so mostly public. Our constitutional concerns have not been with assemblies within families or associations between family members. Rather, the protections we have been concerned with are for those assemblies and associations that take us outside the intimate circle of our families. The family is a collective, but the desire of one family member to associate with another is not so much for the purpose of pursuing goals in common, nor even pursuing activities in common. (Reference re: Public Service Employee Relations Act (1987), 38 D.L.R. (4th) 161 at p. 226, [1987] 1 S.C.R. 313 (S.C.C.), per McIntyre J.) as it is merely because they are members of a family.
Comme le juge Tarnopolsky, je suis d'avis que l'association entre parents et enfant n'est pas visée par le droit d'association garanti à l'article 2 d) de la Charte canadienne et qu'il n'y a donc, à cet égard, aucune violation des droits de H... C...
ii) L'article 7 de la Charte canadienne:
L'argument de H... C... relatif à l'article 7 ne porte évidemment pas sur sa vie ou sa sécurité. Il s'agit de sa liberté qui serait atteinte. Vu ce que j'ai dit précédemment, quant à l'absence de protection des droits parentaux comme droits fondamentaux, je ne reviendrai pas sur cet aspect de la question.
H... C... plaide évidemment que l'imprécision du texte porterait atteinte à sa liberté. Puisque j'ai également dit que le texte ne me paraissait contenir aucun élément d'imprécision, je ne m'attarderai pas non plus à cet aspect de la question.
Reste à se demander si le texte même de l'article 613 porterait atteinte à la liberté de H... C... La lecture de l'arrêt Catholic children de la Cour d'appel de l'Ontario démontre que ce dernier tribunal n'a même pas entendu les arguments des intimés sur cette question, tant il était clair que ceux de l'appelante ne pouvaient réussir. Le juge Tarnopolsky s'exprime à la p. 412 de la façon suivante: (autorités P.G.Q., onglet 4)
«I do not see, either, how it can constitute a deprivation of liberty or security of the person. No one has a right to go everywhere. Outside one's own living premises there are limitations concerning where people may go, even in many public places and certainly with respect to the living premises of others. Barring a person from having access to a particular person is not a confinement. The fact that there are places one may not go and people who may refuse to permit others to have contact and communication with themselves or their children, does not amount to a deprivation of liberty or security of the person of another who might want that contact.
There is no deprivation of life or liberty or security of the birth parents in having access to their natural children terminated with a view to having those children adopted by new parents.»
Je ne trouve aucun appui à la position de H... C... à l'effet que ses droits fondamentaux garantis par l'article 7 de la Charte canadienne auraient subi quelque violation.
iii) L'article 15:
Le droit à l'égalité
H... C... voit dans le texte de l'article 613 C.c.Q. une violation de son droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte canadienne. Je rappelle le texte de cet article:
Droits à l'égalité:
15.(1) [Égalité devant la loi, égali
té de bénéfice et protection égale de la loi.] La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) [Programme de promotion sociale.] Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinées à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
L'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia((13)) établit les principes qui doivent guider les tribunaux dans l'analyse de violation à l'article 15, autrement dit lorsqu'on allègue discrimination.
Il me semble clair, tout au moins depuis cet arrêt, que si les motifs qui y sont allégués ne sont pas exhaustifs, ils doivent cependant s'appuyer sur des caractéristiques personnelles des individus. Ces motifs doivent être, s'ils ne sont pas énumérés explicitement dans le texte de l'article 15, des motifs analogues.
Je ne suis pas certaine d'avoir tout à fait compris le motif de discrimination qu'allègue H... C... Il me semble, cependant, que c'est le fait d'être le parent d'un enfant placé dans un foyer d'accueil qui soutiendrait sa prétention.
Je ne trouve pas, dans cette «catégorie» les éléments que la Cour Suprême me paraît avoir considéré essentiels.
Le motif allégué par H... C... ne me semble en rien un motif analogue à ceux énumérés à l'article 15.
Le juge Tarnopolsky dans l'affaire précitée, analysant la catégorie que pourrait constituer celle des parents biologiques, s'exprime de la façon suivante: (p. 414)
«Since "the situation" of birth parents "is in no way analogous to those listed in s. 15(1)", there is no contravention of s. 15 because of the provisions in the legislation for terminating the access rights of birth parents to children who are Crown wards being placed for adoption.»
Ce qui est vrai des parents biologiques me paraît l'être également de ceux dont les enfants sont placés soit pour fin d'adoption, soit en famille d'accueil.
De plus, il ne s'agit absolument pas d'une caractéristique personnelle d'un individu.
Je conclus qu'il n'y a aucune espèce de violation du droit à l'égalité prévu à l'article 15 de la Charte canadienne.
J'en viens donc à la conclusion que les droits fondamentaux garantis à toute personne par la Charte canadienne ne sont pas violés par l'article 613 C.c.Q. dans le cadre du présent pourvoi.
b) La Charte québécoise:
La seule violation qu'allègue H... C... à ce titre en est une qui repose sur les droits que lui garantirait l'article 23. Il se lit comme suit:
23. [Audition i
mpartiale par tribunal indépendant]. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agissse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
Ce sont les mots en pleine égalité sur lesquels H... C... appuie ses prétentions.
Le renversement du fardeau de la preuve causerait une inégalité au sens de cet article, selon ses prétentions.
Tout comme lors de l'analyse du renversement du fardeau de la preuve dans le cadre de la Charte canadienne, je ne peux voir, dans ce type de renversement de fardeau de preuve en matière civile, de violation à quelque droit fondamental que ce soit. La situation prévue à l'article 613, au surplus, est encadrée par l'article 611 C.c.Q. qui prévoit de façon précise dans quelle circonstance il y a lieu à un renversement de fardeau de preuve; au surplus, comme je l'ai dit précédemment, cette présomption n'est pas irréfragable.
Je ne trouve donc ici aucun appui aux prétentions de H... C... J'ajoute, même si celle-ci ne le soulève pas, que je suis loin d'être certaine que les mots en pleine égalité que contient cet article réfèrent à un autre type d'égalité que celle qui est prévue à l'article 10 de la Charte québécoise et qui fait référence aux motifs de discrimination.
Dans une décision de la Cour supérieure, Lagarde c. Procureur général du Québec((14)), dans laquelle la Cour supérieure paraissait assimiler l'égalité de l'article 23 à celle de l'article 10, le juge Alphonse Barbeau s'y exprimait comme suit:
(aux pp. 2643-44)
La prétention du demandeur repose-t-elle sur la discrimination dont il allègue avoir été l'objet au cours des procédures qui ont entraîné son renvoi? Si tel est le cas, il importe alors de rechercher l'interprétation à donner à l'article 23 de la Charte qu'il invoque à la lumière de l'article 10 de cette même charte. Cet article 10 se lit comme suit:
«Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier à ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.»
L'on peut dans cette disposition identifier trois conditions qui pourraient autoriser, si elles se réalisent, à conclure qu'il y a eu discrimination: (1) une distinction, exclusion ou préférence; (2) résultant de l'un des éléments ou caractéristiques (race, couleur, âge, etc...) énumérés à l'alinéa un; (3) dont la conséquence serait de détruire ou compromettre le droit de la personne que celle-ci prétend s'être vu nier.
Le demandeur ne peut prétendre même à la première condition. Il n'y a pas eu dans son cas de distinction, exclusion ou préférence de traitement. Tout cadet dont le comportement est jugé discutable est assujetti à la même procédure d'enquête et de sanction. La preuve ne révèle pas qu'il en soit ou fût autrement dans quelque situation autre. Même la seconde condition n'est d'aucun secours au demandeur; la procédure suivie ne résulte d'aucun des éléments ou caractéristiques énumérés à l'alinéa un. Dans ces circonstances, la troisième condition devient purement académique.
Cette décision a été confirmée dans un arrêt non rapporté de notre Cour, Lagarde c. Procureur général du Québec((15)). Je précise cependant que les motifs de la décision de notre Cour ne permettent pas de dire que notre Cour avalise cette façon de voir les choses.
Je suis donc d'avis que les droits garantis à l'article 23 de la Charte québécoise, auxquels pourrait prétendre H... C..., n'ont pas été violés.
Pour résumer, il me paraît que tous les motifs d'appel de H... C... doivent échouer et que l'appel doit être rejeté.
Quant aux dépens, vu la situation particulière dans laquelle nous nous trouvons, vu qu'il s'agit d'un problème d'adoption qui paraissait avoir besoin d'être reprécisé, vu, d'autre part, que notre Cour a jugé opportun d'accorder la permission d'appeler sur les questions constitutionnelles, vu les moyens limités de H... C... par rapport à ceux des intimés, je n'accorderais pas de dépens aux intimés.
Je rejetterais donc l'appel, sans frais.
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CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
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1. ) [1992] R.J.Q. 617 .
2. ) [1986] R.J.Q. 139 .
3. ) [1992] R.J.Q. 617 .
4. ) [1987] R.J.Q. 1235 .
5. ) [1988] R.J.Q. 230 .
6. ) [1988] R.J.Q. 230 .
7. ) [1985] 1 R.C.S. 87 .
8. ) [1983] 2 R.C.S. 173 .
9. ) [1986] 1 R.C.S. 284.
10. ) [1988] 2 R.C.S. 443 .
11. ) [1991] 2 R.C.S. 211 .
12. ) (1989) 60 D.L.R. (4th) 397.
13. ) [1989] 1 R.C.S. 143 .
14. ) [1986] R.J.Q. 2639 .
15. ) 500-09-0013532-863, 29 mai 1991, les juges Vallerand, Rothman et Mailhot.