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Gouin c. Bergeron, 2017 QCCA 8

no. de référence : 2017 QCCA 8

Gouin c. Bergeron
2017 QCCA 8
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-025496-159
(500-17-082195-143)
(T.P. : 500-07-000745-111)

DATE :
LE 10 JANVIER 2017


CORAM :
LES HONORABLES
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
PATRICK HEALY, J.C.A.


CLAUDE GOUIN ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des denturologistes du Québec
APPELANT – Requérant
c.

DANIEL BERGERON
LINDA GAUDREAULT
JOSÉ ANTONIO FLORES-PENAGOS
YESSICA BEATRIZ MARROQUIN
FABIAN GASTAN
ROBIN LAPOINTE
SOFIANE MAHROUG
MICHAEL PAVENTI
CHRISTIAN CHBAT
STÉPHANIE CARRIER
NATHALIE CHARRON
ÉRIC GAUTIER
LARRY LAPOINTE
YVES LAPOINTE
MARIE-JOSÉ THIBAULT
STÉPHANE LEROUX
ANNIE TRAHAN
ANNE BOUDREAULT
TRAN DUC DANG-KHOA
DANIEL GOUDREAU
SOPHIE DUCHESNEAU
GILLES PELLETIER
STÉPHANIE LAPIERRE
MARC PINSONNEAULT
INTIMÉS – Mis en cause
et
TRIBUNAL DES PROFESSIONS
MIS EN CAUSE - Intimé
et
CONSEIL DE DISCIPLINE DE L’ORDRE DES DENTUROLOGISTES DU QUÉBEC
MONIQUE BOUCHARD ès qualités de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des denturologistes du Québec
MIS EN CAUSE – Mis en cause


ARRÊT


[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 8 juillet 2015 par la Cour supérieure[1], district de Montréal (l’honorable Michel Yergeau — « Le juge »), qui rejette une requête en révision judiciaire de la décision du Tribunal des professions qui infirme les verdicts de culpabilité et les sanctions rendus par le Conseil de discipline de l’Ordre des denturologistes du Québec à l’encontre des intimés.
LES MOYENS D’APPEL
[2] L’appelant propose les cinq moyens d’appel suivants :
− Premier moyen : Le juge a-t-il appliqué correctement la norme de contrôle appropriée pour chaque instance?
− Deuxième moyen : Le juge a-t-il erré en droit en excluant l’expertise produite par l’expert de l’appelant?
− Troisième moyen : Le juge a-t-il erré en concluant que le Tribunal des professions a interprété l’article 5.10 du Code de déontologie conformément aux principes établis en ce domaine?
− Quatrième moyen : Le juge a-t-il erré en concluant que l’interprétation du Tribunal des professions de l’article 5.10.1 du Code de déontologie est raisonnable?
− Cinquième moyen : Le juge a-t-il erré en omettant d’appliquer la présomption de l’article 5.10.2 du Code de déontologie et la notion d’alter ego?
[3] Nous sommes d’avis que chaque moyen d’appel doit être rejeté, ce qui emporte le sort de l’appel. Voici pourquoi.
CONTEXTE
[4] Le 27 octobre 2009, le syndic de l’Ordre des denturologistes du Québec (« l’ODQ ») dépose une plainte disciplinaire identique contre chaque intimé, membre de l’ODQ, concernant la publicité diffusée par les Centres dentaires Lapointe (« CDL ») au cours des années 2007 à 2009. Deux infos-publicités composées principalement d’extraits des émissions de télévision « S.O.S. Beauté » et « Donner au suivant » animées par Chantal Lacroix sont l’objet des plaintes.
[5] Les plaintes déposées par le syndic de l’ODQ sont ainsi rédigées :
[1] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2007, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, fait ou permis que soit utilisé un témoignage d'appui ou de reconnaissance dans des déclarations ou messages publicitaires qui le concerne sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[2] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2007, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, fait ou permis que soit faite, de quelque façon que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, faisant appel à l'émotivité du public ou susceptible d'induire en erreur, sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10.1 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[3] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2007, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, posé des actes dérogatoires à l'honneur et la dignité de la profession en faisant des déclarations ou messages publicitaires sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement à l'article 59.2 du Code des professions du Québec.
[4] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2008, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, utilisé ou permis que soit utilisé un témoignage d'appui ou de reconnaissance dans des déclarations ou messages publicitaires qui le concerne sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[5] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2008, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, fait ou permis que soit faite, de quelque façon que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, faisant appel à l'émotivité du public ou susceptible d'induire en erreur, sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10.1 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[6] A, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2008, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, posé des actes dérogatoires à l'honneur et la dignité de la profession en faisant des déclarations ou messages publicitaires sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement à l'article 59.2 du Code des professions du Québec.
[7] A, entre le 1er janvier et le 27 octobre 2009, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, fait ou permis que soit utilisé un témoignage d'appui ou de reconnaissance dans des déclarations ou messages publicitaires qui le concerne sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[8] A, entre le 1er janvier et le 27 octobre 2009, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, fait ou permis que soit faite, de quelque façon que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, faisant appel à l'émotivité du public ou susceptible d'induire en erreur, sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement aux articles 5.10.1 et 5.10.2 du Code de déontologie de l'Ordre des denturologistes du Québec.
[9] A, entre le 1er janvier et le 27 octobre 2009, à Montréal et dans d'autres villes du Québec, posé des actes dérogatoires à l'honneur et la dignité de la profession en faisant des déclarations ou messages publicitaires sous l'identité « Centres dentaires Lapointe »; le tout contrairement à l'article 59.2 du Code des professions du Québec.
[6] Selon la preuve, sauf les frères Yves et Larry Lapointe, qui sont deux des fondateurs de la société CDL, les intimés ne sont aucunement parties à la création ou à la diffusion de la publicité.
[7] Tous les intimés exercent leur profession au sein des CDL à un moment ou un autre entre 2007 et 2009, sauf les frères Lapointe qui n’exercent plus, bien qu’ils soient encore membres en règle de l’ODQ.
[8] Le modèle d’entreprise des CDL diffère de la pratique dentaire plus traditionnelle en ce qu’il offre un service multidisciplinaire qui regroupe sous un même toit des hygiénistes, assistants dentaires, dentistes et denturologistes. L’infrastructure permet aux professionnels dans le domaine dentaire d’exercer leur métier sans effectuer la gestion administrative typiquement requise pour exploiter un centre dentaire. Selon la preuve, les professionnels exercent leur profession selon leurs disponibilités, communiquées à l’avance, ils ne sont ni employés ou salariés des CDL. Les honoraires pour chacun des actes exécutés sont perçus par CDL qui en conserve un pourcentage prédéterminé. La clientèle appartient à la firme et c’est via la centrale téléphonique exploitée par CDL que la prise de rendez-vous s’effectue, le patient ne connaît pas son professionnel.
HISTORIQUE DES PROCÉDURES
[9] Devant le Conseil de discipline de l’ODQ (« Conseil »), les parties ont choisi la plainte concernant monsieur Daniel Bergeron à titre de dossier-type. En l’occurrence, la preuve présentée est versée aux autres dossiers et la décision vaut pour l’ensemble des dossiers à moins d’avis contraire.
[10] Le 19 janvier 2011, le Conseil déclare monsieur Bergeron coupable des actes reprochés aux chefs 1, 2, 4, 5, 7 et 8 et ordonne l’arrêt des procédures sur les chefs 3, 6, et 9 de la plainte. La décision sur la sanction est rendue le 9 novembre 2011.
[11] Les denturologistes se pourvoient en appel, devant le Tribunal des professions (« Tribunal »), de la décision sur la culpabilité ainsi que celle sur la sanction. Le syndic interjette aussi l’appel de la décision sur la sanction.
[12] Le 14 mars 2014, le Tribunal accueille l’appel de monsieur Bergeron, infirme les décisions du Conseil et l’acquitte.
[13] Le 24 avril 2014, monsieur Claude Gouin, en sa qualité de syndic adjoint de l’ODQ, demande la révision judiciaire de la décision du Tribunal.
[14] Le 8 juillet 2015, la Cour supérieure rejette la requête en révision judiciaire présentée par monsieur Claude Gouin puisqu’elle vient à la conclusion qu’il n’y a pas matière à intervenir et à réviser la décision du Tribunal.
LE CODE DE DÉONTOLOGIE
[15] Les articles du Code de déontologie de l’Ordre des denturologistes du Québec[2] (« Code de déontologie ») au soutien des chefs retenus par le Conseil de discipline énoncent que :
5.10. Le denturologiste ne peut, dans une déclaration ou un message publicitaire, utiliser ou permettre que soit utilisé un témoignage d'appui ou de reconnaissance qui le concerne, notamment en utilisant l'attribution d'une mention, d'un mérite ou d'un titre honorifique.
5.10.1. Le denturologiste ne peut faire ou permettre que soit faite, de quelque façon que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, faisant appel à l'émotivité du public ou susceptible d'induire en erreur.
5.10.2. Tous les denturologistes qui sont associés ou qui œuvrent ensemble dans l'exercice de leur profession sont solidairement responsables du respect des règles de publicité, à moins que la publicité n'indique clairement le nom du denturologiste qui en est responsable ou que les autres denturologistes n'établissent que la publicité a été faite à leur insu, sans leur consentement et malgré les dispositions prises pour le respect de ces règles.

L’ANALYSE
Premier motif d’appel
[16] À bon droit, le juge énonce que, depuis l’arrêt Parizeau c. Barreau du Québec[3], il est reconnu que le Tribunal siège en appel de la décision d’un Conseil de discipline et que les normes en matières judiciaires s’appliquent : norme de la décision correcte quant aux questions de droit et norme de l'erreur manifeste et dominante sur les questions de fait ou les questions d'application du droit aux faits.
[17] En ce qui concerne la norme d’intervention applicable à la Cour supérieure lorsqu’elle est appelée à réviser une décision du Tribunal, le juge conclut, pour les motifs suivants, qu’il doit appliquer celle de la raisonnabilité :
[27] La norme de la raisonnabilité énoncée à l’arrêt Dunsmuir[4] de la Cour suprême s’applique non seulement aux questions de fait ou d’appréciation dont le TP était saisi, mais aussi aux questions de droit « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés »[5].
[28] La même norme est présumée s’appliquer aussi aux questions de droit lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat; la déférence est donc là-encore de mise[6], à moins d’exception[7]. Le Code de déontologie des denturologistes du Québec tombe indiscutablement dans cette catégorie compte tenu du mandat dévolu au TP par le Code des professions.
[18] Les normes déterminées par le juge sont appropriées. Quant à leur application au litige, l’analyse est effectuée au regard de chaque moyen d'appel et le juge applique correctement à chacun la norme appropriée.

Second motif d’appel
[19] Le 13 novembre 2008, avant même le dépôt des plaintes disciplinaires, le syndic consulte Me Legault afin de déterminer si la publicité diffusée contrevient aux dispositions du Code de déontologie. La demande faite par le syndic est ainsi rédigée :
[…]
Je vous demanderais d’analyser ladite publicité à savoir si elle respecte ou non le code de déontologie de notre Ordre plus précisément à l’article 2.10 du code de déontologie des denturologistes du Québec.
[…]

[20] Dans le cadre de son rapport, Me Legault conclut que les messages publicitaires contiennent des témoignages d’appui ou de reconnaissance qui font appel à l’émotivité du public, ce qui enfreint les dispositions du Code de déontologie. Voici un extrait du rapport déposé :
Vous m’avez consulté afin de déterminer si en tenant compte de mon expérience des trente (30) dernières années à titre d’avocat-conseil dans le domaine de la publicité commerciale, je considérais que les messages publicitaires que vous portiez à mon attention respectaient ou violaient les dispositions du Code de déontologie de l’Ordre des denturologistes du Québec

J’ai donc procédé à votre demande à l’analyse des messages publicitaires produits par et/ou pour le bénéfice de Centres dentaires Lapointe (ci-après : « CDL ») et ce en fonction des restrictions que l’on peut retrouver dans le Code de déontologie de l’Ordre des denturologistes du Québec et plus particulièrement celles que l’on peut retrouver aux articles 5.10 et 5.10.1.

[21] Pour l’essentiel, l’analyse effectuée est indiscutablement une opinion juridique qui empiète sur la compétence du Conseil. À ce titre, sa prise en compte dans l’appréciation de la preuve par le Conseil de discipline de l’ODQ constitue une erreur de droit qui justifie l’intervention du Tribunal des professions. D’autant plus que le Conseil, dans ses motifs, réfère expressément à ce rapport lorsqu’il conclut que la publicité contrevient aux dispositions réglementaires du Code de déontologie. Le juge a adéquatement joué son rôle en refusant d’intervenir sur ce motif.
Troisième motif d’appel
[22] Les chefs 1, 4 et 7 des plaintes reprochent aux intimés d’avoir utilisé ou permis que soit utilisé un témoignage d’appui ou de reconnaissance qui le concerne contrairement à l’article 5.10 du Code de déontologie :
5.10. Le denturologiste ne peut, dans une déclaration ou un message publicitaire, utiliser ou permettre que soit utilisé un témoignage d'appui ou de reconnaissance qui le concerne, notamment en utilisant l'attribution d'une mention, d'un mérite ou d'un titre honorifique.

[23] À la lumière de la preuve, c’est le cabinet multidisciplinaire CDL qui est visé par les témoignages d’appui de patients satisfaits de leur nouveau sourire. En l’espèce, aucun des intimés n’apparaît à l’écran, à l’exception d’Yves Lapointe qui n’est toutefois pas désigné comme denturologiste et d’Éric Gauthier qui n’est aucunement identifié. Le Tribunal renverse le verdict de culpabilité rendu par le Conseil, car les messages publicitaires ne concernent pas un denturologiste en particulier qui peut être identifié.
[24] Le Tribunal en vient à la conclusion que le Conseil a commis une erreur manifeste et dominante dans l’application du droit aux faits en ce qui concerne la culpabilité des intimés sous les chefs 1, 4 et 7. La Cour supérieure, en révision judiciaire, refuse d’intervenir, car la décision du Tribunal découle de l’interprétation qu’elle donne à l’article 5.10 du Code de déontologie et plus précisément aux mots « qui le concerne ». Ce faisant, une grande déférence doit être accordée à la conclusion du Tribunal puisque sa décision est au cœur même de sa compétence et de son expertise. En l’occurrence, la Cour supérieure reconnaît que la décision du Tribunal ne peut être qualifiée de déraisonnable puisqu’elle s’appuie sur un raisonnement clairement articulé et dont la conclusion se situe à l’intérieur des issues possibles.
[25] Nous ne voyons aucune raison d’intervenir.
Quatrième motif d’appel
[26] Les chefs 2, 5 et 8 des plaintes reprochent aux intimés de faire ou permettre de faire de la publicité fausse, trompeuse, susceptible d’induire en erreur ou qui fait appel à l’émotivité du public conformément à l’article 5.10.1 du Code de déontologie :
5.10.1. Le denturologiste ne peut faire ou permettre que soit faite, de quelque façon que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, faisant appel à l'émotivité du public ou susceptible d'induire en erreur.

[27] En l’espèce, seul l’élément d’« appel à l’émotivité du public » est en cause. Comme l’a souligné le Tribunal ainsi que le juge de la Cour supérieure, l’analyse du Conseil se limite aux paragraphes suivants :
[154] Cette publicité, tant les scènes tirées de l’émission « S.O.S. beauté » que de celles de l’info publicité, doivent être regardées et analysées dans leur ensemble.
[155] Ces publicités baignent dans l’émotivité et leur réussite est justement cette émotion dégagée par les participants consommateurs, sous une forme d’une téléréalité ayant comme personnage central Mme Lacroix.
[…]
[158] De plus, le Conseil a constaté que cette émotivité est exaltée avec succès par Mme Lacroix qui dégage un charisme saisissant.
[159] Me Legault établit dans son rapport que le témoignage publicitaire de consommateur est utilisé comme un outil de persuasion très efficace par l’industrie.
[160] Le Conseil n’a pas l’intention de reproduire les exemples dégagés par l’expertise de Me Legault, mais ceux-ci sont très explicites concernant leur appui à la firme et à ses professionnels non identifiés.
[161] Le Conseil a remarqué que les rires et les larmes sont bien présents dans plusieurs scènes, exprimant la joie et le bonheur.
[…]
[165] M. Leclerc [expert des intimés] apporte aussi une conception différente entre l’émotivité de certaines personnes et l’émotivité du public en général.
[166] Le Conseil n’a pas l’intention d’entrer dans ce débat d’une haute gymnastique intellectuelle.

[28] Le Conseil ne fournit aucun motif justifiant sa conclusion sur l’aspect « émotivité du public ». Il évacue la nuance apportée par monsieur Leclerc, l’expert des intimés, qui distingue l’émotivité de certaines personnes et celle du public en général en refusant d’entrer dans ce débat d’une « haute gymnastique intellectuelle ». Ce faisant, sa conclusion voulant que les messages publicitaires fassent appel à l’émotivité du public repose sur l’émotion ressentie par les membres du Conseil et non pas sur une preuve de la réaction du public ou sur une approche objective.
[29] Le Tribunal conclut que la décision du Conseil en regard aux chefs 2, 5 et 8 comporte une erreur manifeste et dominante, soit une appréciation incorrecte de la preuve et une interprétation erronée de la norme réglementaire. Sur cette question, le Tribunal écrit au paragraphe 79 de sa décision que la valeur protégée par l’article 5.10.1 du Code de déontologie est l’honnêteté de la publicité et le fait qu’elle soit de manière à priver une personne raisonnable de son libre arbitre :
[79] Quelle est la valeur protégée par le législateur dans cette disposition sinon l'honnêteté de la publicité? On veut clairement éviter la fausse représentation et la publicité mensongère. Il faut donc lire les termes « faisant appel à l'émotivité du public » dans l'optique d'une publicité susceptible de priver une personne de son libre arbitre.
[80] Conséquemment, la décision sur culpabilité en regard des chefs 2, 5 et 8 comporte une erreur manifeste et dominante, soit d'une part, une appréciation incorrecte de la preuve et, d'autre part, une interprétation erronée de la norme réglementaire.
[30] Le juge refuse de réviser la conclusion du Tribunal, voici ses motifs :
[80] Le TP dans sa décision conclut que le Conseil a occulté une partie de la norme déontologique en vigueur en refusant de se pencher sur le sens à donner aux mots « émotivité du public » utilisés à l’article 5.10.1 et en confondant la norme déontologique objective avec la perception que les membres du Conseil ont des publicités de CDL.
[81] Qualifier la proposition des denturologistes, qui est d’objectiver la notion de sensibilité en l’élargissant à l’ensemble du public, de « débat d’une haute gymnastique intellectuelle » ne suffit pas. C’est justement le rôle du décideur spécialisé de se détacher de ses propres émotions pour s’attacher à l’exercice intellectuel de prêter un sens aux mots choisis par l’autorité qui réglemente avant de conclure à la culpabilité du professionnel.
[82] En établissant que le syndic n’a pas offert en preuve un échantillonnage suffisamment important pour démontrer que les publicités visées par les plaintes faisaient appel à l’émotivité du public, le TP réunit à la fois une interprétation raisonnable de l’article 5.10.1 du Code de déontologie et une évaluation des faits mis en preuve pour conclure à une appréciation incorrecte de celle-ci et de là à une erreur manifeste et dominante.
[83] Ces questions sont au cœur du rôle confié par la Loi au TP. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Même si d’autres conclusions pourraient être atteintes, celle finalement retenue par le TP fait partie de celles qu’il est raisonnable de tirer compte tenu du texte de l’article 5.10.1 et des faits au dossier. Il n’y a donc pas matière à révision de la décision du TP à ce chapitre.
[31] Le juge semble tenir pour acquis, notamment au paragraphe 81, que la détermination de ce qui constitue un appel à l’émotivité du public est objective et non pas subjective. Ceci est une question mixte de droit et de faits à laquelle la norme d’une décision raisonnable s’applique à la Cour supérieure. Que la norme soit objective ou subjective est une question d’interprétation qui relève du tribunal spécialisé, mais au paragraphe 82 de ses motifs, le juge souligne avec précision que le Conseil s’est trompé et que le Tribunal avait raison d’intervenir, car il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisamment importants pour démontrer que les publicités en question faisaient appel à l’émotivité du public et qu’elles étaient de nature à priver une personne de son libre arbitre.
[32] Il n’y a pas lieu d’intervenir.
Cinquième motif d’appel
[33] Prenant en considération ce qui précède, il n’est pas nécessaire de traiter de l’article 5.10.2 Code de déontologie et de la notion d’alter ego.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[34] REJETTE l’appel;
[35] LE TOUT avec les frais de justice.




NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.





FRANCE THIBAULT, J.C.A.





PATRICK HEALY, J.C.A.

Me Jean-Claude Dubé
JEAN-CLAUDE DUBÉ, AVOCAT S.A.
Pour l’appelant

Me Gilles Poulin
GILLES POULIN AVOCAT INC.
Pour les intimés

Date d’audience :
6 décembre 2016


[1] Gouin c. Tribunal des professions, 2015 QCCS 3266 (CanLII). Permission d’appeler accordée par le juge Vauclair : Gouin c. Bergeron et al., 2015 QCCA 1609 (CanLII).
[2] RLRQ, c. D-4, r. 6.
[3] Parizeau c. Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498 (CanLII), paragr. 81-82.
[4] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII).
[5] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), paragr. 53.
[6] Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), 1995 CanLII 148 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 157; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 (CanLII).
[7] Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3 (CanLII).