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Shrier c. Shrier, 2017 QCCS 290

no. de référence : 2017 QCCS 290

Shrier c. Shrier
2017 QCCS 290
JL4197

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL

N°:
500-17-091430-150



DATE :
2 février 2017


SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S.



Steve Shrier
Demandeur

c.

Arlene Shrier

et

Derrick blumenthal

et

La succession de feue Sylvia Shrier

Défendeurs


JUGEMENT SUR UNE DEMANDE DE REJET
(art. 51 et suiv. C.p.c.)

[1] Les défendeurs demandent le rejet d’une demande introductive d’instance modifiée, pour le motif que le recours entrepris est mal fondé en droit et prescrit.
[2] Dans l’éventualité où la demande introductive d’instance est rejetée, les défendeurs réclament le paiement de dommages-intérêts, représentant les honoraires extra judiciaires engagés, en raison du comportement blâmable de Steve.
I - mise en contexte globale

[3] Le différend qui oppose les parties dans le présent dossier prend sa source à l’ouverture de la succession de Sylvia Shrier (Sylvia[1]).
[4] Sylvia est la mère du demandeur, Steve Shrier (Steve) et de la co-défenderesse, Arlene Shrier (Arlene).
[5] Sylvia décède le 15 juin 2009, laissant un testament daté du 22 novembre 2004 par lequel elle constitue Arlene sa légataire universelle et liquidatrice. Steve quant à lui est le bénéficiaire d’un legs particulier lui accordant la somme de 10 000$.
[6] Un codicille est signé le 11 juin 2008 par lequel l’essentiel des volontés de Sylvia demeurent inchangées, mais cette dernière ajoute le nom du codéfendeur, Derek Blumenthal (Derek), à titre de coliquidateur.
[7] Le 10 novembre 2015, Steve entreprend le présent recours et réclame, entre autres choses, la communication de différents documents en lien avec la succession de sa mère ainsi que le dossier médical de cette dernière.
[8] Cette procédure est par la suite modifiée[2], mais les conclusions sont inchangées.
[9] Voici ce que Steve réclame:
ORDER Defendants Arlene Shrier and Derek Blumenthal to deliver to Plaintiff within thirty (30) days of the judgment to intervene the following documents and information in regard to the Estate Sylvia (Shrier) Schreiber:
i. List of immoveables properties (civic and cadastral addresses);
ii. Municipal evaluation, market value and-or value of sale of the immoveable property;
iii. If any immoveable have been sold, a copy(ies) of the registered Deed of Sale;
iv. List of all moveables, including furniture, paintings, art objects and leasehold improvements;
v. Insurance value, market value or value at sale of moveables;
vi. List of all bank accounts including savings accounts, chequing accounts, investments certificates, governments bonds, shares and bonds of private and public companies;
vii. Serial numbers, face amounts, due dates and value at sale, encashment or withdrawals of all items in paragraph 6 above;
viii. Value of all cash on hand at the date of death of Sylvia Shreiber;
ix. List of all jewelry and personal effects and their values;
x. All income tax declarations and filings in the name of the Estate Sylvia Shreiber to date;
xi. All expenses and vouchers for disbursements attributed to the Estate Sylvia Shreiber to date;
xii. All medical and hospital records for the Late Sylvia Shreiber, including a list of prescription medicines for the late Sylvia Shreiber and the dispensing pharmacies.
[10] Steve précise dans sa procédure que la demande de documents s’appuie sur les articles 799, 806, 820 et 1363 et suivants du Code civil du Québec[3].
[11] Ainsi, bien que Sylvia ait dispensé ses liquidateurs de faire un inventaire, Steve soutient être en droit d’obtenir les documents en question en ce qu’il n’aurait pas donné son accord à cette façon de procéder.
[12] Dans cette même foulée, Steve avance être en droit d’obtenir une reddition de compte annuelle ainsi que les comptes finaux.
II - La position des parties

[13] Au soutien de sa requête en rejet, Arlene affirme tout d’abord que Steve n’a droit à aucun des documents qu’il réclame. En effet, à titre de légataire particulier, Steve ne peut la forcer à confectionner un tel inventaire.

[14] En outre, elle affirme qu’il ne peut non plus exiger une reddition de compte annuelle, sauf s’il démontre être un légataire particulier qui n’a pas été payé. Or, en l’espèce, ce dernier a plutôt sciemment refusé le paiement de son legs.

[15] Par ailleurs, même si Steve réussit à démontrer qu’il a droit à ces documents ou à une partie de ceux-ci, son recours est prescrit en vertu de l’article 2925 C.c.Q.

[16] De son côté, Steve fait valoir que bien qu’il soit un légataire particulier, il bénéficie des mêmes droits qu’un héritier pour exiger des liquidateurs qu’ils lui fournissent les documents.

[17] Enfin, il plaide que son recours ne se prescrit pas (art. 2907 C.c.Q). Et, à tout événement, il ajoute que la prescription (art. 806 ou 2925 C.c.Q.) n’est pas acquise puisqu’il faut la calculer à partir de la décharge des liquidateurs, et ces derniers n’ont toujours rien publié à cet effet.

III - Questions en litige

[18] Afin de pouvoir trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
1. Arlene a-t-elle fait la preuve que le recours de Steve est mal fondé en droit pour conclure à son rejet, à ce stade-ci?
2. Le recours de Steve devrait-il être rejeté en raison du fait qu’il serait manifestement prescrit et, de ce fait, abusif?
3. Le cas échéant, a-t-elle droit à des dommages-intérêts?
IV - Analyse

1. Arlene a-t-elle fait la preuve que le recours est mal fondé en droit pour le rejeter à ce stade-ci?
le droit applicable
[19] La demande formulée par Arlene prend sa source aux articles 51 et suivants du Code de procédure civile qui reprennent essentiellement les articles 54.1 et suivants de l’ancien Code de procédure civile.
[20] On fait appel à ces articles lorsqu’il est évident qu’une demande en justice ou une procédure est abusive ou paraît l’être, sans qu’une preuve élaborée n’ait à être administrée.
[21] Comme nous l’enseigne la Cour d’appel, il faut se garder de vouloir, par l’application de ces articles, mettre fin à un litige prématurément[4].
[22] Dans un récent jugement, la juge Marie-Anne Paquette résume les règles applicables en semblable matière, ainsi[5] :
Les règles applicables à une demande de déclaration et de sanction d’abus se résument à ceci :
L’intervention du Tribunal est possible à tout moment;
La partie qui invoque l’abus doit établir sommairement que l’acte de procédure ou l’action peut constituer un abus;
Si une telle démonstration sommaire est faite, la partie contre qui la déclaration d’abus est recherchée a le fardeau de démontrer que ses gestes ou sa procédure ne sont pas excessifs ou déraisonnables et se justifient en droit;
L’abus peut exister même en l’absence de mauvaise foi;
L’abus tient d’un comportement ou d’une légèreté blâmable. Cet élément blâmable existe lorsqu’un justiciable mène ses procédures ou met de l’avant des procédures qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les mêmes circonstances, aurait conclu qu’elles étaient sans fondement et n’offraient aucune véritable chance de succès.
[23] Précisons enfin que l’article 52(2) C.p.c. édicte que l’abus peut résulter d’une demande manifestement mal fondée, et ce, sans égard à l’intention.
Discussion
l’obtention de divers documents
[24] Examinons tout d’abord si Steve peut, comme il le prétend, forcer les liquidateurs à lui fournir les documents en lien avec la succession de sa mère.

[25] Tout d’abord, ce dernier affirme être en droit d’exiger qu’on lui fournisse l’inventaire des biens faisant partie de la succession.

[26] Il fonde cette demande sur l’article 799 C.c.Q. qui se lit comme suit :

Le liquidateur ne peut être dispensé de faire inventaire que si tous les héritiers et les successibles y consentent.

[27] Bien qu’il reconnaisse être un légataire particulier, il avance que le droit à l’inventaire s’offre également à lui, puisque le législateur aurait tout simplement omis de l’inclure.

[28] Avec égard, cette interprétation ne tient pas. Au titre cinquième du Code civil du Québec traitant de la liquidation des successions, le législateur précise, dans la section II intitulée « De l’inventaire des biens », les droits et obligations du liquidateur ainsi que des droits et obligations des diverses parties intéressées par une succession.

[29] Ainsi, à l’article 797 C.c.Q. de cette même section, le législateur explique de quelle manière un inventaire peut être contesté ou révisé et y précise également à qui s’ouvre cette possibilité. Il indique à cet effet que les légataires particuliers tout comme les créanciers de la succession ont la possibilité de contester un inventaire.

[30] Cependant, le législateur a également prévu la dispense d’effectuer un tel inventaire. Cette dispense s’effectuera selon des limites rigoureuses avec des implications importantes à ceux qui la permettent[6]. Celle-ci ne peut être consentie que par les héritiers et les successibles[7].

[31] De l’avis du Tribunal, ce n’est pas une omission de la part du législateur que d’avoir exclu les créanciers de la succession et les légataires particuliers. C’est plutôt une indication claire que ce droit n’appartient qu’à un groupe limité.

[32] On ne peut, non plus, comme tente de le faire Steve, prétendre que le terme héritiers comprend le légataire particulier. Ces termes ont des définitions très distinctes.

[33] Voici d’ailleurs comment les auteurs Brière et Morin[8] s’expriment à ce sujet :

Signification des mots « héritier » et « successible » / Code civil du Québec. – Pour sa part, le Code civil du Québec systématise le vocabulaire en consacrant un sens précis aux mots « successible » et « héritier ». Le premier, qui n’est pas défini comme tel au Code, possède néanmoins un sens très précis. Le successible est la personne qui est appelée à succéder à un défunt en qualité d’héritier ab intestat, de légataire universel ou de légataire à titre universel et qui n’a pas encore exercé son option sur sa vocation ou à l’égard de qui une option de la succession ne s’est pas concrétisée. Par ailleurs, le successible qui accepte son droit à la succession devient, ainsi que le prévoit l’article 619 C.c.Q., un « héritier » rétroactivement à la date d’ouverture de la succession. À cet égard, c’est donc l’option qui constitue le point de référence majeur à partir duquel les distinctions fondamentales des qualités des personnes se cristallisent : celui appelé à la succession ab intestat ou à un legs universel ou à titre universel est, dans une première phase, considéré comme étant un « successible ». Puis, selon l’option exercée par le successible, ce dernier se muera en « héritier », s’il accepte ses droits successoraux; ou en tiers, s’il y renonce.

On remarquera, dans cette analyse des termes « successible » et « héritier », qu’il n’est jamais fait mention du légataire particulier. En effet, ce dernier acquiert, sous le Code civil du Québec, un statut résolument distinct des autres bénéficiaires successoraux : il n’est ni un successible ni un héritier, bien que le Code lui reconnaisse plusieurs droits qui appartiennent à ces derniers, notamment le droit d’option.

(références omises et soulignements ajoutés)

[34] La vocation du légataire particulier contrairement à celle du légataire universel est très restreinte. Elle ne porte que sur l’objet du legs[9].

[35] En raison de ce qui précède, et à la lumière des faits de la présente affaire, il faut conclure qu’à titre de légataire particulier, Steve ne peut forcer les liquidateurs de faire l’inventaire ou de transmettre les documents qu’il requiert.

Le droit à une reddition de compte

[36] L’article 806 C.c.Q permet à certains individus d’obtenir une reddition de compte.

Si la liquidation se prolonge au-delà d’une année, le liquidateur doit, à la fin de la première année et, par la suite, au moins une fois l’an, rendre un compte annuel de gestion aux héritiers, créanciers et légataires particuliers restés impayés.

[37] Pour pouvoir prétendre détenir un tel droit, Steve doit donc pouvoir démontrer être un légataire impayé.

[38] On sait que Steve reçoit copie du testament vers la fin de l’année 2009[10], et par une série de lettres transmises par les liquidateurs, ces derniers tentent de respecter les volontés de Sylvia en transmettant un chèque de 10 000 $ à Steve.

[39] On comprend de la teneur des correspondances que Steve n’encaisse aucun des chèques transmis, forçant même les liquidateurs à émettre de nouveaux chèques en raison de la déchéance des précédents.

[40] Dans le cadre d’un interrogatoire hors cour, Steve a reconnaît avoir reçu, à tout le moins, une des lettres accompagnée d’un chèque de 10 000$. Il reconnaît également ne pas avoir encaissé ledit chèque pour le motif qu’il ne voulait pas que l’encaissement soit perçu comme une acceptation des termes du testament[11].

[41] En aucun temps pourtant il n’attaque la validité dudit testament.

[42] L’article 806 C.c.Q vise à permettre aux légataires non payés de demeurer informés de l’évolution de la situation.

[43] Certes, la transmission de chèques ne peut, en soi, constituer un paiement libératoire, au sens littéral du terme. Cependant, en l’espèce, c’est Steve qui refuse d’encaisser le chèque laissant sous-entendre que, soit il a droit à plus d’argent en vertu dudit testament ou soit que le testament n’est pas valide. Pourtant, il demeure complètement silencieux.

[44] À la lumière de ce qui précède, il est difficile de conclure que Steve rencontre les conditions d’application de l’article 806 C.c.Q.

[45] À tout événement, en raison de ce qui suit, il n’est pas utile de pousser plus loin cette analyse.

2. Le recours de Steve devrait-il être rejeté en raison du fait qu’il serait manifestement prescrit et, de ce fait, abusif?
[46] Même si Steve arrivait à démontrer son droit, il y a lieu de conclure qu’il s’y est pris trop tard.

[47] Rappelons tout d’abord que Sylvia décède le 15 juin 2009.

[48] Des recherches sont alors entreprises pour mettre la main sur le dernier testament de cette dernière.

[49] Le 30 novembre 2009, Arlene communique les résultats de la recherche ainsi qu’une copie du testament à Steve[12] accompagnée d’un chèque de 10 000$ payable à ce dernier en paiement du legs particulier prévu audit testament. À au moins deux autres occasions, Arlene transmet de nouveaux chèques à son frère en raison du fait que les précédents n’avaient pas été encaissés dans les délais.

[50] Le 21 avril 2010, Steve confirme aux liquidateurs la réception du testament et exprime, par la même occasion, sa surprise face à son contenu[13]. De plus, comme indiqué ci-haut, lors de son interrogatoire tenu hors cour, Steve ne nie pas avoir reçu les autres chèques.

[51] Steve était donc au courant depuis le mois d’avril 2010 que le dernier testament de sa mère prévoyait qu’il était bénéficiaire d’un legs particulier et que sa sœur était la légataire universelle.

[52] Les présentes procédures sont instituées le 10 novembre 2015, soit près de 4 ans et 8 mois après les faits générateurs de son droit d’action.

[53] Steve plaide que son recours n’est pas prescrit car il est d’avis que la prescription ne court pas contre lui en raison du libellé de l’article 2907 C.c.Q. qui se lit comme suit :

La prescription ne court pas contre l’héritier, à l’égard des créances qu’il a contre la succession.

[54] Comme mentionné précédemment, le terme héritier a une portée bien précise. À cet égard, le Tribunal fait sienne l’analyse de la juge Paquette dans l’affaire Larade[14] :

[46] En effet, l’héritier est saisi de patrimoine du défunt, dont il continue la personnalité juridique. Il a donc la saisine des biens et des dettes du défunt, le tout sujet à certaines conditions et limites prévues à la loi.

[47] À la fois, l’héritier conserve le droit de réclamer le paiement des créances qu’il a contre la succession.

[48] L’héritier qui a une créance contre la succession devient donc conceptuellement, de par la saisine du patrimoine du défunt, créancier et débiteur de la même dette. Pour cette raison, la prescription ne court pas contre l’héritier pour les créances qu’il a ou allègue contre la succession.

[49] Le cas du légataire à titre particulier est différent. En effet, le légataire à titre particulier n’est pas un héritier. Il n’a pas la saisine du patrimoine du défunt. Il n’est saisi que du bien qui lui est légué et, en principe, il n’est pas tenu des obligations du défunt sur le bien légué. Le légataire à titre particulier qui a une dette contre la succession ne devient donc pas débiteur et créancier de la même dette. La suspension de la prescription, prévue à l’article 2907 C.c.Q. n’a donc pas de raison d’être à son égard. Les termes de l’article 2907 C.c.Q. sont d’ailleurs clairs. Cette disposition ne bénéficie qu’aux héritiers.
(soulignements ajoutés)

[55] L’article 2907 C.c.Q. n’est donc d’aucune utilité pour Steve.

[56] Ce dernier réfère également à l’article 816 C.c.Q. pour démontrer que son recours n’est pas prescrit.

[57] Il nous invite à conclure que le délai de prescription n’a pas encore débuté puisque la décharge du liquidateur n’a toujours pas été publiée.

[58] Tout d’abord, l’article 816 C.c.Q. ne trouve application que pour les créanciers et les légataires particuliers demeurés inconnus. Le terme « ils » du deuxième alinéa, qui précise dans quel délai le recours doit être entrepris, ne peut référer qu’aux mêmes individus du paragraphe précédent, et non, comme le suggère Steve, à tout type de légataire particulier.

[59] Cet article n’est, lui non plus, d’aucune aide pour Steve.

[60] En conséquence, le délai de prescription qui s’applique à la présente affaire est celui édicté à l’article 2925 C.c.Q. qui se lit comme suit :

L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.

[61] Le délai de prescription court dès la connaissance des faits générateurs des droits d’action.

[62] En l’espèce, dans le pire des scénarios, Steve est au courant du testament de Sylvia et de son contenu, depuis le 10 avril 2011. Et, selon toute vraisemblance, on peut facilement penser qu’il l’était depuis la transmission du testament et du certificat de recherche de testament en novembre 2010 quoiqu’il n’existe pas de preuve documentaire de la réception de cet envoi.

[63] À tout évènement, le présent recours n’a été entrepris que le 10 novembre 2015 soit au-delà du délai de prescription.

3. Le cas échéant, a-t-elle droit à des dommages-intérêts?
Le droit applicable
[64] Pour déterminer s’il y a lieu d’octroyer une réparation, l’article 54 C.p.c. établit les balises qui doivent faire l’objet d’une telle analyse.

[65] Voici ce qu’il prévoit :
Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine ou, s’agissant de la Cour d’appel, celle-ci peut alors renvoyer l’affaire au tribunal de première instance qui en était saisi pour qu’il en décide.

[66] Quatre critères doivent être considérés pour fixer le montant des dommages-intérêts:
a) la nature et la complexité de la procédure engagée;
b) les montants en litige;
c) le lien de cause à effet entre la procédure frivole et les dommages causés;
d) le temps consacré par les avocats pour obtenir justice.
DISCUSSION
[67] Arlene réclame 20 000$ en remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus pour se défendre face à la procédure de Steve.

[68] Elle produit les comptes d’honoraires de ses avocats, lesquels s’élèvent à plus que la somme réclamée[15].

[69] Elle prétend qu’elle est en droit de demander des dommages en raison du comportement blâmable de Steve.

[70] Est-ce que la situation décrite ci-haut devrait inciter le Tribunal à exercer le pouvoir que lui confère l’article 54 C.p.c. et condamner Steve à payer des dommages aux défendeurs?

[71] Il est certain que la procédure comporte des raccourcis et des raisonnements juridiques alambiqués qui ne font que miroiter l’existence d’un droit quelconque, comme le fait de laisser entendre que le testament ne pouvait être l’expression réelle des volontés de la défunte sans pour autant attaquer la validité du testament. Ou le fait de prétendre avoir droit à un inventaire sans le demander comme tel, mais en exigeant la communication de divers documents de la nature de ceux qu’on pourrait réclamer dans le cadre d’un inventaire qui n’est par ailleurs ouvert qu’aux héritiers et successibles.

[72] Steve demande également aux liquidateurs, la communication du dossier médical de sa mère alors qu’il sait fort bien que ce document n’est pas sous leur contrôle et qu’aucune conclusion ne vise l’annulation du testament.

[73] Malgré ces incohérences, jusque-là, le Tribunal pourrait conclure que le rejet de l’action à un stade préliminaire et la condamnation aux frais de justice constituent des sanctions monétaires adéquates.

[74] Cependant, dans le cas présent, il y a lieu de tenir compte d’une lettre transmise par les avocats d’Arlene à ceux de Steve expliquant les faiblesses du recours entrepris dont celles de la prescription. Malgré cela, et dans le but d’éviter d’autres frais, Arlene offre à nouveau à son frère, sans préjudice, de lui payer le legs particulier afin de régler le tout rapidement[16].

[75] Or, Steve refuse d’encaisser le chèque et choisit plutôt de faire perdurer le processus et ainsi obliger la tenue d’un interrogatoire hors cour et la présentation de la présente demande.

[76] À cet égard, il y a lieu de reprendre certaines réponses fournies par Steve lors dudit interrogatoire pour saisir la témérité de sa demande.

[77] Voici l’extrait[17] dans lequel Steve explique les raisons du retard à entreprendre la présente procédure :

8 Q- Okay. Why did you wait so long to ask for
9 documents pertaining to the Estate?
10 A- There is no time like the present.
11 Q- What does that mean?
12 A- I had other things in my life I had to take care
13 of first.
14 Q- Okay.
15 A- The time was right, now it’s time to do it.
16 Q- Seven (7) years later the time is right?
17 A- That’s right.
18 Q- No other reason?
19 A- No.
[78] Puis, voici l’extrait[18] traitant de la demande du dossier médical de sa mère:

19 Q- Okay. Why are you asking for your mother’s
20 A- medical file?
21 A- Why am I asking? Why shouldn’t I have them?
22 Q- Is that the only reason why you’re asking for
23 them?
24 A- Medical reasons, too.
25 Q- What do you mean?
1 A- Family history.
2 Q- You want to know your family medical history?
3 A- Exactly. That’s one (1) of the reasons.
4 Q- One (1) of the reasons. What are the …So, you
5 Said, “Why shouldn’t I have them?
6 A- M’hm.
7 Q- …that was your first reason. Medical reason
8 was your second reason. What else?
9 A- I want to know her state of mind.
10 Q- Okay. Why is that?
11 A- Why is that?
12 Q- Why do you want to know that?
13 A- For my own benefit.
[79] Ces deux échanges permettent de conclure que le comportement de Steve est blâmable et, il y a lieu de condamner ce dernier à payer une partie des honoraires extrajudiciaires engagés depuis l’envoi de la lettre des avocats d’Arlene[19] soit la somme de 3 000$.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[80] ACCUEILLE la demande en rejet;

[81] DÉCLARE que le recours du demandeur est abusif;

[82] REJETTE la demande modifiée du demandeur;

[83] CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 3 000$, avec intérêts au taux légal en plus de l’indemnité additionnelle conformément à la loi et ce, à compter du présent jugement;

[84] LE TOUT, avec frais de justice.









MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S.


Me Lazar Sarna
lazar sarna, avocat
Avocat du demandeur


Me Véronique Belley
services juridiques véronique belley
Avocats du défendeur

Date d’audience :
8 décembre 2016


[1] L’utilisation des prénoms ou des noms de famille vise à alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir là aucun manque de courtoisie à l’égard des personnes ainsi décrites.
[2] La demande modifiée est produite le 21 janvier 2016.
[3] Demande introductive d’instance modifiée, paragraphes 13, 14, 16 et 18.
[4] Pyrioux c. 9251-7796 Québec inc., 2016 QCCA 651 (CanLII).
[5] Larade c. Mignault (Succession de), 2016 QCCS 2106 (CanLII).
[6] G. BRIÈRE et C. MORIN, Droit des successions, 5e éd., Montréal, 2016, Wilson & Lafleur Ltée, 2016, p. 491.
[7] C.c.Q., art. 799.
[8] Précitée, note 6, par. 4 et 5.
[9] Précitée, note 6, p. 383.
[10] Pièces R-1 et P-3.
[11] Interrogatoire hors cour de Steve Shrier tenu le 13 juillet 2016, p. 45.
[12] Pièce R-1.
[13] Pièce R-3.
[14] Précitée, note 5.
[15] Pièce R-4, factures en liasse totalisant 22 381$.
[16] Pièce R-5.
[17] Pièce R-2, p. 47.
[18] Pièce R-2, pp. 50 et 51.
[19] Les honoraires extrajudiciaires depuis le 24 février 2006 s’élèvent à 10 898$.