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Droit de la famille — 17175, 2017 QCCS 343

no. de référence : 2017 QCCS 343

Droit de la famille — 17175
2017 QCCS 343
COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL

N° :
500-04-059920-125

DATE :
Le 3 février 2017
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
KAREN KEAR-JODOIN, J.C.S.
______________________________________________________________________

F... A...
Demanderesse
c.-
C... O...
Défendeur
______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________

[1] Les parties sont les parents de X née le [...] 2012, présentement âgée de quatre ans.

[2] Le Père demande la garde exclusive de l’enfant. Il remet en question la capacité parentale de la Mère au motif que selon lui, elle souffre de graves problèmes psychiatriques.

[3] La Mère de son côté, demande la garde exclusive de l’enfant ou au moins la garde partagée telle qu’instaurée suite à un jugement rendu par le tribunal le 1er avril 2016, soit sur un modèle de sept jour sur sept. Elle prétend que le Père est très difficile à vivre et est contrôlant.

[4] Les deux parties demandent l’autorisation de voyager avec l’enfant mineure sans l’autorisation et le consentement de l’autre parent.



[5] Voici le contexte dans lequel se trouve le litige.

[6] Les parties ont fait vie commune de juillet 2011 au 8 août 2012. X est née le [...] 2012.

[7] Après leur séparation, les parties ont entamé des procédures concernant la garde de l’enfant X. Plusieurs jugements ont été prononcés. Initialement la Mère avait la garde de l’enfant et le Père des droits d’accès[1].

[8] Le 9 décembre 2014, le juge Payette entérine un consentement par lequel il est prévu, entre autres, une garde partagée de l’enfant aux deux parents selon le modèle dit 5-2-2-5. Le Tribunal ordonne aussi au Père de verser à la Mère pour le bénéfice de l’enfant, une pension alimentaire de $366.66 par mois excluant les frais de garde. Quant aux voyages, les parties conviennent qu’ils sont autorisés à voyager avec l’enfant en Amérique du Nord en tout temps sur leur temps de garde et sans le consentement de l’autre parent.

[9] Le 1er avril 2016 la Mère dépose une demande pour la garde exclusive de l’enfant ou subsidiairement une garde partagée à raison de sept jours-sept jours du dimanche à dimanche.

[10] Le 23 février 2016, en réponse à la demande de la Mère, le Père dépose une demande pour la garde exclusive de l’enfant exprimant au Tribunal ses préoccupations quant aux problèmes de santé mentale de la Mère.

[11] Le 7 avril 2016, la juge Capriolo[2] rend une ordonnance de sauvegarde qui prévoit ce qui suit :

RECONDUIT l’ordonnance du 21 mars 2016 quant à la garde de l’enfant mineure ainsi qu’à l’horaire qui était compris dans le jugement du 9 décembre 2014;

CONSTATE le changement de cet horaire à partir du 13 mai 2016;

MODIFIE l’horaire à partir de cette date pour 7 jour – 7 jours;

ORDONNE que tous les échanges de l’enfant se fassent à la garderie indépendamment du type de modalités de garde;

ORDONNE à madame de respecter les ordonnances préalables et de fournir à monsieur les attestations médicales que le Tribunal lui avait déjà ordonné de communiquer ;

AUTORISE la fixation de l’audition pour une durée d’une journée le 18 octobre 2016 en Salle 2.01;

LE TOUT pour valoir jusqu’au 18 octobre 2016;

AUTORISE monsieur O... de voyager seul avec sa fille X, sans l’autorisation de madame A... dans l’un des quatre pays suivants : Bahamas, États-Unis, Mexique ou France;

Monsieur s’engage à communiquer à madame tous les détails de son voyage deux semaines avant son voyage.

[12] Le 23 mai 2016, contrairement à l’ordonnance de la juge Capriolo, le Père n’a pu exercer sa semaine de garde. Il essaye de communiquer avec la Mère à plusieurs reprises durant la semaine mais sans succès. Il devient très inquiet.

[13] Le 1ier juin 2016, le Père se rend au Poste de police et explique la situation. Les policiers se rendent au domicile de la Mère qui ne réponde pas à la porte. Ils entrent avec l’aide du concierge de l’édifice. Les policiers constatent que la Mère a un comportement inquiétant. Ils notent entre autres qu’elle ne savait pas même la date ni le mois. La Mère parlait tout seul. Il n’y avait pas assez de nourriture pour l’enfant au domicile. Les policiers communiquent avec la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Le défendeur est avisé de venir chercher sa fille. Considérant que le Père a la garde de l’enfant la DPJ ferme le dossier

[14] Le 1ier juin 2016, la Mère est admise à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal au Pavillon Albert Prévost, en soins psychiatriques. La Mère demeure à l’hôpital jusqu’au 15 septembre 2016. La Mère a des antécédents de problème psychiatrique. Elle a été hospitalisée également en 2014 pendant environ un mois.

[15] Le 30 juin 2016, le Père dépose une demande pour la garde exclusive de l’enfant.

[16] Le 7 juillet 2016, la juge Gaudreau rend une ordonnance de sauvegarde par laquelle elle confie au Père la garde de l’enfant X et elle accorde à la Mère des droits d’accès supervisés à être convenu avec le défendeur.

[17] Le 15 septembre 2016, la Mère reçoit son congé de l’Hôpital. Présentement, la Mère est sous un régime de protection pour deux ans, suite un jugement rendu le 29 juin 2016. Elle est présentement suivie par la Clinique externe de Cartierville.

[18] Lors du procès, la Mère explique qu’elle part le lendemain dans son pays pour visiter sa famille. Elle anticipe qu’elle reviendra au Canada en janvier 2017. Elle veut amener sa fille. À l’heure actuelle la demande de la Mère n’est pas réaliste.

[19] La demande du Père est une demande de modification du jugement rendu le 9 décembre 2014. C’est une demande qui est régie par l’article 612 du Code civil du Québec qui prévoit :

Art. 612. Les décisions qui concernent les enfants peuvent être révisées à tout moment pas le tribunal, si les circonstances le justifient.

[20] Les critères que le tribunal doit prendre en considération se trouvent dans l’arrêt Gordon c. Goertz[3]. Les Tribunal appliquent les critères établis dans cette cause non seulement en matière de mariage et de divorce, mais dans tous les cas où la modification de la garde et l’accès à un enfant est en litige.

[21] Le Tribunal doit déterminer si un changement important dans la situation de l’enfant est survenu depuis la dernière ordonnance de garde. Dans l’affirmative, est‑ce que ce changement modifie les besoins de l’enfant ou la capacité des parents d’y pourvoir? Ensuite, le Tribunal doit déterminer à qui la garde de X devrait est-elle être octroyé? Quelles sont les modalités des droits d’accès dans l’intérêt de l’enfant. Est-ce que les parents peuvent voyager avec l’enfant mineure sans l’autorisation de l’autre parent ?

[22] Quant à la garde, la règle cardinale qui doit guider le Tribunal est celle de l’intérêt des enfants et le respect de leurs droits tel que le prévoit l’article 33 C.c.Q.

[23] Il semble que même si la Mère désire avoir la garde de X, elle comprend que ce n’est pas nécessairement à l’heure actuelle, dans le meilleur intérêt de l’enfant. Le dossier médical de la Mère révèle des problèmes de santé mentale sérieux depuis plusieurs années. La preuve révèle que Madame a arrêté sa médication à deux reprises avec des conséquences négatives sur le bien-être de l’enfant.

[24] Le Tribunal ne doute pas de l’amour que la Mère porte à sa fille mais conclut qu’à ce stade, elle a besoin de temps pour se stabiliser sur le plan personnel. Elle exprime son désir de se trouver un emploi et un logement à Ville A. Ses projets ainsi qu’un suivi de ses traitements sont certainement des gestes qu’elle fait dans la bonne direction.

[25] La preuve offerte lors du procès révèle que le Père peut offrir à l’enfant un milieu plus stable et plus sécurisant. L’enfant est âgée de seulement quatre ans. Le Père raconte que l’enfant va bien. Elle est à la garderie quand il travaille. Il a planifié son horaire de travail pour s’assurer qu’il est disponible pour l’enfant.

[26] La Mère décrit une relation très difficile avec le Père. Elle se plaint qu’il est impossible de discuter avec lui disant qu’il n’est pas flexible, qu’il a toujours raison. Il est troublant que la Mère n’ait eu aucun contact significatif avec sa fille depuis juin 2016. Il est important qu’elle reprenne un contact régulier avec X dès qu’elle retournera vivre à Ville A. Le Père semble y être très ouvert. Il affirme qu’il n’a aucune objection à ce que la mère ait des contacts avec X mais dans les circonstances, il demande avec raison, que les visites soient supervisées.

[27] Le Tribunal souligne que la Mère a demandé de voir l’enfant avant son départ au Benin. Le père a fait tous les arrangements nécessaires pour s’assurer que la Mère passe quelques heures avec l’enfant. Il n’y a aucune indication que le Père désire priver l’enfant d’une relation avec sa Mère.

[28] Dans les circonstances, le Tribunal doit être prudent. Les droits d’accès seront supervisés par un service jusqu’à nouvel ordonnance de ce Tribunal ou si les parties conviennent mutuellement que les droits d’accès peut être supervisés par une tierce personne ou que la supervision n’est plus nécessaire.

[29] Il demeure la question à savoir si le Père peut voyager sans le consentement de la Mère?

[30] La Mère conteste la demande du Père de voyager avec l’enfant sans son autorisation. En particulier, elle veut s’assurer que le Père ne retournera pas dans son pays le Benin avec X. Elle prétend que lui et sa famille ont des pratiques religieuses qui sont absolument interdites par notre société et qui sont contre l’ordre public. Le Père conteste vigoureusement les allégations de la Mère. Elle a des préoccupations à l’effet que si le Père se rend dans son pays il ne sera pas lié par la Convention de La Haye.

[31] Le Tribunal autorise le Père a voyagé avec l’enfant mineure sans le consentement de la Mère. Le Père est professeur agréé du département de finances à l’Université A. Il témoigne que ses fonctions l’amènent régulièrement à voyager pour des conférences, des séminaires et des ateliers avec d’autres collègues. Il donne comme exemple qu’au mois de juin de l’année passée il a eu une conférence en Afrique organisée par The African School of Economics. Il a aussi de la famille en République Dominicaine.

[32] Le Père a immigré au Québec en 2005. Il a suivi ses études de maîtrise en finance à l’Université B et par la suite fait des études au doctorat. Il a un emploi permanent avec l’Université A au département de finances depuis le 1er août 2012. Il est maintenant citoyen canadien.

[33] Le Tribunal est d’avis que le Père est bien établi au Québec. De plus, il est obligé par son employeur d’assister à des conférences qui ont lieu parfois dans les pays qui ne sont pas signataires de la Convention de La Haye. Même dans ce cas, le Tribunal conclut qu’il y a peu ou pas de risque que le Père et l’enfant mineure ne reviennent pas au Québec.

[34] Considérant les circonstances ci-haut mentionnées, le Tribunal ne l’autorisera à voyager avec l’enfant mineure sans le consentement du Père.

[35] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36] DÉCLARE que les deux parties exerceront conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant X et leur ORDONNE de se consulter avant de prendre quelque décision importantes que ce soit relativement à l’enfant notamment, sa santé et à son éducation;

[37] CONFIE au Père la garde de l’enfant X;

[38] ACCORDE à la Mère ait des accès supervisés à l’enfant dans un centre de supervision jusqu’à nouvelle ordonnance du Tribunal ou selon entente entre les parties à l’effet que les droits d’accès peuvent être supervisés par une tierce personne ou que la supervision n’est plus nécessaire;

[39] RECOMMANDE que les droits d’accès et l’échange supervisés se fasse à l’amiable deux fois par mois pour un maximum de deux heures par visites, selon les disponibilités, heures d’ouverture et règlements du centre de supervision.

[40] ORDONNE au Père de payer tous les frais de la supervision;

[41] AUTORISE la Mère à communiquer avec l’enfant soit par Skype ou par téléphone deux fois par semaine entre 18h00 et 20h00;

[42] ORDONNE à la Mère de transmettre au Père une attestation de son suivi médical en psychiatre à Clinique externe de Cartierville aussi longtemps que le suivi sera requis par un psychiatre. Cette attestation doit indiquer le délai dans lequel la Mère doit avoir son prochain rendez-vous et une attestation qui devra être fournie après chacun des rendez-vous la Mère;

[43] ORDONNE au Père d’assumer les frais, s’il y a lieu, reliés aux attestations de psychiatrie;

[44] AUTORISE le Père à voyager seul avec l’enfant X sans l’autorisation de la Mère;

[45] ORDONNE au Père d’aviser la Mère par écrit au moins 14 jours avant son départ, de tout déplacement qu’il entend effectuer à l’extérieur du Canada avec l’enfant et de lui communiquer dans un même temps, une copie du billet aller-retour ainsi que les coordonnées de l’endroit où il séjournera avec l’enfant;

[46] AUTORISE le Père à demander l’émission d’un passeport pour l’enfant X sans la permission de la Mère;

[47] AUTORISE le Père à demander l’émission d’une nouvelle carte d’assurance maladie sans l’autorisation de la Mère;

[48] ORDONNE à la Mère de remettre au Père le carnet vaccination de l’enfant X.



__________________________________
KAREN KEAR-JODOIN, J.C.S.


Me Xi Quan
MARIE-JOSÉE BELLEMARE AVOCATS
Procureure de la demanderesse

Me Diane Roy
BARON ROY PROULX
Procureure du défendeur

Date d’audience :Les 18 et 25 octobre 2016