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Follows c. Follows, 2012 QCCA 1128

no. de référence : 2012 QCCA 1128


Follows c. Follows
2012 QCCA 1128
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-020823-100 et 500-09-020880-100
(500-17-032468-061)

DATE :
5 JUIN 2012


CORAM :
LES HONORABLES
ALLAN R. HILTON, J.C.A.
JEAN BOUCHARD, J.C.A.
JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.


No : 500-09-020823-100

MAUREEN FOLLOWS
APPELANTE – INTIMÉE INCIDENTE – demanderesse
c.

LINDA FOLLOWS
EUGÈNE ST-GERMAIN
INTIMÉS – APPELANTS INCIDENTS – défendeurs/demandeurs en garantie
et
LARRY FOLLOWS
GERRY FOLLOWS
Mis en cause
et
NATHALIE JODOIN
MISE EN CAUSE – INTIMÉE INCIDENTE – Mise en cause/défenderesse en garantie


No : 500-09-020880-100

LINDA FOLLOWS
EUGÈNE ST-GERMAIN
APPELANTS – défendeurs/demandeurs en garantie
c.

NATHALIE JODOIN
INTIMÉE – Mise en cause/défenderesse en garantie



ARRÊT


[1] L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 11 juin 2010 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Paul Mayer), qui rejette la requête introductive d'instance en reddition de comptes, la requête en inscription de faux incident et en jugement déclaratoire des intimés, la réclamation en dommages des intimés par voie de demande reconventionnelle et qui ordonne à la succession de feu Georgette Robillard de payer les honoraires et les débours extrajudiciaires des intimés, avec dépens.

[2] Pour les motifs du juge Fournier, auxquels souscrivent les juges Hilton et Bouchard, LA COUR :

[3] REJETTE l'appel avec dépens en faveur des intimés;

[4] REJETTE l'appel incident avec dépens en faveur de l'appelante, mais sans frais quant à la mise en cause, la notaire Nathalie Jodoin.





ALLAN R. HILTON, J.C.A.





JEAN BOUCHARD, J.C.A.





JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

Me Roger Pilon
Pour Maureen Follows

Me Paul Lamarre
LAMARRE PERRON LAMBERT VINCENT
Pour Linda Follows et Eugène St-Germain

Me David Robinson
ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO
Pour Nathalie Jodoin

Date d’audience :
14 février 2012



MOTIFS DU JUGE FOURNIER


[5] Il s'agit de l'appel d'un jugement rendu le 11 juin 2010 par la Cour supérieure, district de Montréal, qui rejette la requête introductive d'instance en reddition de comptes de l'appelante, la requête en inscription de faux incident et en jugement déclaratoire des intimés, la réclamation en dommages des intimés par voie de demande reconventionnelle et qui ordonne à la succession de feu Georgette Robillard de payer les honoraires et les débours extrajudiciaires des intimés, avec dépens.

[6] Par voie d'appel incident, les intimés demandent que l'appelante soit condamnée à payer 25 000 $ de dommages et les frais judiciaires encourus pour la défense à l'encontre de l'action. Ils demandent aussi de faire supporter à l'appelante les dépens du rejet de l'inscription de faux, le cas échéant.

[7] À l'encontre de la notaire Jodoin, ils demandent que l'inscription de faux incident soit accueillie pour les frais seulement.

I. LE CONTEXTE

[8] Le litige a pour origine la liquidation de la succession de feu Georgette Robillard (Mme Robillard) décédée le 6 mai 2005. Maureen (l'appelante), Linda (l'intimée), Larry et Gerry Follows (mis en cause) sont les enfants de la défunte et ses légataires à titre universel. Les enfants de l'intimée, Krystel et Antoine, sont ses seuls petits-enfants. L'intimée est liquidatrice de la succession. Eugène St-Germain est le mari de l'intimée, le père de Krystel et d'Antoine et il est liquidateur substitut en cas de refus ou empêchement de son épouse de remplir la charge.

[9] En mars 2004, Mme Robillard prête à l'intimée et à sa petite-fille Krystel 55 272 $ pour permettre à cette dernière de terminer la construction de sa résidence. Ce prêt est constaté par une reconnaissance de dette notariée reçue par la notaire Jodoin le 8 mars 2004. Mme Robillard verse d'abord 45 272 $ puis deux montants de 5 000 $. L'intimée et Krystel s'engagent à rembourser ce prêt sur une période dix ans.

[10] Mme Robillard avait été opérée pour un cancer du côlon et avait subi des traitements de chimiothérapie à l'automne 2003.

[11] À l'été 2004, elle verse une somme additionnelle de 10 000 $ comptant à l'intimée et Krystel pour la finition du sous-sol de la résidence de cette dernière.

[12] En novembre 2004, l'intimée et Krystel commencent à rembourser le prêt. Elles versent à Mme Robillard 3 305 $ sur une période de quelques mois.

[13] En décembre 2004, Mme Robillard rechute et elle est hospitalisée.

[14] Durant son séjour à l'hôpital, Mme Robillard demande à rencontrer un certain notaire Chapleau. Comme celui-ci refuse de se rendre à l'hôpital, l'intimée téléphone à la notaire Jodoin, qui accepte de s'y rendre. Elle connaît Mme Robillard alors que c'est elle qui a reçu la reconnaissance de dette de mars 2004.

[15] En janvier 2005, la notaire Jodoin rencontre Mme Robillard seule dans sa chambre d'hôpital. Celle-ci lui demande de préparer un testament, une quittance, une procuration et un mandat en cas d'inaptitude.

[16] La notaire Jodoin témoigne ainsi de l'état de Mme Robillard à ce moment :

Madame Robillard m'a semblé vraiment, vraiment apte à signer des documents, elle était très sereine, très calme, elle savait très bien ce qu'elle voulait […] je m'attendais à voir une personne affaiblie, malade, alors que madame Robillard était habillée, elle était solide.

[17] Après sa sortie de l'hôpital, le 31 janvier 2005, Mme Robillard signe les trois actes au bureau de la notaire. À ce moment, selon la notaire Jodoin, elle est toujours sereine et déterminée. Elle semble savoir ce qu'elle fait.

[18] Le testament désigne l'intimée liquidatrice de la succession. Les quatre enfants de Mme Robillard sont légataires universels.

[19] Mme Robillard désire modifier la reconnaissance de dette et quittancer le prêt que le document constate. Le nouveau document contient le passage suivant :

La comparante [Mme Robillard] fait remise de toute somme lui demeurant due aux termes du susdit prêt, tant en capital qu'en intérêts et autres frais, à sa fille Linda Follows, mais seulement la veille du décès de la comparante. La fille de la comparante, Linda Follows, n'aura alors pas à effectuer le remboursement du résidu de cette somme ainsi prêtée à la succession de la comparante.

La présente modification à la convention devra être interprétée comme une donation à la fille de la comparante, Linda Follows, s'il devenait nécessaire.

[20] Le 10 février 2005, Mme Robillard rend à l'intimée les versements de capital et d'intérêts qu'elle a reçus. Elle lui dit qu'elle lui fait remise de la dette et la charge de gérer le montant au bénéfice de ses deux petits-enfants pour ensuite le partager de la façon suivante : 25 000 $ pour chacun des petits-enfants et 15 000 $ pour elle-même.

[21] Pour ce qui est de la procuration, les intimés s'en servent une première fois le 9 mars 2005, au moment où Mme Robillard retourne à l'hôpital. Pendant sa maladie, et jusqu'à sa mort, Mme Robillard gère ses affaires avec l'intimée et son mari.

[22] Elle décède le 6 mai 2005.

[23] L'intimée se charge de liquider la succession. Elle vend les biens de sa mère et en dresse l'inventaire. Elle rend compte de la liquidation en mars 2006. À ce moment, l'actif net de la succession est de 267 400 $, soit environ 66 000 $ pour chacun des quatre enfants.

[24] L'appelante refuse de signer la quittance qui lui est présentée quant à la liquidation de la succession. Par mise en demeure, elle demande des informations relatives à la liquidation. Elle prétend que les documents sont incomplets. Elle refuse le compte rendu par l'intimée et celle-ci lui révèle alors l'existence du prêt et de la remise de dette de 65 000 $.

[25] L'appelante dépose une requête introductive d'instance en reddition de comptes. Elle demande à la Cour supérieure d'annuler la remise de dette notariée, d'inclure la créance de 55 272 $ et le « prêt » de 10 000 $ datant de l'été 2004 dans l'actif de la succession. La notaire Jodoin et les frères Gerry et Larry sont mis en cause.

[26] Les intimés produisent une défense et une demande reconventionnelle. Ils demandent au tribunal de déclarer vexatoires les démarches de l'appelante et réclament à ce titre 25 000 $ en dommages-intérêts. De plus, ils réclament de l'appelante les honoraires et débours judiciaires occasionnés par le litige.

[27] Ils présentent aussi une requête en inscription de faux incident et en jugement déclaratoire afin de corriger la remise de dette notariée. Selon eux, la remise de dette du 31 janvier 2005 vise, non seulement l'intimée, mais aussi Krystel.

[28] En cas de condamnation, les intimés demandent, par leur action en garantie, que la notaire soit condamnée à les indemniser.

[29] Le procès a lieu les 18, 19 et 22 février 2010. Le jugement est rendu le 11 juin 2010.

II. JUGEMENT DONT APPEL

[30] Le juge de première instance formule les questions en litige de la façon suivante :

a) Est-ce que le capital et les intérêts dus aux termes du prêt et la somme additionnelle de 10 000 $ doivent être remis à la succession?

b) Les défendeurs ont-ils droit aux dommages moraux qu'ils réclament?

c) Qui doit assumer les honoraires et déboursés extrajudiciaires des défendeurs en raison des présentes procédures?

[Transcrit tel quel]

[31] Il retient de la preuve que la volonté de Mme Robillard était d'éteindre la dette de l'intimée et Krystel. Il décide qu'une telle remise de dette à titre gratuit constitue une donation indirecte. Il identifie le 10 février 2005 comme étant le moment de l'offre et de l'acception du don, lorsque Mme Robillard remet l'argent à l'intimée au bénéfice de ses petits-enfants. Il y voit un dessaisissement irrévocable de la donatrice et considère que la publication de l'acte n'est pas requise. Il conclut ainsi :

[84] Selon le Tribunal, la prépondérance de la preuve démontre que la volonté de Georgette était de renoncer à cette créance et de l’exclure de son patrimoine, de telle sorte qu'elle ne devait pas se retrouver dans les actifs de la succession.

[Transcrit tel quel]

[32] Ensuite, il décide qu'il ne s'agit pas d'une donation faite durant la maladie réputée mortelle de la donatrice, parce qu'il considère que, au moment de la remise de dette, Mme Robillard n'était pas à « un trait de la mort » et qu'elle pensait survivre.

[33] Pour la somme additionnelle de 10 000 $ versée par Mme Robillard en juin 2004, le juge retient de la preuve qu'il y a eu également remise de cette somme et qu'il n'y a pas lieu de l'inclure dans l'actif de la succession.

[34] Pour ce qui est des dommages moraux réclamés par l'intimée, il n'est pas convaincu que l'appelante a commis une faute civile et il rejette cette réclamation.

[35] Pour ce qui est des frais extrajudiciaires des intimés, il décide qu'ils sont à la charge de la succession. Il explique que le liquidateur d'une succession a droit au remboursement des frais de justice liés à l'accomplissement de sa charge et conclut que l'intimée, à titre de liquidatrice, a agi de bonne foi et qu'elle a droit à ce remboursement.

[36] Implicitement, il rejette les demandes de l'appelante et des intimés qui visaient à déclarer la conduite de l'un et de l'autre vexatoire et de faire assumer par l'autre partie le paiement des frais extrajudiciaires encourus pour le procès.

III. LES PROCÉDURES D'APPEL

[37] L'appelante inscrit en appel de plein droit. Consciente que son intérêt personnel est inférieur à 50 000 $, elle présente au juge unique une requête de bene esse pour permission d'appeler. La requête est déférée à la formation chargée d'entendre l'appel qui l'accorde séance tenante le matin de l'audition.

[38] Dans ses conclusions, l'appelante recherche les mêmes conclusions qu'en première instance.

[39] Les intimés réitèrent en appel leurs conclusions quant à une condamnation en dommages. Ils demandent aussi que l'appelante soit condamnée au paiement des honoraires extrajudiciaires et aux dépens de l'inscription de faux.

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

[40] À mon avis, le pourvoi soulève les questions suivantes :

a) La quittance du 31 janvier 2005 constitue-t-elle une donation à cause de mort ou une donation entre vifs?

b) La quittance subséquente du 10 février 2005 vient-elle remédier aux carences de la quittance notariée du 31 janvier 2005, quant à l'identité des bénéficiaires et au sort réservé au prêt additionnel de 10 000 $?

c) La conduite de l'appelante est-elle excessive au point de justifier une condamnation à des dommages?

d) L'intimée était-elle en droit de faire assumer les frais de sa défense par la succession?

[41] Les intimés comparaissent et forment un appel incident. La notaire comparaît également et demande le rejet de l'appel incident déposé à l'encontre du jugement qui rejette l'inscription de faux. Pour l'essentiel, les intimés recherchent les mêmes conclusions qu'en première instance.

V. ANALYSE

[42] Dans un premier temps, je rappelle que les actes juridiques posés par voie notariée le 31 janvier 2005 et verbalement le 10 février 2005 ne sont pas per se des donations, mais bien des quittances ou remises de dette.

[43] Pour l'acte notarié, il fait preuve de son contenu. Pour la quittance verbale, le juge a cru la version de l'intimée, vu la déclaration ante mortem de Mme Robillard qui était corroborée par le témoignage de la notaire Jodoin et d'une proche amie de la défunte et par l'intention déjà exprimée dans la quittance notariée des jours précédents.

[44] D'ailleurs, l'appelante n'attaque pas cette partie du jugement, elle prétend plutôt que, s'agissant d'une donation entre vifs, il fallait respecter les formalités prévues à l'article 1824 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[45] La quittance ou remise de dette est une institution qui est régie notamment par les articles 1687 à 1689 C.c.Q. Sous réserve des difficultés de preuve, elle n'est soumise à aucune condition de forme. De même, l'article 1811 C.c.Q. prévoit que :

1811. La donation indirecte et la donation déguisée sont régies, sauf quant à la forme, par les dispositions du présent chapitre.

[46] Les donations entre vifs ou à cause de mort sont régies par des dispositions spécifiques qui se trouvent aux articles 1806 et suivants C.c.Q. Elles sont, sauf l'exception du don manuel, soumises à des conditions de forme.

[47] Ainsi, la donation à cause de mort ne sera valide que si elle est contenue dans un contrat de mariage ou encore qu'elle puisse constituer un legs, article 1819 C.c.Q. Ce qui suppose, dans le cas du legs, qu'elle remplit les conditions de forme d'un testament.

[48] Les donations entre vifs doivent quant à elles être notariées en minute et publiées[1] :

1824. La donation d'un bien meuble ou immeuble s'effectue, à peine de nullité absolue, par acte notarié en minute; elle doit être publiée.

Il est fait exception à ces règles lorsque, s'agissant de la donation d'un bien meuble, le consentement des parties s'accompagne de la délivrance et de la possession immédiate du bien.

[49] Le texte de la quittance du 31 janvier prévoit :

« La comparante (Mme Robillard) fait remise de toute somme lui demeurant due aux termes du susdit prêt […], mais seulement à la veille de son décès. »

[50] Le professeur Ciotola[2] écrit :

36. Modalités de la donation entre vifs.

[…]

Le décès peut être analysé comme un délai d'exécution, un terme, et non une condition même d'existence de la donation : la donation est entre vifs. Rappelons la difficulté qu'éprouvent parfois la doctrine et la jurisprudence à qualifier une donation payable au décès, soit comme donation entre vifs, soit comme donation à cause de mort : il importe alors de rechercher si le décès est considéré comme un terme ou comme une condition d'existence de la donation. C'est là un des critères importants de qualification.

Quant à la donation payable au décès avec possibilité pour le donateur de l'acquitter avant, elle soulève une certaine controverse jurisprudentielle. La simple mention du décès dans la stipulation soulève toujours une polémique sur la nature véritable de la donation. Cette donation peut être rédigée de diverses façons.

[Références omises]

[Je souligne]

[51] Plus loin, il écrira[3] :

39. Caractéristiques d'une donation entre vifs. – Les caractéristiques d'une donation entre vifs tiennent à certains éléments que la doctrine et la jurisprudence ont énoncés à de multiples reprises. On recherche notamment : (1) le dessaisissement, (2) l'irrévocabilité, (3) les termes employés et la désignation du contrat, (4) les faits déterminants et l'intention des parties. Le dessaisissement est satisfait si le donateur devient, dès la constitution de la donation, débiteur de la chose donnée. Certaines stipulations sont tout à fait compatibles avec le dessaisissement requis. Ainsi en est-il si le donateur s'oblige à verser des intérêts sur la somme donnée au donataire, si le donateur consent certaines garanties pour l'exécution de la donation, si le donateur se réserve un droit de retour des biens donnés ou même se réserve un droit d'usufruit, ce qui n'enfreint pas le principe de donner et retenir ne vaut. L'irrévocabilité est le corollaire indispensable du dessaisissement; elle interdit toute stipulation qui permettrait au donateur d'anéantir à son seul gré la donation. On peut prêter foi à la désignation que les parties font de la donation. On peut sans doute affirmer que le fait de désigner une donation comme étant faite entre vifs peut constituer un indice possible mais non pas nécessairement déterminant de l'intention des parties; la donation qualifiée par les parties comme faite entre vifs peut toutefois constituer une donation à cause de mort. À l'opposé, la donation que les parties qualifieraient comme faite à cause de mort n'est jamais considérée comme donation entre vifs. Rappelons que la donation entre vifs peut avoir comme terme d'exigibilité le décès; elle peut même avoir comme terme une période écoulée après le décès du donataire. Le décès constitue alors un terme d'exigibilité et non une condition formelle de l'existence de la donation. À l'opposé, la donation conditionnelle au décès du donateur pour son existence est une donation à cause de mort.

[Références omises]

[Je souligne]

[52] Pour déterminer s'il s'agit d'une donation à cause de mort ou entre vifs, il faut qualifier le fait du décès. S'agit-il d'une condition ou d'un terme?

[53] S'il s'agit d'une condition, la donation serait à cause de mort. Par ailleurs, s'il s'agit d'un terme, la donation serait entre vifs.

[54] L'article 1497 C.c.Q. définit la condition comme un événement futur et incertain alors que l'article 1508 C.c.Q. définit le terme comme étant un événement futur et certain.

[55] Malheureusement, la mort est un événement futur et certain dont seule l'échéance comporte une incertitude. À moins que Mme Robillard n'ait assujetti la quittance à la survenance de son décès avant une date donnée, ce qu'elle n'a pas fait, j'estime que sa mort constituait un terme. En conséquence, je considère qu'il s'agissait d'une donation entre vifs.

[56] Ceci étant, cette première quittance ne vaut qu'à l'égard de l'intimée et ne peut porter que sur le prêt de 55 000 $.

[57] La seconde quittance est plus large, elle couvre à la fois la part de l'intimée et celle de sa fille Krystel ainsi que la somme supplémentaire de 10 000 $ prêtée subséquemment. Le juge de première instance retient que la ventilation que Mme Robillard faisait de la somme de 65 000 $ est indicative de sa volonté de faire remise de toutes les sommes prêtées autant à l'intimée qu'à sa fille.

[58] Selon la version qu'il retient au paragraphe 79 de son jugement, Mme Robillard aurait dit, en parlant des sommes dues :

« Je n'en veux plus. Ma fille Linda tu vas t'occuper de cet argent-là au bénéfice de mes petits-enfants, Antoine et Krystel. »

[Transcrit tel quel]

[59] Plus tard, aux paragraphes 108 et 109, il écrit également :

[108] Elle se rappelle que sa mère lui a dit vouloir qu'Antoine et Krystel aient chacun 25 000 $. Elle ajoute que sa mère voulait aussi lui laisser 15 000 $, parce que « je le sais, les autres ne t'aideront pas s'il m'arrivait de quoi ».

[109] Le Tribunal conclut de ces témoignages que Georgette a fait une remise de dette de cette somme et qu'il n'y a donc pas lieu que cette dernière soit incluse dans l'actif de la succession de Georgette.

[Transcrit tel quel]

[60] Le juge a choisi de la considérer comme un don manuel et en conséquence de l'exempter des formalités d'une donation entre vifs.

[61] En début d'analyse, j'ai rappelé que la quittance obéit à des règles plus souples que celles qui gouvernent la donation. Il est vrai qu'étant à titre gratuit elle constitue une donation indirecte comme l'écrit Jean-Louis Baudouin dans son traité sur Les obligations[4] :

1070 – Remise à titre onéreux. Remise à titre gratuit – La remise peut être consentie à titre onéreux ou à titre gratuit, en fonction de la qualification donnée à l'acte dans lequel elle s'insère (article 1688, alinéa 2).

La remise consentie à titre gratuit, entre vifs, s'analyse comme une donation. Elle doit alors remplir toutes les conditions de fond de la donation. Ainsi, le créancier doit donc avoir la capacité juridique d'aliéner et le débiteur celle de recevoir à titre gratuit. Par contre, elle n'est pas sujette aux conditions de forme de la donation, notamment à l'authenticité de l'acte qui la constante (article 1824), parce qu'elle n'est en fait qu'une donation indirecte (article 1811).

[62] Dès lors que le juge de première instance acceptait les témoignages et retenait que Mme Robillard avait indiqué qu'elle donnait quittance des sommes dues, toute la question du caractère formel de la donation devient académique puisque le législateur, à l'article 1811 C.c.Q., en dispense les donations indirectes.

[63] Peut-on d'ailleurs s'imaginer qu'il faille se rendre chez un notaire chaque fois qu'un créancier donne, à titre gratuit, quittance de ce qui lui est dû? Peut-on penser qu'il faille dans les mêmes conditions forcer la publication des quittances? À l'évidence, la réponse est non.

[64] L'appelante a également demandé d'exclure du passif de la succession les sommes engagées par l'intimée pour sa défense à l'action, de même que pour la demande de jugement déclaratoire. Autrement dit, elle demande à l'intimée, liquidatrice de la succession, de supporter personnellement les frais du litige.

[65] L'article 789 C.c.Q. prévoit que le liquidateur a droit aux dépenses faites dans l'accomplissement de sa charge. Les frais judiciaires et extrajudiciaires entrent dans cette catégorie[5].

[66] Aussi dans Tisseyre c. Tisseyre[6], notre Cour décidait que ce n'est que lorsque les procédures sont mal fondées ou que le liquidateur est de mauvaise foi que l'on pourra s'opposer au remboursement des frais encourus par le liquidateur.

[67] Comme je rejette les prétentions de l'appelante sur la question principale, je peux difficilement concevoir qu'en se défendant l'intimée a agi de mauvaise foi. Il en découle que les honoraires encourus sont à la charge de la succession.

[68] L'appel principal devrait être rejeté.

[69] Quant aux appels incidents, ils portent sur le rejet de la demande reconventionnelle de l'intimée et sur le rejet de l'inscription de faux.

[70] Tout d'abord, sur la demande reconventionnelle, l'intimée réclame des dommages de 25 000 $ et les honoraires extrajudiciaires qu'elle prétend être des conséquences de la conduite fautive de l'appelante, autant avant que durant les procédures.

[71] Le juge de première instance a estimé que la conduite de l'appelante n'était pas fautive. En l'absence de démonstration d'une erreur manifeste et déterminante, il n'y a pas lieu d'intervenir. La conclusion quant à la réclamation pour le paiement des frais extrajudiciaires, au vu de la constatation par le juge de l'absence de faute, devra suivre le même sort[7].

[72] Il n'y a pas lieu de condamner l'appelante à payer les frais de l'inscription de faux. Cette procédure est étrangère à la solution du litige et a été mue à la seule initiative des intimés. C'est à eux d'assumer les conséquences de son rejet.

[73] L'appel incident déposé contre l'appelante devrait être rejeté avec dépens.

[74] Quant à l'appel incident déposé contre la notaire à l'encontre des conclusions qui rejettent l'inscription de faux, les conclusions sur l'appel principal le rendent académique. Par contre, il ne fait aucun doute que, pour partie au moins, la rédaction défectueuse de la quittance du 31 janvier 2005 a été à l'origine du litige. Je rejetterais l'appel incident déposé contre la notaire Jodoin, mais sans frais.

[75] En conséquence, je propose de rejeter l'appel avec dépens en faveur des intimés et de rejeter l'appel incident avec dépens en faveur de l'appelante, mais sans frais quant à la mise en cause, la notaire Jodoin.





JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.


[1] Code civil du Québec, art. 1824.
[2] Pierre Ciotola, De la donation, 2e éd., coll. La collection bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 2006,
p. 12.
[3] Ibid., pages 15 et 16.
[4] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations, 6e édition, Y. Blais, éd. 2005, EYB2005OBL41.
[5] Centre hospitalier Baie des Chaleurs c. Garry Hayes, J.E. 2006- 1734, 2006 QCCS 4697 (CanLII) confirmé sur cette question par Beemer – Almond c. Centre hospitalier Baie des Chaleurs, B.E. 2008BE-585, 2008 QCCA 763 (CanLII).
[6] Ahern-Tisseyre c. Tisseyre, J.E. 2002-1252 (C.A.).
[7] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, 2002 CanLII 41120 (QC CA), [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)