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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Abdirahman) c

no. de référence : 2016 QCTDP 6

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Abdirahman) c. Gatineau (Ville de) (SPVG)
2016 QCTDP 6

JM2166

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE
GATINEAU





N° :
550-53-000025-158





DATE :
26 janvier 2016





SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.


AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

Me Claudine Ouellet, avocate à la retraite
Me Marie Pepin





COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur d’Ahmed Abdirahman

Partie demanderesse

c.

VILLE DE GATINEAU (SPVG)

et

DANIEL CHARBONNEAU

et

SOPHIE DUMAINE

Parties défenderesses

et

CENTRE DE RECHERCHE ACTION POUR LES RELATIONS RACIALES (« CRARR »)

Partie plaignante

et

AHMED ABDIRAHMAN

Partie victime




JUGEMENT





[1] Monsieur Ahmed Abdirahman a reçu un constat d’infraction le 21 février 2012 à Gatineau pour ne pas s’être conformé à un feu de circulation.

[2] La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue qu’à cette occasion les agents Daniel Charbonneau et Sophie Dumaine du Service de police de Gatineau (SPVG) ont eu un comportement qui constitue du profilage racial à l’endroit de monsieur Abdirahman.

[3] La Commission réclame aux défendeurs à titre de réparation la somme de 7 000$ pour des dommages moraux et une ordonnance pour que la Ville de Gatineau organise à l’intention de son personnel et dans un délai de six mois une activité de formation portant sur la discrimination et le profilage racial et fasse rapport à la Commission concernant la tenue de cette activité.

I. LES FAITS

[4] Monsieur Ahmed Abdirahman est un homme d’origine somalienne de couleur noire. Il vit au Canada depuis 23 ans et demeure à Gatineau depuis 10 ans.

[5] À l’époque des faits, monsieur Ahmed Abdirahman est agent de sécurité depuis 12 ans et il travaille dans des ambassades ou des établissements commerciaux.

[6] En février 2012, il travaille dans une ambassade à Ottawa et son horaire est de 15h00 à 23h00, du lundi au vendredi.

[7] Monsieur Abdirahman effectue habituellement le trajet à pied entre son lieu de travail à Ottawa et sa résidence à Gatineau, ce qui prend environ une heure. Il traverse le pont Alexandra et emprunte le boulevard des Allumettières jusqu’à son domicile, rue Laval, une rue perpendiculaire au boulevard.

[8] Le boulevard des Allumettières est un boulevard à chaussée séparée par un terre-plein. Entre le pont Alexandra et la rue Laval, il y a deux intersections majeures, soit la rue Laurier et le boulevard Maisonneuve, qui est également un boulevard à chaussée séparée par un terre-plein. Toute l’action se déroule dans le quadrilatère[1] formé des rues Laurier et Élizabeth-Bruyère, du boulevard Maisonneuve et du boulevard des Allumettières.

[9] Le soir du 21 février 2012, monsieur Abdirahman quitte son travail vers 23h00 et emprunte son trajet habituel. Après avoir traversé le pont Alexandra, il attend le feu pour piétons afin de traverser la rue Laurier.

[10] Il est vêtu d’un pantalon noir, de chaussures noires, d’un manteau bleu marine et d’une tuque noire, ce qui fait partie de son uniforme de travail.
Première interception

[11] Selon monsieur Abdirahman, à la hauteur de la Maison du Tourisme, à l’angle de la rue Laurier et du boulevard des Allumettières[2], il est interpellé par des agents à bord d’un véhicule du SPVG.

[12] La preuve révèle que l’agent Sophie Dumaine est passagère et que son partenaire l’agent Daniel Charbonneau conduit le véhicule.

[13] À bord du véhicule, l’agent Dumaine lui dit : « Hey, you ! come here? Where are you going ? » Elle poursuit en l’informant qu’il a traversé l’intersection sur le feu piétons rouge et qu’il est en infraction. La policière lui donne alors un avertissement verbal sans lui demander de s’identifier et la voiture part dans un crissement de pneus.

[14] L’Agent Dumaine dit cependant qu’elle s’adresse à monsieur Abdirahman en français, car son anglais est très mauvais.

[15] Les policiers expliquent que le type de véhicule qu’ils utilisent le soir de l’interception est de type propulsion et qu’il est fréquent que les pneus crissent au départ et en effectuant un virage mais que la manœuvre n’est pas volontaire.

[16] Monsieur Abdirahman précise que l’agent Dumaine change d’attitude quand il lui répond :«Why do you want to know?» Selon monsieur Abdirahman, elle se fâche et menace de lui donner une contravention, ce qui est nié par l’agent Dumaine qui ajoute que l’intervention s’effectue normalement sans particularité, une intervention de routine qui a duré environ 2 à 3 minutes.

[17] Selon les agents Dumaine et Charbonneau, il est habituel de donner d’abord un avertissement au piéton fautif et de le sensibiliser aux dangers de traverser en dehors des passages prévus et de respecter les feux pour piétons.

[18] Monsieur Abdirahman affirme plutôt que les policiers sont arrivés sur les lieux après qu’il avait traversé la rue et qu’ils n’ont pu le voir traverser au feu vert pour piétons.

[19] Tout en poursuivant sa route sur le boulevard des Allumettières, monsieur Abdirahman remarque le véhicule du SPVG sur la rue Élizabeth-Bruyère, une rue parallèle. Il se sent suivi. À l’approche de l’intersection du boulevard Maisonneuve, il remarque le véhicule, gyrophares allumés, près d’un commerce de restauration rapide et il poursuit sa route jusqu’au passage piétons.

[20] Pendant ce temps, les agents Dumaine et Charbonneau poursuivent leur patrouille et interceptent des jeunes gens qui traversent le boulevard Maisonneuve à l’extérieur du passage piétons devant un établissement de restauration rapide. Après la vérification de l’identité d’un des jeunes du groupe[3], les policiers leur donnent un avertissement et partent en direction du boulevard des Allumettières où ils aperçoivent monsieur Abdirahman à l’intersection des boulevards Maisonneuve et des Allumettières.
Deuxième interception

[21] Arrivé à l’angle du boulevard Maisonneuve, monsieur Abdirahman appuie sur le bouton d’appel du feu pour piétons, mais ce dernier ne fonctionne pas. À l’audience, monsieur Abdirahman dépose un document de la ville de Gatineau attestant que le bouton du feu pour piétons à cet endroit a été changé le 28 février 2012[4]. Selon monsieur Abdirahman, il attend le feu vert de circulation pour traverser. Au milieu du boulevard, à la hauteur du terre-plein[5], il est intercepté à nouveau par les policiers Dumaine et Charbonneau.

[22] Selon cette version, l’agent Charbonneau sort de la voiture, une lampe de poche à la main, pour interpeller monsieur Abdirahman qui traverse la rue sans avoir priorité afin de lui donner une contravention.

[23] Monsieur Abdirahman précise que la lampe de poche est de grande dimension, environ 50 centimètres, et la façon dont le policier Charbonneau la tient dans sa main droite l’intimide au point qu’il croit que le policier va le frapper s’il ne collabore pas. Le policier hausse le ton et est agressif, il le tutoie ce que le témoin perçoit comme une insulte.

[24] Toutefois, l’agent Charbonneau exhibe à l’audience la lampe de poche qu’il utilise dans ses fonctions, de couleur noire qui fait 20 centimètres de long et 3,5 centimètres de diamètre. Il précise qu’il la tient de la main gauche afin de libérer sa main droite au cas où il aurait à se servir de son arme de service.

[25] L’agent Charbonneau lui demande une pièce d’identité avec photo ce que monsieur Abdirahman n’a pas en sa possession, toutefois il invite les policiers à le suivre chez lui afin de la leur fournir. Le policier refuse de le suivre, mais accepte qu’il s’identifie verbalement. L’agent Charbonneau lui donnera une mise en garde sur les conséquences de fournir une fausse identité et que des accusations d’entrave pourraient en résulter, ce que monsieur Abdirahman interprète comme une menace.

[26] L’agent Dumaine effectue les vérifications d’usage[6] dans le système informatique du véhicule et identifie monsieur Abdirahman à l’aide de sa date de naissance et de ses coordonnées.

[27] Ce dernier demande au policier de s’identifier à son tour et de lui fournir son numéro matricule. L’agent Charbonneau refuse et lui dit plutôt qu’il aura l’information complète sur le constat d’infraction.

[28] Monsieur Abdirahman ajoute qu’il est demeuré calme afin d’éviter que la situation s’aggrave et qu’il y ait violence. Il craignait d’être frappé par le policier et par les voitures qui passaient tout près.

[29] Selon monsieur Abdirahman, les agents Dumaine et Charbonneau n’ont pas tenu de propos racistes à son endroit. Il insiste toutefois sur le fait qu’ils l’ont tutoyé et qu’à son avis, on tutoie uniquement les amis, sans quoi c’est insultant, il s’est senti choqué.

[30] L’intervention se termine par la remise du constat d’infraction[7] rédigé par l’agent Dumaine qui, selon monsieur Abdirahman, est demeurée dans le véhicule. Toutefois, l’agent Dumaine dit qu’elle est sortie du véhicule, car monsieur Abdirahman est arrogant et refuse de s’identifier et dit : « Je suis fatigué de me faire arrêter ».

[31] Monsieur Abdirahman explique qu’entre 2008 et 2012, il se fait interpeller par des policiers de Gatineau 2 à 3 fois par année. Les mêmes questions lui sont posées, à chaque fois, à savoir : « Où tu vas? D’où tu viens? » on lui demande également, à chaque fois, de fournir une pièce d’identité avec photo. Il précise qu’il est toujours intercepté sans raison apparente quand il marche sur le trottoir, le soir tard, et qu’il n’a jamais eu de constat d’infraction avant le 21 février 2012.

[32] De plus, monsieur Abdirahman exprime le désir de quitter le Québec à cause de l’attitude des policiers du SPVG, il se sent discriminé et angoisse à la vue d’un véhicule de police.

[33] D’après le rapport d’activité quotidienne[8], la deuxième interception dure environ 10 minutes.
Politique sur le profilage racial

[34] Le SPVG est composé de 420 policiers et possède une politique sur le profilage racial[9] depuis le 23 novembre 2011. La ville possède également un plan de formation sur le profilage racial[10], calqué et adapté sur celui de la ville de Montréal. Une formation est fournie aux policiers.

[35] Monsieur Claude Gagnon est inspecteur de police au SPVG et est affecté aux affaires internes et aux normes professionnelles. Il voit au respect de la déontologie, à la discipline des policiers ainsi qu’aux enquêtes sur les incidents impliquant des policiers. Dans le cadre de ses fonctions, il reçoit les citoyens qui formulent des plaintes contre des policiers. C’est son bureau qui a reçu la plainte de monsieur Abdirahman.

[36] Monsieur Gagnon explique le fonctionnement de son service et de l’application de la politique sur le profilage racial. La formation sur le profilage a été fournie au SPVG il y a 2 ans environ et elle sera répétée au renouvellement des effectifs.

[37] Monsieur Gagnon précise qu’il n’y a pas de problème particulier de plaintes de profilage racial au SPVG et qu’il y a environ 5 plaintes par année.

[38] Monsieur Marc Olivier est policier depuis 1987 dont 12 ans en action et prévention communautaire. Dans le cadre de ses fonctions, il assure l’interaction entre les diverses communautés de la ville de Gatineau et effectue environ 40 rencontres avec les nouveaux arrivants chaque année.

[39] Il précise que des opérations de contrôle des piétons et des cyclistes sont faites régulièrement dans le but de sensibiliser la population et de faire de la prévention.

[40] L’agent Olivier a reçu la formation sur le profilage racial en octobre 2011, pendant un stage de 3 semaines à Longueuil. Sans être formateur, il a adapté la formation au SPVG.

[41] Quant à l’agent Dumaine, elle a reçu la formation sur le profilage racial en 2012. L’agent Charbonneau a lu la politique sans toutefois avoir reçu la formation.

II. LE DROIT
[42] La Commission fonde son recours sur les articles 4,10 et 49 de la Charte :
Art. 4 Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

Art. 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Art. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[43] La Commission soutient que le comportement des agents Charbonneau et Dumaine lors des deux interceptions de monsieur Abdirahman, le 21 février 2012, constitue de la discrimination par profilage racial envers lui et porte atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur la couleur.

[44] La Cour suprême dans l’arrêt Bombardier[11] rappelle que le concept de profilage racial élaboré d’abord à l’occasion de recours intentés contre des services policiers, a été étendu depuis à d’autres contextes et cite la définition suivante provenant de la Commission :
[l]e profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée[12]. (Références omises)

[45] Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême précise que, quelle que soit la forme que prend la discrimination, l’analyse à deux volets applicable en cas de plainte fondée sur la Charte ne change pas.

[46] La Cour suprême poursuit ainsi dans le même arrêt :
[d]ans un premier temps, l’art. 10 requiert du demandeur qu’il apporte la preuve de trois éléments, soit «(1) «une distinction, exclusion ou préférence», (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa et (3) qui «a pour effet de détruire ou de compromettre» le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne» :
[…]
Dans un second temps, le défendeur peut, lui aussi selon le degré de preuve que nous indiquerons plus loin, justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévue par la loi sur les droits de la personne applicable ou celles développées par la jurisprudence. S’il échoue, le Tribunal conclura alors à l’existence de discrimination : [13]
(Références omises)

[47] Le premier volet de l’analyse consistera à déterminer si ces trois éléments sont établis ce qui constituera alors «une discrimination prima facie» ou «à première vue».

[48] Dans le cadre du deuxième volet, le défendeur peut justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la loi ou celles développées par la jurisprudence.

[49] Enfin, dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême précise que la Charte ne crée pas d’exception et que le fardeau du demandeur est celui de la preuve prépondérante. Il devra donc démontrer, par prépondérance de la preuve, l’existence des trois éléments constitutifs de la discrimination[14].

[50] Le Tribunal dans l’affaire SPVM[15], a résumé les éléments spécifiques que le demandeur doit démontrer afin d’établir une preuve prépondérante de profilage racial :
1) elle est membre (ou perçue comme membre) d’un groupe caractérisé par un motif interdit de discrimination;
2) elle a été l’objet, dans l’exercice d’un droit protégé par la loi, d’un traitement différencié ou inhabituel de la part d’une personne en autorité
3) un motif interdit de discrimination a été un des facteurs ayant mené cette personne à appliquer ce traitement;[16]

[51] Quant à la notion de dignité, la Cour suprême dans l’arrêt Law l’a ainsi définie :
[l]a dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n’ont rien à voir avec les besoin, les capacités ou les mérites de la personne.[17]

[52] Le Tribunal doit donc décider si, le 21 février 2012, monsieur Abdirahman a été victime de discrimination par profilage racial, subissant ainsi une atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur la couleur.

III. ANALYSE

[53] En matière de profilage, le Tribunal a rappelé à plusieurs reprises que la crédibilité des témoins est déterminante afin d’établir quelle version des faits est prépondérante et cela, surtout lorsque la preuve est contradictoire.

[54] Dans la présente affaire, exception faite de savoir si l’agent Dumaine a interpellé monsieur Abdirahman en français ou en anglais lors de la première intervention, les témoignages sont essentiellement concordants quant aux faits qui se sont déroulés. C’est l’interprétation de ces faits qui diffère grandement entre les différents protagonistes.

[55] Le Tribunal accorde peu d’importance au fait que l’agent Dumaine ait interpellé monsieur Abdirahman en anglais ou en français. Ce qui importe est de savoir pourquoi on l’a interpellé. Sur ce sujet, les policiers témoignent avec sincérité et vraisemblance. Ils ont cru que monsieur Abdirahman avait traversé la rue sans respecter le feu pour piétons. Ils lui ont alors donné un avertissement verbal, sans plus. Ils ont ainsi agi selon leur procédure habituelle, ne remettant pas de constat d’infraction pour une première infraction.

[56] Par la suite, les policiers ont continué leur patrouille en empruntant un chemin différent de celui de monsieur Abdirahman. Ce dernier prétend que les policiers le suivaient en parallèle. Le Tribunal ne retient pas cette interprétation : les policiers surveillaient le quartier et ont interpellé d’autres personnes avant de le revoir un peu plus tard.

[57] Ils l’ont alors aperçu au coin des boulevards Maisonneuve et des Allumettières, traversant selon eux, sur un feu rouge et, selon monsieur Abdirahman, sur une interdiction piétonnière.

[58] Les policiers croient que monsieur Abdirahman passe outre leur avertissement et réagissent promptement.

[59] Ils se précipitent vers monsieur Abdirahman en allumant les gyrophares et l’interceptent sur le terre-plein. Ils lui demandent de s’identifier et l’informent que le fait de fournir une fausse identité constitue une infraction. Le policier Charbonneau sort de son véhicule et éclaire monsieur Abdirahman avec sa lampe de poche. Les policiers trouvent l’attitude de monsieur Abdirahman arrogante et ce dernier trouve les policiers menaçants et impolis. La lampe de poche a pour effet d’effrayer monsieur Abdirahman. Il la voit plus grosse que ce qu’elle est et craint que le policier ne le frappe en l’utilisant comme matraque. Il a peur d’une escalade de violence et n’argumente pas. Il reçoit son constat d’infraction et quitte les lieux. Les policiers ne le suivent pas.

[60] Monsieur Abdirahman soutient qu’il a tenté d’obtenir le signal pour piétons mais qu’il ne fonctionnait pas. Il a d’ailleurs mis en preuve la réquisition de réparation du signal. Il trouve alors très injuste ce constat d’infraction pour lequel il a ultérieurement été acquitté.

[61] Cependant les policiers ne pouvaient savoir que le signal pour piétons était défectueux et croyaient sincèrement que monsieur Abdirahman avait de façon délibérée enfreint leur premier avertissement. Ils ont alors agi avec diligence.

[62] Monsieur Abdirahman était interpellé une deuxième fois ce soir-là et injustement selon lui. Cela lui arrive quelques fois par année, sans raison, et ce depuis plusieurs années. Mais cette fois-ci, outre l’interpellation, il reçoit un constat d’infraction. Il attribue donc l’attitude des policiers et ce constat à la couleur de sa peau.

[63] Mais la preuve révèle que ce soir-là, il y a eu plutôt un malentendu. Le Tribunal comprend que les nombreuses interpellations subies par monsieur Abdirahman dans le passé l’ont rendu méfiant.

[64] Cependant, tout comme monsieur Abdirahman, les policiers ont témoigné de façon très crédible et avec sincérité. Toutefois, le Tribunal juge que la perception des événements par monsieur Abdirahman ne correspond pas à la réalité de ce qui s’est passé.

[65] La ville de Gatineau a mis en preuve une compilation du plumitif de la Cour municipale pour les infractions reliées au Code de la sécurité routière commises par des piétons entre le 1er janvier 2002 et le 26 février 2015. Il s’agit d’une longue période qui excède le jour de l’infraction reprochée à monsieur Abdirahman. Il y ressort que 2 700 constats d’infraction ont été remis à des piétons qui n’ont pas respecté les feux pour piétons. Cela concourt à établir que monsieur Abdirahman n’a pas été victime d’un traitement différencié dans les circonstances mises en preuve.

[66] Il n’a pas été établi que la remise du constat d’infraction était fondée sur le fait que monsieur Abdirahman est d’origine somalienne.

[67] En conclusion, la Commission ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve.

[68] En conséquence, le Tribunal rejette la demande de la Commission.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[69] REJETTE la demande de la Commission;
[70] AVEC DÉPENS.




__________________________________
ROSEMARIE MILLAR,
Juge au Tribunal des droits de la personne


Me Marie Dominique
BOIES DRAPEAU BOURDEAU

360, rue Saint-Jacques Ouest, 2e étage
Montréal (Québec) H2Y 1P5

Pour la partie demanderesse



Me Martin Leblanc
ALAIN ET ASSOCIÉS

25, rue Laurier, 4e étage
Gatineau (Québec) J8X 4C8

Pour les parties défenderesses


Dates d’audience :
24 et 25 novembre 2015



[1] P-7 et D-7 en liasse, plans du quadrilatère et vue des rues adjacentes.
[2] P-6 plan de l’intersection.
[3] D-3 Rapport d’activité quotidienne, p.2, 2012-02-21, 00 :38 :07.
[4] P-3 Détail de requête pour la réparation du bouton effectuée le 2012-03-01.
[5] P-8 Plan de l’intersection et des rues adjacentes.
[6] D-3 Rapport d’activité quotidienne, p.2, 2012-02-21, 00 :39 :45.
[7] D-1 en liasse, Billet de contravention-rapport des policiers; P-2 copie recto du constat d’infraction.
[8] D-3 p.2, 2012-02-21, 00 :39 :45 à 00 :48 :53.
[9] Pièce D-4 Directive opérationnelle.
[10] D-5 Plan de formation.
[11] Québec (Commission des droits de la personne et de la jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII).
[12] Id., par. 33.
[13] Id., par. 35 et 37.
[14] Id., par. 65.
[15] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Service de police de la ville de) (SPVM), 2012 QCTDP 5 (CanLII).
[16] Id., par. 177.
[17] Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), 1999 CanLII 675, par. 53 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497, 530.