Poitras c. Poitras (Succession de), 2010 QCCS 2841
no. de référence : 2010 QCCS 2841
Poitras c. Poitras (Succession de)2010 QCCS 2841
JG 1421
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
JOLIETTE
N° :
705-14-004215-088
DATE :
23 juin 2010
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
JEAN GUIBAULT, J.C.S.
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GASTON POITRAS
et
GEORGES POITRAS
et
FRANÇOISE POITRAS BÉLANGER
et
CHARLES GAUTHIER
Demandeurs
c.
NATHALIE POITRAS, à titre de liquidatrice
et légataire de la succession Guy-Rolland Poitras
et
LOUIS POITRAS
et
MARIE-JOSÉE POITRAS
et
JULIETTE POITRAS
Défendeurs
et
ME LOUISE OUIMET, notaire
et
SIMON POITRAS
et
SYLVAIN POITRAS
Mis en cause
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JUGEMENT
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[1] Les demandeurs, frères, sœur et neveu de feu Guy-Rolland Poitras demandent au tribunal par Requête introductive d’instance amendée de déclarer nul et de nul effet le dernier testament (P-2) de Guy-Rolland Poitras (ci-après désigné « M. Poitras »), daté du 11 août 2008, au motif qu’à cette date, il n’avait pas la capacité requise pour tester.
[2] De son côté, Nathalie Poitras, tant en qualité de liquidatrice que d’héritière de la succession de Guy-Rolland Poitras, ainsi que les autres co-défendeurs Louis Poitras, Marie-Josée Poitras et Juliette Poitras contestent les prétentions des demandeurs et concluent dans leur défense à la capacité de tester du défunt et à la validité de son dernier testament.
[3] Ont été mis en cause la notaire Louise Ouimet qui a reçu le dernier testament du défunt ainsi que deux neveux, Simon Poitras et Sylvain Poitras, également intéressés au testament de feu Guy-Rolland Poitras.
[4] Une contestation a été produite au nom de la notaire, laquelle conclut au rejet de la requête introductive d’instance et à la validité du testament reçu le 11 août 2008.
[5] Par contre, il n’y a eu aucune comparution de la part des deux autres mis en cause, neveux du défunt, non plus qu’aucune contestation à la suite de la signification de la requête introductive d’instance.
LES FAITS
[6] Le défunt Guy-Rolland Poitras, né le […] 1927, est décédé le 17 août 2008 alors qu’il était âgé de 81 ans.
[7] Hospitalisé le 30 juin 2008, c’est lors de son hospitalisation que M. Poitras a signé, en présence de la notaire mise en cause et d’un témoin, un dernier testament, lequel modifiait la part dévolue à chaque héritier sans pour autant déshériter de quelque façon que ce soit l’un ou l’autre des héritiers prévus dans un testament antérieur en date du 15 octobre 1998 (P-5), testament qui serait alors applicable si le testament du 11 août 2008 était déclaré nul et de nul effet par le tribunal.
[8] À son décès, le défunt était célibataire, sans enfant, et, avant son hospitalisation, habitait seul dans sa résidence située à l’Épiphanie, district de Joliette. Ce sont ses deux sœurs, Françoise et Juliette, et tout particulièrement ses deux nièces, Nathalie qui, suivant ses dernières volontés dans les deux testaments de 1998 et 2008, a été désignée liquidatrice de sa succession, ainsi que Marie-Josée qui le visitait régulièrement et qui s’assurait de son bien-être tant au niveau alimentaire qu’entretien ménager.
[9] Durant ses années actives, le défunt était cultivateur et il est important de souligner qu’il s’était fait couper le bras droit plusieurs années auparavant, lors d’un accident sur sa ferme.
[10] Victime d’une chute quelques jours auparavant et parce qu’il ne se sentait pas bien et qu’il avait grande difficulté à marcher, il s’est présenté à l’urgence avec sa sœur Françoise, le 30 juin 2008. Après observation et examen, le personnel médical alors en poste a décidé de l’hospitaliser. Dès son arrivée à l’hôpital, l’infirmière note qu’il était orienté dans les trois sphères et qu’il répondait bien aux questions[1]. Souffrant de diabète et prenant plus ou moins régulièrement sa médication, c’est sa condition physique et non mentale qui a justifié son hospitalisation.
[11] Par contre, une fois hospitalisé, le personnel hospitalier a constaté une perte importante d’autonomie et une certaine confusion. Le 27 juillet, M. Poitras a été référé en gériatrie pour fin d’évaluation complète. Le processus d’évaluation n’avait pas encore été complété lorsqu’il est décédé le 17 août sans que l’on détermine si le défunt avait besoin d’un quelconque régime de protection, s’il devait ou non être placé dans un centre d’accueil ou encore s’il pouvait réintégrer son domicile avec une aide adéquate pour s’occuper de son alimentation, son entretien et plus particulièrement de sa prise régulière de médicaments.
[12] Le 10 juillet 2008, M. Poitras a communiqué avec la notaire Ouimet pour l’informer qu’il désirait signer une procuration générale en faveur de sa nièce Nathalie.
[13] Conformément aux instructions reçues, la notaire Ouimet a préparé la procuration générale et elle s’est présentée à l’hôpital pour faire signer M. Poitras, le 14 juillet.
[14] À cette même occasion, M. Poitras a également signé un acte de vente pour une propriété suivant les termes d’une convention signée avec un acheteur plusieurs mois auparavant. Était présente lors de la signature de ces deux documents, Nathalie désignée dans la procuration et liquidatrice suivant les termes du testament de 1998.
[15] Une fois ces deux documents signés, M. Poitras et la notaire Ouimet ont demandé à Nathalie de quitter la chambre et c’est alors que M. Poitras a informé la notaire qu’il entendait apporter des changements à son testament et que, plus particulièrement, il désirait enlever comme héritier son frère Gaston qui était, selon ses dires, « riche à craquer », et sa sœur Françoise qui, vu son âge, n’avait besoin d’aucun montant.
[16] Le 4 août 2008, la notaire Ouimet s’est présentée de nouveau à l’hôpital pour rencontrer le défunt afin d’obtenir ses instructions précises relativement aux modifications qu’il entendait apporter à son testament de 1998.
[17] Tout en conservant Gaston et Françoise à titre d’héritiers contrairement à ce qu’il avait indiqué à la notaire le 14 juillet, il lui confirma qu’il désirait modifier certains legs plus particulièrement à ses nièces, auxquelles il était tout particulièrement attaché, et ajouter deux neveux, les enfants de Normand qui l’avait prédécédé. Cette rencontre du 4 août aurait duré, suivant la notaire, environ 45 minutes et elle a souligné au Tribunal que M. Poitras désirait signer son testament le plus rapidement possible.
[18] Malgré ce désir clairement exprimé, ce n’est que le 11 août que la notaire est retournée à l’hôpital pour revoir en détails chacune des clauses du testament et obtenir sa signature.
[19] Bien qu’il n’ait pu réintégrer sa résidence durant toute la période d’hospitalisation, entre le 30 juin et le 17 août 2008, le défunt a bénéficié de plusieurs congés de fin de semaine, y compris un dernier congé, le samedi 16 août. C’est ainsi qu’il a pu vérifier la pose de l’asphalte dans son entrée par son voisin, un événement qu’il attendait depuis longtemps et dont il avait fait mention au personnel de l’hôpital durant son hospitalisation
LA PREUVE
[20] À l’appui de la requête, les demandeurs ont déposé dans le dossier de la cour tout le dossier médical du défunt (P-1), de 2006 jusqu’à son décès en août 2008, les résultats obtenus par Mme Malenfant chargée de procéder à l’évaluation du défunt et qui n’a pu compléter son mandat avant le décès, ainsi que le résultat de deux tests effectués lors de son séjour à l’hôpital.
[21] Ont été entendus comme témoins en demande, Mme Richard, travailleuse sociale, la docteure Rodriguez, médecin généraliste dont la pratique est principalement orientée vers la gériatrie et qui s’est occupée de M. Poitras lors de son hospitalisation, Mme Monique Vallée, nièce du défunt, ainsi que la Dre Micheline Favreau, neuropsychologue à titre d’expert en demande pour évaluer la perte globale d’autonomie de M. Poitras et ses fonctions cognitives lors de la signature de son testament le 11 août 2008. A également été entendue en contre-preuve, la sœur du défunt, Mme Françoise Bélanger.
[22] D’autre part, la défense repose sur les témoignages de la notaire Louise Ouimet qui a reçu le testament du défunt, le 11 août, ainsi que sur le témoignage des deux nièces, Marie-Josée et Nathalie, de leur mère et sœur du défunt, Juliette, ainsi que sur le témoignage de l’expert, M. François Crépeau neuropsychologue appelé à préparer une contre-expertise concluant à la capacité du défunt de signer un testament modifiant les termes de son testament antérieur de 1998.
LES TÉMOIGNAGES EN DEMANDE
➢ Premier témoin : Jennyfer Richard
[23] Mme Jennyfer Richard, travailleuse sociale responsable du maintien à domicile, a rencontré M. Poitras à quatre reprises à son domicile avant son hospitalisation en 2008.
[24] Mme Richard a souligné au Tribunal que le défunt avait une mémoire défaillante et elle a tout particulièrement insisté sur le fait que M. Poitras ne prenait pas sa médication régulièrement bien qu’il ait été très bien orienté dans le temps. Elle a également suggéré que M. Poitras pourrait être aidé par un tiers pour les aspects financiers et elle a fortement recommandé une évaluation en gériatrie, évaluation qui a été acceptée au cours de son hospitalisation et qui était en voie d’exécution lors de son décès.
[25] Autre que pour une prise de médication inadéquate, le témoin n’a pu souligner au Tribunal aucun fait particulier permettant au Tribunal de conclure que le défunt était confus et incapable de tester et de s’occuper de ses biens. Elle a malgré tout noté à son dossier à plusieurs reprises qu’il serait inopportun pour M. Poitras de signer quelque document légal que ce soit avant qu’une évaluation appropriée soit complétée.
➢ Second témoin, la Dre Rodriguez
[26] La Dre Rodriguez qui a vu le défunt au cours de son hospitalisation, a soumis ce dernier à deux tests cognitifs pour lesquels le défunt a obtenu un résultat normal dans le premier, et sous la norme dans le second. Tout au cours de cette hospitalisation, la Dre Rodriguez a émis des doutes sur la capacité de tester de M. Poitras et elle a noté dans le dossier qu’il était préférable qu’il ne signe aucun document légal avant que son évaluation n’ait été complétée.
[27] À une question du Tribunal, la Dre Rodriguez a indiqué que le défunt était atteint d’une démence moyenne. Elle a également noté qu’il était fort probable qu’il ne pourrait réintégrer son domicile sans pouvoir spécifier le degré d’incapacité et la nature des mesures de protection qui devraient être mises en place pour remédier à ses déficiences.
➢ Troisième témoin en demande : Mme Monique Vallée
[28] Mme Monique Vallée, nièce du défendeur, n’a pu relater au Tribunal qu’un incident fort mineur où, lors d’une visite à l’hôpital, M. Poitras n’aurait pu déterminer de façon précise duquel de ses frères et sœur elle était la fille.
➢ Quatrième témoin, en contre-preuve : Françoise Bélanger
[29] Cette dernière n’a témoigné que sur certaines transactions relativement au transfert de la terre familiale et sur ses démarches pour obtenir une copie du testament de 1998 après le décès de son frère. Ce dernier témoin n’a été appelé que pour contredire ou expliquer certaines allégations faites en défense sur des aspects très secondaires du dossier. Le Tribunal se permet d’indiquer que le témoignage de Mme Bélanger n’affecte d’aucune façon la crédibilité des témoins appelés en défense.
➢ Principal témoin en demande : Dre Micheline Favreau, neuropsychologue
[30] La preuve en demande repose essentiellement sur le témoignage de l’expert, Mme Favreau, qui conclut après une analyse du dossier médical, du résultat des tests obtenus et des notes prises par Mme Malenfant appelée à évaluer le défunt lors de son transfert en gériatrie, que M. Poitras, même avec un réseau social adéquat, ne pouvait gérer ni sa vie ni ses biens. Elle conclut qu’il n’avait pas la capacité légale pour tester le 11 août 2008.
[31] Se référant plus particulièrement aux pourcentages indiqués dans le testament du défunt en date du 11 août, Mme Favreau insiste sur le fait que le défunt n’avait pas la capacité requise pour saisir la notion de pourcentages et pour changer certaines clauses de son testament en conséquence.
[32] En contre-preuve, Mme Favreau a particulièrement insisté sur les différences entre son expertise et celle de M. Crépeau et elle a tenté de répondre aux principales critiques qui lui ont été adressées par l’expert en défense, tout en omettant de commenter les témoignages factuels et des plus crédibles rendus par Marie-Josée et Nathalie et auxquels le Tribunal entend accorder une grande crédibilité, ainsi que le témoignage de la notaire qui a reçu le testament du défunt et qui a été en mesure d’apprécier son état, en juillet et août 2008, et qui revêt une grande importance dans l’issue du présent litige.
LES TÉMOIGNAGES EN DÉFENSE
[33] Tel que déjà souligné, la défense repose sur le témoignage de Marie-Josée et de Nathalie, nièces du défunt et qui le côtoyaient régulièrement, sur le témoignage de leur mère Juliette, sur le témoignage de la notaire Ouimet ainsi que sur l’expertise et le témoignage de l’expert François Crépeau.
➢ Premier témoin : Marie-Josée Turcotte
[34] Marie-Josée, nièce du défunt, a côtoyé M. Poitras tout au long de sa vie. Régulièrement dès son retour à la maison après son travail, elle arrêtait chez son oncle pour s’assurer qu’il n’avait besoin de rien et qu’il prenait une médication à laquelle il croyait plus ou moins. Elle a souligné au Tribunal qu’en mai, le défunt avait préparé son jardin où d’ailleurs il était tombé, chute qui serait à l’origine de son hospitalisation en juin suivant. Elle a rendu visite à son oncle régulièrement lors de son hospitalisation et sa dernière visite a été en date du 15 août, deux jours avant son décès.
[35] Marie-Josée a insisté sur le fait que son oncle était un homme très discret et qu’il avait conservé sa personnalité tout au cours de l’année précédant son hospitalisation ainsi que durant la période durant laquelle il a été hospitalisé. Il a été, dit-elle, normal jusqu’à la fin. Bien sûr, le défunt était plus lent, pouvait avoir certaines pertes de mémoire, mais aucun fait ne permet de conclure qu’il n’avait pas la capacité de tester le 11 août 2008.
[36] Marie-Josée a expliqué également pourquoi son oncle avait fait mention de la pose d’asphalte dans la cour de sa résidence au personnel infirmier, un incident sur lequel le personnel et l’expert en demande ont insisté pour souligner la perte de contact avec la réalité de la part de M. Poitras.
[37] Depuis longtemps, selon Marie-Josée, son oncle insistait pour que le voisin recouvre sa cour d’asphalte et ces travaux se sont exécutés alors qu’il était hospitalisé, d’où son fort désir d’aller constater le résultat de travaux longuement anticipés lors d’un congé, et la mention qu’il en a faite au personnel de l’hôpital.
➢ Le second témoin en défense : Juliette Poitras, sœur du défunt
[38] Cette dernière s’est occupée de son frère jusqu’à l’ultime limite. Elle l’a aidé durant 40 ans à faire son ménage, ses commissions et ses menus travaux à partir du moment où il a perdu son bras droit, il y a plus de 40 ans. Juliette n’a noté aucun changement important dans la personnalité de son frère jusqu’à son décès, et elle ne lui connaît d’autre maladie qu’un diabète très avancé pour lequel une médication adéquate lui avait été prescrite, médication qui était prise, suivant l’ensemble des témoignages, plus ou moins régulièrement.
➢ Le troisième témoin : Nathalie Poitras, nièce du défunt
[39] Nathalie était la personne de confiance du défunt. Le défunt avait un attachement tout à fait particulier pour sa nièce, comptable de formation, mère de deux enfants et dont l’époux était décédé en 2005.
[40] Désignée comme liquidatrice dans les deux testaments, celui de 1998 et celui de 2008, elle était également la mandataire désignée dans la procuration signée en juillet, lors de l’hospitalisation. C’est elle qui s’est occupée des affaires et des impôts du défunt pendant de nombreuses années, plus de dix ans, sauf pour les deux dernières années lorsque son oncle l’a informée que, suite à des pressions d’autres membres de la famille, il préférait que ses rapports d’impôts soient effectués par un tiers, bien qu’il en ait fait vérifier les résultats par Nathalie.
[41] Cette dernière a confirmé au Tribunal avoir été présente lors de la signature de l’acte de vente par le défunt, le 14 juillet 2008, ainsi que lors de la signature de la procuration, mais déclare avoir été absente de la discussion lorsqu’il s’est agi du testament. Elle a insisté sur le fait qu’elle n’a rien noté de particulier dans le comportement de M. Poitras qui aurait pu laisser croire à une perte de contact avec la réalité.
[42] Elle a souligné que son oncle était particulièrement discret et qu’il n’était pas du tout surprenant qu’il ait refusé de divulguer ses avoirs au personnel infirmier lorsque questionné sur cet aspect au cours de l’évaluation. Très au courant de ses affaires, en juin, juillet et août 2008, le défunt a insisté pour qu’elle soit présente lors de la négociation et du renouvellement d’un bail, le 9 août 2008. Il s’est également préoccupé du paiement des taxes sur certaines résidences, quelques jours avant son décès. La notaire Ouimet et Nathalie ont insisté sur le fait que, très souvent, le défunt demandait de l’aide pour, entre autres, signer des chèques ou encore préparer certains documents parce qu’il n’avait que son seul bras gauche pour exécuter de telles tâches.
[43] Bien sûr, Nathalie a reconnu que le défunt était en perte d’autonomie, pouvait à l’occasion avoir des pertes de mémoire et qu’il était probable qu’une certaine forme d’aide s’imposait sans pour autant conclure qu’il y avait perte de contact avec la réalité et impossibilité pour le défunt de saisir la portée des modifications qu’il désirait faire à son testament.
➢ Témoin suivant : l’expert François Crépeau
[44] Appelé à se prononcer sur la capacité du défunt de signer un testament le 11 août 2008, l’expert François Crépeau a informé le Tribunal qu’il était particulièrement difficile d’apprécier la capacité d’un témoin à la simple lecture du dossier médical et des tests effectués en cours d’hospitalisation. Le Tribunal n’a aucune difficulté à épouser une telle approche.
[45] Bien sûr, le défunt était en perte d’autonomie, sa capacité pouvait être affectée de façon ponctuelle par la médication, et entre autres, par les petites doses de morphine qui lui étaient administrées pour soulager ses douleurs, mais de là à conclure à une incapacité absolue de tester, c’est une conclusion à laquelle il ne peut souscrire. Le Dr Crépeau note qu’il n’y a aucun acte incohérent, aucun incident d’ordre cognitif attribué au défunt en cours d’hospitalisation et qu’il y a très peu de précisions sur les troubles cognitifs éprouvés par M. Poitras. Il n’y a eu non plus aucune décision financière mal avisée, aucune libéralité, et ce, même si l’hôpital considérait le patient comme vulnérable.
[46] Bien que M. Poitras ait eu certaines difficultés cognitives, il avait, selon le Dr Crépeau, toute la lucidité requise pour apporter les modifications à son testament. Il note dans les nouvelles dispositions du testament un grand souci d’équité de la part du testateur pour l’ensemble de ses héritiers, ainsi que l’absence de toute influence extérieure. Sans pour autant revoir de façon globale chacune des clauses de son testament antérieur pour retrancher certains héritiers au profit d’autres, les modifications apportées par M. Poitras sont, somme toute, mineures par rapport à son testament de 1998.
[47] Appelé à commenter l’expertise et le témoignage de la Dre Favreau, le Dr Crépeau insiste sur l’absence de nuances, sur le fait qu’elle ne fait ressortir que les aspects négatifs du dossier, sur le fait qu’il s’agit d’une expertise beaucoup plus théorique que factuelle, opinion qui est également partagée par le Tribunal à la lumière de l’ensemble des témoignages rendus dans le présent dossier.
➢ Le témoin suivant : Me Louise Ouimet
[48] Il y a enfin le témoignage de la notaire Ouimet, mise en cause dans le présent dossier, et qui a reçu les deux testaments exécutés par le défunt, celui de 1998 que les demandeurs voudraient voir prévaloir, et celui du 11 août 2008, contesté par ces derniers.
[49] La notaire Ouimet connaissait le défunt depuis 18 ans. C’était un client régulier, prêteur hypothécaire important et elle le rencontrait pratiquement à tous les mois lorsqu’il allait chercher ses chèques en remboursement des prêts consentis. Plus particulièrement depuis 2000, elle lui a prodigué de nombreux conseils pour ses placements, suite à la reprise d’un immeuble pour cause de défaut de paiement.
[50] Il est vrai qu’au cours des deux dernières années, les rencontres ont été un peu moins fréquentes puisque c’était très souvent la sœur du défunt qui se rendait au bureau de la notaire pour récupérer les chèques, sans qu’il y ait pour autant perte de contact entre elle et M. Poitras qu’elle décrit comme étant un homme d’affaires bien au courant de ses avoirs, des échéances et du suivi régulier qu’il devait y apporter pour ne pas avoir de mauvaises surprises.
[51] La notaire Ouimet a également décrit le défunt comme un homme timide, introverti, parlant peu et peu enclin à se confier. Lors de ses rencontres en juillet et août 2008, la notaire Ouimet n’a noté aucun changement particulier chez le défunt sauf une certaine lenteur à se déplacer et un niveau de fatigue plus élevé.
[52] La notaire Ouimet a confirmé au Tribunal que le défunt avait beaucoup de difficulté pour signer des chèques vu l’absence de son bras droit et régulièrement, il lui demandait de préparer le document pour qu’il n’ait que sa signature à y apposer. Relativement au nouveau testament, la notaire Ouimet a témoigné à l’effet qu’il ne s’agissait pas d’une décision subite de la part de M. Poitras et qu’il avait exprimé le désir d’apporter des changements à son testament de 1998 depuis plus de deux ans. Selon les dires de Me Ouimet, il désirait favoriser un peu plus sa nièce Nathalie avec qui il avait une relation privilégiée, d’autant plus qu’elle était veuve et mère de deux jeunes enfants.
[53] La notaire n’a noté aucune incohérence dans le discours du défunt et elle a relaté l’ensemble des circonstances entourant la vente de la propriété en juillet ainsi que la signature d’une procuration en faveur de Nathalie.
[54] Pour le testament, tel que déjà mentionné, c’est après la signature de la procuration le 14 juillet 2008, alors que seuls étaient présents le défunt et la notaire, que M. Poitras lui a fait part de ses intentions de signer un nouveau testament excluant cette fois son frère Gaston et sa sœur Françoise. La notaire lui aurait suggéré de bien réfléchir avant d’exclure de façon formelle certains héritiers.
[55] Elle a réitéré au Tribunal que M. Poitras était bien au courant de ses avoirs et c’est en fonction de sa fortune qu’il aurait déterminé la part qu’il voulait laisser à chacun. À la rencontre du 4 août, M. Poitras a exprimé à la notaire ses intentions précises relativement au montant qu’il voulait léguer, entre autres à Nathalie, et c’est en fonction de ces montants que la notaire aurait traduit en pourcentages dans le projet final la portion attribuée à chacun des héritiers.
[56] Lorsqu’il a été question du montant total qu’il léguerait à ses héritiers, la notaire a bien indiqué au Tribunal que c’est le défunt lui-même qui l’a corrigée et qui lui a fait part que la somme totale s’élevait à un peu plus de 1 500 000 $.
[57] Lorsque la notaire s’est rendue à l’hôpital pour la signature du testament le 11 août 2008, M. Poitras n’était pas dans sa chambre. Elle l’a plutôt localisé dans le salon où il était en discussion avec d’autres patients. Une fois retournés à la chambre, la notaire a de nouveau expliqué à M. Poitras chacune des clauses du testament et le fait qu’elle ait traduit en pourcentages les montants qu’il voulait laisser à chacun. En aucun moment, elle ne s’est douté que le défunt n’avait pas la capacité requise pour tester. M. Poitras était, selon ses dires, très lucide et en pleine possession de ses facultés. La signature a été suivie d’une discussion informelle sur sa propre famille et sur celle de la notaire, tout comme ils le faisaient lorsqu’il la rencontrait à son bureau.
[58] En aucun moment la notaire n’a été informée par le personnel de l’hôpital que le patient n’était peut-être pas en état ou encore n’avait pas la capacité de signer un document tel un testament. La notaire a jugé important d’insister sur le fait que, bien qu’il se fût agi d’un nouveau testament, celui-ci reprenait dans les grandes lignes le testament de 1998, sauf pour la part qu’il désirait modifier à l’égard de certains héritiers tels que sa sœur Juliette et sa nièce Nathalie, en plus d’ajouter deux neveux, fils d’un frère prédécédé.
LES MOTIFS
[59] Il a été admis de part et d’autre en début d’audience que le présent litige ne porte que sur la capacité de tester du défunt Guy-Rolland Poitras et qu’il n’y a eu aucune pression, influence ou captation de la part de qui que ce soit pour que ce dernier modifie de quelque façon que ce soit son testament.
[60] Toute la preuve en demande ne repose que sur le dossier médical du défunt et sur l’appréciation de ce dossier par le témoin expert, la neuropsychologue, la Dre Micheline Favreau, alors qu’en défense l’expertise du Dr François Crépeau est appuyée par des témoignages fort importants tels celui de la notaire Ouimet et des deux nièces du défunt, Marie-Josée et Nathalie.
[61] Citant la juge Mailhot de la cour d’appel dans la cause de Bertrand c. Opération Enfant Soleil[2], laquelle écrit :
« L'analyse
42 En matière de capacité de tester, le principe cardinal est que le fardeau de prouver l'incapacité incombe au plaideur qui demande la nullité de l'acte puisque chacun est présumé être sain d'esprit. Ainsi, au stade initial, la partie qui requiert l'annulation du testament doit mettre en doute, de façon générale, la capacité de tester : “Il suffirait à ce stade, de prouver l'existence d'un état habituel d'aliénation ou de faiblesse d'esprit. Faute de prouver l'état habituel d'insanité, le recours en annulation du testament échouera et la validité de celui-ci sera reconnue”.
43 Si cette capacité est sérieusement mise en doute par une preuve prima facie, le fardeau de la preuve se déplace sur celui qui prétend à la validité de l'acte. Il reviendra alors à ce dernier de démontrer la capacité de tester lors de la confection du testament. Bien que cela puisse s'avérer un exercice ardu, il faudra démontrer un intervalle de lucidité, même dans une situation générale d'affaiblissement mental. Ainsi, une contre-preuve convaincante amènera la validité du testament.
44 En l'espèce, le juge de première instance s'appuie sur les témoignages du psychiatre Guy Pomerleau et de la notaire Sansoucy pour conclure à la capacité du testateur au moment de la signature du testament. »
le procureur des demandeurs a fortement insisté sur le renversement du fardeau de preuve, le dossier médical et l’expertise de la Dre Favreau établissant de façon prima facie l’incapacité de tester du défunt.
[62] L’expertise de la Dre Favreau conclut de la façon suivante[3] :
« Opinion clinique
La lecture du dossier médical démontre qu’entre le 30 juin 2008 et son décès, le 17 août 2008, monsieur Poitras était inapte à gérer ses biens et sa personne. Même si la première notion d’une inaptitude n’est portée au dossier que deux semaines après son admission du 30 juin 2008, il faut comprendre qu’à compter de cette date, aucun événement médical n’est survenu (ex. : accident vasculaire cérébral) pour laisser croire à une détérioration soudaine.
En effet, entre le 30 juin 2008 et son décès, sa condition cognitivo-comportementale était stable avec désorientation relativement aux informations personnelles, confusion, syndrome amnésique sévère avec effet d’oubli à mesure, atteinte des fonctions exécutives incluant des facultés de conceptualisation et de planification, déficits du langage réceptif et expressif, d’attention et de compréhension, manque de jugement et négation de toute lacune pouvant l’empêcher de gérer sa personne et ses biens. D’ailleurs, les résultats neuropsychologiques qu’il a obtenus le 13 août 2008 ont confirmé une atteinte cognitivo-neurocomportementale sévère compatible avec un syndrome démentiel.
Lorsque monsieur Poitras a signé des documents notariés les 14 et 15 juillet ainsi que le 11 août 2008, il a pu affirmer qu’il était apte, mais il faut comprendre que l’anosognosie secondaire à la démence l’empêchait de s’auto-évaluer correctement. D’ailleurs, en dépit de l’opinion maintes fois exprimée des professionnels, il s’est toujours dit capable de vivre seul et de conduire alors qu’il ne l’était plus. Lorsqu’il a rencontré la notaire Ouimet, les intervenants l’avaient informé qu’Il devait attendre la fin des évaluations avant de signer des documents légaux. La travailleuse sociale avait inscrit au dossier que sa condition justifiait un régime de protection. Le médecin traitant avait également écrit que monsieur Poitras ne pouvait pas signer de documents légaux. »
[63] Pour conclure ainsi, la Dre Favreau retient l’opinion de la travailleuse sociale qui a inscrit au dossier que M. Poitras aurait sans doute besoin d’un régime de protection et sur la mention par le médecin traitant que M. Poitras ne pouvait signer de documents légaux et qu’il était atteint de démence. Pourtant, ces deux personnes appelées comme témoins lors de l’enquête ont souligné au Tribunal que le régime de protection approprié n’avait pu être déterminé de façon précise avant le décès et que la mention au dossier à l’effet qu’il ne pouvait signer de documents légaux n’était qu’une suggestion et une mesure de précaution avant que l’évaluation ne soit complétée.
[64] L’opinion de la Dre Favreau fait également état de désorientation relativement aux informations personnelles, de confusion, de syndrome amnésique sévère avec effet d’oubli, de manque d’attention et de compréhension, ainsi que de manque de jugement et de négation de toute lacune pouvant l’empêcher de gérer sa personne et ses biens.
[65] De telles affirmations ont été écrites par la Dre Favreau à la simple lecture du dossier médical, et ce, sans qu’elle n’ait jamais rencontré le défunt, et alors qu’elle connaissait peu ou pas ses aptitudes cognitives avant son hospitalisation, son degré d’instruction et l’évolution de ses capacités cognitives et intellectuelles au cours des deux ans précédant son hospitalisation.
[66] Plusieurs attitudes ou remarques qui ont pu sembler étranges au personnel hospitalier et notées dans le dossier médical (telles que l’asphalte) ont été expliquées par plusieurs témoins qui connaissaient très bien le défunt et il est pour le moins surprenant que la Dre Favreau n’en ait pas tenu compte lors de son témoignage.
[67] Le Tribunal souscrit aux propos du Dr Cépeau lorsqu’il analyse l’expertise de la Dre Favreau et voulant qu’il s’agisse d’une expertise beaucoup plus théorique que pratique, sans aucune référence avec la preuve présentée dans le présent dossier. La Dre Favreau ne retient que les aspects négatifs du dossier médical sans relever de quelque façon que ce soit les points positifs pouvant permettre de conclure à la capacité de tester plutôt qu’à l’incapacité.
[68] Il n’y a de la part de la Dre Favreau aucun commentaire sur le témoignage rendu par Me Ouimet, un témoignage fort important dans la présente cause, et il y a similitude entre le présent dossier et la cause Maloney c. Falardeau [4] où le juge Lebel, alors à la Cour d’appel, écrivait :
« 31 Les intimés ont certes réussi à mettre en doute la capacité du testateur de faire un testament valide pendant la période en litige. En ce sens, la preuve qu'ils ont présenté créait une présomption de fait de son incapacité. Elle n'excluait pas cependant la possibilité d'intervalles de lucidité. Il appartenait alors aux appelants de prover ceux-ci.
32 Le sort de leur cause dépendant principalement du témoignage de l'avocat chargé de la rédaction du testament, Me Gordon Henderson, c.r. Il témoigna seul de l'état de Maloney la journée même de la passation du testament, le 7 juillet 1980. A moins de mettre de côte totalement ce témoignage, il faut conclure à la validité du testament. En effet, la relation des circonstances de la signature du testament confirme que le testateur connaissait la nature de ses actes. Me Henderson lui a exposé les termes du testament. Ils les ont discutés. Cette discussion s'est déroulée de façon détaillée, le testateur a même effectué des changements de dernière minute à son testament. (Voir m.a. vol .4, p.181 à 183). Ce comportement écarte la possibilité que ce jour en particulier, le testateur ait été incapable de comprendre la nature et les effets des actes qu'il posait. Au contraire, la teneur du testament correspondait, selon toute apparence, à ses décisions personnelles. Me Henderson, avocat chargé de mettre en forme légale cette volonté, se devait d'y donner suite dans l'exécution de son mandat comme il l'a fait . »
[69] À l’expertise de la Dre Favreau, le Tribunal préfère l’expertise du Dr Crépeau qui, tout en reconnaissant une diminution de la capacité cognitive du défunt, conclut à l’effet que le défunt avait la capacité d’apporter à son testament les changements que l’on retrouve dans la version 2008 de son nouveau testament.
[70] S’appuyant sur quatre considérations importantes, soit :
1 - Le peu de faits vérifiés montrant un manque de jugement ou d’actions inadéquates dans son domaine spécifique d’intérêt, c’est-à-dire la gestion de ses affaires;
2 - L’existence d’une assistance humaine pour exercer son aptitude à tester;
3 - Le changement relativement mineur fait au testament impliquant un acte cognitif moins élaboré que la constitution première d’un testament;
4 - Les fluctuations du fonctionnement cognitif de M. Poitras empêchant de formuler une opinion générale et définitive sur sa condition;
le Dr Crépeau conclut son opinion de la façon suivante :
« L’ensemble des observations recueillies dans ce dossier complexe nous amène à conclure que M. Poitras était probablement apte à réviser son testament le 11 août 2008. Son aptitude était cependant dépendante d’une aide compensatoire pour pallier ses difficultés cognitives en voie d’installation. Cette aide compensatoire prenait la forme d’un support matériel (e.g., l’existence d’un précédent testament) et d’une assistance humaine (e.g., la notaire travaillant dans l’intérêt de son client). »[5]
[71] Le Tribunal accorde grande importance et crédibilité aux témoignages des deux nièces Marie-Josée et Nathalie ainsi qu’au témoignage rendu par la notaire Ouimet, trois témoins qui ont très bien connu le défunt et qui, sans être des experts, étaient en mesure d’apprécier l’évolution de ses facultés cognitives et intellectuelles et qui n’ont noté aucun changement important immédiatement avant ou lors de l’hospitalisation.
[72] Rien au dossier médical ni aux notes lors de l’hospitalisation indique que M. Poitras, le 14 juillet ainsi que les 4 et 11 août, était désorienté ou confus!
[73] Il est pour le moins étrange que la demande n’ait pu établir aucun incident avant ou lors de l’hospitalisation pouvant permettre au Tribunal de conclure à une perte de capacité et à un état de confusion tels que M. Poitras comprenait peu ou pas la portée de ses gestes et la portée des modifications qu’il entendait apporter à son testament. Bien au contraire et suivant la prépondérance de la preuve, il savait très bien ce qu’il faisait lorsqu’il a requis la notaire Ouimet de préparer un nouveau testament pour favoriser différemment certains héritiers et lorsqu’il l’a signé.
[74] Dans les conclusions de son expertise, la Dre Favreau nous dit que pour être capable de tester, selon le « New Harvard Guide to Psychiatry », un individu doit rencontrer les critères suivants :
1. identifier, sans indice, et retenir la nature exacte et la valeur des biens dont il veut disposer;
2. connaître la nature exacte du geste légal qu’il pose;
3. connaître le nom et l’identité des personnes qu’il veut avantager;
4. pouvoir décrire avec précision la nature de leurs relations;
5. se rappeler avec exactitude les décisions qu’il a prises;
6. posséder suffisamment de lucidité et de mémoire pour comprendre les faits ci-haut mentionnés;
7. posséder suffisamment de lucidité et de mémoire pour apprécier le lien entre les événements.
et elle conclut ainsi :
« Or, les données portées au dossier médical laissent voir de manière non équivoque qu’entre le 30 juin 2008 et le 17 août 2008, les nombreux et sévères déficits cognitivo-comportementaux de monsieur Poitras l’empêchaient de rencontrer ces critères. »[6]
[75] Reprenant chacun de ces critères, le Tribunal se permet les commentaires suivants. Premièrement, « identifier, sans indice, et retenir la nature exacte et la valeur des biens dont il veut disposer » : M. Poitras n’a eu aucune difficulté à identifier l’étendue de sa fortune et il s’est même permis de corriger la notaire. C’est en fonction des biens qu’il détenait qu’il a déterminé la part qui devait revenir à chacun et qui a été par la suite transposée en pourcentages par la notaire Ouimet. Ses réticences à divulguer ses biens au personnel hospitalier s’expliquent aisément par son tempérament fermé et discret, et jusqu’au dernier moment il a été en mesure même de renégocier un bail et de s’assurer du paiement des taxes municipales sur certains des immeubles dont il était propriétaire.
[76] Deuxièmement, « connaître la nature exacte du geste légal qu’il pose » : la réponse à ce critère est également positive; c’est le défunt qui a requis la notaire de préparer un nouveau testament comme il en avait d’ailleurs mentionné son intention depuis plus de deux ans.
[77] Troisièmement et quatrièmement, « connaître le nom et l’identité des personnes qu’il veut avantager et la nature de leurs relations » : la réponse à ces critères est également affirmative et c’est précisément pour avantager une sœur et deux nièces, pour ajouter deux neveux qui n’avaient pas été inclus dans le premier testament, et pour conserver après mûre réflexion certains héritiers, un frère et une soeur, qui selon les dires de la notaire, n’avaient aucun besoin des montants qu’ils pourraient recevoir, qu’il a requis la préparation d’un nouveau testament.
[78] Cinquièmement, « se rappeler avec exactitude les décisions qu’il a prises » : la preuve révèle que même hospitalisé, le défunt a requis lui-même la notaire de se présenter à l’hôpital pour recevoir ses instructions, il a insisté pour que son testament soit signé le plus rapidement possible, et en aucun moment, semble-t-il, la décision prise n’a été remise en question.
[79] Sixièmement et septièmement, « posséder suffisamment de lucidité et de mémoire pour comprendre les faits ci-haut mentionnés » et « posséder suffisamment de lucidité et de mémoire pour apprécier le lien entre les événements » : doivent également être répondus comme l’a d’ailleurs fait la notaire Ouimet de façon affirmative puisqu’aucun des témoins n’a été en mesure de relater au Tribunal un incident ou un événement pouvant laisser croire à un manque de lucidité.
[80] Même si on accepte qu’il y a eu renversement du fardeau de la preuve à la lumière du dossier médical et des témoignages de la travailleuse sociale et de la Dr Rodriguez, la défense a démontré suivant la balance des probabilités que le défunt Guy-Rolland Poitras avait la capacité légale pour tester le 11 août 2008, qu’il appréciait la portée du geste qu’il posait, et que ce dernier testament représente ses dernières volontés.
[81] Jusqu’à son hospitalisation le 30 juin 2008, M. Poitras s’était occupé sans aucun problème et sans incident de ses affaires quotidiennes, de l’administration de son patrimoine, et ce, bien sûr dans les limites de ses capacités physiques et mentales. La preuve n’a pas révélé de détérioration importante entre le 30 juin et le 17 août, date de son décès, et sauf certaines périodes de confusion pouvant s’expliquer par une médication différente et plus régulière et un important ralentissement physique, entre autres causé par un diabète avancé, les demandeurs n’ont pu établir le bien-fondé de leur requête en déclaration de nullité du dernier testament signé le 11 août 2008.
[82] Il n’y a aucune preuve au dossier que le défunt ne savait pas ce qu’il faisait lorsqu’il a signé un mandat, un acte de vente, un renouvellement de bail, le paiement de taxes et enfin la signature d’un nouveau testament lors de son hospitalisation en juillet et août 2008. L’ensemble de la preuve est à l’effet contraire et la preuve présentée en défense permet de contrer le doute sur la capacité de tester de M. Poitras établi prima facie par les demandeurs suite au dépôt au dossier de la cour du dossier médical du défunt.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[83] REJETTE la requête introductive d’instance en annulation de testament;
[84] LE TOUT, avec dépens, incluant les frais d’expertise établis par le Tribunal à la somme de 7200,00 $.
__________________________________
JEAN GUIBAULT, J.C.S.
Me Franco Iezzoni
PATERAS & IEZZONI
Procureurs des demandeurs
Me André Roy
ROY LAPORTE
Procureurs des défendeurs
Me David Robinson
ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO
Procureurs de la mise en cause Me Louise Ouimet
Dates d’audience :
12, 13 et 14 mai 2010
[1] Pièce P-1, p. 143.
[2] 2004 CanLII 20540 (QC CA), [2004] R.J.Q. 1089, AZ-50227267.
[3] Pièce P-4, pp. 12-13.
[4] 2006 QCCS 4855 (CanLII), EYB 1986-62462.
[5] Expertise du Dr Crépeau, p.14.
[6] Pièce P-4, p. 13.